IMAGE EVALUATION TEST TARGET (MT-3) 1.0 1^ ■^ Uii 12.2 :^ 14° 12.0 1.4 li 71 V2 ^' ^^ "^^ '•/ Hiotographic Sciences Corporation 23 WEST MAIN STREET VyEBSTER,N.Y. 14580 (716)872-4503 6^ /^'> "^>^ ^A' l/.A CIHM/ICMH Microfiche Séries. CIHIVI/ICIVIH Collection de microfiches. Canadian Institute for Historical Microreproductions / Institut canadien de microreproductions historiques Technical an-^ Bibliographie Notas/Notes tachniquas at bibliograpliiquaa Tha instituta has attamptad to obtain tha baat original copy availabla for filming. Faaturat off this copy which may ba bibliographically uniqua, which may altar any of tha imagaa in tha raproduction, or which may aignificantly changa tha usual mathod of filming. ara chacicad balow. D D x/ n D D D Colourad covars/ Couvartura da coulaur I I Covars damagad/ Couvartura endommagée Covars restored and/or laminatad/ Couvartura restaurée et/ou pelliculée I I Cover title missing/ Le titra de couverture manqua Colourad maps/ Cartes géographiques en couleur Coloured init (i.e. other than blue or blaclc)/ Encre de couleur (i.e. autre que bleue ou noire) I I Coloured plates and/or illustrations/ Planchas et/ou illustrations en couleur Bound with other matériel/ Relié avec d'autres documents Tight binding niay cause shadows or distortion along interior margin/ La re Hure serrée peut causer de l'ombre ou de la distortion le long de la marge intérieure Blank leaves added during restoration may appear within tha text. Whenevar possible, thèse hâve been omitted from filming/ Il se peut que certaines pages blanches ajoutées lors d'une restauration apparaissant dans la texte, mais, lorsque cela était possible, ces pages n'ont pas été filmées. Additional commenta:/ Commentaires supplémentaires: L'institut a microfilmé la meilleur exemplaire qu'il lui a été possible da sa procurer. Les détails da cet axamplaira qui sont peut-être uniques du point de vue bibliographique, qui peuvent modifier une image reproduite, ou qui peuvent exiger une modification dans la méthode normale da filmaga sont indiqués ci-dessous. Tha totl I I Coloured pages/ D This item is filmed at the réduction ratio chaciced below/ Ce document est filmé au taux de réduction indiqué ci-dessous. Pages da coulaur Pages damagad/ Pages endommagées Pages restored and/o Pages restaurées et/ou pelliculées Pages discoloured, stained or foxe Pages décolorées, tachetées ou piquées Pages detachad/ Pages détachées Showthrough Transparence Quality of prii Qualité inégala de l'impression Includes supplementary materi Comprend du matériel supplémentaire Only édition availabla/ Saule édition disponible I — I Pages damagad/ I I Pages restored and/or laminatad/ r~T| Pages discoloured, stained or foxed/ I I Pages detachad/ rri Showthrough/ I I Quality of print varias/ I I Includes supplementary matériel/ I I Only édition availabla/ ;> Tha posi ofti film Gril bag tha sion oth( first sion or il Tha shal TINI whii IVIap difffl antii bagii righl raqu meti Pages wholly or partially obscured by errata slips, tissuas, etc., hâve been refilmed to ensure the best possible image/ Les pages totalement ou partiellement obscurcies par un feuillet d'errata, une pelure, etc., ont été filmées à nouveau de façon à obtenir la meilleure image possible. 10X 14X 18X 22X 26X aox y 12X 16X 20X 24X 28X 32X ire détails les du modifier ler une filmage The copy filmed hère has iMen reproduced thankt to the generosity of : Library of the Public Archives of Canada The imeges appearing hère are the best quality possible considering the condition and legibility of the original copy and In keeping with the f ilming contract spécifications. L'exemplaire filmé fut reproduit grflce à la générosité de: Là bibliothèque des Archives publiques du Canada Les images suivantes ont été reproduites avec le plus grand soin, compte tenu de ia condition et de la netteté de l'exemplaire filmé, et en conformité avec les conditions du contrat de filmage. P ées Original copies in printed paper covers are filmed beginning with the front cover and ending on the lest page with a printed or illustrated impres- sion, or tho back cover when appropriate. AH other original copies are filmed beginning on the f irst page with a printed or illustrated impres- sion, and ending on the lest page with a printed or illustrated impression. Les exemplaires originaux dont la couverture en papier est imprimée sont filmés en commençant par le premier plet et en terminent soit par ia dernière page qui comporte une empreinte d'Impression ou d'illustration, soit par le second plat, selon le cas. Tous les autres exemplaires originaux sont filmés en commençant par la première page qui comporte une empreinte d'impression ou d'illustration et en terminant par la dernière page qui comporte une telle empreinte. The lest recorded frame on each microfiche shall contain the symbol — »> (meaning "CON- TINUED"), or the symbol V (meaning "END"), whichever applies. Un des symboles suivants apparaîtra sur la dernière image de chaque microfiche, selon le cas: le symbole — »- signifie "A SUIVRE", le symbole y signifie "FIN". re Maps, plates, charts, etc., may be filmed at différent réduction ratios. Those too large to be entirely included in one exposure are filmed beginning in the upper left hand corner, left to right and top to bottom, as many f rames as required. The foilowing diagrams illustrate the method: Les cartes, planches, tableaux, etc., peuvent être filmés è des taux de réduction différents. Lorsque le document est trop grand pour être reproduit en un seul cliché, il est filmé à partir de l'angle supérieur gauche, de gauche è droite, et de haut en bas, en prenant le nombre d'Images nécessaire. Les diagrammes suivants illustrent la méthode. y errata id to fit ie pelure, çon à 1 2 3 32X 1 2 3 4 5 6 M I HISTOIRE GÉNÉRALE DES VOYAGES, 0 u NOUVELLE COLLECTION J)E TOUTES LES RELATIONS DE FOT'AGES PAR MER ET PAR TERRE, q.ui ont été publiées jusq.u'à présent dans les différente? Langues de toutes les Natjons connues; C 0 N T E N J X T • Ce itîiï y a àe plus remarquable , de plus utile, ^ de mieux avéré ^ àans les Pays ou leS Foyageurs ont pénétré , Touchant leur Situation , leur Etendue , leurs Limites , leurs Divifions , leur Climat , leur Terroir , leurs Produélions , leurs Lacs , leurs Rivières ^ leurs Montagnes , leurs Mines , leurs Citez & leurs principales • Villes , leurs Ports , leurs Rades , leurs Edifices , &c. AVEC LES MOEURS ET LES USAGES DES HABITANS, leur Religion, leur Gouvernement, leurs Arts et leurs Sciences, leur CoMMEncB et leurs Manufactures; VOUR FORMER UN SYSTEME COMPLET D'HISTOIRE ET DE GEOGRAPHIE MODERNE, QUI REPRESENTERA L'ÉTAT ACTUEL DE TOUTES LES NATIONS: ENRICHIE DE CARTES GEOGRAPHIQUES Nouvellement compofées fur les Obfervations les plus autentiques ; DE PLANS, ET, DE PERSPECTIVES; DE FIGURES d'ANIMAUX, de VEGETAUX, HABITS, ANTIQUITEZ, &c, NOUVELLE ÉDITION, Revue fur les Originaux des Voyageurs , 8* où Von a non- feulement fait des Ad* ditions à? des Correélions très-confîdérables; Mais même ajouté plufieurs nouvelles Cartes & Figures , qui ont été gravées par & fous la Di- reftion de J. vander Schley, Elève diftingué du célèbre Picart le Romain, TOME TREIZIÈME. A LA HAT K, PIERRE DE HONDT, M. D C C. L K Avec Privilège de Sa Maje/lé Impiilale £? de Nos Seigneurs les Etats de Hollande ^ de Wejl-Frije. Chez ^-^ ^ • • • *• é/S'j/^ AVERTISSEMENT D E M^ L'ABBÉ PREVOST, • U01Q.UE ce Volume contienne Texécution de mes der- nières promcfles , & qu'il ne demande pas d'autre Exorde que les Introdudions ordinaires, qui en for* ment un pour chaque Article, il me paroit importan^ d'y joindre quelques obfervations générales liu' la na* ture & rétendue de mon fujet. Si Ton fe rappelle que dans un au-' tre Avertiffement , j'ai comparé les divifions &c les variétés de cet Ouvrage, aux détours d'une immenfe Forêt, on fentira combien l'embarras doit croître , à mefure qu'on s'engage dans ce Labyrin- te & que les routes s'y multiplient. L'obfcurité s'y joint quelque* fois à l'Incertitude, pour le tourment de ceux qui veulent y péné- trer. Avec un ftl pour fe reconnoître , il faut un flambeau pour voir clair autour de foi. 11 faut auifi quelques lumières d'avance, fiir les lieux où l'on peut trouver de l'utilité & du plaifîr à s'arrê- ter. Enfin , dans un Recueil de Voyages , chaque Lecteur doit fe regarder comme un Voyageur lui - même , qui a befoin , non* feulement de guides , pour marcher par des routes qu'il ignore j mais encore a'officieux avant -coureurs, pour lui préparer des hofpices , des féjours & d'agréables délaflemens. Les Auteurs Anglois, qu'on a fait profeflion de fuivre dans les premiers Tomes, n'avoient pas bien mefuré leur carrière. Soit qu'ils en ignoraffent l'étendue , ou que leur deflein ne fût pas dç s'arrêter aux bornes qu'ils s'étoient impolées , il eft certain qu'au Jieii d'un petit nombre de Volumes, à la vérité fort épais, mais Iqui n'en dévoient faire que dix de la groffeur des miens , ils a* voient pris un eflbr qui les auroit menés dix fois plus loin. 11 au-» roit fallu fe confoler du mécompte, & le regarder même comme une erreur utile , fi tous les Voyageurs méritoient aflez égale- ment d'être recueillis , pour ne pas faire regretter la longueur , ni par conféquent le prix du Recueil. Mais j'avouerai librement qu'entre les Relations des premiers Tomes, plufieurs occupent une place qui pouvoit être mieux remplie. La prévention nationa- * 2 ' le ê XV AVERTISSE^fENT l(î paroît avoir emporte les Aatcurs, jufqifîi leur faire oublier les plus curieufes Navigations des Etrangers. Lorsq^u'a BAN DONNA NT Icur entreprifc ils m'ont laifTé le droit d'en juger fans intérêt, «Se de conllilter mes propres idées pour la continuer, fai regretté d'abord de me trouver comme en- chaîné à leur Plan , & j'y ai fait obferver quelques défauts ciTen- tiels. ]\fais, après l'avoir fuivi i\ long-tems (rt) , il étoit trop tard pour le réformer. Cependant je me fuis fait un devoir de fup- pléer à leurs omilTions , par Quantité de Relations importantes. J'ai mis plus de rapport &c de dépendance entre les Articles, pour ïcs faire fervir mutuellement 5 comme dans un tableau bien ordon- né 5 à fe prêter du jour & des ombres. J'ai fupprimé les détails Inutiles , les ennuieufes répétitions , & tout ce que je n'ai pas jugé capable de plaire ou d'inftruire. En un mot, je me iiiis eftbrcé, autant qu'il eft polîible dans un fujet fort inégal, & dans la né* Celfité de s'afliijétir au Plan d'autrui, de donner à l'Ouvrage ua air plus hiilorique ; c'ell-à-dire , comme je l'ai déjà tait remarquer ^ de le rendre plus digne de fon titre, J E n'ai pas moins fenti le danger d'une excellive longueur ; & cîiaque jour me faifant découvrir quantité de Voyageurs ignorés des Anglois , auxquels il ne m'étoit pas permis néanmoins de fer* jner abiblument l'entrée de ce Recueil, j'ai cherché quelque mo- yen de reflerrcr leurs droits fans les violer. Un peu de réflexion m'en a fait trouver un , dont je m'applaudis : c'efl de ne les faire parojtre que dans le degré de diftinclion qui leur convient. Cet- te règle, qui auroit épargné, jufqu'à préîènt, beaucoup d'inuti- lités aux Ledeurs , ne demande que d'être expliquée pour être approuvée ; & c'eft le principal but que je me fuis propofé dans Cet Avertiffement. O N a dû reconnoître 5 par des exemples continuels , que tous les Voyageurs ne méritent pas la même eftime. Mais cette dif- férence ne vient pas feulement de celle de l'efprit (Se de l'habileté. 11 me femble même que par rapport à l'objet de cet Ouvrage , el- le ne doit être prife que des occafions & des f:icilités qu'ils ont eues pour s'inftruire. Celui qui n'a fait que traverfer un Pays , ou qui ne s'y eft pas arrêté long-tems , ne doit pas entrer en com- paraifon avec celui qui s'y eft familiarifé par un long féjour. Le Mar- (a) On fçait que feu M. le Chancelier fure qu'elles étoient imprimées à Londres, & m'ayant engagé à ce travail, je recevois, fous que je les envoyois de même à la PrcITe, à fon enveloppe, les feuilles Ângloifes, àme- mefure qu'elles fortoient de ma plume. col toi tinl Ci| C Ll mél con nutl ;^ D E Mr.. L'A B B r PREVOST e oublier les )nt lailTc le Topres idces r comme cn- cfiiiits eflcn- oit trop tard voir de fiip- importantes. rticics, pour bien ordon- é les détails n'ai pas jugé fuis efforce, dans la né* Ouvrage ua ; remarquer, mgueur; & eurs ignorés loins de fer-» nielque mo- e réflexion ne les faire lent. Cet- )up d'inuti- pour être opofé dans que tous cette dif- riiabileté. [vrage, el- qirils ont un Pays, er en com- :jour. Le Mar- à Londres , & à la PrcITe, à na plume. . Marchand, qui ne s'elt pas éloigné du Port où Ton Commerce Ta conduit, qui fouvent n'ell pas Ibrti de fon VaifTeau , ou du Comp» toir de là Nation, upplement, les Minijlres du dernier Roi de Golkonde , facrifiés à la fureur de la Populace , 6? ■' le Prince lui-même, comme im autre Crœius , trahi par fes Généraux, tomber , avec fon Etat , au pouvoir du Grand Mogol Aureng Zeb , ramper fous fes pieds , obligé de manger de la pouffière , ^ condamné à une prifon perpétuelle , ou le poifon devoit vraifemblahlement terminer bien-tôt fes jours. On verra ce malheureux Prin- ce, dans l'éclat de fa fplendeur pafj'ée , faire aux Hollandois de MafuUpatnam , deux Vifites honorables , dont on rapporte les circonfiances , avec des jinecdotes extrême- ment curieufes ; le tout traduit des propres Relations des Officiers de ce Comptoir , G* d'autres Mémoires manu crus, qui nous ont été communiqués (/). Le Carnate, autrefois Province de Golkonde, n'ejt guères connu que par les Re» lations des Mifponnaires Jéfuites M. Prevojl a donné l'extrait des premières i vm'is étant refié en deffaut pour les éclair cifjemens ultérieurs , qu'il s'affligeoit , dit-il, de ne pas .trouver, quoiqu'ils fe préfentaffent coîimie d'eux-mêmes (g)i nous avons crû de oir y fuppléer ; ^ cette attention nous a infenfiblement engagés dans une plus grande entreprife. Cefl d'extraire des différentes Lettres des Jéfui» tes^ tout ce qui peut fervir à jetter du jour fur la Géographie 6f l' Hifîoire du Car* nate, mêlée avec celle des Mifjîons établies dans ce vajte Pays. On ofeajjùrer, que par rapport à ces deux objets , on n'a pas omis la moindre circonftance remar- quable :, de-forte qu'on aura ici le précis fidèle de quantité de détails répandus de cô* té ^ d'autre dans une vingtaine de Volumes (h). OuTRL les quatre Articles quon prend ici féparément , Êf dont les nomhreufes Additions ou Corrections forment comme autant de corps particuliers , on trouvera en- core, dans plufieurs Notes du refle de l Ouvrage, des éclairciffemens très-curieux , fur divers (O Pag. 305- à 315. (/) fag. 423- à 438. d) Pag. 330- à 333. YÀ f ai. 442. • CO Pag. 387- à 391, ^S5 pa|. J^^^ à 493. • • \, •^v )ij..i viij AVERTISSEMENT des EDITEURS de HOLLANDE. divers objets intàcjjlms. Nous tien citerons que trois. Deux de ces Remarques feront voir, a.ec étonncment , quelles fmt les forces ^ les ricbejjes des Empcrcttrs Alogols (/). L'autre dunnera une jtijîe idiie tics pogrùs du Chiijlianifme aux In- des 6? des travaux de Mrs. les Mifj'ionnaires. Cette dernière Remarque ne doit pns être fifpcâe dans la bouche d'an témoin tel que licrnicr , dont M. Prevojl vante , avec raifuUy la bonne foi y la religion ^ les lumières (k). O .N rt continué , fur le pied des l^oLimes précedens , à corriger dans le Texte , une infinité de Noms propres ejlropiés , ^ d'autres inexactitudes ajjcz confidérables , mais qu'on peut regarder comme des fautes d'imprcjjlon , différentes de celles qui ont été relevées dans des Notes. Ces dernières font en petit nombre en cotnpara'ijon des premières. Lf. s Cartes &f Figures empruntées de f Edition de Paris ^ font non -feulement mieux exécutées , mais encore beaucoup plus cxacles. On a trouvé des fautes jufqiies dans les deux belles Cartes de ïlndoujlan de M. Bellin , où le Fort de Karical , fur la Cote de Coromandel , paroilfoit au ! ord de Tranqucbar, au lieu qu'il ejl an Sud de cette l'aille. Une erreur aufft groffière , fur-tout lorsqu'il s'agit d'un EtabliJJhnent François t ne doit point être l'uputée, à ce célèbre Géographe, ^ ne peut être înife que fur le compte de l'Artifle (/). La Nouvelle Carte du Royauuic de Benga- le , fcrt d'un Supplément nécc(Jaire à la partie Orientale de celle de l'Indouflan , qui ejl la moins détaillée. Les nouvelles Figures ont chacune leur mérite particulier. Jillesfont dijtingtiécs par un AJlérifque dans l'Avis au Relieur. C E feroit faire preuve d'un très - mauvais goût , fi après avoir critiqué M. Pre- ' nsofl , nous ne lui rendions pas la jujîice qui lui ejl due. Le fond de fon Ouvrage ne pouvoit cire mieux traité qu'il fejl dans ce nouveau Folume , ^ nous nous perfua- dons que le Public en portera le ju-\ement le plus favorable. L'ordre dans lequel cet Abbé met fes Relations efl bonaujjî ; mais nous ne fommcs pas toûjo rsles maîtres de le fuivie. Qiielqucfois nous détachons des pièces pour les avancer ou pour les reculer ^ félon que la matière le demande. On a déjà fait obferver y qu'en général , notre ob- jet ejl de rapprocher , autant qu'il efl pofftble , tout ce qui regarde une même Contrée. Outre l'Indouflan ^ on a parcouru, dans ce Volume, la Cote Occidentale &? la Partie Septentrionale de la Presqu'IJle de l'Inde. La Partie Méridionale ^ la Cote Orientale font l'ouverture du Volume fuivant , qui efl a^uellement fous Pref- fe. La Guerre, dont ce Pays a été le Théâtre ^ depuis quelques années ,intérej](i dou- blement le Public , par la part que les Angloïs àf les François y ont prife comme Auxiliaires des Marattes Êf des Maures ; Aujfi apporterons-nous toute l'attention imaginable à lui procurer des lumières qui puijjént fatisfaire fa curiojité , pour la connoi£ance des lieux ^ celle des événemens. (j) Pag. 337 & 344. tout l'Article des Momoyes de l'JJîe, dont (*) Pag. 353. nous avons été obligés de changer l'ordre, (i) Quant aux Figures de l'Edition de pour faire correfpondre les Defcriptions aux Paris, il y en avoit neuf ou dix qui man- Figures, qui font de plus numérotées, piè- quoient des renvois néceflaires pour leur in- ce par pièce, & expliquées dans plufieurs telligence. Voyez pag. 50. 56. 163. 333, & Notes. * ■M 4 1^ HISTOIRE a\DE. ces Remarqua des Einjurciirs mijhie aux In- ique ne doit pns Prevojt vante, ians le Texte y '. confidérables y e celles qui ont cotnparaifon des non 'feulement r fautes jufqiics ? Karieal , fur \ull ejl au Sud i Etal/liJJhnent peut cire mife lie de lienga- ? riudouflan, ite particulier. ■îqué M. Pre- ' e fon Ouvrage 'S nous perfuu' dans lequel cet s maures de le ur les reculer t rai y notre ob- •de une même occidentale ^ idionale ^ la ent fous Fref- , intérejè dou- t prife comme 'ite l'attention fité , pour la U l'JJÎe, dont angei l'ordre, efcriptions aux nerotées, piè- dans plusieurs M.' 4 ;^* V ^' ^ ^^^^p o^ 'SkIL é ^ >A » é^ L i .âAli ir -^ ^^H|^H|B7 "jMm F ï\l. Uà Aà^ m itJi PB; y^'à ■?)' k ^ * '1 2.1 ^ r%^e M, .•».♦£/;*- oa '■>* b " K^?^^ ^ V > -''-V-r ^ H I S T O I R E' GÉNÉRALE DES VOYAGES, Depuis le commencement du xvpe Siècle, ^ TREIZIÈME PARTIE. LIVRE TROISIÈME. - Voyages dans la Presq.u'isle en deçaduGangs. [STOIRE Voyage de DeUon^ aux Etablijfemens François de la Cote de • Malabar, . ENTRONS, autant qu'il eft poflîble, dans le feul ordre qui introduc convienne au plan de cet Ouvrage. Il confifte, comme^?è xxoJ. '* ai fait remarquer plufieurs fois °à lier du moiis leiRel^! tions qui fuccedent, avec celles qui les ont précédées oar quelque explication, qui faffe remonter le Leileur à la four- n« 1- ' ^^- . ? npuv^''"^ cvénemens qu'on lui préfente. On Imvite ICI à fe rappeller l'Etabliiïement /es François à Sur. ^rîe. r cïon " VT^'"7 ^f ^.^'^"^ ^^J^ repréfSTns fon'oril gme. M. Caron, Dire^eur de la Compagnie Franjoife, forma dis I N T 3 0 n t' c* 3 VOYAGESDANSLA le même tems divers Comptoirs, que de la Haye, l'Eflra & Carré, n'ont pu faire connoître que par leurs noms. Dellun, parti de France en i66S, fur un Vaifleau de la Compagnie, fans autre motif que la palîion de s'in- flruire en voyageant, nous donne les feuls cclairciiîemens que j'aye pu dé- couvrir fur des entreprifes qui méritent de ne pas demeurer uans loubli. Son Ouvrage n'a paru qu'en 171 1 (b) (c). 11 renferme aulTi fes obferva- tions fur Madagafcar, & fur d'autres lieux de fon paflage; mais comme elles n'ajoutent rien à celles qu'on a déjà recueillies fur les mêmes lieux, /It riîia là ncjiricrnrinn n p>Mf ri^n ri» T\liie romar/ninKlo ^'^«l .,fr„~ J_ I..Î *» ^'■•" — —— "1 -^— -— — f-j — — w— •«-» , .^.x^iv. »*^ ^c*j 1.11 avEV, ICI Force & la Marie, deux Vaifleaux François, qui dévoient faire voile au Malabar. Il fortit de ce Port fur la Marie, le 6 de Janvier 1670, avec un vent favorable, qui l'accompagna jufqu'à la Rade de Rajapour. Le Vaifleau la Force, qui s'arrêta pour y prendre quelques marchandifes, avoit ordçe de rejoindre l'autre à Balliepatan (d). L'Auteur n'eut point alors foccafion de connoître cette Ville; mais le féjour qu'il y fit dans la fuite, lui donna le tems d'y faire quelques obfervations. ..„,o^ — . Rajapour eft fitué fur la Côte de Malabar (e), à quatre-vingt lieues & fa defcrip- de Surate, & vingt au Nord de Goa. Il appartenoit au Prince Sevagi, ce ^'°"' fameux Rebelle, qui avoi;: donné long-tems de l'occupation au Grand-Mo- gol & au Roi de Vifapc'ir fon Maître (/). La Rivière qui l'airofe ne re- çoit 1670. Vuyigu à Miizeou. Rajapour n'appartient point à ce Recueil. Remarquez feulement qu'il s'cft tromptS lorrqn'il fait af- faffincr la Boulaie , dans l'yvrefle, par des Soldats Petfans- H ignoroit que ce Voya- geur reparut enfuite à Rome & à Paris , com- me Qtl l'a vu ci-delFus dans la Relaiion du Père'de RhoJe?. CtHe trreur, qui ne peut être txcuféc dans un Ouvrage publié feize ans apiès, joint à l'emportement avec lequel il traite les Députés, doit le faire lire avec défiance. Tavernitr Tom. 111. pag. 95. de fa Relation. Nota. C'efl M. Prevoft qui fe trompe: La Rjlation du Père de Rhodes , où l'on ap- firend que ce iVlillionnaire revit la Houlaie e Goulx à Roirr & à Paris, fut imprimée en 1653. Or le fait, dont il eft ici quelUon, fe rapporte feultment à l'année 1667. La Boulaie le Goulx , qui a publié, dans cet in- tervalle, une Relation de fes premiers Voya- ges, étoit retourné aux Indes (i), d'où il ne revint jamais. On ne fçait pas quel fut fqn fort , & Tavernier n'en parle que par conjeAure ; Mais dans tout ce qu'il dit de la mauvaife conduite des Députés de France, il en appelle au témoignage des Capucins, & en particulier à celut de Thevenot, Gar- ( I ) Voyci 1( Tom. XI.» p»g. ity de )io.i de de la Bibliothèque Royale; de-forte que, malgré le fentimtnt de M. Prevoft, qui ne prononce fi févèiemcnt que fur une fauffe luppofitiori , ced peut-être l'endroit des JVlé- moires de ce Voyageur qui mérite le plus de confiance. R. d, E. ( 6 ) A Cologne, chez Pierre Marteau; dé- dié à M. le liaron de Hreteuil , introducteur des Ambaifadeurs. II coniicnt aulli une Re- lation de l'inquifiiion de Goa, qui avoa dé- jà vu le jour. Dellon lit, après Ion retour, le Voyage de Hongrie avec Leurs AitilFes Séreniffimes MiVI. les Princes dt Conti, en qualité de leur Médecin, il n'écrit pas mal, & fon caraftère paroît judicieux. (c) Il y en a une Eiiition faite en 1685, à Paris, chez Claude liarbin. L'Ouvrage eft dédié à l'Evêque de Meaux. On n'y trouve point la Relation de l'Inquifition de Goa, dont il eft fait mention dans la Note précé- dente; mais bien un Traité des Maladies par- ticulières aux Pays Orientaux , ^ dans la rou- te; ^ de leurs Remèdes. R. d. E. {d) Bilipatan,ou plutôt Balipatnatn. R. d. E. ( e ) A dix-fept degrés de latitude. ') Voye^ les Relations de Carré &, de tra, au Tom. XI, veÛ un de & coi la bli eut Carré, n'ont ce en i66B, lîion de s'in- j aye pu dé- uans loubli. Tes obferva- mais comme lèmes lieux, afTez de lui connoiflance irtir avec la lire voile au vec un vent ; Vaifleau la oit ordr:e de rs l'occafion e , lui donna :-vingt lieues e Sevngi, ce I Grand-Mo- UTofe ne re- çoit ' ; de-forte que , 'revoft, qui ne fur une faufle idroit des Mé- érite le plus de e Marteau ; dé- l, liitiudufteur it aulli urif Rf- qui avoa dé- es Ion rainir, ^eur<: AltilFes dt Conti, en écrit pas mal, IX. faite en 1685, L'Ouvrage eiï On n'y trouve tien de Goa, a Note pr àt( ,ver| jviaJ fnapj loiel ttaché depuî» ivoyêrent ua vée. Il vint du Vaifleau. i fouper pour iquins & des ns cette mar- erneur. On ouvert de ri- )della n'avoit iterpréte des les à fes po« joueurs d'in- qui font leur les hommes Ju hautbois; avec égalité. nt protégées Chacun peut nvient. Ja- les infulter. peu lafcives. On voit, fur plupart font s deux agré- ée que cha- e point dans ir parut fati- vin & du pleins d'ap- ejour, qu'à nue, on les prêt: mais danfeufes , efois , pour omme d'in- lûpart com- ; mourir de faim» u'on fuppofe^ lUX Mahomd*^ PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. s faim. Cependant, le bal ayant cefle, ils furent conduits dans un fallon ouvert de toutes parts, où fûivant l'ufage des Orientaux, le couvert ctoit à terre. On les fit afleoir fur des carreaux, les jambes croifées. Le Gou- verneur s'aflît avec eux , & l'on fervit une grande quantité de différentes viandes, que l'appétit leur fit trouver excellentes. On avoit mis , fur la nappe, plufieurs vafes de porcelaine, pleins de limonade, où ceux qui vou- loient boire avoient la liberté de. puifer avec des cuillières de bois, qui te- noient environ la mefure d'un petit verre. On donnoit aufli du vin à ceux qui en demandoient : mais on n'en expofa point fur la table ; & le Gouver- neur, comme les autres Mahométans , aifeélèrent de n'en pas boire, par refpeft pour leur loi ( o ). Lorfqu'on eut deifervi les viandes , on apporta toutes fortes de fruits & de confitures , avec une profufion extraordinaire. Après le feftin , les danfes recommencèrent , & furent pouffees fort avant "ans la nuit. Enfuite le Gouverneur fit reconduire les Convives par fes ardes , au fon des mêmes inftrumens qui les avoient amenés. Le lende- ain , ils l'envoyèrent prier de venir dîner dans leur VailTeau. Il y vint îtvec une fuite nombreufe. On le reçut au bruit du canon, & fes politef- fes lui furent rendues avec ufure. Cependant il trouva l'art d'enchérir fur celles des François, par quantité de préfens qu'il fit diltribuer à tous ceux qui avoient foupé chez lui: mais lorfquil parut prêt à fe retirer, le Capi- taine du VaifTeau lui en fit aulfi de fort riches , au nom de la Compagnie , fans oublier aucun Oificier de fa fuite (p). D E L L o N fait obferver que le Royaume de Vifapour n'efl pas d'une gran- de étendue : ce qui n'empêche pas que le Pays étant très - riche , le Roi , quoique tributaire du Grand-Mogol, ne foit un des plus puiiTans Princes de Finde. Il fait profeflion du Mahométifme ; mais une partie de fes Sujets eft encore attacnée à l'Idolâtrie (q}. Les François partirent de Mirzeou le 19 de Janvier; & le matin du 22, ils mouillèrent devancla Rivière de Balliepatan , où le VaifTeau la Force é- toit arrivé depuis trois jours. Le poivre qu'ils dévoient prendre pour la France étant préparé depuis long-tems, leur charge fut bien -tôt ache- tée. Balliepatan efl un gros Bourg du Royaume de Cananor, fitué fur la Côte de Malabar (r), & peuplé de riches Mahométans qui doivent leur fortune au Commerce. Il borde la Rivière , à une bonne lieue de l'em- bouchure. On découvre, à peu de diftance, le Palais où le Roi de Ca- nanor fait fa réfîdence ordinaire , & plufieurs belles Pagodes dont il efl en- vironné. La Maifbn que le Prince Om'ïri, Gouverneur du Royaume, avoit d'a- Î>ord affignée aux François pour leur Commerc-, ne l'uffifoic pas pour les oger commodément. D'ailleurs fon éloign.ment de la Mer rendoit le tranfport des marchandifes fort difficile. Auiii-tôt que les deux VaifTeaux François eurent mis à la voile , Dellon demanda inllamment un lieu plus commode; & fes follicitations lui firent obtenir cette faveur. Le Prince fe Dellow. 1670. Fcflin des François. Etat du Royaume de Vifapour. Voyage à Balliepatnn, & la defcrij»' tioD. EtablHTe- mtnt FraiT- çoi.s à Tilce* ry, prè'; de CiinaDoi. (0) Ceci n'eft qu'un correftifde fa foppo- fition précédente, & l'Auteur n'en parle pas. Rt d. £• A (p) Pae 17Ï. (9j Ibidem. ir) A onze dt-giés de latitude du Nordl il Dellon. 1670. . Obrerva- tionii fur le e VOYAGESDANSLA fe rendit lui-même , avec quelques François , dans une Terre de Ton appa- nage, qui fe nomme 'l'aluhae, lituéc fur le bord de la Mer, à quatre lieues au Midi de Balliepatan, & trois lieues de Cananor. Ce lieu leur paroiflant plus convenable, ils rachetèrent pour la Compagnie; & dans leurs mains, il prit le nom de Tikery (j). Cananor, principale Place du Royaume qui en tire Ton nom, eft ac- compagnée d'un Port allez commode pendanc l'été, mais où les VailFeaux ne font pas en fureté pendant l'iijver. C'eft un des premiers lijux où les Portugais s'arrêtèrent, après avoir découvert les Indes. A pi;ine furent- ils arrivés, qu'ils y élevèrent une Tour, avec des pierres qu'ils avoient ap- portées de Portugal. Elle fublille encore. Ils prirent foin de l'environner d'ime forte muraille, fur laquelle ils placèrent plus de cent pièces de canon ; & cette Forterefle les rendit redoutables à tous les Pays voifms, où l'artil- lerie n'étoit pas encore en ufage. Ils bâtirent cnfuite, près de leur 'i'our, une allez grande Ville, qu'ils confervérent long-tems: mais les Indiens, fa- tigués de leur tyrannie, appellèrent enfin les Hollandois à leur fecours; & ces nouveaux Maîtres râlèrent les fortifications de Cananor, pour san é- pargner la garde. Cependant les Habitans du Pays ont tiré peu d'avanta- ge de ce changement. Ils font plus durement traités par les Hollandois qu'ils ne l'avoient jamais été par les Portugais ; & fi l'on en croit l'Auteur j ils rappelleroient volontiers leurs anciens Tyrans (^). A demie lieue du Fort de Cananor, en tirant vers le Midi, on trouve un gros Bourg, peuplé de Mahométans, & gouverné, fous l'autorité du Roi, par un Seigneur de la même fe6le. Il fe nommoit Aly-Raja. Ses vertus le faifoient aimer des fiens & refpeéler de fes voifms. Il étoit riche, & Souverain même de quelques-unes des Hles Maldives. Ce Bourg avoic plufieurs Marchands , chez lefquels on trouvoit abondamment ce que les In- des produifent de plus riche & de curieux. Dans tout le Royaume de Cananor, comme dans tous les autres Etats du Malabar, on ne voit pas de grands chemins qui conduifent d'une 'Ville à l'autre: cène font que des fentiérs, ou des chemins fort étroits, parce- qu'on n'y connoît pas d'autres voitures que des chevayx, des éléphans, & des palanquins. Le Pays produit une extrême abondance de cette efpèce de cannes, que les Indiens nomment Bambous. Lorfqu'elles font encore ten- dres, on choifit les meilleures, pour les couper par tranches, de 1 épaiffeur d'un écu, qui fe confifent au vinaigre, & dont on fait une forte de falade que les Orientaux nomment /jchar, par excellence. Ils donnent le même nom à tous les fruits ou les légumes qui font confits au vinaigre : mais on y joint leur nom propre, comme Achar de poivre, Achar de gingembre, d'ail, de choux, &c; au-lieu c|we le bambou eft diftingué abfolument par celui d' Achar. Ces cannes , lorfqu'cn les laiffe croître , deviennent aulFi groffes que la cuifle humaine, & longues de vingt à trente pieds. Elles fervent à divers ufages , mais particulièrement à porter les palanquins. Dans leur jeunelFe, on leur fait prendre toutes fortes de plis & de figures. Celles qu'on réiiirit à courber en forme d'arc , de manière que les deux bouts dé- co Pag* 300. («) Pag. 301. C'eft ce qu'on ne croira jamais. R. d. E. redefon appa- , à quatre lieues 1 leur paroi liant ns leurs mains , •n nom , eft ac- ù les VailFeaux îrs lijux où les \ peine furent- l'ils avoienc ap- de l'environner iéces de canon ; Hns, où l'arcil- s de leur Tour, les Indiens , fa- iur fecours ; & , pour s't:n é- peu d'avanta- les Hollandois croie l'Auceurj idi, on trouve is l'autorité du ily • Raja. Ses il étoit riche, 'e Bourg avoic t ce que les In- ès autres Etats it d'une Ville troits, parce- éléphans, & cette efpéce nt encore ten- de 1 épaifTeur )rte de falade lent le même gre: mais on gingembre , ifolument par viennent aulîi pieds. Elles s palanquins. ^ de figures. îs deux bouts de- R. d. E. i ). iSiJUey Jtf'cjL ÛGTa i PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. f demeurent parfaicemcnt égaux , Ibnt recherchées pour les palanquins des Seigneurs, & le vendent juiqu'à deux cens ecus (v). A la diflancc d'une licue, au Midi de Cananor, on rencontre un Village qui fe nomme Cvb , Ôl qui n'cfl; habité que par des Tillerands. Il s'y la- bri ,ue de très-belles toiLs, qui portent le nom du lieu. Une lieue plus loin, on arrive au Bourg de Tremepatan (x), où le Mahométifme ell la feule Religion reconnue. La plupart des Habitans s'y enrichilîent par le Commerce. Aflez prés de ce Bourg, on cécouvre, fur une colline, un Château du Roi de Cananor, où ce Prince s'ell fait une habitude de pafler une partie de l'année. Une aflez belle Rivière, qui arrofe les murs de Tremcpatan, va fe jetter dans la Mer un quart de lieue plus loin. On y fait entrer des Barjues, ou de petits Navires dont le port ne foit pas au- deflus de deux cens tonneaux,* avec la précaution néanmoins de prendre des Pilotes du Pays, parcequà l'embouchure, & même aflez loin dans la Mer , il fe trouve des rochers à fleur d'eau, qui en rendent l'approche & l'encrée fort dangereufes. ■-. A l'extrémité de ces rochers, s'élève une petite Ifle, qui n'eft peuplée que de gibier. Elle efl: d'un fecoui-s extrême pour les petits Bâtimens , qui étant furpris en Mer par l'orage, viennent cliercher un abri entre flfle & U Terre. L'unique difgrace qu'ils ayent à redouter, efl: la rencontre des Corfaires, qui s'en font unerecraite, & qui montent fur les lieux les plus :^l élevés, pour découvrir les Barques fans en être apperçus (y), I L E Prince Onitri s'étant rendu par terre à Tilcery , avec deux Commis •-de la Compagnie de France, qu'il alloit mettre en poiTeflîon de cette Terre & de fes dépendances , Dellon partit le lendemain pour le fuivre par Mer , après avoir fait embarquer, dans plufieurs Barques, les meubles & les mar- chandifes que les François avoient à Balliepatan. Il avoit pris quelques Indiens pour lui fervir d'efcorte. Cependant un Pare Corfaire, qu'il eut le bonheur de reconnoître , vers l'Ifle de Tremepatan , ne lui laifla pas d'au- tre reflTource que de faire entrer toutes fes Barques dans un aflez grand ruif- feau, qui tombe dans la Mer à peu de difliance de la Rivière, & d'y laifler la meilleure partie de fon efcorte , tandis qu'il continua fon chemin par ^terre. 11 trouva heureufement à Tilcery, uaVaifleau François, nommé '^h. Fille de Marfeille , qui arrivoit de Surate, pour charger du poivre. On Harma promptement une Chaloupe. Vingt hommes qu'on y mit, avec (quatre pierriers , firent prendre la fuite aux Corfaires & dégagèrent les Barques (2). ^*>, La Terre de Tilcery (a) confidoit en deux grands enclos; l'un pro- che de la Mer, un peu élevé, & ceint d'une forte de folfé. Il contenolt environ quatre cens cocotiers, avec une maifon aflfez commode, quoique bâtie de bois & de terre. L'autre enclos étoit plus bas , plus grand & plus éloigné de la Mer. Outre les cocotiers, qui étoient en fort grand nom- D s L L O N, 1670. Divcrfcs Placi"; . voifl* tus de Cuna- nor. («) Pag. 303 & précédentes, (x) Dans le Pays, ce Bourg porte le nom de Talmorte. R. d. E, (y) Pag. 305. Ifle de Tre- mepatan. Les Fran- ç Ms de Bal» iH'patan fe tranrporcent à Tilcery. Defcrîption de ce Lieu. (2) Ibidem. (a) A onze degrés & demi de latitude du Nord. DeLLOIT; 1670. Ouvrage des François, & jaloufie de leurs voifins. Alliance qu'ils font avec le Sa- inorin. Voyage de Sirinpatan , ça Padenoce. t VOYAGESDANSLA nombre , on y voyoit plufieurs arbres fruiciers de différentes efpèces. A de« mi quart de lieue de la maifon , un Bourg de Mahométans préfentoit une Mofquée aflez mal conllruite. Du côté de la Mer, on trouvait deux gros Villages de Pécheurs ; & ces trois Habitations étoient de la dépendance du nouveau Comptoir. Aux environs, le Pays ofFroit plufieurs autres belles Terres, qui appartenoient à de riches Seigneurs. Le Prince, en vendant Tilcery aux François, leur enavjic cédé la propriété, avec le droit d'y bâtir ; mais s'étant réfervé le Domaine Seigneurial, il pafla quelque -tems dans une autre Terre, qui n'en étoit pas éloignée. Après fon départ, ils firent travailler avec tant de diligence, que dans l'efpace de peu de mois, ils fe trouvèrent établis dans une fort grande maifon, avec des magafins capables de contenir toutes leurs marchandifes. Ils l'environnèrent d'un profond fofle & de quelques baflions, pour fe mettre à couvert, non-feule- ment des Pirates , qui ne ceflbient pas de les menacer , mais de leurs voi- lins mêmes, que la jaloufie avoit déjà foûlevés contr'eux. Malgré ces pré- cautions, ils turent obligés d'avoir recours à la prote6tion du Prince Onitri, qui leur envoya un de les principaux Officiers, avec une garde de cent cinquante hommes. Ce fut alors qu'ils s'applaudirent beaucoup de lui avoir laifle, dans la vente, un droit, qui l'obligcoit naturellement à les défen- dre. Ce Prince , confondant leurs intérêts avec les fiens , revint lui-même au Comptoir. Il fe déclara hautement leur Protefteur. Il fit châtier févè- rement quelques mutins qui avoient fait éclater leurs menaces , & fa ferme- té difîipa tous les troubles (b). D'un autre côté le Samorin , mécontent des Hollandois, & fe promet- tant de la France des fecours qu'il n'efpéroit plus du Portugal , envoya fe- crétement des Députés à Tilcery, pour faire des propofitions fort avanta- geufes aux François. Flacour éc Coche ^ principaux Commis du Comptoir, partirent enfemble pour Calecut & firent un traité, avec ce Prince, par lequel il cédoit à la Compagnie la Souveraineté d'un lieu nommé AlicO' te ( t ) , avec toutes fes dépendances & le pouvoir d'y conft;ruire un Fort. Quelques Bâtimens François qui vinrent prendre , dans le méme-tems , du poivre à Tilcery, & qui laiffèrent au Comptoir des armes & des munitions, achevèrent d'y établir la furpté. Car ON, Direfteur Général, y pafla bien-tôt avec trois VaifTeaux, dans fa route pour Bantam, où il fe propofoit de former un nouvel Etabli flTement. Il laifla ordre à Flacour, qui étoit revenu de la Cour du Samorin, d'en al- ler commencer un autre dans un lieu que les Portugais ont nommé Sirinpa- tan , quoique dans le Pays il porte le nom de Padenote. On fe difpofa auflî- tôt pour ce Voyage. L'hyver étoit commencé; car on appelle hyver, aux Indes, la faifondes pluyes, qui efl le tems néanmoins où le Soleil eft le moins (6) Pag. 312 & précédentes. (c) Cette Place n'eft pas éloignée deCo- chin. C'cft une Forterefle , & le Pays qui en dépend eft fort étendu. Il y pafle une Rivière, où des VailTeaux de trois pu qua- tre cens tonneaux peuvent entrer facilement, ce qui rend ce lieu fort propre au Commerce. Pag. 315. On a vu dans le Journal de I« Haye , qu'en pafTant fur la Côte du Samo- rin, avec une Efcadre Françoife, il fit un nouveau traité avec ce Prince , par lequel cette donation fut confirmée. Les Fran- çois prirent alors pofleffiond'AUcote. Voye» Toni. XI. m( en {^ m: qui nu leq II ■Mui\ efpéces. A de* préfentoit une voie deux gros dépendance du 'S autres belles :e, en vendant ec le droit d'y quelque -tems on départ, ils peu de mois , c des magafins ronnérent d'un ;rt, non-feule- s de leurs voi- ilalgré ces pré- Prince Onitri, garde de cent up de lui avoir it à les défen- vint lui-même t châtier févè* , <& fa ferme- & fe promet- 1, envoya fe- s fort avanta- du Comptoir,- ; Prince , par nommé /^lico- •uire un Fort. ;me-tems, du es munitions , lifTeaux , dans îiabliiTement. jrin, d'en al- mmé Sirinpa- difpofa auffi- ehyver, aux Soleil efl: le moins e Journal de II Côte du Samo- çoife, il fît un ice , par lequel e. Les Fran- !ilicoce. Voyez PRESQiriSLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. HT. g moins éloigné. Flacour fcntit toutes lei difficultés de l'entreprife. Mnis craignant l'indignation du Dire6leur Général , qui s'étoit fait redouter par fa le vérité, il n'eut aucun égard aux dangers de l'inondation. Tout-s les marchandifcs furent emballées. En vain Dellon reprcfcnta vivement de quelle importance il étoit d'attendre la fin des pluyes , qui devoit arriver rtu mois cî'Oftobre. Il ne put faire changer de refolution à Flacour , avec lequel néanmoins il ne pouvoit fe difpenltr de partir. A la vérité, Sirin- patan n'étoit éloigné que de trente lieues {d). , Ils fe mirent en chemin, le i6 de Juin 1671, fans autres habits que des chemifes , des caleçons de toile , & des fandales aux pieds. Chacun portoit aulfi fon parapluye de feuilles de palmier, & un bâton, pour s'ap- puyer, dans des chemins (i gliflans qu'ils étoient fans cefle en danger de tom- ber. Dès le premier j'our, ils trouvèrent toute la Campagne inondée. JIs fui voient leurs guides pas à pas, dans l'eau jufqu'à la ceinture. Après avoir fait deux lieues fort pénibles , ils arrivèrent le foir , également las & mouil- lés, dans un petit Bourg, où ils firent un mauvais repas , qui ne fut pas fui- vi d'une meilleure nuit. Ils en partirent de grand matin, dans l'elpérance de profiter d'un intervalle de beau tems : mais il dura peu. La pluye recom- mença prefqu'auflî - tôt , & les chemins fe trouvèrent plus gâtés que lej'our précédent. Ils étoient obligés de tenir continuellement leurs paraplayes , & ne pouvant s'appuyer fur leurs bâtons, ils tomboient fouvent dans l'eau. Ces chutes les fatiguoient beaucoup. Cependant elles étoient encore moins incommodes que les fangfues, qui s'attachoient à lenrs jambes & à leurs cuifles ; il falloit les en arracher à tous momens , & leur fang couloit çn abondance. Cette nouvelle peine les affoiblit jufqu'à les contraindre àe finir leur journée à midi, fans avoir fait plus de deux lieues. Ils fe logèrent dans la maifon d'un Mahométan, d'où ils fe rendirent après mi- di chez un puiflant Naher (atanl? Dellon avciic qu'il uit effayé de la peinture qu'on leur fît des chemins. Il renouvelhi fes efforts , pour engager Flacour à re- mettre leur Voyage à la fin de la faifbn. Le trouvant inflexible , & n'ayant pas les mêmes ralfons de s'obftiner dans une entreprife à laquel- le il n'étoit obligé par aucun engagement , il prit le parti de retourner à Tilcery (/). Apres avoir témoigne Ton regret à Flacour, il fe mit dans un Canot, avec deux hommes feulement , pour dcfccndre la Rivière de Cogniali juf- qu'à la Mer. Sa navigation fut d'abord allez tranquille. Son delTein étoic d'aller palTer la nuit au Bourg de Barsara^ chez un riche Mahométan qui en étoit le Seigneur (g), avec lequel il avoit même quelques affaires à régler. Il arriva fort heureufement à la vue de Cuta , un des plus gros Bourgs de toute la Côte, plus connu par le nom de Cogniali , fon Seigneur, fujet du Samorin & le plus redoutable Corfaire du Malabar (h): Les loix du Pays ne permettant point à ces Brigands d'exercer leurs pillages fur la terre, il fe nattoit d'être bien-tôt en fureté à Bargara, qui n efl: pas fort éloigné de Cogniali; lorfqu'il apperçut , dans une Barque , quelques hommes armés qui s'avançoient vers fon Canot à force de rames. Les Corfaires , qui l'avoient découvert au paifagc , avoient pris la réfolution de l'enlever. Comme il étoit initruit des ufages, il fe hâta d'aborder à la rive, dans la confiance de s'y trouver hors d'infulte. A peine y fut-il defcendu , que les deux In- diens , qui le (ionduifoient , prirent la niite dans fon Canot. Ceux qui le pourfui voient , f ayant trouvé feul à terre, lui appuyèrent une lance fur l'eflomac, avec menace de l'en percer s'il n'entroit aufli-tôt dans leur Bar- que. Il reconnut trop tard l'imprudence qu'il avoit eue , de ne pas fe fai- re accompagner par quelques Nahers, ou de n'avoir pas pris du moins des armes à feu. La force l'obligeant de céder, il fe vit expofé à la violence de deux Brigands, qui ne ceffèrent pas de l'infulter jufqu'à l'entrée de Co- gniali. Ils alfeftèrent même de lui faire traverfer tout le Bourg, où les Habitans fortoientde leurs maifonspour voir pafler le premier François qu'ils y enflent vu dans l'efclavage (»)• Dellon fut conduit chez le Seigneur, qui s'attendoit à tirer de lui une fomme confidérable. Mais ne lui ayant trouvé que quelques ducats , il lui fit diverfes queftions fiT le Voyage que les François avoient entrepris à Sirinpatan. 11 lui demanda particulièrement fi Flacour avoit emporté de grofles fommes, & s'il devoit paflTer par Cogniali à fon retour. Enfuite il fe fit apporter des fers, pour les lui mettre aux pieds. Cependant il fe contenta de les pofer près de lui ; en attendant qu'il eût décidé de fa delli- née. Enfin , quelques réflexions qu'il fit , fur l'alliance que le Samorin ve- noit de former avec la France , lUi firent craindre de s'attirer l'indigna- tion de ce Prince. Le Corfaire s'approcha de lui. Les fers difparurent. On lui fit des civilités & des excufes, auxquelles il s'étoit moins attendu qu'aux (/) Ibidem. (g) Il fe nommoit Couteas-Marcal. (i) On l'a vû paroUre dans pluiîeurs autres Relations. (i) Tag. 330 & précédentes qu lUl en de cor II iitej les peines lloit à foullVir turc qu'on leur Flacour à re- inBexible , & ^prife à laqiiel- i de retourner ans un Canoc, c Cognialijuf- )n delTein étoic ométan qui en Paires à régler, ros Bourgs de neur, fujet du J ioix du Pays ur la terre, il "ort éloigné de imes armés qui , qui l'avoicnt r. Comme il s la confiance 2 les deux In- Ceux qui le uiie lance fur dans leur Bar- ne pas fe fai- du moins des à la violence entrée de Co- 5ourg, où les î'rançois qu'ils tirer de lui qucs ducats, lent entrepris emporté de l>ur. Enfuite pendant il fe de fa delli- Samorin ve- er l'indigna- difparurent. oins attendu qu'aux l'a vu paroltre D E L T. O W. I 671. Il crnint ar- ne ac- I m PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III qu'aux horreurs d'une longue prifon. On le prcfTa môme de paiTer la nuit dans le Bourg. Mais l'impatience de fe voir en liberté, joint à la crainte de quelque changement dans une 11 favorable difpofition , lui fit demander inftamment d'être renvoyé le même foir à Bargara. Pendant qu'on lui préparoit une Barque, Cogniali lui prefenta cjuelques confitures f.Jj|t' *"''"'"''■ féches, qu'il ne put fe difpenfer de recevoir, mais qu'il prit le parti de *" mettre dans fa poche, de peur qu'elles ne fultent empoifonnées. L'ufage du poifon , quoique moins commun chez les Malabares que dans les autres • Contrées de l'Orient, ne laifle pas d'y être connu; & Dellon croit que fur cet article on n'y fauroit apporter trop de circonfpeftion (k). Son cent lui fut rendu. Enfuite, apprenant que la Chaloupe étoit prête, il perdit pas un moment pour s'y rendre, avec quatre hommes armés qui 1' compagnérent jufqu'à Bargara. Il retrouva, dans ce Bourg, fon Canot & f^s hardes. Les deux In- diens, quil'avoient abandorme aux Corfaires, lui donnèrent pour excufe, que n'ayant pas douté qu'il ne fût renvoyé de Cogniali avec une efcorte, Bs avoient voulu prendre les devants. Mais fa joye lui fit oublier leur infidélité, en apprenant qu'il étoit arrivé depuis deux heures un autre François dans le Bourg. C'étoit de la Serine y un des Commis du Comptoir de Tilcery, qui revenoit de Calecut & de Tanor, où il étoit allé acheter du poivre pour les magafins de la Compagnie. Ils paflercnt agréablement .la nuit enfemble , & le lendemain ils arrivèrent au Comptoir avant midi. L A Serine devant retourner dans les deux Villes ( /) , d'où il étoit re- venu , pour y faire emballer le poivre qu'il y avoit acheté , Dellon fe fit • un amufement de l'accompagner. Ils prirent leur route fur le bord de la Mer. Après avoir fait une lieue , ils arrivèrent à Meali , double Village , dont l'un efl: habité par des Malabares & l'autre par des Mahométans. Une petite Rivière , qui pafle par ces deux Habitations , reçoit les Bâti- mens médiocres. Ce Canton efl un des plus agréables & des plus fertiles du Pays. C'eft à deux lieues de Meali qu'efl: fitué le Bourg de Bargara. Il n'y palfe point d'autre Rivière qu'un petit bras de celle de Cogniali : mais ia Mer y forme une très-belle Anfe , qui fert de retraite aux Pares, pen- dant l'été. AuHi-tôtque l'hyver efl venu, les Marchands & les Pirates font obligés d'y laifTer à fec les Bàtimens qui ne font point en Voyage. On les couvre de feuilles de palmier, jufqu'à la fin des pluyes. C'efl à Bargara X]uc le Royaume de Cananor finit du côté du Sud. Quoique ce grand Bourg ne foit habité que par des Mahométans, dont Couteas-Marcal étoit îjji^e Seigneur, les environs n'en dépendent pas moins d'un riche & puifTant ■' IN aller (wi), qui reçoit la dîme de toutes les prifes des Pirates, & des droits de Douane pour toutes les marchandifes qui entrent dans le Bourg, «)u qui en fortent. A très-peu de diflance de Bargara, on pafTa la Rivière , au-delà de la- quelle Tanor &(J' Calecut. (^•) PJfî-333. ( / ) L'Auteur rapporte enfuite quel fut le fiicccs du Voyage de Flacour & de fon nou- vr;l Etabli ileinL'nc. Voyez ci-deflbus. (m) Il paroit que Coutsas • Marca! étoit ce Naher même : du «loins l'Auteur .ne fait point cette différence. R. d. Ji. B s Î2 VOYAGES D A ^T .q la P B T T. 0 N. 1071. Forces Je Ci):;iii;ili, Sii^iifur de IT'rtoire de foti (;rand Etat pré- fentdeCale- eut. quelle on trouve le Bourg de Cugniali, ou de Cota, que les avantages de ia fituation rendent une des plus tortcs Places du Malabar. C'cll une rcninfule, dont l'accès ell fort difficile, du côté même qui lient à la terre, à caule de la prodigicufc quantité de limon ou de vafe, que la Mer y apporte dans les grandes marées. La Rivière, qui baigne ce Bourg, ell large (k profonde. Elle donne entrée, julqu'à la Place, aux Navires qui ne font pas au-delTus de trois cens tonneaux. Mais on a fait obferver que l'embouchure eft couverte par une petite Ule qui n'efl: pas moins utile aux Corfaires que nuifible aux Marchands («). Dellon a déjà peint le Seigneur de Cota comme le plus fameux Cor* faire du Pays. Le nombre de les Galères monte jufqua douze, armées chacune de cinq à fix cens hommes; fans compter plulieurs petites Galio- tes qui vont aulli en courfe , & quelques Vailieaux qu'il envoyé pour le Commerce dans les Royaumes voilins. A fon exemple, fes Sujets font tout à la fois Marchands & Pirates: ce qui les rend prefque tous riches, & fiera jufqu'à l'infolence. Son grand oncle, s'étant révolté contre le Samorin, inic ce Prince dans la nécelfité d'implorer le fecours des Portugais pour le faire rentrer dans la foumiflicn. Le Viceroi des Indes envoya aufli-tôt une puiflante Flotte, qui attaquât les Corfaires du côté de la Mer, tandis que l'Armée du Samorin les tenoit alliégés par Terre. Mais il arriva des con- tre-tems, qui firent périr la meilleure partie des Troupes alliées. Les Corfaires , devenus plus infolens , commirent une infinité d'excès dans les terres de Calecut, oc fe vangèrent, par une mort cruelle, de tous les Por- tugais qui étoient tombés entre leurs mains. Cependant la belle failbn ayant fuccédé aux pluyes , le Samorin & le Viceroi les attaquèrent avec de nouvelles forces. Le Siège de Cota fut recommencé par Mer & par 'l'erre, & prefle fi vivement, que dans l'efouce d'un mois elle fut empor- tée d'afTaut. Tous les Habitans furent pâlies au fil de l'épée (0), & leur Chef tomba vivant au pouvoir des Vainqueurs. Il fut conduit à Goa , où Ion châtiment , pour tant de cruautés qu'il avoit exercées contre les Chré- tiens, fut d'être livré, les mains liées derrière le dos, aux enfans de la Vil- le , qui l'aflommèrent à coups de pierres. La Forterefle de Cota paflbit autrefois , parmi les Indiens , pour une Place imprenable. Mais les Samo- rins n'ayant jamais voulu permettre qu'elle fût rétablie, il n'en refte au- jourd'hui que les ruines (p). D £ - L À jufqu'à Calecut , on compte fept lieues ; & cet efpace n'offre que trois ou quatre Villages, qui méritent peu d'attention. Ce Royaume, au- trefois fi petit, que, fuivant l'exprelTion de l'Auteur, on entendoit de tou- tes les frontières , le chant des coqs qui étoient nourris dans le Palais du Souverain , eft aujourd'hui le plus grand du Malabar. Sa Capitale eft fi- tuée à onze lieues de Tilcery. C'écoit dans cette Ville que fe faifoit an- ciennement prefque tout le Commerce. Les Portugais y furent bien reçus dans leurs premiers Voyages. Ils obtinrent du Samorin h permiflion de s'éta- (m) Pag. 338 & précédente?. brigandages & à l'autorité de fon oncle, a- (0) L'Auteur ne le dit pas, & l'on vient près s'être fournis au Roi. R. d. E. de voir que Cogniali, avoit fuccedé auç (p) Pag- 340- PRESQU'ISLE EN DEÇA DU CANGE, I.iv. JU. t^ :s avantages de bar. C'c'll une qui tient à la c vafe, que h ligne ce Bourg , , aux Navires a fait obferver pas moins utile us fameux Cor- dou7,e, armées ! petites Galio- ;nyoye pour le nijetr font tout riches, & fiera e le Samorin, tugais pour le ya aufli-iôt une er, tandis que irriva des con- i alliées. Les excès dans les le tous les Por- la belle faifoii aquèrent avec lar Mer & par lie fut empor- te (o), &leur uit à Goa , où itre les Chré- 'ans de laVil- Cota paflbit ais les Samo- ,'en refle au- ce n'offre que loyaume, au- ndoic de cou- le Palais du apitale efl: fi^ e faifoit an* nt bien reçus )ermiflion de s'éta- foii oncle, a« L. d. E. Cr.x.x on, 1O7 1. s'établir dans fcs Etats, avec tous les privilèges mu pouvoient alkrmir leur fitiiarion. Mais ayant bien-tôt poulie l'ingratitude jufqn'ii l'inriikcr, il ks ch;Ur.i de tous les lieux de fu dépendance, lans leur avoir jamais permis do s'y rétablir. L'air de Calecut ell fort lain, liic le terroir li fertile, qu il i)rc)duit abondamment tout ce qui ell ntoelfaire à la vie. La 'J'erre, un >cu plus balle uue la Mer, eft lujette à de fréquentes inondations. Il ne e palfe point d année où l'eau ne couvre quelque petite portion de l'Etat du Samorin, donc elle demeure en nolfenion; & ce dommage devient fi fenlible, que l'ancienne Korterelle des Portugais, qui étoit autrefois affez loin du rivage, ell aujourd'hui prefquc enfevelie à deux bonnes lieues dans la Mer. On n'en apperçoit plus que le fommet des tours , & les Barques paflent facilement entre ces ruines & la terre (q). Les vents de Sud-Ouell, qui fouillent avec violence & prefque fans in- terruption fur la Cote de Malabar, depuis le mois de Mai jufqu'à la fin de ^ptembre , ne contribuent pas peu au progrès que la Mer fait chaque an- Éjée , fur ■ tout durant fhy ver. Dellon , pendant fon féjour à Calecut , vie fubmerger la Maifon des Anglois , qui n'étoit bâtie que depuis vingt an3 & dans un lieu aflez éloigné du rivage. Ces inondations annuelles ^. ' /t- Brigands & h ne menacés que d'arriver le loir î nom, n'efl: c- :ac de Tanor eft d'être indépen- euvent mouiller eH un compofé é, qui ell peu- nent rempli de r Religion. Ils a foufterc qu'ils î dans un Châ- ^ouverneur donc jr fpéciale, qui de leur Eglilt, n de cette efpè- lires, entre lef- kZy homme A- e Malabare que l'anor n'ait pas :une autre Puif- s, depuis qu'ils pour l'entretien de haine pour foiflant inévita- faifoit recher- fon terroir cil & qu'on y re- rriture ordinai- mangcnt point mgers. Après [îérent par ter- îs les Etats du e petite Riviè- .nds. En arri- :upés à fauver miférablement ipatan, revint yé trente- cinq i lieues, dans curcux lliccès de PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. ts de fa négociation lui avoit fait oublier toutes Tes peines. Il avoit été bien D r. tr orr. reçu du Roi & des Grands du Pays. Les marchandifes qu'on en pouvoit 1671. ^aucune préparation. * lacour avoit apporté iiarchandifes ; fur-tout des toiles, plus belles de la moitié que celles qui é- loient du même prix à Surate. Ainfi le Comptoir, dont il avoit jette les fondemens , fit concevoir de grandes efpérances. • Mais Dellon ignora les fuites de ce nouvel Etabliflement(.ï). Il com- mençoit à s'ennuyer du féjour de 'lilcery; & ne voulant pas borner fa curiofité aux opérations d'un Comptoir, il profita de l'occalion d'un Vaif- feau François qui faifoit voile à Mirzeou. Son deflein étoic de vifiter di- v^fes Places , où ce Bâtiment devcit relâcher fur la route , & de fe ren- 4iè enfuite à Goa. Il partit le 20 de Janvier 1672; & le 24, il mouilla ^s la Rade de Mangalor. Cette Ville, qui appartient au Royaume de Canara(y), eft la plus im- portante Place de ce-petit Etat. Elle efl fituée à dix -huit lieues au Nord 4e Balliepatan , fur le bord d'une Rivière où les Vaifieaux d'un port mé- dÎDcre peuvent entrer dans la faifon des pluyes, & dans les grandes ma- ires (z). Elle eft aflez grande, & fes Habitans font un mélange de Ma- hométans & d'Idolâtres. Entre la Mer & la Ville, qui n'en eft éloignée d'une demie lieue, on rencontre le Comptoir des Portugais, & l'on ouvre fur une hauteur la ForterelTe , qui leur appartenoit autrefois , «WTime celles qu'on voit encore fubfifter dans tous ces Ports. Mais les djBiarins, animés par l'exemple des autres Peuples de l'Inde, & fatigués delà hauteur avec laquelle ils étoient traités par cette Nation, avoienC pris occafion de fa dernière guerre, avec lesHollandois, pour la chafllr en- tièrement du Pays. Après la paix , qui fe fit enfuite entre le Portugal & ht Hollande, ies Vicerois de Goa mirent tout en ufage pour rentrer dans le» Places 'ont ils avoient été dépouillés. Leurs Flottes répandirent long- t^s la terreur fur cette Côte, & forcèrent enfin le Roi de leur remettre yik Forterefies de Mangalor & de Barcalor. Mais ils le trouvoient fi épui- itis par les guerres précédentes, que n'y pouvant mettre des garnifons af- 1^ fortes, ils fe contentèrent d'y établir des Comptoirs, pour y recevoir, fl»mme auparavant , la moitié des droits fur les marchandifes que le Com- lierce y apporte ou qu'il en fait fortir. ;, QU01Q.UE les Canarins foyent peu éloignés des Malabares, leurs ufages 'ntfort dilTérens, ôc relfemblent plutôt à ceux des Sujets idolâtres du bgol , dont ils font tributaires, lis font bazanés. Ils portent les che- veux (x) Les. mauvais fuccès de l'expéiiition «eM. de la Haye, empêchèrent les François 4'exécuter ce projet. R. d E. (y) M. Prévoit écrit Canamr: mais cVft «ne faute. R d. E. (2) L'Auteur confeiile nOanmoins de prendre, dans toutes les laifons, des Pilo- tes du Fays, Sans cette précaution un Vaifleau s'expot à toucher fur des bancs de fable, ijiii lont en alTez grand nombre à l'inrrée de la Rivière. Ilyaauflî, hors de la Bnrre, une bonne Rade, où l'on peut mouiller fans danger pfndant l'tHé; tems auquel la Rivicie ell trop balfe pour per- meure aux Vaifleaux d'y remonter. Fog. 368» Voyage à Mangalor. 1679.. -t ï6 VOYAGES DANS LA faux Comte de Sarjedo, DEi.toN. veux longs, & leur habillement e(l le même que celui des Gentils deSu- 1672. rate. L'aii du Pays eR pur & fain. Le terroir cfl fi fertile, que dans une étendue aflez bornée, non-feulement il fournit du riz à pluficurs Etats voi- fins, mais qu'on en tranfporte aux Ports d'Achem , Bantam, Mocka, Mafcate, Balfora, Mozambique , Monbazc , & dans quantité d'autres lieux. Le Vaifleau François pafla le lendemain à la vue de Barcalor (a), où les Portugais reçoivent, comme à Mangalor, la moitié des droits du Commer- ce. Le jour fuivant, il mouilla dans la Rade de Mirzeou. La Flotte de M. de la Haye , compofée de treize VaifPeaux de différentes gran- deurs , paflbit alors à la vue de cette Côte , pour fe rendre dans l'Ille de Ceylan (b). Il feroit inutile de fuivrc Dellon à Goa , & dans quelques autres lieux fur lefquels la curiofité du Lefteur efl: épuifée. Mais, je ne fup- primerai point une avanture dont il fe trouve des traces dans d'autres ' Voyageurs ; & que DcUon vérifia par fes propres yeux pendant qu'il étoit à Daman. Un Portugais , dont la fortune étoit fort dérangée, mais qui avoit beau- Ilidoii-edu coup d'efprit & dehardieffe, ayant eu l'occafion de s'aflurer qu'il reiïem- bloit parfaitement au Comte de Sarjedo, un des plus grands Seigneurs de- Portugal , conçut le defTein d'une fort audacieufe entreprife. Le véritable Comte de Sarjedo, qui étoit alors à Lisbonne, étoit fils d'un ancien Vice- roi des Indes Orientales , & qui s'y étoit fait aimer par la douceur de fon Gouvernement. II avoit laifTé à Goa un fils naturel , qu'il avoit enrichi par fes bienfaits, & qui tenoit un rang diftingué parmi les Portugais des Indes. Dellon fait obl'erver qu'en Portugal les enfans naturels des Gentils- hommes, ne font pas moins nobles que les enfans légitimes, & que leur feul defavantage efl de n'avoir aucune part à l'héritage , quoiqu'ils puifTent recevoir toutes fortes de legs ou de donations. C'ÉTOiT avec le fils légitime de ce Viceroi que l'Avanturier avoit une parfaite refTemblance. Louis de Mendoza Fiirtaào gouvernoit alors les In- des. Mais fon terme étant expiré, on attendoit de jour en jour, à Goa, qu'il lui vînt un SuccefTeur de Lisbonne ,* & le bruit s'étoit déjà répandu que DomPedre, Régent de Portugal , penfoit à nommer pour cet emploi, le jeune Comte de Sarjedo, dont le Père l'avoit rempli avec tant de fuccès& d'approbation. L'Avanturier Portugais , voulant profiter de cette circon- flance , partit de Lisbonne , fe rendit à Londres , y prit un équipage de peu d'éclat, & s'embarqua avec deux Valets de chambre, qui ne le connoif- foient pas , fur un VailTeau de la Compagnie d'Angleterre , qui avoit ordre d'aborder à Madras. Il étoit convenu de prix avec le Capitaine pour fon pafTage & pour celui de fes gens , & le payement avoit été fait d'avance. 11 avoit fait provifion des petites commodités qui font néceffaires fur Mer, & qui fervent à gagner l'afTeftion des Matelots, telle? que de l'ea'u-de-vie, du vin d'Efpagne & du tabac. Pendant les premiers jours , il garda beau- coup de réferve ; & l'air de gravité qu'il aifeéla dans fes manières & dans fon . (a) C'eft Barcehr ou Barfaloor. R. â. R. J (b) Pag. 372. Voyez le Journal de la Haye, au Tome XI. ' . foi il pi-i .quj ■brc à n Me eu fôr\ jlo ; Gentils de Su- , que dans une leurs Etats voi- ntam, Mocka, é d'autres lieux. alor (a) , où ks its du Commer- 3u. La Flotte ifFérentes gran- re dans l'Iile de quelques autres ais, je ne fup- is dans d'autres ndant qu'il étoit ; qui avoit beau- rer qu'il reflem- ds Seigneurs de :. Le véritable un ancien Vice- L douceur de fon il avoit enrichi ;s Portugais des •els des Gentils- les , & que leur oiqu'ils puiflenc turier avoit une Dit alors les In- n jour, à Goa, it déjà répandu our cet emploi , :ant de fuccèséc le cette circon- quipage de peu ne le connoif- ui avoit ordre taine pour fon fait d'avance. aires fur Mer, e l'ea'u-de-vie, il garda bcaii- anières & dans fon PRESQU'ISLE LS DEÇA DU GANGE, Liv. III. 17 . fun langage difpofa tout le monde à le croire homme de qualité. Enfuite, il fit entendre aux Anglois, quoique par degrés, & dans des termes ambi- gus, qu'il étoit le Comte de Sarjedo: m;iis, en approchant de Madras, il prit ouvertement ce nom ; & pour expliquer fon dcguifement , il ajouta ;que le Prince Régent de Portugal n'ayant pCi équiper une Flotte alfez nom- brcufe pour le conduire aux Indes avec la pompe & la majefté convenable à fon rang, lui avoit ordonné de partir incognito j parceque le terme de Mendoza étoit tout-à-fait expiré- • Les Anglois ajoutèrent de nouveaux honneurs à ceux qu'ils lui avoient déjà rendus, & le traitèrent avec les refpects & les cérémonies qu'on ob- ferve à l'égard des Vicerois. Ils s'applaudiflbient du bonheur qu'ils avoient eu de le porter aux Indes, ne doutant point que fa reconnoilTance pour les Ïrvices qu'ils lui avoient rendus ne le difpofàt, pendant le tems de fon Duvernement, à rendre fervice à la Compagnie, & particulièrement à ux qui l'avoient obligé. Mais pour l'exciter encore plus à les favorifcr ékns l'occalion, à peine fut-il defcendu au rivage, que chacun s'empreiTa AI lui offrir tout l'argent dont il avoit befoin, & c'étoit juftement à quoi le flljitx Comte s'étoit attendu. Il en prit de toutes mains, des Caiffîers de la j^mpagnie & de divers Particuliers , qui s'eflimoient trop heureux & trop lènorés de la préférence qu'il leur accordoit, & qui fe repaifToient déjà des Irandes efpérances dont il avoit foin de les flatter. Non-feulement les An- îois lui ouvrirent leurs bourfes; mais les Portugais, qui étoient établis à [adras, & ceux qui demeuroient dans les lieux voifins, vinrent en foule iprès de lui pour lui compofer une efpèce de Cour, fans pouvoir dégui- Ér leur jalouse, de l'honneur que les Anglois avoient eu de le recevoir les iemiers. Le Comte re^ut fes nouveaux Sujets avec la gravité d'un vérita- lie Souverain, & leur tint un langage qui prévint jufqu'à la naiflance des nîoindres foupçons. ^^^ Les Portugais les plus riches lui offrirent aufîî de l'argent, & le fuppliè- fènc de ne pas épargner leur bourfe. A peine vouloient-ils recevoir les bil- lets qu'il avoit la bonté de^jeur faire. D'autres lui préfcntèrent des dia- ''"ms ik des bijoux. Il ne refufoit rien: mais il avoit une manière de rece- )ir, fi agréable & fi fpirituelle , qu'il ne fembloit prendre que pour obli- ;r ceux qui lui faifoient des préfens. Il fe donna des gardes , avec un Kmd nombre de domefliques , & fon train répondit bien-tôt à la grandeur t fon rang. Après s'être arrêté l'efpace de quinze jours à Madras , il en Értit avec un équipage magnifique & une fuite nombreufe, dont l'entre- Jfen lui coutoit peu , parceque dans tous les lieux de fon paifage , il n'y a- Wt perfonne qui ne fe crût fort honoré de le recevoir. En pafîant dans lés Comptoirs François & Hollandois , il eut foin de ne rien refufer de ce qui lui étoit offert, dans la crainte de les ofFenfer , difoit-il, s'il en ufoit ihoins civilement avec eux qu'avec les Anglois. Les riches iNIarchands & l^s perfonnes de qualité, Mahométans ou Gentils, fuivirent l'exemple des furopéens. ^ Chacun cherchoit à mériter les bontés d'un nouveau Viceroi , ^ui devoit jouir fi-tôt du pouvoir de nuire ou d'obliger. Il tiroit d'ailleurs tin extrême avantage de l'eftime & de l'afFeftion qu'on âvoit eue pour le Seigneur dont il s'àttribuoit le nom & la qualité. De tous les Vicerois des ' Xill. Part, G Indes, D F 1. 1 167 .ON. fi VOYAGES DANS LA D r.i L 0 N. Indes , c'ctoic celui qui s'ccoit fait le plus aimer. Il parcourut ainfi toute la ••^72. Q^iQ J2 Coromarfdel & celle de Malabar , fans cefler de recevoir de grofils femmes & des préfens. Il avoit aufli l'adrefle d'acheter les pierreries & les raretés qu'il trouvoit en chemin , remettant à les payer loriqu'il feroit à Goa. Enfin il approcha de cette Capitale de l'Empire Portugais, où le bruit de fon arrivée aux Indes , s'étoit répandu depuis long-tems. Il y étoit at- tendu avec impatience. Mais il fe contenta d'y envoyer un de ("es princi- paux domefbicjjes, pour faire quelques civilités de fa part à celui qu'il ho- ^ noroit du nom de fon frère, ) II dit hardi'iieiit que „ fi d'avanture rap- port qu'il câ a fait ". Ubi infra. Pag. 291 (I) Cette Prf4«, qui eft à la tête dw Tome XI. de nôtie Edition , ne dit pas le tnot de Taveiniei ; mais Il en ctt pailé dans une Note au (omracn«fin«ai de la ReUiion ptéceaeme, K. d. li. * C 2 £0 VOYAGES DANS LA iNTRODuc- konde. Dès l'an 1622, un Anglois, dont Piirchas a public la Relation •xioN. jj^j^g ^m^ Recueil (c), avoic profité du voilinagc de Mafulipatan , pour fe pro- curer les mêmes lumières. Su Relatioji doit précéder par conféquent cel- le du Voyageur François; d'autant plus que s'expliquant avec alFez d'ob- fcurjté fur fa route & fur le terme, il laiife quelque raifon de douter s'il parle cileélivement des méines lieux & du même travail (d). M'';thoi.d. 1622. Motifs du \'oyiige. Rourj . Mcîhcld. Ses obferva- tions à la Mine, 5. I. • Foyage de Guillaume de Methohî aux Mines de Diamans. MEthold ayant entendu parler avec admiration d'une Mine de Dia- mans, dont le Roi de Golkonde s'étoit mis en polTeflion, &qui at- tiroit tous les Jouailliers des Pays voifins , ne put réfifter à la curiofité de ht vifiter On attribuoit cette découverte au liazard. Un Berger gardant fon troupeau , dans un champ écarté , avoit donné du pied contre une pier- re , qui lui avoit paru jetter quelque éclat. 11 l'avoit ramallee ; & l'ayanc vendue, pour un peu de riz, à quelqu'un qui n'en connoiflbit pas mieux la valeur, elle étoit paflee de mains en mains, fans rapporter beaucoup de profit à fes Maîtres, jufqu'à celles d'un Marchand plus éclairé, qui par de longues recherches étoit parvenu enfin à découvrir la Mine. Methold éga- kment curieux de voir le lieu d'où l'on tiroit une û riche produ6lion de la Nature, & de connoître l'ordre qui s'obfervoit dans le travail, entreprit ce Voyage avec Socore & Thomafon , tous deux employés comme lui au fer- vice de la Compagnie Angloife dans le Comptoir de Mafulipatan («). Ils employèrent quatre jours à traverfer un Pays défert, llérile, & rem- pli de montagnes. Cet efpace leur parut d'environ cent huit miles d'An- gleterre. Leur premier étonnement fut de trouver les environs de la Mi- ne fort peuplés , non-feulement par la multitude des Ouvriers que le Roi ne ceflbit pas d'y envoyer, mais encore par un grand nombre d'Etrangers, que l'avidité du gain attiroit de toutes les Contrées voifincs. Les trois Anglois fe logèrent dans une Hôtellerie alTez commode ; & pour fuivre l'u- fage établi , ils rendirent une vifite de civilité au Gouverneur , qui étoit un Bramine, nommé Raja-Ravio, établi par le Roi,, pour recevoir les droits de la Couronne & pour conferver l'ordre entre quantité de Nations diffé- rentes. Cet Officier leur fit voir de fort beaux Diamans , dont le plus pré- cieux étoit de trente carats , & pouvoit fe tailler en pointe. Le jour fuivant, ils fe rendirent à la Mine. Elle n'efl qu'à deux lieues de la Ville de Golkonde. Le nombre des Ouvriers ne r.i' iitoit pas ù moins • de .(«) Methold étoit Préfident de ce Comptoir, R, d. E. îlid la Relation an, pourTepro- confcqucnt ccl- vec aiL'Z d'ob- douter s'il parle n'en étoit qu'à deux elle fut fcmiL'e peu er même le cnnllr- lement „ qu'il ell ert aux Européens ES ". 11. d. E. lans. e Mine deDia- [Tion , & qui at- a curiofité de ht Berger gardanc ;ontre une picr- lee ; & l'ayanc flbit pas mieux n* beaucoup de lire, qui par de Methold éga- odu6lion de la vail, entreprit mme lui au fer- latan («). llérile, & rem- it miles d'An- ons de la Mi- :rs que le Roi e d'Etrangers , s. Les trois our fuivre l'u- ur , qui étoit ivoir les droits Nations diffé- |nt le plus pré- deux lieues ;it pas à moins d;^ ^ PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 21 ^c trente mille. Les uns fouilloient la terre, les autres en remplifloient df-s tonneaux. D'autres puifoient l'eau qui s'amaflbit dans les ouvertures, ©'autres portoient la terre de la Mine dans un lieu fort uni, lur lequel ils ï^étendoient à la hauteur de quatre ou cinq pouces; & la laiflant fecher au .Sfclcil, ils la brovoieni, le jour fuivant , avec des pierres. Ils ramalloienc Ivcc foin tous les cailloux qui s'y trouvoient. Us les callbient lans aucune I -■•■■- même à l'odeur, li ne put , - o- , •. <)e faire cette dillindlion , fans rompre les mottes de terre oc les cail ioux ; car dans quelques endroits , ils ne faifoient qu'égratigner un pei te^re'; &, dans d'autres , ils fouilloient jufqu'à la profondeur de dix ^ze bralfes. . . . _ :':rLx terre de cette Mine eft rouge, avec des veines d une matière qui rel- iinble beaucoup à la chaux, quelquefois blanches & quelquefois jaunes-. £j^ efb mêlée de cailloux, qui le lèvent attachés plufieurs enfemble. Au ]p^ d'y faire des allées & des chambres, -comme dans les Mines de l'Euro- ^, on creufe droit en bas , & l'on fait comme des puits quarrés. L'Au- pour fuivre MeTJIOM). 162 -. eu la ou la terre. de Combrcn la Mine étoit af • 'éos machines: elle conlîfte à placer, les uns au-delius des autres, un grand îBÉinbre d'hommes qui fe donnent feau de main en main. Rien n'efl plus tmpt que ce travail; & la diligence y ell d'autant plus nécelïïiire , que (droit ou l'on a travaillé àfec, pendant toute la nuit, fe trouvcroit Je iQatin prefque rempli d'eau. #! ]La Mine étoit affermée à un riche Marchand , nommé Marcanda,^ de la "yiibu des Orfèvres (^) , qui en payoit annuellement la fomme de trois cens f^nnée! lïiiiiie pagodes ; fans compter que le Roi fe réfervoit tous les Diamans au- "*iis de dix carats. Ce Fermier général avoit divifé le terrain en plufieurs tions quarrées , qu'il louoit à d'autres Marchands. Les punitions étoient ^t rigoureufes pour ceux qui entreprenoient de frauder les droits • mais te crainte n'empêchoit pas qu'on ne détournât fans cefle quantité de ux Diamans. Methold en vit deux de cette efpèce , qui approchoient cun de vingt carats, & plufieurs de dix & d'onze. Mais, malgré le pé- auquel on s'expofe en les montrant, ils fe vendent fort cher. Cette Mine ellfituée au pied d'une grande montagne, aflez proche d'une ière , qui fe nomme Chrijténa (c). Le Pays efl naturellement fi ftérile , qu'il pouvoit pafler que pour un défert avant cette découverte. On admiroit "avec quelle promptitude il s'étoit peuplé , & l'on y comptoit alors plus de cent mille hommeSjOuvriers ou Marchands. Les vivres y étoient d'autant plus chers "^l'on étoit obligé de les y apporter de fort loin ; & les maifons aflez mal ?K ba- #(fr) Voyez ci-denbus la Defcripiion de Carte de 1737, donne le nom de Cbricbna à Çolkondc. la Rivière "de Coulour , qui coule au Sud de **'(<;) C'eft Kijm. Mr. d'Aiiviilc, dans fa la preiîiiùe. il . ^ C .^ Safituation. n L. tft VOYAGES DANS LA Mbtuold. bâties, parccqu'on fe furmoit dos logemcns proportionnés au peu de réjour 1622. qu'on y dévoie luire. Peu de tems après , un ordre du Roi fit fermer la Ali. ne & difparoÎLre tous fes Habituns. On s'imagina qiic le dcflein de cePrin. ce etoit d'aufiçmcnter le prix & la vente des Diumans: mais quelques Indiens mieux inftruirs, apprirt-nt à JVletliold que cet ordre etoit venu ùroccafio! d'une Ambalfade du Mogol, qui demanduit au Roi de Goikonde trois li- vrcs pefant de les plus beaux Diamuns. Auffi-tot que les deux Cours 11 furent accordév.'s, on recommença lo travail; & la Mine étoit prerqu'épiu. , fée, lorfque l'Auteur quitta Mafulipatan. Ce Pays produit auffi beaucoup de cryflal , & quantité d'autres pierres traiifpar entes qui n'ont pas lu même dureié, telles que des grenats, des a methiftes , des topazes & des agaclies. Il s'y trouve beaucoup de fer Cx d'acier, qui fe tranfporte en divers endroits des Indes. On vend le fer, fur les lieux, environ trente fous le quintal; & quarante-cinq fous, le quin- tal d'acier. Mais les prix augmentent du double à Mafulipatan , parcequ'i' faut employer, pour le traniport, des bœufs, qui mettent huit jours eu- tiers à ce Voyage (d). On ne connoît, dans le Pays, aucune Mine d'or, ni Aufre? pier' rcs prccicu- fcs llU lliC'lUL' Piiyi. (d) Methold n'ayant pas fait la defcrip- tion de cette route, j'enipiuiuerai ici celle de Tavcriiior, qui ne peut trouver de place plus convenable. De Goikonde à Mafulipatan, on compte, dit-il, cent codes (i), en prenant le droit chemin. Mais quand on veut paHV r par la Mine de Diamans, qui fe nomme Coulour en Perfan , & Gani en langue Indienne, il y a cent douze coflls, & c'cU la route que l'Au- teur a tenue. De Goikonde, on fait quatre cofTcs pour {e rendre à Tenara , lieu remarquable, où l'on voit quatre fort belles Maifons, accom- pagnées chacune d'un grand jardin. L'une des quatre, qui efl à gauche le long du grand chemin , elt incomparablement plus belle que les trois autres. Elles font bâties de bel- les pierres de taille & à double étage, avec de grandes galeries, de belles falles & de tjelles chambres. Devant la face principale eft une grande place. A chacune des trois autres faces, on voit un grand portail, & des deux côtés, une belle plate-forme relevée de terre , dtnviron quatre ou cinq pieds , très- bien voûtée , où les Voyageurs de qualité prennent leur logemen^ Au-deflus de cha- que portail, il y a une grande baluUrade, & une petite chambre qui eft poiir les Dames. Les perfonnes de confidération, qui ne veu- lent pas fe loger dans les édifices , peuvent faire dreifer leurs tentes daiîs les jardins. Mais on ne peut loger que dans trois de ces inaifons. La plus belle & la plus grande i") On appelle ro^c lyic ie nos Ucu« contRitucs} n'eft que pour la Reine. On y entre néan- moins dr.ns l'on abfencc, & l'on a la liberté de fe promener dans les jardins , qui font ornés de quantité de belles eaux. Le tour de la place offre de petites chambres, delii- nées pour les pauvres Voyageurs; & tous les jours, vers le foir, on leur f^it une au- mône de pain, de riz, ou de légumes cuits. Comme les Idolâtres ne mangent rien qui ait été préparé par d'autres , on leur donne do la farine pour faire du pain, & un peu de beurre , dont leur ufage eft de frotter leur pain , qui ell fait en forme de gaieté. De Tenara , on compte douze cofles à J' I 62 f, p. ffljUcbir [6c quatre de Vouchir i Niiimor.'] Jtetre Vouchir & Niiimor, vers la moitié du ^uiin, un palle unt grande Rivière fur un radenu. Six codes de Niiimor à il/f/mo/. Quatre de iVlilmol à Mafulipataa. Tavir- nier, Tom. II. pag. 97 & Uiiv. t; - 5. II. •■ « ^; Voyages de Taiternier, aux Mines de Dïamans. if^E fameux Voyageur s'étoit rendu par diverfes courfcs, qui appartien- \^ nent à l'IIifloire des Voyages de terre, dans le fjin Perfique, où fef- pSance du gain & le goût de fa profeflTion (a) lui avoient fait acheter un ttand nombre de belles Perles. 11 y prit la réfolution d'entreprendre le Voyage de Golkonde, pour vifiter les Mines de Diamans , pour fe four- t' de ce qu'il y trouveroit déplus riche, & pour vendre, au Roi, fes ries, dont la moindre étoit de trente-quatre carats (Z>). ■ Il s'embarqua l'onzième jour de May 1652, fur un grand VaiiTeau du i de Golkonde, qui vient en Perfe tous les ans , chargé de toiles fines & chitfes, ou de toiles peintes, dont les fleurs font au pinceau; ce qui rend plus belles & plus chères que celles qui fe font au moule. La impagnie Hollandoife s'étant accoutumée adonner , aux VaifTeaux des Rois ■l'Inde , un Pilote , un Sous-Pilote , & deux ou trois Canonniers , il y avoit fii Matelots H'^llandois dans l'équipage du Vaifleau. Les Marchands Ar- iiiéniens & Perfans, qui paflbient aux Indes pour leur Commerce, y étoient àu nombre de cent. On avoit aufli à bord cinquante-cinq chevaux , que |è Roi de Perfe envoyoit au Roi de Golkonde. ,^ AfRàs ,^ (a) II étoit Jouaiilicr. ' (A) Voyages de Tuvernier, Tom.II. de l'Edirlon de Paiis, jtîSl. Fa^. 146 6f/Mi«. Expt* ce en i.èrc toucha ;U h' bezoar, lin^i; T.\VnRNIER. 1652. Son départ d'Otmuz. 24 \' O Y A C; E S DANS L A Tavrpnter. 1652. d'i: t on fc di-livre par inJiil'.ric. Enangj f ffet liu ton- nerre. I/Auteur arrive à Ma- fulipatan. 11 e!t obli- ge (ic Ce ren- dre à Gandi- cot. Si routiî. Nilmol. \'oiicIiir. Fa'.cuiet. Bezouar. ÂTKt^ quelques jours de navigation, il s'éleva un vent de travcrfe cl.? plus impétueux. Le Bûciment , qu'on avoit eu l'imprudence de laiiTcr le. • cher pendant cinq mois au Port de Bander- A balVi, commença bien-tôt ;i faire eau de toutes parts; àc par un autre malheur, les pompes ne valoieiu rien. On lut ubligé de recourir à deux balles de cuirs de KulTic qu'un Mar- chand portoit aux Indes, où ces belles pcau\, qui font très-fra'iches, fer- vent ù couvrir les lits de repos. Quatre ou cini Cordonniers, qui le trou- voient heureufement à bord, entreprirent ll'en faire des féaux qui ne te- noient pas moins d'une pipe , & rendirent un fervice important .lans un il grand danger. A l'aide d-'un gros cable, auquel on attacha autant de poulies qu'il y avoit de féaux, on vint à bout , dans fefpace d'une heuiv ou deux, de tirer toute l'eau du Vaiffeau, par cinq grands trous qu'on H^. en divers endroits du tillac. Mais il arriva le même jour un événement fort étrange. L'orage étant devenu furieux , on vit tomber trois fois lo tonnerre fur diflférens endroits du Bâtiment. Le premier coup perça l'arbre de proue du haut en bas; & fortant du mât à fleur du tillac, il courut le long du bord , où il tua trois hommes. Le fécond tomba deux heures a- près, 6: tua deux* hommes fur le tillac. Le troifiéme, qui fuivit d'afl'ez près, fit un petit trou au bas ventre du Cuifinicr, «Se lui brûla tout le poil du corps , fans lui caufer d'autre mal. Mais lorfque poui guérir fa playe on la vouloit oindre d'huile de cocos, il fentoit une douleur fi vive qu'elle lui faifoit jetter de hauts cris (r ). Le tems étant devenu plus doux, on arriva le 2 de Juillet, au Port de MaJuUpatau. Les FaiR-eurs Anglois & Ilollandois y reçurent fort civile- ment Tavernier, & lui donnèrent plufieurs fêtes, dans un beau jardin que les Mollandois ont à une demie lieue de la Ville. Mais apprenant le def- fcin qu'il avoit de fe rendre à Coikonde, ils l'avertirent que le Roi n'ache- toit rien de rare ni de haut prix, fans avoir oonfultc Mirgiimla, fon pre- mier Miniflre & CJénéral de fes Armées, qui Caifoit alors le Siège de Gan- dicotf Ville de la Province de Carnatica (d) dans le Royaume de Vifapour. Tavernier ne balança point à prendre cette route. Il acheta une forte de voiture, qui fc nommQ Pal !ckis^ avec trois chevaux & fix bœufs, pour le porter, lui, ies valets & fon bagage; & fon départ ne fut diiTéré quejuf- qu'au ai de Juillet. -^ Il fit trois lieues, le premier jour, pour aller pafTer la nuit dans lin Vil- lage nommé Nilmol. Le 22, il fit fix lieues jufqu'à ^owcA/r , autre Village, avant lequel on pan*e une Rivière fur un radeau. Le 23 , après une marche de fix heures, il arriva dans un mauvais Village qui fe nomme Patemet^ où la violence des pluyes l'obligea de s'arrêter trois jours. Le 27, n'ayant pu faire qu'une lieue & demie, jufqu'à Bezouar^ par des chemins que les grandes eaux avoient rompus, il s'y arrêta quatre autres jours. Une Rivière , qu'il avoit à pafi^er, s'étoit changée en torrent fi ra- pide, que la Barque ne pouvoit réfifter au courant; fans compter qu'il fallut du tems, pour laiiTer paflTcr les chevaux du Roi de Perfe. On les iïienoît à Mirgimola, par la même raifon qui forçoit Tavernier de voir ce Miniflie ,• (e) Ibidem, pag. 148. ; : ■ ' ;f.V 1 (al) Ou Carnate. ■. - ": / Mil Be/ cet! Goi tans |rat Jom des qui ont très des def tom en i de travcrfe cl..i ICC de laiircr le. lença bien- tôt ;i ipes neviiloient iilîic (ju'un Mar- is-fra'i elles, fer- :rs , qui le trou- baux qui ne te- sortant '.ians un cacha autant do ice d'une heuro s trous qu'on tir. ' un événement er trois fois le up perça l'arbre le, il courut le deux heures a- ui fui vit d'à (lez •Ok tout le poil guérir fa playe ir fi vive qu eile let, au Port de ent fort civile- beau jardin que )prcnant le def- ; le Roi n'ache- iinola, fon pre- ' Siège de Gan- le de Vifapour. ta une forte de 3_œufs, pour le iiTéré quejuf- it dans un Vil- autre Village , rès une marche ic Patemetf où zoiiar^ par des quatre autres torrent fi ra- compter qu'il erfe. On les lier de voir ce Minillre PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, I.iv. III. 2$ Minillre avant que de fe rendre à Golkonde. Pendant le féjour qu'il fit à Bezouur, il vifita plufieurs Pagodes. Le nombre en ell plus grand dans cette Contrée qu'en tout autre endroit des Indes, paicequ à l'excepiion des Gouvernvurs& de quelques-uns de leurs Domdbques, qui font iVlahomé- tans, tous les Peuples y font Idolâtres. La Pagode de Bezouar efl: lort grande, & n'efl pas fermée de murailles. On y voit cinquante-deux co- fcnines, hautes d'environ vingt pieds, qui foûtiennent une voûte de gran- des pierres de taille (e). Elles font ornées de diverles figures de relief, qui repréfentent d'aftreux démons , & quantité d'animaux. Quelques-unes ont quatre cornes. D'autres ont plufieurs jambes ik plufieurs queues. D'au- tres tirent la langue, ou tiennent des poflures ridicules. L'entre- deux des colomnes offre les (latues des dieux, élevées chacune fur fon pié- dcftal. La Pagode eft: au centre d'une grande cour , plus longue que lar- gl, entourée d'une muraille, & chargée des mêmes figures que les co- Bmnes du Temple. Une galerie, foûtenue de foixante-fix piliers, règne en forme de cloître autour de ce mur. On entre dans la cour par un grand portail, au-deflus duquel s'élèvent l'une fur l'autre, deux grandes niches , dont la première efl: foûtenue de douze piliers, & la féconde de huit. Au bts des colomnes de la Pagode, on voit de vieux caraftères Indiens, que 1m Prêtres mêmes ont beaucoup de peine à lire. • La curiolité conduifit Tavernier dans une autre Pagode, bâtie fur une hauteur, où l'on monte par un efcalier de cent quatre-vingt-treize mar- dies , chacune d'un pied de hauteur. Sa forme efl: quarrée. Elle foûtient •b dôme, &tous fes murs font chargés de reliefs, comme ceux de Be- ■Ouar. On voit au centre, une Idole, afllfe les jambes croifées, haute de quatre pieds dans cette pofliure, & la tête couverte d'une triple cou- ronne, d'où fortent quatre cornes. Sonvifage, qui eft: celui d'un hom- me, efl: tourné vers l'Orient. Les Pèlerins, qui vitmnent adorer ces monf- trueufes figures , joignent les mains, en entrant dans la Pagode, & les portent au front. Enfuite, s'approchant de l'Idole, ils répètent plufieurs fois , Ram , Ram , qui fignifie Dieu , Dieu. Lorfqu'ils en font proches , ils ft)nnent trois fois une cloche, qui eft: fufpendue à fldole même, après a- Voir barbouillé de quelques peintures divers endroits de la face & du corps. Quelques-uns l'oignent d'huile, ou d'autres parfums. Ils lui offrent du fu- cre , de l'huile , & d'autres alimens. Les plus riches y joignent quelques pièces d'argent ou d'or. Cette Pagode eft: fervie par foixante Prêtres , qui fcvent des offrandes, avec leurs femmes & leurs enfans. Cependant ils Éoivent les laifl!er deux jours entiers devant fldole; & le troilième jour, W s'en faifilfent vers le foir. Un Pèlerin, qui vient pour être guéri de quelque mal, doit apporter, fuivant l'état de fa fortune, en or, en ar- gent, ou en cuivre, la figure du membre dont il efl incommodé. Le de- vant de la Pagode efl couvert d'un toît plat, foûtenu par feize piliers; & vis-à-vis, on en voit un autre, foûtenu feulement de quatre, fous lequel fe fait la cuifîne des Prêtres. Du côté du Midi, on a taillé, dans la mon- tagne, (e) Ce n'efl pas une voûte, mais un toît tout plat. R. d. £. XIIL Part, D TAVPnWIER. 1652. P'iRoJes du Pays. Tavkrnier. 1652. Conclevir, Place très- forte. Copenour. Adauquige. 2(S VOYAGES DANS LA tagne, une grande plate-forme, où l'on efk agrcablomcnt à rombre, foui quantité de beaux arbres, & près de la<.|uelle on voit un fort beau puits. Il y vient des Pèlerins de fort loin; & les pauvres y font nourris, par les Prêtres , des aumônes qu'ils reçoivent des riches. Tuvernier y vit une femme, qui étoit depuis trois jours dans le Temple, reprélentant fans cefie à I idole qu'elle avoit perdu l'on mari, & lui demandant ce qu'elle devoit faire pour nourrir & pour élever fes enfans. Il s'informa , d'un des Prêtres, li cette femme eipéroit quelque rèponle, & pourquoi elle é> toit obligée de l'attendre fi long-tems. On lui dit que les c> plications du dieu méntoient bien d'être attendues, & qu'elles dépendoient de fa volon- té. Ce langage lui iît juger qu'il y avoit quelque fourberie dans la con- duite des Prêtres. Il attendit le tems de leur repas ; & n'en voyant plus qu'un, qui étoit demeuré à faire la garde devant la porte, il le pria civi- lement de lui aller chercher de l'eau pour fe rafraîchir, au puits, qui e(l éloigné de deux portées de moufquet. Pendant fon abfence, il entra dans le Temple; & cet édifice ne recevant du jour que par la porte, il s'a- vança comme à tâtons derrière la (latue , où il découvrit un trou par le- quel un homme pouvoit entrer , & qui fervoit apparemment denicneaux Prêtres pour faire parler l'Idole par leur bouche. 11 ne put être fi prompt , que celui qui étoit allé lui chercher de l'eau ne le trouvât dans la Pagode. Mais après en avoir reçu quelques injures, avec un reproche d'avoir pro- fané la fainteté du Temple, il n'eut pas de peine à l'appaifer, en lui met- tant deux roupies dans la main (/). Il partit de Bezouar, le 31 ; & paflant la Rivière, qui étoit large alors d'une demie lieue, il arriva, trois lieues plus loin, devant une grande Pa- gode , bâtie fur une plate-forme où l'on monte par quinze ou vingt mar- ches. On y voit la figure d'une vache , d'un marbre fort noir , àc quan- tité d'autres Idoles fort différentes. Les plus hideufes font celles qui re- çoivent le plus d'adorations & d'offrandes. Un quart de lieue au-delà, on traverfe un gros Village. Le même jour, Tavernier fit encore trois lieues, pour arriver dans un Village nommé Kahkali, proche duquel on voit, dans une petite Pagode , cinq ou la. Idoles de marbre aflez bien faites. Le lendemain , après une marche de fq)t heures, il alla defcendre à Coude- vir y grande Ville, avec un double fofle , revêtu de pierre détaille. On arrive par un chemin qui ell fermé, des deux côtés, d'une forte murail l e, où, d'efpace en efpace, on voit quelques tours rondes, peu capables de défenfe. Cette Ville touche, au Levant, une montagne d'une lieue de tour, environnée, par le haut, d'un bon mur, avec une demie lune de cent cinquante en cent cinquante pas. Elle a , dans fon enceinte, trois For- tereffes , dont on néglige l'entretien. Le 2, Tavernier & les Compagnons de fon Voyage ne firent que fix lieues , pour aller pafler la nuit dans le Village de Copenour. Le 3 , après avoir fait huit lieues , ils entrèrent dans Adauquige ^ Village affez confidé- rable, qui efl accompagné d'une fort grande Pagode, où l'on voit les rui- nes 1 (/) Ibidem, pag. 151 & précédentes. à l'ombre, fous fort beau puits, nourris, par les irnier y vit une .'prélcntant fans uiant ce qu'elle s'informa, d'un jourquoi elle é. explications du ent de fa volon- ie dans la con- en voyant plus , il le pria civi- i puits, qui efl e, il entra dans la porte, il s'a- in trou par le- nt de nicne aux être fi prompt, dans la Pagode, he d'avoir pro- er, en lui met- itojt large alors une grande Pu- ou vingt mar- noir, àc quan- celles qui re« :ue au-delà, on >re trois lieues, iquel on voit, ez bien faites. :endre à Coude- de taille. On e forte muraii- , peu capables ; d'une lieue de lemie lune de nte, trois For- firent que fix Le 3, après aflez confidé' m voit les rui- nés ■m' if il <:ir»^ ■■Illlllllllllllllllillllllllllllllllll^^^ m Fort Hollandois de Palliacate, nomaœ Gujeldre. HOLLANDS Fort te PALLIACATTE, genaamd Gelderland re «V » n auc 1 H |2 — st — zz~z:—. — =-~-r — . 1 ' jÉ^I = H M DRE. IRLAND. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 27 ncs de quantité de chambres qui avoient été faites pour les Prêtres. Il refte encore , dans la Pagode, quelques Idoles mutilées, que ces Peuples aveugles ne lailFent pas d'adorer. Le 4, on fit huit lieues, jufqu'au Villa- ge de Nofdrepary avant lequel on trouve, à la diftance d'une demie lieue, «ne grande Rivière qui avoit alors peu d'eau , parceque le tems des pluyes n'étoit pas encore arrivé dans ce Canton. Le 5 , après huit lieues de che- min , on palla la nuit au Village de Condecour. Le 6 , on marcha fept heu- res , pour arriver à Dakj'te. Le 7 , après avoir fait trois lieues , on traver- sa une Ville qui fe nomme Nelour, où les Pagodes font en grand nombre. Un quart de lieue plus loin, on pafla une grande Rivièié, après laquelle on 'fit encore fix lieues, jufqu'au Village de Gandaron. Le 8, on arriva par une marche de huit heures, à Serepelé, qui n'efl qu'un petit Village. Le 9, on fit neuf lieues, pour s'arrêter dans un fort bon Village, qui fe nomme Ponteri. Le lo, on marcha onze heures , & l'on pafla la nuit à Senepgond, tutre Village confidérable. Le jour fuivant, on arriva le foir à Paliacate^ qui n'efl: qu'à quatre lieues de Senepgond: mais on en fit plus d'une dans la Mer, où les chevaux a- voient, en plufieurs endroits , de l'eau jufqu'à la felle. Le véritable che- min efl: plus long de deux ou trois lieues. Paliacate efl: un Fort qui appar- tient aux Hollandois , & dans lequel ils tiennent leur Comptoir pour la Cô- . te de Coromandel ( g ). Ils y entretiennent une garnifon d'environ deux cen« hommes, qui , joint à plufieurs Marchands & a quelques Naturels du Pays, «n font une demeure aflez peuplée. L'ancienne Ville du même nom n'en cft féparée que par une grande place. Les bafliions font montés d'une fort bonne artillerie, & la Mer vient battre au pied. Mais c'efl; moins un Port qu'une fimple Plage. Tavernier féjourna dans la Ville jufqu'au lende- main au foir ; & le Gouverneur , qui fe nommoit Pit , ne fouifrit point qu'il eût d'autre table que la fienne. Il lui fit faire trois fois, avec une con- fiance affeftée , le tour du Foi c fur les murailles , où l'on pouvoit fe pro- mener facilement. I .. manière dont les Habitans de Paliacate vont pren- dre l'eau qu'ils boivent, efl; aflfez remarquable. Ils attendent que la Mer foit retirée, pour aller faire fur le rivage, des ouvertures, d'où ils tirent de l'eau douce qui efl: excellente. ]} Le 1 2 , l'Auteur partit de Paliacate ; & le lendemain , vers dix heures du inatin , il entra dans Madra/patan^ ou Madras , Fort Anglois, qui porte auflTi le nom de Saint-Georges y &(\\iï commençoit alors à fe peupler. Il s'y logea dans k Couvent des Capucins , où le Père Ephraïm de Nevers & le Père Zenon de Baugé pnïiloient paifiblement de laproteftion du Gouverneur (A). Saint- Thomé Confrère & de fon Ami, de fe faire l'in- Itrument de fa liberté, en fe faififlant du Gouverneur Portugiis de Saint-Tliomé , qu'il retint quelque tems pnTonnier au Couvent de Madras, après avoir fait déclarera l'inqui» fition , que ce Gouverneur recevroit le même traitement que le Père Ephraïm. Tavernier raconte cette avanture, au Tom. II. pag. 129 & fuivantes. tu {g) Ibid. p^g. ly^.Nagapatnam eft aujour- d'hui Itur principal Comptoir. R. d, E. (b) Ces deux Capucins s'étoient rendus célèbres dans les Indes; le premier pour a- foir été enlevé par les Portugais de Saint- Thomé, (jui lavoient livré à l'Inquifition de Coa, d'oui! n'étoit forti que par la faveur du Roi de Goikonde. qui avoit armé toutes fcs forces pour le délivrer: l'autre, pour a- iroir entrepris, pendant la prifon de fon TAV''l«^MKt. 1652. Nofdre,»ar. Condecour. Dakije. Nclour. Gandaron. Serepelé. Ponters. Senepgond. Paliacate. Madras. S. Thomé., D 2 28 VOYAGES DANS LA Tavbrnier. 1652. Serravaron. Oudecoc. Haine & co.iibats des Singes du Pays. NaraveroD. Thomê n'étant qu'à une aemit; lieue de Mauras, Tavernier vifita cette Vil- le, dont k'S Poruigais étoient encore en poilelîîon (/). Aaai> leurs civili- tés ne purent l'empêcher de retourner le foir parmi L-s Anglois, av.c Icf. qujls il irouvoit plus d'amufement. Ils l'arrerércnL jufqu'au 22, qu'étant parti le matin , il fit lix lieues pour aller pafler la nuit dans un gros Villa* ge qui fe nomme Serravaron. Le 23, il la palTa dans le Bourg d'Oudecot , après avoir rraverfé, pen» dant fept lieut;s, un Pays plat & Ikbioneux, où l'on ne voit de toucs parts que des forets de bambous, d'une hauteur égale à nos plus hautes futay es. Il s'en trouve de fi épailFes, quelles font inaccellibles aux hommes: mais elles font peuplées d'une prodigieufe quantité de linges. On avoit raconté, à Tavernier, que les finges qui habitent un côté du chemin étoient ii mor- tels ennemis de ceux qui occupent les forets du côté oppo!e, que fi le ha« fard en fait pafler un d'un côté à l'autre, il eft étranglé fur le champ. Le Gouverneur de Paliacate lui avoit parlé du plaifir qu il avoit eu à les voir combattre, & lui avoit appris comment on fe procure ce fpeftacle. Ceux qui veulent être témoins d'un combat de finges, font mettre, dans le chemin, cinq ou fix corbeilles de riz, éloignées de quarante ou cinquan- te pas l'une de l'autre ; & , près de chaque corbeille , cinq ou fix bâtons de deux pieds de long & de la grofllsur d'un pouce. On fe retire enlui- te un peu plus loin. Bien - tôt , on voit les finges defcendre des deux côtes, du fommet des bambous, & fortir du bois pour s'approcher des corbeilles. Ils font d'abord près d'une demie heure à fe montrer les dents. Tantôt ils avancent , tantôt ils reculent , comme s'ils appréhen- doient d'en venir au choc. Enfin les femelles , qui font plus hardies que les mâles, fur-tout celles qui ont des petits, qu'elles portent entre leurs bras comme une femme porte fon enfant, s'approchent d'une proye qui les ten- te, & mettent la tête dans les corbeilles. Alors, les mâles du parti oppo- fé fondent fur elles , & les mordent fans ménagement. Ceux de l'autre cô- té s'avancent aufli , pour foûtenir leurs femelles ; & la mêlée devenant fu- rieufe, ils prennent les bâtons qu'ils trouvent prés des corbeilles, avec lef- quels ils commencent un rude combat. Les plus foibles font forcés de cé- der. Ils fe retirent dans les bois, eftropiés de quelque membre, ou la tête fendue; tandis que les vainqueurs, demeurant maîtres du champ de batail- le, mangent avidement le riz. Cependant, lorfqu'ils font à demi raila- fiés, ils fouflFrent que les femelles du parti contraire viennent manger avec eux. Dans tout ce Canton, le chemin efl; fermé , de lieue en lieue , par des portes & des barricades où l'on fait une garde continuelle, avec la précau- tion de demander aux FalTans, où ils vont & d'où ils viennent; de -forte qu'un Voyageur y peut marcher fans crainte & porter fon or à la main. L'abondance n'y règne pas moins que la fureté; & l'on y trouve, à chaque pas, l'occafion d'acheter du riz. Le 24, on fit neuf lieues, par un chemin tel que celui du jour précé- dent , & l'on arriva le foir à Naravemn. Le 25 , après huit heures de mar- che , dans un Pays où les portes & les gardes ne fe trouvent plus que de deujL (i) Ils en font encore aujourd'hui en poITelfion. R» d. E« 1 1' r \ • vifita cette Viî. Viai> leurs civili- iglois, av.c lef. 'au 22 , qu'éiant us un gros Villa» îr traverfé, pen- it de toU'cs parcs is hautes futay es. (i hommes: mais )n avoit raconté , n étoient lî mor- ^^!e, que fi le ha» p le champ. Le ;oit eu à les voir fpeftacle. Ceux mettre, dans le mte ou cinquan- nq ou fix bâtons ti le retire enfui- rendre des deux s'approcher des fe montrer les e s'ils appréhen- plus hardies que t entre leurs bras poye qui les ten- du parti oppo- ux de l'autre cô- ée devenant fu- eilles , avec lef- nt forcés de ce- nbre, ou la tête lamp de bâtai 1- à demi ralfa- nt manger avec lieue , par des avec la précau- nent; de -forte or à la main. )uve, à chaque du jour précé- heures de mar- înt plus que de deus. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 2j> 'deux en deux lieues, on pafla la nuit à Gazel. Le 26, la journée fut de «euf lieues. Courvn, où l'on arriva le foir, n'offre aucun foulagement pour les hommes , m pour les animaux. C'eft une Pagode alfez célèbre , mais »ù la flénlité du Pays ne permet pas d'exercer l'hofpitalité pour les étran- ;ers. L'Auteur y vit palier quelques Compagnies de gens de guerre, ar- lées de demi-picques & d'arquebufes , qui alioient joindre un des princi- paux Capitaines de l'Armée de Mirgimola, fur une éminence voifine où il fivoit fait drefler fa tente. Il fe crut obligé à quelques civilités pour cet Plficier; «St s'étant rendu au Camp, où il le trouva fous fa tente avec les principaux Seigneurs du Pays, il lui fit préfent, après l'avoir falué, d'une paire de pillolets de poche, garnis d'argenc, «Se de deux aunes de drap couleur de feu. Cette libéralité valut le foir, àTavernier, une a- ;bondance de vivres , qui l'empêchèrent de fentir les incommodités de fon Wement. Le Capitaine Indien, ayant appris qu'il étoit en chemin pour ^: rendre au Camp du Général, lui donna une autre marque de confidéra- tibn, en l'invitant, pour le lendemain , à la chafle des éléphans, dont il feifoit fon exercice ordinaire, avec trois ou quatre mille Soldats qu'il com- roandoit dans la Province. Tavernier s'excufa fur fes affaires , qui le pref- Ibient de parcir. Mais à l'occafion de quelques éléphans qui étoient échap- |f*'j aux Chaflfeurs, il apprit une propriété de ces animaux qui lui parut fort étrange, & qu'il regréta de n'avoit pCi vérifier par fes yeux: c'efl; qu'en for- ,6Lnt du piège, ils rentrent dans les bois avec une défiance qui leur fait ar- jacher, avec leur trompe, une grofle branche d'arbre, dont ils fondent Jl^ terre avant que d'y mettre le pied, pour découvrir les folfes couvertes, i0k ils craignent de tomber une féconde fois (k). r «Le 27, Tavernier s'étant remis en marche, fit fix lieues pour arriver à Ragiapeta. Le 28, une marche de huit lieues le conduilit à Oudecour. Le jip, il employa neuf heures pour fe rendre à Outenieda, gros Bourg, où Ton voit une des plus grandes l^agodes de toutes les Indes , bâtie de belles -pierres de taille, avec trois tours qui font chargées de figures diflTormes. Cet édifice efl environné d'un grand nombre de petites chambres, pour le i©gjment des Prêtres. A cinq cens pas, on trouve un grand Etang, dont :iks bords offrent pluliers petites Pagodes , de huit ou dix pieds en quarré ; •I& dans chacune, quelque Idole aaflfreule figure, avec un Bramine, qui igmpeciie les étrangers d'une autre Religion que la fienne, de venir fe lav^r «^ puifer de l'eau dans l'Etang. Ces Prêtres ne font pas difficulté de décla- •IPer, que fi ce malheur arrivoit, ils feroient obliges d'en faire écouler l'eau ;|ipur le purifier. Mais ils ne font pas les mêmes exceptions dans leurs au- iliiônes; & tous les PaflTans, de queKjue loi qu'ils fafient profelfion, font traités dans la Pagode avec beaucoup de charité. On trouve, fur ces che- mins , quantité de femmes , qui tiennent coitinuellemcnt uu feu prêt , pour allumer le tabac aux Voyageurs, & qui en donnent même à ceux qui en .manquent. D'autres leur (^tfrent du nz cuit, & du (^tuheri, qui elt une graine afiez femblable au chenevi. D'autres leur preLntent de l'eau de fè- ',Ves, parceqii'on prétend qu'elle ne peui caufer de pleuréiie à ceux que la TAvr.fiNir.R. 1652. Gaz.l. Courva. Rencontre d'un Oîhcier de Mii(iiuiO- la. Propriété dos cc^inans. Ragiapeta. Oudecour. Outeineda & fa Piigude» Charités fîngulièrcs dtsBrauiine»» ik) Ibid. pag. 158 & précédentes. D que mar- / ■\ t^ VOYAGES DANS LA Tavernier. 1(55 2. Comment les chevaux font nourris dans cette Contrée. Goulupalé. Gogeron. Gandicoc & fin de fon Siège. • Situation de cette Pla- ce. marche a trop échauffes. Ces femmes s'engagent, par vœu, à faire cette charité aux FalTans , pendant plulieurs années, fuivant letat de leur fortu. ne. On envoie d'autres, fur le chemin & dans les prairies, derrière les chevaux , les bœufs & les vaches, qui ont fait vœu de ne manger que ce qu'elles trouvent dans la fiente mal digérée de ces animaux. Comme le Pays ell: fans orge & fans avoine, on donne pour nourriture aux beftiaux une •forte de pois, gros & cornus, qu'on ecrafe encre deux petites meules, & qu'on laifle enfuite tremper , parceque leur dureté en rend la digeftion fort lente. On donne de ces pois aux chevaux tous les foirs ; & le matin on leur fait avaller environ deux livres de gros fucre noir, pétri, avec autant de farine & une livre de beurre, en petites boules qu'on leur poufle dans le gozier; après quoi, on leur lave foigneufement la bouche, parcequ'ils ont de l'averfîon pour cette nourriture. Pendant le jour, on ne leur donne que certaines herbes des champs , qu'on arrache avec les racines , & qu'on prend foin de laver aulfi , afin qu'il n'y relie point de terre ou de fa- ble (/). Le 30, Tavernier fit huit lieues jufqu'à Goulupalé; & neuf, le 31, juf- qu'à Gogeron. 11 n'en reftoit que fix jufqu'à Gandicot, où il arriva heureu- fement le i de Septembre. Il n'y avoit pas plus de huit jours que le Nabab (m) s'étoit rendu maî- tre de cette Ville , après un Siège de trois mois , dont il n'auroit pas vu fi- tôt la fin , fans le fecours de quelques François , à qui divers fujets de mé- contentement avoient fait quitter le fervice de la Compagnie de Hollande. Il avoit auili quelques Canonniers , Anglois , Hollandois, & Italiens, qui a- voient avancé le fuccès de cette expédition. Gandicot ell une des plus for- tes Places du Pays de Carnatica. Sa fituation ell fur la pointe d'une haute montagne, oiî l'on ne peut arriver que par un chemin fort difficile, qui n'a, dans quelques endroits , que fept ou huit pieds de large. Il ell pratiqué dans la montagne, & bordé, fur la droite, d'un effroyable précipice, au- bas duquel palîe une grande Rivière. Sur la montagne, on trouve, au Mi- di, une petite plaine, longue d'une demie lieue, fur un quart de large. Elle ell arrofée de plusieurs petites fources , & femée de riz & de millet. Plus haut, c'ell-à-dire , au fommet de la montagne, la Ville ell bâtie fur une pointe , d'où l'on ne découvre fous fes pieds que des précipices , & deux Rivières qui coulent en bas. Ainfi , l'on n'y entre que par une feule porte , du côté de la petite plaine ; & cette porte ell fortifiée de trois murs xie pierre de taille, avec des fofles à fond de cuve, revêtus de la même pierre : de-forte que les Aflîégés n'avoient eu à défendre qu'un efpace de quatre ou cinq cens pas. Toute leur arcillerie confitloit en deux pièces de canon de fer, l'une de douze livres de balle, l'autre de fept; la première placée fur la porte ; l'autre fur la pointe d'une efpèce de ballion. Le Na- bab avoit perdu beaucoup de monde par diverfes forties , & n'auroit pas furmonté les obllacles de la Nature , li fes Européens n'eulfent trouvé l'art de faire monter du canon dans un lieu fi eJcarpé. Il leur avoit promis quatre mois de paye, au-deflus de leurs appointemens ordinaires. Cette efpé- (,1) Ibid. pag. i62» (m) Titre Indien de Mirgimola. .j»**^' !u, à faire cette it de leur for tu. es , derrière les e manger que ce Comme le Pays LUX bediaux une tites meules , & la digeflion fort ; & le matin on tri, avec autant ur poufle dans le , parcequ*ils ont n ne leur donne 'acineS) & qu'on terre ou de fa- leuf, le 31, juf- il arriva heureu- étoit rendu maî- 'auroit pas vu fi- ers fiijets de mé- ;nie de Hollande. i Italiens , qui a- une des plus for- inte d'une haute difficile, qui n'a. Il efl: pratiqué précipice, au- trouve, au Mi- quart de large, riz & de millet, ille efl: bâtie fur s précipices, & ue par une feule iée de trois murs tus de la même qu'un efpace de deux pièces de 3t; la première aftion. Le Na- & n'auroit pas fent trouvé l'art ur avoit promis dinaires. Cette efpé- PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 31 Tavcrnicr y tronvf un muer François. II efl hfea reçu du Na- bab. efpérance les avoit excités fi vivement, qu'après en avoir fait monter qua- Tavernier tre pièces, ils avoient eu l'adrelfe de donner dans celle que les Alliégcs a- 1 6 j 2. voient fur la porte & de la mettre hors d'état de fervir; ce qui avoit re- luit aulfi-tôt la Place à capituler (n). ■if Ta VERNI ER trouva toute YArmée du Nabab campée au pied de la ilontagne. Quelques Anglois, qui le virent arriver , l'ayant reconnu pour {.gjio" un Européen, l'obligèrent civilement de pafltr la nuit avec eux. Mais il ^ — fkc recule lendemain, dans la Ville, par un Canonnier François, nommé Claude Maillé y que le Nabab employoit à fondre quelques pièces de canon Si'il vouloit y laiifer. Cet Artifte , qu'il avoit vu Jardinier au fervice des ollandois , lui procura toutes fortes de commodités , & le conduifit aux tentes deMirgimola, qui étoient dreflees fur le haut de la montagne , dans la Ta- (n) Ibid. pag. 164. (0) Cet A>?anturier Franco:» étolt de Bourges. ïl s't'toît enrôlé, i Amderdam , pour ks Indes. Le Général de Batavia lui Tavernier. 1652. Obferva- tions del'AU' tour dans la tente du Na- bab. Couriers des Indes. Prompte juftice du Na- bail» 5a VOYAGES DANS LA Tavernier, fedifpofant à partir pour Golkonde, fe rendit le 15, au matin , à la tente du Nabab. Sa curiolité n'y manqua pas d'exercice. Ce Général etoit allis, les jambes croirées& les pieds nuds ,avcc deux Sécrétai- rcs près de lui. Cette pofture n'eut rien de furprenant pour l'Auteur, parce- qu'elle ell commune en Orient; non plus que la nudité des jambes & des pieds, parceque c'efl Tufage des plus grands Seigneurs de Golkonde , fur- tout dans leurs appartemens , où l'on ne marche que fur de riches tapis. Mais il obferva que le Nabab avoit tous les entre-deux des doigts des pieds, pleins de lettres , & qu'il en avoit aulTi quantité entre les doigts de la main gauche. Il en tiroit, tantôt de fa main , tantôt de fes pieds , pour en diéler les réponfes à fes deux Secrétaires. Lui-même, il en faifoit quel- ques-un js. Lorfque les Secrétaires avoient achevé d'écrire, il leur faifoit lire leur lettre. Enfuite, il y appliquoit fon cachet de fa propre main; àc c'étoit lui-même aufli , qui les donnoit aux Meflagers qui dévoient les por- ter. Aux Indes , fuivant la remarcue de l'Auteur , toutes les lettres que les Rois, les Généraux d'Armée ^ les Gouverneurs de Province, envoyent par des gens de pied , arrivent beaucoup plus vîte que par d'autres voyes. On rencontre , de deux en deux lieues , de petites cabanes où demeurent conftamment deux ou trois hommes gagés pour courir. Le Meflager , qui arrive hors d'haleine, jette fa lettre à l'entrée (/>). Un des autres la ra- mafle, & fe met à courir auflitôt. Ajoutez qu'aux Indes la plupart des chemins font comme des allées d'arbres , & que ceux qui font fans ar- bres ont de cinq en cinq cens pas de petits monceaux de pierre , que les Habitans des Villages voiiins font obligés de blanchir , afin que dans les nuits obfcures Si pluvieufes, ces Couriers pir'^ent diftinguer leur route (q). Pendant que Tuvernicr étoit dans la tente, on vint avertir le Nabab qu'on avoit amené quatre Criminels à fa porte. L'ufage du Pays ne per- met pas de les garder long-tems en prifon. La fentence fuit de près la con- viélion du crime. Mirgimola, fans rien répondre, continua d'écrire & de faire écrire fes Secrétaires. Enfuite, il ordonna tout d'un coup qu'on lui amenât les Criminels. Après les avoir interrogés févèrement, & leur avoir fait confefler de bouche le crime dont ils étoient accufés , il reprit fes oc- cupations. Plufieurs Officiers de fon Armée, qui entroient dans la tente, s'approchoient refpeélueufement pour lui faire leur cour. 11 ne répondoit, à leur falucâtion, que par un ligne de tête. Enfin, ce illence ayant duré prés reconnoiffant de l'adrefTe, le retînt à fon fcrvice particulier, pour faire quelques grot- tes & quelques icts d'eau dans fon jardin. Maillé, peu content de cet emploi, rrouva le moyen de fe mettreâ la fuite d'un Hollan- dois, nommé S'îfMf, qui fut envoyé de Ba- tavia, au Nabab, pendant le Siège de Gan- dicot. Steur ayant achevé fes affaires. Maillé, qui le favoit prêt à partir, enleva l'étui & les onguens de fon Cnirurgien , & fe cacha pour éviter les lecheiches. Eo vain Steur demeura quelques Jours de plus au C^mp de Gandicot. Anrès fon départ. Mail- lé fo mit au fervice du Nabab , en qualité de Chirurgien. Knfuite, s'étant vanté d'être bon Canonnier & bon Fondeur, il fut em- ployé à ces deux titres. Mais fon principal talent étojt l'effronterie. Pag. 166. (p) Ils tiennent pour mauvais augure de donner les lettres de main à main. R. d. E. (j[) Ibid, pag. 168. pre des lan cou fini tre être quel une ^ ..ij^^ "ÎMI •\ ; rendit le 15, au d'exercice. Ce : deux Sécrétai- l'Auteur, parce- 5 jambes & des joikonde , fur- de riches tapis, loigts des pieds, )igts de la main )ieds , pour en en faifoit quel- :, il leur faifoit ropre main; & evoient les por- s les lettres que ince, envoyent d'autres voyes. s où demeurent : Meflager , qui les autres la ra- is la plupart des ui font fans ar- le pierre , que chir , afin que ; diflinguer leur vertir le Nabab u Pays ne per- de près la con- |ua d'écrire & de coup qu'on lui t, oc leur avoir .1 reprit {t% oc- dans la tente, |1 ne répondoit, ice ayant duré prés I jours de plus au fon départ, Mail- 3ab, en qualité de étant vanté d'êtie ideur, il fut em- lais fon principal ^ag. i66. mauvais augure de à main. R. d. Ë. PRESQiriSLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 33 près d'une heure, il leva brufquement la tête, pour prononcer la fentence des quacrc Criminels. L'un étoit entré dans une maifon , où il avoit tué la mère& fes trois enfaiis: fon fupplice fut d'avoir les pieds & les mains coupés, &. d'être jette dans un champ proche du grand chemin , pour y finir fes jours. Un autre avoit volé fur le grand chemin : il eut le ven- 8e ouvert. On coupa la tête aux deux autres; mais Tavernier ne put ;re bien informé de leur crime (r). Pendant l'exécution , qui fe fit à «lelques pas de la tente, on apporta le dîner; & Mirgimola fit encore ime fois l'honneur , à Tavernier , de le faire^ manger avec lui. Enfuite , ayant répété ce qu'il lui avoit promis pour Golkonde, il commanda feize Cavaliers , pour le conduire à treize lieues de Gandicot , jufqu'au bord d'une Rivière que perfonne ne paflbit fans une permiifion de fa main , dans la crainte que fes Troupes n'abufaflent de la liberté du paflage pour ft^déban.ler. jHL'Au TEUR partit le 16, avec fon efcorte & la plupart des Canonniers Européens , qui le cunduiiirent jufqu'à Cotepali. Cette journée fut de fept Ueaes. Le 17, il n'en fit que fix pour fe rendre à Coteen , Village au-delà delà Rivière. Sa reconnoi fiance pour les feize Cavaliers lui fit offrir, à leqr Chef, quelques roupies , qu'il eut la générofité de refufer. Il obferve qoe les Baieaux, qui fervent à palfer cette Rivière, font de grands manne- quins d'ozier, couveri.s de peaux de bœuf, au fond defquels on jette quel- ques fafcines, qu'on couvre d'un tapis, pour y placer le bagage & lesmar- chandiles. On fait palfer les voitures , en les liant par le timon & par les roues entre deux de ces mannequins. Les chevaux palTent à la nage , chaf- fés à coup de fouet , tandis qu'un homme du mannequin les tient par la bride. Les bœufs, qui font les bètes de charge du Pays, fe laiflent pouf- fer dans la Rivière , après avoir été déchargés , & pafïent d'eux-mêmes à l'autre bord. Chaque mannequin eft conduit par quatre hommes, qui font debout, chacun dans un coin, & qui rament avec des pelles. Si leurs mouvemens ne font pas julles, le mannequin fait trois ou quatre tours en roiid, & ne manque point d'être entraîné par le cours de feau, qui le fait ddccndre beaucoup plus bas qu'il ne devoit aborder (j). î'Le 18, après une marche de cinq heures, Tavernier paflalanuit kMort' «Ml/. Le 19, il fit neuf lieues pour fe rendre à Santefela. La journée du 2è, fut encore de neuf lieues, jufqu'à Goremeda. Le 2i, Çix heures de iàirche le firent arriver à Kaman^ Ville frontière du Royaume de Golkon- de» avant que le Nabab eut conquis celui de Carnatica. Le 22, il fit fept lieues jufqu'au Bourg à'EmeUpata, Il avoit rencontré, sms la moitié du chemin , une procelVion d'environ quatre mille perfonnes, qui conduifoient une vingtaine de pallekis , fur chacun defquels on voyoit une Idole. Toutes ces voitures étoient ornées de brocard d'or, & de ve- lours à franges d'or & d'argent. Quelques-unes étoient portées par quatre hommes ; d'autres par huit, ou par douze, fuivant la grandeur & le poids des Idoles.^ Des deux côtés de chaque pallekis , un liomme , avec un grand éventail d'environ cinq pieds de diamètre , compofi de plumes d'autruches ^ & r (♦") I'^'' Canapour à Parkel. Un , de Païkrl à Cakenol. Trois, de Cakenol à Ca- not Candanor Un , de Canol Cwiidanor à Secapnur DlUx, de Setapour à la Rivière qui répare les litats de Golkonde & de Vi- fapoiir. Trois quarts, de la Rivière à Al- pour. Un quart , d'Aîpour à Canal. Deux gos &demi, de Canal à Raolkonda. En tout dix -fept gos, qui font foixante -huit lieues de France. (ff) L'Auteur compte, dans fa route, trois gos & demi, de Goikonde à Almafpin- de; deux gos, d'Almafpinde à Kaper; deux gos & demi, de Kaper à Montecotir; deux, de iVlontecour à Naglepar; un gos & demi, de Naglepar à Eligada; un, d'È'igada à Sar- varon; un, de Sarvaron à Mellajerou; un & demi, de Meilaferou à Pononcour. De Po- noncour à Coulour, où e(t la JVline, il ne refte que la Rivière à pafTer. Ce Voyage, fuivant le calcul de l'Auteur, revient à cin- quante-cinq lieues. :A1 4 ;s preuves, qiu rompté par Ion roit qu'on n'en parurent fi le- ent de la Jufti- ,ns , qui efl: dans Elle eft proche iverfce en rêve- arte de croiflant l entre le Bourg :he , en s'appro- ; mais fi l'on re- jufqu'à foixante vail. On lui ra- s , par un pau- u rnillet, avoit rats. La forme de, où les Né- joids, parceque £ dix à douze ca- i répandre, plu- ouvrir la terre ; pierres. Il s'en its ; & quelque- ignage de l'Au- arlc, fit préfent qui pefoit neuf s grandes pier- ent de la qualité ur le noir. S'il endroits, tan- tôt dans fa route, llkonde à Almafpin- |nde à Kaper ; deux Montecottr; deux, ; un gos & demi, |n, d'EHgada à Sar- Mdlajerou; un & ^ononcour. De Po- ilt la Mine, il ne (Ter. Ce Voyage, L'ur , revient à cin- PRESQU7SLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. IIL 41 tôt fiir le verd, ou tantôt Air le jaune. Il paroît toujours, fur leur furfa- ce , une forte de graifl'e , qui oblige de porter fans cefle la main au mou- choir pour l'efliiyer. A l'égard de leur eau , l'Auteur obferve qu'au - lieu qu'en Europe nous )us fervons du jour pour examiner les pierres brutes , les Indiens fe fer- lent de la nuit. Ils mettent, dans un trou qu'ils font à quelque mur, de grandeur d'un pied quarré , une lampe avec une grofTe mèche , à la clar- i|ë de laquelle ils jugent de l'eau & de la netteté de la pierre, qu'ils tien- Éent entre leurs doigts. L'eau , que l'on nomme célejîe , efl: la pire de loutes. Il efl: impofiible de la reconnoître , tandis que la pierre eft brute. Mais pour peu qu'elle foit découverte fur le moulin , le fecret infaillible pour bien juger de fon eau eft de la porter fous un arbre touflu. L'ombre de la Vjft'du''^ f^i"^ découvrir facilement fi elle efl: bleue. ïM)n cherche les pierres, dans cette Mine, par des méthodes qui refl^em- Ipent peu à celles de Raolkonda. Après avoir reconnu la place où l'on vient travailler, les Mineurs applaniflent une autre" place, à-peu-prés de la même étendue, qu'ils environnent d'un mur d'environ deux pieds de haut. A|^pied de ce petit mur, ils font de petites ouvertures pour l'écoulement -^3 eau, & les tiennent fermées jufqu'au moment où l'eau doit s'écouler. ks , tous les Ouvriers s'aflemblent , hommes , femmes & enfans , avec le ||ître qui les employé , accompagné de fes parens & de fes amis. 11 ap- "rte avec lui quelque Idole, qu'on met debout iur la terre, & devant lelle chacun fe profterne trois fois. Un Prêtre qui fait la prière pen- \t cette cérémonie , leur fait à tous une marque fur le front , avec une COBipofition de falFran & de gomme ; efpèce de colle , qui retient fept ou huit grains de riz qu'il applique deflus. Enfuite, s'étant lavé le corps, avec de l'eau que chacun apporte dans un vafe; ils fe rangent en fort bon ordre, pour manger ce qui leur eft préfenté, dans un feftin que le Maître leur fait an commencement du travail. Après ce repas, chacun commence à travailler. Les hommes fouillent la terre. Les femmes & les enfans la portent dans l'enceinte qui fe trouve jlgjparée. On fouille jufqu'à dix , douze , & quatorze pieds de profondeur ; lïiÉls aufli-tôt qu'on rencontre J'eau , il ne refte plus d'efpérance. Toute lierre étant portée dans l'enceinte, on prend, avec des -cruches, l'eau qiâ demeure dans les trous qu'on a faits en fouillant. On la jette fur cet- M^erre, pour la détremper: après quoi, les trous font ouverts pour don- a^paflageà l'eau; & l'on continue d'en jetter d'autre par -deflus, afin ^lle entraîne le limon, & qu'il ne refte que le fable. On laifle fccher toilt au Soleil ; ce qui tarde peu dans un climat fi chaud. Tous les Mineurs onrdes paniers, à-peu-près de la forme d'un" van, dans lefquels ils mettent ce fable, pour lé fecouer , comme nous fecouons le bled. La poufllère a- cfaéve de fe difliper, & le gros eft remis fur le fond qui demeure dans Ten- ante. Après avoir vanné tout le fable, ils l'étendent, avec une manière # râteau , qui le rend fort uni. C'eft alors que fe mettant tous enfemble mcQ tond de fable , avec un gros pilon de bois, large d'un demi pied par Je bas, ils le battent, d'un bout à l'autre, de deux ou trois grands coups fi Ils donnent à chaque endroit. Ils le remettent enfuite dans les paniers ; XIIL Pan, p ^ jJ5 TAVERWIEt. 1652. du Méthode travail. 42 VOYAGES DANS LA Tavbrnie». 1652. Voyage à la iWinc deDia- nuns de Ben- gale. Ilaiabas. Binarous. Saferon. Rodas , forte Place. ils le vannent encore; ils recommencent à l'étendre; & ne fe fervant pîm que de leurs mains, ils cherchent les Diamans , en prelfant cette poudre, dans laquelle ils ne manquent point de les fentir. Anciennement , au-lieu d'un pilon de bois pour battre la terre, ils la battoient avec des cailloux, & de-là venoient tant de glaces dans les pierres. Depuis trente ou quarante ans, on avoit découvert une autre Mine, entre Coulour & Raolkonda. On y trouvoit des pierres , qui avoient l'é- corce verte, belle, tranfparente , & qui paroilToient même plus belles que les autres; mais elles fe mettoient en morceaux lorfqu on commençoit à les cgrifer ; ou du moins elles ne pouvoient réliller fur la roue. Le Roi de Golkonde fit fermer la Mine (/). Pendant que Fremelïn & Breton préfidoient au Comptoir Anglois de Surate, un Juif , nommé Edouard F^rfi/m^ni, Marchand libre, c'efh- à-dire, fans dépendance d'aucune Compagnie , chercha l'occafion de s'aflbcier avec eux pour acheter une belle pierre de cette Mine. Elle étoit nette, & ne pefoit pas moins de quarante-deux carats. Le Juif devant pafTer en Eu- rope , les deux Anglois la mirent entre fes mains , pour la vendre & leur en tenir compte. Quelques Juifs lui en offrirent, à Livourne , jufqu'à vingt- cinq mille piaftres. 11 en vouloit trente mille. Mais ayant porté la pierre à Venile, pour la faire tailler, elle fe rompit en neuf morceaux fur la roue, quoiqu'elle eût été égriféefans aucune altération. L'Auteur même fut trompé à une de ces pierres; niais elle ne pefoit heureufement que deux carats {g), J.L luireftoità vifiter la Mine de Bengale, qui efl: la plus ancienne de toutes les Mines de Diamans. Ce Voyage doit trouver fa place ici , quoiqu'il ait été fait dans un autre tems. On donne indifféremment à cette Mine, le nom de Soumelpoury qui efl: un gros Bourg proche duquel on trouve des Diamans; ou celui de Gouel^ Rivière fabloneufe dans laquelle on les dé- couvre. Les terres que cette Rivière arrofe dépendent d'un Raja , qui étoit anciennement tributaire du Grand-Mogol , mais qui avoit pris occa- fion des guer^^s pour fecouer le joug. Tavernier , partant d'Agra , fit cent trente coffes jufqu'à la Ville iXHalabas^ trente-trois d'Halabas à Banarous^ & quatre de Banarous k Saferon. Depuis Agra jufqu'à Saferon, il n'avoit pas celTé de marcher au Levant; mais, de Saferon jufqu'à la Mine, on tourne au Midi, & l'on fait vingt-un cofiês pour arriver dans un gros Bourg qui appartient au Raja dont on a parlé. De ce Bourg , on en fait quatre, pour fe rendre k Rodas ^ une des plus fortes Places de l'Afie. Elle eft fitu£e fur une montagne , & revêtue de fix grands baftions , avec trois foliés pleins d'eau. La montagne n'efl acceffibleque par trois endroits; & par toutes fes faces elle efl environnée de précipices, la plupart couverts de bois, Au fommet , on trouve une plaine d'une demie lieue , dans laquelle on fé- me du bled & du riz , & qui efl: arrofée de plus de vingt fources. Les Rajas faifoient leur féjour ordinaire dans cette Forterefle , avec une garni- fon de feptou huit cens hommes: mais elle appartient préfentement au Grand- (/) Ce fut apparemment à cette occafîon e(l queftion de la mâme Mine (i). fue vint l'ordre dont Methold a parlé, & {g) Pag. 281 & prtctiilentes. qu'il explique tout autrement; du moins s'il (1 ; Céioit cncoie une awie Mi»c Celle dont Tavctniei (ulc ici, iteit dans la rtorince de Cainailca. K. d. % ; ne fe fervant plaj fant cette poudre, ennement, au-lieu avec des cailloux, une autre Mine, , qui avoicnt l'é. :me plus belles que 1 commençoit à les l'oiie. Le Roi de nptoir Anglois de libre, c'ell-à-dire, 1 de s'aflbcier avec 2toit nette, & ne rant pafTer en Eu- la vendre & leur irnejjufqu'à vingt- ant porté la pierre rccaux fur la roue, r même fut trompé e deux carats (g). plus ancienne de place ici, quoiqu'il :nt à cette Mine, lel on trouve des iquelle on les de- nt d'un Raja , qui ii avoit pris occa< ;t d'Agra , fit cent ilabas à Banarous^ laferon, il n'avait [u'à la Mine, on ans un gros Bourg on en fait quatre, Elle eft fitii£s trois folTés pleins ; & par toutes ouverts de bois, ms laquelle on le- igt fources. Les avec une garni- préfentement au Grand- Mine (i). réilentes. Dce deCaiMtiM. ll>d.t le. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 43 Ibrand-Mogol, qui n'a dû cette importante Conquête qu'à l'adrefle d'un éc Tes Généraux (h). Tous les Rois des Indes, fucceirturs de lamerlan,^ Tavoient attaquée fans fuccés; & deux de ces Princes étoient morts , pen- inc le Siège , dans la Ville de Saferon. -De Rodas , on compte trente cofles jufqu'à Soumelpour , oîr l'on com- mence à chercher le Diamant. C'efl un gros Bourg , dont les maifons ne int composées que de terre , & couvertes de branches de cocos. La rou- ^ eft dangereufe depuis Rodas. Elle n'offre que des bois , ordinairement templis de voleurs, qui favent que les Etrangers ne vont pas à la Mine ikns argenD, & qui les attendent pour les égorger. Le Raja fait fa ré- fidencj à deux cofles du Bourg, fur une belle colline, où il n'a point d'au- tre logement que fes tentes. La Rivière de Gouel , qui pafle au pied de C9|te colline , vient de hautes montagnes qui font éloignées d'environ cin- ^^jaumte coflbs au Midi , & va fe perdre dans le Gange. .C'est en remontant , que les recherches commencent. Lorfque le tems éçs grandes pluyes eft pafle , ce qui arrive ordinairement; au mois de Dé- cembre, on attend encore , pendant tout le mois de j^^avier, que la Ri- vière foit éclaircie, parcequ alors elle n'a pas plus de deux pieds d'eau en divers endroics, & qu'elle laifle toujours quantité de fable à découvert. lifers le commencement de Février, on voit fortir de Soumelpour, & d'un «Itre Bourg, qui eft vingt cofl'es plus haut, fur la même Rivière, fans Cljttnpter plufieurs petits Villages de la plaine, huit ou dix mille perfon- pes de tous les âges, qui ne refpirent que le travail. Les plus experts Ôonnoiflent, à la qualité du fable, s'il s'y trouve des Diamans. On en- iÉiùre ces lieux , de pieux , de fafcines & de terre , pour en tirer l'eau & lei mettre tout-à-fait à fec. Le fable qu'on y trouve, fans le chercher ja- tliais plus loin qu'à deux pieds de profondeur, eft porté fur une grande tolace qu'on a préparée au bord de la Rivière, & qui eft entourée, comme jRaolkonda, d'un petit mur, haut d'environ deux pieds. On y jette de Têtu , pour le purifier; & tout le refte de l'opération reflfemble à celle des ■ln^eurs de Golkonde. j^'est de cette Rivière que viennent toutes les belles pierres qu'on ap- pt^e Pointes naïves. Elles ont beaucoup de refl'emblance avec celles qu'on aomme Pierres di tonnerre. Mais il eft rare qu'on en trouve de grandes. Pendant plufieurs années , on avoit cefle de voir de ces pierres en Europe j <^ qui faifoit croire que la Mine s'étoit appauvrie. Les .guerres feules a- ♦oient interrompu le travail (f). Après \b) C'étoit le fameux MirgimoIa.R.d.E. 'i) L'Auteur joint, au récit de ces deux Voyages, une règle qu'il appelle importante, ft qu'il croit peu connue en Europe, pour connoître au jufte le prix & la valeur d'un IDiamant. II ne parle point, dit-il, des Dia- dÉans au-deffous de trois carats, dont le prix garde fi la forme eft bien ||ft affez connu. Mais de ce point jufqu'à fi la pierre eft de belle él :fent & audelà, il faut premièrement favoir n'eft pas de ces pierres Taveunies, 1652. SoUw^elpour. Tcms cîi l'on cherche les Diamans dans la Ri- vière. Méthode qu'on em- ployé. Pointe» naïves & leuf forme* s'il eft parfait; c'eft-à-dire, fi c'eft une pier- re épaifle, bien quarrée, & qui ait tous fes coins, fi elle eft d'une belle eau, blanche &vive, fans points & fans glaces. Si c'eft une pierre taillée à facettes, ce que d'ordi- naire on appelle une rofe, il faut prendre " ' ' '.n ronde ou orale, étendue, & fi elle . .. r I TN. • « Pss de ces pierres ramaffées. Une combien pefe le Diamant, & voir enfuite pierre de cette nature, pefant un carat, F 2 m 44 VOYAGES DANS I.A Tavernier. 1652. Tavernier ne peut ven- dre fes perles i Golkonde. Réponfe qu'il fait à un Eunuque. Apres avoir vifité les Mines de Golkonde, Tavernier n'ayant pas trouvé, dans le fils du Nabab, toute la proteftion que Ton père lui avoit fait efpérer , parceque ce jeune Seigneur n'étoit occupé que de fes plaiiîrs, eut recours à l'amitié de De Lange, qui lui offrit de parler en fa faveur au premier Médecin du Roi. Ce Chef de la médecine & de la chirurgie du Royaume étoit du Confeil d'Etat, & jouiflbit d'une grande diftinélion. Aulfi-tôt qu'il fut informé des affaires de l'Auteur, il le fit prier de fe rendre chez lui , & de lui faire voir fes perles. Il les admira beaucoup ; & les ayant fait remettre dans leurs petits facs , il pria Tavernierw d'y ap- pliquer fon cachet , avec promelfe de les montrer au Roi , qui prendroit la peine, après les avoir vues, d'y mettre auffi le fien. C'étoit , lui dit-il, une fage méthode de ce Prince , pour éviter toute occafion de fraude. Mais tous ces foins produifirent peu d'effet. Les perles furent agréables au Roi , qui les rendit foigneufement cachetées. On s'emprelfa d'en demander le prix à Tavernier. Il le mit fort haut. Un Eunuque , qui fe trouvoit prés de lui , & qui écrivoit les demandes & les réponfes , lui dit affez brufque- ment „ qu'il prenoit fans doute tous les Officiers de la Cour de Golkonde „ pour des gens fans jugement &; fans connoilfance , & qu'ils voyoient tous „ les jours mille chofes précieufes qu'on préfentoit au Roi. Tavernier „ reprocha, du même ton, à cet incivil Eunuque, d'entendre mieux le „ prix d'une jeune efçlave que celui d'un joyau; &faifant relferrer fes per- les, vaut cent cinquante livres ou plus. Il eft qjefl:ion de favoir combien vaut celle qui pefe douze carats. Multipliez douze par douze; vous aurez cent quarante -quatre. Enfuite multipliez encore cent quarante- quatre par cent cinquante , qui eu le prix de la pierre d'un c;irat , vous aurez vingt- &-un mille Hx cens livres. C'ed le prix du Diamant de douze carats. Mais ce n'eft pas affez de favoir le prix des Diamans parfaits. Il faut favoir auili le prix de ceux qui ne le font pas ,* ce qui fe fait par la même règle, en partant du prix, de la pierre d'un carat. L'Auteur fuppofe un Diamant de quinze carats , qui n'ed pas fiarfait, dont l'eau n'efl pas'bonne, & dont a pierre cd de mauvalfe forme, ou pleine de points & déglaces. Un tel Diamant, qui ne feroit que d'un carat, ne pourroit valoir que foixante livres, ou quatre-vingt, ou cent au plus , fuivant le degré de fa beauté. Il faut multiplier le poids du Dia- mant de quinze carats par quinze; puis multiplier encore le produit, par la valeur de la pierre d'un carat; & le produit fera le prix du Diamant imparfait de quinze carats. Sur le pied de cette règle, Tavernier donne le prix des deux plus grandes pier> tes taillées qui fuflent connues de fon tems; l'une dans l'Aile, qui appartenoit auGrand- ^ogol; l'autre en Europe, qui étoit au Grand Duc de Tofcane. Le Diamant du Grand-Mogol pefe, dit-il, 279 carats, jf. Il eft parfait, de bonne eau, de bonne forme , & n'a qu'une petite glace , qui eft dans l'arrête du tranchant d'en bas du tour de la pierre. Sans cette petite glace, il faudroit mettre le premier carat à 160 li- vres ; mais on ne le met, par cette raifon, qu'à 150. 11 revient par conféquent à la fomme de 11723278 livres, 14 fous & 3 liards ; c'eft-à-dire, onze millions fept cens vingt -trois mille deux cens foixante • dix- huit livres, quatorze fous & trois liards. S'il ne pefoit que 279 carats julte, il ne vau* droit que 11676150 livres. AInfi, les /? produifent 47128 livres, 14 fous & 3 liards. Le Diamant de Tofcane pefe 139 carats J. II eft net & de belle forme, taillé de tous les côtés à facettes. Mais comme l'eau ti- re un peu fur la couleur du citron, il ne faut mettre le premier carat qu'à 13:5 li- vres; & fur ce pied, le Diamant doit valoir 2608335, c'eft-à-dire, deux millions fix cens huit mille trois cens trente-cinq livres. En langage de Mineurs , le Diamant fe nomme Iri. En Turc , en Perfan , & en Arabe, on l'appelle v^imor. Dans toutes les langues de l'Europe, il n'a point d'autre nom que Diamant. Fag. 291 & précédeates. •■''lu r-H M M uer n'ayant pas ti père lui avoic e de res plaiiirs, en fa faveur au la chirurgie du nde diftinélion. 2 fit prier de fe mira beaucoup; avernier- d'y ap. qui prendroit la étoit, îui dit-il, de fraude. Mais gréables au Roi, en demander le fe trouvoit près lit aflez brufque- lur de Golkonde Is voyoient tous loi. Tavernier ;endre mieux le reflerrer fes per- », les, î. Le Diamant du il, 279 carats , jf. le eau, de bunnc |tice ^lace, qui efl; it d'en bas du tour petite glace, il er carat à 160 ii- par cette raifon, conréquent à la res, 14 fous & 3 millions fept cens cens foixante • dix- & trois liards. S'il julte, il ne vau- Âinfi, les /; fous & 3 liards. efe 139 carats J. ne , taillé de tous comme l'eau ti- du citron, il ne arat qu'à 135 li- iamant doit valoir eux millions (Ix trente-cinq livres. » le Diamant fe n Perfan, & en Dans toutes les point d'autre nom précédentes. es. rRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 45 • les, il fe retira fort picqué". Dès le lendemain, il partit de Golkonde, î^ec un Jouaillier François, nommé du Jardin, quil'avoit accompagné dans toutes fes courfes , & qui étoit aflbcié à fon Commerce. Ils prirent le ' ;min de Surate. Le Roi, qui n'avoit appris leur départ que deux jours tes , envoya cinq ou fix Cavaliers fur leurs traces , pour les prefler de re- )ir à la Cour. Mais ils écoient déjà au cinquième jour de leur marche, fur les terres du Grand- Mogol. Un de ces Cavaliers leur ayant ex- jué l'ordre du Roi , & le defir qu'il avoit d'acheter leurs perles , Ta- pnier, qui craignoit de nouvelles difficultés, s'excufa fur fes affaires, déclara n/ettement qu'elles ne lui permettoient pas de changer de réfo- ion (k). ) Pag 176 & précédentes. On ne as l'Auteur à Surate. Sa route n'eue e remarquable , & fes obfervations Commerce n'appartiennent point à ticle. Ses Voyages dans l'Ifle de Cey- lan & dans celle de Java, ne contiennent que des affaires perfonnelies, dont il n'y a rien à recueillir pour la connoilTance des lieux & des ufages. y sti\> J '.•^•-: e t;j; ' l\- TAVEnNIER. 1652. II quitte Golkonde pour fe rt-n- dre à Surace. Foyage de Nicolas de Graafy fur le Gange. E plufîeurs courfes , dont ce Voyageur Hollandois a publié difFérens Journaux (fl), on a déjà détaché fes obfervations fur Batavia, qui 'ont l'article le plus utile & le plus curieux (b). Son troifième Voyage nérite pas moins le rang qu'il va prendre dans ce Recueil. Mais tous JIjillLutres ne contiennent que des noms & des événemens mille fois répé- tiPl avec û peu d'ordre , & dans un flyle fi fec . qu'ils n'offrent pas plus i[fi^a|p:ément que d'utilité. Cependant le premier commence par un détail aJR^ inftr.uftif fur la difcipline des VaifTeaux Hollandois ^ qui peut fervir ici ij^^jktroduélion. J^^VANT le départ, on fait une revue générale des équipages, & chacun r^it d'avance deux mois de fes gages, quoiqu'ils ne commencent àcou- m toe du jour où l'on a paffé les Balifes (c), c'eft-à-dire, lorfqu'on a fait -"''lieue en Mer. De ce jour, la Compagnie efl obligée de fatisfaire à agement , & de laiffer aux engagés les deux mois de gages , foit que avigation foit continuée ou qu'elle foit fufpendue. Il arrive fouvent in eft forcé de rentrer dans le Port & de s'y arrêter long - tems , par illination des vents , qui ne cefTent point d'être contraires , par l'arrivée *'hyver , qui amène les glaces , ou par d'autres accidens. On congédie quefois une partie des équipages, pour éviter les fraix; mais les ga- qu'ils ont reçu pour deux mois , ne peuvent leur être ôtés. EUX ou trois jours après le départ, la Compagnie fait diflr."^aer, par lête, cinq fromages de Hollande. Tout l'équipage d'un Vaifîeau, à l'ex- .C0ption des Paffagers & de ceux qui font exempts du fervice, doit fe ren- - dre la) Imprimés à Arafterdam, chez Frede- fà Bernard, 1719, in- 12. jtb) Dans la Defcription de Batavia, au l:ome X. de ce Recueil. De Graaf. Introduc» TIOM. Ordre qui s'obferve dans les em- barquemens & fur les VailTeaux Hollandois. (c) Ce font des tonneaux qui flottent fur Vp.Tiu , pour marquer les fables à la fortie du Texel. De Graaf. Introdudion. 0 VOYAGES DANS LA dre fur letillac, pour être divifé en deux quartiers, qui fe nommoîent du tcms de deGraaf, le (Quartier da Prince j & celui du Comte Maurice. Oiî leur afligne leur département & leurs fondions. Les noms, écrits en deux colomnes, font affichés au màt d'artimon ou de poupe, avec l'ordre des emplois, le quartier de chacun , & l'heure de la garde, qui fe nomme le quart. Le quartier du Prince a le premier quart. Le fécond appartient à celui du Comte. C'eft le Prévôt du Vaifleau , qui appelle à cette fonftion, Elle dure quatre heures. On appelle au quart, près du grand mât, & le châtiment eft rigoureux pour ceux qui s'y prélentent dans l'y vrefle. Lei fables font d'une demie heure , & toujours expofés à la vue de l'équipage, Lorfque le premier efl; écoulé , on donne un coup de cloche ; deux coups, après l'écoulement du fécond ; & de fuite en augmentant, jufqu'au huitiè- me , qui achève les quatre heures. Alors , le fécond quartier vient rele- ver l'autre. Les Soldats qui vont aux Indes font exempts du quart fur le grand mât, Au retour, ils y font obligés comme les Matelots, s'ils ne fe rachètent de cette fatigue en payant quinze ou vingt rifdales. Lorfque les malades font en grand nombre fur un bord, on diltribue les plus fains, & le tour êi quart revient plus fouvent. La négligence , dans cette importante fonÊlioi-, eft punie de cent coups de corde. Celui qui manque de fe rendre foir ô matin à la prière, perd fa ration d'eau-de-vie ou de vin. La prière e.i fuivie du chant d'un Pfeaume ,* & la Compagnie fait préfent , pour ce pieuj exercice, à chaque perfonne de l'équipage , d'un livre de Pfeaumes en. lan- gue Hollandoife (d). Il eft défendu, fous peine d'un châtiment exemplaire, de fumer la nuit; parceque dans l'obfcurité le feu peut prendre aifément au branle d'un Ma- telot. Pendant le jour, on entretient, fur letillac, autour d'un poteau, dix ou douze brafles de mèche , dont les équipages fe fervent pour alluma leur pipe. On fait, chaque jour, trois repas; le premisr, après la prière du matin; & l'on y diftribue, à chaque Matelot, une petite mefure d'eau-de-vie, de la grandeur d'un verre commun. Le Samedi , chacun reçoit cinq livres à bilcuit, une petite mefure d'huile d'olive, deux petites mefures de vinaigre, & demie livre de beurre. C'efl: l'unique provifion qu'on accorde d'un Sa- medi à l'autre: mais , dans cet efpace, on donne, à trois repas, de la vianà & du lard. Cette viande, qui le plus fouvent eft fort falée, n'eft pas uns nourriture délicate , & diminue d'un tiers en cuifant. ' Pendant qu'on ef fur les Côtes de Hollande, on boit de la bière; ou plutôt, on en boitaul long-tems qu'elle dure. Enfuite, on reçoit, chaque jour, un pot d'eau qui fuffit ordinairement pour un homme. Mais lorf^u'on approche des In des , ou lorfqu'on eft commandé pour quelque Etablilfement éloigné , cet te portion diminue par degrés; & fouvent l'eau devient fi rare & fi né- ceflaire , qu'un Matelot perdroit plus volontiers cent florins que fa ra- tion (icontr'un autre, eft condamné à tenir la main contre le mâc, auquel l'attache en le perçant d'un couteau dans la chair des doigts ; ou même s la paume , fi le crime efl: confidérable. Enfuite , on lui lailTe le foin ■racher lui-même fa main du mât. Celui qui frappe un OlEcier r£ : fameux Fleuve, entjlepd'Oéto- ice de fa profef- d-Mogol à faire , ontre l'idolâtrie, lahométans, & e Prince envoya dres pour abolir erve que menan: :cmple eut plus pour établir ce- . i peut être corn- e Graaf en partit le inba, ou l'JJle de li dentés. ^■'^1 emJSit A M ^O V V^ li Zi ^ Car t" e R O Y A Cr3£E J}E /^*' ^>,> D E ^^^ ">*> '^ •i >>^ 4 r^ s o -E M JE E N G A L E . ^ Ji O V. MS ^e^r.^.lA.U'^AôUAr >>| Ina Mi*» 'l'ifc E RAGIAWEÎ?J^^ »>► ^î Roy. DE Je g UAL ^'> ^ ^* IR OY^^ D E ^ >P R tr R o JP^:\ r^ziÈ iTS u ri. ^ *H " -^»iU.^A^*yr JN A R V A R ^ >v"^'^. ^'ir ''"'''"^'^■' i^^tni;L/^ l n ^^^ ^ '^A*i^.Vi^^ I 3 '.^ \f.vv^/^, j'»''^=vi--; i i- . ' . '•à/mr 'i*. il.l» x i * "♦'-'-^DecM % m'* Tropique ~ de ilW Cancer R O Y^^ ^'^^.. %'=^^ V- r. ^'"5 iC^/^ K i^j: IM A L V A^/> ,X^.w Urrenttr r, » L^ A, ir je: r«4 1. L îv ^^' ^ > '>*M* ^ ( ." ''T,-i»-''i#'/ Ai# /i • .S?.. _ « J4 eckmi>0frj^ T^^j Mrrttuver ê ,.f gTf./ ^ A <^ ^.^ ^5 Li:Golfi:j)e B £ '.V-li-M-y Jircjf . n . NiEUWE KAAKTvak het KONINKR w Chumunt V^ î; "* K O T . ^ i*. * PJ^ COS As SAM .9 JilfAAR DE Bengale. -A^ ONINKRYK BENGALE ■1? Vi^^:fT^ ■ i; - » ■ r A'... / .-1 • " • 1 • t. ' * ti •V,- >% Ml - i> M »- -• » , , , . Jftr '^ • ^ • -# « »... — ^ .1» , r i| \( j» '•. Wia i , ^ *•' ^# . . vt -* («il ., <-. t* 4^ I «^ » "1 .•- » A '•I I l '^: l • « ' . • ^•v .rf» -i. ^ ''* ■>* ■ y. V «■■■■•nï»:. ^» ■ »• -: \:J .! • V tr _i?-^. ** iW !; 1 **■ - — •• .» . » 1^ • • • kt ^ *t ', i] •t -» * V Wb Tî < ^ t« Ir H *: W ^-1 **■ PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. HT. 49 )e 9 de Juin, pur l'ordre du Dircéleur, pour fc rendre au Comptoir f'c Caf- "* mbafar (m). Kn remontant le (îange, il pada devant plufieurs Bourgs, ■Is t|ue A'uu. , Trippina^ /hnboa^ Nedla^ Lallamatti &. Sedebat. Le 14, c- nt arrivé à Callambalar, il fut obligé, par un nouvel ordre, de remonter ju'à Pdina, pour travailler à la guérifon du Directeur Jacob Sandcnis,imi oit depuis long - tems accablé de maladies. Mais , comme Tes talcns ne bornoicnt point à la Chirurgie, on le chargea de lever les plans des Chii- aux, des Villes & des Palais les plus cpnfidérables cjui fe préfenteroient iptr fa route. Le Dircéleur de Caflambafar, pour favorifer cette entreprife m le traitant avec dillindion, lui fit équiper une iiarquc légère, dans la- quelle un drcllu, pour Ion logement, une tente fort commode. On lui don- na douze Rameurs, deux Valets, un Cuifinier, un Interprète; & pour E- crivain, un jeune homme de dix-huit ans, nommé Corneille f^an Oojtet h' f ^ qui devoit demeurer à Patna («). Ces préparatifs retardèrent fon départ jufqu'au 17 de Septembre. Les premiers jours de fa navigation ne lui offrirent que de médians Villa- ijes. Mais fes yeux furent plus fatisfaits en arrivant à Moxedabat (0) , Vil- e aflez grande, que le Commerce a fort embellie. Elle eft fans murailles; •SUflis on y voit une belle place, qui fert de Marché, avec des arcades foû- tenues pur des colomnes. La maifon du Gouverneur eft diftinguée par la bëtuté de fes édifices , & par un jardin fort agréable , au bord du petit Gènge , qui eft une branciie du grand. Moxedabat eft d'ailleurs une Ville bièçi peuplée, dont les Ilabitans font un grand Commerce de foye & de toutes fortes d'étoffes (/'). Les bords du Gange continuèrent d'offrir, à de Graaf, quelques Bourgs & plufieurs Villages, jufquà Ragi- Mohvl {q). Ville également confidéra- ble par fa grandeur & par l'abondancj de ^es marchandilès. En defcendanc fur la rive, il fut conduit à la Cour de Kappado Mofekm , qui avoit toujours marqué beaucoup d'affedlion pour les liollandois, & qui ne fit pas difficul- té de lui accorder la penniliîon qu'il demanda de deifiner la Ville, & le Pa- lais du Prince Cba-Suufa. De GnAAr, 1669. CommKïïon qu'il rtçoit fur le Uange. tejlquedes Mofquées pour les Mahométans, des Pagodes pour les Idolâ- tr^, un grand Marché fort bien bâti; & du côté du Gange, un beau Pa- lail avec un corps de logis pour les femmes. A l'extrémité de la Ville V«f8 la montagne , on voit les mazures de l'ancien Château, & les débris* de Cwi) Ou Cajfimahafar. Mr. Prevoft écrit toujours CaJDamhar. R, d. E. ,(fj) De Graaf , pag. 46. ^( 0) Ou Moxudabatb. K. d. E. IXP) Ibidem. (q) Les meilleures Relations HoIIandoi- fes nomment cette Ville Ragiamabol. R. d. E. (f ) 1/Auceur ne marqtit pas fur quelle ri- ve ( 1 ). On doit rcgréter aulD que dans un Voyage fi intérelfant il n'ait pas obfervé les diltances (2). fi) CVft fut la live occidemale. R. d. E. v/!^ ^ n"' '^P^'"' " ffloyeM* »»C»«e pH.iculièKquc nous avoni fait gtarci ponde Bengale. R.d.E. Aiil. rart. q Ville de MuXLdabJC. Defcription de R:igi- Mohol. \ STô VOYAGES DANS LA De Graaf. I 66g. De Graaf defline le Pa- lais de Cha- Soufa, frère du Grand- Mogol. Tardfns du Blême Palais. Pointe de Borregangel. Gingiparfaat. de l'ancienne Ville. C'ell à Ragi-Mohol qu'on rafîne l'argent de Bengale, & qu'on frappe les roupies. Les Hollandois ont obtenu la liberté d'y éta- blir un Comptoir, mais peu confidérable , derrière lequel font litués le Pa- lais & les Jardins du Prince Cha-Soufa , frère d' Aureng-Zeb , qui occupoit a- lors le Trône de l'indoullan; & plufieurs autres Edifices dont la plupart ont été ruinés par Ico guerres. De Graaf delîina le Palais du Prince dans toute fon étendue, c'efl-à-dire , avec fes Bàtimens & ^ts Jardins. On en donne la figure d'après lui (j). La forme générale du Jardin eft prcfqu'un quarré parfait. Deux des cô- tés donnent fur la Rivière, & les autres liir la Campagne. La longueur de chaque côté eft d'environ cinq cens pas. Tout 1 efpace eft entouré d'un grand mur, orné de plufieurs petites tours, d'une architefturc agréable, Il eft divifé en cinq grandes parties , par des murailles fort hautes & fort épaifles. Chaque partie a les Bàtimens, qui renferment diverfes cham- bres, avec des voûtes & des arcades d'un allez beau travail, les unes pcin- tes & dorées , les autres chargées de fculpture , toutes foûtenues par de groiVes colomnes rondes ou odlogones, dont les unes font de bois, & les autres de pierre ou de cuivre. Chaque Jardin particulier a fes fontaines, où l'eau coule par divers tuyaux , qui le croifent avec beaucoup d'art. El- les font de marbre & d'albâtre , ou de pierre bleue & blanche , & la plû- part ornées de figures d'animaux en marbre ou en bronze. En un mot, ce Jardin eft une des merveilles du Pays , & feroit admiré dans tout au- tre Ueu (t). Après avoir employé huit jours à vifiter la Ville & le Palais , de Graaf rentra dans fa Barque , qui le conduifît à la Pointe de Borregangel , ainfi nommée , parce qu'elle e.ft la première Pointe d'une montagne qui s'avance dans le grand Gange. Elle eft couverte d'arbres , au - deflbus defquels on trouve un petit Village , avec un Caravanferas pour les Voyageurs. Au-dessus de horregangel, f Auteur palTa devant plufieurs Villages, entre lefquels on lui fit diftinguer Gingiparfaat , renommé par la multitude de fes Forgerons & de fes Charpentiers. On y conftruit plufieurs fortes de Ba- (j) On place ici l'explication des ren- vois , qui chargeroient trop la figure. A. Bâtiment au mur de derrière, où font les pompes & le réfervoir, d'où l'eau coule pour les jets d'eau. B. Tour oftogone, fur laquelle le Prin- ce monte lorfqu'il fait combattre les élé- phans. C. Bain à trois tours, qui ne fertqu'à l'u- fage du Prince. D. Grandes falies avec leurs fontaines, joignant le mur du milieu. E. Salle du Sallatn, c'eft-à-dire, grande pièce où le Prince donne audience le matin. F. Appartement des femmes, qui elt du côté de la Ville & du Comptoir Hollan- dois. G. Grands efpaces plantL^s d'arbres., & ornés de cabinets répandus dans les interval- les. H. Grand vivier , où l'on defcend pai quatre dtgrés de pierre. 1. Réfervoirs d'où partent des tuyaux (ju; fe croifent, & portent l'eau dans toutes les parties du Jardin- K. Jardin du milieu, qui cil plus haut de dix pitds que les autres, voûté par-dellbus, & plein de tuyaux. Nota. Aucun de ces renvois n'a été mi que fur la figure de l'Edition de Pam; Dnns l'Original la lettre P elt mife pour la lettre F; m^is c'efl: une faute vifible du GiJ- > ur, que nous avons eu foin de cortigeir R. d. E. (t) Ibidem, pag. 4g. .«• #■ t de Bengale, berté d'y éta» i: litués le Pa. [ui occupoit a- la plupart ont ice dans toute On en donne Deux des cô- ^a longueur de : entouré d'un turc agréable. hautes & fort liverfes cham- les unes pcin- [tenues par de e bois, & les fes fontaines, up d'art. El- le, «St la plû- En un mot, i dans tout au- liais , de Graaf ^egangel , ainfi e qui s'avance is defquels on ageurs. eurs Villages, I la multitude leurs fortes de Bâ- dans les interva!' 'on defcend pa: t des tuyaux <]u; . dans toutes les efl plus haut i'. auté par-dellbus, ois n'a été mar dirion de Pari<; e(t mife pour la e vifible du Gi2' foin de corriger. ■ Palais ci- Jaudins de Cha-SOT'^SA l'jtim'K de H AGI MOHOL. l'AlVKlS eu TUYNKM van CH A -SOIT SA PkinS vau KAGI MoHOL, .'). Plus loin, mais avec aulTi peu d'attention à marquer les dillances , l'Au- teur parvint à la quatrième Pointe, qui fe nomme Jangira , ou Gehanguîr^ & qui a beaucoup de reffemblance avec les précédentes. Elle a vers le bas , quelques Habitations, avec des Jardins ; & prefqu au fommet une Mofquée. De l'autre côté, on apperçoit quelques pauvres cabanes. Mais ce que cet- te Pointe a de plus remarquable , c'efl: un grand rocher , éloigné du riva- ge d'environ quatre cens pas^ qui forme un demi cercle, de fix cens pas de De Graaf, 1669. Pointe de Panthi. Pointe de Fatrigaui. Antres des Fakiiirs. Quatrième Pointe du Gange. compare a Ja monta- ge de Gibraltar, qu'il avoit vue dans fa jeuneffe. Sur ce rocher, on voit a foixante pas dt- hauteur, une Pagode entourée d'un mur, à laquelle on monte par quelques degrés. Le fommet contient quelques habitations de Pèlerins. Entre la Pointe de Jangira & le rocher, palîe un ruiffeau dont le cours eft li rapide, fur-tout lorlqu'il efl enflé par les pluyes, qu'on ne le travei-fe pas fans danger. De ce lieu, de Graaf prit plaifir à faire le che- min a pied jufliu'à Gorgate. C'efl: une promenade agréable. Il viflta les rui- nes d un ancien Palais deGehanguir, bifayeul(a;) d'Aureng-Zeb , dont la qua- («) L'Auteur fe trompe. Gehanguir n't'toit que l'ayeul Gorgate, ancien Palaîft de Gehaa- guir. .(î)) Ibidem, pag. 50. rAureng-Zeb. R. d. E. G % 5a VOYAGES DANS LA De Graaf. 1(5(59, De Graaf arrive.^ Mon* gher & veut obierver cet- te Ville. ÏI eu arrê- té & conduit au Gouvei- neur. Commenf. {1 e(t Interro* quatrième Pointe du Gange a tiré Ton nom. Cet édifice, quoiqu'à demj détruit par les guerres civiles, conferve encore dans les murs, dans Tes ar- cades » :, quoiqu'à demi niirs, dans fesar- de radmiracion. gira. On y pafl-; par une tour oc. long, paflepour les marques d'un- vanc les Villa^^cî i , «S: découvrit ni font de picrr;- ces qu'on appc:-. î, qu'il entrepi:: ; & Tes deux V..- i forme d'un arc, is , en faifant 1, e. Il en troiiv: : du Direéleur d. Il y joignit L ies avec le menis i mériter de l'at- l'avoit pu fe dé- es terres. Ils 11' le diilance de la îloigné de la me- :oche de la gran- verncur nommé étoit au milijii beau dais & fur e pour le tabac, Hollandois d'un is. Il continua ton fort rude, lelle vue ils s'e- ^nc Hollandois; ient quitté leur Mais pourquc; Indien , & por- portes ? Qud " En même- : écrit. Mais, 5 fon fein le pa- ir un écrit doK : de tirer de les es avoir conli- ;nc j fans com- prendre PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. yj «rendre ce que c'étoit, ni quel pouvoit être leur ufage. Alors, ^ il leur de- inanda la permiflion de retourner a fa Harque, & de continuer fon Voyage àPatna. Mais on lui répondit qu'il falloit palier la nuit à Mongher, & qu'ils la paiïeroient en lieu de fureté , eux & leur Barque. La fin du jour aygnt fait féparer le Confeil, ils furent j.-ttés tous deux dans une prifon fort puante , où ils n'eurent pas d'autre lumière que celle d'une lampe. Ils s'y trouvèrent confondus avec des voleurs & des afTaflins, qui attendoient le châtiment de leurs crimes (r). ' Le lendemain, vers midi, quelques Soldats vinrent les prendre, & les conduifircnt au Confeil. Le Gouverneur leur demanda quel Pays étoit la Hollande? qui la gouvernoit? quelle étoit leur Religion? & s'ils croyoicnt au Prophète Mahomet? Ils répondirent, par leur Interprète, que la Hol- lande étoit un Pays riche & puiflant, rempli de grandes Villes 6c de beaux VÛlag-s, où le Commerce lloriffoit, & d'où l'on envoyoit fans ceflc un grand nombre de Vailfeaux dans toutes les parties du Monde; qu'on y vi- voic fous le Gouvernement des Etats, & qu'on y croyoit à Jefus-Chrift, fils de Dieu , & Rédempteur des hommes. „ Vous ne croyez donc pas au „ Prophète Mahomet, reprit ardemment le Gouverneur? Je m'en étois „ défié. Vous êtes donc pires que ces chiens " ; en montrant fes Gardes, qui étoient des Idolâtres du Pays. Après quelques autres difcours, deGraaf revint à le fupplier de leur rendre la liberté de partir dans leur Barque, par- ceque les affaires qui l'appelloient à Patna étoient prelfantes, & parceque le jeune homme, qui l'accompagnoit , fetrouvoit fort mal du miférable ca- chot où il avoit paifé la nuit. On lui répondit que s'ils y mouroient l'un & l'autre, on prendroit foin de les jetter dans le Gange, pour les faire re- tourner au Bengale , d'où ils fe difoient venus ; mais qu'ils ne partiroient point avant qu'on eût écrit au Mogol, & qu'on eût reçu fes ordres. Aufli- tôt, ils furent enfermés dans une autre prifon , vis-à-vis de la première, fort près du cimetière de la Mofquée. C'écoit une Chapelle quarrée , qui n' avoit guères plus de quatre pas d'étendue. L'épaifleur des murs étoit de trois pieds , ôc l'entrée en avoit deux de large. Deux trous , défendus par des barreaux, fervoient de fenêtres; & le toît, qui étoit rond, avoit la forme d'une cloche. Ce petit Edifice étoit environné de tombeaux. Les deux Hollandois y furent gardés nuit & jour par quelques Soldats, armés d'arcs , d'épées & de boucliers. Leurs Valets eurent néanmoins la permif» fion de les viliter , & celle de leur acheter tout ce qui étoit néceflaire à leur fubfiftance. Une infinité d'Habitans venoient les obferver , par les deux trous qui leur fervoient à refpirer l'air. Quelques-uns leur témoignoient de la compalfion. D'autres les traitoient de chiens , d'efpions , & de traî- tre* qui menaçoient la fureté du Pays. De Graaf eut d'abord la liberté d'écrire à Ragi-Mohol, à Caflambafar & à Patna j raaisenfuite, cette fa- veur fut fupprimée. QUELQ.UES jours après, on le fit reparoître au Confeil, fans être £ compagne de 1 Ecrivain, qui étoit fort mal, & que fajeLmelTe faifoit d'ï leurs exciifer. Toutes les ace Jatijns tomboient fur de Graaf. Daiceau' U) nid. pas. 53. ac* ail- tomboient fur de Graaf, paicequ'on l'a- 03 De GnAAF. i669' Il e(l con- fondu avec des brigands dans une af- freufe prifon, Seconde interroga- tion. Sa prifon e(l changée. Troifièrae interroga- tion* '"""^i 54 VOYAGES DANS LA De Graaf. i66g. La qualité de Chirurgien fait refpcîkr J'Autcur, Comment il efl- vangé du Gouver» neur. l'avoit vu fort attentif à cunfidérer la Ville, & qu'il avoit écrit fes obferva- tions. On lui demanda „ d'oîi lui étoic venu la liardicfTe de venir à Mon. „ gher, d'en faire le tour & d'oblerver les murs? s'il ne favoit pas quec'o- „ toit une Ville frontière, fur laquelle il n'étoit pas permis à des Etrangers „ de jetter les yeux ? que c 'étoic l'ordre du Mogol; que par conféquent jh „ étoient tombés dans la difgrace, & devenus dignes d'un châtiment fi ri- „ goureux; que pour le même crime, un Nabab avoit fait attacher depuis „ peu un Tim'uîear fur une planche & l'avoit fait fcier par le milieu du „ corps". 11 ajouta: „ Vous vous dites Hollandois; nous ne connoiflons „ point vôtre Nation. Vous êtes de rufés Portugais, des coquins , que le „ Rebelle Sevagi employé pour nous obferver, dans le deffein de venir fur. „ prondre la Ville (s)". En vain de Graaf prit le Ciel à témoin de les intentions. On le menaça du gibet, ou de l'attacher au tronc d'un arbre, & de le tuer à coups de tléches. 11 fut reconduit à fa prifon , où la rigueur de fes Gardes & les outrages de la Populace ne tirent que redoubler. Ce- pendant il ne pouvoit croire qu'on attentât à fa vie , fans avoir reçu des éclairciffemens fur fon Voyage , & des ordres du Grand -Mogol. L'Ecri- vain fe croyoit menacé de la mort , & cette crainte l'affoiblilfoit encore plus que fa maladie. De Graaf l'exhortoit à la confiance & le foûtenoit par Tes raifonnemens (a). Dans l'excès de leurs peines, ils reçurent beaucoup de confolation d'une lettre , qui leur fut remife par leurs Valets. Elle étoit de Jacob Fciburg , Direéleur d'Ougly. Il leur marquoit qu'on avoit appris, au Comptoir, la nouvelle de leur infortune; qu'ils ne dévoient pas manquer de courage; qu'on avoio écrit, en leur faveur, au Nabab de Patna; & qu'on étoit rélb- lu de ne rien épargner pour leur délivrance. Une autre lettre qu'ils reçu- rent , le jour fuivant , du Direéteur de Soëpra , leur faifoit les mêmes pro- meifes. Quatre jours après, le Gouverneur de Mongher reçut lui-même un ordre du grand Nabab de Patna , qui le prefloit de lui envoyer les deux Hollandois qu'il retenoit dans [qs prifons. Ils fe crurent libres. Cependant le Gouverneur différa d'obéir, fous prétexte qu'ayant écrit à ia Cour d'A- gra, il devoit attendre la réponfe du iVlogol. Mais il n'eut pas la hardielîe de les maltraiter plus long-tems. 11 leur iaifla même la liberté de fe prome- ner dans la Ville, fans autre condition que d'être accompagnés de quelques Soldats , & de revenir coucher le foir dans leur prifon. Un de leurs Valets ayant publié que de Graaf étoit un Chirurgien fort habile, cette qualité, qui efl: fort eflimée des Indiens , lui attira bien - tôt plus de confidération qu'il n'avoit efTuyé d'infultes. Le Gouverneur même fe hâta de le faire ap- peller, & lui fit des excufes de fa rigueur. „ Quoi? vous êtes Chirur- ,, gien? lui dit-il. Eh! pourquoi ne m'en avertilfiez - vous pas ? " Il le fupplia de voir fon Neveu , qui étoit incommodé depuis long - tems de h poitrine. Il lui promit de grandes récompenfes. De Graaf faifit l'occalion de fe faire refpeéler. Sans refufer fes confeils , il répondit qu'il n'avoi: avec lui, ni ^qs, inflrumens , ni ^qs remèdes; & voyant en effet le Malade, li (z) Pag. 56. Voyez rHilloire de Sevagi, dans la Relation de l'Eftra, au Tom. XI. (a) Ibid, pag. 57, éléph^ rit Tes obferva. i venir à Mon- oie pas quec'é- i des Etrangers confcquent ils hâtiment fi rj. ittacher depuis • le milieu du ne connoiflons Dquins , que le n de venir fur. témoin de les ic d'un arbre, , où la rigueur îdoubler. Ce- avoir reçu des ogol. L'Ecri- bUlfoit encore i foûtenoit par ifolation d'une acob l'^erburg , Comptoir, la r de courage; 'on et oit ré fo- re qu'ils reçu- ;s mêmes pro- çut lui-même 'oyer les deux . Cependant la Cour d'A- las la hardielFe de fe prome- es de quelques e leurs Valets cette qualité, confidération de le faire ap- 5 êtes Chirur- pas y " Jl le g - tems de h aifit l'occafion ; qu'il n'avoi: et le Malade, ii :a , au Tom. XL PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 55 heureux , qu'il vengeance , que deux au Gouverneur, l'or- îl déclara que fa langueur venoit d'un ulcère au poumon , mal incurable , pour lequel l'Oncle ik le Neveu dévoient prendre patience , comme il la prenoit lui-même à l'égard de fa prifon. Quelques iecours diftribua dans la Ville, achevèrent d'autant mieux fa venge kiurs après , un fécond Courier du Nabab apporta , au Gc lire de faire partir fur le champ fcs deux Prifonniers; fans quoi il etoit me- ftacé d'être conduit lui-même à Patna, pour y être puni comme un Rebel- le. Il ne lui relia que le parti de la foumiffion , qui parut coûter beaucoup à fa fierté. Pendant quelques jours, que de Graaf avoit employés à fe promener dans la Ville , il avoit ajouté de nouvelles obfervations à celles qui avoient caufé fa difgrace. 11 répète que cette Place ell d'une beauté finguliére. Le Gange baigne d'une côté le pied de fes murs. Du côté de la campagne, el- le éft prelque ronde. Ses fofles font larges & profonds , mais lecs dans totts les tems où la Rivière n'eft pas fort haute. Elle a quatre Portes, dont celle qui regarde l'Orient efl la principale. On y entre par deux ponts-le- vis, après Icfqucls on palfe un guichet, qui eft fuivi d'un grand efpace quar- ré & ceint de murs , d'où l'on ibrt par une autre Porte. Les deux côtés de cette Porte ofl^rent deux grandes figures de pierre , qui repréfentent deux éléphans, chacun monté d'un homme armé. Les Portes du Sud & de rOuell reifemblent beaucoup à la première: mais celle du Nord efl: moins grande & moins ornée. Près de cette Porte, on voit, fur une petite élé- vation, .quelques arbres, une Pagode , & divers tombeaux, d'où la vue donne lur un grand vivier. Le centre de la Ville, dans l'endroit où plu- fieurs rues fe croifent, efl: occupé par un très-beau Ketîera (Z»), de forme oftogone, environné de pluficurs belles maifons qui ont de petites tours. T'eûtes les rues de la Ville vont d'une Porte à l'autre, & fe croifent au Ket- tera. Le côté de la Rivière préfente un beau Château , avec le Palais du vieux Roi , le logement de £es femmes , & plufieurs autres Bâtimens fl'une magnifique apparence. Devant la Porte Orientale, c'efl:-à-dire, au- dehors , on a formé un grand Marché , où l'on vend fans cefle toutes for- tes de viandes, de volaille, depoifl^on, & de fruits. C'efl: auflTi le pofl:e de la grande Garde. Cette Ville ayant été fort mal traitée dans les guer- res de 1657 & i6j8, on s'occupoit encore à relever fes Bâtimcns. Les Magiflrats & les principaux Ilabitans font profeflion du Mahométifme. Tout le refl:e efl: livré à l'Idolâtrie. La garni fon étoit compofée de cinq cens hommes de pied , & de mille chevaux. Quoiqu'on parle , à Monghcr une langue propre au Pays, que de Graaf nomme le Haut More, on y em- ployé les carafteres Perfans pour l'écriture. La plupart des Habitans n'ont pas d autre occupation que le Commerce. Hors de la Ville, & fur le bord même des fofles, on voit un grand nombre d'Edifices, qui fervent de de- v: . ° meu- De Guaaf. 1669. Defcrîption de Monghcr. 56 VOYAGES DANS LA De Graaf. 1669. Route lie de Gr:i:if de- puis .Mon- (î'icr judjua Tuciia. Palais de Sclhkan, meure & d'attelicrs ù quantité d'Ouvriers & d'Artiftcs. On y fabrique tou- tes forics d'ouvrages &. de marchandiles. C'efl: une efpèce de Fauxbourg, fans aueiine apparence de régularité (c). De Graaf rc<;ut , dans fa Barque, fix Soldats qui dévoient lui fervir d'cfcorte jufqu'à Patna: mais la crainte d'être punis, par le Nabab , delà niauvaife conduite de leur Gouverneur, en fit dellrter quatre avant la fin du Voyage. Le troidèine jour de leur navigation, les deux Ilollandois rencontrèrent une petite Flotte , qui portoit les équipages & les vivres d'un corps de Troupes qui fuivoit les bords du (îange. Elles confiftoient en douze cens Cavaliers fort bien équipés , quarante chameaux , fix éié- phans, quantité de bœufs, & quelques bataillons d'Infanterie. Cette peti- te Armée, qui appartenoit k Mir- A nartinjf. Prince Idolâtre, venoit de la montagne d'AJJangj avec ordre de fe rendre aux environs de Delli & d'Agra, pour marcher contre le Rebelle Sevagi, avec l'Armée du Grand- Mogol. La Barque de de Graaf ne pouvant avancer beat coup plus vite, il eut l'occafion , dit-il, de faire, pendant quelques jours, des remarques aflez curieufes; mais il négligea de les écrire. Enfin , perdant de vue ces Troupes, il palTa par les Viflages de Dcriapotir^ Mokav.iy Monareck ^ Noa- da , Baar , Bander-Bana , Fatoba , & par d'autres lieux , dont Baar & Ban- der-Bana font les plus confidérables. 11 y vit quantité de Pagodes vSi de bel- les Mofquées. De Fatoha , il fe rendit a pied par un chemin fort agréa- ble , en fuivant le bord du Gange, au Palais de Sejlakan, Nabab de Pat- na, où l'on ne fit pas difficulté de lui laifler viliter à loifir les Edifices & les Jardins (d). De- LÀ continuant fa marche, par un chemin bordé de Jardins très- agréables, il arriva au Fauxbourg de Patna. La perfpe6live de cette \"ille lui parut charmante. A fon arrivée , il fut conduit au Comptoir Hollandois par un Baniane, qui l'occupoit alors pour la Compagnie de Hollande. Aiif- lî-tôt que le Confeil de Patna en fut averti , il envoya au Comptoir un Se- crétaire & quatre Députés , avec ordre de falucr les deux Hollandois , &• de recevoir , de leur bouciie, d'exa6les informations fur le traitement qu'ili avoient efTuyé à Mongher. De Graaf n'eut pas befoin de confulter fon rcf- fentiment , pour faire un récit peu favorable au Gouverneur. Pen- (c) Voicî l'explication des renvois du Plan de la Ville de Mongher; A. La grande MorquOe. B. La Maifon du Gouverneur, C. La Prifon où de Graaf fut renfermée D. Le Lieu où fe tient le Confeil. E. Le Kettera oélogone. F. Le Vivier. G. Petite Colline avec fa Pagode» H. Le Pont de la Porte Orientale, L Place dans la Ville, joignant cette Torte. K. La Porte Occidentale avec fa Place In- térieure. L. La Porte du Sud & fa Place* M. La Porte du Nord, &c. N. Palais & Jardin du Prince ChaSou fa. O. Le Château du côté du Gange. P. La Tour oftogone fur le rieuve. Q. Grand Boulevard à côté du Po-'t. K. Les Remparts & les FolTés. Nota Cette explication ne fe trouve [vis dans l'iidition de Paris, & l'on a oublie l'e même les renvois fur la iiguie. En y Jm- pléant ici , nous corrigeons une autre fnme de l'Original, où la leure H avoit cIl O' mife. Il d. E. ( d ) Jbid. pag., 62 & précédentes, 'V5 y fabrîque ton- de Fiiuxbourg, oient lui fervir Nabab , de k cre avant la fia 2UX Ilollandois .s & les vivres les confiftoicnt neaux , fix élé- ie. Cette peti- Ltre, venoit de on s de Delli à. mée du Grand- :oup plus vite, des remarques dant de vue ces Monareck , Noa- nt Buar & Ban- agodes & de bel- rniin fort agréa- Nabab de Pat- r les Edifices & de Jardins très- e de cette \"il!e ptoir Hollandois Hollande. Auf- omptoir un Se- Hollandois , &■ raitement qu'ils onfulter fon rcf- r. Pev &c. lu Prince ChaSoU' du Gange. |fur le rieuve. côté du Poi-t. [;s Fofles. ne fe trouve \v^ |& l'on a OLibliC' à liiguie. En y ^^7 J)ns une autre t>iite ïttre H avoit tu O' nécédentes. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 57 f Pendant quelques jou-s de repos qu'il prit à Patna, la curiofitc decon- noiLi-e une \'ilie li célèbre pur fbn Commerce , lui fit acheter un habit Mo- re, lijus lequel il entreprit de la viliter dans toutes Tes parties, avec le foin d'écrire fidèlement Tes obfervations. Il fe fit accompagner de fon Inter- Ïféic & d un kul Valet {e). iLa Ville de Patna efl: lituée fort près du Gange, comme un grand nom- e d'autres Places, dont les Habitans ont voulu fe procurer cette commo- dité , pour leurs bains & leurs purifications. Elle ell défendue par un grand Château, revêtu de boulevards «Se de tours. On y voit de belles Maifons, des Mofquées, des Jardins, des Pagodes «Si d'autres Butimens fomptueux* Safituacion efl fur une hauteur, pour éviter les grandes inondations du Gan- ge. On monte, du rivage à la Ville, vingt, trente, <& , dans quelques endroits , quarante degrés de pierre. Du coté de la terre, elle efl flanquée d'iBi grand nombre de redoutes & de tours , qui fervent néanmoins à l'or- naplus qu'à la défendre. D'une extrémité de la Ville à l'autre, règne une S fonde rue , l ordée de boutiques, où l'on trouve toutes fortes de marcliau- ifes «S: d'Ouvriers. Cette rue elt traverfée de pluficurs autres, dont les unes aboucilTcnc à la Campagne, «Se les auties vers le Gange. Dans la plus haute partie de la Ville, on voit une grande place, quifertde Marché , un tr&'-bcau Palais, où le Nabab fait fii demeure, ik un grand Kettera, où s'affbmblent les .Vlarch.u]Js de diverl'es Nations, avec des montres de tou- tes leurs marchandifcs (/"). ApRiis avoir faiisfait la curiofité dans la Ville, de Graaf retourna au Fflibis du Nabab Sellakan, pour en admirer encore une fois les jardins «& les fonta'nes; mais il s'en épargne la defcription, parcequ'il leur trouva beaucoup de rellemblance avec ceux de Ragi-Mohol. De Graaf fut prefifé de quitter ce beau lieu , par une Lettre de Sanderus, qui fattendoit impa- tiemment à Soëpra , dernier Comptoir de la Compagnie fur le Gange (5). Etant remonté fur cette Rivière, il ne ccifu plus de voir un Pays fort peuplé, jufqu'à la fameufe Mofquée de Moncra , dont on lui avoit raconté beaucoup de merveilles. Monera n'efl en lui-même qu'un miférable Village , éloi- gii,4 d'une demie lieue du Gange, &. fes Habitans ne font que de pauvres LiBilibureurs. Ce Canton étoit autrefois defert. Mais un célèbre Fakkir, nommé Iha-Monera^ remarquant la fertilité naturelle du terroir, quinefer- voîljde retraite qu'aux tigres, aux loups & aux chiens fauvages, maudit CW'dangereux animaux, les chafla par la force de fes prières, & bâtit, dans le même lieu , une petite Chapelle , où il fit quantité de miracles. La réputation de fa fainteté lui ayant attiré beaucoup d'aumônes, fon valet trouva de fi grolfes fommes après fa mort, qu'il fit bâtir à fa mémoire une Mofquée magnifique, qui fert de retraite à quantité de Fakkirs. C'est un Bâtiment quarré, qui efl environné d'arcades & de colomnes. Le toit en efl rond, «& couvert , avec beaucoup d'art, de petites pierres jaunes & bleues. Chaque angle offre une petite tour , dont le toit eft de la même forme & de la même couleur que le grand. Tout cet édifice eft entouré d'un mur haut de dix pieds, 6l long de cent quarante pas fur cha- De GnAAt. 1669. Defcription de Patna, De Graaf part pour Soëpra. Fameufe Mofquée de Monera & fon origine. Defcription de cette Mof- quée. CO Ibidem, XIII. Paru if) Pag. 63- (g) Ou Cbiopera, R. d. E. que H 58 VOYAGES DANS LA Comptoir fie Suëpra , pour l'opiuin Ci le filpûtxc. '¥: Dr Graap, que face. La principale entrée eft une très -belle porte de pierre, devant i6 6g. laquelle on a placé une pièce de canon , furgce de pliiîieurs barres de ter, qui tire huit livres de balle. De l'autre coté de la iMofl,uéc , on voie un grand vivier bordé d'arbres , où l'on defcend par fept ou huit marches , ^i dont les rives font couvertes d'un grand nombre de tombes. On y a butj une autre Mofquée, plus petite que la première, près de laquelle on adml- re un éléphant de pierre, qui tient un aigle avec fa trompe, & dont on vante la vertu contre le tonnerre, les éclairs & les mauvais tems. On trou- ve fans celFe autour de ce lieu, une infmicé de l'akkirs, qui débitent Icurj fables aux Pèlerins, & qui en tirent de l'argent par diverfes fortes d'impof. tures. Les uns font leur réfidence habituelle dans la Mofquée. Les autres courent le Pays en troupes , armés de bâtons , avec des enfeignes & dcj banières. Ils font quelquefois nuds, quelquefois vêtus bizarrement, & fou. vent couverts de cendres , pour fe donner un air de pénitence qui les rond effroyables. Dans tous les Villages & dans les Villes mêmes de leur palFj. ge, les llabitans font obligés de leur fournir des vivres , pour fe garantir de leurs brigandages (/?). L'arri VKE de de Graaf à Soëpra, la guérifon du Dire6lcur Sanderus, & quelques petits événemcns de Guerre & de Commerce, eniichilleni; peu le relie de cette Relation. Le Comptoir de Suëpra n'a pour objet que l'o. pium 6: le falpêtre, qui font en abondance dans ce Canton. Le Bdtinieni des lïollandois répond , par fa grandeur, à l'importance de ce ncguc.', C'efl: un quarré long, qui s'étend iur le bord du (iange, avec un^: tour j chaque coin. Il elldivifé en trois corps, dont l'un eli accompagné d'ui: très-beau jardin. Celui du milieu contient le magafm, & de fort beaux np • partemeiis pour les Chefs. Letroifième eft le lieu du travail, où l'on cui; & l'on puritie le falpêtre. Au-delà du chemin, les Directeurs ont fait hi tir des écuries d'une affez grande étendue, qui portent, en langage du Pa\s ^ le nom de Place du bois ( i ). Après avoir employé près de deux ans dans les Comptoirs de fa Na^ 167 I. '^ioi^j de Graaf quitta celui d'Ougly, le 20 Novembre 1671 , fur im Vai:' feau deftiné pour la Perfe. Mais , en paflant fous la Côte de Ceyl-m , !. Bâtiment fut jette, par un orage, dans le Port Hollandois de Colombo il L'Amiral de la Haie, dont on a lu l'Expédition au l'ome XI. de ce Rc cueil , donnoit alors la loi fur ces Mers , avec une Efcadre de douze Vaii' féaux François (/). De Graaf ayant abandonné le deffein du Vovage li; Perfe ( w) , eut l'occafion , avant fon retour en I lollande , qui fut dilfert jufqu'à l'année fuivante , d'apprendre les révolutions qui venoient d'arrivé; à Goa , & les premières avantures du célèbre Dom Pedre de Cajho. Ma comme il ne dévoie fes informations qu'à la renommée , on verra plus vo' lûD' (b) Ibid. pag. (J5. (i) Ibid. pag. 75. ( A ) L'Auteur dit que leur Bâtiment fail- lit à échouer fur un rocher avant que d'arri- ver à Point de-Gale, où ils reçurent ordre de fe rendre à Colombo. R. d. E. (l) Cet Amiral étoit alors fort tranquiiif devant Surate. R. d. E, (m) Ce Voyage n'eût pas lieu, à caii^ de l'Armement que les Hollandois furent bligés de faire pour aller à la rencootrcù: l'Efcadre françoife. R. d. E. pierre, devant •s barres ilc tir, ;e , on voie un Liit marches , vSc :s. On y a buti iquelle on admi- pc, & dont on ; tcms. On trou- ui débitent leurj s fortes d'impof. liée. Les autres enfeignes & des rrement, & fou. ;nce qui les rend nés de leur palû- pour fc garantir eftcur Sanderus , ennchifleni: pea )ur objet que i'u- 1. Le Bdtinicn! e de ce ncgocj, avec une tour j accompagné d'ui , de fort beaux ap- i^ail, où l'on cui; leurs ont fait hi langage du Pays. iptoirs de fa Na^ , fur un Vai:' te de Ceyl'in , !: s de Colombo {[ ne XL de ce Rc de douze Vail' n du Voyage c; qui fut ditfcrt renoient d'anive; i de Cajho. Mai; Dn verra plus vo' lûB' alors fort tranquilii ût pas lieu, à oi- Hollandois furent 1er à la rencontre i:- d. Ë. L : PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. IIL S9 lontiers les mêmes cvénemens dans le récit d'un Voyageur François , que le ha/ard rendit témoin d'une partie de ce qu'il raconte, & qui na pas le «eme intérêt qu'un Mollandois à décrier la conduite des Portugais dans les Indes. J'ai pris foin de renvoyer ici cette partie (m) du Voyage de Car- ti, pour fuppléer aux omiflions de de Graaf , par quelques oblervations iiftoriques, qui conviennent à la fin de cet Article (c). !,'(n) Voyigc de CarrcS Tom.II. png. 86. vans, puifque de Graaf ne parle pas le mot 'h) Nous ne fnvons où Mr. Provoll a des révolutions de Goa, ni des avantures pli» cette tranfuion aux deux articles fui- de Dom Pedie de Callro. R. d. L. S- L Etat des Portugais aux Indes Orientales, en 1670, 6f VHiJîoire de Dom Pedre de Cajlro. ES Guerres, entre l'Efpagne & le Portugal, avoient épuifé d'hom- mes deux Etats qui fe trouvoient déjà fort dépeuplés, par les gran- de» Colonies (jue l'un ol l'autre avoient envoyées dans les deux Indes. Ce leur reftoit d'Hubitans fuHifoit à peine , pour la culture des Terres & , ir l'entretien du Commerce intérieur. Ainii l'on étoit fort éloigné, dans _jt deux Nations, de pouvoir envoyer du fecours aux Colonies ménies , ^ fe trouvant preflees par d'autres ennemis, attendoient en vain les Flot- tée, dont elles étoient accoutumées à recevoir, tous les ans , un renfort de ^Idats & de munitions. Les Portugais des Indes Orientales s'imaginèrent qu'il étoit arrivé quel- que fatal accident qu'ils ne pouvoient pénétrer; ou que les Flottes qu'ils a- voient fait partir pour Lisbonne ayant péri dans le Voyage, on les avoit oubliés fans faire déformais aucun fond fur un Commerce qui commençoic à s'affoiblir, & dont le profit ne rcmplaçoit pas les dépenfes qu'il falioitre- nouvfcller chaque année, pour équiper un grand nombre de Vaiffeaux , & Iteur faire palier avec mille dangers, des Mers imrnenfes , qui ne pouvoienc jhrtnais être aflez connues. Le Commerce ne dépériflbit pas moins par cet- ©!*• opinion , que par les efforts des Hollandois & des Anglois , qui enle- Tcéent chaque jour quelque Place importante aux Colonies Portugaifes, & ' "' *' établiilbient des Comptoirs redoutables dans tous les lieux dont ils de- loient les maîtres. Les Princes voifins contribuoient auffî à ruiner les jtires du Portugal, & prenoient ce tems pour abbattre une Puillance, qui mt valoir trop long-tems des droits chimériques, s'étoit mife en poflef- ' d'une infinité de biens qui ne lui appartenoient pas. Ëniin les Portugais étoient réduits fi bas dans les Indes, qu'entre eux- mêmes, chacun pendant pour fon propre intérêt à fauver quelque chofe du naufrage, ils cell'èrent bien -tôt d'employer leurs foins & leurs forces au bien commun de leur Nation. Les Seigneurs, qui tenoient pour le Portu- S al des Places fortes & des Pays confidérables , fecouèrent le joug de la épendance. Ils fe traitèrent d'abord avec une défiance mutuelle, parce- qu'ils craignoient de trouver, l'un dans l'autre, des obftacles à leurs ufur- pations. Cependant ayant reconnu que cette divilion ne pouvoit fervir qu'à H s leur De GRAAr. 1671. Etat n i» s PiiRTUGAI- A UX 1 N niS:, î (^70. Soiiicis ds i'îiiFoihlKTc'- mont (lus l'or- tiigjis. Leurs in- quiétudes à Goa. Dlvlfion desSeigneurs, Vf 60 VOYAGES DANS LA Ktat np.s l'')itTLOAIS A l. X I N I) K «. 1670. Ti:iité par Icqu. 1 lis le réuiaifLiU. Fcrmctti du Viccroi pour 1rs tenir en bride. Coinmrnt ils fe dcfont ûi lui. leur ruine , ils formcrcnt une cfpccc de fociétc : furquoi l'Autour obfcrve que rien ne peut rublîllcr lUns quelque apparence de jiilbee (/). Ils convinrent de partager les terres Cv: l'argent ijui appartenoient à la Couronne, de ne fe caufer aucune inquiéiude eni'r'eux, 6»; de le rallemhLr contre l'ennemi commun , s'ils irouvcjient de l'opporuion à leur enirepiji'i,'. Douze des principaux fe liguèrent particulierenieiH contre le Viccroi , ijui paroillbit eonlerver la lidélité qu'il devoit à la Cour. Il avoit ciTibattu k dé'"ordre, aulVi-tut qu'il s'en étoit apperçu ; & dans la l'uite, il n'oublia rien pour en arrêter le cours. Il pubJioic des nouvelles tiu Portugal. Il faiH ù répandre adroitement (jue le Roi, vainqueur de tous (es ennemis, envo- voit des fecours d'honimes & de munitions dans les Colonies, Ck qu'inevf- iamment on verroit arriver une puilTante l'Iotte à Cîoa. Pendant qu'il fou- tenoit les efprits par cet artificg, il dépechoit fouvent des Caravelles ci; Europe, pour reprefenter fa iltuation. 'l'ous ces foins ne lui faifoient rt- cevoir aucune rcponfe de la Cour, qui ne pouvant féconder le zèle de f n Minirtre, craignoit d'avouer fa foiblelfe, & prenoit le parti de lailler crui- re que ces informations n'alloient pas jufqu'à Lisbonne (h). Le Viceroi n'en fut pas moins ferme, & préféra, kiivant les termes de l'Auteur, la fatisfaélion d'être homme de bien dans l'infortune, à celle dj devenir riche îk puillant par une perfidie. Quoique les Rebelles euir.m plus de forces pour l'attaquer qu'il ne lui en relloit pour fe défendre, il continua de foiitenir, par toutes fortes de voyes , l'intérêt de la Couroii- ne. On tenta de l'engager du moins au filence. Sa vertu demeura inlle>;i. ble, &ne fit que fe roidir contre les difficultés. Enfin les Conjurés penféreii!: à fe défaire de lui. Les plus violens propofoient de fe laifir ouvertement de fa perfonne, & de lui oter la vie. D'autres , pour conferver queKjuc apparence d'ordre & de modération, vouloient qu'on cherchât, dans fa conduite même, des prétextes pour l'arrêter & piuir le faire périr dans une prifon. L'opinion des plus adroits. Ci: celle qui l'emporta, fut de s'ailli- rer à la vérité de fa perfonne , mais pour le mettre dans un Vaifleau & k renvoyer en Portugal, chargé d'accufations , qui leur donnaflent le tems d'exécuter tous leurs defleins , & de s'afiermir dans les Domaines dont iis avoient fiiit le partage. Cette réfolution fut fuivie avec tant de bonheur ou d'habileté, qu'ayant enlevé le malheureux Viceroi dans une promenade, ils le confièrent à la garde d'un Capitaine de Vaiffeau qui retournoit à Lis- bonne, & le renvoyèrent pour porter au Roi la nouvelle de fa perte &. île leur révolte. Après cet étrange attentat, ils exercèrent, dans la Ville, toutes fortes d'injuftices & de cruautés. La famille du Viceroi fut dépouil- lée de fes biens; & ceux qui ofèrent lever la voix, en fa faveur, perdi- rent la vie dans les fupplices (c). (a) Carre, pag. 90. (6) Ibid. pag. 92. (c) Pag. 95. m we 5. II. t ÏV 'Autour obforve (■'). . parccnoicnt à la de le rallcuibLî , leur ciurepril^, le Viccroi , ijui ,'oic o imbattu le ;, il n'oublia rien tugal. Il faiftii ennemis, envo- ies, Kk qu'inevr- 'endant qu'il (bu- ::s Caravelles en lui taifoient rc- r le zùlc de fv\\ •ci de lailler crui- ant les termes de tune, à Celle tb Rebelles eiillliu r fc défendre, il it de la Cour(Jii. demeura inllexi- )njurés penléreni: ilir ouvertement Dnferver quelque erchât , dans fa re périr dans une i, fut de s'a 111:- Vaifleau &. le rmalTent le tems Dmaines dont ils ant de bonheur une promenade, tournoit à Lis- e fa perte &. de dans la Ville, eroi fut dépouil- faveur, perdi- - 95- PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 6i §■ II. h m < |. II Uijîoirc (le Dom Pedic de Cajlro. 0!\T Pedre de Callro , qui tcn>M I cin U DU C.\niiu. 1 () M. (';iractùr>jdc I). ; IVJrc lie' Ca'llO. II livre Jeux D.i!n.s Clirc- tiLMiiKS à un Priuce Maho- mccan. r\ ^i VOYAGES DANS LA tTl;-,TOrRE DE Do.M pKniîii DF. CasTKO. 1 67 1. Anrircliie qui ;iro luirdc gr.iiKls (Jcfor- ciics à Goa. Arrivée d'un nouveau Viceroi. I! fait arrê- ter Doni Pc- dre de Callro. Dom PeJre efl mené Pri- fonnier à Lisbonne. ma fi naturellement à les recevoir , que n'ayant aucune défiance de Tes in. tentions, elles coulenrircnt un jour à prendre ramufement de la promenade avec lui. 11 avoit lait préparer un palanquin. Le Prince, averti de l'occa- lion, envoya fur leur pairage quelques gens armés qui les enlevèrent. On ne douta point, à Goa, que cette trahiion ne tut un nouveau crime deDom Pedre. Flufieurs Portugais, qui avoient rencontré le palanqum, accom- pagné d'une nombreufe efcorte, rendirent témoignage qu'ils en avoient en- tendu Ibrtir les gémiflemens de deux femmes, & qu'entre leurs plaintes el- les avoient prononcé Ton nom avec horreur. On le connoilîbit alfez dé- pravé, pour trahir indifféremment fa Patrie & fa Religion. Perfonne n'ignoroit qu'en arrivant aux Indes , il avoit livré aux Infidèles une de fes propres parentes ; & ceux qui l'avoient connu en Portugal lui attribuoient une infinité d'autres crimes (/;). La plupart de les complices n'étant pas plus règles dans leurs mœurs & dans leurs principes, il s'éleva bien-tôt entr'eux, des querelles qui donnè- rent à Goa les fcènes les plus fanglantes. La guerre n'a rien d'affreux, dont on ne vît l'image, entre des Citoyens qui avoient le même intérêt à vivre dans l'union. Si cette anarchie eût duré plus long-tems, fes Au- teurs auroient trouvé leur punition , dans une fureur qu'ils commençoient à tourner contr'eux mêmes. Mais le Vaiffeau , qui portoit le Viceroi ui Portugal, arriva heureufemenr au Port de Lifbonnc. La colère du Roi fut n vive en apprenant la fédition, qu'il fit équiper auiri-tôt deux grands Vaiffeaux de guerre, fur lefquels il fit embarquer un nouveau Viceroj, de la même Mailbn que le précédent, homme févére & réfolu, qui, en fui- vaut les ordres de Ton INlaître, devoit travailler à la vengeance de fa fa- mille. Quantité de Seigneurs partirent avec lui , pour foûtenir l'autorité du Roi dans la fienne , & pour commander fous lui quelques Troupes d'é- lite qui compofoient fon cortège. Il avoit ordre de faire arrêter tous les Rebelles, en arrivant à Goa, & de les renvoyer, chargés de fers, à la Cour de Portugal. Avec quelque diligence que le nouveau Viceroi pût paffer les Mers , il n'arriva point affez tôt pour exercer , fur les féditieux , toute la rigueur des châtimens qu'il leur deftinoit. La plupart s'étoient entre-détruits ; & ceux qui furvivoient prirent le parti de fe retirer dans leurs Gouverne- mens , ou chez les Princes voifms. Dom Pedre s'étant flatté que la ruine des uns & la fuite des autres , joint à l'ancienne confidération dont il joLiiflbit dans Goa, feroient oublier fes excès, ou le mettroient à cou- vert de la vengeance, ne put fe déterminer à quitter une Ville où toutes fes richeffes étoient raffemblées. Il fut trompé dans cette efpérance. Lj Viceroi, inftruit de fa fécurité par quelques Emiflaires, dont il s'étoit fai: précéder, le fit arrêter en defcendant au rivage, & le mit, fous une bon- ne garde, dans le premier Vailleau qui devoit retourner en Europe. Auiii- tôt l'autorité du Roi fut rétablie dans la Ville, & les foins du nouvua gouvernement fe tournèrent au-dehors. Ceux qui fe trouvoient chargés de la garde de Dom Pedre, ont ra- conte (tj Ibidem, pag. 106 & précédentes. A iance de fes in. de la promenade averti de l'occa- enlevèrent. On m crime deDom lanqum , accom. Is en avoient en. leurs plaintes el- loilîbic aifez dé- gion. Perfonne Jèles une de fes l lui actribuoient leurs mœurs & relies qui donné- . rien d'afifrcux, même intérêt à g-tems, fes Au- s commençoient lit le Viceroi en rolcre du Roi fut :ôt deux grands reau Viceroi » '•''^ )lu, qui, en fui- ^eance de fa fa- jûtenir l'autorité ues Troupes d'é- : arrêter tous les es de fers , à la -afler les Mers , il toute la rigueur ntre-détruits ; & eurs Gouvenk- atté que la ruine dération dont il lettroient à cou- Ville où toutes î efpérance. L. Dnt il s'étoit fa:: fous une bon- Europe. Au;!!- )ins du nouveau Pedre, ont ra- conte PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 6$ Xonté que jugeant fa perte infaillible, il avoit pafle tout le tcms de la na- vigation dans une fombre triftelle, comme un criminel qu'on traîne à l'é- -Chatlaur. Mais fes idjes changèrent & la confiance fe ranima, lorlqu'il ftit entré da:is la iliviere de Lisbonne. La Cour avoit pris une autre fa- ' par la mort du Roi Dom Jean. Outre que ces changemens font toû- n-s favorables aux criminels d'Etat, Dom Alplionfe, qui fuccédoit à la )uronne, avoit toujours aimé Dom Pcdrc, qui étoit à-peu-près du même je, & qui avoit été le Compagnon de Ton enfance. 111e reçut avec au- tant d'afteclion, que Dom Jean lui préparoit de rigueur. Cet lieureux coupable auroit pu vivre avec honneur &. dans un rang dillingué à la Cour de Portu,^al. Il Te vit tout-d'un-coup au nombre des favoris ; & le fouve- nir de fon humiliation ne l'empéchoit point de foutenir fa nouvelle fa- veur, avec toute la fierté d'un méchant homme. Mais il forma le deflein de fe vanger , & cette idée le rappeiloit à Goa. L'ancien Viceroi, qui pccupoit un poile conlidérable à la Cour, étant au-deiïiis de fes atteintes, illéiolut de faire tomber fur fon parent cvfon fucceifeur tout le relfentiment qu'il croyuii; devoir à cette odieufe famille. Ses inflaiices lui firent obtenir du Roi, nou-feulement la pcrmifîlon de retourner aux Indes, mais encore des terres confidérables , dans le voifi- nagc de Goa, & le commandement d'un Château qui dépend de cette Ville. 11 avoit été frappé de l'excommunication, à Lisbonne comme à Goa, pour avoir vendu les deux Dames Chrétiennes à un Prince Mahomé- tan. Avant fon départ, il fit demander fon abfolution à Rome; & l'ayant ol>tenue, il s'embarqua fur un Vaiffeau particulier, qui partoit pour les In- des. L'indulgence de la Cour avoit paru furprenante en Portugal ; mais el- le caufa beaucoup pluà d'admiration à tous les Portugais de l'Orient, ilir- tout au Viceroi, qui jugea par lair de hauteur & d'indépendance avec le- quel il vit arriver un ennemi i\ redoutable, à quels nouveaux démêlés il de- voit s'attendre avec lui. Do M Pedre avoit, à Goa, fa femme & fli fille, qui méritoient toute la tendrelîe d'un mari & d'un père vertueux. Il refufa de voir l'une & l'au- tre, pour fe replonger dans l'excès de la débauche. Sa maifon devint un Iterrail, où il rafiTembla quantité de belles efclaves, achetées de diverfes Nations. Ses amis rS: fes confidens étoient tout ce qui! y avoit de gens décriés par leur caraélère. Au milieu de cette mollefle, il n'oublioit point ^ projets de vengeance. Mais le Viceroi, qui ne doutoit pas de fts in- tentions, le crut obligé de le prévenir en fe déclarant fon ennemi, avant ott'il eût rien tenté contre fon autorité. La protedlion de la Cour n'ef- «iya point un homme ferme, qui étoit autorife par les ordres du Roi Jean, &qui favoit d'ailleurr, qu'AIfonfe, avec la même foiblefle qui lui faifoit prodiguer les faveurs à des Sujets indignes, oublioit fes propres bienfaits, ou s'embarralloit peu de les foutenir (c). Il garda d'autant moins de mé- nagemens, qu'il fe voyoit appuyé de tous les gens d'honneur, qui regar- doient Dom Pedre comme la honte de leur Nation. A la première oc- cahon ou ce méprifablc ennemi lui manqua de rcfpeft, il le fit arrê- ter * (O Pas- 123. * UrsToinE T5E Dom l'EPiiii ijkCastuo, Faveur qu'il y ttouvc. lî retourne aux liuics. Vie qu'il y tncne. Il cft arrêté pour la fé- conde foist V'I (^4 VOYAGES DANS LA ITr-TOIRE DE J)i'M PrDIîK DE Castro. J 67 [. li ob'icnt Il Pirmilîiuii Si fuite J'iuie r roi fié* nie ^irifon. Son lîefLf. poir le cniic duit chiz it's Ciri* nri'!* »? au Vii'a- pouvil.ins le incdi" tcnis que Doin Te* ter ; & fans écouter les plaintes , il. le tint renfermé dans une étroi:» prifon (J). Vers le méinc-tcms, les Portugais fe virent forcés de fiiire la giiei-. fur Mer. J^oni l'edre, humilié par la fituation , demanda inftamnient 1^ liberté de combattre fur la Flotte. 11 l'obtint: Le Viceroi, qui le cor, noiifoit b'-uve, jugea non-feulement qu'il étoit capable de rendre fervicej l'Etat, mais que c'étoit une uccalion de s'en défaire; il!c cette conduite t't autant d'honneur à fon délinLcrellement qu'a la prudence. Dom Pcdre ''t trouva dans trois actions fort langlantes, où fa vaLur lui attira de l'adin'. ration , & dont il eut le bonheur de furtir fans bklîures. A fon retour l Viceroi informé qtfil le prévaloit déjà de cet avantage, le fît conduire V prifon à la defcente du Vailleau (c). Mais foit qu'il eût corrompu Ils Gardes, ou que pour fe délivrer de lui, le Vic.roi même lui facilitât ks mo)ens cie lé faiivcr , il fortit bien-tot Ck g[ fa prifon &de la Ville, d'où il Je retira dan^ une des Bourgades maritimes' qui font habitées par des Mahométans & des Idolâtres. Rien ne proiive mieux la faveur qu'il avoit trouvée dans fa fuite, que la permillion qu'il ob' tint de vendre la Commillion ëi les Terres qu'jl avoit obtenues du Roi. 1 pafl"ii deux ans dans l'oubli, errant aux environs de Goa, fans avoir l'aucla. ce d'y rentrer. On ignore s il tenta, dans cet intervalle, de former qu^l que parti contre le Viceroi , Ck li le bon ordre qui règnoic dans le gouverne- ment lui en ota feipérance: mais, le livrant enfin à l'on defefpoir, il prit la réfolution de fe retirer à la Cour de quelque Prince Mahoméran. 1: clioiii!; celle de 'V^ifapour; & pour y paroître dans tout l'éclat qui conv.- noit à fon noin J> » L dans une ctroi:; de faire la gueiv; ida inflamment Ij ccroi, qui le con. le rendre ferv-jcej cette conduite i;t ;. Dom Peurc ''e ,ii attira de l'adin', A fon retour, le le fit conduire cr, fe délivrer de lui, ortit bien-to!: & di. irgaJes maritimes. Rien ne pro:ive lermillion cju'il (jb- tenues du Roi. Il lans avoir l'auda- , de former quel- dans le gou\crnc' defefpoir, il pri; : Mahométan. li l'éclat qui conw- s^nifique, avec le- oiqu' extrême dans ans la pompe de raordinaire du Roi ette magnificence ion & le reCpeft; ement il la Ibii- Quelques-uns ù upi^onnoit d'avoir ges prétendoieui, dence ne devoi; s fut envoyé a'i iblc de cet Et;u, & qu'il y (ailLi: ant que d'expli- iUture de l'état du de Rhebac, q.,: L'ancien 129. (6) Itiiiliir: ' PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 65 'L'ancien Roi étoit mort depuis peu. Un ufurpateur étoit monte fur le Trône, par le crime de la Reine , qui avoit empoifonné fon Mari, pour mettre la Couronne fur la tète de fon Amant. Cet attentat n'avoit pas été h-fecret, qu'il eût échappé à la pénétration du Peuple; mais je nouveau B|â avoit trouvé l'art d'appailer les efprits, & d'entretenir la paix dans tou- milles parties de l'Etat, en faifant briller toutes les vertus qui font les plus ^ands iVIonarques. Jamais on n'avoit vii plus de grâce & de majefté fur fc Trône. Jamais la puilTance n'avoit été plus heureufement employée pour infpircr l'amour. Il parut digne de la place qu'il occupoit; & l'on jugea, dit l'Auteur, que c'étoit pour corriger l'injuftice de la fortune, que le Ciel avoit mis le fceptre entre fes mains. En un mot, il fit oublier le crime de fa femme, & fa propre nailTance, qui, fans être méprifable, étoit fort é- loignée de l'élévation royale. vSon bonheur acheva l'ouvrage de fon mérite, Uades plus grands Seigneurs du Royaume, qui avoit des droits inconteda- blef à la Couronne, donna le premier exemple de la foumiflîon, en lui prê- tant de bonne grâce le ferment de fidélité. 11 fe nommoit Cavcskan. C'é- toit lui-même un homme au-delfus du commun par les qualités de fon efprit, & capable également d'occuper la première place ou la féconde. Il gou« veraoït après le Roi, ou plutôt le Roi ne gouvernoit que par fes confeils;& ces deux Chefs de l'Etat fembloient avoir attaché leur bonheur à celui des Peuples (/), L E Roi tomba dans une maladie dangereufe ; & fentant approcher fa fin, il nomma Caveskan pour fon SuccefTeur. Ce généreux Minillre répondit ^ aufli^tranquillement que s'il y eût été préparé, „ qu'il n'avoit jamais fait „ d'injullice, & qu'il ne vouloit pas commencer; que le Roi lailfant „ un Fils, on devoit efpérer que ce jeune Prince relTembleroit à fon „ Père_, & feroitk bonheur de la Nation; que la Couronne lui apparu „ tenoit; & que l'unique foin du Roi devoit être de nommer un Couver- „ neur à fon Fils". Ce Fils du Roi n'avoit que ûx ans. Il étoit né d'une femme légitime* Perfonne ne pouvoit lui contefler ce que la modcllie & la générolité du véritable héritier lui cedoient. Le Roi répondit à Caveskan , qu'il lui con- fioic& fon l'"ils & fon Royaume. Il mourut après cette déclaration. Un événenunt fi lingulier ne"'laiira pas de former plufieurs parfis dans le Royau- me. Quelciucs Seigneurs vouloient forcer le INliniilre de prendre un rang qu'il lui étoit glorieux d'avoir refufé, mais dont ce refus même le rendoic plus digne encore, & leur faifoit fouliaiter d'être les Sujets d'un tel Maître. D'autres fe déclarèrent pour un Prince du même iang, c'eft-à-dire, pour le plus proche héritier de la Couronne après lui. Cette divilion caufa des troubles. ^ Les Gouverneurs des Provinces & des Villes , fous prétexte d'embrafler l'un des trois partis, exercèrent toutes fortes de conctillions dans les lieux fjumis à leur autorité. Le (gouverneur même de Rhebac, a^ant demandé à fa Ville une très-grofle fomme d'argent que les I Jabitans «etoient obibnés à lui refufer, avoit fait mettre le Icellé à tous les Comp- * . toirs Ci) Ibid. pag, 132, XIIL Paru . I Hr^TOTRlî PE Dom Pldre Di; Castro. 1672. Etat de ce lloyauiuce o Caraflère vc.tueiix d'un Seigneur Ma» homécatu ^'' ^^'' lui dis d'un ton allez ferme, que le defefpoir où il alloit fe plonger, me ^'^"•■^''■'"* paroilfoit un efl'et de la colère du Ciel, qui fe lalfant de 'îq% excès, étoit prêt fans doute à l'abandonner. Je lui demandai quelles étoient fes préten- ' fions à la Cour d'un Prince Mahométan, où fa première démarche feroic infailliblement de renoncer au Chriftianifme; déleriion auffi honteule de- vant Dieu que devant les hommes. Après fon apoilafie même, je le priai de me dire s'il fe llattoit de trouver, dans une Cour inlidèle, d'autres hom- mes que les Portugais , c'effc-à-dire, s'il faifoit l'honneur aux Mahométans de^ leur croire plus de vertu & de probité qu'à des Chrétiens? Dl voit-il même efpérer que le facrifice dont il alloit fe rendre la viélime, fût d'un grand prix aux yeux des Mahométans? La plupart faiibient-ils plus de cas de leur religion, qu'il ncw fiifbit de la fiennc? Je les connoiflbis, par une longue expérience des Cours de 1 Orient, où loin du centre de leur créan» ce, ils n'en adoptoient que les principes qui juflifioient leurs plus honteu-* fes pallions ;_ peu dilférens, dans tout le refte, des véritables Athées. J'a- wutai, que je ne comprenois pas d'ailleurs quelle vengeance il croyoit tirer GuViceruides Indes, en juRifiant par une conduite fi criminelle tous les mauvais traitemens qu'il en avoit rejus. C'étoit le délivrer d'un ennemi par des voyes qu'il auroit choiiies lui-même dans le feu de fi colère, s'il en avoit eu le clioix. Quel triomphe pour lui, d'écrire en Portugal que cq Dom Pedre, qui après avoir obtenu fon ablblution à Rome, avoit été ren- voyé dans l'Orient avec des honneurs extraordinaires, venoic de quitter le lervice defon Roi,- & qu'un Chevalier de l'Ordre de Chrill, s'étoit fait circoncire a la Cour de Vifipour! (^uel opprobre pour toute fa maifon! ^elle^aiiudion pour fa femme & pour fa fille , qu'il avoit laiOees à Goa >- ..^ciw.. ^uui la iLiuiiie ex pour la nue , quil avoit lailiees a ( Otos une lituation mdigne de leur nailfance, accablées de tous les char qa on peut reilentir avec de l'honneur & de la piété ! a rms ■r > -- -^ .c. pi „V....„^ ÏÏ K^'''.'^^'l"^^^^„^'^'l^'"^'^"^°'^^fs; & comme j'étois pénétré d'une ivaiitLire ii hoiucufe uu Ciiiiltiuii'fme, la même ardeur qui donnoit du poid 1 a is (58 VOYAGES DANS LA 1^73- llisTornn de à mon difcours, femblant forcer Ton attention, je me fentis comme fn- Do\rPin!5E j^ -^ j I y.j_.j. j^^g yeux, (Se d'adrefler au Ckl une prière fervente pour fou PS Castro. J , j ^ r r ^'t falut. Mais lorfque je le croyois touché de mes exprelTlons, & que j'en ju- geois par le trouble de fes yeux, c'éioit l'idée de ili vengeance qui lui rêve- noie fans cefle, & qui lui pcrmettoit à peine de ni'entendrc. Il ne me ré- pondit que par une nouvelle peinture des outrages qu'il avoit eilliyés. Quel- le efpérance lui rcftoit-il, foit à Goa, fuit du coté du Portugal? Sa va- leur , ou plutôt fon defefpoir , dans trois aftions langlantes où il avoit ex- pofé fa vie comme un Soldat, n'avoit fait qu'irriter Ion ennemi. Jufqu'a- lors , le Viceroi l'avoit haï par des raifons afteftées , par de prétendus mo- tifs de zèle & de iîdélité pour fEtat: mais il le haïnuit aftuellement parmi motif perfonnel ; il haïflbit fa bravoure, & l'éclat que cette qualité brillan- te avoit ajouté à fon nom. N'étoit-il pas prêt à bien vivre avec lui, dans le moment que par Cas ordres, il s'étoit vu conduire en prifon comme le demie'- des miferables? I L ne voyoit aucune reflburce à la Cour de Lisbonne. Il en connoifloit la foibleire; & c'etoit allez d'y avoir une fois trouvé quelque accès, pour n'y retrouver, pendant le relie de fa vie, que des difficultés infurmonta- blés. Il étoit las de fouffrir des hauteurs Si. des rebuts. D'ailleurs, ne voyoit -il pas qu'en attendant des réponfes de Lisbonne, il auroit le tcms de languir dans les priions de Goa? Il fentoit depuis long-tems la nécelVuc de s'ouvrir un champ libre» où toutes fes qualités pûlllnt s'exercer. Il é- toit fiu* de le trouver dans un Royaume tel que celui de Vifapour, qui fana ceire agité par des guerres étrangères ou domelliques avoit befoin d'hom- mes de tète & de refolution. Un homme tel que lid fe foûtenoit par lui- même , dans quelque lieu qu'il fût placé par la fortune. Il ne faifoit aucu- ne différence d'un Chrétien de l'humeur du Viceroi , à un Mahométan ; ex- cepté qu'il donnoit au dernier l'avantage des mœurs & de la probité. D'ail- leurs, il avoit remarqué que tous les hommes fc conduifoient peu par les maximes de Religion, dans les alfaires où leur intérêt fe trouvoit engagé; éc queMahométans ou Chrétiens , c'étoit cet intérêt qui les gouvernoit uni- quement. A l'égard de fa femme & de fa ii, , il fe propofoit de prendre foin de l'une & de l'autre; & le pouvoir de les fecourir ne pouvoit jamais lui manquer. Un peu de réflexion, qu'il fît apparemment fur cet aîr de confiance, le fit changer de difcoin-s. Enfuite, paroiifant craindre de s'être trop ouvert, il revint au même fujet, pour me dire que l'on dellein n'étoit pas d'aban- donner la Religion; qu'il feroit Chrétien autant qu'on peut l'être au milieu des Infidèles; & que h fa conduite ne laiifoit pas d'être un lujet de l'cand:;- le pour les Clirétiens, il falloit s'en prendre à ceux qui le forçoient de cher- chi;r, parmi les Alahométans, im azyle contre la cruauté de ceux qui piV' noient le nom de Chrétiens. QuoK^UK fa refolution me parut ferme, & que j'cfpérafTe peu définit de mes inftanccs, il me rendit l'occaHon de lui propofer une idée, que j"a- vois regrefé qu'il eiV. interrompue. Ce n'etoit pas de retourner à Goa, où l'on m'a\'uiuiu n^iiunnoins que lesfentimens du Viceroi étoient c:]iangcs, & qu'il Confeil que C'irré lionne a Doai Pedre. lei is comme în- .^nte pour Ton c que j'en ju- e qui lui réve- il ne me rc- siluyés. Quel- tugal"? Sa va- lu il avoit ex- i;mi. Jufqu'a- prétendus rao- llemenc par un qualité brillan- ivec lui, dans lion comme le en connoiffbit le accès, pour ,ës infurmonta- D'ailleurs, ne auroit le tL-ms .■ms la nccelVuc exercer. 11 é- apour, qui fiub befoin d'hom- Citenoit par lui- le faifoit aucu- ahométan ; ex- probité. D'ail- :nt peu par les Duvoit engage; çouvernoit uni- bit de prendre Douvoit jamais e confiance, le re trop ouvert, Loit pas d'abaii- être au milieu lijet de l'candr oient de clkr- j ceux qui pro' iTc peu de fruit idée , que j'a- rner à Goa, où ;nt cjiangcs , & qu'il PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 6^ 3' u'il ne trouveroit plus de Perfécuteur. J'aurois appréhendé de l'aigrir ^J''"^"'"- ""= avantage, & de m'attirer un refus qui m'eût fermé la bouche powr toû- nEc],^."o'^ jours. Mais je lui fis remarquer qu'il pouvoit quitter Goa fi:ins Te retirer à- i 6 ^ o.' Vifapour, où la Religion Chrétienne étoit en horreur; que d'autres Pays lui olTroient un azyle plus honorable pour lui-même, & plus fur pour les gl^ns de fa fuite; qu'ayant un grand nombre d'efclaves Chrétiens, il alloit les fjçpofer au danger d'être pervertis parla crainte ou par l'efpérance; qu'il •|i avoit quantité de Villes, & des plus belles de l'Orient, où l'exercice du Chrifbianifme étoit aulli libre qu'à Lisbonne. Je lui nommai Surate & Hif- f)ahan, où, parmi d'autres commodités, il trouveroit celle de faire valoir es grandes fomnies d'argent qu'il emportoit avec lui , & le moyen par con- féquent de fe foûtenir avec dillintlion; au-lieu de fe ruiner par Tes préfens & fes dépcnfes, comme il y feroit obligé dans le lieu dont il faifoit choix, ■pqwf fe pr(jcurer une confidération fort incertaine. ; jP^E confeil etoit l'âge, & méritoit du moins quelque nouvelle délibéra- tion; mais il n'écouta rien, & ne penfant qu'à fe rendre à Vifapour, il médit brufquement que j'et:ois le maître de partir avec lui; qu'il avoir pris des mefures pour la fureté de fa route; qu'un pafleport très-ample qu'il a- vok obtenu pour lui &. fon équipage, l'exemptoit des droits d'entrée, & qu'il me confeilloit de làifir l'occafion; qu'il avoit pris de l'affeélion pour moi, dans nôtre entretien; que je pouvois compter fur fes fervices; & que s'il ne fe rendoit point à mes confeils, il ne me remercioit pas moins de les luia,voir donnés. ^.f|E refufai honnêtement fes offres, en lui difant que s'il eût été difpofé à partir le lendemain , je me ferois fait honneur de l'accompagner ; mais que j'étois chargé d'aflaires preflantes, & qu'avec un équipage lî confidé- rable, fa marche ne pouvoit être aulfi prompte que la mienne. En elî'ct, il portoit des Magafms entiers de riches marchandifes & de meubles pré» cieux. 11 avoit des mulets chargés de vins exquis , de fromages , de viandes falees, de confitures, & de toutes les délicatelTes tlont les Por- tugais ne fe laifTenc pas manquer dans les Indes. Je lui promis feule- ment de le voir à Vifapour. Le Gouverneur de Rheback, dont j'allai prepdrc congé, me fit expédier un palfeport , & me donna deux de fes gens ]vjur guides; je partis le jour iliivant, après avoir rendu l'a vifite à Dom Pedre. y,fl§.A ianté, qui étoit excellente, à mon départ, fe ibûtint pendant les premiers jours de la route: mais je fus faili touc-d'un-coup d'une fièvre vio» knte qui dura deux jours entiers. Elle me quitta le troilième, & me laif- fa dans un abbatement qui ne me permcttoit pas de me foiitunir. J'écois fort mal loge. De Rheback à Vilapour, on ne rencontre que de mauvai- ies cabanes , & des 1 iabitans grolîlers. La différence de ma Religion aug- mentoiL encore leur brutalité. Mon paileport Jervit à me mettre a couvert de leui-3 mfaltes, en leur apprenant que j'étois connu du Gouverneur de Kheback, ô: que leui-s mauvais trai;emens ne dememxroient pas impunis. Mais^ics deux guides, qu'il m'avcit donnes, le kdîcrent d'accompa^^ner un maluae; Os^je me trouvai ikns lecours, daus un Pays dont j'entcndois peu la la;igue. j j x . I 3 \ ' Ce. C.Tnéfe rend à Vtfa» pour. Il tombe malade en chcuiin. ~w Jj)M I'edke Heureufe renoon're O'i'il fait â Vifapour. Duin rfi.ire y arrive i!ciui donne un lo- gjii.eiit. 70 • • V O V A G E S D A N S L A Cependant j'arrivai à Vi'apour: mais à peine fus -je entré clans Ij Ville, que la fièvre me reprit avec une nouvelle violence. Je me logeai chez un honnête i'erfun, de qui j'appris aulîi-tôt que le Gouverneur de la Ville étoit de fa A^acion. Conmie i! y avoit beaucoup d'apparence que ma dernière heure n'cLOJt pas éloignée, 6c que raffoibliliement de mes forces me conlirmoit à chaque moment dans cette idée, je pris le parti d'envoyer un de mes gens cliez le Gouverneur, avec ordre de lui dire, qu'un Fran. çois, charge des alfaires de fa Nation, ètoit dans la Ville depuis quelques jours, & que (e trouvant fort mal, il lui demandoit en grâce de venir rc. ccvoir de fa main des lettres importantes, qui ne pouvoient être remifes a- vec plus de fureté que dans la lienne. Il vint auifi-i:ôt. Ma furprife & nia joye ne peuvent être repréfentées, lorfque me reconnoiflant le premier a près deux mots d'entretien, il s'écria, dans fa langue, que j'entendois par. faitement; ,, Quel bonheur de retrouver ici lu meilleur de mes amis! Quoi, ,, mon frère, c'eft vous "! Je ne le rcconnoiObis pas: & quoique fon vifa- ge me rappellàt quelques idées vagues, la maladie avoit caufé tant de de- iordre dans les traces de mon cerveau, que je ne me le remis tout-à-fii; qu'après avoir entendu ion nom (^^0- Ce Pcrfan le nommoit Coja-yltdcla. C'étoit un homme de confidcration, qui avoit toujours aim* la Nation l'rançoife. 1! avoic écé long-tems Gnu- verncur de Àiirzeou (?/), & je l'avois connu i'amilièrcmcnt a !a Cote de Malabar. Nous avions lie même une amitié iort étroice; & je lui avois trouvé dus moeurs li douces, avec tant de droiture & de probité, que j'au- vois iouhait;é alors de ne le quiti;er jamais. ;\près avoir remercié le Cic-l de cetce heureufe rencontre, je commençai à niieux augurer de ma fitua- tion, lorfque je retrouvois des ilcuurs & des conrolai:ions affurées dans les foins de l'amitié. Cependant, l'ardeur de ma fièvre ne faifant que redou- bler, je priai Coji-Abdela, qui m'offroit alfeclueufement fes fervices, de penfer d'abord à me prv)eurer un logement plus commode, ik. dans quelque endroit où je fuile plus éloigné du bruit. „ Je prétends, me dit:-il , que ,, vous n'ayiez pas o'autre maifon que la mienne; ou 11 vous ne la trc;uv:-z „ point encore alîez cranquille, je vous procurc-rai un appartemant qui le „ fera beaucoup plus, »X: qui touche néanmoins à ma m.airon ". Il me quit- ta pour aller donner fes ordres. J'envoyai avec lui un de mes gens, qui revint me rendre compte de l'appartement qu'il me deflinoit. C'eiojen: trois chambres fort commodes, mais qui n'étoicnt pas moins expoféès ;m bruit que le logement que je voulois quitter. Dans cet intervalle je reçus la vilite de Dom Pedre, qui avoit employé fes premiers foins, en arrivant dans la Ville, à s'infurmcr du lieu o:i j'étois logé. 11 me preila d'accepter un appartement chez lui. Sa niai- l'on étoit dans le meilleur air de Viiapour, & dégagée de tout ce qui peut incommoder un malade. Il joignit tant de politelfes à fes offres, que dars (tn) Ibidem. \n^. 174. ( n) l/Autciir ne parle pis tk' ce Perfan, dans Id Journ:i! de fes \''oyagC£ ; innii; on a VU, diiiis celui de Di,l!oii/ qu'il étoit en* core Gouverneur de Mîrzeou , en 1670, & qu'il faifûit beaucoup de caicircs aux i'M' çois. ; entré dans h ]e me logeai luvcriiciir de la carence que ma ; de mes forces parti d'envoyer re, qu'un Fran- depuis quelquviî Lcc de venir rc- : être remiles a- a furprile &. ma ne le premier a j'entenclois par- mes amis! Quoi, quoique Ton vifa- L'aufé tant de de- remis tout-à-faii .leconfulération, long-tems (îou. cnt a !a Cote de .•; & je lui avois irobiré, qucj'au- remercié le Cid Lirer de ma fitua- afTurées dans les lilanc que redoii- les icrvices, de iSi dans quelque I, me dit-il , que :nis ne ia trcaivez partemanc qui le Ion ". Il me quit- e mes gens , qui linoit. C'eioien: Lins expofécs au |ai avoit employé irmer du lieu oa :'/. lui. Sa mai- tout ce qui pei!: offres, que dans k JrzL'OU , en 1670» ^ L caietrcs aux iiaû' PRE^QU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 71 letriae étatoùj'étois, je ne pus les refufer. Abdela;ii'avoitdéja déclaré, ^m^^-^^^* en gemilîant, qu'il n'y avoit pomt, dans la Ville, d autres Médecins que '^lYJZ. les rréires Indiens , cl(mt )c ne connoillois que trop 1 ignorance. Je le tis 1673. confentir me voir logé chez Dom Pedre, qui avoit, à les gages, un Chi- rurgien r rtugais. , •-f Liis recours que j'en reçus n'avancèrent pas ma guerilon. Au contrai- re, ma fièvre clevint continue, &. dura trente-cinq jours, avec une ardeur qui ne me laifToit pas plus de repos la nuit que le jour. L'approche de ma mort , que je crus certaine , me fit demander ii dans toute la Ville il n'y avoit pas un Prêtre, ou du moins un Chrétien, entre les bras duquel je pulle expirer tranquillement. On n'eut pas de peine à me trouver des Chrétiens ; ir.ais c'étoient autant de Renégats, qui avoient abjuré l'E- vangile pour embrafler l'Alcoran, & qui vivoient dans la plus infâme dé- bauche. ' Cependant mon mal ne faifant qu'augmenter, je tombai dans une Carré pue profonde léthargie. On me crut mort. Le Chirurgien me voyant fans P^"' ■"^"• poulx & fans refpiration , déclara que je venois d'expirer. Croira-t'on que Dom Pedre fe ibuvint alors qu'il étoit Chrétien? 11 fit allumer des cierges dans ma chambre ; & faifant l'oifice de Prêtre, avec fes Valets Ck les miens, il fe mit à réciter , près de moi , les prières que l'Eglife ordonne pour les Morts. Je fuis porté à croire qu'il le failbit par un motif de pié- té, & par quelque ientiment d'amitié pour moi. Mais comme la ma» lîgnité humaine empoifonne les meilleures actions , on a prétendu que fon uni<-|ue vue avoit été de faire connoître qu'il n'avoit pas embrafle le Mahométifme. Le lendemain, il recommença les mêmes prières, & les ordres furent donnés pour ma iepulture. Une heureufe négligence à les exécuter, me fauva la vie. Les Domeftiques ayant remis cet oifice au jour fuivant, qui étoit le troifième jour de ma léthargie, un Portugais fe fentit porté , par un mouvement de Religion, à pafler la nuit près de moi. Pendant qu'il prioit à genoux, il fe fit dans mon tempéramment une révolution fubite, qui me rendit le fentiment & la connoifTance. Mais ne retrouvant pas la force de parler, je tournai les yeux dans toutes les parties de la chambre, qui étoit fort éclairée de la lumière d'un grand nombre de bougies. Le Por- tugais fut faifi d'une fi vive frayeur, qu'étant forti de ma chambre avec précipitation , il alla publier que l'efprit du François étoit revenu ; & perlbn- ne n'ayant jugé de la vérité, parcequ'on ne pouvoit s'imaginer qu'un huma- ine mort depuis deux jours fftt revenu à la vie; fon récit pafia pour une illu- ficnde la crainte, & ne fit pas naître la penfée de me fecourir. Cependant, ma mémoire s'etant un peu fortifiée, l'appareil qui m'environnoit me fit connoure l'erreur où l'on étoit fur ma fituation. Je m'efforçai de me faire entendre: mais je fus mal obéi de ma lana;ue & de mes bras. Ainfi, fau- te ciûUiitance, je retombai dans le danger de mourir réellement. Cette tpraelie folitude dura jufqu'au matin. Coja-Abdela étant venu chez Dom Fedre, on lui raconta mon apparition prétendue. Moins crédule que les Portugais, il ne fe fit pas répéter luie avanture dont il comprit totit-d'un- 'coup le tond; ik i'amitie le conduiiit promptemcnt à mu chambre. Il me trou- 7* VOYAGES DANS LA l'K Castro. Dom Pcdrc tente de l'ein- poifonner. JTr-TornR nE trouva Ics yciix ouverts, avec quelques apparences de mouvement, maij IJOM i'i:i)RE Q-op fV.ible encore pour l'entendre. 11 me réveilla biLii-tùt, par la loivy de quelques liqueurs qu'il me lit avaller; èlii: d'autrej remèdes achevèrent de m'arracher à la mort («)• Dans ma convalelCwnce, les foins de Dom Pedre fe rclâchèr^'ni: beau, coup. Il n'éioit occupé que de les plailirs. D'ailleurs l'extrémité où j.. m'étois vil réduit m'avoit porte à lui confier plulieuis chofes piecieul'us qui lui feroient demeurées par ma mort. Ses efpérances étoient trompées; & comme je lui avois remis ce dépôt à la vue de plulieurs perlbniusi fur -tout à celle du Gouverneur Perfan , il comprenoit qu'il ne feroit pas aifémcnt dil^ enfé de me le rellitucr. Le regret d'abandonner mie proye , qu'il avoit crue certaine , lui fit prendre un parti qui ctoit ca- pable cfFeélivement de lui en ailurer la poireilion. Ce fut de m'empoi- Ibnncr (/;). J'iîTois encore fi foible, que la moindre agitation me caufuit un éva- noullfement. 11 -vint un jour, dans ma chambre, environné d'une douzai^ ne de Courtifanes & de plulieurs inllrumens. Ayant %û, me dit-il , qm j'étois beaucoup mieux , il vouloit contribuer à ma guerilbn par l'amufc. ment de la danl'e Ci: de la fymphonie. En vain lui repréfentai-je que « fpeèhicle me convenoic peu. 11 fit étendre de riches tapis, fur lefjuels sc- tant alTis à flndienne, avec toute fa fuite, il coinmen >» j» j> 9« >» )» >> » »» >> >> >1 »> » Jl J) » J) JJ î) ï> >> )J 5» 5» >> H 5» J> »> 5> »> » » JJ J> beaucoup, en reflentit une vive affliftion. Il fe figura qu'elles haïiïbicnt ligalemcnc fa Religion & fa perfonne. Mais la trillcHc de Tune avoit une autre caufe. Elle aimoit un jeune Portugais de Goa, qui avoic les mêmes fentimens pour elle, & qui étoit depuis long-tcms dans refpéran- ce de l'époufer. Tous les foins du Prince ne purent affoiblir cette paf- fion. Elle ne lui répondoit que par des larmes, qu'il attribuoit à fa ver- tu, & qui le rendoient i\ timide, qu'à peine ofoit-il fe prefentcr devant elle. Il employa toute l'éloquence de nos Prêtres pour lui faire abandon- ne» le Chriftianifme , dans l'efpoir que ce changement feroit tourner fon cœur aux plaifirs approuvés par l'Alcoran , & qu'une Religion voluptueu- fe lui feroit aimer la volupté. Elle triompha de tout; parcequ'dle s':- maginoit apparemment, que fon attachement pour nôtre loi ne pouvoit s'accorder avec fon amour pour un Chrétien. „ Le Prince la fit confentir par degrés à fe promener quelquefois avec lui dans un riche palankin ; mais l'événement a fait connoître d'où ve- noit cette complaifance. Elle fe iiattoit, fans doute, que fon Amant ne demeureroit pas tranquille à Goa,' & fon efpérance étoit de le ren- contrer dans fa marche. En effet, ce jeune téméraire, qui fe nommoit Dom /Alvarez Corrado, comme on l'a fçû depuis, étoit venu dans cette Ville, à la première nouvelle de l'enlèvement , c'eft-à-dire, prefqu'aufli- tôt qu elle. 11 y paflbit pour un Marchand , & fes occupations paroif- foient bornées au Commerce : mais s'étant logé dans le quartier du Prin- ce, il ne s'éloignoit guéres de l'enceinte de fon Palais, dont il ne ceflbit pas d'obferver la fituation, avec l'audacieux deflein d'y pénétrer. Il ne put manquer de voir fa MaîtrefTe, chaque fois qu'elle fortit avec le Prin- ce. On n'a pas douté qu'elle ne l'eut reconnu ; & nous n'avons pu don- ner;d'autre explication à l'empreflement qu'elle marqua bien-tôt pour fe promener avec le Prince, tandis qu'elle confervoit pour lui la même ri- gueur , & que fa trifteflTe ne paroiflbit pas fe relâcher. Enfin le jeune Portugais , encouragé peut-être par quelque figne ou par quelque billet , eut l'imprudence de s'adrefler à un homme de fa Nation , qui avoit em- brafle la Loi des vrais croyans , & qui étoit au fervice du Prince. Il lui découvrit fon amour, après s'être flatté de l'avoir engagé dans fes inté- rêts par une grofle fomme d'argent , qui devoit être fuivie de beaucoup d'autres libéralités. Ils convinrent des moyens qu'il falloit employer , pour entrer impunément dans f appartement des femmes. Le jeune hom- me réfolut de prendre l'habit d'une de ces Marchandes qui fourniffent les Seri*àils de fruits & de liqueurs, & qui font reçues fans défiance. Ses me- fures , qu'il ne déguifa point à celui qui devoit les féconder, furent pri- fes avec tant d'adreflTe & de conduite, qu'elles auroient pu réuffir; & l'enlèvement qu'il méditoit n'auroit pas eu moins de fuccès que le nôtre. Mais fon confident ne paroiflfoit le fervir , que pour garder la fidélité qu'il devoit à fon Maître. Aufli-tôt qu'il eut tiré le fecret de toutes fes vues , il en avertit le Prince. La vengeance ne fut pas éloignée. Je n'ignorai pas les ordres qui furent donnés dès le même jour: mais le con- fident demeura chargé de l'exécution; & cette préférence, pour un cruel tr" office , ne me caufa point de jaloufie. a LEt 5 haiffoicnt l'une avoit ii avoic les s refpéran- cettc paf- c à fa ver- itcr devant e abandon- courncr Ton voluptueu- îqu'die s':- ne pouvoic Liefois avec •e d'où ve- fon Amant de le ren- e nommoic dans cjtte ïrefqifauiîi- ons paroif- ier du Prin- il ne ceflbit trer. Il ne vec le Prin- ns pu don- tôt pour fe i même ri- in le jeune que billet, avoit em- ice. 11 lui s fes inté- beaucoup employer , eune hom- rniflent les e. Ses me- urent pri- éufllr ; & le nôtre, la fidélité toutes fes gnée. Je ais le con- r un cruel „ LEr 1 ?> >» 5> >1 J» >> >1 J> 5) 11 )) il 5» J» J> »> » J> »> DE CaSTUO. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 7? „ Le Prince, dont le tcms n'avoit fait qu'irriter la pafïlon , comprit Histoihe t>« tout-d'un-cûup ce qui rcndoit la Portugaife fi difficile. Il ne chercha plus u^ ca'stuo^ d'aucre explication pour fa trilK-lie 6c pour les larmes. On lui dit que c'ccoic un homme qu'il avoit vu plufieurs fois à la promenade. Il fe reflbu- vint de l'avoir remarque autour de fon palankin; & fa mémoire ne lui rappella pas moins diverles marques de trouble, que fa Compagne n'a- voit pas eu le pouvoir de cacher. Dans fa fureur, ilpenfa d'abord à poi- gnarder ùm Rival de fa propre main : mais on lui repréfenta qu'une ven- geance li facile n'ctoit pas digne de lui. Le Portugais devoit venir fcul, en habit de femme, & par conféqucnt fans armes. Le foin de punir fon crime appartenoit à celui qui l'avoit révélé. On lui donna deux Efcla- ves, qu'il mit dans un lieu obfcur, par lequel Alvarez devoit pafler. Lorique ce jeune téméraire y fut arrivé, il fe fentit frapper; & les coups qui le firent tomber fans vie , furent portes avec tant de vitelle , qu'il n'eut p '3 le tems de poulfer un Ibupir. „ J'.-.Tois avec le Prince, lorfqu'on lui vint apprendre que fes ordres étoient exécutés. Il entra, d'un air furieux, dans la chambre de la Por- tugaife. Vôtre Amant, lui dit-il, vient d'expirer. Vous le préferiez à moi. Il ne vit plus. Il a trouvé la mort qu'il méritoit. Quoi ! Dom Alvare? s'écria-t'elle. Dom Alvare efl mort! Oui, ileflmort, & c'cll moi qui l'ai fait poignarder. „ Je n'ai pas conçu quel plaifir le Prince put prendre à lui annoncer de fa bouche cette funelle nouvelle ; & moins encore , pourquoi il fe déclara l'auteur d'une violence qu'il pouvoit defavouer. Mais , à cette déclara- tion, la Portugaife tomba évanouie, avec de fi étranges accidens, que malgré tous les foins qu'on apporta pour la fecourir , elle expira quelques heures après. „ S A Compagne , qui paroît fans engagement du côté de l'amour, & qui n'a pas d'autre raifon que fa captivité pour s'affliger, fe confume d'en- nui; & loin d'écouter les propofitions du Prince, elle s'oblline à lesre- jetter, avec des emporteraens de douleur qui ne lui promettent pas une longue vie (a:) ". (x) Carré, ubifupra, pag. 402 & précédentes. Voyage de Luiîliery au Golfe de Bengale. UN Leftèur François , qui s'eft vu conduit fucceflïvément dans les principales parties du Golfe de Bengale, & qui efl tombé mille fois fur les noms de divers Etabliffemens Européens , à l'embouchure du Gange & fur la Côte de Coromandel , peut fe demander avec étonnement fi ceux de fa Nation lui font échappés , ou pourquoi il ne les a pas vus figurer dans les Relations étrangères & dans les nôtres ? On lui répond que fi les étran- gers s'occupent quelquefois de nos affaires, ce n'eft pas pour en relever le fuccès ou l'éclat ; & que par une négligence, allez furprenante en effet, il ne fe trouve aucun de nos propres Voyageurs, qui aît pubUé jufqu'à pré- fent fes obfervations fur nos Colonies Orientales. Luillier ell le feui qui aît K 3 . parlé, L U I L I, I E R. I 702. Introduc- tion, 78 VOYAGES DANS LA LuiLLtER, 1702. Ses obfer- vations fur les maladies de ("on Vaif- fcau. parlé, avec un peu d'ctencliic, de Pumlichery & de Clandema^nor, Aulîî cet- te raifon lui fera-t'dic obtenir, dans ce Kecueil, un rang qu'il mcrice peu à tout autre titre. Il nous apprend que Ton Voyage («) n'eut pas d'autre motif que fa politelie »> J> »> » »» >» tt » » » »» f) (a) Publié en 1726, à Rotterdam, chez Hofbout, tft-i2, fous le titre de Nouveau Voyage aux grandes Indes, avec une Injlruc- tion pour le Commerce des Indes Orientales , & un Traité des maladies particulières aux Pqs Orientaux t (^ de leurs remèdes {1). Le Voyage même ne contient que 128 pages. (fr) Voyage de Luilliei, pag. 25, (ij Ce dciniei Tnité ctt de Dtllm. K. d. I. nerei çoife C; ce la fain. d'her de \\ de la pas 1 quelq des n: très, de la ches, à traîi nôtres befoin me un Po] toutes clat. déjà ti la dorr dans f( de laqi ■ commt tems e Outre ( r. AuflTi cet- 'il mcrite peu jt pas d'auire ronduire, aiix is à deux jeu- lillion comme i , fur un Vaif. t il attribue le ailir fur Mer, m 12 de Juil- , depuis le 24 ,, où les Hul- aucun Navire du Commerce quarante hom- dans i'interval- té de ceux qui s. „ A nôtre e à quelc^ue cli- , & d'autres à ; la dernière de in & l'autre y 3is abbatu juf- 1 autre climat, .es plus dange* emifphère du !apricorne , <& it attribuer nos s , qui étoient jraire, de tous |n'y en eut que & l'autre eut id d'une haute ;s du foir. La qu'à peine y un air froid, vapeurs de la >le à la fanté. rir de ce mau- tlifter à fa ma- ligni- \culiêres aux Paf }j(i). Le Voyage pages. pag. 2$, PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 6T^ lignite. Mais outre que le fcorbut efl une maladie qui demande la Ter- ceux qui fe portent bien font ordinairement produ.Mies de leur ianté; re & comme ils n'ont- pas eu depuis long-tcms le plaifir de la promenade, ils s'en font un très-grand de fentir cette fraîciieur pendant la nuit: ils s'y endorment par laflbupilTement de ces vapeurs épailVes ; & de-là vient la maladie. Au contraire, les malades fe ménagent; & c'c/> par cette raifon qu'ils y recouvrent la fanté, pendant que les autres la per- dent (r)". Dix jours, que le Vaifleau pafla dans la Rade de Pondichery, ne don- nèrent point le tems, à Luillier, de connoître cette fameufe Colonie Fran- çoife auflTi parfaitement qu'à fon retour. Cependant il ne nous dérobe point fes premières remarques. Il pla- ce la Ville au douzième degré du Nord. L'air y efl: très chaud , mais fort fain. Le Pays, qui efl; fort fabloneux, ne produit que du riz, & très-peu d'herbes potagères. On y trouve néanmoins une efpèce de grolTes raves , de l'ofeille, des épinars, de petites citrouilles, qui fe nomment Girumonî, de la chicorée, des choux blancs, des concombres; mais ces légumes n'ont pas le même goût que les nôtres. On y trouve des citrons en abondance, quelques oranges, des bananes, desgouiavcs, des grenades, des patates, des melons d'eau , une autre efpèce de melons qui approche un peu des nô- tres, des mangues, des pamplemoufles , des ananas, des jacs & des papées; de la volaille & du gibier de toute efpèce, quelques bœufs & quelques va- ches, mais quantité de bufles, qu'on employé indifféremment à porter & à traîner; des cabris à grandes oreilles abbatues & tout-à-fait différens des nôtres. Les cocotiers y font en très -grand nombre, & fourniflent, aux befoins des Habitans , cette multitude de fecours qui les font regarder com- me un des plus utiles préfens de la Nature. Pondichery étant devenu le premier Comptoir de la Compagnie dans toutes les Indes , on commençoit à ne rien épargner pour lui donner de l'é- clat. L'Auteur croit fon circuit d'environ quatre lieues , & 1a repréfente déjà très-peuplée, fur-tout de Gentils, qui aiment beaucoup mieux, dit-il, la domination Françoife que celle des Maures. Chaque état efl: reflerré dans fon quartier. On y confl:ruifoit alors une nouvelle Forterefl^e , près de laquelle quelques Officiers François avoient fait bâtir des maifons : mais comme lePajs a peu de bois pour les édifices, & que d'ailleurs il s'y élève de tems en tems des vents fort impétueux , les maifons ne font que d'un étage. Outre ce nouveau Fort , on en comptoit neufs petits , qui faifoient aupara- vant l'unique défenfe des murs. La garde étoit compofée de trois Compa- gnies d'Infanterie Françoife, & d'envirçn trois cens Topa/es; nom qu'on onne à des Habitans naturels du Pays, qu'on fait élever & vêtir à la ma- nière de France (d). Il y avoit, à Pondichery, trois Maifons Religieu- fes, l'une de Jéfuites ; la féconde, de Carmes; & la troifième, de Capu- cins, qui fe difoient Curés de toute la Ville & de l'Eglife Malabare. Le Roi, pour donner du luftre à ce bel Etabliflemeht , y avoit établi depuis quelques années un Confeil Souverain. La Compagnie y entretenoit un Gou- (c) Jbii, pag. 28 & précédentes. (i) Ibid. pag. 33 & précédectet. LUILT. !RR. 1702. Defcrîptîon de Pondiche- ry , au paOa. ge de l'Aa-, teur. L'Auteur fe rtnJ au Ben^jale. t!' VOYACESDANSLA Luii.T.TEn. Gouverneur, qui ctoit alors M. le ChcvàWcr Martin (r), un Commandant 1702. Militaire , & un Major. On ne s'ell attache à cette courte defcription, que pour faire comparer, dans la fuite, l'état de Pondichery, tel qu'il ctoit alors, avec ce qu'il cil devenu dans l'efpace de peu d'années. L'Auteur ne donne pas d'ailleurs une idée fort avantageufe de l'agrément qu'il y vit régner dans la fociété des François, lorfqu'il fait obferver que la beauté, la propreté & le bon air y étoient rares. Il ajoute que les deux Dcmoifelles clu Vaifleau y firent admirer leurs charmes; „ que l'amour fut plus fort que la raifon, dans la „ plupart des Officiers de la Ville, quoiqu'ils n'ignoraflent point que ces „ deux belles Perfonnes n'alloient au Bengale que pour s'y marier; & que ' „ lî leur féjour eût duré plus long-tems , le bruit des paflions qu'elles firent „ naître auroit pu retentir jufqu'en Europe (/") ". Le Vaifleau ayant remis à la voile le 22 de Juillet, on n'eut qu'un vent favorable jufqu'à la Rade de BalaJJur (g), où l'on arriva le 29. Cette Ra- de efl: foraine, & très-éloignée de la Terre. Aulîl-tôt qu'on y eut mouil- lé, on tira trois coups de canon, & l'artimon fut bordé fuivant 1 ufage, pour avertir les Pilotes Côtiers de la Compagnie. Un gros vent contraire, qui empêchoit de fortir de la Rivière, les retarda pendant cinq jours. Comme le bruit de la guerre commençoit à fe répandre dans les Indes, ce retarde, ment caufa de l'inquiétude au Capitaine, qui appréhendoit de rencontrer quelques VaifTeaux d'Angleterre ou de Hollande. Enfin, les Pilotes arri- vèrent à bord le 4 d'Août , & furent fuivis , quelques heures après , du Facleur que la Compagnie entretient à Balaflbr ; mais le vent ne cefla pas d'être, contraire jufqu'au 7. L'entrée du Gange a trois bancs de fable, qu'on ne paAli point fans précaution. Auflî-tôt qu'on fait, à BalaflÂjr, l'arri- vée de quelque Vaiffeau François , le Faéteur en donne avis au Direéleur du Comptoir d'Oi/j/y, par un Pa?f/;wrrf, c'efl:-à-dire, un Exprès; & le Di- recteur fe hâte de dépêcher quelques Officiers, avec des Bafaras^ qui font une efpèce de grands Bateaux affez propres , doiit le milieu forme une pe- tite chambre {h). Balassor efl un lieu célèbre par le Commerce des belles toiles blar- ches qui fe nomment 5^Kaj, & de ces étoffes qui pafTent en France pour écorce d'arbre, quoiqu'elles foyent compofées d'une foye fauvage qui fe trouve dans les bois ( i ). L'Auteur ne nous apprend point combien cette Place efl: éloignée de l'embouchure du Gange \k). Les Bafaras du Direc- teur étant venus au-devant des Dames , on pafTa le lendemain devant le Comptoir des Anglois de l'ancienne Compagnie, qui fe nomme GoJgotheQ), où l'on faifoit bâtir alors de très-beaux Magafins. Il efl: fitué fur le bord du Gange , à huit lieues du Comptoir de France. Comme divers particuliers ont Snn arrivée k BaiaLlbr. Comptoir A'ip,lois de Golgothe. (e) C'étoit lui qui avoit défendu Pondi- chery, contre les HoIIandois , ,dans les der- nières guerres; & malgré la perte de cette Place, fa bonne* conduite lui avoit fait mé- riter la qr^lité de Gouverneur de l'Ordre du Mont-Carmel. (/) rag. 26. (g) Ou Bellezoor; Mr. Prevofl écrit tou- jours Ballafori. R. d. E. (6) Ibid. pag. 38. (O Ibii. pag. 39. {M ) Elle en eft à dix ou onze miles. R. d. E. C i ) Ou plutôt Collecatte. R. d. Ë. -# ^1 I I Commandant *e comparer, : ce qu'il cil )as d'ailleurs ,ns la ibcic'tc ;tc & le bon flcau y firent ifon, dans la loint que ces irier; & que qu'elles tirent it qu'un vent . Cette Ra« 1 y eut mouil- l'ufage, pour ontraire, qui Durs. Comme , ce retardé- le rencontrer 5 Pilotes arii- ss après , du : ne cefla pas ncs de fable, alalTor, l'arri- au Direéleur rès ; & le Di- as, qui font )rme une pe- toiles blai> France pour uvage qui fe Dmbien cette ras du Direc- in devant le GoJgotheQ), ur le bord du particuliers ont îvoft écrit toû- e miles. R.d.E. . d. E. PRESQiriSLE EN DEÇA DU GANGE, Lrv. III. 8r ont fait bâtir des maifons, à Golgothc, on le prendroit de loin pour une Ville (m)' O N pall^i de même devant le Comptoir des Danois , qui faluèrent le Rà- timcnt l-'rançois de treize coups de canon. C'cfl un honneur qu'il reçut de tous les Vailfcaux Européens , qu'il rencontra jufqu'à la Loge J'rançoi- fe ('0- Elle n'ell éloignée que d'un quart de lieue de celle des Danois. Les Dames étaient attendues au bord de la Rivière par des Palanquins; «Se leur débarquement fut célébré* par une décharge générale du canon & de la moufquéterie. Quoique la fête de leur mariage n'appartienne point à ce Recueil , l'occâfion permet d'obferver un incident qui dût avoir quel- que agrément pour les Speftateurs. Entre les François qui étoient ve- nus recevoir les deux Dames, on s'imagine que leurs Amans, c'eft-à-dire, deux jeunes Olficiers du Comptoir, à qui leurs parens les avoient deftinées, ne furent pas les plus lents. Ils ne s'étoient jamais vus. Une méprife, dont Luillier n'éclaircit pas la fource, mais qui n'étoit pas d'un heureux augure pour leur union , nt prendre le change aux deux Amanç. Chacun adreffa Tes civilités à la Dame qui n'étoit pas jpour lui (o). Les premiers embraf- femens furent donnés dans une faufle fuppofition , qui dût laifler beaucoup de chagrin des deux côtés, fi le goût avoit eu quelque part à cette erreur; & ce ne fut qu'après des éclairciifemens , qu'on revint à des carefTes plus jufl'^s, mais peut-être moins tendres, & par conféquent moins fincères. i^A Loge l'rançoife porte le nom de Chandernagor. C'efl: une très-belle Maifon , qui efl fituée fur le bord d'un des bras du Gange. Elle a deux autres Loges dans fa dépendance; celle de Caflambazar (p), d'où viennent toutes les foyes, dont il fe fait un fi grand Commerce au Le- vant; & celle de Balaifor. Le Pays, qui porte le nom d'Ougly, cft une Province du Royaume de Bengale. Chandernagor n'eft éloigné que d'une lieue , de Cbinchurat , grande Ville, où les Hollandois , & les Anglois de 'a nouvelle Compagnie, ont des Comptoirs. Celui des Hollandois l'emporte beaucoup fur l'autre , par la beauté des Edifices. Les Portugais y ont <1eux Eglifes ; l'une aux jéfuites , & l'autre aux Auguftins {q). La Vil'r de Chinchurat eft défendue par une Citadelle, qui fert de logement au v, iverneur. Le Port efl fi fpa- cieux , qu'il peut contenir trois cens VaifTeaux à l'ancre. Les Banians , qui font les principaux Marchands du Pays , y ont leurs demeures & leurs ma- gafins. La Loge Françoife efl accompagnée d'une fort belle Maifon de Jéfui- tes, (w) Ihii, pag. 40. (n) Nus Marchands nomment Loge ce que les autres Nations appellent Comptoir. (O PaK -2. (p) De Graaf nomme le même lieu Caf- fa^nhar ( i ). (9) Ces derniers, dit l'Auteur, ne vivent pas dans toute la régularité poflîhle, de quoi je ni- Uiis p.int fur.iri.v; car à Goa, qui eft la Capitale Portugaife des Indes, lorfqu'il arrive un Vaiireau de l'Europe, celui de l'E- quipage qui veut fe rendre Religieux n'a qu'à le préfenter. Quelque ignorant qu'il foit, il ell rtçu, fans, examiner s'il a l'ef- pritde Religion ou non. Ainfi, je ne m'é- tonne point qu'il s'y commette tant d'abus. Luillier, pag. 48. I. u T r. r, T F, R. 1702. Con.ptuir Danois. Plaifnn'e erreur entre des Airiaiis. Comptoir François de Chander- nagor. Ville de Chinchurat. ,/ '1 C\ft Mi Pf voft lui même qui a fait cette faute, 8c qui la met à toit lui le compte de de GiaaL Voyez iiotie Note ci Utflus. f»g ^g R,. d, E, XI IL Fart, L 82 VOYAGES DANS LA L u r r, r. I E R. I "02. Province . d'0,i-\y, oîi II.' Conijuojr l-'r.iiiçois di Commerce tic la Coin- pifînie dt's Indes au Ben gale. tes, où l'on ne comptoit alors que deux Prêtres, dont l'un faifoit les fonc» lions de Curé. L'Auteur loue beaucoup Ijur conduite & leur zèle. Il y a, dans la Loge même, une Chapelle, où la Mefle efl célébrée trois fois u^us les jours. Les environs offrent plufieurs mailbns, bÙLies par des hrançuis (1 par des Portugais. Le Comptoir Danois, qui n'en elî pas à plus dun quart de lieue, forme aulîi un Edifice allez régulier. Les mailbns ne font pas plus hautes au ikngale qu à l'onJiciiery. Ell.s font de brique, parce- que le Pays eft: fans pierres. La chaux fe «ire de lialalFor, tic n'eft com. p ilée que d'écaillés d'Iuiitres qu'on t'ait brûler. C\.s huitres pèlent quelque- fois quatre livres, & ne peuvent être ouvertes qu'avecides martcau.\. La Province d'Ougly eft par le vingt-troilicme degré, fous le Tropique du Cancer ( r). L'air y efl: fort grollier, & le chmat moins fain qu'à Poi> dichcry. Cependant la terre y efl: beaucoup meilleure. Elle produit tou- tes fortes de légumes <& d'herbes potagères , du fro:n.nt, du riz en abon- dance, du miel, de la cire, & toutes les efpèces de fruits qui croiflcnt aux Indes. AulTi le Jiengale en eft-il comme le Magafin. On y recueille quan- tité de coton, d'une plante dont la feuille reflemble à celle de l'érable, Oi qui s'élève d'environ trois pieds. Le bouton, qui le renferme, fleurit à* peu-près comme celui de nos gros chardons (s). L A Compagnie tire de fon Comptoir d'OugU diverfes fortes de Mal'cs- molles', des Cajfes^ que nous nommons Mouflelines doubles; des Durcas^ qui font les JVIouflelines rayées; des Tanjebs^ ou des Mouflelines ierrées; des //manî, qui font de très-belles toiles de coton, quoique moins fines que les Sanas de Balaflbr ; des pièces de mouchoirs de foye , de coton , de mallesmolles , & d'autres toiles de coton. La grande Ville de Daca , qui cil: éloignée de la Loge, d'environ cent lieues, fournit les meilleures èi les plus belles broderies des Indes , en or & en argent comme en foye. De- là viennent les Stinkerques , & les belles Mouflelines brodées qu'on apporte en France. C'efl: de Patna que la Compagnie tire du falpétre , & tout l'O- rient de l'opium (t). Les Jamavars^ les Arnuàjins & les Cottotiis, qui font des étofl'es mêlées de coton & de foye, viennent de Caflambazar. En gé- néral , fuivant la remarque de l'Auteur , les plus belles mouflfelines des In- des viennent de Bengale, les meilleures toiles de coton viennent de Pon- di- (r) Elle n'eft par conféquent moins éloi- gnée que nous de l'Equateur , que de vingt- cinq degrés tn latitude; ,, Si bien, ditLuil- „ lier , que fans le Cap de Bonne - Efpéran- „ ce, ou plutôt fans une grande langue de „ terre, qui nous empêche de chercher en „ droiture les Mers Indiennes, on ne feroit „ éloigné du Bengale que de cinq cens lieues „ en latitude, & d'environ mille lieues en „ longitude; au - lieu que pour y arriver, il „ faut faire cinq mille cinq cens lieues ; fa- „ voir, foixante onze degrés dans la par- ,, tie du Nord, & foixante- quatorze dans „ la partie du Sud, qui font cent trente-cinq „ degrés, valant en latitude deux mille fept „ Cens licuts, ôi deux iiiillt- huit cens lieues fans compter que „ en longitude : lans compter que louvtrt ,. les vents contraires obligent de ioavoyt.r". j Ibid. pag 50. (i) Pag. $1. Voyez ci-deflbus la de- fcription de Bengale ( i ). (t) Pag. 58. L'Opium, dit l'Auteur, efl un limple qui approche beaucoup du pavot. La manière de faire celui qu'un nous appor- te efl de couper la tige, d'où il liiltiiie un petit lait , femblable à celui du pavot, qu'on iailFe cuire au Soleil , & qu'on ainaflTe eiifui- te pour le vendre. Ibidem. ( I } Cette defcription. i laquelle Mi, ficvoft leiiTOje ici ic Lcâcur» ne contient quehoit lignes dansl'E- dilioa de f aiis, K. d. £. le Cap font tt caille ] 'des au que le jjptter un de lier , En connut gnent ] .quemei mes de '.tifs qui *%ppris , ides éve ■ îges de défenfe i^lumièn |claircif i^on rem )lus jul (X) I (2)F (a; F (i)p Nota. iU ifoit les fonc- /clc. 11 \ a, trois fuis ic^is • des hrançuis as à plus ci'un lailbns ne l'ont jrique , parce- vSc n'cft com. jclent quelque, nartcaux. is le Tropique Juin qu'à Pun- e produit tou- .1 riz en abon- i croiflent luix recueille quan- de l'érable, Oi me , fleurit ù- tes de Malles- i; des DurcaSf félines lerrécs; noins fines que de coton , de de Daca , qui s meilleures (!Sc e en foye. De- qu'on apporte & tout l'O- tofiiSf qui font azar. En gé- elines des In- nnent de Pon- deux mille fept huit cens lieuij pter que l'ouvcnt 'lit de iouvoyt.r". i • dcITous la d dit l'Auteur, c\ ueonp du pavot, u'tJii nous «ppor uîi il ililtiile lin du pavot, qu'i n on amalTe er,fiii- hait lignn dansl'E- PREciQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 83 dichcry , & les plus belles étofles de foye à fleurs d'or & d'argent viennent de Surate (v). . , , * » •■,■ 1,. Apkks avoir paHe cinq mois entiers a Chandernagor, Luillier rappelle par le CJpiiaine de Ion VailL-au, qui le dirpolbic à l>;vcr l'ancre, s'embar- ' quu dans un Bafaras, avec cinq Oriiciers qui le conduilirent jufqu'à Halaf- ?or, où il fe mit fur une des trois petites Barques que la Compagnie entre- tient pour faciliter à fes Vaifleaux l'entrée & la lortie du Gange. Dans cette route , il rencontra plus de cinq cens Souries , qui font de grands Ba- teaux Indiens de fort mauvaife confbruftion. Ils étoient chargés de Fac- ; kirs & d'autres Gentils, qui revenoient de Sagore^ Ifle fameufc par une Pagode fort relpeflée, dont le culte y conduit un très-grand nombre de Pé- lerms. Il palla le lendemain devant l'Kle de Gale , qui n'efl: habitée que par des tigrts & d'autres animaux féroces. Son VailFeau n'étant pas éloi- gné de cette Ifle, il y arriva le 15 de Janvier avant midi. Le 17, on le- va l'ancre, & l'on palfa les bancs, le 18, avec un vent fi favorable , qu'on fortit du Gange le 19 au matin ^.v). Le retour à Pondichery n'offrit rien de plus remarquable, que les évé- nemens ordinaires de la navigation. L'Equipage prit un gros requin , & le Capitaine une tortue: fur quoi l'Auteur obferve, que les tortues de Mer font trés-difl'érentes de celles de Terre. Celles de Mer ont, dit-il, une é- caille plus claire , un bec d'aigle , & la chair n'en efl pas fi bonne que celle 'des autres (y). Al'occafion des requins, il rapporte, dans un autre lieu, que le Serrurier du Vaifleau étant mort, & l'ufage de la Mer l'ayant fait jptter dans les flots, enféveli dans une toile de voile, on prit le lendemain un de ces monfl:res , dans le ventre duquel le cadavre fut retrouvé tout en- tier , avec fon enveloppe (2). E N arrivant , le 30 de Janvier , à la Rade de Pondichery , Luillier re- connut qu'il eft dangereux d'aborder le foir au rivage. Les brifans, qui ré- gnent fur toute la Côte de Coromandel , l'obligèrent de remettre fon débar- .quement au lendemain (a). Il trouva le Chevalier Martin dans les allar- mes de la guerre. Quoiqu'elle ne fût point encore déclarée, les prépara- tifs qui fe faifoient dans toute l'Europe fembloient l'annoncer. On avoit appris d'ailleurs que les Hollandois armoient à Batavia. Dans l'incertitude ^des événemens , ce fage Gouverneur avoit pris le parti de prefler les ouvra- ^ges de la Ville, & d'y faire des chemins couverts , qui avoient manqué à fa ^ défenfe dans le premier fiège. L'entreprife étoit poufl*ée avec toutes le». . lumières qu'il devoit à l'expérience (b). Mais comme il n'y a que des é- ' claircifleniens fuperficiels à tirer du Voyageur dont on a donné l'extrait , on remet à une autre occafion, de puifer dans une meilleure fourcc des idées plus jufl;ôsde l'Etabliflement François de Pondichery. l.UII. î. f ER. '703- lU'iuiir au l'Auteur à PonJiclicty. (v) Pag. 195. (x) Pag. 92. (y) Pag- 93. (2) Pag. II. (a) Pag. 95. ( b ) Pag. 98. Nota. Une faute d'impreffion , qu'on trou- \ûc de Sa- f;nre & fun PéléiinaRe. nie de Gale. O'ifcrvatinns de Luillier. Préparatifs de guerre à Pondichory. ve dans Luillier, a fait prendre le change è> Mr. Prevoft, qui là-deirus a daté ce Voyage de 1722. Cette année & la précédente, la Compagnie de France , ruinée par le Allé- me , ne fît partir aucun Vaiflfeau pour les In- des. R. d. E. L a Voyages 84 VOYAGES DANS LES ^KTRODUC- TIOW, 0O>:O0><[OOOO>OO> Voyages dans thiâoiijlan. . SI c'étoit rilifloire des Indes Orientales qu'on eût entrepris de traiter dans cet Ouvrage, les Mogols ne fe préfenteroicnt pas li loin des 'l'ar- tares, dont ils tirent leur origine; & la liaifon qu'un Iliftorien doit obfcr- ver, entre les événemens qui dépendent les uns des autres, auroit fuit pla- ccr l'Article de ÏJnduuJlan parmi les exploits du grand Timur (a), qui joignit dans le cours du quatorzième fiècle , cette belle partie de l'Inde a fes conquêtes. Cet ordre auroit été d'autant plus naturel , qu'elle avok été peu connue jufqu'alors, & qu'elle n'a dû qu'à fes Conquérans fa puiflan- ce oc fa fplendeur. Mais ne nous laflbns pas de répeter q-.ie l'objet de ce Recueil eft tout-à-fait différent; & pour Introduélion générale à la nouvelle carrière qui va s'ouvrir, rappelions une ancienne remarque (/;), fans laquelle on ne jugera jamais bien de l'entreprife dont je donne la continuation. „ Les Auteurs Anglois, ai-je dit dans le premier Tome, promettent avec raifon , un Sylteme complet d'Hifloire & de Géographie moderne. Cependant ils ne font pas aflez remarquer que leur objet n'dl pas l'IIiftoi- re des Pays où les Voyageurs ont pénétré , mais feulement l'Hiftoire de leurs Voyages & de leurs Obfcrvations ; de-forte que s'il en réfulte ef- feélivement de grandes lumières pour la Géographie & l'Hifloire en gé- néral , c'efl: par accident , fi j'ofe employer ce terme , & parcequ'en vi- fitant divers Pays , ils n'ont pu manquer de recueillir ce qui s'eft attiré leur attention. La plupart s'en font fait une î*tude , fuivant les occa- fions & leur propre capacité ; mais , par ces deux raifons mêmes , avec un fuccês fort inégal. Ainfi tout ce qui fe trouve ici d'utile à l'Hifloire & à la Géographie , n'eft au fond que le réfultat du principal objet , qui eft de repréfenter le Voyageur tel qu'il eft en lui-même. Enfuite , on ti- re de tous ceux qui ont voyagé dans les mêmes Pays , ce qui^'appartient à l'Hiftoire & à la Géographie des mêmes lieux , pour en compofer un Corps que les Anglois ont nommé Réduftion, auquel chaque Voyageur] contribue fuivant fes lumières". Quand l'Ouvrage devroit être encore aulTi long qu'il eft proche de fa 1 fin, je n'ai pas d'autre réponfe à faire aux objeftions, ni d'autre deflfenfe contre la critique, dans une entreprife dont je répète que je n'ai pas formé le Plan. Qui me condamnera même, fi j'ofe m'attribuer quelque droit à la reconnoiirance du Public , pour les petites réparations que j'explique dans ! mon Avertifîement? Je m'arrête à cette flatteufe idée. Elle fflutiendra! mon courage jufqu'au terme (c). («) Ou Tamerlnn. Voyez ci-deflus fon Article au Tom. IX. {b) AveniCremenc du premier Tome, (c) C'eft ici le commencement du Tome j X. de l'Edition de Paris. K. d. £. I f .;^: tj- '\P^ r^ §.1, i D MtSS t, « »t G «•' ••^ o a a o o M"':, -^ -♦*■ o' <î> a^' q a«. © .» ^* fi Cj e €) .'M ■ ',■-* ,{^-Vf'- ■" ■ '\ ■5^1 <ï) •■<:.! ./^ : r/ U I Kîa:: s*î :4a, ;,,:.-: — "^ ;j«Êr:.;i,.&:ur' L^r •\i. #-j ♦'-f*^céi:"f - «■ i ■«■ -a^r. i»ï n « 7î i-î«:nrrr:44r: Jti-iu-r-sri; H-r-*^ • -^î ■. ■* ■ .=».*!*, -*.«»;■ IM»«MM«..<* «HM*' .* 4 - W^lfc*^ ♦»^H,^^^,. ^ , ' J »■ n ij'n -i-- 1" ■II. .f.y.S.i/irrjr l KAART van HINDOESTAN. v.,lgens d w SP 9* 9.^ 9(_ 91^ tOO JOi Mi J€ MA JOf y Hikrrcloa '^ ^^^ y^ Lctac \ 'Jcn^ADour 'un Carte he z Ijvdoustan, SuivAnt les Coite» les pluft recoiites. Crl''/^er{^/<■ (/^v }cyaç(^. F Feuille \^^ ^3ÎaS^ \ / ê» MV/-f, où l'on compte, de Bram- deux cens neuf coflfes , qui font quatre cens dix-huit miles d'An- & le 10 de Janvier, il entra dans les murs de cette Ville Im- vre; sMmpatience d'exécuter les ordres de fa Compagnie le fit aller dès iejéur fuivant, m Durbal, c'eft-à-dire, au lieu d'où ie Mogol donnoit fes audien- R II o E. 161 5. Château de Manuua. Anciennes ruines de Chitor. Dchly. Afmcre, I 61 6. Rlioe arri- ve à la Cour du Mogol. ^g) Voyageur Anglois, dont Purchas & gHlevenot ont publié auffi la Relation : mais ffle ne coii'itnt que des obfervations fur les mœurs & les ufages, qui tro>.veront place éliii) la Defcripiion de l'indoullan. ( A ) Edouard Terry étoit un Prédicateur Anglois. R. d. E. (O Pag- 9. (Jk) IbiJem. Ci) C'eît-à-dire Jgra. R. d. E. .:l %% VOYAGES DANS LES i6 i6. y audiences & fcs ordres pour le gouvernement de l'Etat. L'entrée des ap. parcemcns du J'akiis n'ctoit ouverte cju'uux Eunufiutjs; & fa Garde intérieii- U astsquil ^c étoit coinpofcj do femmes, char^é'js de toutes fortes d'armes. Chaque |r: celui de la femme d'un Bourgeois de Londres. Au-dellbus, ci: voNoic celui de Thomas Smith, Gouverneur de la Compagnie des Indu Orientales. Sur l'eflrade, on avoit étendu des tapis de Perfe d'une grande largeur. Cette place étoit pour les perfonnes de qualité, à la réferve d'un petit nombre qui avoient un autre porte, enfermé aufli d'une baludradt-, vis-à-vis le Trône, pour recevoir de plus près les ordres du Monarque; & dans cette féconde baluftrade on avoit placé , entre plufieurs curiolités précieufes, une maifon d'argent. Le côté gauche de la même cour ofFroit le pavillon du Prince Sultan Chosroc (f), dont les piliers étoient revêtis d'argent comme ceux du Trône Impérial. La forme de cel'rône étoit quai- rée. Les quatre piliers portoient un dais de drap d'or, dont la frange on la crépine étoit enfilée de perles fines: & d'efpace en efpace, il y avoit des grenades, des poires, des pommes, Ck d'autres fruits d'or maflif. L'Em p.reur étoit aftîs fur des coulîins, couverts de perles & de pierres précieu- fes. Les principaux Seigneurs avoient leurs tentes dreifées le long de k cour du Durbal ; les unes de taffetas, d'autres de damas , & d'autres de dra; d'or, mais en petit nombre. Ils étallent ordinairement toutes leurs riche!- fes dans ces tentes; & l'Empereur y entroit autrefois, pour y prendre ton: ce qui rîattoit fon goût: mais -il avoit changé cet ufage, & chacun lui pcr- toit fur fon Trône les préfens ou les étrennes. Rhoi (f) Pag. 12. (_i ) Rhoe le trompe, avec quantité d au- tres Auteurs, lorfqu'il prétend que Nouroux fignitie neuf jours, qui font la durée de la Fôte. Thevcnot -rapporte l'origine de ce nom , & s'tn fcrt pour expliquer une Epoque Perfane dont nos Chronologilles n'ont pas eu ( 1 ) Le mot même deNouioujt, fignifie ntuvian jour, on mmvtlU amt'e, Rhoe remarque qu'ancieimcrow cette Fête duioit neuf jouis ; mais de fon tems dix-huit , de lUvki'n le confirme. R. d. E, de connoifTance , & qu'il nomme années S:- haliennes {ï). royez Ja Collellion , J'orne I. (t) C'étoit le l'"ils aine de l'EniperM;.' que Rhoe nomme tantôt Cojronroe, & tri!:;i: CorJ'orontie. iVlr. Prévoit I avoit confondu ki avec le Sultan Coronne, ou CLorain. R. d, £. )) j» »> ce, (f) ETATS DU GRAND M OC OL, T-iv. III. 91 i a cinq fnn. •s plus cK \\i it, qiiL' deux :iix. Kn un , où l'on ne les toiirtLTcl- crcnt de tous nomme Kou' lifcnt le corn- nenc à la prc- .it que la cour Empereur tL'- , 6c large di or &cle ibyc, ic drap. Au jleterre , de h ; & de Salis- u-delVous , 011 nie des Incla d'une granui,' i réferve d'un le balurtradt;, lu Monarque; eurs curiuiitis (le cour offroit toient revêtu »nc étoit quar- la frange on il y avoit des laflif. L'Em ierres précicii- le long de k autres de dra: leurs richef- prendre ton! lacun lui pcr Rhoi )mme Années &■ lion, Tomcl. de l'EiDptrei;' ronroe, & tri;:;i: oit confondu ic; Cboram. R. d. C. ]ue qu'ancicnKii!'' R II n I. 16 l 6. ù Rnon choiflt le dernier jour dé la f-'tc, pour faire Ton préfent.^ L'Km- èercur le revuf avec lieaucoup de fatislaction , & donna ordre qu'on le fit tntrcr dans la balullrade. Cependant, comme on ne lui permit pas de Dçraiption conter fur l'ellrade du Trune, il n'en voyoit d'abord qu'une partie, parce- °" "^"''• le la balullrade qui le fermoic par devant ét;dt liaue Ck couverte de tapis; liais il ne lailla pas de le voir à la Hn jufqu'au fond. ,, On ne peut delà- vouer, dit-il, que le dedans ne ï'ùi richement paré: mais il l'étoit de tant de pièces ditférentes, ai. qui avoient li peu de rapport entre elles, que le mauvais ordre en diminuoit beaucoup l'éclat, il fembloit qu'on n'eût _ penle qu'à ralllmbler dans ce lieu tout ce que l'ICmpire avoit de plus ri- -^ elle, fans confuker aucune règle de goût". L'après midi un jeune Prin-' ce, filsdeKanna, nouveau VaiTal du Mogol, fe prelenta devant le 'lr 55 5» S» J» J» » J» J> • r J, ■;■•► i» i» t: 9» » » dre re place. Ce- côtes de mon lifois entendre e l'embarralTtr 'étoisà fa Cour leiife maladie: ; & qu'on pa. 5 de mon Voya- deux Nations, des Marchands )n me répondit niére audience, mal expliquées, )romettois. ]c lal établi; mais dI mon Maitre croient cherche: ne demanda à amans ou d'au- li venoienc d'uc >réfent digne d; lé, diverfes ri- , telles que d'ex- lierre ou de foii' (i bien , me dit Dndis qu'il écoi: . le Turc ne k impolTible pr ongueur de \i un Navire , o; laigre , on tro:- ;r que le fuccei j'écrirois dans • répondis nette- oiiroient nécef- fureté de m rés les mauvaii t indifpenfable; ntes, parceque iterpréte: mais e ne lui lailTi . L' Empereur mit en colère, vois à me plain- ■m 1^ ■■?■ I* M i f» n r* r»- i* >^ >» » »> n n » »», »»' 99 99 »9 .** » 99 ■■fi ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. lîl. 93 9! 99 » 99 99 99 dre, que je ne crus pas devoir l'exciter davantage. J'ordonnai à mon Interprète, en aflez mauvais Italien, de répondre que je nevoulois pas importuner Sa Majeftc par le récit de nos peines, mais que je m'addrcf- ferois au Prince Ton I ils, pour obtenir jultice , dans la confiance de le trouver bien dirpolc pour nous. L'Empereur n'attendit pas que mon Interprète eut achevé; & lui entendant nommer fon Fils, il le figura que je me plaignois de ce jeune Prince. Mio-I'iglio, Mio-Figlio^ répéta- t il deux fois , dans la langue dont je m'étois fervi ; & fur le champ il le fit appeller. Le Prince vmt auiri-tôt. La frayeur & la foumiflion étoient peiniLS fur fon vifage. Alaph-Kan ne trt-mbloit pas moins, Ck tous les Speélateurs paroilfoient fort étonnes. L'Empereur traita fort mal fon Fils, qui s'excufoit avec beaucoup d'embarras, fans pénétrer la caufe de cette querelle. Pour moi, qui compris heureufement l'équivoque, j'eus recours à la bonté d'un Prince Perfan, avec lequel j'avois lié con- noifTance. & que je priai de fuppléer au défaut de mon Interprète , qui s'étoit mal expliqué. Il remit l'efprit de l'Empereur & du Prince, en déclarant que loin d'avoir accufé le Prince, je demandois la permiflion d'avoir recours à lui , pour tout ce qui fe palleroit dans les Pays de fon Domaine. L'Empereur confentit à cette propofition. „ Le Prince, revenu de fon trouble, me dit qu'il m'avoit offert un Fir- man que j'avois refufé , & me prefla d'expliquer les raifons de ce refus. Je ne fis pas difficulté de répondre que le Firman renfermoit des condi- tions que je ne pouvois accepter. L'Empereur voulut favoir quelles c- toient ces conditions , auxquelles je refufois de m'afllijettir. Je les ex- pliquai ; & l'on fe mit à diîputer là-defllis avec beaucoup de chaleur. Un Seigneur, nommé Mokreb-Kan, déclara qu'il ne pouvoit abandonner l'in- térêt de la Nation Portugaife ; & parlant de la nôtre avec mépris , i! foû- ,tint que Sa Majefté ne figneroit jamais aucun article à leur defavantage. ;Je répondis que mes propofitions n'avoient rien de préjudiciable aux Portugais, & que je n'aurois pas crû la Cour Mogole fi dévouée à cette Nation. Les Jéfuites & d'autres Partifans de la même caufe , infifiièrent avec tant de chaleur fur la déclaration de Mokreb-Kan, que je fus obligé d'entrer dans d'autres explications. Elles confiflèrent à leur offrir une aix conditionelle, en témoignant néanmoins que leur haine ou leur a- itié nous étoient prefque indifférentes. L'Empereur prit la parole; & connoiflant que mes demandes étoient juftes, & ma réponfe, généreu- , il me prefla de faire mes propofitions. Afaph-Kan, qui avoit été uet pendant tout ce difcours , & qui étoit impatient d'en voir la fin , préfcnta qu'après les plus longues difputes, il faudroit revenir à met- tre mes demandes par écrit;- que c'étoit par conféquent le parti auquel on devoit s'arrêter, & que fi le Confeil les trouvoit raifonnables , elles feroient fignées du fceau Impérial. L'Empereur approuva cette ouver- ture; & je témoignai que j'en étois fatisfait , pourvu que le Prince y donnât fon approbation, qu'il promit aulTi {z) ". (s) Pag. lî. Le R H 0 f . I 6 I 6. M 3 94 VOYAGES DANS LES K II O E. 1 6 J 6. l.es An- g!ois s'atti- rfnt h h:iine du l'iincc Curounu, Avnnture d'un jeune Aîiglois (lui fe livre aux Italiens. L E lendemain , Rhoe envoya chez Afaph-Kan, pour lui faire compren- dre, que l'Empereur s'était taché fur une équivoque; que c'étoit unique- ment la faute de l'Interprète; que les Angiois n'avoient aucune intention de le plaindre du Prince ni de lui, mais que ne pouvant fupporter qu'il dé- guifiU leurs affaires à l'Empereur, ou qu'il ne l'en informât qu'à demi, ils le prioient de trouver bon, qu'ils n'empLyaflent plus déformais fon entremife il la Cour. Sa réponfe fut, que ni lui ni le Prince n'avoijnt aucune raifon de croire que rAmbailadeur Angiois eut voulu fe plaindre d'eux; que l'é- quivoque étoit évidente; qu'il avoit toujours aimé la Nation Angloile, & qu'il confervoit les mêmes fentimens. Cependant Rhoe fut averti, deux jours après, que le Prince avoit demandé à l'Empereur pourquoi il recevoit li bien les Angiois, & qu'il lui avoit reprélentè que cette préférence éloi- gnoit les Portugais de fes Ports; que Itur Commerce lui apportoit néan- moins plus d'utilité que celui des Angiois, qui n'y venoient que pour s'en- richir, & qui n'avoient que des marchandifes de peu de valeur, telles que des draps , des épées & des couteaux ; au-lieu que les autres apportoient des perles , des rubis , & toutes fortes de pierres précieufes. Ce difcours prouvant affez que ce Prince avoit peu d'affeélion pour l'Angleterre, Rhoe prit la réfolution de fe tenir fur fes gardes & de tourner tous fes foins à fe conferver la protection de l'Empereur. Un autre incident lui apprit enco- re mieux combien fa défiance etoit jufle. . „ J'eus le chagrin, dit-il, de perdre un jeune Angiois, qui abandonna mon fervice pour fe retirer chez un Italien ; & les honteufes raifons de fa fuite firent peu d'honneur à nôtre Nation. Comme tous les Italiens s'étoient réunis pour le protéger , j'allai demander juftice au Durbal. L'Empereur donna ordre auffi-tôt que le Déferteur fût remis entre mes mains. Mais le Prince, qui n'attendoit que l'occafion pour me nuire, propofa de le faire amener dans l'aflemblée. Il parut le foir au Gouzal- kan; & fe voyant appuyé du Prince, il eut la hardiefle de palTer devant moi, pour fupplier l'Empereur de lui accorder la vie. Ce Monarque, touché de compaliion, perdit le deflein de me le rendre, & réfolut de l'envoyer prifonnier à Surate. Mais le Prince, dans la feule vue de me braver, le demanda au Roi pour fon fervice; & cette faveur lui fut ac- cordée malgré toutes mes objedlions. Il lui donna auffi-tot cent cinquan- te roupies , &. la paye de deux chevaux,* & joignant l'infulte à l'injufti- ce , il me fit défcnfe d'entretenir aucim commerce avec lui. ,, Cependant ce jeune homme ouvrit les yeux fur fa faute. Il prit le tenis de la nuit pour venir chez moi ; & s'étant jette à mes pieds , il me demanda pardon de fon extravagance, avec offre de la réparer par toutes fortes de foumiirions. Je lui dis que je ne voulois pas le retenir, puifqu'il étoit au fervice du Prince; mais que pour lui faire grâce, j'exi- geois qu'il me fît une fatisfaélion publique. Dès le jour fuivant, il trou- va le moyen d'entrer au Ciouzalkan , où demandant pardon à f Empereur, il retraita toutes fes impollures. Il avoua que c'étoit un nouveau crime, dont il s'étoit rendu coupable, pour fe mettre à couvert de mes juftes chàtimens. Il fupplia même Sa Majefté de me faire appeller, pour lui „ don- » 5> J» » J> JJ »> 5> J» P( « n' »> cr 5» jei ?> à 5> 5» rit efi fer 5» 5» mi de lai >J poi 5) cet )t ne Le a 5> 35 3» 33 53 33 53 53 »1 ») » 5» >J ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 05 donner le pouvoir de me demander grâce en fa préfence. L'Empereur étoit prêt d'y confentir; mais le Prince, fort piqué d'un événement li peu prévu, ilifcita quelques aftairLS qui lui firent abandonner cette idée. Je me rendis le lendemain au Gouzalkan. L'Empereur me protefta qu'il n'avoit jamais penfe à protéger , contre ma jullice, un Anglois fugitif & criminel , mais qu'il n'avoit pu le défendre de le recevoir lorlqui! s'étoic jette comme entre Tes bras. On le fit amener. Il me demanda pardon, à genoux. Il jura devant l'Empereur qu'il n'avoit pas dit un mot de vé- rité (fl), & qu'il faifoit cette déclaration volontairement, fans aucune efpérance de retourner jamais en Angleterre. Le Prince, qui étoit pré- fent , s'échauffa beaucoup , & l'excita vivement à perfifler dans fa pre- mière dépofition. Mais ayant rcfufé de changer de langage, il eut ordre de fe retirer. Le Prince, dans un dépit qu'il ne put déguifer , le rappel- la publiquement, & lui donna ordre, avec beaucoup de baffelT:;, de rap- porter les cent cinquante r(jiipies qu'il avoit reçues , fous prétexte que cette fomme, qui lui avoit été donnée pour un autre fervice que le mien, ,, ne lui appartenoit plus lorfqu'il faifoit fa paix avec moi (Z») ". Les Anglois eflliyèrent d'autres mortifications, auxquelles Rhoe fut obli- gé de paroître infenlible, parcequ'il ne lui rclloit aucun moyen de deman- der fatisfaélion. Il n'avoit plus rien à donner à la Cour; & l'Empereur ne recevoit jamais une reqaétc avec faveur, Jorfqu'elle n'étoit pas accompa- gnée de quelque préfent. Le Prince flùfoit tourner les circonllances à l'a- vantage des Portugais, en les preflant d'apporter des pierreries, des rubis ik des perles. Ils fe préfentèrent devant l'Empereur avec un préfent con- fjdérable , & un rubis balais qu'ils lui propoférent d'acheter. 11 pefoit trei- ze toiles, dont deux & demi font une once Mais au-Iieu de cinq Iccks de roupies, qu'ils avoient efperé de le vendre, l'Empereur ne leur en offrit qu'un. Cependant ils fe rendirent li agréables à la Cour, que les Anglois n'ofoient plus s'y préfenter. „ Jufqu'aiorî; , dit l'Auteur, j'avois jugé de ce Pays-là fur le rapport d'autrui: rnais je commençai à connoître, par une fâcheufe expérience, la diflinélion qu'on y mettoit entre les Portugais & nous. Tous les Indiens couroient après eux. Au contraire, lorfqu'ils achetoient nos marchandifes, ils croyoicnt nous, faire faurnône. Outre l'avantage que les Portugais avoient dans les Indes, d'être voifms duMo- gol, ils pouvoient empêcher le Commerce de la Mer-rouge. D'ail- leurs, le notre n'étoit rien en comparaifon du leur. Aulii la crainte de nos VailTeaux étoit -elle l'unique motif qui portât le J\.togol à nous „ recevoir (c) ". Le 12 de Juin, Sultan Coronnc fut nommé pour commander les Trou- pes qui dévoient faire la guerre dans le Decan. On confulta l<;s Kramines fur le choix du jour de l'on départ; & le Prince Perwis reçut ordre de fe rendre à la Cour. On racontoit alfez ouvertement que ce jeune Prince a- voit écrit à l'Empereur fon Père, qu'il verroj.t volontiers le commandement dans (a; Comme Rhoe n'explique point en chn? aura fupprimé ici quelque chofe de cet- quoi confiftoic la première dépofition de ce te flclation. R. d. E. i L une homme , Thevenot fuppofe que Pur- (t) Pag. 16. "(c) Pag. 17. s> 5) R H 0 «. IC3 i6. Mortificn- tiens qu'cf- fuyt'in Ils An- glois. Réflexions de l'Auteur, DiiTérend entre les deux Princes Fils du Mo- gol. 9« VOYAGES DANS LES R II 0 E. I 6 I 6. Or.frc bar- bare, qui coûte l» li- berté à un lie fts Neveux. AiIrcfTc des Soldats Mo- gols à tirer au b!anc. InciJcMit qui initlllioe en faveur à la Cour. dans les mains de fon frère aîné , mais qu'il croyoit fon honneur bleiïc par la préférence qu'on donnoit fur lui au Sultan Coronne, & qu irétoit réloiu de s'attaquer à fa perfonne pour en tirer raifon. Les principaux Officiers déclarèrent aufli qu'ils demanderoient la permiffion de fe retirer, s'ils é- toient obligés de fervir fous cet odieux Général , qui étoit plus redouté que l'Empereur même. Cependant Rhoe prévit que fon élection fubfifleroit , parceque l'Empereur, dit -il, n'avoit pas le pouvoir de la changer. Ce Monarque fe propofoitde marcher lui-même à la tête de l'Armée ;& lesAn- elois craignoient beaucoup que s'il exécutoit ce deflein, avec Sulphekar-Kaii , K)n favori, on ne leur payât jamais un fou de l'argent qui leur étoit dû (d). Le 1 8 , un des Neveux du Mogol , qui avoit embralTé la Foi Chrétien- ne, eut ordre, de ce Prince, d'aller fe mettre fur le cou d'un lion, qu'on avoit amené à la Cour. La crainte l'ayant empêché d'obéïr, fon Frère ca- det reçut le même ordre, & l'exécuta intrépidement, fans que le lion lui fît aucun mal. L'Empereur en prit occalion d'envoyer l'aîné dans un ca- chot, d'où l'on jugea qu'il ne fortiroit jamais (e). Le 24, la Princefle femme de Sultan Coronne accoucha d'un fils. Ce nouveau Général conti- nuant fes préparatifs pour la campagne , on lui donna pour appointemens vingt lecks de roupies (/) , dont il commença généreufement à faire ufage, pour fe concilier les cœurs par fes libéralités. Un des principaux Seigneurs de la Cour avertit l'Empereur, que le Prince Perwis, dont l'honneur étoit of- fenfé par le choix qu'on avoit fait de fon Frère , étoit capable de s'en reflen- tir. „ Qu'ils fe battent, répondit ce Monarque, j'en fuis content. Le „ plus vaillant commandera me» y\rmées ". Rhoe crut devoir une vifite ù l'Emir Abdalla - Haffan ^ Lieutenant Géné- ral & Tréforier des Troupes Mogoles , qui partoit pour fe rendre au quar- tier d'aflemblée. Il en fut reçu avec beaucoup de diftinftion. Ce Seigneur fit tirer fes Soldats au blanc devant lui. La plupart , avec leurs flèches , ou leurs moufquets charges d'une feule balle , donnèrent dans le blanc , qui n'é- toit pas plus large que la main. Pendant que les Anglois auguroient fort mal du fuccès de leur Am- baflade, un léger incident releva tout d'un coup leurs efpérances. Un jour que Rhoe fe trou voit au Durbal, l'Empereur lui fit dire, par Afaph-Kan, qu'il avoit appris qu'entre les Anglois de Ja fuite, il avoit un excellent Pein- tre, & qu'il fouhaitoit de voir quelqu'un de fes ouvrages. Je n'avois pas de Peintre, dit Rhoe; mais j'avois amené un jeune Anglois , qui faifoit, pour fon amufement , des figures à la plume , & qui étoit fort éloigné de la perfeélion d'un bon Peintre. Cette réponfe , que je fis à l'Empereur, lui fit croire que je le foupçonnois de vouloir m'enlever -mon Artifle. Il s'ef- força ! {d) Pag. 17. (e) Ilawlîins remarque, au fuiet de ces Princes, qu'ils s'étoient faits Chrétiens par ordre de l'Empereur, fur ce qu'on lui avoit prédit qu'ils ufurperoient un jour la Couron- ne. Son but étoit de leur attirer la haine des Mahométans, & de les exclure par là, de la fuccefllon au Trône, ilhoe qui rap- porte la même circonfiance, ajoute, que ces Princes étoient retournés à leur première Re- ligion , fur ce que les Jéfuiteg ne vouloicnt pis leur donner des femmes Portugaifes, quo l'Empereur efpéroit d'obtenir par leur moyen. Voyez ci - deflbus. R. d. ¥.. (/) Ibidem. Un Leck fignilie centmill:. "I M 4 ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 9T ir bleflc par *étoit rélolu lux Officiers irtr, s'ils é- redouté que fubfifleroit , hanger. Ce îe;& les An- tlphekar-Kafi , étoitdû(d). oi Chrétien- lion, qu'on on Frère ca- e le lion lui ; dans un ca- la Princefle énéral conti- ppointemens i faire ufage, ux Seigneurs leur étoit of- c s'en reflen- rontént. Le tenant Géné- idre au quar- Ce Seigneur \s flèches , ou anc , qui n'é- de leur Am- ies. Un jour Afaph-Kan, relient Pein- n'avois pas qui faifoit, éloigné de mpereur, lui Ifte. Il s.'ef- força ijoûte , que ces j r première Ke- levouloicntpis Irtugaifes, qj>; Inir par leur d. E. lide cent milis. Força de me guérir de cette crainte. Mais je lui proteftai qu'elle n'avoit point eu de part à ma réponfe, & je lui promis de mener le jeune homme au Gouzalkan , où je lui ferois porter Ces defleins , qui pouvoient être quel- ques figures d'éléphant ou de cerf. A ce difcours , l'Empereur ht une in- clination , & me dit que fi ma curiofité me faifoit defirer un éléphant , ou fa figure, ou quelque chofe qui pût fe trouver dans fes Etats, je ne devois pas faire la dépenfe de l'acheter , ni chercher à me le procurer par une au- tre voye que la fienne; qu'il m'oflfroit tout ce qui pouvoit me plaire ; que je pouvois parler librement; qu'il étoit mon ami; enfin qu'il me prioit de revenir le l^ir avec le jeune homme & fes peintures. Afaph-Kan prit oc- cafion de -là pour me préfixer d'aller chez lui, & d'y mener aufli le Pein- tre. Jamais l'Empereur ne m'avoit traité avec tant d'aff'eftion. Toute la Cour en fut informée ; & je m'en apperçus au changement que je re- marquai , aufli - tôt , dans les manières que les Courtifans avoient eues pour moi. Il arriva fort plaifamment que pour interprète de fes caref- jes, l'Empereur choifît un Jéfuite, qui n'avoit cherché que l'occafion de me nuire (g). Le même jour, une Demoifelle de la Princefle Noer Mahaî {h) , favorite de l'Empereur , fut furprife avec un Eunuque , dans le Palais , par un autre Eunuque qui l'aimoit aufli , & qui perça fon rival d'un coup de poignard. La jeune fille fut enterrée jufqu'aux aiflelJes, les bras attachés à un poteau, & condamnée à pafler trois jours & deux nuits dans cette lituation , fans recevoir aucune nourriture , la tète & les bras expofés à la chaleur du So- leil. Sa faute devoit être pardonnée , fi elle avoit le bonheur de furvivre à ce fupplice; mais, fans nous apprendre quel fut fon fort, l'Auteur ajou- te qu'en perles, en pierreries & en argent, on lui trouva près de deux mil- lions d'or. L'Eunuque, pour qui le coup de poignard n'avoit pas été mor- tel, fut mis en pièces par les éléphans (j). Les Anglois fe reflentirent bien-tôt de la faveur de Rhoe, par la facilité qu'ils trouvèrent à fe procurer une maifon pour leur Commerce dans la Vil- le de Baroch, avecla liberté d'y vendre toutes fortes de marchandifes , & une exemption de droits , dont le profit devoit monter pour eux à la va- leur de quinze cens Jacobus (^). Rhoe ne cefl^a plus d'être carefle perfon- nellement à la Cour. Il raconte , avec un détail , dont on ne doit rien fup- primer , quelques effets de cette heureufe révolution. Le 6 d'Août, je reçus ordre, dit-il, de me rendre au Durbal. Quel- ques jours auparavant, j'avois faitpréfent au Mogol d'une peinture, & je l'avois aflTuré qu'il n'y avoit perfonne aux Indes , qui fût capable d'en faire une aufli belle. Auflî - tôt que je parus „ que donneriez -vous, me dit -il, „ au Peintre qui auroit fait une copie de vôtre tableau, fi refl^mblante, „ que vous ne la puffiez pas difl:inguer de l'original? " Je répondis que je lui donnerois volontiers vingt pilloles. „ U efl; Gentilhomme, répliqua l'Em- 9} (f ) Pag. 18. (6) Ce nom fignifîe Lumière du Serrait. Rhoe écrit Normal , & Mr. Prévoit Nobor- mal. L'hidoire de cette Sultane eft fort re- XIII. Part, N narquable. Voyez ci-deûbus. R. d. E. (f) Ibidem, (k) Pag. 19. R H o K. 1616. Demoifelle furprife avec un Eunuque. Maifon ac- cordée aux Anglois dans Baroch. Défi entre le Mogol & Rhoe fur la peinture. 98 VOYAGES DANS LES R H 0 K. 1616. Les Indiens entendoient dcja cet Art. „ l'Empereur; vous promettez trop peu ". Je donnerai mon tableau de bon cœur , disje alors , quoique je reflime très-rare ; & je ne prétends pas faire de gageure ; car li vôtre Peintre a fi bien réufli , & s'il n'efl: pas con- tent de ce que je lui promets , Vôtre Majellé a dequoi le récompenfer. Après quelques difcours fur les Arts qui s'exercent aux Indes , il m'or- donna de me rendre le foir au Gouzalkan , où il me montreroit fes pein- tures. Vers le foir, il me fît appeller par un nouvel ordre, dans l'impatience de triompher de l'excellence de Ton Peintre. On me fit voir fix tableaux, entre lefqucls étoit mon original. Ils étoient tous fijr une table , & fi fem- blables en eflTet, qu'à la lumière des chandelles, j'eus à la vérité quelque embarras à diftinguer le mien ; je confefle que j'avois été fort éloigné de m'y attendre. Je ne laiflai pas de montrer l'original, & de faire remar- quer L^s différences qui dévoient frapper les ConnoifTeurs. L'Empereur n'en fut pas moins fatisfait de m'avoir vu quelques momens dans le doute. Je lui donnai tout le plaifir de la viéloire, en louant l'excellence de fon Pein- tre. „ Hé bien, qu'en dites-vous? reprit-il ". Je répondis que Sa Ma- jellé n'avoit pas belbin qu'on lui envoyât des Peintres d'Angleterre. „ Que „ donncrez-vous au Peintre? me demanda-t'il ". Je lui dis que puifque fon Peintre avoit furpafle de fi loin mon attente, je lui donnerois le dou- ble de ce que j'avois promis , & que s'il venoit chez moi , je lui ferois pré- fent de cent roupies pour acheter un cheval. L'Empereur approuva ces of- fres ; mais après avoir ajouté que fon Peintre aimeroit mieux toute autre chofe que de l'argent, il revint à me demander quel préfent je lui ferois? Je lui dis que cela devoit dépendre de ma difcrétion. Il en demeura d'ac- cord. Cependant 11 voulut lavoir quel préfent je ferois au Peintre. Je lui donnerai, répondis-je, une bonne épée , unpifl:olet, & un tableau. „ En- „ fin , reprit le Monarque , vous demeurez d'accord que c'efl: un bon Pein- j, tre : faites -le venir chez vous, montrez-lui vos curiofités, & laiflez-le „ choifir ce qu'il voudra. Il vous donnera une de fes copies , pour la faire „ voir en Angleterre, & prouver à vos Européens que nous fommes moins „ ignorans dans cet Art qu'ils ne fe l'imaginent ". Il me prefla de choifir ime des copies. Je me hâtai d'obéïr. Il la prit , il l'enveloppa lui - même dans du papier , & la mit dans la boete qui avoit fervi à l'original , en mar- quant fa joye de la vidoire qu'il attribuoit à fon Peintre. Je lui montrai alors un petit portrait que j'avois de lui , mais dont la manière étoit fort au-deflTous de celle du Peintre qui avoit fait les copies; & je lui dis que c'é- toit la caufe de mon erreur, parceque fur le portrait qu'on m'avoit donné pour l'ouvrage d'un des meilleurs Peintres du Pays, j'avois jugé de la ca- pacité des autres. Il me demanda où je favois eu. Je lui dis que je l'avois acheté d'un Marchand. „ Hé comment, repliqua-t'il , employez-vous de „ l'argent à ces chofes là? Ne fçavez-vous pas que j'ai ce qu'il y a déplus „ parfait en ce genre? Et ne vous avois-je pn: c':': que je vous donnerois j, tout ce que vous pourriez defirer?". Je lui îi.pondis qu'il ne meconve- noic point de prendre la liberté de demander, mais que je recevrois comme une grande marque d'honneur tout ce qui me viendroit de Sa Majefté. „ Si 5, vous voulez mon portrait., me dit-il, je vous en domierai un pour vous. Rc qu qu[ coii >» 5» )> fit m n tableau de prétends pas ■i eft pas con- M écompeiifer. '• Vw ;s , il m Dr- ' ■■ 1 oit fes pein- l'impatience ix tableaux, 2 , & fi fem- rite quelque c éloigné de faire remar- L'Empereur ns le doute. de fon Pein- que Sa Ma- ;rre. „ Que que puiiljue :rois le dou- n ferois pré- ouva ces of- toute autre e lui ferois ? 'meura d'ac- tre. Je lui )leau. „ En- m bon Pein- te laiflez - le pour la faire -nmes moins a de choilir a lui - même al , en mar- lui montrai e étoit fort dis que c'é- .voit donné ;é de la ca- ■■' le je l'avois 'ez-vous de y a de plus s donnerons meconve- vjis comme jefté. „ Si - pour vous, „& ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. IIL ç^ „ & un pour vôtre Roi *'. Je l'aflurai que s'il en vouloit envoyer un au Roi mon Maîcre, je ferois fort aife de le porter, & qu'il leroit reçu avec beaucoup de fatisfaèlion ; mais j'ajoutai que s'il m'étoit permis de pr.ndrc quelque hardiefle, je prenois celle de lui en demander un pour moi-même, que je garderois toute ma vie, & que je laifferois à ceux de ma iVlaiib:!, comme une glorieufe marque des faveurs qu'il m'accordoit. „ Je crois „ bien, me dit -il, que vôtre Roi s'en foucie peu. Pour vous, je Aiis „ perfuadé que vous ferez bien -aife d'en avoir un, & je vous promets „ que vous l'aurez". En effet, il donna ordre furie champ qu'on m'en fîtun(/). Le 12 d'Août, je rendis une vifite d'honneur à Gemaldin-UJpitn^ Vice- roi de Patan (m). C'étoit un Vieillard de foixante-dix ans , Seigneur de quatre Villes dans ia Province de Bengale. Mais fa principale confidéra- tion venoit de la longue expérience qu'il avoit acquife dans les affaires. 11 avoit été employé toute fa vie aux plus grandes AmbafTades & aux plus im- portantes fondions de l'Etat. D'ailleurs les Etrangers lui trouvoient plus d'efprit & de politeffe, qu'à la plupart des autres Seigneurs du Pays. II m'avoit preflé piufieurs fois de le voir chez lui. Il me reçut avec de vives démonllrations d'amitié, jufqu'à m'ofFrir trente mille piftoles, & m'afTurcr que je pou vois difpofer de fon crédit à la Cour, me fervir de fon confeil & de tout ce qui dépendoit de lui. En effet , je lui ai connu, depuis, beau- coup d'honneur & de générofité. I L m'entretint fort particulièrement des ufages du Pays , & de l'efclava- ge des Habitans. Il fe plaignit que l'Indouflan manquoit de loix. En me parlant de la grandeur & de l'accroifTement de cet Empire , il me dit qu'il avoit fervi trois Empereurs , auprès defquels il avoit été dans une haute confidération. Il me montra un Livre de l'Hilloire de fon tems, qu'il avoit compofé lui-même, avec le foin de marquer jour par jour tous les événe- mens qui étoient venus à fa connoifTimce. Il m'en offrit une copie, fi je voulois la faire traduire. Les revenus du Mogol confifloient , me dit-il , en confifcations , en préfens qu'il exigeoit, & fur-tout en taxes qui fe le- voient fur les perfonnes riches. Les Gouverneurs de chaque Province payoient tous les ans une fomme à l'Empereur , comme s'ils n'en étoient que les P'crmiers. Il donnoit, pour celle de Patan, un leck de roupies. A cette condition, les Gouverneurs ont le droit de faire des levées arbitraires fur les Peuples de leur Province. Gemaldin tiroit, de la fienne, dequoi fournir à l'entretien de quatre mille chevaux, c'efl-à-dire, deux cens mille roupies. Outre ce revenu, il recevoit de l'Empereur la paye de cinq mil- le chevaux; & n'en ayant que quinze cens fur pied, il profitoit du refbe, comme d'autant de morte-payes. Il avoit encore une penfion annuelle de mille roupies par jour, & les profits de quelques autres petits Gouverne- mens. A l'étonnement que je lui marquai d'un fi gros revenu, il répondit qu'il y avoit , à la Cour, piufieurs perfonnes plus riches du double, & qu'il pouvoit m'en nommer une vingtaine qui ne l'étoient pas moins que lui. Il me (i) Pag. 20. (m) Mr. Prevoa écrit toujours Patan», R. d. E. N z R H 0 e. i6i 6. Le Mngol fai prérviil à RI oc Je l'un r,oUiait. Carnftcre de Gcnuildin- UlFain. Vice- roi de Patan. II avoît compofé une Hilloire de fon tems. lOC VOYAGES DANS LES R ri o E. l6l6. Rhoe vidte avec Gemal- din une Mai- fon de cain- f»agne de 'Empereur. Complîmens & confeils af- feiflucLix de Geuiaidin. Kepas qu'il lionne à Hhoe. me parla refpedlueufement de la Religion Chrétienne; & de Jefiis - Chrift , comme d'un grand Prophète. Sa converfution étoit folide , & d'un tour fort agréable (w). QuELCijjEs jours s'étant pafTés depuis cette vifite, je ne croyois pas que fa civilité dût aller plus loin , lorfqu'il me propofa de vifiter avec lui une Maifon de plaifance de l'Empereur, qu'il avoit empruntée dans cette vue. Elle n'étoit pas à plus d'une demie-lieue de la Ville. Il s'y rendit vers minuit, avec un gros équipage, & des tentes, qu'il fit drefTer fur le bord d'un étang. Je partis au matin pour le fuivre. Il vint au-devant de moi. Il me conduifit dans l'appartement qu'il m'avoit fait préparer. Son cortège étoit compofé de vingt perfonnes de condition , à la tête defquel- Ics étoient deux de fes fils. On me dit qu'il en avoit trente, de diverfes femmes. Il me fît voir les endroits du Château , où le Mogol fe plaifoit davantage; fur-tout fes cabinets, qui offroient, entre diverfes peintures, les portraits des Rois de France & d'autres Princes Chrétiens. Les meu- bles en étoient très-riches. „ Pour moi , me dit agréablement Gemaldin , „ je ne fuis qu'un pauvre Efclave de mon Empereur. J'ai fouh-iité de vous „ amufer quelques momens ; & je vous ai propofé ici un mauvais repas , a- „ fin que mangeant enfemble du pain & du fel, nous puiflîons fceller la „ promeiTe d'une mutuelle amitié ". Il ajouta qu'il y avoit à la Cour un grand nombre de perfonnes puilTantes , qui m'auroient pu faire des compli- mens plus recherchés ; mais que la plupart étoient des orgueilleux ou des fourbes , auxquels il ne me confeilloit pas de me fier : que fi j'avois des af- faires importantes à traiter avec l'Empereur, foit qu'elles regardaflent les Portugais ou d'autres , ceux qui me ferviroient d Interprètes n'explique- roient jamais fidèlement mes idées ; que je ne devois compter fur rien , fi je n'avois un homme de mon Pays qui fçût la langue Perfane , & que l'Em- pereur m'accorderoit volontiers la liberté de prendre un Anglois pour Inter- prète : que ce Monarque étoit fi bien difpofé en ma faveur , qu'ayant reçu la veille, au Gouzalkan, les pierreries du Gouverneur de Lahor, qui étoit mort depuis peu , il s'étoit fouvenu de moi à la vue d'un de fes portaits qu'il avoit trouvé dans cette fucceflion; & que l'ayant jugé fidèle, il l'avoit re- mis entre les mains d'Afaph-Kan, avec ordre de me le porter, & de m'ex- horter à le conferver pour l'amour de lui (o)» Pendant qu'il me tenoit ce difcours , on couvrit la table. Nop'> étions aflis fur des tapis. On étendit devant nous une pièce de drap, qui futauf- fi-tôt couverte de plufieurs plats. Plus bas , on fervit en même - tems une autre table, pour les Gentilshommes du cortège, avec lefquels Gemaldin alla s'afleoir. Je lui dis qu'il m'avoit promis de manger du pain & du fel avec moi, & que je craignois de manquer d'appétit fi nous ne mangions point enfemble. Il ne balança point à le lever , pour reprendre place au- près de moi , & nous dinâmes à la même table. On fervit d'abord des rai- fins, des amandes, des pillaches, & d'autres fortes de fruits. Après le dîner, il fe mit à jouer aux échets,. & je profitai de cet intervalle pour vi- fiter les jardins. Je revins, dans l'intention de prendre congé de lui : mais (o) Pag; 21 Se précédentes» (o) Pag. 25i îis-Chrirt, d'un tour royois pas sr avec lui dans cette s'y rendit îfTer fur le -devant de arer. Son te defquel- de diverfes le piaifoit peintures , Les meu- Gemaldin , ité de vous s repas , a- is fcelier la la Cour un des compli- eux ou des i^ois des af- rdalTent les n'exçlique- ifur rien, fi 5c que l'Em- pour Inter- :'ayant reçu -, qui étoit ortaits qu'il l'avoit re* de m'ex- Jor'. étions I qui fut auf- -tems une Gemaldin & du fel mangions place au- )rd des rai- Après le |le pour vi- lui: mais il ETATS DU GRAND M OGOL, Liv. III. îol îl me dit que je lui avois promis de venir manger chez lui ; que le repas que nous avions fait n'étoitqu une collation, &{}ue je ne partirois pas fans avoir foupé. Une heure après , avant reçu la vifite d'un des Ambalfadeurs du Roi deDecan, il me le prélenta , pour avoir apparemment l'occafion de me faire remarquer qu'il lui faifoit moins de civilités qu'à moi. Enfuite, il me demanda „ fi le Roi mon Maître ne trouveroit pas mauvais qu'un aufii pauvre homme que lui , prît la liberté de lui faire l'offre de fes fervices , " & s'il lui pardonneroit celle qu'il vouloit prendre de lui envoyer un pré- \l fent?". Il ajouta que fi je l'upprouvois, il enverroit en Angleterre un Gentilhomme, pour faire la révérence à Sa Majellé. En effet, avant fait appeller fur le champ un de fes Gentilshommes , il lui demanda s'il vouloit entreprendre ce Voyage. C'étoit un jeune homme , qui me parut plein d'cfprit, & qui ne fit pas difficulté de s'y engager. Gemaldin me le pré- fcnta. Il fe propofoit de le charger de diveries curiofités des Indes, & de le faire partir avec moi (p). L'tieure du fouper étant arrivée, on étendit, comme le matin, deux pièces de drap fur lefquelles on fervit diverfes falades , & quantité de plats de toutes fortes de viandes , préparées à la manière du Pays. Gemaldin me pria de lui pardonner , fi les ufages de fa Patrie l'obligeoient de manger avec fes gens. Je fçavoisqueles Indiens font fcrupule de manger avec nous; & peut-être avois-je déjà trop exigé de fa complaifance. Nous nous afll- mes, chacun de nôtre côté; lui, avec quelques Gentilshommes de fon cor- tège ; moi , avec mon Chapelain & un autre Anglois dont je m'étois fait accompagner. L'ordre, avec lequel tous les mets furent fervis, ne me plut pas moins que la bonne chère. Il me fit préfent , fuivant l'ufage du Pays pour ceux qu'on invite , de cinq caiffes de fucre candy , préparé avec du mufc , & d'un pain de fucre , d'environ cinquante livres , d'une fineffe extrême , & blanc comme la neige. Il me pria d'avance d'en accepter cin- quante autres pour mon c^épart ; & dans la crainte , me dit - il , qu'il n'en eut point alors , il me fupnlioit de les recevoir à l'heure même. Enfin je pris congé de lui, après des complimens fort tendres, dans lefquels nous fîmes profeflion, lui de prendre la qualité de mon père, & moi celle de fon fils (q). Le 1(5, je me rendis le foir au Gouzalkan. AufTi-tôt que l'Empereur me vit paroître , il appella fes femmes , & fe fit apporter fon portrait en médaille d'or, qui étoit attachée à une chaîne de même métal, & qui étolt enrichie d'une grofle perle en forme de pendant. Il la mit entre les mains d'Afaph-Kan , avec ordre de ne pas m'obliger à d'autres foumifTions en la recevant, que celle dont je ra'aviferois moi-même. Ceux qui reçoivent quelque faveur du Prince doivent être à genoux, & baiifer la tête jufqu'à terre. On avoit exigé cette marque de refpeél des Ambaifadeurs de Perfe. Lorfqu' Afaph-Kan s'avança vers moi , je me préfentai pour recevoir la fa- veur qu'il m'apportoit. 11 me fit figne d'ôter mon chapeau , & je ne man- quai point à le fatisfaire. Il mit le portrait à mon cou ; & me prenant par la main,, il me conduifit devant l'Empereur. Comme j'ignorois fon def- fein, Cp) Pag. 2%, (g) Ibidetikr N q R n 0 t. i6i6. Il veut en- voyer un de fes Gentils- hommes au Roi d'Angle- terre. Souper de Rhoe chez Cemuldin. Préfens qu'il reçoit. L'Iîmpei-eur lui donne Ion portrait en médaille d'or» lOÏ VOYAGES DANS LES R rr o g. Terribles pliiyi s qui fe iioiumciitOIi. fans. La Cour fe tranfporte au Château de Mandoa. fcin, je commenjai à craindre qu'il ne voulût exiger de moi une foûmif. fion que les Alog ijs nomment Hifeda; Ck j'étuis rcfolu de rendre plutôt le préfent , que de m'allujetiir à cette poflure. Il me fit figne de remercier le Roi ; ce que je fis à la manière de l'Europe. Quelques Officiers m'averti. rent de faire le lifeda; mais l'Empereur dit en langue Perfane, non, non, & me congédia d'un air fort civil. 6on préfent ne valoit pas plus de trente Jacobus. Cependant il écoit beaucoup plus riche que ceux qu'il faifoit or- dinairement , & qui palfoient pour une extrême faveur. Tous les Seigneurs qui portent fa médaille, ce qui n'efl: permis qu'à ceux qui l'ont reçue de û main , en ont une de la grandeur d'un écu d'or, avec une; petite chaîne de la longueur de quatre pouces , pour l'attacher à leur turban. Ils l'enrichif. fent avec des pierreries , ou la garnillent de pendans de perles , mais à leurj dépens (r). L.E 19, Gemaldin - Uflaih fut nommé au Gouvernement de Sinda. Il choifit ce jour même pour aller diner chez l'AmSairadeur Anglois , accom- pagné de quatre Seigneurs, dont deux etoient fes fils, & fuivi d'une cen- taine de Valets. Il mangea de quelques viandes apprêtées par un Cuifinier Mahométan; mais quelque envie qu'il eût de toucher à celles qui étoient préparées à la manière Angloife , il fe fit viol^mce par refpeél pour fa loi. Cependant il pria Rhoe de lui envoyer chez lui quatre ou cinq plats qu'il avoit choilis, & qu'il vouloit manger en parties H '^r. C'étoient des pièces de four, dont les Mogols n'entendent pas la conipofition. Après le repas, il offrit aux Anglois la Ville de Sinda, & tout ce qui dépendoit de fon au- torité (s). Rhoe s'étend fur les defordres auxquels tout le Pays fut expofé, le 20, par un déluge de pluye, qui pafTa pour un événement fort extraordinaire, dans une Contrée où les grands orages ne lailîent pas d'être fréquens. Ils y portent le nom (ïOlifatis. Les plus fortes chaullees de pierre furent en- trainées par la violence des torrens, & l'allarme fut fi vive dans la Ville, qu'on en craignit la ruine. L'Empereur abandonna fon Palais avec toutes fes femmes. Les voifins de Rhoe chargèrent tous leurs meubles iur des éléphans & fur des chameaux , pour fe tenir prêts à fuir dans les monta- gnes. Le trouble fut d'autant plus grand parmi les Anglois , que n'ayant pas les mêmes relFources pour la fuite, ils ne pouvoient quitter la Ville fans y abandonner leurs marchandifes. On leur difoit que l'eau monteroit plus de trois pieds au-defTus du toît de leur mailbn; & n'étant compofée que de terre & de paille, il y avoit peu d'apparence qu'elle fût capable de réfifter. Quatorze ans auparavant, on y avoit fait une trifle expérience des mêmes dangers. Elle étoit fituee dans un fond, au milieu du courant de l'eau. La moindre pluye formoit un fi grand torrent à la porte , que l'eau ne coure pas plus vite fous les arches du pont de Londres. Quelquefois on n'y pou- voit palTer à pied ni à cheval , pendant l'efpace de quatre heures. L'Em- pereur fit ouvrir-une éclufe, pour débaraflÀir rAmbaîfadeur d'une partie du danger , & ce fecours donna quelque paflage à l'eau ; mais les murs de la maifon avoient été lavés , & tellement affoiblis par diverfes brèches , qu'à la (r) Ibidem. (j) Ibidem. re une foûmif. dre plutôt le remercier le ;rs m'averti. , non, non, lus de trente 'il faifoit or- les Seigneurs t reçue de fa te chaîne de Ils l'enrichif. mais à leurj le S'mda. II ois, accom- i d'une cen- un Cuifinier i qui étoient pour fa loi. iq plats qu"il it des pièces rès le repas, t de Ton au* cpofc, le 20, fraordinaire, iquens. Ils furent co- ins la Ville, àvcc toutes les iur des les monta- ue n'ayant Ville fans nteroit plus ifée que de de réfifter. es mêmes nt de l'eau, au ne coure on n'y pou- s. L'Em- e partie du murs de la ches, qu'à k '.'i» ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. tc>% la fin le plus prefTant péril fut celui de fa chute, avec la peine continuelle des réparations, qui ne pouvoient fe faire à fec. L'Empereur prit la réfo- lution de tranfporter fon féjour au Château de Mandoa, & Rhoe comprit qu'il feroit obligé de le fuivrc. Mais comme cette Place n'efl accompagnée d'aucune Ville, c'étoit une dépenfe confidérable , & de nouveaux embar- ras pour changer de demeure. Il Aillut bâtir une maifon , pour fe loger au pied du Château, qui c(l bâti fur une montagne, & faire im magalin pour les marchandifes (t). Les ravages de la pluye n'empêchèrent point que le fécond jour de Sep- tembre, qui étoit celui de la naillance du Roi, ne ft\t célébré avec beau- coup de magnificence. Dans cette fête, l'ufage efl: de pefer le Roi. On le met dans une balance. De l'autre côté , on accumule des pierreries , de l'or, defargent, des étoffes, des fruits & divers autres biens; c'ell-à-di- re, un peu de chaque forte. Après la cérémonie, tout efl dillribué aux Bramincs. L'Empereur fit prier Rhoe d'alTlfter à cette folemnicé , qui palfjit pour la plus grande fête des Mogols. Il marqua lui-même la place qu'il devoit occuper; mais le MclTagcr ayant mal compris fes ordres, Rhoe fut averti trop tard , & ne put entrer qu au tems du Durbal , ce qui lui fit perdre une partie du fpeélacle. L'Empereur étoit fi couvert de pierreries , qu,.' jamais on n'en avoit tant vu enfemble. Le Durbal fut employé à faire pafLr devant lui fes grands éléphans. Les plus beaux avoient leurs chaînes , leurs Ibnnettes , & tout le relie de la ferrure de leurs harnois , d'or & d'ar- gent. On portoit devant eux des drapeaux. Chacun des principaux élé- phans en avoit neuf ou dix autres petits , qui ne paroillbient être auprès d'eux que pour les lervir,* leurs couvertures étoient d'étoffes de foye, en broderie d'or & d'argent. Il en paflTa douze compagnies, richement har- nachées. Le premier étoit un animal d'une prodigieufe grandeur. Les placques , qui couvroient fa tête & fon poitrail , étoient femées de rubis & d'emeraudes. En palfant devant l'Empereur, ils ployèrent tous le genouil ; & cette efpèce de révérence eft une cérémonie des plus curieufes {v). L'E M p E R E u R , qui étoit rentré dans fon Palais après le Durbal , envoya chez Rhoe vers dix heures du foir. On le trouva au lit. Le fujet de ce meflage étoit de lui faire demander la communication d'une peinture qu'il regrettoit de n'avoir pas encore vue, & la liberté d'en faire tirer des co- pies pour fes femmes. Rhoe fe leva, & fe rendit au Palais avec fa pein- ture. Le Monarque étoit aills, les jambes croifées , fur un petit Trône tout couvert de diamans, de perles & de rubis. 11 avoit devant lui une ta- ble d'or maffif , & fur cette table , cinquante placques d'or enrichies de pierreries; les unes très-grandes & très-riches , les autres de moindre gran- deur, mais toutes couvertes de pierres fines. Les Grands étoient autour de lui, dans leur plus éclatante parure. Il ordonna qu'on bût fans fe con- traindre, & l'on voyoit uans la lalle de grands liaccons, remplis de diver- tes fortes de vins. Lorsque je me fus approché de lui, raconte l'Auteur, il me demanda des nouvelles de la peinture. Je lui montrai deux portraus, dont il regarda l'un (0 Ibidem, (^v) Pag. 25. R H 0 f . 1616. Fête de h naifTaiice ite l'Eaipeieur. Marche des élôphans au Duibal. Rhoe eft appelle le (■('ir au t'eftin du Roi. Ses embar- ras pour le portrait de fa Maitrefle. «04 VOYAGES DANS LES R II O R, i 0l6. II efl invité à boire par l'Jimpcrciir, qui lui donne la coupe. l'un avec cJtonncmcnt. Il nie demanda de qui il ctoit? Je lui dis que c*d- toit le portrait d'une de mes amies , qui cUoit morte. Me le voulez- vous donner y ajouta-t'il. Je répondis que je I ellimois plus que tout ce uue je pofledois au monde, parceque cétoit le portrait d'une pcrfonne que j'a- VOIS aimée tendrement ; mais que fi Sa Majcile voulolt excufer mu pafllon & la liberté que je prenois, je la priérois volontiers d'accepter l'autre, qui étoit le portrait d'une Dame Françoife , & d'une excellente main. Il me remercia. Mais il me dit qu'il n'avoit de goût que pour celui qu'il deman- doit, & qu'il l'aimoit autant que je le pouvois aimer ; ainfi que fi je lui en faifois préfent , il l'eftimeroit plus que le plus rare joyau de fon tréfor. Je lui répondis alors , que je n'avois rien d ai Fez cher au monde pour le refu- fer à Sa Majefté , lorfqu'elle paroilToit le defirer avec tant d'ardeur ; & que je regrétois même de ne pouvoir lui donner quelque témoignage plus impor- tant de ma paillon pour (on fervice. A ces derniers termes, il s'inclina un peu; & la preuve que j'en donnois, me dit-il, ne lui permettoit pas d'en douter. Enfuite il me conjura de lui dire de bonne-foi dans quel Pays du Monde étoit cette belle femme. Je répondis qu'elle étoit morte. Il ajouta qu'il approuvoit beaucoup la tendreife que je confervois pour elle; qu il ne vou- loir pas m'ôter ce qui m'étoit i\ cher; mais qu'il feroit voir le portrait à fcs femmes , qu'il en feroit tirer cinq copies par fes Peintres , & que fi je re- connoilTois mon original entre ces copies, il promettoit de me le rendre. Je proteflai que je l'avois donné de bon cœur, & que j'étois fort aife de 'honneur que Sa Majefbé m'avoit fait de l'accepter. Il répliqua qu'il ne le Frendroit point , qu'il m'en aimoit davantage , mais qu'il fentoit bien injuftice qu'il y auroit à m'en priver; qu'il ne l'avoit pris que pour en fai- re tirer des copies ; qu'il me l'auroic rendu, & que fes femmes en auroient porté les copies fur elles. En effet , pour une mignature , on ne pouvoit rien voir de plus achevé. L'autre peinture , qui étoit à l'huile , ne lui pa- rut pas fi belle (x). I L me dit enfuite que ce jour étoit celui de fa naiffance , & que tout l'Empire en célébroit la fête ; fur quoi il me demanda fi je ne voulois pas boire avec lui? Je lui répondis que je me foumettrois à fes ordres, & je lui fouhaitai de longues oc heureufes années , pour lefquelles la même céré- monie pût être renouvellée dans un fiécle. 11 voulut fçavoir quel vin étoit de mon goût ; fi je l'aimois naturel ou compofé , doux ou violent. Je lui promis de le boire volontiers , tel qu'il me le feroit donner , dans l'efpéran- ce qu'il ne m'ordonneroit point d'en boire trop , ni de trop fort. Il fe fit apporter une coupe d'or, pleine de vin mêlé, moitié de vin de grappe, moitié de vin artificiel. Il en but: & l'ayant fait remplir, il me fenvoya par un de fes Officiers , avec cet obligeant meffage ; qu'il me prioit d'en boire, deux, trois, quatre & cinq fois à fa fanté, & d accepter la coupe, comme un préfent qu'il me faifoit avec joye. Je bus un peu de vin ; mais jamais je n'en avois bû de il fort. Il me fit éternuer. L'Empereur fe mit à rire , & me fit préfenter des raifins , des amandes , & des citrons coupés par tranches dans un plat d'or, en me priant de boire & de manger libre- ment. (x) Ibidem, » ^ M dis que c'd- le voulez- tout ce que me que j'a- ■ mu pafllon l'autre, qui lain. Il me [u'il deman- fi je lui en i trélbr. Je Dur le refu- ;ur; & que plus impor- 1 s'inclina un oit pus d'en uel Pays du 1 ajouta qu'il 5u il ne vou- lortruit à Tes lue n je re- le le rendre, fort aife de la qu'il ne le fentoit bien pour en fai- en auroient ne pouvoit , ne lui pa- que tout voulois pas [dres , & je même cérti- tel vin étoit :nt. Je lui is l'efpéran- jt. Il fe fit |de grappe, ,e l'envoya prioit d'en |r la coupe, vin; mais eur fe mit :ons coupés |nger libre- ment. ETATS DU GRAND MOG OL, Liv. III. 105 ment. Te lui fis une révérence Européenne, pour le remercier de tant de faveurs. Afaph-Kan me prdîu de me mettre à genoux & de frapper de 1 1 tête contre terre : mais Su Majelk- déclara qu'elle étoit contente de mes rcmcreimens. Lu coupe d'or etoit enrichie de petites turquoifes & de ru- bis. Le couvercle ctoit de même: mais les émeraudes, les turquoifes & les rubis en étoient plus beaux, & la foucoupe n'étoit pas moins riche. Le poids me parut d'environ un marc & demi d'or (y). Le Monarque devint alors de fort belle humeur. Il me dit qu'il m elli- moit plus qu'aucun J'ranguis qu'il eût jamais connu. Il me demanda fi j'a- vois trouvé bon, un fanglier qu'il m'avoit envoyé jjeu de jours auparavant, à quelle fauce je l'avois mangé, quelle boifibn je m'étois fait fervir à ce re- pas? Il m'aifura que je ne manquerois de rien dans fes Etats. Ces témoi- gnaj^es de faveur éclatèrent aux yeux de toute la Cour. Enfuite, il jctta deux grands balfins pleins de rubis , à ceux qui étoient aiTis au - deflbus de lui; & vers nous, qui étions plus proches, deux autres baflins d'amandes d'or & d'argent, mêlées enfemble, mais creufes & légères. Je ne jugeai point à propos de me jetterdeflus, à l'exemple des principaux Seigneurs, parceque je remarquai que le Prince fon Pils n'en prit point. Il donna, aux Muficiens & à d'autres Courtifans , de riches pièces d'étoffes pour s'en faire des turbans & des ceintures , continuant de boire , & prenant foin lui-même que le vin ne manqua' point aux Convives. Aullî la joye parut- elle fort animée ; & , dans la variété de fes exprefllons , elle forma un fpec- tacle admirable. Le Prince, le Roi de Candahar , Afaph-Kan , deux Vieil- lards & moi , nous fûmes les feuls qui évitâmes de nous eny vrer. L'Em- der l'expédition des privilèges que j avois obtenus. Je 1 ailurai jefté ne pouvoit me faire de préfent plus agréable; & fentant delefiatter, je ferois fans inquiétude, lui dis-je, fi le fuccès la nécefllté de mes af- R II o I. 1616. L'Em & fes vcs s'eny vrcnt. ipercur Convi- avoit donné des ordres en ma faveur , & que la fête feule en avoit retardé l'exécjtion. 11 ajouta que de fa part, je devois compter fur toutes fortes de ferviees. Ma js, peu de jours après, Rhoe fit une nouvelle expérience de l'infi- délité (ic$ Courtifans Mogols, & de la difficulté de négocier à cette Cour. Il y avoiit ck'ja fept mois qu' Afaph-Kan lui promettoit de jour en jour l'ex- pédition d^ fes privilèges ; & fes derniers engagemens fembloient un lien difficile à rompre. Cependant ayant fait réflexion , qu'au point où les An- glois avoient conduit leurs affaires , ils pouvoient fe pafTer du fecours du Inddéliti des Courti- Tans Mogolit gais , par les préfens qu'il recevoit continuellement de cette Nation. Rhoe n'ofa (2) Ibidem, (a) Ibidem» (y) Pag. 26. XIII. Part. O ® ® ® ® io6 VOYAGES DANS LES R H 0 E. n'ofa rompre avec lui , ni publier fon manquement de foi. Au contraire , i6i6. pour fe tirer adroitement de cet embarras, il prit le parti de la diflimula- tion ; & feignant de croire que l'ennui d'une longue lefture & d'un mauvais ftyle avoit été la feule caufe de fon emportement, il lui écrivit une autre lettre, fous prétexte d'expliquer mieux fa penfée. Il y joignit un Mémoi- re des articles qu'il defiroit & qui lui avoient été promis , avec la prière de faire drefTer un Firman fur ce Mémoire & de le faire fceller. Il ajoûtoit néanmoins que fi l'on faifoit difficulté de fatisfaire à des demandes fi juf- tes , on ne devoit pas trouver mauvais qu'il s'adreflat à l'Empereur pour obtenir la même grâce ; ou , s'il la refufoit , pour lui demander un Pafle- port & la liberté de fortir du Pays (b). Les Anslois Asaph-Kan, devenu plus modéré par fcs réflexions, fe hâta de ré- fe founiettcnt pondre que l'affaire des Anglois ne pouvoit avancer plus vite du côté du aux volontés î> . ^. »m j ? • ^ j i i t-» • du Prince. ^^^ » ^^^^ ^'^^ ^^ ^'^ "^ deliroient regardant le gouvernement du Prince , ils pouvoient attendre de lui plus d'expédition , & que fes Firmans fuffi- îbient. Enfi»: , il leur fit comprendre ou\' jrtement qu'ils trouveroient tou- jours un Ennemi dans le Prince, s'ils ne confentoient à dépendre abfolu- ment de lui. Rhoe, qui n'avoit attendu fi longtems à s'y déterminer que par la crainte de trouver d'éternels obfl:acles de la part des Portugais , dont il connoiflbit l'afcendant fur l'efprit du Prince & de fes Favoris , réfolut d'elfayer ce qu'il pouvoit attendre de ce côté-là. Il envoya, au Secrétai- re du Prince, quatre articles , pour lefquels il demandoit un Firman, dont les Anglois pullent faire ufage à l'arrivée de leur Flotte , qu'on attendoit de jour en jour au Port de Surate. Après quelques légères objeélions, le Fir- man fut accordé de bonne grâce. Le Secrétaire s'ouvrit même à Rhoe du defir que le Prince avoit toujours eu , que les Anglois n'euflent recours qu'à lui , & qu'ils ne le traverfalfent point auprès de fon Père dans les affaires de fon gouvernement. A cette condition , il leur promettoit plus d'affec- tion & de faveur qu'ils ne fembloient l'efpérer. Rhoe ne balança plus à lui rendre vifite, dans la réfolution de fuivre la même conduite jufqu'à l'arri- vée des Vaiffeaux de la Compagnie , qui lui feroient connoître, par l'ac- cueil qu'ils recevroient à Surate, quel fond il devoit faire fur fa nouvelle politique. Il crut découvrir de l'embarras dans l'efprit du Prince: mais il fut bien-tôt affuré que ces ^parences n'avoient point de rapport à lui. Sul- tan Coronne appréhendoit que fon frère ne vînt à la Cour. 11 fçavoit que ce Prince n'en étoit éloigné que de huit coffes , & demandoit inftamment d'être admis à baifer les mains de l'Empereur. Cependant Noer-Mahal eut affez de crédit pour lui faire refufer cette faveur, & pour obtenir un con- tre ordre qui l'envoyoit au Bengale (c). Le io d'06lobre, Abdalakan, Gouverneur à'Jmadabath^ qui étoit ap- • pelle à la Cour pour rendre compte de la négligence qu'il avoit apportée à l'exécution de quelques ordres du Mogol , fe préfenta au Jarneo. 11 étoit demeuré d'abord fur fes gardes , en différant ,^ fous divers prétextes, d'a- bandonner fon gouvernement. Sultan Coronne, qui tiroit avantage de tou- tes fortes d'occafions , profita de fa difgrace pour s'attacher im homme de haute ■t fe co il (6) Pag. 27. (c) Pag. 28. ? M 1 contraire, \'à diflimiila- l'un mauvais .t une autre un Mémoi- la prière de Il aj où toit andes fi juf- ipereur pour er un PafTe- hâta de ré- du côté du ; du Prince , 'irmans fuffi- /eroÏQïit toû- ndre abfolu- erminer que tugais, dont Dris, rcfolut au Sécrétai* iiman , dont 1 attendoit de tiens, leFir- le à Rhoe du recours qu'à s les affaires plus d'affec- iça plus à lui ufqu'à l'arri- e, par l'ac- fa nouvelle nce : mais il t à lui. Sul- fçavoit que ii^amment r-Mahal eut nir un con- û étoit ap- apportée à 11 étoit textes, d'a- tage de tou' I homme de haute ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 107 haute qualité, dont il connoiflbit le mérite & le courage. Il lui fit dire de fe rendre hardiment à la Cour, fur d'y trouver des amis, -/^bdalakan prit confiance à fes ofifres , & réfolut d'obéïr aux ordres de l'Empereur. Mais il partit d'Amadabath en habit de pèlerin, accompagné feulement de qua- rante perfonnes. Il fit à pied une partie du chemin , qui étoit de foixante miles. A la vérité , il faifoit marcher après lui deux cens chevaux , pour s'en fervir dans l'occafîon; mais à la diftance d'une journée de chemin. Il fe préfenta devant l'Empereur, entre deux perfonnes de condition qui lui fervirent d'Introdu6leurs. Il parut les pieds nuds, & chargés de chaînes, le vifage abbattu , les cheveux négligés, & le turban enfoncé fur les yeux; n'étant pas capable, difoit-il , de paroître autrement devant la face irritée de fon Maître. Après avoir fait fes foumiflTions & répondu à quelques de- mandes de l'Empereur, il obtint fon pardon. Ce Monarque lui fit ôter fes fers, & lui donna, fuivant l'ufage du Pays, une vefte de drap d'or, avec le turban & la ceinture. C o R o N N E , qui fe crut en droit de tout attendre de la reconnoiflance d'Abdalakan, ne s'occupa plus alors que de fa propre grandeur & de la rui- ne de fon aîné. La guerre du Decan lui ofiroit l'occafîon d'augmenter fa puifTance. Le Prince Perwis (d) l'avoit commencée fans fuccès; & Chan- Canna, le plus grand Capitaine de l'Empire , n'ayant pas eu plus de bon- heur après lui, Coronne fe promit ime gloire qui l'éleveroit au-deflÂis de l'un & l'autre. Dans cette efpérance il prcflTa fon Père de lui aflurer le commandement auquel les mêmes vues l'avoient fait afpirer , & de l'ôter à Chan-Canna , non-feulement parcequ'il avoit été malheureux , mais parce- qu'il étoit juftement foupçonné de favorifer le Roi de Decan, & d'en rece- voir une penfion. C E Général fut bien-tôt rappelle par un ordre exprès de la Cour ; mais il refufa d'obéïr , fous prétexte qu'il ne pouvoit quitter l'Armée fans l'ex- pofer à fa perte. En méme-tems il pria l'Empereur par fes lettres , de ne pas lui donner Sultan Coronne pour Succeffeur dans le commandement des Armées ; & lui confeillant de faire tout autre choix , il ofirit particulière- ment de remettre fon pouvoir entre les mains du plus jeune de fes Fils (e), Coronne, vivement ofFenfé d'un déclaration fi libre , joignit l'éguillon delà vengeance à celui de fambition. 11 réfolut de l'emporter ou de périr ; & dans fa première fureur , ayant nommé d'avance Abdalakan pour comman- der fous lui, il lui promit le gouvernement & toute la dépouille de Chan- Canna. Ce différend jetta tant de trouble dans l'Etat , que l'Empereur en redoutant les fuites , ne vit pas d'autre moyen pour l'appaifer , que de fai- re la paix avec le Roi de Decan. Dans cette vue, il prit le parti de con- firmer Chan - Canna dans fon gouvernement , & de lui envoyer une vefte , quieft, parmi les Mogols, la marque d'une véritable réconciliation. Mais, avant que d'exécuter ce deffein , il en informa une des proches parentes du Général, qui étoit dans le Serrail. Cette femme, gagnée peut-être par R II 0 f . 1616, Faftions & difFcrends de la Cour du Mûgol. (d) Mr. Prevoft nomme ici le Prince Cof- lonroc; mais c'eft une erreur fenfible. Voyez ci-deffus nôtre Note (c), pag. 85. R. d. E. ( $ ) Il Te nominoit Cbabariaari & c'cû enco- Sul- re à tort que Mr. Prevoft , voulant fuppléer à romiflîon de Rhoe, avoit mis ici le Prin- ce Perwis, qui étoit le fécond Fils de l'Em- pereur ; & Coroni\e le troifiètne. R. d. E. O 2 io8 VOYAGES DANS LES R H O E. 1(5 1(5. Le Roi de Decan pro- pofe la paix au Mogol. Pourquoi elle eft re- jettile. Caraflère des Princes Fils du Mo- Sultan Coronne, oupicquée du mauvais traitement qu'on avoit fait au Chef de fa famille, après tant d'importans fervices, répondit hardiment qu'el- le ne pouvoit croire que Chan-Canna voulût rien porter de ce qui lui vien- droit de la part de l'Empereur ; qu'il n'ignoroit pas que Sa Majellé le haïf- foit, & l'avoit voulu faire empoifonner; qu'en étant fi certain, qu'il con- fervoit encore le poifon , après l'avoir détourné adroitement au - lieu de le porter à fa bouche, il étoit impoliible qu'il reçût fans défiance un préfent de fa main. L'Empereur s'engagea, pour lever les foupçons , à porter lui- même, pendant l'efpace d'une heure, la vefte qu'il vouloit envoyer. Elle répliqua que lui ni Chan-Canna, n'en dévoient pas venir à de telles épreu- ves; mais que s'il permettoit au G'^néral d'exercer tranquillement fes fonc- tions, elle répondoit qu'il feroit gloire de fervii l'Etat avec fon ancien- ne fidélité. L'infolence de cette femme força l'Empereur d'abandonner fes réfolutions. Il reprit auflî-tôt celle de confier l'Armée du Decan à Sultan Coronne ; & pour donner plus d'éclat à fes premières entrepri- fes , il publia qu'il vouloit fuivre fon Fils dans cette expédition , avec d'au- tres Troupes (/). Chan-Canna, découvrant de loin la tempête qui fe formoit contre lui, & qui ne menaçoit pas moins fa fortune que celle du Roi de Decan, fe h^ ta de former de nouvelles liaifons avec ce Pfince , pour fe garantir de l'op- preflion. Ce fut par fon confeil que cette Cour envoya une Ambaflade à celle du Mogol , pour y offrir la paix. Les Ambafladeurs y portèrent de riches préfens; mais cette efpèce d'apanage fut rejettée, & l'Empereur re- fufa même de leur accorder audience. Cependant , après les avoir renvo- yés à fon Fils, il leur fit dire qu'il fe remettoit à lui de la réfolution de fai- re la guerre , ou de conclure la paix. Cette déclaration ayant fait connoî- tre au Prince tout l'afcendant qu'il avoit fur l'efprit de fon Père -, il déclara aux Ambaffadeurs qu'après les defavantages pafli*és , il feroit honteux pour lui de confentir à la paix : mais ne pouvant diflimuler que leurs conditions étoient juftes, & que l'Empereur fon Père les auroit acceptées, il ajouta pour leur laiffer quelque efpérance , qu'il attendroit du moins à traiter que fon Armée fût en campagne , & que Chan-Canna ne pût lui difputer l'hon- neur d'avoir terminé cette guerre. Telle étoit alors la fituation des affaires. On gémiffoit de l'ambition de Coronne. Mais des raifons inconnues avoient accoutumé l'Empereur à la fupporter , quoiqu'il ne penfât point à faire tomber fa fucceflTion fur ce Prince. Il réfervoit l'Empire pour Sultan Cofronroë , l'aîné de fes Fils , qui jouiffoit de l'eflime & de la vénération de tout le monde. Il l'aimoit beaucoup ; il connoiflbit tout fon mérite : mais il s'étoit malheureufement imaginé que les grandes qualités de ce Prince pouvoient obfcurcir fa pro- pre gloire, & cette raifou l'avoit porté depuis longtems à le tenir renfer- mé dans un appartement du Palais , fous la garde d'un Officier Rasbout qui commandoit quatre raille chevaux (^). Il ne s'appercevoitpas,fuivant la re- mai- (/) Pag. 29. fon Père, dont tant d'autres Auteurs font (g) Il eft étonnant que Rhoe ne parle mention, &à laquelle ils attribuent unani- jamais de la rébellion de ce Prince contre m enir renfer- lasbout qui jivant la re- mai- Auteurs font •ibuent unani- R H 0 e. i6i(5. Obfervation de liiuuur. . marque de l'Auteur , que les odieufes intrigues de Sultan Coronne, étoien'- beaucoup plus capables de nuire à cette réputation dont il étoit fi jaloux, que les aftions vertueufes de fuii aîné ; & û la divifion , que cette mauvai- ic politique nourriifoit entre deux frères , rendoit le cadet redoutable , il fe flattoit de pouvoir toujours lui ôter une autorité dont il croyoit ne l'a- voir revêtu que pour un tems. Mais les plus fages trembloient pour les . fuites de ce dcfordre, & n'envifageoient dans l'avenir que les horreurs d'une guerre civile (h). La variété des évenemens qui font arrivés dans cet Empire , mériteroit ; bien, ajoute Rhoe, de trouver un Hiftorien fidèle : mais peut - être feroit- ' on peu de cas, en Europe, de ce qui s'eil pafle dans une Région fort éloi- gnée; ou peut-être y trouveroit-on peu de vraifemblance, dans l'opinion qui nous fait regarder ces Peuples comme de véritables Barbares. 11 aflure que cette réfiexion l'a toujours empêché d'écrire ce qu'il avoit l'occafion d'apprendre. „ Cependant je ne puis m'empêcher , dit -il, de rapporter >,, ce qui s'efl: pafle depuis peu, fous mes yeux, pour faire voir jufqu'où „ peut aller la patience & la fagefle d'un Père, la fidélité d'un Miniftre, les fourberies d'un Frère, & l'imprudence d'une Faftion qui ofe tout en- treprendre , & qui abufe infolemment de l'autorité fouveraine , fans être retenue ni par le frein de la crainte , ni par la confidération du bien pu- blic (f). „ Sultan Coronne, Noer-Mahal fa belle-fœur (/t), Afaph-Kan & Etî- mon-Douktf Père de Noer-Mahal, qui formoient le plus puiffant parti de ^"S"^'^' cette Cour , s'étant aflTemblés pour délibérer fur les moyens de f e main- tenir dans leur fortune , conclurent qu'ils dévoient fe défaire de Sultan Cofronroë , parcequ'ils le voyoient aimé des Grands , & qu'ils croy oient leur fureté fort incertaine lorfqu'il auroit obtenu la liberté. Il étoit quef- tion de le faire pafl!er entre leurs mains , pour fe procurer la facilité de Tempoifonner fecrétement. Après avoir pris leur réfolution , ils affec- tèrent de fe traiter froidement, pour éloigner les défiances; & chacun joua le rôle qu'il s'étoit impofé. Noer-Mahal agît la première. Elle n'oublia rien pour s'infinuer dans l'efprit de l'Empereur. Enfuite fe jet- tant à fes pieds toute en larmes , elle lui repréfenta que Sultan Cofronroë ne changeoit point de fentimens, & qu'étant toujours poffedé de la mê- „ me ?» »> >ï »> » » j? j> »> Noires in» ; {b) Pag. 30. (i) Ibidem. {k) Il n'y a guères d'apparence que Noer- Mahal fut la belle-fœur de Sultan Coronne, qui fuivant Hurbett & Fan Twijl avoit épou- i fé la fille d'Afaph-Kan, frère de cette Irin- fceffe & fils d'Etimon-Douiet. Ces mêmes • Auteurs difent que la femme de Sultan Cofifoë, l'ainé des fils du Mogol , étoit fille de Cban- ÂzemovL Affemy quoique Valentyn la fafle fille d'Afaph - Kan, avec afftz peu de vrai- . femblance. Chan - AiTem & Afaph - Kan é- toient fans doute deux difFérens Seigneurs ; du moins Herbert & Van Tvvift, qui trai- tent fort au long des affaires de la Cour du Mogol, les nomment toujours diftinftement, & les repréfentent même dans deux partis oppofés l'un à l'autre. La fuite de ce récit fcmble confirmer nôtre remarque. Car il n'eft pas naturel defuppofer, qu'Afaph • Kan fut l'ennemi de Sultan Cofroë, fi ce mal- heureux Prince eût été l'époux de fa propre fille. Rhoe dit bien que l'Empereur le preffoit fort de fe marier, & que de fon tems le bruit couroit qu'il devoit s'allier avec la fa- mille d'Afaph-Kan; mais cela n'empêche pas qu'il ne put déjà avoir une autre femme, puifqu'à fa mort, qui arriva deux ans après, il lailfa une veuve & un fils, âgé d'enviion dix- neuf ans. R. d. E, O3 ^10 VOYAGES DANS LES R tl O R. 1616. 11 1» 11 me ambition , il étoit capable^ de fe porter aux dernières extrémité?. L'Empereur feignit de ne pas l'entendre. Mais les Conjurés ne fe rebu! tèrent pas de l'on filence. Ils prirent le jour qu'il étoit dans l'yvrelTe ^î pour lui repréfenter par la bouche d'Etimon-Doulet & d'Afaph-Kan| „ qu'il convenoit à la dignité comme à la fureté de l'Héritier du Trône „ Impérial , que Sa Majelcé le mît fous la garde & dans la compagnie du „ Prince fon frère, plutôt que de le laiiTer entre les mains d'un Rafbout, „ dont la fidélité pouvoit être corrompue par des promefles ou par des me' „ naces. Ils le preiTèrent de ne pas retarder ce changement. L'Empe. „ rcur confentit à leur demande, & fe mit à dormir (/) ". Aussi -TÔT ils fe rendirent à l'appartement du Prince, dans la confian. ce que le nom de Sultan Coronne & leur propre confidération leur en fe- roient obtenir l'entrée. Afaph-Kan fe préfentant à la tête de quelques Gar- des, demanda, par l'ordre de l'Enipereur, que le Prince fût remis entre fei mains. Amarah , c'étoit le nom de l'Officier Rafbout, répondit d'un air fer- me qu'il étoit plein de refpeél pour Sultan Coronne , mais qu'ayant reçu !e Prince des mains de l'Empereur fon Père , il ne pouvoit obéir à d'autres ordres, & qu'il demandoit jufqu'au lendemain, pour fe donner le tems de remettre un fi précieux dépôt à Sa Majefl:é même , qui en difpoferoit à foi; gré. Cette réponfe éloigna beaucoup leurs efpérances. Annarah rendii compte à l'Empereur de ce qui s'étoit pafle à la porte du Prince ; mais ii ajouta qu'il périroit plutôt, avec les quatre mille chevaux qui étoient fou! fes ordres , que de le livrer à ^*^5 ennemis. L'Empereur loua fon honneur & fa prudence. Il lui ordonna d'en ufer de même à l'avenir, fans s'arrêter aux ordres mêmes qui lui viendroient de fa part. „ Je veux feindre , a- „ joûta-t'il, d'ignorer ce qui eft arrivé, & je vous recommande de n'en „ faire aucune plainte ". Lei ment qu'il avuiu uuuuc a leur euLreprue, ni ae la lemerite qu' eue de fe préfenter à la porte du Prince, fe perfuadèrent qu'il n'étoit polni informé de l'un , & qu'il avoit perdu la mémoire de l'autre. Cependant I2 défiance ne laifla pas de régner dans tous les partis. R H o E , qui rapportoit fes obfervations au fervice de fes Maîtres , prenc cccafion de toutes ces femences de haine pour les avertir qu'ils dévoient fe garder d'envoyer leurs Fafteurs trop loin dans le Pays , & de difperfci leurs marchandifes en difFérens lieux. Il prévoyoit que bien-tôt l'Empiri Mogol feroit engagé dans une longue & fanglante guerre. „ Si Cofronroè, „ dit-il, emporte l'avantage, cette Contrée deviendra un azile pour ki „ Chrétiens ; car ce Prince aime & favorife les fciences , la valeur & la „ difcipiine militaire. Il a de l'horreur pour l'avarice , & pour les infui' „ tes que fes Ancêtres & les Grands du Pays ont toujours fait effuyer aux „ Etrangers. On doit s'attendre à tous les excès contraires , fi c'eft la „ faclion de fon frère qui prend le deflTus. Coronne e(l ennemi des Chré- tiens, fuperbe, outrageant & de mauvaife foi (m)"* Le 30 de Septembre, un Courier des Fadeurs de Surate apporta la nou- velle (0 Pag* 3o. («) Pag' 31. ,s amis de Coronne n'entendant point parler l'Empereur du con fente- qu'il avoit donné à leur entreprife, ni de la témérité qu'ils avoient îj is extrémitéî. ■es ne fe rebu. ians l'yvrelTe, l'Afaph-Kan, ier du Trône compagnie du l'un Rafbout, lU par des me. it. L'Empe- ans la confîan- on leur en fe- quelques Gar- remis entre fa [t d'un air fer- l'ayant reçu !e )éïr à d'autres ner le tems de .rpoferoit à foi; innarah rendit rince ; mais ii ui étoient fous i fon honneur fans s'arrêter ux feindre, a^ nande de n'en du confente- u'ils avoient n'étoit point Cependant la laîtres , prenii 'ils devoier,! de difperfcr -tôt l'Empiri Si Cofronroè, azile pour les valeur & la )our les infu!- it efluyer aux es , fi c'eft la :mi des Chre- porta la nou- velle ETATS DU GRAND M OG OL, Liv. III. iir vellede l'entrée de quatre Vaifleaux Anglois dans la Rade de SouaUs\ & Rhoe apprit par les lettres des Commandans, qu'ayant rencontré la Caraque Vice- Amirale des Indes, ils l'avoient forcée, après un long combat, de s'échouer & de fe brûler fous la Côte des Illes de Gazedta. Il fe hâta d'al- ler faire un compliment au Mogol, de la part du Roi fon Maître. Cette civilité fut bien reçue; mais l'Empereur lui parla auflî-tôt des préfens. Au- lieu de répondre à fes demandes, Rhoe affefta de lui raconter le dernier licombat des Vaifïeaux de laNation. Mais il revint toujours à lui parler des 1 préfens. „ Ç^u'efh-ce, lui dit -il, que le Roi d'Angleterre m'envoye"? Rhoe répondit que fon Maître lui envoyoit plufieurs marques de fon ami- tié ; que fâchant allez qu'il étoit Maître de la meilleure partie de l'A fie & le plus riche Monarque de l'Orient , il auroit cru que lui envoyer des pré- fens confidérables , c'eût été porter des perles dans l'Océan d'où elles vien- nent ; mais qu'il lui faifoit préfcnt de fon amitié , avec quelques petites cu- ïiofités qui pourroient lui plaire. 11 demanda s'il y auroit du moins de la panne , ou du velours de France. Rho^ lui dit que toutes fes lettres n'é- toient pas encore arrivées , mais qu'il avoit déjà quelque chofe de ce qu'il délîroit. Enfin l'Empereur parla aufli des dogues que l'Ambafladeur lui avoit promis. Quelques-uns , lui dit Rhoe , avoient été tués dans le com- liat , mais on en avoit fauve deux pour Sa Majeflé. Il en témoigna de la |oye; & fi l'on pou voit, répondit-il, lui procurer un grand cheval , delà teille des chevaux d'Allemagne, ce préfent lui feroit plus agréable qu'une Couronne. Rhoe l'aflura qu'il n'épargneroit rien pour le fatisfaire , mais qu'il appréhendoit que tous fes efforts ne fuifent inutiles. „ Si vous m'en pro- „. curez un, reprit l'Empereur, je vous en donnerai dix mille Jacobus". Alors Rhoe lui demanda un ordre , pour faire venir les préfens à la Cour Éms qu'ils fuflent ouverts. Il répliqua que le Port de Surate étoit à fon Fils, saais qu'il expliqueroit fes intentions à ce Prince ; & l'ayant fait appeller fax le champ, il lui donna ordre d'accorder, à l'AmbaflTadeur Anglois, tout ce qu'il avoit demandé: c'efl:-à-dire, que fes balles ne fuifent point ouvertes; que celles qu'il avoit avouées ne payalfent aucun droit; qu'elles fuflent Sromptement expédiées ; qu'on ne troublât point le tranfport des préfens , ont la diftribution fe feroit enfuite à fon gré , & que les Marchands de fa Kation fufl^ent bien traités à Surate. Cette faveur néanmoins ne s'étendit ias jufqu'à lui accorder la permiflTion qu'il avoit demandée, de bâtir un Fort. Afaph-Kan s'y oppofoit. Mais le Prince s'engagea, devant fon Père & toute la Cour, à donner toute forte de fatisfaélion aux Anglois: tant l'efpé- ' lance des préfens, ajoute l'Auteur, a de force fur le cœur & l'efprit des Mogols (n). Dans le même-tems ce Prince, qui fe difpofoit à partir pour la guér- ie, craignant que fa propre fureté ne fût en danger, fi Cofronroè" demeu- foit entre les mains d'Annarah, parceque dans Ion ablence il pourroit faire Si. paix (o), renverfer tous ks defleins & le vanger peut-être de tous les outra- (n) Pag. 32. necraignoit,queCofronroë,profitantde fon . (o) Mr. Prevoft ajoute atifc /« AmbaJJa- abfence , ne fe reconciliât avec l'Empereur "^eursdu Decan; mais on ne fçait à quel fujet. leur Père.. R, d. E. l-'Autcur veut dire fimplemt;nt , que Coron- R II 0 K. I6î6. Arrivt'e de quatre Vulf- féaux An- glois , & pafllon du Mogol pour les préfens. Nouvelles intrigues con« ire la vie de Cofronroè. tl2 VOYAGES DANS LES R H 0 E. 16 ï 6. Eir..t qu'cl Ci ut. Rcoeption d'im Ambaf- fndctir de p.' no à la Cour du Mogol. outrages qu'il recevoit , fit une nouvelle tentative fur rcfprit de l'Empereur. Il lui tit propofer adroicenicnt de confier la garde du Prince fon frère, à Alaph-Kan; & lui voyant prêter l'oreille, il entreprit de lui perfuader que s'il vouloit le fier à lui-même de la vie & de la liberté de ce Prince, il é ojt certain que Chan-Canna& le Roi de Decan le redouteroient beauccup plus, lorfqu'ils auroient appris que Sa Majeflé lui avoit accordé cette importante faveur , & qu'ils tarderoient moins à le foûmettre. On ne douta point que l'Empereur n'y eût confenti; car, le même jour, on vit entrer en garde, auprès de Cofronroë, les Soldats d'Afaph-Kan, avec deux cens chevaux des Troupes de Sultan Coronne. Rhoe fait une peinture touchante de l'ef. fet que cette nouvelle produifit. „ Les Princefifes, dit-il, & la plupart des autres femmes du Serrail , déteftant la cruauté de l'Empereur, refufent de manger , & protellent que fi le Prince Cofronroë meurt, elles lui la- crifieront tous les enf-'.iis qui font dans le Serrail, Elles menacent Noer» Mahal , que l'Empereur leur envoyé pour les appaifer. En vain protefte- t'il qu'il n'arrivera point de mal au Prince , & leur fait-il efpérer ia liber- té. Le Peuple même commence à s'émouvoir. On dit ouvertement que l'Empereur a livré fon Fils entre les mains d'un Prince ambitieux & fanguinaire; qu'on ne fouff'rira point de parricide; que ce n'efl: pas feu- lement à la vie de fon aîné que Sultan Coronne veut attenter , mais qu'il fe propofe d'arriver indiredtement jufqu'à fon Père, & que par l'alliLÎ!. nat de l'un & de l'autre il veut fe faire des degrés de leurs corps pour monter fur le Trône. On s'attroupe déjà. On fème des bruits de ré- volte. On crie, de toutes parts, qu'il fdu. aflurer la vie du Prince. Ce- pendant le malheureux Cofronroë efl; au pouvoir d'un tigre. 11 refufe de „ manger. 11 a déjà fait prier l'Empereur fon Père de lui ôter la vie, plu- tôt que de le faire fervir au triomphe de fes Ennemis. Toute la Ville en ell émue. La triftefie efl peinte fur le vifage des Grands , & le Peuple redouble fes clameurs. Mais il n'y a ni pied -, ni tête. Les fuites de ces troubles font extrêmement redoutables pour les Etrangers ". Le 19, un Ambaffadeur de Perfe, nommé Mahomet Roza-Beg^ fit foa entrée dans la Ville Impériale avec un nombreux cortège , dont la plus gran- de partie étoit compofée de Mogols, commandés pour lui faire honneur; mais fans autres perfonnes dé marque, que celles dont l'office efl d'aller, dans ces occafions, au-devant des Etrangers. On lui avoit envoyé ait'.li la mufique de la Cour , & une centaine d'éléphans. Son propre train con- fifloit en cinquante chevaux couverts de houlfes de brocard d'or. Les arcs, les boucliers , & les carquois étoient richement garnis. Quarante Moul" quétaires conduifoient fon bagage. On l'introduifit dans un apparteiiien; de l'avant-cour du Palais, d'où il fut conduit au Durbal. Rhoe ne manqm point d'y envoyer un de fes gens , pour obferver comment il feroit rei;:. En s'approchant de l'Empereur, il fit, à la première baluftrade, trois '/i- Jelims & un Sizeda ; cérémonies humiliantes , dans lefquelles il faut fe pro- llcrner , & frapper la terre du front. Il préfenta la lettre de Scha-Abbai, fon JMuître, que l'Empereur reçut en s'inclinant un peu, & demandant comment fe portoit fon Frère , fans le traiter de Roi. Enfuite il fut pli- ce au fLptième rang, vis-à-vis de ]a porte ; tandis que les rangs de delTiis étoient » »» >» » i> )> »> » » le l'Empereur. 2 Ton frère, à perfuader que *rince, il é oit )eauccup plus, :te importante aiita point que :rer en garde, cens chevaux chante de l'cf. la plupart des reur, refufent t, elles lui fa. enacent Noer- i vain protefle- fpérer ia liber- : ouvertement! e ambitieux & i n'efl: pas feu- :er , mais qu'il le par l'a (Tap- irs corps pour bruits de ré- lu Prince. Ce- . 11 refufede :er la vie, piû- ute la Ville en & le Peuple ?s fuites de ces • a-Beg^ fitfon it la plus gran- aire honneur; ice eft d'aller, envoyé au'll ipre train con- Les arcs, arante Mouf- appartemeiii oe ne manqi;] feroit re< ;. de, trois '/i- faut fe pro- e Scha-Abbai^ & demandant lite il fut ph- mgs de delTiis étoient il m ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. rij étoient occupés par les principaux Seigneurs de la Cour. Rhoe déclare que cette place étoit indigne du Miniflre d'un fi grand Roi ; mais que l'Ambaf- fadeur méritoit ce traitement , après s'être foûmis au Sizeda, dont tous ceux qui l'avoiçnt précédé, dans le même office, avpient eu la fierté de fe dif- penfer. On difoit néanmoins , pour l'excufer, qu'il avoit ordre de fe foû- mettre à tous les defirs du Mogol ; d'où l'on concluoit qu'il étoit venu lui demander quelque fecours d'argent contre le Turc. Cependant il afluroit lui-même qu'il venoit uniquement pour traiter de paix entre le Mogol & le Roi de Decan , dont Scha-Abbas prenoit la proteélion , parcequ'il commen- çoit à s'allarmer de l'accroiflement des forces Mogoles. L'Empereur fit pré- fent, fuivant l'ufage, à Mahomet Roza-Beg, d'un beau turban, d'une verte & d'une ceinture. Ce Miniflre le remercia par trois révérences , & par un Riceda , qui ell une autre révérence jufqu'à terre. Enfuite, il lui fit fes pro- pres préfens à trois reprifes différentes , à chacune defquelles il préfenta neuf ^chevaux , Perfans ou Arabes, parceque le nombre de neuf efl: myftérieux entre les Mufulmans. Il y joignit neuf beaux mulets , fept chameaux char- gés de velours , deux tentures de tapifleries , plufîeurs pièces de velours tra- vaillé en or, deux caifles de tapifleries de Perfe, un cabinet très-riche, qua- tre moufquets, cinq haches, un chameau chargé de drap d'or des Manufac- tures de Perfe, huit tapis de foye, deux rubis balais, vingt '& un chameaux chargés de vin de grappe, quatorze chameaux chargés de diverfes eaux dif- tillées, fept chameaux chargés d'eau rofe, fept poignards enrichis de pier- reries, cinq épées de même, fept miroirs de Venife, fi riches, que Rhoe avoit honte, dit-il, de les comparer avec les fiens. Ces préfens ne paru- rent point à la première audience : mais l'Ambafladeur en donna le mémoi- re. Après avoir fait foigneufement cbferver le traitement qu'on lui fit , tlhoe, le comparant avec celui qu'il avoit reçu lui-même, ne trouva point que la Perfe eût été plus diflinguée que l'Angleterre. Mahomet Roza-Beg avoit occupé , à l'audience , une place fort inférieure à la fienne. A l'égard des honneurs de l'entrée, on feroit allé de même au-devant de Rhoe, s'il n'eût point été malade, ou s'il l'eût defiré. L'Empereur ne reçut point la lettre du Pcrfan avec autant de refpeél qu'il en avoit marqué pour celle de Rhoe. En parlant du Roi d'Angleterre, il avoit toujours dit, le Roi mon Frère: au-lieu qu'il n'avoit traité le Roi de Perfe que de Frère, fuivant l'obfervar.ion d'un Jéfuite qui fe trouvoit à l'audience, & qui entendoit fort bien la langue du Pays (/>). Le 21 d'06lobre, Rhoe fe rendit chez Sultan Coronne, pour l'entrete- nir des affaires de la Compagnie Angloife. Ce Prince lui parla des préfens , & le prelTa de faire ouvrir les caifTes. Il répondit que le refpeft qu'il devoit à l'Empereur ne lui permettoit pas d'y toucher, avant que Sa Majeflé lui eût fait l'honneur d'accepter ceux qui lui étoient deflinés. Coronne lui de- manda s'il vouloit lui donner un plumet blanc, qu'il voyoit à fon chapeau? Rhoeprotefta que ce qu'il avoit de plus précieux étoit à fon fervice,mais qu'il ne pouvoit lui préfenter fans confufion une bagatelle qu'il avoit portée. Cependant le Prince n'eut pas honte de la prendre & de lui en demander , > „ d'autres, (P) Pag- 33. . - . XIII. Part. P R H 0 K. i6i6. Magnifl- 3ues préfens e l'Ainbafla. deurdePeife. Rhoe fe croit préféré â l'AmbafTa- deur Feifao* 114 VOYAGES DANS LES R H O B. 16 1 6. Etonnante magnilkt'iicc de la Cour JMogole. Co fronrcS efl menacé de l'anuflinat. L'Ambafla- deur de Perfe deshonore fa dignité par fcs maniùres. d'autres , fous prétexte qu'il n'en avoit pu trouver chez les Marchands , 4 qu'il en avoit befoin pour fe préfenter à la Cour dans fon équipage de guer- re. Abdala-kan furvint. 11 étoit vêtu, ce jour-là, de l'habit militaire, & fâ fuite ctoic fort lefte. Le foir , ce Seigneur fit préfent au Mogol d'un beau cheval blanc , dont la felle & le refle du harnois étoient couverts de mailles d'or. L'Empereur lui donna une épée, avec le baudrier. On por- toit, devant Sa Majeflé, divers autres préfens, tels que ces gardes d'é- pées d'argent , avec les fourreaux couverts de pierreries , & des boucliers couverts de velours; les uns peints, d'autres rdcvés en or & en argent. Elle en diflribua pluHeurs à fes Courtifans. On voyoit aulTi des felles & des harnois d'or, enrichis de pierreries, qui dévoient fervir à Tes chevaux demain; des bottes en broderie ,& toutes fortes d'habits fomptueux. Rhoe confefTe, avec admiration, que la dépenfe desMogols furpafle tout ce qu'on a jamais vu de plus magnifique dans le refle du Monde (4). Toute la nuit fut donnée à ces fpeélacles. L E matin , on publia que fix des Officiers de Sultan Coronne étoient ve- nus pour afTaffiner le Prince Cofronroë , mais que les Portiers leur avoient refufe l'entrée de fon appartement; & que l'Impératrice Mère, étant al- lée trouver l'Empereur, lui avoit expliqué le myftére de cette odieufe conjuration. Rhoe, qui s'intérefToit vivement au malheur du Prince, s'ef- força d'approfondir la vérité de cette nouvelle; mais elle demeura incer- taine pour lui, parcequ'ii s'apperçut qu'on ne pouvoit l'en informer fans péril (r). Vers le foir, s'étant rendu au Durbâl, il y trouva TAmbafTadeur de Perfe, qui fe difpofoit à préfenter toutes les ricnefTes, dont il avoit donné le mémoire. Il avoit, au jugement de Rhoe, l'air d'un Saltinbanque, 'plu- tôt que d'un AmbafTadeur. Il couroît dans les baluflrades, il montoit, il defcendoit fur les degrés , avec des exprelfions & des gefles qui deshono- roient fa dignité. Enfin il doima lui-même fes préfens, & le Roi les reçut de fes mains , avec un fouris & quelques paroles qui marquoient fa fatis« faftion. C'étoitun extrême avantage, pour l'Ambaffadeur, d'être enten- du dans fa langue. Il parla toujours avec tant de foumifTion & de Batte- rie, que fes difcours ne furent pas moins agréables que fes préfens. Il donnoit fans cefTe, au Mogol, la qualité d'Empereur du Monde; fans ie fouvenir que le Roi fon Maître avoit aulfi fes prétenfions à ce fafîueux ti- tre. Au moindre mot qui fortoit de la bouche du Monarque, il faifoit des révérences à la manière du Pays. Après avoir fait tous les préfens qu'il devoit donner ce jour-là, il fe baifTa jufqu'à terre, (ju'il heurta fort rudement du front. Les préfens du jour étoient un carquois, un arc & des flèches; toutes fortes de fruits de l'Europe, artificiellement imités dans diiférens plats; des bottines brodées & couvertes de lames d'or; de grands miroirs, avec des belles bordures; une pièce de velours quarrée, avec une brode- rie, fur laquelle on voyoit quelques figures humaines. L'Ambaffadeur dé- clara que ces figures étoient les portraits du Roi ^ de la Reine deFenife, Rhoe jugea qu'elles avoient été détachées de quelque tapifferie. Quoiqu'on n'en mon- (0 Pag' 34. , (r) Ibvim. larchands , ^ )age de guer- bic militaire, iMogol d'un ; couverts de ier. On por- i gardes d'é< des boucliers & en argent, des Telles Si . Tes chevaux •tueux. Rhoe tout ce qu'on Foute la nuit le étoient ve- 5 leur avoient re, étant al- :ette odieufe Prince, s'ef. iieura incer- aformer fans ibafTadeur de avoit donné mbanque, plU' I montoit, il lui deshono- Roi les reçut ent fa fatis* 'être enten- 6 de flatte- jréfens. 11 ide; fans fe faftueux ti- il faifoit des îréfens qu'il Tt rudement des flèches ; ns diiFérens ids miroirs, une brode- .fladeur dé- 'em/e. Rhoe iqu'on n'en mon- ETATS DU GRAND MO GO L, Liv. III. n^ Rhoe. i6i6. Débauche de l'Ëmpe reur, funefie montrât qu'une pièce, il y en avoit fix aunes de la même efpèce. Enfuitc, on fit paffer trois petits chevaux & trois petits mulets. Les mulets étoient fort beaux; mais les chevaux dévoient avoir perdu leur embonpoint &leur beauté , s'ils avoient jamais été dignes de paroître aux yeux d'un grand Prince (s) (t). Ce n'étoitquele premier aéle des préfens, & cette co- médie devoit durer plus de dix jours. On ne fit à i'Ambafladeur aucune libéralité de la même nature ; mais l'Empereur donna ordre aux Grands de lui faire toutes fortes de carefles. Le 24, il le fit manger dans fa préfence, avec les principaux Seigneurs de la Cour. Ce feltin, ou cette débauche, eut des fuites funeftes pour la plupart des Convives. Le lendemain, auelqu'un, par imprudence ou par malice, rap- pella les circonftances de la fête, & dit que plufieurs Grands avoient bû du ^ plufieurs vin; liberté quipafle pour un crime , fans la permiflion de l'Empereur. Ce Grands. Monarque, à qui l'yvrefl'e avoit fait oublier qu£ c'étoit par fon ordre, de- manda qui avoit donné du vin fous fes yeux? On lui dit que c'étoit l'Offi- cier qui l'avoit en garde, &perfonne n'eut la hardiefle d'ajouter qu'il l'avoit ordonné. L'Auteur obferve que lorfqu'il faifoit la débauche, il la commen- çoit ordinairement feul, & que fur la fin , il permettoit aux Seigneurs de prendre des verres. L'Officier , qui avoit le vin en garde , écrivoit les npms de ceux qui avoient la permilHon d'en boire, & Tufage lesobligeoit îde faire unTeilelim au Monarque, pour le remercier de cette faveur. Mais il arrivoit fou vent que lorfqulls faifoient le Teifelim , ce Prince, dans les Vapeurs de l'y vrefle , ne les appercevoit pas. Il fit appeller l'Officier , & lui demanda s'il avoit reçu ordre de donner du vin à ceux qui en avoient bû. C'étoit un homme timide, à qui la crainte troubla l'efprit, &qui répondit fcuflement qu'ils avoient bû fans ordre. Auffi-tôt , l'Empereur lui demanda ik liHie, & taxa les uns à mille, les autres à deux mille, & quelques-uns à trois mille roupies. Ceux qui s'étoient trouvés près de fa perfonne furent traités avec beaucoup plus de rigueur. Il leur fit donner trente coups d'u- ne efpèce de fouet, compofé de quatre cordes , dont le bout eft armé de petits fers , comme des molettes d'éperon. Ainfi , chaque coup fait ordi- nairement quatre playes. Les coupables étant demeurés par terre, étendus & comme morts , il donna ordre, à ceux qui en étoient le plus près, de leur marcher fur le corps. Enfuite il fit figne aux Portiers de rompre fur eux leurs bâtons. Après cette cruelle exécution, ils furent portés dehors, tout brifés de coups ; & l'un de ces malheureux expira fur la place. Quel- qu'un eut la hardiefle de dire quelques mots en leur faveur, & de rejetter leur infortune fur I'Ambafladeur Perfan. Mais l'Empereur répondit, qu'il fe fouvenoit d'avoir ordonné qu'on ne donnât que deux ou trois verres de vin à I'Ambafladeur même. Ouoique l'yvrognerie foit un vice fort com- mun parmi les Mogols, & qu elle fût même l'exercice le plus ordinaire de l'Em- (O Pag. 34. (0 Après avoir fait fes préfens, I'Am- bafladeur retourna à fa place, tandis que Rlioe garda la fienne, qui le mettoit au- delTus de tous les Seigneurs de la Cour,* & malgré les efforts d'Afaph-Kan, qui vou- loit le ravaller à la hauteur du Perfan, il s'obftina à ne point relâcher des droits qu'il s'étoit acquis dans fa première audien» ce. R. d. E. P 2 ii5 VOYAGES DANS LES R H 0 E. i6i6. Effet du caraélère in» térefTé du Mogol. Sultan Co- ronne fe rend au Camp. Magnifi- cence de fon «iépaxt. l'Empereur, elle ne laifle cas d'être fi rigoureufement défendue, que lej Portiers du Gouzalkan refuient l'entrée à ceux qui fe prcfentent , s ils re. connoifTent à leur haleine qu'ils ayent bû du vin ; & les coupables fc jau. vent rarement du fouet. Rhoe ajoute que lorfquc l'Empereur étoit en co. 1ère, un Père n'auroit ofé parler pour fon fils (v). Mais il ne doit pas oublier, dit-il, un événement qui fera connoître, ' ou la baflefle d'ame du Mogol , ou l'envie qu'il avoit de mettre fa libéralité à l'épreuve (x). Ce Prince avoit condamné à mort plufieurs voleurs, en- tre lefq'.:els il fe trouvoit quelques jeunes garçons. Il donna ordre à Afaph. Kan, d'en offrir deux à Rhoe pour de l'argent; parcequ'il n'y avoit pas d'autre moyen , pour leur fauver la vie, que de les acheter pour l'efclavagc, L'Interprète de Rhoe répondit, fans fa participation, que les Chrétiens n'entretenoient point d'efclaves, & qu'au contraire l'Ambafladeur en avoi: mis quelques-uns en liberté, quoiqu'il les eût reçus de l'Empereur mèmi.' Cependant un peu de réflexion fit foupçonner à Rhoe, que l'Empereur vou- loit éprouver s'il auroit la générofite de donner quelque argent pour Tau- ver la vie à des miférables. Au rifque de fe- tromper, dit-il, il crut de- voir hazarder une fomme légère pour faire une bonne a6lion : mais il iî; déclarer aux Officiers de la Juftice qu'il n'acheteroic pas les deux garçon. en qualité d'efclaves, & qu'après avoir payé leur rançon il étoit rélblu di les mettre en liberté (y) (z). Le premier de Novembre, Sultan Coronne prit congé de la Cour pour fe rendre au Camp. L'Empereur étoit au Durbal , lorfque le Prince y pa> . rut , fuivi d'environ fix cens éléphans , richement équipés , & d'un Corp! de mille chevaux. Plufieurs Cavaliers de cette efcorte étoient vêtus de drap d'or , avec des bouquets de plume fur leur turban ; & la troupe entière étoi; fort lelle. L'habit de Coronne étoit d'un drap d'argent , brodé de grolRi perles & de diamans. L'Empereur, en l'embraflant, k baifa au vifagi, • & lui témoigna beaucoup d'affeftion. Il lui donna une épée dont le four reau étoit d or , & couvert de perles qu'on eftimoit cent mille roupies ; m poignard, qui en valoit quarante mille; un éléphant, & deux chevaux, dont les felies & leurs garnitures étoient revêtues de placques d'or , cou- vertes de pierreries ; & un des caroiTes qu'il avoit fait faire , à l'imita- ' tion de celui que le Roi d'Angleterre lui avoit envoyé. Sultan Coron- ne entra dans le caroife à la vue de l'afTemblée , & commanda au Co- cher , qui étoit Anglois , de le conduire au Camp. Il étoit affîs au milieu de la voiture , les rideaux ouverts des deux côtés. Quantité de No- blefle le fuivit à pied jufqu'à fes tentes , qui étoient éloignées de quatre niiles. En chemin, il jettoit des quarts de roupies au Peuple ; & daignani (v) Pag. 3« & précédente». (jc) Ibidem.- (y) La fomme étoit de cent Jacobus. Mais l'Auteur laifTe douter fî la crainte d'ê- tre la dupe des Officiers Mogols^, ne le Ht pas changer de difpofition. (s) 11 ne s'agîflbit que de dit Jacobus ^ eten- que l'Auteur offroit de payer, pourvu (j:; ce fut la volonté de l'Empereur , qu'il voj loit mettre par -là à l'épreuve; Mais les Of- ficiers du Prince n'ofanc apparemment piij compromettre fa dignité à ce point , la pro- poûcioa n'eut pas d'autres fuites. R. d.£. ftendr •écus . Le •fts feii Vy laif] ?ui étc occafi lis moi ioyoit «es, ro jRiais il Erenoii ufic ^ 4'augm opvinrc ipësfori V^ux, I fort vif Shoe 1( SiTé k l'elles iblée II ^e, { ciliçuan petites ^ient l«^mp£ Ï2<$ VOYAGES DANS LES R ROE. l6i6. Faufïï» tran- cjuillité de Sultaji Co> tonne. Rhoe le croit amou- reux de quel- 3ue femme e fon Père. II lui rend ▼iCce. pour lui faire un équipage qui approchât de celui des moindres Seigneurs Mogols. Ce qu'il trouva de plus furprenant, c'eft qu'ils ont tous de dou- bles tentes & un double équipage; de-forte que tandis qu'ils font campés dans un lieu', ils envoyent dans un autre lieu, où ils doivent pafler , leurs fécondes tentes avec les meubles ; & tout fe trouve dreffé lorfqu'ils y arri- vent. La confulion où Rhoe étoit, de fe voir en fi mauvais "équipage, le fit bien -tôt retourner à fon pauvre logement (d). Le 5 de Novembre, il admira le même faite dans la tente du Prince Coronne. Son Trône étoit couvert de placques d'argent ; & , dans quel- ques endroits, de fleurs en relief d'or maffif. Le dais étoit porté fur qua- tre piliers, aufli couverts d'argent. Son épée, fon bouclier, fcs arcs, fcs flèches & fa lance, étoient devant lui fur une table. On montoit la garde, lorfque Rhoe arriva. Il obferva que le Prince paroiflbit fort maître de lui- même, & qu'il compofoit fes aflions avec beaucoup de gravité. On lui remit deux lettres, qu'il lut debout, avant que de monter fur fon Trône. Il ne laiflbit appercevoir, ni le moindre fourire, ni la moindre différence dans la réception qu'il faiîbit à ceux qui fe préfentoient à lui. Son air pa- roilFoit plein d'une fierté rebutante, & d'un mépris général pour tout ce qui tomboit fous fes yeux. Cependant, après qu'il eut lu fes lettres, Rhoe crût découvrir quelque trouble intérieur & quelque efpèce de diflraftion dans fon efprit, qui le faifoit répondre peu à propos à ceux qui lui par- vient , & qui l'empêchoit même de les entendre. „ S'il m'eft permis d'en juger, ajoute l'Auteur, je me trompe fort ou je crois qu'il avoit laiffé fon cœur dans l'entretien qu'il avoit eu avec les femmes de fon Père. Il lui avoit été permis de les voir. Noer-Mahal, dont on vantoit beau. „ coup la beauté, l'étoit venu voir dans fon caroffe à l'Angloife ; & l'on „ n'ignoroit pas qu'en prenant congé de lui, elle lui avoit fait préfent d'un „ manteau, tout couvert de broderie, relevé de perles , de diamans & de „ rubis. Cette vifite étoit caufe, fans doute, qu'il manquoit de prcfence „ d'efprit pour les affaires (e) ". L E 9 , Rhoe trouva le même Prince qui Joit aux cartes avec beaucoup d'attention. Le fujet de fa vifite étoit po . -btenir des chariots & des cha- meaux , fans lefquels il ne pouvoit fuivre 1 Empereur en campagne. Il a- voit déjà renouvelle plufieurs fois la même demande. Coronne lui fit des excufes du défaut de fa mémoire, & rejetta la faute fur fes Officiers. Ce- pendant il lui témoigna plus de civilité qu'il n'avoit jamais fait. Il l'appel- la même, plufieurs fois, pour lui montrer fon jeu; &fouvent, il lui aclreJ- fa la parole. Rhoe s'étoit flatté qu'il lui propoferoit de faire le voyage a- vec lui : mais ne recevant là-deflus aucune ouverture , il prit le parti de d retirer , fous prétexte qu'il étoit obligé de retourner à Afmere , & qu'il n'a- voit pas d'équipage pour pafler la nuit au Camp. Coronne lui promit d'ex- pédier les ordres qu*il demandoit; & le voyant fortir, il le fit fuivre par un Eunuque, & par plufieurs Officiers , qui lui dirent , en fouriant, que le Prince vouloit lui faire un riche préfent, & que s'il appréhendoit de fe met' tre en chemin pendant la nuit, on lui donneroit une efcorte de dix chevaux. Il (d) Pag. 40 & précédente!. JJ 5» J> J» 5> 5> fini Ces pré* ;rs la fin de bir à Bram- qui avoient encontra un iverneur de pereur avec tuée dans le lieux bâties eux étages; toutes corn- Les édiiî- réfervoirs e taille, & ntour , don- de l'eau ou ur la beau- couvre une en bled , en n deux mi- Je tamarins es parts on bains, des ange forme un ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 123 un fi beau fpedacle, qu'au jugement de l'Auteur „ il n'y a pas d'homme ,, au Monde, qui ne le crût heureux de pafler fa vie dans un li beau lieu". Gocldah étoit autrefois plus fiorilTante, lorfqu'avant les conquêtes d'Eck- bar elle étoit la demeure ordinaire d'un Prince Rasbout. Rhoe s'apperçut même , en plufieurs endroits , que les plus beaux bâtimens comniencent à tomber en ruine , ce qu'il attribue à la négligence des poflefleurs , qui ne fe donnent pas le foin de conferver ce qui doit retourner à l'Empereur après leur mort (b). Le 9, il vit le Camp Impérial , qu'il nomme „ une des plus admirables „ chofes qu'il eût jamais vues. Cette grande Ville portative avoit été „ drefTce dans l'efpace de quatre heures. Son circuit étoit d'environ vingt „ miles d'Angleterre. Les rues & les tentes y étoient ordonnées à la li- „ gne , & les boutiques fi bien difl:ribuées , que chacun favoit où trouver ce qui lui étoit néceflaire. Chaque perfonne de qualité , & chaque Mar- chand, fait également à quelle diftance de V Atafikanha , ou de la tente du Roi, la fienne doit être 'placée. Il fait à quelle autre tente elle doit faire face, & quelle quantité de terrain elle doit occuper. Cependant tou- tes ces tentes enicmble contiennent un terrain plus fpacieux, que la plus grande Ville de l'Europe. On ne peut approcher des pavillons de l'Empereur qu'à la portée du moufquet ; ce qui s'obferve avec tant d'exaélitude , que les plus grands Seigneurs n'y étoient point reçus s'ils n'étoient mandés^ Pendant que l'Empereur étoit en campagne, il ne tenoit point le Durbal après midi. Il employoit ce tems à la chafle, ou à faire voler les oi- feaux fur les étangs. Quelquefois il fe mettoit feul dans un Bateau pour tirer. On en portoit toujours à fa fuite , fur des chariots. Il fe laiflbit voir le matin au Jarneo (c); mais il étoit défendu de lui parler d'affai- res dans ce lieu. Elles ie traitoient le foir au Gouzalkan ; du moins , lorfque le tems qu'il y deftinoit au Confeil , n'étoit pas employé à boire avec excès (r/) ". Le 16, Rhoe, s'étant rendu aux tentes de l'Empereur, trouva ce Mo- narque au recour de la chafle , avec une grande quantité de gibier & de poiflbn devant lui. Aufli-tôt qu'il eut apperçu l'Ambaflàdeur Anglois , il le prv^da de choifir ce qui lui plairoit le plus, entre les fruits de fa chafle & de fa pêche. Le rerte fut dillribué à fa NobleflTe. Il avoit , au pied de fon Trône , un Vieillard fort fale & fort hideux. Ce Pays efl: rempli d'une forte de Mendians , qui par la profefllon d'ur ^ vie pauvre & pénitente par- viennent à fe faire une grande réputation ù .àinteté. Le Vieillard , qui étoit de ce nombre , occupoit près de l'Empereur une place que les Prin- ces fts enfans n'auroient ofé prendre. Il offrit à Sa Majefl:é un petit gâ- teau couvert de cendre & cuit fur les charbons , qu'il fe vantoit d'avoir fait lui-même. L'Empereur le reçut avec bonté, en rompit un morceau, & ne fit pas difficulté de le porter à fa bouche ; quoiqu'une perfonne un peu délicate n'y eut pas touché fans répugnance. Il fe fit apporter une centaine d'écus ; & de fes propres mains non-feulement il les mit dans un pan de la robbe du Vieillard, mais il en ramaflTa quelques-uns qui étoient tom- ( b ) Pag, 44. ( c ) C'ea encore le Farraco , dans la Traduftion. R. d. E. (d) Ibidem, Q2 R II o E. 1616. >» Defcription du Camp Im- périal à Gou- dah. Chafle & pêche- de l'Empereur. Combien il refpecloit les Mendians. 124 VOYAGESDANS LES R H O E. i6i6. PafTages qui jettent l'Ar- mée Mogole en defordre. 1617. Embarras du Confeil. Rhoe ren- contre le Prince Cof- jonroë. tombés. Lorfqu'on lui eut fervi fa collation , il ne mangea rien dont il ne lui offrit une partie ; & voyant que fa foibleffe ne lui permettoit pas de fe lever , il le prit entre fes bras , pour l'aider lui-même ; il Fembrafla étroite- ment, il porta trois fois la main fur fa poitrine & lui donna le nom de fon Père. Nous demeurâmes fort étonnés, dit Rhoe, de voir tant de vertu dans un Mahométan (e). Le 26, l'Armée s'étant mife en marche, on traverfa des bois & des montagnes couvertes de ronces. Quantité de chevaux périrent dans cette marche. Un grand nombre de Soldats abandonnèrent le Camp ; & tout le monde faifoit retentir fes plaintes. Rhoe y perdit fa tente & fon chariot. Vers minuit, il rencontra l'Empereur, qui s'étoit arrêté deux jours au bas de la montagne pour donner à fon Camp le tems de prendre haleine après cet affreux defordre. Des milliers de chameaux , de chariots & de carof- fes demeurèrent fans eau & fans vivres dans ces lieux inacceffibles. L'Em- pereur les avoit pafles fur un petit éléphant , dont l'adreffe étoit finguliére à grimper fur des rochers , où les chameaux & les chevaux n'auroient pu le fuivre (/). Le 24 de Janvier, on apprit que le Roi de Decan s'effrayoit peu de la marche du Mogol, & qu'après avoir renvoyé fon bagage dans le fein de fes Etats , il attendoit fes Ennemis fur la frontière , avec une Armée de cin- quante mille chevaux; & que le Prince Coronne, également furpris de cet- te fermeté & de l'approche de Chan-Canna, n'ofoit entreprendre de paffer les montagnes. Afaph-Kan & Noer-Mahal , qui avoient confeillé le Voya- ge fur de fauffes fuppofitions , changèrent de fentimcnt avec tous ceux que leur crédit avoit entrainés. Ils propofèrent à l'Empereur de faire regarder fon entreprife comme une partie de chafle , & de tourner vers Agra ; fous prétexte que les Peuples du Decan n'étoient pas des Ennemis avec lefquels un fi grand Monarque pût mefurer honorablement fes armes. Mais il leur répondit que ce confeil venoit trop tard ; & qu'après avoir été fi loin , fon honneur au contraire l'obligeoit d'avancer à toutes fortes de rifques. Le 3 de Février, Rhoe s'étant un peu écarté de la route du Camp, pour fe repofer à l'ombre d'un grand arbre, fut furpris de voir paroîcre Sultan Cofronroë, monté fur un éléphant qui s'avançoit dans la même vue. Ce Prince, à qui l'on avoit ouvert encore une fois les portes de la prifon (g), arrivoit fans gardes & prefque fans fuite. Il avoit laiffé croître fa barbe avec tant de négligence, qu'elle lui defcendoit jufqu'à la ceinture (h). Ses gens firent figne aux Angiois de lui céder la place: mais s'y étant oppofé avec beaucoup de douceur, il fit à Rhoe plufieurs queftions, par lefquelles il fit affez connoître qu'il étoit mal niformé de ce qui fe palToit à la Cour, & qu'il ignoroit même qu'il y eût un Arabafladeur Angiois (/). Le (O Pag. 44- (/) Pag- 45. (g) Tlievenot remarque ici que Rhoe ne dit point comment ce Prince fortit de pri- fon. Cependant on a vft ci-delRis que c'étoit l'Empereur lui-même, qui lui en avoit ou- vert les portes ; & quoiqu'il eut été mis depuis fous la garde d'Araph-Kan, il paroit qu'on lui laiff'It plus de liberté qu'auparavant, puif- que Rhoe le vit encore une troifiùme foif. R. d. E. (i) C'eft une marque de difgrace plutôt qu'une négligence. Voyez ci-deflus , pag, 118. R. d. E. ( i ) On verra dans un autre lieu , que ce malheureux Prince périt enfin par les ardll- cep de fon frère. vel 1 dont il ne it pas de fe alla étroite- nom de fon ,nt de VQrtu bois & des ; dans cette ; & tout le fon chariot, jours au bas aleine après & de carof- îles. L'Em- it finguliére auroient pu it peu de la e fein de fcs mée de cin- rpris de cet- re de pafler illé le Voya- us ceux que lire regarder Agra ; fous vec lefquels Vlais il leur loin , fon ques. Camp, pour DÎtre Sulcan vue. Ce prifon (g), re fa barbe e (b). Ses tant oppofé ar lefquelles à la Cour, Le roificme foif. fgrace plutôt Tus.pag, ii8. lieu , que ce ar les artifi- le ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. 111. 125 Le 6, vers le foir, on arriva fous les murs de Calleade, petite Ville nou- vellement rebâtie , où les tentes Impériales furent dreflees dans un lieu fort agréable, fur la Rivière Septa^ aune cofle d'Ugen, principale Ville de la Province de Mulwa. Calleade étoit autrefois la réfidence des Rois de Man- doa. On raconte qu'un de ces Princes étant tombé dans une Rivière , d'où il fût retiré par un Efclave qui s'étoit jette à la nage, & qui l'avoit pris heureufement par les cheveux ; fon premier foin , en revenant à lui - mê- me, fut de demander à qui il étoit redevable de la vie. On lui apprit l'o- bligation qu'il avoit à l'Efclave, dont on ne doutoit pas que la récompenfe ne fût proportionnée à cet important fervice. Mais il lui demanda com- ment il avoit eu l'audace de mettre la main fur la tête de fon Prince , & fur le champ il lui fit donner la mort. Quelque - tems après , étant aflis dans l'yvrefle, furie bord d'un Bateau, près d'une de fes femmes, il fe laif- fa tomber encore une fois dans l'eau. Cette femme pouvoit aifémentle fau- ver ; mais croyant ce fervice trop dangereux , elle le laifla périr, en donnant pour excufe, qu'elle fe fouvenoit de l'hiftoire du malheureux Efclave (k). Le II , tandis que l'Empereur étoit allé dans la montagne d'Ugen, pour y vifiter un Dervis âgé de cent trois ans, Rhoe fut averti, par une lettre, que Sultan Coronne, malgré tous les ordres & les Firmans de fon Père , s'étoit faifi des préfens de la Compagnie. On lui avoit repréfenté inutile- ment qu'ils étoient pour l'Empereur. Il s'étoit hâté de lui écrire qu'il avoit fait arrêter quelques marchandifes qui appartenoient aux Anglois ; & fans parler des préfens, il lui avoit demandé la permiflîon d'ouvrir les caifles & d'acheter ce qui conviendroit à fon ufage. Mais les Fafteurs qui étoient chargés de ce dépôt, refufant de conlentir à l'ouverture des caifles, du moins fans l'ordre de leur Ambafladeur , il employoit toutes fortes de mau- vais traitemens pour les forcer à cette complaifance. C'étoit un droit qu'il s'attribuoit , devoir, avant l'Empereur fon Père, tous les préfens & tou- tes les marchandifes , pour fe donner la liberté de choihr le premier. Rhoe, fort offenfé de cette violence, prit d'abord la réfolution de por- ter fes plaintes à l'Empereur par la bouche d'Afaph-Kan, parceque ce Sei- gneur auroit pris pour une injure, qu'il eût employé d'autres voyes. Ce- pendant, l'expérience lui ayant appris à s'en défier, il fe réduifit à le prier de lui procurer une audience au Gouzalkan. Enfuite les objections aug- mentant fa défiance, il fe détermina, par le confeil de fon Interprète , à prendre l'occafion du retour de l'Empereur pour lui parler en chemin. Il fe rendit à cheval dans un lieu où ce Monarque devoit pafler ; & l'ayant rencontré -fur un éléphant, il mit pied à terre, pour fe préfenter à lui. L'Empereur l'apperçut , & prévint fes plaintes. ^ Je fais, lui dit-il, que „ mon Fils a pris vos marctiandifes. Soyez fans inquiétude. Il n'ouvrira „ point vos caiflTes , & j'enverrai ce foir l'ordre de vous les remettre". Cette promefle , qui fut accon^pagnée de difcours fort -civils , n'empêcha point Rhoe de fe rendre le foir au Gouzalkan, pour renouveller fes inilan- ces. L'Empereur , qui le vit entrer , lui fit dire qu'il avoit envoyé l'ordre auquel il s'étoit engagé , mais qu'il falloit oublier tous les mécontenteraens paflTés» R M o e. 1617. Calleade , ancknne ré- fidence des Rois de Mandoa. Avanturc d'un de ces Rois. Sultan Co- ronne fe faific des préfens Anglois. Comment Rhoe fait fes plaintes à l'Euipcreur, (*) Pag. 4î» Q3 125 VOYAGES DANS LES R ri 0 E. 1617. Indifféren- ce de ce Prin- ce p )iir les dilleicnds de lUligion. Comment Rhoe cil trompé par le GrandJMogol. paflcs. Quoiqu'un langage fi vague laiflat de fâcheux doutes aux Anglois, la préfence d'Afapli-Kan , dont ils craignoient les urLifices , leur fit remet- tre leurs explications à d'autres tem . ; d'autant plus que l'Empereur étant tombé furies différends de Religion, fe mit à parler de celles des Juifs, des Clirétiens & des Mahométans. Le vin l'avoit rendu de fi bonne hu- meur, que fe tournant vers Rhoe, il lui dit: „ Je fuis le Maître ; vous „ ferez tous heureux dans mes Etats , Mores , Juifs & Chrétiens. Je ne „ me mêle point de vos Controverfes. Vivez tous en paix dans mon Em- „ pire. Vous y ferez à couvert de toutes fortes d'injures, vous y vivrez „ en fureté, & j'empêcherai que perfonne ne vous opprime". Il repéta plufieurs fois le même difcours. Enfin , paroiflTant tout - à - fait y vre, il fe mit à pleurer; & pendant cette fcène, qui dura jufqu'à minuit, il fut lue- ceflivnnent le jouet dediverfes palTions (/). Deux jours après. Sultan Coronne arriva de Brampour. Rhoe étoit defefperé qu'on ne parût point penfer à lui rendre juflice, & l'arrivée du Prince ne fembloit propre qu'à reculer fes efpérances. Comme il croyoit l'avoir aigri par fes plaintes, & que les ménagemens n'étoient plus de fai- fon, il réfolut de faire un dernier effort auprès de l'Empereur. Mais, tan- dis qu'il en cherchoit l'occafion, quel fut ion étonnement d'apprendre que l'Empereur s'étoit fait apporter fecrétement les cailfes , & les avoit fait ou- vrir ! C'eil dans fes propres termes qu'il faut rapporter la fingulière conclu- lion de ce démêlé (m). „Je formai, dit-il, le delTein de m'en vanger; & dans une audience „ que mes follicitations me firent obtenir , je lui en fis ouvertement mes „ plaintes. 11 les reçut avec des flatteries baffes , &. plus indignes encore de fon rang que l'aétion même. Il me dit que je ne devois pas m'allar- mer pour la fureté de tout ce qui étoit à moi,' qu'il avoit trouvé dans „ les cailTes diverfes chofes qui lui plaifoient extrêmement, fur -tout un „ verre travaillé à jour, & deux couliins en broderie; qu'il avoit retenu j, aulTi les dogues : mais que s'il y avoit quelque rareté que je ne voululTc „ pas lui vendre ou lui donner, il me la rendroit, & qu'il fouhaitoit que je fufle content de lui. Je lui répondis qu'il y en avoit peu qui ne lui fuf- fent deflinées , mais que c'étoit un procédé fort incivil à l'égard du Roi mon Maître, & que je ne fçavois comment lui faire entendre que les préfens qu'il envoyoit avoient été faifis, au -lieu d'être offerts par mes mains à ceux entre qui j'avois ordre de les difl:ribuer: que plufieurs de ces préfens étoieiit pour le Prince Coronne &. pour la PrincefiTe Noer- Mahal ; que d'autres dévoient me demeurer entre les mains , pour les fai- re fervir , dans l'occafion , à me procurer la faveur de Sa Majefi:é contre les injures que ma Nation recevoit tous les jours; qu'il y en avoit pour mes Amis , & pour mon ufage particulier ; que le refte appart e- noit aux Marchands, & que je n'avois pas le droit de difpofer du bien d'autrui. „ Il me pria de ne pas trouver mauvais qu'il fe les eût fait apporter. Toutes les pièces , me dit-il , lui avoient paru fi belles , qu'il n'avoit pas „ eu (/) Pag. 46. (m) Pag. 46 & fuiv. »> » j> î» >> j) j» — ï» Ar •n >» >» '™ >» ^ j> ■, »> ï» j> J» J» î» 5> ,^■'■■ 9} î> ■ '.'W » »> î> J> J» JJ î» J» >> J> >» JJ J* >J » JJ J> 4' JJ JJ JJ ^» JJ ^1 JJ M JJ Wi JJ S JJ ^^'Wê »J smÊ J» ^^S JJ ^B JJ lux Anglois, ur fit remet- pi.rcur étant :s des Juifs, 1 bonne hu- [aître ; vous lens. Je ne ins mon Em- )us y vivrez Il repéta t yvre, il fe i; , il fut lue- Rhoe étoit l'arrivée du le il croyoit plus de fai- iVlais, tan- prendre que ivoit fait ou- lière conclu- me audience ■tenient mes ignés encore pas m'allar- trouvé dans fur - tout un avoit retenu ne voululTc laitoit queje ne lui fuf- ^ard du Roi ndre que les rts par mes îlufieurs de cefle Noer- pour les fai- efté contre y en avoic le apparie- er du bien ,it apporter, n'avoit pas „ eu Î1 •^ai; ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 127 eu la patience d'attendre qu'elles lui fuflent préfcntées de ma main. Son emprelfement ne m'avoit fait aucun tort , puifqu'il étoit perfuadé que dans ma dillribution il auroit été fervi le premier. A l'égard du Roi d'Angleterre , il fe propofoit de lui faire des excufes. Je devois être fans embarras du côté du Prince & de Noer-Mahal , qui n'étoient qu'une même chofe avec lui. Enfin , quant aux préfens que je deftinois pour les „ occafions où je croirois avoir befoin de fa faveur, c'étoit une cérémonie tout-à-fait inutile, parcequ'il me donneroit audience lorfqu'il me plairoit de la demander , & que n'ignorant pas qu'il ne me relloit rien à lui of- frir , il ne me recevroit pas plus mal lorfque je me préfenterois les mains vuides. Enfuite, prenant les intérêts de fon Fils, il m'affura que ce Prince me reflitueroit ce qu'il m'avoit pris, & qu'il fatisferoit les Fac- teurs pour les marchandifes qu'il leur avoit enlevées. Comme je dcmeu- rois en filence , il me prefla de 'ui déclarer ce que je penfois de fon dif- cours. Je lui répondis'que j'.tr.'s charmé de voir Sa Majefté fi conten- te. Il tourna les yeux fur un ivl-iiiflire Anglois , nommé Terry^ dont je m'étois fait accompagner. Pddre, lui dit -il, cette Maifon efl: à vous; vous devez vous fier à moi. L'entrée vous fera libre, lorfque vous au- rez quelque demande à me faire ; & je vous accorderai toutes les grâces que vous pouvez defirer. „ Après ces flateufes promefTes, il reprit avec moi, du ton le plus fa- milier , mais avec une adrefle que je n'ai connu qu'en Afie. Il fe mit à faire le dénombrement de tout ce qu'il m'avoit fait enlever, en com- mençant par les dogues, les couffins , le verre à jour, & par un bel étui de chirurgie. Ces trois chofes, me dit -il, vous ne voulez pas que je vous les rende, car je fuis bien-aife de les garder. 11 faut obéir à Vôtre Majefté, lui répondis-je. Pour les verres de ces deux caiflTes, reprit-il, ils font fort communs: à qui les deftiniez-vous? Je lui dis que l'une des deux caifles étoit pour Sa Majefté, & l'autre pour la Princefl!e Noer- Mahal. Hé bien , me dit-il , je n'en retiendrai qu'une ; & ces chapeaux , ajoûta-t'il , pour qui font-ils ? Ils plaifent fort à mes femmes. Je ré- pondis qu'il y en avoit trois pour Sa Majefté, & que le quatrième étoit pour mon ufage. Vous ne m'ôterez pas, continua-t'il, ceux quiétoient pour moi ; car je les trouve fort beaux. Pour le vôtrfc , je vous le ren- drai fi vous en avez befoin ; mais vous m'obligeriez beaucoup de me le donner aufii. Il en fallut demeurer d'accord. Et les peintures , reprit- il encore, à qui font- elles? Elles m'ont été envoyées, lui dis-je, pour en difpofer fuivant l'occafion. Il donna ordre qu'elles lui fuflent appor- tées ; & faifant ouvrir la caiflTe , il me fit diverfes queftions fur les fem- mes dont elles repréfentoient la figure. Enfuite s'étant tourhé vers les Seigneurs de fa Cour, il les preffa de lui donner l'explication d'un ta- bleau qui contenoit une Venus & un Satyre: mais il défendit en même- tenis , à mon Interprète , de m'expliquer ce qu'il leur difoit. Ses obfer- vations regardoicnt particulièrement les cornes du Satyre , fa peau , qui étoit noire, & quelques autres propriétés des deux figures. Chacun s'ex- pliqua fuivant fes idées. Mais l'Empereur , fans déclarer les fiennes , leur dit qu'ils fe trompoient , & qu'ils en jugeoient mal. Là-delfus, » re- )» }> J> J> JJ J» }i f} »> î> 5» »» î» J> J> J> J» J> i» J> J) J> î> J> î» 5J J» 5» }> » » »> R ri o e; 1617, 128 VOYAGES DANS LES R M 0 s. I6I7. recommandant encore à l'Interprète de ne me pas informer de CÔ qu'il avoit dit , il lui donna ordre de me demander mon fentiment fur le fujet de cette peinture. Je répondis de bonne-foi que je la prenois pour une ^^ fimplc invention du Peintre, & que l'ufage de cet Art ctoit de chercher „ Tes fujets dans les fiélions des Poëtcs. J'ajoutai d'ailleurs que voyant ce tableau pour la première fois, il m'ctoit impollible d'expliquer mieux le dciïein de l'Arcille. 11 fit fairela même demande à Twry, qui reconnut aufli fon ignorance. Pourquoi donc, reprit -il, m' apporter une cliofe dont vous ignorez l'explication? „ Je m'arrête à cet incident, pour l'inftruftion des Dire6leurs de la „ Compagnie, & de tous ceux qui fuccéderont à mon office. C'efl: un avis „ qui doit leur faire apporter plus de choix à leurs préfens, & leur faire „ fupprimer tout ce qui efl fujet à de mauvaifes interprétations , parcequ'il „ n'y a point de Cour plus maligne & plus défiante que celle du Mogol. „ Quoique l'Empereur n'eut pas expliqué fes fentimens, je crus reconnoî- tre , aux difcours qu'il avoit tenus , que ce tableau pafloit dans fon efprit pour une raillerie injurieufe des Peuples de l'Afie; c'eft - à - dire , qu'il les y croyoit repréfcntés par le Satyre, avec lequel on leur fuppofoit une refl^emblance de complexion, tandis que la Venus , qui menoit le Satyre par le nez , exprimoit l'empire que les femmes du Pays ont fur les hom- mes. Il ne me prefla pas davantage d'en porter mon jugement, parce- qu'étant perfuadé avec raifon que je n'avois jamais vu. ce tableau , il ne le fut pas moins que l'ignorance dont je me faifois une excufe, étoit fans artifice. Cependant il y a beaucoup d'apparence qu'il conferva le foup- çon que je lui attribuois; car il me dit d'un air froid, qu'il recevoit cet- te peinture comme un préfent («). „ Pour les autres bagatelles , ajoùta-t'il , je veux qu'elles foyent envo* yées à mon Fils. Elles lui feront agréables. D'ailleurs je lui écrirai, avec des ordres fi formels, que vous n'aurez plus befoin de folliciteur au- près de lui. Il accompagna cette promcfle, de complimens, d'excufes & de proteffcations , qui ne pouvoient venir que d'une ame fort généreu- fe ou fort bafle. „ Il y avoit, dans une grande caifle , divcrfes figures de bêtes , qui n'é- toient au fond que des maflTes de bois. On m'avoit averti qu'elles étoient fort mal faites, & que la peinture même dont elles étoient revêtues s'c- toit écaillée en divers endroits. Je n'aurois jamais penfé à les mettre au nombre des préfens , fi j'avois eu la liberté du choix. Aufli rEmpercii: me demanda-t'il ce qu'elles fignifioient , & fi elles étoient envoyées pour lui. Je me hâtai de répondre qu'on n'avoic pas eu l'intention de lui faire un préfent fi peu digne de lui ; mais que ces figures étoient envoyées pour faire voir la forme des animaux les plus communs de l'Europe. Hé quoi? répliqua-t'il aufl^i-tôt, penfe-t'on, en Angleterre, que je n'aye jamais vil de taureau ni de cheval? Cependant je veux les garder. Mais ce que je vous demande, c'efl de me procurer un grand cheval de vôtre Pays, avec deux de vos lévriers d'Irlande, un mâle & une femelle, & d'autres ef- (n) Pag. 48, ï) )> îj a >> î> 5> ») S» 5» il JJ »> ti J> » » J> 3» 5> >» 5? 5» 5> 5» J» îî î> JJ >j JJ JJ y» JJ JJ JJ JJ JJ JJ JJ JJ JJ JJ ■ JJ ^ JJ 1 JJ • JJ 1 JJ i „ 1 JJ 1 JJ 9> JJ »J >J JJ JJ JJ iiSï Aie t de ce qu'il t fur le fujet ois pour une de chercher ue voyant ce icr mieux le qui rcconniii: sr une chofe ;6leurs de la C'ell un avis & leur faire s, parcequ'il e du Mogol. •us reconnoî- ans Ton efprit ( lire, qu'il les " uppofoit une loit le Satyre ; ; fur les hora- ment, parce- ibleau , il ne le , étoit fans erva le foup- • recevoit cet- foyent envo- e lui écrirai, blliciteur au- 13, d'excufes fort génércii- ftes , qui n'é- l' elles étoienc Irevétucs s'ii- les mettre au Ti l'Empereur ivoyées pour In de lui faire ivoyées pour |e. Ile quoi? e jamais vu lais ce que je jvotre Pays, & d'autres il >» )) i> )> it » » a î> »» >> » )> » >» j» » » fi »» » >» il j> »» »> j> a a a a a î> »> 1617. ETATS DU GRAND M OGOL, Liv. III. • îsp efpèces de chiens dont vous vous fervez pour la chafle. Si vous m'ac- R n 0 t. cordez cette fatisfaélion , je vous donne ma parole de Prince que vous en ferez rccompenfé , & que vous obtiendrez de moi plus de privilèges que vous ne m'en demanderez. Ma réponfe fut que je ne manqucrois nas^ d'en faire mettre fur les Vaifleaux de la première Plotte ; que je n'olois* répondre qu'ils puflent réfifter aux fatigues d'un long Voyage; mais que s'ils venoient à mourir , je p*'omettois , pour témoignage de mon obéïf- fance , de lui en faire voir les os & la peau. Ce difcours parut lui plai- re. Il s'inclina plufieurs fois , il porta la main fur fa poitrme, avec tant d'autres marques d'affeftion & de faveur, que les Seigneurs mêmes, qui fe trouvoient préfens, m'aflurèrent qu'il n'avoit jamais traité perfonne avec cette diflin6lion. Auffi ces careflès firent-elles ma récompenfe. Il ajouta qu'il vouloit réparer toutes les injuftices que j'avois efluyées, & me renvoyer dans ma Patrie comblé d'honneurs & de grâces. Il donna même, fur le champ, quelques ordres qui dévoient faire ceiTer mes plaintes. J'enverrai , me dit-il enluite , un magnifique préfent au Roi d'Angleterre, & je l'accompagnerai d'une lettre , où je lui rendrai té- moignage de vos bons fervices; mais je fouhaiterois de fçavoir quel pré- fent lui fera le plus agréable. Je répondis qu'il me conviendroit mal de lui demander un prék;nt ; que ce n'étoit pas l'ufage de mon Pays , & que l'honneur du Roi mon JVJaître en feroit bleffé; mais que de quelque pré- fent qu'il me fît l'honneur de me charger , je l'aflurois que de la part d'un Monarque qui étoit également aimé àc relpeélé en Angleterre, il y fe- roit re^-u avec beaucoup de joye. Ces excufes ne purent le perfuader. Il s'imagina que je prenoisfa demande pour une raillerie; & jurant, par fa tête , qu'il me chargeroit d'un préfent , il me prefla de lui nommer quelque chofe qui méritât d'être envoyé lî Ibin. Je me vis forcé de ré- pondre, qu'autant que j'étois capable d'en juger, les grands tapis de Per- fe feroient un préfent convenable , parceque le Roi mon Maître n'en at- tendoit pas d'une grande valeur. Il me dit qu'il en feroit préparer de diverfes fabriques & de toutes fortes de grandeurs , & qu'il y joindroit ce qu'il jugeroit déplus propre à prouver fon eftime pour le Roi d'An- gleterre. On avoit apporté , devant lui , plufieurs pièces de venaifon : il me donna la moitié d'un daim, en me difant qu'il l'avoit tué de fa pro- pre main , & qu'il deftinoit l'autre moitié pour fes femmes. En effet cette autre moitié fut coupée fur le champ en plufieurs pièces , de qua- tre Uvres chactme. Au même infliant , fon troifièmefils (0) & deux femmes vinrent du Serrail , & prenant ces morceaux de viande entre leurs mains, les emportèrent eux-mêmes , .comme des Mendians auxquels on en au- roit fait une aumône (p). „ Si des afi'ronts pouvoient être réparés par des paroles, je devois être fatisfait de cette audience. Mais je crus devoir continuer de me plain- dre, dans la crainte qu'il n'eût fait toutes ces avances que pour mettre mon caractère à l'épreuve. Il parut furpris de me voir revenir au fujet de mes peines. Il me demanda fi je n'étois pas content de lui; & lorf- (0) Ce devoit être le quatrième. R. d. E. XIII Pan. a R iP) Fag< 50 & précédentes. que I3<5 VOYAGES DANS LES R Tt O E. I617. Rcnrir-iue fur aict au- if'crvfiîions iji la Reli- gion du Mo- gol régnant. que j'eus rdponclu que la faveur pouvoit aifcnicnt remédier aux injuf>ic:s qu'on m avoic faites dans fes Etats , il me promit encore que j'aurois à me louer de l'avenir. Cependant, ce qu'il ajoCua me fit juger que ma fermeté lui dcplaifoit. Je n'ai qu'une quedion à vous faire , me dit - il. Quand je fonge aux prclens que vous m'avez apportés depuis deux ans, je me luis étonné plufieurs fois que le Roi vôtre Maître vous ayant re- vêtu de la qualité d'Ambafladeur , ils ayent été fort inférieurs ,. en quali« té comme en nombre , à ceux d'un limple Marciiand , qui étoit ici avant vous, Ck qui s'efl: heureufement lervi des liens pour gagner l'afFeélion de tout le monde. Je vous reconnois pour AmbafTadeur. Vôtre procédé fent l'homme de condition. Cependant je ne puis comprendre qu'on vous entrcwicnnc à ma Cour avec fi peu d'éclat. Je voulois répondr,; à ce reproche. Il m'interrompit. Je fais, reprit -il, que ce n'efl pas vôtre faute ni celle de vôtre Prince, & je veux vous ftiire voir que je fais plus de cas de vous que ceux qui vous ont envoyé. Lorfque vous retournerez en Angleterre, je vous accorderai des honneurs & des ni' compenfes ; & lans égard pour les préfens que vous m'avez apportés , je vous en donnerai un pour vôtre Maître. Mais je vous charge d'une corn- milTion, dont je ne veux pas me fier aux Marchands. C'elt de me faire faire dans vôtre Pays un carquois pour des-fiéches, un étui pour mon arc, dont je vous ferai donner le modèle, un coullin à ma manière pour dormir delîus , une paire de brodequins , de la plus riche broderie d'An- gleterre, & une cotte de maille pour mon ufage. Je fais qu'on travail- le mieux chez vous qu'en aucun lieu du Monde. Si vous me faites C2 préfent , vous favez que je fuis un puifliuit Prince , & vous ne perdrez rien à v^ous être chargé de cette commiliion. Je l'aflurai que j'exécute- rois fidèlement fes ordres. ' Il chargea aufli-tôt Afaph-Kan de m'envoyer les modèles. Enfuite il me demanda s'il me relloit du vin de grappe. Je lui répondis que j'en avois encore une petite provifion. Hé bien , me dit -il, envoyez-lemoice foir. J'en goûterai; & fi je le trouve boi:, j'en boirai beaucoup (q) ". Ainsi, dans cette audience, C[ui pafl^a pour une faveur extraordinaire, Rhoe fe vit dépouillé de fes cailles & de fon vin , fans emporter d'autre fruit de fes libéralités , que des promefles. II a cru ce détail fi important pour l'inftruftion de fes fucceffeurs , que la même raifon n'a pas permis de le fupprimer dans cet extrait. Mais il lailfe à juger quel eft le chagrin Si l'embarras d'un Minillre, qui fe voit continuellement la dupe d'une Cour étrangère , & qui efl: forcé néanmoins par l'intérêt de ceux qui emplo- vent les fervices, à fe payer de faulfés apparences, dans l'efpoir incerd;: lie trouver un moment favorable pour obtenir des grâces qui ne puilTent e.re retracées. A l'occafion de l'entretien du Mogol fur les différends de Religion , il fait les obfervations fuivante«. Ces Peuples jufqu'au tems d'Eckbar^ Père du Mogol régnant, n'avoient point entendu parler du Chriftianifme. Eck- bar étoit un bon Prince, doux, équitable, amateur & curieux de toutes fortes • (O Pag- 50, )• t> j> »i » >» » »> » >» J» »» ï» >> >» »> >J H.-'iS for le av dét vei Pat d'e fort cetti refp deve n'éc Cl er »» pas rivéL me. me-t lui h noiei de s'; propi lit un rcçur de ne C'éto à une traito fuient dejel la for (O repréjet une ré| tans ol: femblé Perfaii beà R de Pro, parqua Quelqt du Lev aux înjuOîcîj jiie j'aurois à juger que ma , me dit -il. uis deux ans, DUS ayant re^ irs ,. en qualj. toit ici avant l'ufFeftion de ^ôtre procclic )rendre qu'on lois répondr,; ' ce n'ell pxs ; voir que ]■. Lorfque vous irs & des ic- s apportés , jo ;e d'une corn- Il de me faire tui pour mon manière pour •roderie d'An- qu'on travail- me faites a us ne perdrez [ue j'exécute- de m'envoyer ie grappe. Je rié bien , me trouve bon, traordinairc, îorter d'autre fi importai!' ■)as permis cl: e ciiagrin & d'une Cour qui eiiiplo- )oir incertaLi ■ puilTent tu Religion , il ckbar^ l'ère lifinc. Ea- ux de toutes fories R n o s. 1617. Fnvciirs ac- Sri! irC'fj Ci. fon r;ai)> ETATS DU GRAND MOG 0 L, Liv. III. 131 fortes de nouveautés. Il fît appeller à. fa Cour trois Jéfuires de Goa , dont le principal ctoit le Père Jérôme Xavier, du Royaume de Navarre. Après avoir pris plaiiir à l'entendre , il l'obligea de compofer un Livre pour la défenfc de fa Religion coiftre les Mores & les Gentils (r). Il le lifoit fou- vent pendant la nuit. Enfin, l'ayant fait examiner, il accorda par Lettres Patentes, au Père Xavier, la permiflion de bâtir des Egliies, de prêcher, ^"^,•''■1'.,'' ' d'enfeigner, de convertir, » ac » va ♦1 en )i l'a » ta »» M »» eu »» ;i\- >» du »> tic »> qu i> ho 1* ca le 5> S» ce de »» ils br »J mi i> ce J» tie 5» po t> ve » pa n î» fur »» op 1 )) do J» ré( dit foi de 77 ch îloyoit or- iliiinirmc ; \s Cnifi Je. i de Portu- & pour les iciqucs an- .'s neveux, : beaucoup virent leur pereur peu nicux, s'i- ir ces Prin- ; l'Empire. :ôt que les hrétienne , ime, & de es Princes , c cette de- : ne porte- voit pas eu les femmes ui connoil- le leur pro- irétiennes , :e , qui ac- Ils firent entions de 'rinces; ik pereur, ils Ter fes vo- les expli- perfuader quoique pendant il envoya , par une :nc changé .ances des Dint, dans à la réfcr- la charité ChriHia- cette Na- témoigna- it i >» L'Kmnorciir licniaïuic un nnrack' aux J (.Milites. GL'rKÎri'ufi: rcpun'e Ju l'ère Coifi. ET ATS DU G R AND MOGOL, Lrv. Iir. t^i ^c, le véritable état du Chrillianifmc dans l'Indouflan. Un événement bi- R ii o ir. zarrc, dont il fut ttnioin, le perluadoit encore plus, qu'on devoit peu fe i „ vangilc, je gardai le lilence. Le Père Corfi me dit de bonne-foi qu'il „ croyoit cet événement fort naturel , mais que les Mahométans mêmes „ l'ayant fait paifer, fans fa participation , pour un miracle, il n'étoit pas }, fâché qu'ils en eulFent con(;u cette opinion. „ L'Empereur, fort ardent pour toutes les nouveautés, appclla le Milfionnaire, & lui fit diverfes queflions. Enfin, venant au fujet de fa curiodté, vous ne me parlez pas^ lui dit-il, des grands miracles ([ue vous avez faits au nom de vôtre Prophète. Si vous voulez jetter l'on image dans le feu en ma préfence, & qu'elle ne brûle point, je me ferai Chré- tien. Le Père Corlî répondit que cette expérience bleflbit la raifon , & que le Ciel n'étoit pas obligé de faire des miracles , chaque fois que les hommes en demandoient; que c'étoit le tenter, & que le choix des oc- cafions n'appartenoit qu'à lui; mais qu'il ofFroit d'entrer lui-même dans * » le feu, pour preuve de la vérité de la foi. L'Empereur n'accepta point » ^j, cette offre (r). Cependant tous les Courtifans firent beaucoup de bruit ; & ® demandant que la vérité de nôtre Religion fut éprouvée par cette voye, ils ajoutèrent que fi le Crucifix bruloit , le Père Corfi feroit obligé d'em- brafkir le Mahométifme. Sultan Coronnc apporta l'exemple de plufieurs . miracles , qui s'étoient faits dans des occalions moins importantes que celle de la converfion d'un fi grand Monarque, & ccnclut que fi les Chré- tiens refuibient cette expérience, il ne fe croyoit pas obligé de s'en rap- porter à leurs difcours. L'Empereur entra dans la difpute. Il dit en fa- veur du Chriftianifme, que J. C. étoit un Prophète plus grand fans com- paraifon que Mahomet, fi l'on en jugeoit par fes miracles; & s'étendant fur fa réfurreélion , il demanda fi les autres avoient été capables d'une opération û divine. Le Prince répliqua pour Mahomet , que d'avoir donné la vue à un Aveugle, étoit un auffi grand miracle que celui de la réfurreftion. Cette quellion étant vivement agitée, un Seigneur préten- dit que l'Empereur & le Prince avoient également raifon ; que reflufcitcr foi-meme, ou rendre la vie aux Morts, étoit fans contredit le plus grand ** des miracles ; mais que donner la vue à un Aveugle né , c'étoit la même chofe , & une efpcce de réfurrcftion ". % C E s grands mouvemens n'eurent pas d'autre fuite. Mais ils fe renoii- Hifloire vellèrent bien-tôt, à l'occafion d'un finge merveilleux, dont on ne peut fe ^"""' ^'''S^. * difpcnler de rapporter l'hifiioire, fur l'autorité d'un témoin tel que Rhoe. Un Charlatan de Bengale offrit à l'Empereur un grand finge, qu'il donnoit *. pour un animal divin. On a fait remarquer effcélivement , dans d'autre» Relations , que plufieurs Seçles des Indes attribuent quelque divinité à ces ani- (0 I*''g- 79. Bernier rapporte à-peu-près le même fait. R "î * ® a >» ») j» j> j» J> J» >» J» Difpiitctfcîi Mogols fur ki uiiructci» (.?•• ® ® «« «• (f' ® <>j * ® ® (D Î34 VOYAGES DANS LES m R 110 F. J 6 1 7. Rhoe fuit l'KriîpL-nuir à Maïuioa. animaux. Comme il étoit quefliion de vérifier cette qualité par des preu- ves, l'Empereur tira de l'on doigt un anneau, & le fit cacher dans les vête- mens d'un de l'es Pages. Le finge , qui ne l'avoit pas vu cacher , lalla pren- dre dans le lieu où il étoit. L'Empereur , ne s'en rapportant point àf cette expcriciicc, fit écrire , fiar douze billets différens , les noms de douze Lé- gillaccurs, tels que ceux de Moïfe, de Jefus-Chrifl:, de Mahomet, d'Aly, écc. ; & les ayant mêlés dans un vafe , il demanda au finge quel étoit celui qui avoit publié la véritable loi. Le finge mit fa main dans le vafe, & tira le nom du Légillateur des Chrétiens. L'Empereur, fort étonné, foupçon- na le Maître du finge de Içavoir lire les caraétères Perfans, & d'avoir drefll; l'animal à faire cette diil.inénon. Il prit la peine d'écrire les mêmes noms de fa propre main , avec les chifi^res qu'il employoit pour donner des ordres fecrets à fcs Minières. Le finge ne s'y trompa point. Il prit une féconde fois le nom de Jefus-Chrift, 6: le baiiu. Un des principaux Ofliciers de la Cour dit à l'Empereur, qu'il y avoit nécefiairement quelque fupercherie, & lui demanda la pcrmifiion de mêler les billets , avec.ofFre de fe livrer à tou- tes fortes de fupplices fi le finge ne manquoit pas fon rôle. Il écrivit encore une fois les douze noms ; mais il n'en mit qu'onze dans le vafe, & retint l'autre dans fa main. Le finge les toucha tous l'un après l'autre, fans en vouloir prendre aucun. L'Empereur, véritablement lurpris , s'eilorça de lui en faire prendre un. IvJuis l'animal fe mit en furie, & ût entendre, pac divers lignes, que le nom du vrai Légillateur n'étoit pas dans le vafe. L'Empe- reur lui demanda où il étoit donc? Il courut vers l'Officier, & lui prit la main dans laquelle étoit le nom qu'on lui demandoit. Rhoe ajoute: „ quelque in- „ terprétation qu'on veuille donner à cette fingerie, le fait eft certain (v)". On regrette ici qu'après avoir repréfcnté l'Empereur dans une partie de fa marche, il n'explique point l'es raifons qui lui firent abandonner le deflein de la guerre , pour fe retirer au Château de Mandoa. Il ne nous apprend pas même ce qui l'obligea tout d'un coup d'interrompre fa narration (.v). ,,Le 3 de Mars, dit-il, j'arrivai à Mandoa. L'Empereur y devoit faire fon entrée; mais on ignoroit encore le jour, parce qu'on attendoit que les Ailrologues l'euflent marqué ; & nous demeurâmes dehors , pour atten- dre ce bienheureux moment. Mes gens , qui étoient chargés de me cher- cher un logement, avoient pris pofielïîon d'une grande enceinte, fermée „ de bonnes murailles, qui contenoit un Temple & un Monument". Quel- ques Seigneurs de la Cour s'y étoient aulfi logés ; mais Rhoe ne s'y établit pas moins, comme dans un lieu tranquille, qu'avec un peu de dépenfe on auroit pu rendre agréable. L'air y étoit bon , & la vue charmante; mais on (■y) On a vu, dans d'autres Relations, qu'un Hugo bien inllruit confuite l'œil de (on Maître. D'ailleurs étoit il bien certain que ce ne fut pas une créature humaine, qui avoit beaucoup de rcfTcmblance avec un ïiiij;ej ce qui n'ett pas fans exemple en Eu- rope même? (1). (.r) I.eCiuip étoit fitué dans les environs deMaii.lon, où l'Empjrtur devoit faire une (i) Si la fuppofitiot, peut êttï reçue, eUe ne lève point la difficulté que ce fait meiveilleux ptéfenteJ 'cifrit. dans toutes les citconihnccs. R d. E, fiinpie entrée de cérémonie. Rhoe s'arrêta en ce lieu jufqu'ausi d'Oftobre, qu'il fe an- dit aux tentes du Prince pour tâcher d'cxp-- dierfes affaires. Te.'ry, qui l'acconipagiîoit, dit qu'ils marchèrent , avec i'Arniée , de Man- doa à Amadabath, après avoir été deuxansà la fuite du Grand Mogol, qui tenoit toujours la campagne, fans faire autrement la guerre. R. d. E. on rei n'ii Ce ni fei' titi ren ce bar qui d'y fil R II 0 K. 1617. F.xttôrae Comment Rhoc i.'cn gatainic. ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. '13J on V avoic l'incommodité d'être éloigné de deux lieues du Palais de l'Emp?- reuf. (^udqucs JQurs après, les Anglois en rèflentirenc une autre, qu ils n'avoient pas prcvCie, & qu'ils partagèrent avec tous cjux qui fuivoienc la Cour. Mandoa étant fitué fur une hauteur, il ne s'y trouvoic pas de puits, ni même aucun réfervolr d'eau. Les principaux Seigneurs a voient pris pof- difccte d'tau. iHTion des puits qui étoient difperfés dans la campagne. Bien-tôt une mul- titude infinie d'hommes & d'animaux fe virent en danger de périr de foif. On publia un ordre à tous les Habitans du Pays de quitter leurs haî-îitations, avec leur bétail & leurs chameaux. - Ceux qui fe trouvèrent ians faveur fu- rent obligés de chercher des retraites à quatre ou cinq lieues de diilance, ce qui rendit les -'Vx-es fort chers à la Cour. Rhoe fut d'autant plus em- barrùfle, qu'il craignoit de fe voir dans la néceifité de quitter fa maifon, I qui- étoit fort bonne, quoiqu'éloignée des marchés & de l'eau. Il rcfojut d'y demeurer à toutes fortes derifques, parceque dans les plus fâcheufcs jiippofitions , il efpéroit d'y être toujours mieux qu'à la campagne, où il auroit fallu camper; & montant à cheval , il entreprit lui-même de cher- cher de feau. Le hazard lui fit rencontrer un puits, qu'on gardoit pour l'ufage d'un Seigneur. Il ne fit pas difficulté de s'adreflTer au Maître, & de lui déclarer le befoin qu'il avoit de fon fecours. Il en obtint quatre char- ges d'eau, par jour. C'étoit une faveur importante, qui le fit retourner chez lui fort fatisfait , & qui le fauva de la mifere publique (y). Le refle du Journal n'offre plus que des événemens Sç. des obfervations de Commerce, entre lefquels on trouve feulement quelques mélanges hillo- riques, qui méritent d'en être détachés , quoiqu'ils n'ayent point affez de rapport entr'eux pour compofer une narration fuivie. Rhoe, par exemple, s'érunt rendu à la Cour le 12 de Mars, y ofirit à l'Empereur, pour étrennes, Rhoe. deux couteaux & fix verres. Il craignoit qu'un Ci léger préfent ne fut reyu avec déddn ; mais on lui en témoigna au contraire beaucoup de reconnoif- fance ; 6c l'Empereur l'afTura que n'y conlidérant que fon affection , il ne puuvoit lui en faire de û petit, qu'il ne lui fut très -agréable. C'cll main- tenant à moi, lui dit ce Monarque, de vous donner quelque chofe à mon tour ; & fur le champ il expédia des ordres , pour faire payer aux Marchands Anglois tout ce qui leur étoit dû. Enfuite, il dit à Rhoe de monter fur les degrés de fon 'l'rône, & de s'approcher de lui. D'un coté étoit l'Ambaifa- deur dePerfe, Ôc de l'autre le vieux Roi de Candahar. Rhoe prit place au- près du Roi. L'Empereur fit préfent , à l'AmbalTadeiir de Perfe , de quel- ques pierreries & d'un éléphant , que ce Miniflre reçut à genoux , en frap- pant de la tète les degrés du Trône. Ce Trône étoit d'or, femé de rubis, d'émeraudes & de turquoifes. On voyoit , au fommet , les portraits du Roi d'Angleterre, de la Reine, de Madame Elifabeth, & du Directeur général Thomas Smith, avec quelques autres peintures. Le deflbus étoit tendu de deux pièces très-fines de tapiflerie de Perfe. A côté , fur un petit échaf- faut, une troupe de Muficiens amufoit falTcmblée par le bruit confus de leurs inftrumens (z). RiioE découvrit, quelques jours après , qu'on le foupçonnoit de von- Oii^;ne;?e9 loir quitter fecrétement la Cour, & n'eut pas peu de peine à faire prendre foniiicntioiis ' ^ ^ ^ i,ne '^-■^"'^^^' (O'KaS- 51. (-)PAg. 52.. Quelques traits hillori- qucsreciiii!iis delà fuite du iournal de i3<5 VOYAGES DANS LES R ri 0 K. 1 ôi 7. une autre idée de fcs intentions. Ce foupçon, qui vcnoit de la'malignlté de Sultan Coronne, lui donne occalion de rapporter quelle fut l'origine des premières fortifications de Surate. Dès l'année précédente, Coronne avoit fait entendre à l'Empereur que les Anglois avoient des defleins fur cette Ville. „ A la vérité, dit Rliôe, la folie de ma Nation y avoit donné quel. que hijet (a). Dans leurs querelles fréquentes , ils avoient fait delcen- dre au rivage deux cens Moufquétaires , qui rencontrant quelques gens du Pays leur avoient dit , en raillant , qu'ils marchoient pour prendre la Ville. Quoique cette menace fut ridicule, & qu'il n'y eut point d'appa. rence qu'une poignée de gens pût entreprendre de faire douze miles, dans une terre ennemie , pour attaquer une Ville fermée , qui , fans „ compter fes Habitans , étoit gardée par une garnilbn de mille chevau:; & de mille hommes d'Infanterie; qu'il y eut d'ailleurs une aifez grand. Rivière à palier, & que peu de gens eulfent pu la défendre contre une Armée nombrcuie; la Cour n'avoit pas lailfé de s'en allarmef , & le dif. cours des Anglois avoit palTé du moins pour injurieux à l'Empire. Siij. tan Coronne , faifant revivre ce bruit , qui lembloit donner plus de vrai- femblance au foupçon delà fuite de Rhoe, s'en fervit pour faire goûter, à l'Empereur, le deiïein qu'il avoit depuis long-tems de fortifier la Vil- ■ le & le Château. Il commença par quelques ouvrages qu'il fit au Port, & qui furent munis d'ui)^ bonne artillerie. L'Empereur feignit apparem- ment de ne pas comprendre , que ces fortifications pouvoient fervir un jour au Prince, pour s'aflurer abfolument de la Place, & s'ouvrir un,' porte de derrière, s'il étoit jamais obligé de fuir la vengeance de fou frère (b). Le 30 d'Avril, on vint faire des excufes à Rhoe , de la part de VAiv.- bafladeur de Perfe , qui étoit parti fans lui faire aucune civilité. Il apprit du Meflager , que ce Miniftre n'étoit pas malade , comme il avok pris foin de le publier , mais que ne recevant aucune fatisfaftion de la Cour , dans fes Négociations , il s'étoit retiré brufquement , après avoir fait néanmoins, à l'Empereur, un dernier prcfent de trente beaux chevaux. Ce Monartiue lui avoit donné, en récompenfe, uiie fonîme de trois mille écus; mais l'Ambaffadeur avoit paru peu fatisfait de cette libéralité. L'Empereur , pour fe juftifier, avoit fait faire deux lilles , dont l'une contenoit tous les prc- fens de l'Ambaffadeur, au-dclTous defqucls on avoit marqué leur prix, mais beaucoup moindre que leur valeur. Dans l'autre, on avoit marqué jiil" qu'aux bagatelles qu'il avoit reçues de l'Empereur, telles que du vin, d^^i ■ melons, & d'autres fruits , avec leur prix, qui étoit fort exagéré. En lui =' préfentant ces liftes, on lui avoit oflcrt le furplus en argent, pour mettre ^'^^^iTefTedu de l'égalité dans les deux comptes. Des procédés fi méprifans lui avoiuu' biandxMogol. |-^j(. pi-^j-i^j-e \q p^^ti de feindre une maladie confidérable, pour fe dirpenllr des vifites dont l'ufage lui faifoit une loi. Mais, ayant vécu en fort bon- ne intelligence avec Rhoe, il lui faifoit dire qu'il n'avoit pu traverfer la Vil- le pour lui dire adieu, fans découvrir la fauffeté de fes prétextes; qu'il ne I.'Ambaiïa- deui- de l'iife part fort mal- traite. ^- » il » » >> 3i vou- (a) Ibidem. fiiivantCj (i) Ibidem. On verra, dans les Jlelations haine. quels furent les effets de cet;e : la* malignité t l'origine des Iloronne avoit èins fur cette it donné quel. t fait delcen- quelques gens our prendre h ; point d'appi. douze miles, ée , qui , fam mille chevaux s aflez grand, re contre une ner, & le dif- Empire. Siil. r plus de vrai- r faire goûter, brtifier la Vil- fît au Port , & 2;nit apparcm- [ent fervir un i. s'ouvrir un: ;eance de Ib'i part de YAiv,- ité. Il apprit ivok pris ibin a Cour, dans it néanmoins, Ce Monarijue écus; mais ipcreur , pour tous les pré- :ur prix , mais marque juf- du vin, des :eré. En lui pour mettre lui avoiuit r fe difpenld' en fort bon- verfer la Vil- tes; qu'il ne YOll- effets de ccue ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 137 vouloit pas néanmoins que fes mécontentemens fuflent ignofés des Anglois ; & qu'il leur promettoit de réparer cette incivilité forcée , par les bons trai- temens qu'il feroit enPerfe à leur Nation. Son MefTager ne ménagea point les plaintes , contre l'Empereur & toute la Cour , mais Rhoe affefta pru- demment de ne pas les entendre. La nouvelle qu'il reçut bien-tôt , d une viàioire fanglante que les Turcs avoient remportée fur les Armées dePerfe, & celle du mccagement de Tauris , fervirent à lui faire expliquer la con- duite des Mogols , qui règloient leur eftime & leurs carefles pour les Puif- fances voifînes, fur la profpérité de leurs affaires , c'eft-à-dire, fur les rai- S Ions qu'ils avoient de les craindre ou de les méprifer (c). p L E I de Septembre , jour de la naiflance de l'Empereur , & celui d'une "' Fête folemnelle, où l'ufage de ce Prince étéit de fe faire pefer, on eut l'at- tention de procurer, à Rhoe, un fpeélacle dont il n'avoit pas encore été témoin. On le mena dans un fort beau jardin , qui ofFroit , entre divers Drnemens , un grand quarré d'eau , bordé d'arbres , au milieu duquel on Voyoit, fous un pavillon, la balance où le Monarque devoit étrepefé. Les ]plats étoientd'or maiïïf, enrichis de petites pierreries, de rubis & de tur- Î[uoifes. Ils étoierit foûtenus par des chaînes d'or , avec des cordons de oye , pour double fureté. Le fléau de la balance étoit couvert de placques ♦ji^'or. Les principaux Seigneurs, affîs autour du Trône, attendoient dans .vain refpeftueux filence l'arrivée de leur Souverain. Il parut enfin , chargé 'de diamans , de rubis & de perles. Il en avoit plufieurs rangs au cou, aux bras , ^ar fon turban , aux poignets , avec deux ou trois anneaux à chaque doigt. Son épée, fon bouclier, & fon Trône même, n'étoientpas moins Couverts de pierreries. Rhoe diftingua des rubis aufli gros que des noix , & des perles d'une grofleur prodigieufe {d). '■■ L'Empereur fe mit dans un des plats de la balance, afllls fur Ces ta- lons , comme une femme. On mit de l'autre côté , pour contre-poids , di- vers balots, qui furent changés jufqu'à fix fois. On dit à Rhoe qu'ils é- toient remplis d'argent; & que ce jour-là, Sa Majellé pefoit neuf mille roupies , qui font environ quinze mille francs en argent. Enfuite on mit , du même côté de la balance, de l'or, & des pierreries que Rhoe ne put voir, parcequ'elles étoient enveloppées. On y mit fucceflivement des draps d'or, des étoffes de foye , des toiles, des épiceries, & toutes fortes d'autres richefles. Enfin l'Empereur fut pefé contre du miel , du beurre & du bled. Rhoe apprit que tous ces biens dévoient être difîribués aux Ba- nians. Cependant, il obferva que cette diflribution ne fe fit point, & que chaque pacquet fut remporté , avec beaucoup d'attention. On lui dit aufli que l'argent étoit réfervé pour les Pauvres , & que l'Empereur prenoit le tems de la nuit pour le diflribuer de fa propre main. Pendant que ce Monarque étoit dans fa balance , il tourna les yeux fur Rhoe, avec un fourire. Après avoir été pefé, il monta fur fon Trône, où l'on mit devant lui des bafTms pleins de noix, d'amandes & de toutes for* tes de fruits artificiels , d'or & d'argent. Il en jetta une partie. Les plus grands (O Pag. 54. Cette réflexion tombe d'elle- tion étoit arrivée après le départ de i'Am- mêmc , pjr la raifon que la nouvelle en quef- baffadeur de Perfe. R. d. E. {d) Pag. 56. XIIL Part, s R H 08. 161 7. Sa politique. Rhoe affile à la cérémo- nie de pefer l'Empereur. Poids de Sa Majené. Fruits d'or & d'argent diftribués aux Seigneurs. * 138 VOYAGES DANS LES Il H O E. I (5 X 7. Rhoe. fnu- te de préfens , donne un A;!as nu GrandMogo!. grands Seigneurs qui étoienç les plus proches de lui , fe traînoient par terre I pour en prendre. Rhoe ne crut pas que la bienféance lui permît de les ^ imiter. L'Empereur qui s'en apperçut, prit un des baflîns , qui étoit pref. qiiQ rempli , & le verfa dans fon manteau. Ses Courtifans eurent l'eftron. 1 terie d'y porter la main , avec tant d'avidité , que s'il ne les eût prévenus ils ne lui auroient rien laifle. On lui avoit fait entendre que ces fruits é. j toient d'or mvjjiîif ; mais l'expérience lui apprit qu'ils n'étoient que d'argent & fi légers, que mille ne pefoie^t pas la valeur de deux cens francs, lien fauva pour dix ou douze écus , c'eft-à-dire , de quoi remplir un plat de bonne grandeur. Pendant toute la Fête , l'Empereur en jetta la valeur de quatre ou cinq cens écu?. Il pafla la nuit d'un jour fi folemnel, à boire avec les principaux Seigneurs de fa Cour. ^ Rhoe y fut invité, mais il s'en excufa , parceque les liqueurs du Pays font fi fortes , qu'elles lui paroiflibitni capables de lui brûler les entrailles (e). L E 9 , l'Empereur fortit fur un éléphant , pour aller prendre le diverti!". fement du vol des oifeaux, fur la Rivière de Darbadat. Rhoe, devant Ij maifon duquel il devoit pafler , fe hâta de monter à cheval , & de marche; au-devant de lui. L'ufage du Pays oblige ceux , devant la porte defqucii Sa Majeflé doit pafler, de lui faire unpréfent, qui fe nomme Moubarech, c'eft-à-dire, bonne nouvelle ou bon fuccès ; & l'Empereur reçoit ces prcfens comnie un favorable augure , pour la première affaire qu'il doit entrepren- dre. Rhoe n'avoit rien à lui offrir. Cependant, comme il ne pouvoitpa. roître avec honneur fans quelque préfent, & qu'il y auroit encore eu plus de honte à s'abfenter de fon logement dans cette occafion , il prit le parti de porter entre fes bras un Atlas bien rehé, & de dire à Sa Majeflé que n'ayant rien qui lui parût digne d'un fi grand Monarque, il lui ofFroit le Monde entier , dont il comraandoit une fi grande & fi riche partie. Ce préfent fut reçu avec beaucoup de civilité. L'Empeyeur, portant plufieuri fois la main à la poitrine , l'aifura que tout ce qui viendroit de fa part , loi feroit toujours fort agréable. Les jours fuivans, il lui fit diverfes quefliions fur fon Atlas, Mais l'ayant fait voir aux Sçavans du Pays, qui ne puren; y rien comprendre , il le regarda comme un meuble inutile , qu'il prit le parti de lui renvoyer (/). Qu£LQ.UEs préfens plus agréables, qui arrivèrent à Rhoe, par une nou- velle Flotte , dirpofèrent enfin toute la Cour à prendre fes intérêts. Afapli- Kan même devint un de fes plus officieux partifans ; jufqu'à réfifler ouver- tement à Sultan Coronne, qui fe trouvant prefque le feul ennemi des M- glois, prit aufTi le parti de compofer avec eux, lorfquil fe vit dans l'im- puiflTance de leur nuire. Ainfi la négociation de Rhoe fe termina plus heu- reufement qu'il ne l'avoit efperé. PuRCHAs, qui 4 publié fon Journal , avoue que la prudence lui en a fait Û fupprimer diverles parties, qui contiennent les plus importans myftèresiiu " Commerce. Cependant il n'a pas laifle de nous conferver une de fes Let- tres , qui paroît capable de réparer cette fiipprefllon , par les éclaircifl^emens qu'on y trouve fur les plus profondes vues de la Compagnie Angloife dans fon AmbafTade à Surate. Elle paroît mériter d'entrer ici à ce titre; &Thi;- (O Pag. 57. (/) Pag. 57 & 58, veiwi dre le diverti!"- hioe, devant la & de marche: porte defqucli me Moubarech, ;oit ces prcfens doit entrepren- ne pouvoit pa- encore eu plus il prit le parti !a Majeilé quc 1 lui ofFroit k he partie. Ce jrtant pluiieurî de fa part , loi erfes queflions qui ne puren; qu'il prit le |. , par une non- érets. Afapli- réfifler ouver- nemi des i^n- ' vit dans l'im- . mina plus heu- ce lui en a ïà tis myfliéres k le de Tes Le:- îclaircifTemcnj Angloife cl:!ni titre; &Tk- ver.ût ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 135 [t^enot 5'eft: laiflë engager, par la même raifon, à la traduire dans fon Re- cueil. On paflera leulerticnt fur ce qui n'a point de rapport au but qu'on fe propofe. ' i *■ • .....: • ' , '. „iyj'Es TRÈs-HONORÉs Amis, Je VOUS ai marqué mon fentiment fur „ IVl. vos affaires , dans le Journal que je vous ai envoyé. Mais comme , ï,en arrivant à cette Cour, je m'arrêtai à quelques rapports, que j'ai trouvés >, depuis fans fondement , & que plufieurs points n'ont pas été bien éclaircis „ dans ma Relation générale , je les parcoûrerai ici en peu de mots , afin qu'u- >, ne fois pour toutes vous puifliez entendre l'état de vôtre Commerce, & „ comment il faut l'établir & le gouverner , dans la crainte que fur d'autres „ rapports vous ne vous engagiez à des dépenfes inutiles, & vous ne tom- „ biez dans de grofles fautes ou dans des pertes confidérables. „ L'offre d'aider le Mogol,ou de convoyer fes Sujets jufqu'à la Mer- ;, rouge, eft une offre inutile. Je ne laiflerai pas de la faire, pour marquer „ vôtre affeélion. Quand les liabitans de ce Pays n'ont pas befoin des fervi- ,, ces qu'on leur préfente, ils les regardent avec dédain. Le Mogol a la paix „ avec les Portugais. Il ne leur fera point la guerre , que nous ne les ayions „ chafles de leurs Places. AufTi long-tems que fes Etats feront en paix , il fc ,,mocquera de vôtre afliftance. Mais quand la guerre auroit commencé à le „prefler, il ne fe mettroit point fous une proteétion étrangère, & rien au „ monde ne l'engageroii à la payer. Il faut fe defabufcr de toutes les idées „ que vous auriez pu concevoir , de faire le moindre trafic autre part que dans ',, le Port de Surate. Il fuifira que vous foyiez en état de vous y pouvoir dé- \^ fendre. Quelque fervice que vous puiifiez rendre à cette Nation , elle ne ■^y VOUS en fera jamais obligée. Elle vous craindra toujours , & ne vous aime- ^,ra jamais. Pour ce qui eft de l'entretien d'un Réfident à la Cour, c'efl „ une dépenfe qu'il faut continuer , tant que vous ferez en guerre avec Its ,, Portugais. Les autres dépenfes peuvent être retranchées comme inutiles, •„& peuvent même vous apporter du préjudice. „ A l'égard d'un Fort, j'ai cru, à mon arrivée , que c'étoit une chofe fort „ néceffaire ; mais l'expérience m'a fait voir depuis , que c'étoit un grand a- „vantage d'avoir été refufé alors. S'ils me l'ofiroient à préfent, je ne le „voudroispas accepter. Premièrement, aux lieux où l'on a la commodité „des Rivières dont on a parlé, le Pays eft défert, & l'on n'y peut négocier, „ ni converfer. Les paflTages les plus aifés font tellement remplie de voleurs , „ que l'autorité même du Souverain ne les en a pu chafler. La force des „ montagnes, qui leur fervent de retraite, les affure contre les delTeins qu'on „ peut former contre eux ; 'I40 VOYAGES DANS LES R H o B. >» Commerce ne la peut porter ; & le payement d'une earnifon abforberoît tout J617. »»le profit. Cent hommes ne fuffiroient pas , pour défendre ce Fort imagi. }) naire. Les Portugais feroient des efforts extrêmes pour vous en çhafler. La )) guerre & le trafic font incompatibles , fuivant mes idées ; & fi vous m'en „ croyez, vous ne vous bazarderez point à la faire autrement que fur Mer, „ où l'on peut auflî-tôt gagner que perdre. C'eft ce qui caufe aujourd'hui la „ pauvreté des Portugais. Ils ont, à la vérité, des Colonies dans des Pajs „ fort riches; mais les garni fons, qu'ils entretiennent pour les conferver, en „ confument tout le profit , quoiqu'elles foyent foibles. En un mot , remar- „ quez , s'il vous plaît , ce que je vous dis j ils ne profiteront jamais des Indes, „ tant qu'ils feront obligés de foûtenir cette dépenfe. „ Les Hollandois font auffi tombés dans la même faute, lorfqu'ils ont ta- „ ché de s'y établir par la force. Ils en rapportent une grande quantité de „ marchandifes. Ils font confidérés dans toutes les Places ; ils font même les ,. Maîtres de quelques-unes des meilleures. Avec cela leurs morte-payes con- „ fument tout le gain d'un fi grand & fi riche trafic. Il eft "certain que s'il y „a quelque fortune à faire dans ce Pays-là, vous la devez attendre du côté „ de la Mer & d'un Commerce paifîble. „ C'est une erreur d'afte6ler d'avoir des garnifons & des Places de guerre „ aux Indes. Si vous aviez feulement à faire la guerre à ceux du Pays ; peut- „être cela vous réulfiroit-il. Mais la. faire à d'autres pour leur défenfe, ils „ ne le méritent pas : outre que vôtre réputation courroit grand rifque. Il eJÎ „ plus aifé de faire ici une bonne attaque qu'une bonne retraite. Il ne fuii- „ droit qu'un malheur pour vous faire perdre vôtre crédit , & pour vous en- 5. gager dans une guerre dont le fuccès feroit incertain ; outre qu'une aftion „ aulfi fujette au hazard que les événemens de la guerre , ne peut être raifon- ,,nablement entreprife, lorfque les lieux, d'où Ton peut tirer di^ fecours à „du confeil, font fi éloignés, que cette difl:ance vous expofe à des pertes „ fans remèdes. Nous voyons tous les jours que ceux mêmes qui ont ces „ deux avantages fort proche , n'en tombent pas moins dans l'embarras. En „Mer, vous pouvez prendre ou laifler. On ne publie pas vos deifeins, & M vous les exécutez fuivant l'occafion. „ La Rade de Soualy & le Port de Surate font les deux Places, de toutes j, celles duMogol, qui vous conviennent le mieux. C'eft une chofe que j'ai „bien examinée, & je crois qu'on ne defaprouvera jamais ce que je vous en ), écris. 11 n'efl pas befoin d'en avoir davantage. Le grand nombre de Ports, ), de Comptoirs & de Réfidences n'augmentera jamais vôtre Commerce autant „ qu'il en augmentera Kdépenfe & les charges. On ne trouvera pas, dans 3i un même lieu , un Port fi fur pour vos VaifTeaux , & une Place plus com- „ mode pour les décharger. La Rade de Soualy, dans la faifon, eft auiîi „ fûre qu'un étang. Cambaye , Baroch , Amadabath & Surate font les Villes „ du plus grand Commerce des Indes, & les. mieux fituées. Vous avez deux >, difficultés; les Portugais en Mer, & le débarquement de vos marchandifes. „ Pour furmonter la première , il faut que la charge de vos Vaiffeaux foit clans „ vôtre Port , vers la fin du mois de Septembre; ce qui peut fe faire aifément, „ lorfqu'on aura toujours des marchandifes devant foi , pu qu'on empruntera ff de l'argent pour ti-ois mois. Ainfi vous pouvez charger, &. décharger en ,w »5 »> 5» ni }» >> 33 même- qu'ils ont ta- s quantité di; 3nt même h te-payes coiv lin que s'il y idre du coté ces de guerre 1 Pays ; peut- • défenfe, ils rifque. 11 efl: ;. Il ne fuu- our vous en- iju'une aftion it être raifon- lu fecours & à des pertes s qui ont ces embarras. En delTeins, & es , de toutes chofe que j'ai ae je vous en ibre de Ports, imerce autant ;ra pas, dans .ce plus corn- Ton, eft aulTi ont les Villes us avez deux narchandifes. laux foit dans lire aifémeiit, empruntera décharger en »> »> J5 >» >» )» »> J» J> » >> ÎJ >> »5 » J'/ 3> il ni >> ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 141 • raême-tems, dans une faifon fort propre pour retourner en Angleterre; i vôtre Ennemi n'aura, ni le tems, ni la force de vous nuire; car à p.inu poiirra-Lil arriver en ce tems-là: ou s'il a pris fes mefures de plus loin , nous en aurons été foigneufement avertis. „ Pour le fécond point, qui efl: de charger les marchandifes fans courir le danger des Frégates, & pour épargner la dépenfe du charoi par terre, il fàudroit envoyer une Pinafl!e, de foixante tonneaux & de dix pièces de canon , qui prenne fept ou huit pieds d'eau ; afin qia'elle demeure dans h Rivière qui efl: entre Soualy& Surate, pour aflfurer le paflage de vos mar- chandifes. Elles feront ainfi en fureté à la Douane deSoualy , qui fervira de Magafin , d'où vous pourrez les faire tranfporter aux lieux convena- bles. Les marchandifes , que vous cherchez principalement , font l'indi- go & Ls étoffes de coton. 11 n'y a point de Place aufll propre pour l'un & pour l'autre. Enfin , la raifon veut qu'on choififlTe les lieux qui offrent le plus d'avantages avec le moins d'inconvéniens. Quelques-uns de vos Faéleurs feront peut-être d'un avis contraire: mais foyez fûrs que je ne me trompe point. Je n'ai aucun deffein d'avoir des Fafteurs à ma dif- pofition , ni d'avancer ou d'employer mes amis ; encore moins l'ambition d'avoir beaucoup de gens à commander. „ Il me feroit bien plus facile de faire connoître à la Compagnie toutes les fautes qu'on a commifes, que d'y remédier. La Rivière de Sinda (g), dont vous me parlez, efl: tenue par les Portugais ; & quand même elle ne le feroit point, elle n'cfl: ni plus propre au Commerce, ni plus fûre que celle de Surate. Vos Fafteurs m'ont envoyé quatre ou cinq articles de vos Lettres, qui regardent la Perfe , & le deffein de faire bâtir un Fort & une Colonie au Bengale ; ce qu'ils jugent tout-à-fait inutile. Ils ne m'ont fait fçavoir que cette partie de vos projets. Je ferai ce qui dépendra de moi, pour avancer vos affaires à la Cour: mais je veux que vous voyiez, dans mon Journal & dans mes Lettres, comment ils en ufent avec moi; ce que je ne puis attribuer qu'à quelque jaloufle que vous avez eue de ma conduite & qui vous coûtera bien cher. Pour ce qui efl: d'établir ici vô- tre Commerce , je crois avoir aflez de crédit auprès du Roi pour obtenir « tout R H os. I 617. (/»} Rhoe fait remarquer, dans une au- tre Lettre, la faufTeté des Cartes que Mer- cator 6c. les autres Géographes avoient pu- bliéi-s jufqu'alors. Premièrement, dit il, la faineufe Rivière de l'Inde n'entre point dans la Mer à Cambaye. Sa principale embou- chure eft à Sinda. En voici la preuve : la Ville de Lahor efl fur le Fleuve Indus , qui va de -là jufqu'à Sinda. Qunnd les eaux font hautes , les environs de Cambaye font couverts d'eau jufqu'à la Mer, ce qui a peut- être donné fujet à l'erreur dans laquelle ils font tous tombés. Lahor, dans ces Cartes, eft mal placée. Klle eft fituée au Nord de Surate. La réfidence ordinaire de l'Empe- reur eft à Agra, qu'ils n'ont pas marquée daj]s leurs Cartes, & qui eft au Nord-Nord- Eft de Surate, fur une Rivière qui tombe dans le Gange. L'Empereur réfide maintenant dans une ancienne Ville, où il n'y a point de maifons qui ne foyent bâties de boue , & qui vaillent mieux que les chaumines de no» Payfans. Il n'y a que le Palais de l'Empe- rcur qui foit bâti de pierre. Les Grands dé fa Cour vivent autour de lui fous des efpèces de tentes; & l'on bâtit en un moment, avec des rofeaux & du mortier, un appartement qui a quelquefois jufqu'à douze chambres. Celte Ville eft à dix journées d'Agra, du côté du Nord Eft. ( C'eft celle que Rhoe a nommée Afmere. ) Elle eft, dit- il, quatre cens cinquante miles au Nord deBraaipour. Pag. 71. S 3. f4« VOYAGES DANS LES R H O 2. 1(3 17. Embarras du Mogol fur le fceau d'une Lettre qu'il écrit au Roi d'Angkterre. tout ce que vous pourrez raifonnablement fouhaiter ; & quand il m'aura fait une fois quelque promclTc , la confidération de vos Vaifleaux l'oblige, ra de vous tenir parole. Vous n'avez pas befoin , à la Cour , d'une aiifli grande faveur que vous vous l'imaginez. Il faut que vous apportiez ici d'autres marchandifes. Ne vous lailTez pas tromper par ceux que vous employez. Le drap, le plomb, l'y voire & le vif-ardent font les meilleu- res marchandifes pour ces quartiers, & le feront toujours. J'ai fôuffcrc, l'année paflee, beaucoup de traverfes de Sultan Coronne, qui a le gouver- nement de Surate. Je n'ai pu obtenir que le traité de Commerce fût drcf- fé , avec des conditions égales pour les deux Nations. Le défaut de prc- fens m'a fait perdre une partie de la faveur que j'avois à la Cour. Ce- pendant je n'ai pas lailTé d en tirer une grande partie de ce que je defîrois, & quelque fatisfaftion fur les extorfions & les avanies pafTées. Mais je tâcherai de rendre nos conditions meilleures dans l'abfence du Prince , & de faire un nouveau traité en donnant vos préfens au Mogol. On n'apprend, ni dans la Relation de Rhoe ni dans les remarques qui l'accompagnent, quel fut le tems de fon retour. Mais Purchas (h) afïïirc qu'en partant de laCourd'Afmere0,il demanda au Mogol une Lettre de re- commandation auprès du Roi fon Maître ,& qu'il l'obtint facilement (;(). Ce- pendant le Mogol fe trouva fort embarrafl'é, fur l'endroit où il devoit mettre fon fceau. En le mettant au bas de la Lettre , il croyoit marquer une foûmiiîion indigne de lui. D'un autre côté , il craignoit que s'il le mtc> »» »» j» » »» » »» »> »» » »> » (b) Empruntons Ici une autre addition de Purchas. „ Je dois ajouter, dit -il, ce „ que M. Steel , un de nos premiers Fac- „ teurs, qui écoit alors dans ce Pays avec „ M. Rhoe, m'a dit des femmes du Serrai!. „ Steel avoit un Peintre à fa fuite. L'Em- „ pereur eut la curiofité de fe faire peindre „ par un Européen; mais comme le Peintre „ ne fçavoit pas la langue du Pays, Steel, „ pour lui fervir d'Interprète, fut introduit „ dans i'appartemei.c des femmes; ce qui ne s'accorde jamais aux hommes. A l'en- trée, le Chef des Eunuques lui jetta un drap fur la tête , pour lui cacher la vue des femmes qu'il auroit pu rencontrer. Le hazard , ou fa propre curiofité, lui fit trouver l'occafion d'en voir quelques- unes : mais l'Eunuque, qui s'en apperçut, fe hâta de lui jetter fur la tête un drap plus épais que le premier. „ Madame Steel avoit les entrées plus li- bres chez Chan -Canna. La fille de ce Seigneur , qui avoit été mariée au plus âgé des frères du Mogol, étoit alors veu- ve , & vivoit dans la retraite. Elle eut „ la curiofité de voir une femme Angloife; „ & fon père pria Steel de permettre à fa „ femme de lui rendre une vifice. Madame „ Steel y fut menée dans un chariot fermé >i i> i> de toutes parts, tiré par des bœufs blancs, & fuivi de plufieurs Eunuques. Elle en- tra d'abord dans une cour , au milieu de laquelle il y avoit un grand quarré d'eau. Plufieurs femmes de diverfes Nations é- toient aflîfes fur des tapis fort riches au- tour de ce baŒn ; les unes noires , d'autrct „ blanches , & d'autres brunes ; toutes Ëf- „ claves delà Princeffe Mogole. Elles fe le- „ vèrent toutes, & baifllèrent la tête, pour ,, faire la révérence à Madame Steel. Dans „ ce Pays , oii ne fait pas de vifite qui n! „ foit accompagnée d'un préfent. Madnme „ Steel ofFrit le fien à la PrinceflTe, qui 11 „ fit afleoir près d'elle. Après un peu de ,, converfation , les Efclaves fervirent une „ collation fort propre. L'amitié devint „ très-ardente entre ces deux Dames. Ma- ,, dame Steel la cultiva par de fréquentes vi- „ fites; & la Princefle reconnut fes foies „ par divers préfens, q-ie Steel fit voira „ Purchas après fon retour en Angltttrii;, „ C'étoient des rubis & d'nutres pierres pié- „ cieufes," Jbiilem. pag. 68. (t) C'eft plutôt d'Amadabath. Voyez nô' tre Notc(x), pag. 134. R. d. E. (t) On trouve la traduction de cette Let- tre , dans le Voyage de Terry. Rec. de Tkxt- not , Tom. L R. d. E. id il m'aura lUX l'oblige. , d'une auflî ipportiez ici ix que vous les meiiieu. f'ai fouffert, a le gouver- rce fût dref. îfaut de pre. Cour. Ce* 2 je defirois, ;s. Mais je lu Prince , & îmarques qui s (h) aiïiire Lettre de rc- nent(A'). Ce- 3Ù il dcvoit yoit marquer t que s'il le mec- s bœufs blancs, ques. Elle en- r , au milieu do 1 quarré d'eau. es Nations é- brt riches au- noires , d'autres toutes Ef- Elles fe le- la tôte, pour le Steel. Dans e vifite qui nî ent. Madame ncelTe, qui li rès un peu de fervirent une amitié devin: Dames. Ma. fréquentes vi- nnut fcs foins teel fit voir à n Angletirn.'. res pierres pié- «th. Voyez nô- d.E. n de cette Let- Rec. (le TbKt- les e ETATS DU GRAND M OGOL, Liv. III. 143 mettoit au'haut, le Roi d'Angleterre ne pût s'en ofFenfer. Enfin, il ré- folut de prendre un tempérament, qui fut de donner fa Lettre à Rhoe fans être fcellét , & fon grand fceau a part ; afin que le Roi d'Angleterre le mit dans l'endroit qu'il jugeroit à propos. Ce iceau, aui efl: d'argent, contient , dans fon empreinte , la généalogie des Mogols depuis Tamerlan. Voyage de Jean Albert de Mandeljlo dans ÏIndouftan. ON nous repréfente Mandeljlo comme un de ces Voyageurs extrîiordi- naires, dans qui le defir de parcourir le Globe de la Terre efl: une paflîon , & qui lui facrifient jufqu'à l'efpérance de leur fortune. Il étoit né d'une famille difl:inguée dans le Duché de Mecklenbourg ; & dès l'enfance, il avoit été Page du Duc de Holfl:ein. Ce Prince ayant pris la réfolution d'envoyer MM. Cnifms 6f Brugman^ en Mofcovie o: en Perfe, le jeune Mandeîflo, qui fortoit de Page, marqua tant d'emprefTement pour vifiter des Régions fi peu connues dans fa Patrie , qu'il obtmt la permiifion , non- feulement de faire ce Voyage , à la fuite des Ambafladeurs , en qualité de Gentilhomme de la Chambre du Duc , mais encore de fe détacher de l'Am- baflade, aufli-tôt que la Négociation feroit terminée en Perfe, & d'exécu- ter le deflein qu'il avoit de vifiter le reft:e de l'Afie (a). Il s'embarqua, le 6 d'Avril 1638, à Bander- AbaJJî ^ fur un Navire An- glois de trois cens tonneaux & de vingt-quatre pièces de canon , avec deux Marchands Anglois , nommés Hall & Mandley , que le Préfident des Anglois de Surate faifoit venir d'Ifpahan pour les affaires de leur Compagnie. Un vent contraire les ayant empêchés de lever i'ancre le même jour, ils ne mirent à la voile que le lendemain , pour gouverner vers l'Ifle à'Ormus : mais fur le foir , un grand orage de l'Ouefl: leur faifant craindre de fe brifer contre terre, ils furent contraints de mouiller à la vue de l'Ifle. Le jour fuivant, ils s'efforcèrent , avec le même vent , de pafler à la bouline entre cette Ifle & celle de A'f/w//cA , qui font éloignées , lune de l'autre, d'environ quatre lieues. On laiiia tomber, dans la Mer, le corps d'un jeune Matelot , qui étoit mort de la diflenterie. Cette cérémonie, que Mandeîflo n'avoit point encore vue, lui caufa d'autant plus de frayeur, qu'étant attaqué de la mê- me maladie, il s'imagina que l'exemple d'autrui lui annonçoit fon fort. Le lendemain , après avoir découvert la Terre-ferme d'Arabie , on gouverna le long de la Côte, parceque la plage efl fûre. Le 10, un calme arrêta le Vailfcau jufqu'au lendemain, qu'il s'éloigna des Côtes d'Arabie. 11 s'avan- ça vers celles de Perfe, qu'on ne perdit point de vÛe jufqu'au foir du 12. Alors un bon vent d'Ouefh-Nord-Ouefl lui fit prendre direftement fon cours vers l'Eft-Sud-Ell:, à vingt-cinq degrés cinquante minutes de hauteur. • Le i3> R H 0 I. 1617. (a) Edition de Leide, 1718, in fol.', chez Pierre Van der Aa; dédiée au Prince hérédi- taire de Diinnemark, avec une Préface de M. de IVicqxiefon. C'ed une traduftion de rAliennnfJ, où l'on a conTervé i'Epitre dé- dicatoire & la Préface des preiuièies Edi- Mandetjlo. i63H- Introduc- tion. Départ de Bander-A- bain. Naviffntion jufqu'à Sura- te. tions en cette langue, quî font à'OleariuSf Ami de l'Auteur, fameux Voyageur comme lui, & nommé à l'office de fon Editeur, par un article de fon Teltament. On trouvera le ravnélùre de Mandelllo à la fin de cet Extrait. 144 VOYAGES DANS LES Man-deulo. 13, on cefla de voir la terre; & dix jours d'une Navigation fort tranquille 1 6 3 «. le firent arriver le 25, devant la Rivière de Surate (/; J. L'a N c R E fut jettée à deux lieues de la terre , parceque le Capitaine , qui ne fe propofoit pas d'y faire un long féjour , voulut fe conferver le pouvoir de remettre librement à la voile. Le malheur de cette Côte efl: de n'avoir aucune Rade , où les Navires puiflent mouiller en fureté depuis le mois de Mai jufqu'au mois de Septembre, à caufe des orages continuels & des hor- ribles vents qui régnent dans cet intervalle; au-lieu que fur la Côte Oricti- talc des Indes, dans le Golfe de Bengale, le tems eft fort ferein. Le Ca- pitaine ayant fait donner avis de fon arrivée au Préfident des Anglois , on vit bientôt à bord deux jeunes Marchands de la même Nation , qui appoi- toient fes ordres aux i'atteurs, & des complimens de fa part à Mandeîllo, en faveur duquel il avoit reçu des lettres de recommandation de l'Agent d'Angleterre à Ifpahan. Les Anglois lui dévoient des témoignages particu- liers de zèle & d'affeélion, j)uifqu'il étoit parti de Perfe, fans argent, dans la feule confiance qu'il avoit à leurs fervices (c). Agrémens II fortit du Navire le 29, fuivi de trois Domeftiques, & s'engageanc de la Rivière. Jans la Rivière fur laquelle la Ville de Surate efl: fituée , il admira des deux côtés un terroir très-fertile & plufieurs beaux jardins, accompagnés de leurs maifons de plaifance, qui étant d'une blancheur éclatante, parceque les In- diens aiment cette couleur , forment un fpeètacle admirable au milieu de h verdure. Cette Rivière, que les uns nomment Tapty^ & d'autres Tynde^ ell û balfe à fon embouchure , qu'à-peine reçoit-elle des Barques de ibixante- dix ou quatre- vingt tonneaux (d). Etant defcendu près de l'Hôtel du Gou- verneur, il fut obligé de fe rendre à la Douane, pour y faire vifiter Çqs malles ; ce qui s'obferve avec tant de rigueur, qu'on fouille jufques dans les poches & fous les habits. Le Gouverneur & les Fermiers mêmes de la Douane obligent les Marchands & les Voyageurs de leur laifler, aux prix qu'ils y mettent eux-mêmes , les hardes & les chofes qu'ils n'ont apportées Rigueur de que pour leur ufage. „ En efl:et, dit Mandeîllo, le Gouverneur, qui ar- iv,„..np rivoit à la Douane dans le même-tems que nous, ayant trouvé dans mon bagage un bracelet d'ambre jaune & un diamant , voulut que je lui ven- diiïe l'un & l'autre. Je lui repréfentai que je n'étois pas Marchand , & que ces bijoux ne m'étoient précieux que par la main dont je les avois reçus. Il me rendit le diamant; mais il emporta le bracelet , en me promettant de me le rendre lorfque je lui ferois l'honneur de fallir voir (e) . Les remarques de Mandelflo fur la Ville de Surate & fur l'Etabliflement des Anglois , n'ajouteroicnt rien aux Relations du Tome XI, fur-tout à celle la Douune. »> »> ï» »> >> a (>) On étoit le :4, à vingt-trois degrés vingt-quatre minutes; le 15, à vingt- deux dt'gris cinquante cinq minutes; le 16, à vingt deux degrés quarante minutes ; le 17 , à vingt -un df grés quarante minutes; le 18, d vingt -un degrés huit minutes; le 19, à vingt degrés quarante • deux minutes ; le 21 , à vingt degrés cinquante minutes; le 22, à d'Ov'ing- dix neuf degrés cinquante minutes; le 23, à vingt degrés dix- huit minutes. (r) Ceft le Traducteur qui le dit dans fa Préface, fans nous apprendre d'où cette cir- confiance 'eft tirée. (d) Voyage de Mandelflo, pag. 41. (e) Ibid. j-ag. 42. '■é d'Ov il eu ■m "" ^ tans ; troitc I voit en pa ...Villuj - cerfs 'un fc eux, brune gréab nomm zoar ( nomiT fons c chani} dont 1 Villag boire ( le fuc, l'écorc la trou tire au qu'à fa Ou dans la te. Il Schah- voient , ycc d'c croire c Jine. C K'rate , c gol, eSi .voir s'a |de quiti iGouver iniaifbn de fa fu glcinte a ne circ( vengeai ( XllL t tranquille picaine, qui r le pouvoir t de n'avoir le mois de & des hor- Côte Orien- ïin. Le Ca- Anglois, on , qui appor- Mandelllo, : de ragent iges parcicu- argent , dans s'engagcain ira des deux gnés de leurs jequc les In- milieu de li ;s Tynde , ell de ibixante" àtel du Gou- re vifiter Tes ]ues dans les némes de la er , aux prix it apportées ;ur, qui ar- vé dans mon je lui ven- archand, & je les a vois et , en me lir de l'aller tabliflemcnt •tout à celle d'Oving- linutes; le 23, es. i le dit dans h d'où cent' cit- pag. 41. ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 145 > â'Ovington. Mais pendant auelques femaincs , qu'il padli dans cette Ville , il eut l'occafion de voir, au-delà de la Rivière, une ancienne Place ruinée, qui fe nomme Rcniel, & dans laquelle les Hollandois ne laiflent pas d'avoir un JVJagalin. Les Ilabitans, qui portent le nom de ^Wltcs ^ font Mahomé- tans; Ck la plupart Artifans ou gens de Mer. Les rues de la Ville font é- troites. Ses maiibns ont tant d'élévation fur leurs ibndemens , qu'on n'en voit pas une où l'on ne monte par quelques degrés. Mandelflo, qui étoit en partie de chalïe avec quelques jeunes Anglois, pafTa le lendemain par un Village, nommé Bodick. Entre divers animaux, il vit en chemin plus de vingt cerfs, dont la peau étoit grifâtre, & marquetée de taches blanches, avec im fort beau bois , chargé de plufieurs andouillers. Il fe méloit , parmi eux , certains animaux de la grandeur de nos chevreuils , dont la peau efl: brune, tirant fur le noir, & tachetée aulFi de blanc. Leurs cornes font a- gréablcment façonnées. (Quelques-uns les prennent pour ceux (\\C Aldrovatuî nomme Ccrvi-Capra ^ & lont perfuadés que c'efl d'eux qu'on tire le Be- zoar (/). De-là, les Chafleurs fe rendirent dans un autre Village, qui fe nomme Damken^ où ils virent quantité de canards fauvages, dans les moif- fons de riz , dont toute la campagne étoit couverte. Chaque partie de champ ell environnée d'une petite levée, pour la confcivation de l'eau, dont le riz a belbin d'être continuellement arrofé. Ils trouvèrent dans ce Village, du Terril liqueur qui fe tire des palmiers, & dont on leur oftrit à boire dans des tafles compolées de feuilles du même arbre. Pour en tirer le fuc, on monte jufqu'au fommet de l'arbre, où l'on fait une incifion dans Fécorce, & l'on y attache une cruche, qu'on y laille toute la nuit, pour la trouver remplie, le matin, d'une liqueur douce & fort agréable. On en tire auflî pendant le jour; mais elle fe corrompt aufli-tôt, & ne s'employe qu'à faire du vinaigre {g). Outre deux Valets Allemands, MandelHo avoit pris à fon fervicc, dans la Capitale de Perfe, un Valet Perfan qui devoit lui fervir d'Interprè- te. Il étoit né de Père & de Mère Chrétiens, & du nombre de ceux que Schah-Abbas avoit fait transférer de la Géorgie à Ifpahan, où fes frères vi- Voient avec honneur. Cette confidération portoit Mandeiilo à le traiter a- ycc d'autant plus de bonté, qu'en entrant à fon fervice, il lui ai^'oit fait croire qu'il clierchoit à fe faciliter l'occafion de rentrer dans le Chrifîianif- ^K\ Cependant à peine eut-il le tems de faire quelques connoiflances à Su- rate , qu'a^yant appris que fon oncle maternel étoit à la Cour du Grand Mo- gol, «Jsi qu'il y avoit obtenu l'Office de premier Ecuyer, il fe flatta de pou- voir s'avancer dans la même Cour. Cette efpérance lui fit prendre le parti de quitter fecrétement fon Maître, & de fe jetter fous la proteftion du [Gouverneur de Surate , qui , après l'avoir tenu quelque-tems caché dans fa Imaifon , lui procura le moyen de fe rendre à Agra. Mandeiilo fut affligé Ide fa fuite. Les Allemands avoient eu, dans la Perfe, une querelle fan- iglante avec l'AmbalTadeur du Mogol; & ce Valet, qui n'en ignoroit aucu- ne circonfl:ance , pouvoit porter la trahifon jufqu'à livrer fon Maître à la vengeance des Indiens. Une crainte fi jufte fit tant d'impreflion fur lef- (/) Pag. 58. (,R)lbiim. ^" XUL Part. T MANDEtJLO. 1638. Ancienne Ville de Ue- nlel & fcs Habicans. Ccrvi Ca- praî d'AIJro- vand. Mandelflo t'fl abandon- né d'un Valet Perfan. \, 1^6 VOYAGES DANS LES Mandclslo. 1638. Ralfon qui le porte à voyager dans l'IndouHan. 11 part de Surate. Driou & Cattodera. Enkliner. Defcrintlon it Broitfchia. Montagnes de Pindf.t- k,hes. prit de Manddflo , que s'il eût feu que le Fugitif avoit pris le chemin d'A. gra, il n'auroit'paa eu la hardiclîe de fuivre la même route. „ Mais il pj, „ rut, dit-il, par un événement dont jj n'avois aucune défiance, quel;; „ Ciel l'avoit envoyé de ce côté-là pour me fauver la vie (h^ ". Pendant que Mandelllo fe réjouilToit à Surate , il apprit ciuc les îs'a- vires Anglois avec lefquels il s'étoit propofé de retourner en Luropc, ne pouvoient mettre à la voile avant trois mois. Ce changement lui fit pro tire la réfolution de pénétrer dans le Pays , & de II: rendre à la Cour d; Grand Mogol. L'occafion fe préfenta dans ime Caravane de trente char- rettes, qui partoient pour Amadabath , chargées de vif-argent , qI^ RocniU , qui efl une racine dont on fe fert pour teindre en rouge, d'épiceries Ci: dï. ne grofle fomme d'argent que les Anglois cnvoyoicnt dans cette Ville. I,; Prélident avoit nommé quatre Marchands de fa Nation, quelques IJaniuns, douze Soldats Anglois Ôc autant d'Indiens pour elcorter ce convoi. Ceci ;: une filreté , fans laquelle ce Voyage auroit été fort dangereux. Les li}j- bouts ^ Peuple de Brigands, qui habitent les montagnes de Champenir, cntr. Brodra & Bmtjchia , & qui s'y retirent dans des Places fortes , où ils le ûc- fendent contre les Troupes mêmes du Grand Mogol , infeftoient les ch^ mins par des courfes continuelles. Mandelslo partit de Surate , le dernier jour de Septembre , & prie, avec la Caravane, le chemin de Broitfchia. 11 palTa d'abord par le Villag. de BrioUy ou Briawvj^ où l'on traverfe la Rivière. Quatre lieues plus loin, il vit les ruines de Cattcderay Ville fituée fur une Rivière de même non:, De-là, nous avançant, dit-il, vers Enkliffir^ nous tirâmes plus de treriK canards fauvages, & plufieurs autres oifeaux de Rivière. Nous tuamo auflTi un chevreuil; & nous rencontrâmes tant de fangliers & de cerfs, qu. les Faéleurs Anglois ne voyageant jamais fans Cuifinier, nous fûmes fanscii, barras pour les vivres. Le lendemain , avant que d'arriver à Broitfdili, nous pafliimes encore une Rivière , plus large que profonde. Broitschia efl fituée fur une montagne affez élevée, à douze lieu;: de Surate & huit de la Mer (f ). La Rivière defcend des montagnes qui .. parent les Royaumes de Decan & de Balagate. Les murailles de h XL font de pierre de taille, & fi bien bâties, qu'elles la font compter entre i; plus fortes Places de l'Inde. Du côté de la terre , elle a deux portes ; u deux portereaux fur la Rivière, par laquelle on y amène quantité de bois , bâtir , qu'on n'oferoit décharger Jans la permilfion exprefle du Gouvernai:: On y fait une garde exa6le , aon-feulement parceque la Place efl; importa-/ te , mais parcequ'on y fait p^yer deux pour cent de toutes les marchandifU La Ville efl; fort bien peuplée; fes deux Fauxbourgs ne le font pas moiiisi , quoique la plupart des Habitans ne foyent que des Ouvriers , fur-tout dts TilTerands, qui font cette forte de toiles de coton qu'on appelle Baftus, !cs plus fines de la Province de Guzarate. Toute la campagne voifine eft pla- te & iort unie; mais à cinq ou fix lieues l'ers le Sud -Efl:, on découvr. quelques montagnes, qui fe nommQnt Findatfcbe s ^ & qui s'étendent jufcjuai 4dclh l'on •du que k près (i)Fag. 55. (»■) A vingt-un dcgrOs cinquante -fix minutes du NorJ. e chemin d'A. „ Mais il pa. fiance, que 1;; it c^uc les Kl- ;n Lurope, n. it lui fit prcfi' c à la Cour d; le trente eliar- it , de Roetiiii, ipiccrics&d'i. :tte Ville. I,; Iqucs Hanians, onvoi. Ceci;: ux. Les Rif ampenir, entre , où ils le d^' toient les ch:- ibre, & prit, par le Villa^. eues plus loin, le même nom, plus de trcnii Nous tuumci f de cerfs , qu. •'Cimes lansci;.' r à Broitfchii, douze lien;: ntagîies qui i. les de h VL npter entre i. ux portes; u itité de bois. Gouvernci;: efl importa-/ marchandilU int pas moins; , llir-tout dti lie Baftas , !cs /oifine eft p'à- on découvre dent juftju'ay- de!] utes du NoiJ. ETATS DU GRAND M OG OL, Liv. III. 147 ' tlcli de Brampour. Elles font très-fertiles, comme le rcflc du Pays, où i l'on recueille en très-grande abondance du riz , du fiom.nt, de l'orge & du coton. C'elî de ces montagnes qu'on tire i'agatlic, dont on fait de bel- les coupes , & des manches de couteaux &. de poignards , qui fc vendent à ,,,Cambaye. ' La Jurifdiélion de Hroitfchia s'étend fur quatre-vingt-quatre Villages, ''dont le' Domaine lui appartient. Son territoire comprenoit autrefois trois autres Villes, qui ont aujourd'hui leurs Gouverneurs particuliers. A qua- itre lieues au-dellbus delà Ville, fa Rivière fc féparc en deux branches, •^qui forment une llle d'une demie lieue de longueur, au-defibus de laquelle elle le jette dans la Mer par deux embouchures. Elle n'a point de Port; & fa Rade efl: fort dangcreufe , parceque les Navires , qui peuvent y mouil- ler fur fept braiîes d'eau , y ibnt expofés à tous les vents. Entre Broit- fchia & Cambaye, on rencontre (k) un grand Village, nommé Jambuyfar^ ou !)'(imboufcr , dans lequel on fait beaucoup d'indigo. Sur le chemin d'A- jnadabath, on voit le Tombeau de PoUemedony^ fameux Saint Mahométan , où les Pèlerins Mores fe ren'dent avec tant de dévotion , que les uns , por- tant un cadenat à la bouche pour fe condamner au filence , ne l'otent que pour manger ; & que d'autres fe lient les bras avec des chaînes de fer. La - crédulité du Peuple va jufqu'à fe perfuader que les cadenats s'ouvrent & que les chaînes fe détachent par une puiflance furnaturelle , lorfque ces Pé- krins fe font acquîtes de leurs vœux (/). On partit de Broitfchia vers le foir, avec le Commis Anglois de la Vil- le, qui étant chargé auflfr de la direélion du Comptoir de Brodra, voulut Prendre l'occafion de la Caravane. On marcha toute la nuit , Ôc le matin u jour fuivant; mais la chaleur devint fi vive, qu'on fut obligé de camper frès d'une mare, où l'on employa le refle du jour & une partie de la nuit faire danfer les femmes que les Banians avoient amenées dans la Carava- ne. On paifa, le lendemain, par les Villages de Car awanet & de Cabol, deux Péages où l'on exige les droits. A quelques lieues de Brodra, le Commis Anglois prit le devant pour al- ler préparer des logemens aux Européens de la Caravane. Il revint au-de- vant d'eux , à peu de diftance de la Ville , où ils entrèrent le 7 d'06lobre. . Mandelllo fut conduit dans une fort belle Maifon de plaifance, bâtie pour I fervir de Maufolée à une perfonne confidérable du Pays. Après lui avoir fait voir les Jardins, on ne laifla rien manquer à la bonne chère; & les An- WAwnr.T.sL». 1638. Agathe qu( «'y trouvt. Riviùrc éê Broitfchia 9t fa Rade lois, cherchant à l'amufer par toutes fortes de plaifirs, firent venir queî- ues femmes Banianes de la Ville, qui s'attachèrent fort curieufement à vi- liter fes habits. Il n'avoit pas quitté ceux de l'Europe ; quoique les An- glois & les Hollandois , qui s'établilfent aux Indes , foyent ordinairement habillés à la manière du Pays. Ces femmes lui offrirent toutes les complai- fances qu'il pouvoit defirer de leur fexe; & fon refus les ofifença fi vive- ment qu'elles fe retirèrent (;«). La Ville de Brodra efl; fituée dans une plaine fabloneufe, fur la petite Ri- (*) A huit lieues ou treize coOes de Broitfchia. (/) Mandeiflo, pag. 68 & précédentes, (m) Ibid. pag. Cp. T 2 Jimhuyfar* Tunib(?i« de roilcint- dony* Carawançf, & Cabol. On arrifel Brodra. ® ® Mo.fefîîe ig Mandelllo. Dcfcriptîo» de Brodra* «1 !•' ® ® ® /" 148 VOYAGES DANS LES lîellc; toi- les qui s'y font. Mandelslo. Rivière de ^^t , à trente cofles , ou quinze lieues de Broitfchia. C'clt Jt^SS» une Ville fort moderne, bâtie t^hly Rafia-Ghié, fils de Sultan Xtahuinct- 1]^. geran, dernier Roi de Guzarate , des ruines de l'ancienne Brodra , ciui fe nommoit autrefois Radiapor , & dont elle n'ell éloignée que d'une deuii;^ lieue. Elle ell: revêtue d'une bonne muraille , & de plulîeurs bartioiis a l'antique. On y compte cinq Portes, dont l'une elt murée, parcequij n'v a point de grand chemin qu'on y ait pu faire aboutir. Ses Ilabitans, fu^ tout ceux du grand Fauxbourg qui borne la partie Occidentale de la Viil^ font Banians & Ketteris, la plupart Tiflerands ou teinturiers. Brodra ef: le lieu de toute la Province où fe font les plus belles toiles , quoique pli;; étroites & plus courtes que celles de Broitfchia; & c'eft à ces différtnci,j qu'on les diflingue. Mandelllo les nomme; pour jetter du jour , dit -il, Jurifliflion fur les Mémoires qui nous viennent fouvent de cette Contnie («). La J,:. ^ Pioprit^tés rifdiélion de Brodra s'étend fur deux cens dix Villages, doiit foixante-qiijr, ze fourniflent à la fubfiilance de la garnifon. Les autres, au nombre ce cent trente-cinq , demeurent à la difpofition du Grand Mogol , qui afligne des penfions, fur leur revenu, aux Officiers de fa Cour. Celui qui fe noir,- me Slndkkera , & qui efl à huit lieues de la Ville , rend chaque année plus de deux cens cinquante quintaux de laque. Mandelllo fait obferver que k laque de Guzarate fe tire d'une efpèce d'arbres qui ne reflemblent pas mal à nos pruniers. Sa couleur ell d'un roux brun : mais lorfqu'elle eft bien fe- cliée & réduite en poudre, les Indiens lui font prendre, par des mélanges, la couleur qu'ils défirent ; noire, verte, rouge, jaune, &c. Ils en l'ont des bâtons qui fervent à cacheter les lettres , ou pour l'ornement de leurs meubles. Ils lui donnent un luftre, particulièrement pour le noir, auquel nous ne pouvons atteindre en Europe. Le Pays produit auflî beaucoup d'indigo. Outre le tombeau , dont l'édifice fer vit de logement à Mandi!- flo, on en voit un grand nombre hors H-î la Ville, la plupart magnifique- ment bâtis, & quelques-uns accompagnés de grands jardins, qui font o;i- verts à tout le monde (o). , 'Difficultés La Caravane ayant campé de l'autre côté de la Ville, au coin d'un bois kTiéjce^^"'^ de palmiers, dont on tire le Terri, breuvage ordinaire de cette Région, Mandelflo la rejoignit le foir , & partit le lendemain fous la même efcortc, jjour fe rendre à Waflet. C'eft un vieux Château , à demi ruiné , qui fe pie- fente fur le haut d'une montagne , & qui efl: gardé par une garnifon de cent Cavaliers. Leur fonftion conlifte à faire payer les droits d'entrée ; c'eft-a- dire, la valeur de quarante - cinq fous pour chaque charrette. Mais les Marchands Anglois avoient un pafleport du Grand Mogol , en vertu du- quel ils fe prétendoient exempts de cette impofition. Cependant ce ne liit pas fans difficulté , ni même fans violence, qu'ils obtinrent la liberté du paf- fage , en compûfant, avec la garnifon du Château, pour quelques roupies. Ils fe logèrent dans un Village voifin , après lequel ils trouvèrent , à dcnx lieues & demie, celui d'Jmennonigy j & trois lieues plus loin , celui de &■ (n) Dcsl'artas, des Nicquamas , des Ma- çandias. Ibid. pag, 7a dafons, des Canmquins, des Ciieias noirs, (0) Jbitienit des Affumaiiis bleus, des Berams & deg Xif- ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. tfchia. C'eft odra , qui fg d'une demie irs baftiûiisj parcequ'il n'v labitans, fur. : de la ViH^^^ >. Brodra cf: quoique p'u:; .'S différtiiccj jour, dit -il, (n). Laji;. bixante-quir,. lu nombre ce , qui afligr,; li qui fe noirr [ue année pins (ferver que k jlent pas mal le eiï bien ft- les mélanges, Ils en l'ont nent de leurs noir, auquel uflî beaucoup it à Mandel- magnifique- qui Ibnt 011- oin d'un bois itte Région, 2me efcorte, , qui fe prt- lifon de cen: c'efl-:i- Mais h n vertu du- mt ce ne fut Derté du paf- ues roupies, ne , à dci;;; celui de &• 149 ree; juntrn^ d'où ils fe rendirent à la petite Ville de Nariaâ^ que d'autres nom- ment Nhiaud, à neuf lieues de Brodra. Ses maifons font alfez belles. On y fabrique aulfi des toiles de coton , & de l'indigo. Le II d'Oftobre, ils arrïvèveni il Majiiadebath , petite Ville fituée à cinq lieues de Nariad , fur une Rivière médiocre, mais fort abondante en poif- fon. Ses Habitans font Banians, & font un Commerce confidérable de fil de coton. Cette Ville, qui ell fort agréable, doit fon origine à deux frè- res, qui l'ont fortifiée d'un beau Château du côté du Nord. Le 12, après avoir fait cinq lieues, dans le cours defquelles on pafla par Canis, par Batova, & par IJJhnpour, où l'on voit un très -beau ilary (p) pour le logement des Caravanes , on arriva heureufement le même jour aux Fortes à! Ainadabath. MandelHo , s'étant avancé avec la charrette qui por- toit les vivres, s'arrêta dans un de ces jardins dont les tombeaux des per- fonnes de dift:in6lion font accompagnés. Le Direfteur du Comptoir An- glois , qui fe nommoit Benjamin Koherts , fut informé affez-tôt de fon arri- vée, pour venir en caroiTe au-devant de lui. Cette voiture , compofée à .1 Indienne , étoit toute dorée , & couverte de plufieurs riches tapis de Per- fe. Deux bœufs blancs, qui la droient, fembloient aufli pleins de feu que nos chevaux les plus vifs. Le Direfteur faifoit mener en main un beau che- val de Perfe , dont le harnois étoit couvert de lames d'argent. Il fit mon- ter Mandelilo avec lui ; & laiflant à quelques Anglois le foin d'attendre la Caravane, il entra pompeufement dans la Ville. Le Comptoir Anglois elllitué au centre d'Amadabath. Il efl compofé de plufieurs beaux édifices, & de différentes cours, pour la décharge des marchandifes. De la chambre du Direfteur, la vue donne fur une Ibntai- ne & far un petit parterre. Le plancher étoit couvert de tapis ; & les pi- liers, qui Ibûcenoient le bâtiment, étoient revêtus d'étoffes de foye, de plu- fieurs couleurs , avec un crépon blanc par-deflus, à. l'imitation des plus grands Seigneurs du Pays. MandelOo fut logé dans un fort bel apparte- ment. Après y avoir foupé avec les principaux Marchands Européens de la Ville, Roberts, qui vouloit faire honneur à la recommandation des An- glois d'Ifpahan , lui propofa des plaifirs moins modeftes , que diverfes rai- fons lui firent refufer {q). I L marqua plus de goût pour la propofition que Roberts lui fit Ip lende- main , de viliter Its curiofités de la Ville. Son Hôte , dit-il , le fif monter avec lui dans fa voiture , & fe fit fuivre par deux autres carolfes. Il le conduifit d'abord au grand Marché, qui fe nomme Maïdan -Schach, ou le Marché du Roi, & qui a, pour le moins, feize cens pieds de long fur huit * cens (/)) C'eft ce que les Turcs & les Peifans noiuineiu Caravanferas. Les Caravanes por- tent, dans rindoullan, le nom de Cajfilas, Ibid. pag. 74. (?) „ Il lit venir, dans ma chambre, fix „ Danfiiifcs, des plus belles qu'on avoit pu „ trouver dans la Ville, & me dit que fi je ,, trouvois en elfi s tjuelciue chof'e qui m'a. ,; gréât plus (iu« leur chuju i>i ieui- gjalle , Mandelslo, 1638. Naviad ou Niriaud. Mamadcbath. L'Auteur arrive à Ama* dabalh. Ts Falle du Direfteur Anglois. Ma-v^elflo vilitc la Ville, Maidan- Schacb. „ je n'avois qu'à me déclarer & m'aflurer „ qu'elles me donneroient tout ledivertiire- „ ment que celles de leurfexe font capable 8 „ de donner & de prendre. Je le remerc ai ,i de fa civilité, tant parceque ma famé n é- „ toit pas tout-à-fait rétablie, que parcequi „ je faifois dilHculté de rci.evkiir lej ci» „ refles d'uûe l'a^eoue ", IbU, ^lag, ; png. 8; D'un Maotîelslo. 1638. Revenus li'Amadabatlî. Tombeaux d'Atnadabath. AJ'-cne d'un hVi\v motui pour judificr i'inccllc. 152 VOYAGES DANS LES D'un autre côté, les niarchandifes ne payent rien à l'entrée ni à la for- tie d'Amadabath. On en cil quitte pour un préfent qui fe fait au Kutual, d'environ quinze fous par charrette. Les feules marciiandifes de contre- bande, pour les liabitans comme pour les Etrangers, font la poudre à ca- non, Je plomb & le falpétre, qui ne peuvent fe tranfporter fans une permif. fion du Gouvcrr^ur: mais on l'obtient facilement avec une légère marque de reconnoilTai- je. Cette riche & grande Ville renferme , dans fon territoire, vingt-cinq gros Bourgs , & deux mille neuf cens quatre-vingt-dix-huit Villages. Son revenu monte à plus de llx millions d'écus, dont le Gouverneur difpofc, avec la feule charge de faire fubfifter les Troupes qu'il efl: obligé d'entrete- nir pour le fervice de l'Etat , & particulièrement contre les voleurs ; quoi- que fouvent il les protège, jufqu'à partager avec eux le fruit de leurs bii- gandages (x). Mandelslo employa les jours fuivans à vifiter quelques Tombeaux, qui font aux environs de la Ville. On admire particulièrement celui qui elt dans le Village de Zhkées. C'efl: l'ouvrage d'un Roi de Guzarate, qui l'a fait élever à l'honneur d'un Juge qui avoic été fon Précepteur, ik. dont on prétend que la fainteté s'eft tait connoître par plufieurs miracles. Tout l'édifice, dans lequel on compte jufqu'à quatre cens quarante colomnes cl.; trente pieds de hauteur, ell de marbre, comme le pavé, & fert auiri de tombeau à trois Rois, qui ont fouhaité d'y être enfévelis avec leurs famil- les, A l'entrée de ce beau Monument, on voit une grande citerne, rem- plie d'eau, & fermée d'une muraille qui efl percée de toutes parts d'un grand nombre de fenêtres. La luperllition attire , dans ce lieu, des trou- pes de Pèlerins. C'elt dans le même Village que le fuit le meilleur indigo du Pays (}■). Une lieue plus loin, on trouve une belle Maifon, accompagnée à'm f.i;ranJ Jardin ; ouvrage d'un Grand Mogol que l'Auteur nomme Chou-Chi- mawod^ après la viéloire qu'il remporta iur le Sultan Mahomet Begeran, der- nier Roi de Guzarate, & qui lui fit unir ce Royaume à fes Etats. On n'ou- blia pas de faire voir, àMandelilo, un tombeau, qui i'c nomma Bcty-ch.!!!^ c'efl- à-dire, la honte d'une fille ^ & dont on lui raconta l'origine. Un ricii.' Marchand, nommé Hajom-Majom, étant devenu amoureux de Ca fille, c\; cherchant des prétextes pour jullifier l'inceile, alla trouver le Juge Ecek- fiaftique, & lui dit que dès fa jeunelfe il avoit pris plaifir à planter un jar- din ; qu'il l'avoit cultivé avec beaucoup de foin , tS: qu'on y voyoit les plus beaux fruits; que ce fpeclacle caufoit de la jaloulle à fes voifins, & qu'il en étoit importuné tous les jours ; mais qu'il ne pouvoit leur abanJoniKr un bien fi cher, &. qu'il étoit réfolu d'en jouir lui-même , fi le Juge vouluic approuver fes intentions par écrit. Cet expofé lui fit obtenir une décl ini- tion favorable, qu'il fit voir à là fille: mais ne tirant aucun fruit de fon au- torité, ni de la permilîion fuppofée du Juge, il la força. Mahomet !;k.';0- lan, informé de fon crime, lui fit trancher la tète, & permit que de Ici biens on lui bâtit ce beau Monument, qiii rend témoignage du crime de!.' h punition (s). C'tsr (.t) md. pag. 83, (y) r^s- H (%) Ibidtm, ■ ni à la for. au Kutiial, I de contre- )oudre à ca- nne permif. ^ère marquai , vingt-cinq liages. Son ;^ur difpolc, 5e d'entrctc- ileurs; quoi- de leurs bii- Tombeaux, mt Celui qui uzarate, qui Lir, 6c dont ■aclcs. Tout colomncs d.; fert aiiifi de leurs famil- iterne, r^^'in- ;s parts d'un Il , cL-s trou- il leur indii! S'î pagnc'c d'un ne Chou-Chi- 'egeian^ d «erneur. ï> autre jour, qu'il leur avoit jette quelques amandes, ils le fui virent juf. qu'à fa chambre, où ils s'accoutumèrent à lui aller demander leur déjcû- ner tous les matins. Comme ils ne faifoient plus difficulté de prendre ^1 du pain & du fruit de fa main , il en retenoit quelquefois un par la pat. „ te , pour obliger les autres à lui faire la grimace , jufqu'à-ce qu'il les vît „ prêts à fe jetter fur lui (Z»)". Les mêmes arbres fervent de retraite à toutes fortes d'oifeaux , fur-tout à quantité de perroquets , dont les plus gros fe nomment Corbeaux d'Inde. On appelle Kakatous ceux qui font blancs , ou d'un gris de perle , & qui ont fur la tête une houpe incarnate; parceque dans leur chant ils prononcent af- fez diflinftemcnt ce mot. Ces oifeaux font fort communs dans toutes les Indes , & font leurs nids dans les Villes, fous les toîts des maifons, comme les hirondelles en Europe (c). Le Gouverneur d'Amadabath entretient defon revenu, pour le fervice du Grand Mogol , douze mille chevaux & cinquante éléphans. Il porte le titre de Raja , ou de Prince. C'étoit alors un homme de foixante ans , qui fe nom- moit Areb-Kan , & dont on faifoit monter les richefles à cinquante millions d'écus. Il avoit marié, depuis peu, fa fille au fécond fils du Grand Mo- gol,- & pour l'envoyer à la Cour, il l'avoit fait accompagner de vingt élé- phans , de mille chevaux , & de fix cens charrettes , chargées des plus ri- ches étoffes , & de tout ce qu'il avoit pu raflembler de précieux. Sa Coiir étoit compoiee de plus de cinq cens perfonnes , dont quatre cens étoient fes Efclaves. Ils étoient nourris tous dans fa Maifon ; ôc l'on aflura Mandel- flo , que fans compter fes écuries , où il nourrilfoit quatre ou cinq cens che- vaux & cinquante éléphans , fa dépenfe domeflique montoit chaque mois à plus de cent mille écus. Ses principaux Officiers étoient vêtus magnifique- -ment. Pour lui, négligeant aflez le foin de fa parure, il portoit une vefle de fimple toile de coton , excepté les jours qu'il fe faifoit voir dans la Ville. ou qu'il la traverfoit pour fe rendre à la campagne. Il paroiflbit alors dans l'équipage le plus faftueux , affis ordinairement fur une efpéce de Trône, qui étoit porté par un éléphant couvert des plus riches tapis de Perfe ; ef- corté d'une garde de deux cens hommes , avec un grand nombre de beaux chevaux de main , & précédé de pluPeurs étendarts de diverfes cou- leurs (^). Mandelslo s'étend fur quelques vifites qu'il lui rendit, avec le Direc teur Anglois , & qui méritent d'être repréfentées dans fes termes : Nous le trouvâmes , dit-il , affis dans un pavillon qui donnoit fur fra Jardin. Après nous avoir fait aflTeoir près de lui, il demanda au Direfleur, qui j'étois? Roberts lui répondit que j'étois un Gentilhomme Allemand, que le defir de voir les Pays étrangers & de profiter de mes Voyages , a- voit fait fortir de fa Patrie; & que me trouvant en Perfe, j'avois voulu voir les Indes , comme le plus beau Pays du Monde. Il loua ma réfoiu- tion, en priant le Ciel de la bénir. Enfuite il me demanda, fi pendant le féjour que j'avois fait en Perfe , j'avois eu la curiofité d'apprendre la lan- gue <»} Pag. 87. (c) tbiim, C J> 3» J> 3> 5» » 35 fens. Après en avoir pris une cuillerée , il m'envoya le cabinet. 11 efl; jm- poffible, me dit-il, que pendant vôtre féjour d'Ifpahan vous n'ayez pas ap. pris l'ufage de cette drogue. Vous me ferez plaifir d'en gotlter, & vous la trouverez aulïï bonne que celle de Perfe. J'eus la complaifance d'en prcii- dre, & le Dire6leur fuivit mon exemple, quoique ni l'un ni l'autre nous n'en culfions jamais pris, & que nous y trouvaffions peu de goût. Dans !a converfation qui fuivit, le Gouverneur parla du Roi de Perfe & de fa Cour en homme fort mécontent. ,,, Schah-Sefi , me dit-il , a pris le fceptre avec des mains fanglantes. Le commencement de fon règne a coûté la vie à quantité deperfonnes, de toute forte de condition, d'âge & de fexe. La cruauté efl héréditaire dans fa Maifon. Il la tient de Schah - Abbas fon Ayeul ; & jamais il ne faut efpérer qu'il fe défafTe d'une qualité qui lui cH naturelle. C'eil la feule raifon qui porte fes Officiers à fe jetter entre les bras du Grand Mogol. Je veux croire qu'il a de l'efprit; mais de ce cote même, il n'y a pas plus de comparaifon entre lui & le Grand Mogol, qu'entre la pauvreté de l'un & les immenfes richefles de l'autre. L'iùn. pereur , mon Maître , a dequoi faire la guerre ù trois Rois de Perfe (g ) ". Je me gardai bien d'entrer en contellation avec lui, fur une matière fi délicate. Je lui dis qu'il étoit vrai que ce que j'avois vu des richeifes de Perfe , n'étoit pas comparable avec ce que je commençois à voir dans les Etats du Grand Mogol : mais qu'il falloit avouer auffi que la Perfe avoit un avantage inellimable, qui confifboit dans un grand nombre de Kifilbachs {b\ avec lefquels le Roi de Perfe étoit en état d'entreprendre la conquête de toute l'Afie. Je lui tenois ce langage à dcflein, parccque je favois qu'il é- toit Kifilbach, & qu'il feroit flatté de l'opinion que je marquois de cette Milice. En effet, il me dit qu'il étoit forcé d'en demeurer d'accord:- & fe tournant vers un Seigneur, qui étoit Perfan comme lui, il lui dit; „ Je „ crois que ce jeune homme a du cœur, puifqu'il parle avec tant d'efiime „ de ceux qui en ont ". Le dîner fut fervi avec plus de pompe que le précédent. Un Eciiyer tranchant, aflîs au milieu des grands vafes dans lefquels on apportoit les viandes , en mettoit , avec une cuillière , dans de petits plats qu'on fervoit devant nous. Le Gouverneur même nous fervit quelquefois , pour nous té- moigner fon ellime par cette marque de faveur. La falle étoit remplie d'Officiers de guerre, dont les uns fe tenoient debout, la picque à la main, & les autres étoient aflis près d'un réfervoir d'eau qui s'offroit dans le mê- me Ueu. Après le dîner, le Gouverneur, en nous congédiant, nous dk qu'il regrettoit que fes affaires ne lui permiffent pas de nous donner le di- vertiffement des Danfeufes du Pays. Ce Seigneur étoit homme d'efprit,"mais fier, & d'une févérité dans h\ gouvernement, qui tenoit de la cruauté. Dans un autre dîner, où les Fafteurs Anglois & HoUandois s'étoient trouvés , il déclara qu'il vju- loit donner le refle du jour àlajoye. Vingt Danfeufes, qui furent aver- ties par fes ordres , arrivèrent atiffi-tôt, fe dépouillèrent de leurs habits, à. fc mirent à. chanter & à daafer nues, avec plus de. julleffe iSf. deie^cre- te qu quels veme d'une voien pe de pouvc celui me e> craign Danfe lieu , les pa par ui falle, avec cution intérêt Ce: Gouvc „ furj Ma' !fi {g) Fag. $«« C») Célèbre Mni«e de recftv 11 eft im. yez pas ap. ■r,^& vous ; d'en pren- 'autre nous :. Dans la de fa Cour :eptre avec utc la vie à le lexe. U -Abbas fon i qui lui eli n* entre les 1 de ce coti' nd Mogol, re. L'Km. 'errc(g)". ; matière fi richefles de oir dans les fe a voit ua ïlbachs C/)\ onquete de 'ois qu'il é- is de cette :ord:. (5c fe die; „ Je lit d'cflime Un Ecuyex oortoit les on fervoii: Lir nous le- )it remplie à la main, ans le me- nons di: iiner le di- dans fon , où les qu'il vou- ■ent aver- labits, ci de légère- té ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 157 te que nos Danfeurs de corde. Elles avoient de petits cerceaux , dans Icf- quels un finge n'auroit pas palTé avec plus de fouplefle. Tous leurs mou- vemens fe failbient en cadence, au fon d'une mulique, qui écoit compofée d'une timbale, d'un haut-bois, & de quelques petits tambours. Elles a- voient danfe deux heures , lorfque le (Gouverneur demanda une autre trou- pe de Danfeufes. On vint lui dire qu'elles étoient malades, & qu'elles ne pouvoient danfjr ce jour-là. Il renouvella le même ordre, auquel il ajouta celui de les amener dans l'état où elles étoient; & fcs gens répétant la mê- me excufe, il tourna fon reiTentiment contr'eux. Ces Malheureux, qui craignoient la ballonade, fe jettèrent à fes pieds, & lui avouèrent que les Danfeufes n'étoient pas malades , mais qu'étant employées dans un autre lieu, elles refufoient de venir, parcequ'eîles favoient que le Gouverneur ne les payeroit point. 11 en rit. Cependant il fe les fit amener fur le champ , par un détachement de fes gardes ; & lorfqu'elles furent entrées dans la fallc, il ordonna qu'on leur tranchât la tête. Elles demandèrent la vie, avec des pleurs & des cris épouvantables. Mais il voulut être obéï; & l'exé- cution fe fit aux yeux de toute l'aflemblée , fans que les Seigneurs ofaflent intercéder pour ces Miférables , qui étoient au nombre de huit (f). Cet étrange fpe6lacle caufa beaucoup d'étonnement aux Etrangers. Le Gouverneur , qui s'en apperçut , fe mit à rire & leur dit : „ Pourquoi cette „ furprife, MelHeurs? Si j'en ufois autremenc, je ne ferois pas long-tems „ Maître dans Amadabath. Il faut prévenir, par la crainte , le mépris „ qu'on feroit de mon autorité (k) ". M A N p E L s L o partit , pour Cambaye , avec un jeune Marchand Anglois , qui ne faifoit ce Voyage que pour l'obliger, & par l'ordre du Dire6leur. La crainte des Rasbouts lui fit prendre une efcorte de huit Pions , c'efl-à-dire, de huit Soldats à pied, armés de picques & derondaches, outre l'arc & les flèches. Cette Milice eft d'autant plus commode, qu'elle ne dédaigne pas de fervir de Laquais , & qu'elle marche toujours à la tête des chevaux. Elle fe loue d'ailleurs à fi bas prix , qu'il n'en coûta que huit écus à Mandel- flo pour trois jours, pendant lefquels il fit treize lieues. On en compte huit jiifqu'au Village de Sergiintra, dans lequel il ne vit rien de plus remar- quable qu'une grande citerne, où l'eau de pluye fe confervc pendant toute l'année. Cinq lieues de plus le firent arriver à la vue de Cambaye. Il s'y logea chez un Marchand More, dans l'abfence du Faéteur Anglois de cet- te Ville. Camba YE efl fituée à feize lieues de Broitfchia, dans un lieu fort fablo- neux, au fond & fur le bord d'une grande Baye, où la Rivière du May k décharge après avoir lavé fes murs. Son Port n'ell pas commode ; quoique la haute marée y amène plus de fept bralîes d'eau, les Navires y demeurent à fec, après le reflux, dans le fable & dans la boue, dont le fond efl: tou- jours mêlé. La Ville ell ceinte d'une fort belle muraille de pierre de tail- le. Elle a douze Portes , de grandes maifons, & des rues droites & lar^ ges, dont la plupart ont leurs baiTières , qui fe ferment la nuit. Elle efl: in- compa» CO Pag. 5^ & pjréc4(îeotçs, (*} Pag. 100» V3 Manoel'lo. 1638. Mandelflo fe rend d'A- madabath à Cambaye. Defcripiion de cette Vaille,. Ï58 VOYAGES DANS LES ■' 4 MAIfDELSLO. 1638. Dehors de Cambaye. RlandclHo voit brûler une femme Indienne de vingt ans. comparablement plus grande que Surate, & fa circonférence n'a pas moin! de deux lieues. On y compte trois Bazars, ou Marches, & quatre belles citernes, capa- bles de fournir de l'eau à tous les Habituns dans les plus grandes fécherel^s. La plupart font des Paycns , Banians ou Rasbouts , dont les uns font livrés au Commerce, & les autres à la profeflion des armes. Leur plus grand tra. fie eft ù Diu, à la Mecque, en Perfe, à Achem & à Goa, où ils portent toutes fortes d'étoffes, de foye & de coton, pour en rapporter de l'or ^ de l'argent monnoyé, c'eft-à-dire , des ducats, des fequins & des piaftrcs, avec diverfes marchandifes des mêmes lieux (/). Après avoir employé quelques heures à vifiter la Ville, Mandeldo ff laiflu conduire , hors des murs , dans quinze ou fcize beaux jardins , qui n'approchoient pas néanmoins d'un autre , où fon Guide le fit monter par un efcalier de pierre, compofé de plufieurs marches. Il ell accompagné de trois corps de logis , dont l'un contient plufieurs beaux appartemens. A\i centre du jardin , on voit , fur un lieu fort élevé , le tombeau du Mahomé- tan dont il ell l'ouvrage. Il n'y a point de fituation d'où la vue foit û belle, non-feulement vers la Mer, mais du côté de la Terre, où l'on découvre la plus belle campagne du Monde. Ce lieu a tant d'agrémens , que le Grand Mogol, étant un jour à Cambaye, voulut y loger, & fit ôter les pierres du tombeau pour y faire drelTer fa tente. Tandis que Mandelflo cherchoit à fatisfaire fa curiofité, deux Mar- chands du Comptoir Anglois , vinrent lui faire des reproches d'avoir pré- féré une maifon Mahométane à leur Loge ; & s'offrant à l'accompagner dans fes obfervations , ils lui promirent, pour le lendemain, le fpe6lade d'une Indienne , qui devoit le brûler volontairement. En effet , ils k rendirent enfemble hors de la Ville, fur le bord de la Rivière, qui étok le lieu marqué pour cette funelle cérémonie. L'Indienne étoit veuve d'un Rasbout , qui avoit été tué à deux cens lieues de Cambaye. En ap- prenant la mort de fon mari, elle avoit promis au Ciel de ne pas lui fiirvi- vre. Comme le Grand Mogol & fes Officiers n'épargnent rien pour abolir un ufage il barbare , on avoit réfifté long-tems à fes defirs ; & le Gouver- neur de Cambaye les avoit combattu lui-même, en s'efforçant de lui perfiia- der que les nouvelles qui lui faifoient haïr la vie , étoicnt encore incertai- nés. Mais fes inftances redoublant de jour en jour, on lui avoit enfin per- mis de fatisfaire aux loix de fa Religion. Elle n'avoit pas plus de vingt ans. Mandelflo la vit arriver au lieu de fon fupplice , avec tant de confiance & de gayeté, qu'il s'imagina qu'on lui avoit hebeté les fens par une dofe extraordinaire d'opium , dont l'ufage ell fort commun dans les Indes. Son cortège formoit une longue procelïîon, qui étoit précédée de la mufique du Pays, c'ell-à-dire, de hautbois, &de timbales. Quantité de filles & de femmes chantoient & danlbient deva:; la viftime. Elle étoit parée de fes plus beaux habits. Ses bras , fes doigts & fes jambes étoient chargés de braffelets , de bagues & de carquans. Une troupe d'hommes & d'enfans fermoit la marche. U CO P^S' ïoi & précédente!. »> if f» j» ]) ti 'a pas moîns irnes, capa- 1 fécherenes, s font livres js grand tn. 1 ils portent :r de l'or & des piaftres, ^andelflo Ça ardins , qui unter par un Dmpagnc de jiTiens. Au u Mahomé- foit fi belle, découvre la je le Grand s pierres du deux Mar- d'avoir pré- ccompagncr le fpeftacle ffet , ils k ;, qui étoit 'toit veuve e. En ap- as lui furvi- pour abolir le Gouvcr- î lui perfiia' re incertai' t enfin per- r au lieu de la qu'on lui t l'ufage cil procelHon, Dois, &de ent deva:r fcs doigts uans. Une U »> 1» ETATS DU GRAND MO G 0 L, Liv. III. 159 Le bûcher, qui l'attendoit fur la rive, étoit de bois d'abricotier, mélo de landul & de canclle. Auiîi-tôt qu'elle put l'appercevoir, elle s'arrêta quelquL'S niomens, pour le regarder d'un œil où Mandelflo crut découvrir du mépris; & prenant congé de fes parens & de Tes amis, elle dillribua parmi eux fes bralTelets & les bagues. Mandelllo fe tenoit à cheval auprès d'elle, avec deux Marchands Anglois. „ Je crois, dit-il, que mon air lui „ fit connoître qu'elle me faifoit pitié, & ce fut apparemment par cette rai- „ fon qu'elle me jetta un de fcs bracelets, que J'attrapai heureufement , & „ que je garde encore en mémoire d'un fi trifte événement (m). Lorf- „ qu'elle fut montée fur le bûcher, on y mit le feu. Elle fe verfa fur la tête un vafe d'huile odoriférante, où la flamme ayant pris aufli-tôt, elle fut étouffée en un inftant , funs qu'on lui vit faire aucune grimace. Quel- ques afliftans jettèrent dans le bûcher plufieurs cruches d'huile, qui, pré- cipitant l'aélion des flammes , achevèrent de réduire le corps en cendre. Les cris de l'aflemblée auroient empêché d'entendre ceux de la veuve, quand elle auroit eu le tems d'en poufiTer dans le feu , qui fétouffa com- me un éclair («) ". Mandelslo, ayant paffé quelques jours à Cambaye , partit avec beau- coup d'admiration pour la politefle des Habitans. On fera furpris, dit -il, fi j'afllire qu'on trouve peut-être plus de civilité aux Indes, que parmi ceux qui croyent la pofleder feuls. Cette réflexion, qui tombe fans doute fur les Allemands (0) , puifque c'étoit alors la feule Nation qu'il connût en Europe , le conduit à parler du bétel , & des propriétés de cette plante. Il prétend que c'ell celle qu'Avicenne à nommée Faufel. Entre fes remarques, il en fait une qu'on n'a vue jufqu'ici dans aucune autre Relation. Dans tous les lieux qui produifent le bétel, il ne donne, dit -il, que des feuilles , qu'on vend un pacquet à la douzaine , & qui fe confervent long - tems fraîches ; mais , dans le feul Pays de Malaca , il porte un fruit , qui a la figure d'une queue de lézard, & que les Habitans mangent avec goût (p) (q). En retournant vers Amadabath, Mandelflo arriva fi tard à Serguntra , que les Banians, qui ne fe fervent point de chandelle, de-peur que les mou- ches & les papillons ne s'y viennent brûler , refuférent de lui ouvrir leurs portes. A l'occafion de l'embarras auquel il fut expofé pour la nourriture de fes chevaux, il obferve que dans l'Indouflian , comme on l'a déjà remar- qué de plufieurs autres Pays des Indes , l'avoine étant inconnue & l'her- be fort rare, on nourrit les bêtes de felle & de fomme, d'une pâte com- 1638. Remarque fur la politcf* fe des In- diens. Remarque» fur le bétel. Comment les Mogols nourrifleno leurs che* vaux. (m) Pag. 104. ( n ) Voyez , dans la Defcription de Gol- konde, l'origine de cet ufage. (0) Un Allemand fe croira tout aufli en droit de faire tomber cette réflexion fur les François. R. d. E. (p) Pag. 108. II fe trompe. Carrerî donne ce fruit à Manille, où i) fe nomme Tacloué, Tom. V, pag. 84. (q) Valentyn donne au bétel, ou Siri, deux fortes de fruits; l'une odoriférante, qui e(t la plus recherchée , & l'autre com- mune. Sa figure efl celle du poivre long , connu fous le nom de Cubebe. Il ne dit point proprement où il fe trouve. Le bé- tel qui ne porte que des feuilles, eft une ef-^ pèce différente. R.. d. £• IMAGE EVALUATION TEST TARGET (MT-3) 1.0 1.1 11.25 |J0 ■^™ li^li :^ L£ |2.0 6" 7] Photographie Sciences Corporation 23 WEST MAIN STREET WEBSTER, N.Y. MSSO (716) S72-4S03 i6o VOYAGES DANS LES MANDKUt.O. 1638. Fameux Jardin de Tfcbiecbag. Singes dont les arbres y font chargés. Dc^part de Mandai flo pour Agra. Paingat. Ikribaih. Damtigcs. SycJek. Agi-a. compofée de fucrc & de farine , dans laquelle on mêle quelquefois un peu de beurre (»)• Le lendemain, après avoir fait cinq lieues jufqu'à un grand Village dont il ne rapporte pas le nom, fa curiolité le conduifit au Jardin de Tfchietbag^ le plus beau, fans contredit, de toutes les Indes (j). Il doit fon origine à la viéloire du Grand Mogol fur le dernier Roi de Guzarate; & de -là lui vient fon nom, qui figniiie Jardin de Conquête. Il efl: litué dans un des plus agréables lieux du Monde , fur le bord d'un grand Etang , avec plufieurs pa- villons du côté de l'eau, & une muraille très -haute vers Amadabath. Le corps de logis, & le Caravanfera dont il efl: accompagné, font dignes du Monarque qui les a bâtis. Le Jardin offre diverfes allées d'arbres frui- tiers , tels que des orangers & des citroniers de toutes les efpèces , des gre- nadiers , des dattiers , des amandiers , des meuriers , des tamarins , des mangas & des cocotiers. Ces arbres y font en fi grand nombre , & plantés à fi peu de difl:ance , que faifant régner l'ombre de toutes parts , on y jouit continuellement d'une délicieufe fraîcheur. Les branches font chargées de finges , qui ne contribuent pas peu à l'agrément d'un fi beau lieu. Mandel- flo, qui étoit achevai, & qui fe trouva importuné des gambades que ces animaux faifoient autour de lui , en tua deux à coups de pifl:olet : ce qui pa- rut irriter fi furieufement les autres, qu'il. les crut prêts à l'attaquer. Ce- pendant, malgré leurs cris & leurs grimaces, ils ne lui voyoient pas plutôt tourner bride , qu'ils fe réfugioient fur les arbres. Un heureux hazard lui fit trouver, dans le Fauxbourg d'Amadabath, une Caravane d'environ deux cens Marchands , Anglois & Banians , qui é- toient en chemin pour Agra, Capitale de l'Empire Mogol. Il profita d'une occafion , fans laquelle fon départ auroit été retardé long - tems. Le Direéleur Anglois lui avoit accordé de puiflantes recommandations; il fe mit en marche le 29 Oélobre. Dans le plus beau chemin du Monde , on rencontre fi peu de Villages , que le premier , dit-il , qu'il puiffe nommer efl; celui de Païngat. Le fixième jour, il arriva devant les murs de la Vu- \q à' Heribath ^ après avoir fait cinquante lieues. Cette Place efl: de gran- deur médiocre. Elle n'a ni portes, ni murailles , depuis qu'elles ont été dé- truites par Tamerlan. On voit encore les ruines de fon Château , fur une montagne voifine. Entre cette Ville & celle de Damtiges, qui en efl: éloignée de cinquan- te lieues, on efl: continuellement cxpofé aux courfes des Rasbouts. Les Officiers de la Caravane fe difpofèrent à recevoir ces Brigands , en faifant filer leurs charrettes, & les Soldats de l'efcorte, dans un ordre qui les met- toit en état de fe fecourir fans confufion. A cinquante lieues de Damtiges, on arriva prés d'un Village, nommé Syedek ^ qui efl: accompagné d'un fort beau Château. Les Rasbouts, qui s'étoient préfentés par intervalles, cau- fèrent moins de mal aux Marchands que de crainte. On cefla de les voir entre Syedek & Agra , où l'on parvint heureufement. L E Grand Mogol , ou l'Empereur de l'Indouflian , change fouvent de de- meure. (r) Pag. m. (f) Ibidem, u ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. i6î meure. L'Empire n'a pas de Ville un peu confidérable , où ce Monarque n'ait un Palais. Mais il.n'y en a point qui lui plaife plus qu'Agra; & Man- delllo la regarde en effet comme la plus belle Ville -de fes Etats. Elle tfl: fituée à vingt-huit degrés du Nord, dans la Province qui porte proprement Je nom d'Indoufian, fur la Rivière de Gemini, qui fe 'jette dans celle du Gan- ge aa-delîlis du Royaume de Bengale. Agra ell: deux fois 'plus grande qu'If- pahan; & l'on n'en fait pas le tour achevai en moins d'un jour. La Vil- le ell fortifiée d'une bonne muraille de pierre de taille rouge , & d'un fofle large de plus de trente toifes (t). Ses rues font belles & fpacieufes. 11 s'en trouve de voûtées , qui ont plus d'un quart de lieue de long , où les Marchands & les Artifans ont leurs boutiques diflinguées par l'efpèce des métiers , & par la qualité des mar- chandiies. Les Maidans & les Bazars (v) font au nombre de quinze, dont le plus grand efl: celui qui forme comme l'avant-cour du Château. On y voit foixante pièces de canon, de toutes fortes de cahbres, mais en aflez mau- vais ordre & peu capables de fervir. Cette place, comme celle d'Ifpahan, offre une grolfe & haute perche, qù les Seigneurs de la Cour, & quelque- fois le Grand Mogol même , s'exercent à tirer à l'oifeau. O N compte , dans la Ville , quatre- vingt Carvanferas pour les Marchands étrangers, la plupart à trois étages, avec de très-beaux appartemens , des magalins , des voûtes & des écuries , accompagnés de galeries & de cor- ridors pour la communication des chambres. Ces efpèces d'hôtelleries ont leurs Concierges , qui doivent veiller à la confervation des marchan- difes , & qui vendent des vivres i ceux que leur office efl: de loger gratui- tement. Comme le Grand Mogol & la plupart des Seigneurs de fa Cour font pro- feflion du Mahométifme, on voit, dans Agra, un très-jjrand nombre de MetfcJyds , ou de Mofquées. On en difl:ingue foixante - dix grandes , dont les fix principales portent le nom de MetJ'cbid-Adine^ c'eft-a-dire, Quoti- diennes, parceque chaque jour le Peuple y fait Çqs dévotions (x). On voit, dans une de ces fix Molquées, le fépulcre d'un faint Mahométan, qui fe' nomme Seander, & qui eft de la pofl:érité d'Haly. Dans une autre, on voit une tombe de trente pieds de long fur feize de large , qui pafle pour celle d'un Héros militaire. Elle efl: couverte de petites banderolles. Un grand nombre de Pèlerins , qui s'y rendent de toutes parts , ont aflez enrichi la Mofquée pour la mettre en état de nourrir chaque jour un très-grand nom- bre de pauvres. Ces Metfchids, & les cours qui en dépendent, fervent d'azile aux criminels , & même à ceux qui peuvent être arrêtés pour det- tes. Ce font les ^-^//rt^a/?/ de Perfe, que les Mogols nomment /^llader, & qui font fi refpeftés, que l'Empereur même n'a pas le pouvoir d'y faire en- lever un coupable (y). On trouve dans Agra, jufqu'à huit cens bains, dont le Grand Mogol tire annuellement des fommes fort confidérables , par- • , ceque (t) Pag. 114. (v) C'eft-à-dire', Places & Marchés, (x) L'Auteur dit feulement les jours de fête, & dans ce fens ia fignification de XIII. Pan. Metrchid-Adine feroit plutôt Mofquée des Fêtes. R. d. E. (y) Pag. 116, X MANT)ELaO. 1638. Sa defcrîp- tioii. Rues & Pla- ces. Carvanferas. Metfchids ou Mofquéis. Azylcs pu-' b'ics. Bains. l62 VOYAGES DANS LES Hôtels & Palais. Palais Impé- rial d7\gra. Mandelslo. ceque cette forte de purification faifant une des principales parties de la 1638. Religion du Pays , il n'y a point de jour où ces lieux ne foyent fréquentés d'une multitude infinie -de Peuple. Les Seigneurs de la Cour ont.leurs Hôtels dans la Ville, & leurs Maifons à la campagne. Tous ces Edifices font bien bâtis & richement meublés. L'Empereur a pluFieurs Maifons hors de la Ville, où il prend quelquefois plaifir à fe retirer avec fes Danfeufes. Mais rien ne donne une plus haute idée de la grandeur de ce Prince, que fon Palais, qui ell fitué fur le bord de la Rivière. Mandelflo lui donne environ quatre cens pieds de tour. Il ell parfaitement bien fortifié, dit-il, du moins pour le Pays; & cette for- tification confifte dans une muraille de pierre de taille, un grand foffé, & un pont-levis à chaque porte , avec quelques autres ouvrages aux avenues , fur-tout à la porte du Nord. Celle qui donne fur le Bazar , & qui regarde l'Occident , s'appelle Cijle- ry. C'efl: fous cette porte qu'efl le Divan , c'efl-à-dire , le lieu où le Grand Mogol fait adminiftrer la Juftice à fes Sujets, près d'une grande falle où le premier Vizir fait expédier & fceller les Ordonnances pour toutes fortes de levées. Les minutes en font gardées au même lieu. En entrant par cette porte , on fe trouve dans une grande rue , bordée d'un double rang de bou- tiques , qui mène droit au Palais Impérial. La porte, qui donne entrée dans le Palais, fe nomme Eckbarcke Derwage , c'eft-à-dire. Porte de r Empereur Eckbar. Elle eft fi refpeétée, qu'à la re- ferve des feuls Princes du fang , tous les autres Seigneurs font obligés d'y defcendre & d'entrer à pied. C'eft dans ce quartier , que font logées les femmes qui danfent & qui chantent devant le Grand Mogol & fa famille. La quatrième porte, nommée Derjame^ donne fur la Rivière; & c'efl- là que Sa Majeilé fe rend tous les jours , pour faluer le Soleil à fon lever. C'eft du même côté que les Grands de l'Empire, qui fe trouvent à la Cour, viennent rendre , chaque jour , leur hommage au Souverain , dans un lieu ^ élevé , où ce Monarque peut les voir. Les Hadys , ou les CM5ciers de Ca- ' Valérie , s'y trouvent aufli ; mais ils fe tiennent plus éloignés , & n'appro- chent point de l'Empereur fans un ordre exprès. C'eft de-là qu'il voifcom- battre les éléphans, les taureaux, les lions, & d'autres bêtes féroces; amu- fement qu'il prenoit tous les jours, à la referve du Vendredi, qu'il don- noit à fes dévotions {%). La porte qui donne entrée dans la falle des Gardes, fe nomme Anejanm. On palfe, par cette falle, dans une cour pavée, au fond de laquelle on voit, fous im portail , une baluftrade d'argent , dont l'approche eft défendue au Peuple , & n'eft permife qu'aux Seigneurs de la Cour. Mandelflo rencon- tra, dans cette cour, le Vilet Perfan qui l'avoit quitté à Surate. Il en re- çut des offres de fervice, & celle même de le faire entrer dans la baluftra- de j mais les Gardes s'y oppofèrent. Cependant, comme c'eft par cette ba- • • ' lullrade *% % (s) Cétolt l'Empereur Cba-Jeban, fils lieu que Mandelflo décrit e(l apparemment de Jean-Guir, & ce même Sultan Coronne celui que Rhoe a nommé Jameo, dans U qui a paru dans la Relation précédente. Le Ville d'Afmere ( i ). (I } Ce n'cft pat ATmeic, mati A(ta« La taim tacot a M iclerée c\-^tlEu, fi' l7> R>(l>li* ■ t .". parties de la nt fréquentes leurs Maifons lent meublés, d quelquefois ne plus haute ; fur le bord i de tour. Il & cette for- rand fofle, & aux avenues, l'appelle Cijîe- i où le Grand de falle où le ites fortes de ant par cette rang de bou- rckeDerwage, , qu'à la re- it obligés d'y nt logées les : fa famille, ère; &c'efl- à fon lever. nt à la Cour, dans un lieu îciers de Ca- , & n'appro- u'il voifcom- féroces ; amu- i, qu'il doii- me Attefanm, uelle on voit, défendue au ielflo rencon- te. Il en re- tîs la baluftra- par cette ba- luflrade -pt. 3 ^ ,/>:*.K*/f*5v' i//Ai.i* C O LTR j) u G H^JVD M O G O L '^ o o z, A\ Hor DES Crooten Mogoi. s Fïï — — fTll lïïl iiriir:i:::iî:::i::::i^ ^^^^^^^^^^^^^B^>j 1^ ^ i ■"I I El 11 B J.y^-A^-if Jinxv '■ M j> ï , (a) 'i le Dî générale de l'Indouftan, d'autres obfervations de Mandeiflo. {d) Ou a oublié, dans l'Edition de Pa. ris, les renvois de la beift Figure qui re- préfente la Cour du Grand Mogol , dont voici les explications; . I. Le Gra^d Mogol affis fur fon Trône. a. Degrés du Trône oii plufieurs Seigneurs paroifTent profternés. 3. Muraille du Parc des Animaux. 4. Muraille du Serrail. 5. Muraille extérieure. ° 6. Garde de l'Empereur. 7. Jet d'eau. 8. jardin du Serrail. 9. Le Serrail. 10. Mofquée. 11. Animaux qui palTent devant l'Ëmpe- xeur. R. d. £. X z loi VOYAGES DANS LES JVlANDBLSLCi 1(538. Il part pour Lahor. Ch!»i;iiii qu'il caufu aux Banians. Defcription de Lahor. Bains pu-' blics. MaH' deiflo va s'y baigner. Valet Pcrfan, qui jura, par Mahomet & Hoflein, que fon ancien Maître étoit venu d'Angleterre. Le Mogol fe retira. Cependant il fit connoUrc qu'il lui reftoit des doutes; & Mandclfloi n'ofant fe fier à la difpofition d'un Ennemi fi redoutable , prit le parti de s'engager dans une Caravane qui par- toit pour Lahor f Ville à foixante-dix lieues d'Agra, dans l'intérieur du Pays {e). Il s'aflbcia particulièrement avec un Marchand Tîollandois, qui faifoit le même Voyage. D'Agra jufqu'à Lahor , le chemin n'cd qu'une allée , tirée à la ligne, & bordée de dattiers, de cocotiers ik d'autres arbres, qui défen- dent les Voyageurs des ardeurs exceflives du Soleil, Les belles maifons, quife préfentent de toutes parts, amufoient continuellement U^s y-ux de Mandelllo; tandis que les finges, les perroquets, les paons, lui oftVoient un autre fpeftacle, & donnoient même quelquefois de l'exercice à fes ar- mes, il tua un gros ferpcnt, un léopard & un chevreuil, qui fe trouvè- rent dans fon chemin. Les Banians de la Caravane s'aiîîigeoient de lui voir oter , à des animaux , une vie qu'il ne pouvoit leur donner , «Si; que le Ciel ne hur accordoit que pour le glorifier. Lorfqu'ils lui voyoient por- ter la main au piftolet, ils paroiffoient irrités qu'il prît plaifir a violer en leur préfence les loix de leur Religion ; & s'il avoit la complaifance de leur épargner ce chagrin , il n'y avoit rien qu'ils ne fiflent pour lui phiirc (/). En approchant de Lahor , il admira la fertilité du Pays, qui produit du riz, du bled, & toutes fortes de fruits, plus abondamment qu'aucune autre Province de ce valte Empire. La Ville ellfituée à trente-deux degrés vingt minutes du Nord, fur la petite Rivière de Ravy^ qui fe jette avec quatre autres dans le Fleuve de l'Inde: c'efl: ce qui fait donner à ce fameux Fleuve le nom de Pangab, qui fignifie Cinq eaux. La fituation de Lahor efl fort agréable, fur- tout du côté de la Rivière, oîi l'on découvre piufieurs beaux Jardins. Le Palais Impérial , quoique renfermé dans la Ville , en ell fépa- ré par une haute muraille. Entre plufieurs grands Edifices , il contient quantité d'autres Palais & d'Hôtels, pour le logement des Seigneurs qui fuivent la Cour. La plupart des Habitans de Lahor ayant embralTé le Mahométifme, on y voit un grand nombre de IMofquées, & de bains publics. Mandelslo eut la curiofité de voir un de ces bains, & de s'y baigner à la mode du Pays. Il le trouva bâti àlaPerfane, avec une" voûte plate, & divifé en plufieurs appartemens de forme à demi ronde, fort étroits à l'entrée, larges au foiid , chacun ayant fa porte particulière , & deux cuves de pierre de taille dans lefquelles on fait entrer l'eau par des robinets de cui- vre , au degré de chaleur qu'on defire. Après avoir pris le bain , on le fit afleoir fur une pierre de fept ou huit pieds de long, & large de quatre, où le Baigneur lui frotta le corps avec un gantelet de crin. 11 vouloit lui frot- ter aulii. la plante des pieds avec une poignée de fable j mais voyant qu'il avoit peine à fupporter cette opération , il lui demanda s'il étoit Chrétien ; & lorfqu'il eut appris qu'il l'étoit, il lui donna le gantelet, en le priant de fe frotter lui -même les pieds, quoiqu'il ne fît pas difficulté de lui frotter le C«) Pag. 138 &'I39. (/) Pag. 140. .ETATS DU GRAND M O G OL, Liv. III. 165 le refte du corps. T^n homme de petite taille, qui parut enfuitc, le fit coucher fur la même pierre; & s'ctant mis à genoux fur Tes reins, il lui frotta le dos avec les mains, depuis l'épine jufqu'aux côtes, en l'aflurant que le bain lui fcrviroit peu, s'il ne luuffroit qu'on fît couler ainlî, dans les autres membres, le fang qui pouvoit le corrompre dans cette partie du corps (g). Mandelslo ne vit rien de plus curieux, aux environs de Lahor, 3u'un des Jardins de l'Empereur, qui en efl: à deux jours de chemin. Mais ans ce petit Voyage, qu'il fit pur amulement, il prit plailir aux dilTeren- tcs voitures, dont on le fit changer fueccflivcment. On lui donna d'abord un mulet, enfuite un chameau, puis un éléphant; vSc enfin, un boeuf, qui trottant furieufement , & levant les pieds julqu'aux éiriers, lui failbit faire fix bonnes lieues en quatre heures (h). Le féjour de F.ahor lui plaifoit beaucoup; mais il reçut des lettres d'A- gra, par lefquellcs on le prefl'iii de retourner à Surate, s'il vouloit profiter du départ de quelques VaiU'e.uiK Ani^lois, fur lefquels le Préfident, qui a- voit achevé le tems ordinaire de fon emploi , devoit s'embarquer pour re- tourner en Angleterre. Il ne balança point à fe mettre dans la Compagnie de quelques Alarchands IMogoIs, qui partoient pour Amadabath. En arri- vant dans cette Ville , il y trouva des lettres du Prélidcnt , qui l'invitoit ù profiter d'une forte Caravane, que le Dire(Sleur d'Amadabath avoit ordre de former, le plus promptement qu'il feroit poJible, pour fe rendre à Sura- te avant fa démilîion , & pour affilier à la Kéte qui devoit accompagner cet- te cérémonie. Pendant qu'on préparoit la Caravane , il eut le fpeftacle d'un feu d'artifice à l'Indienne. Toutes les fenêtres du Maidan dtoienc bordées de lampes , devant Icfquelles on avoit placé des flaccons de ver- re , remplis d'eau de plufieurs couleurs. Cette illumination lui parut char- mante. On alluma le feu , qui confilloit en fufées de différentes for- mes. Quantité de lampes, fulpendues à des roues, paroiflbient immo- biles , quoique les roues tournaiient inceflamment avec beaucoup de vio- lence (/■). Aussi -TÔT que la Caravane fut aflemblée , Mandeiflo fe mit en che- min avec le Direèteur d'Amadabath & trois autres Anglois , qui dévoient aflifler aulîi à la Kete de Surate. Ils prirent le devant, fous l'efcorte de vingt Pions , après avoir lailfé ordre à la Caravane de faire toute la dili- gence polfible pour les fuivre. Ils emmenoient quatre charrettes & quel- ques chevaux. Les Pions , qui portoient leurs armes & leurs étendurcs , fuivoient à pied le train des voitures. Mandeiflo fait oblerver qu'aux In- des , il n'y a point de perfonne un peu dillinguée qui ne faffe porter devant fui une elpèce detenUarc, quifert, dit-il, comme de bannière (k). Le premier jour, ils traverferent la Rivière de M^aJJet , d'où ils allèrent paflbr h nuit dans le Fort de Safelpour. Van>fcld^ Faéleur Anglois de Brodra, qui vint au-devant d'eux jufqu'à ce Fort, les traita le lendemain fort magnifi-. quemcnt dans le lieu de la léiidcnce. Ils en partirent vers le foir, pour fe loger U) Pag. 141. (i) Ibid, (i) Pag. 14a. X3 (fe) Pag. 143. MANnrr.SLO. 1638. Ri (oir de Surate. l'Vud'iirrî- fi;c ù l'In- diiiiiie. Dnng.'reu- fc roiifc de l'Auteur. 166 VOYAGES DANS LES MA\nF.t.»LO. 1638. Citerne de Sainbuid, o{i !'( au conte cher aux An- gluis. Combat de Manik'Klo contre les Ilusbouts, loger la nuit fuivantc dans un grand Jardin; & le jour d'aprôs, continuant hcurcufemcnt leur Voyage, ils allèrent camper proche d'une citerne, nom- mée Sambord. Mais ils y etoient attendus par de iacheux incidens. Les Habitans du Pays, qui virent arriver en menv:-tems une Caravane llollan- doife de deux cens charrettes, craignirent que toute leur eau ne lût con- fumée par un Ci grand nombre d'Ktrangers. Ils en défendirent l'approche aux Anglois, qui étoicnt arrivés les premiers; ce qui obligea le Direélciir de faire avancer quinze Pions, avec ordre d'employer la force. Mais, en approchant de la citerne, ils lu trouvèrent gardée par trente Payfans bien armés, qui fc préfentèrenC avec beaucoup de réfolution. Les Pions cou- chèrent enjoué & tirèrent l'épéc. Cette vigueur étonna les Payfans, & lyiir lit prendre le parti de fc retirer: mais pendant que le Directeur fai- foit puifer de l'eau , ils tirèrent quelques lléchcs & trois coups de mouf- quct , qui blellerent cinq de les gens. Alors les Pions faifant feu fans ménagement, tuèrent trois de leurs Ennemis, dont Mandelllo vie empor- ter les corps dans le V^illage. Une aélion lî vive auroit eu des fuites plus fanglantes , ïi larrivée de la Caravane Hollandoife n'avoit achevé de con- tenir les Indiens. Cependant ce n'étoit que le prélude d'une avanture plus dangereufe. Pendant que les Anglois étoient tranquillement à louper, un Marchand I lollandois vint leur donner avis qu'on avoit vu , fur le chemin , deux cens Rasbouts, qui avoient lait plufieurs vols depuis quelques jours; & que le jour précédent, ils avoient tué fix hommes à peu de diftance de Sambord. La Caravane Hollandoife ne laifla pas de décamper à minuit. „ Nous la ,t fuivînies, raconte MandcKlo, pour l'inflruftion des Voyageurs: mais „ comme elle marchoit plus lentement que nous , nous ne fûmes pas long- „ tems à la pafler. Le matin, nous découvrîmes un Holacueur ^ c'eft-ù- „ dire, un de ces Trompettes qui marchent ordinairement à la tétc des ,, Caravanes, en fonnant d'un inllrument de cuivre beaucoup plus long que „ nos trompettes. Dès qu'il nous eut apperçus, il fe jetta dans une forêt „ voifine , où il fe mit à fonner de toute fa force ; ce qui nous fit prévoir „ que nous aurions bien-tôt les Rasbouts fur les bras. En eft'et nous vîmes „ lortir prefqu'en même-tems, des deux côtés de la forêt, un grand nom- „ bre de ces Brigands , armés de picques , de rondaches , d'arcs & de flé- ,, ches, mais fans armes à feu. Nous avions eu la précaution de charger „ les nôtres, qui ne confilloient qu'en quatre fufils & trois paires de pilto- „ lets. Le Direfteur & moi , nous montâmes à cheval , & nous donnù- „ mes les fufils aux Marchands qui étoient dans les voitures, avec ordre de „ ne tirer qu'à bout portant. Nos armes étoient chargées à cartouches; „ & les Rasbouts niarchoient fi ferrés , que de la première décharge nous ,j en vîmes tomber trois. Ils nous tirèrent quelques flèches, dont ils nous „ bleflcrent un bœuf & deux Pions. J'en reçus une dans le pommeau de .„ mafelle, «& le Marchand Anglois eut un coup dans fon turban. Audi- tôt que la Caravane Hollandoife entendit tirer, elle fe hâta de nous en- voyer dix de fes Pions. Mais , avant qu'ils fuflent en état de nous fc- courir , le danger devint fort grand pour ma vie. Je me vis attaqué de toutes parts, & je rejns deux coups de picque dans mon collet de buile, j» ET.\TS DU CrR.AND MOGOL, Liv. IH. ir.7 (^iii mo fuara licurciilcmont la vie. Deux Rasbouts prirent mon cheval parla bride, & fe difporoient à m'cmmener prilbniiier: mais j'en mis l'un hors de combat, d'un coup iK: pillolet 411c je lui donnai dans l'cpau- Ic; & le Marchand Anglois, qui vint à mon lecoiirs, me dégagea de l'autre. Cependant les Pions des I lollandois approchèrent; & toute la Caravane étant arrivée prefqu'cn méme-tems, les Rasbouts fe retirèrent dans la forêt, lai IFant fi x hommes morts, fur le champ de bataille, & n'ayant pas peu de peine à traincr leurs blcfles. Nous perdîmes deux Pions & nous en eûmes huit blelVés ; fans compter le Marchand Anglois, qui le fut légèrement. Cette leçon nous fit marcher en bon ordre , avec la Caravane , dans l'opinion que nos Knrtemis reviendroient en plus grand nombre: mais ils ne reparurent point, «Se noi- arrivâmes vers midi à Broitfchia, d'où nous partîmes à quatre heures pour traverfer la Riviè- re & pour faire encore cincj coÎFes jufqu'au Village û'OnclaJJcr. Le lendemain, 26 de Décembre, nous arrivâmes à Surate (/)." Mandelslo trouva, dans le Comptoir des Anglois, plus de cinquante Marchands de cette Nation, que le Préfident avoit fait venir de tous les autres Comptoirs du Pays , pour rendre compte de leur adminiflration «Se pour recevoir Tes adieux. Il leur fit un fort beau difcours, en remettant îbn autorité à Fremling, qui étoit nommé pour lui fuccéder. Enfuite toute l'alTemblée fe rendit au Jardin du Comptoir, qui eft hors de la Ville, & dans lequel Methold avoit fait préparer un magnifique feftin , avec trois Mufiques , l'une An^loife, & les deux autres, Morefque & Baniane. Les Danfeufes du Pays firent le dernier aél:e de cette fête, par toutes fortes de poftures & de danfes (w). Au moment de la réparation , l'ordre fut don- né pour raflTembler toutes les provifions néceflaires au départ de la Flotte. Avant que de quitter Surate, Mandelllo fait obferver ^ue le Grand Mogol qui règnoit de fon tems, fe nommoit SchaChoram , troifième fils de Jehan -Guir («),<& qu'il avoit ufurpé la Couronne fur le Prince Polagi fon Neveu, que les AmbalTadeurs du Duc de Holflein avoient trouvé à Cafivin, en arrivant en Perfe (0). L'âge de Choram (p) étoit alors d'environ foi- xante ans. Il avoit quatre fils, dont l'aîné, âgé de vingt-cinq ans, n'étoit pas celui pour lequel il avoit le plus d'afteélion. Son deflein étoit de nom- mer le plus jeune pour fian Succefleur au Trône de l'Indouftan, & de laif- fer quelques Provinces aux trois aînés. Les commencemens de fon régne avoient été cruels & fimglans; & quoique le tems eut apporté beaucoup de changement à fon naturel , il laiflbit voir encore des refies de férocité «Jans les exécutions des criminels , qu'il faifoit écorcher vifs ou déchirer par les bêtes. Il aimoit d'ailleurs les feftins , la mufique & la danfe, fur-tout cel- le des femmes publiques , qu'il failbit fouvent danfer nues devant lui , & . dont 1 0 3 S. AfTcmhlée & Ittc An- clono, prtiir la dJmilîlon du PrcfiJciit. Caraélcre du Grand Mogol qui règnoit aliil» i) (l) Pag. 146. (ffk)Paê. 147. (w) Mr. Prevoft le dit toujours fécond fils. R. d. E. (o) Le Prince Polagi, ou plutôt liolaki , étoit fils du malheureux Sultan Cofroë , (^ue fon frère Choram, ou Coronne-, depuis Scha- Jehan , fit étrangler à Brampour, en 1722. fiolaki, craignant la haine de fon oncle, s'étoic retiré en Perfe. R. d. E. (/)) Pag. 133. Rhoe l'a nommé Coionne. ■s o •^ o * 00 o o o i68 VOYAGES DANS LES Mandklsio. 1638. Il eil joué par un R;ija qu'il vouloit jouer. Cruels com- bats de bêtes féroces. Troi? com- bats i ntre des hommes & des bétes. >) » »> j» )> » »» 9) J» »> dont les poflures l'amufoient beaucoup. Son afFeftion s'étoit particuliéî'e- ment déclarée pour un Raja , célèbre par fon courage & par les agrémens de fa converlUdon. „ Un jour que ce Seigneur ne parut point à la Cour, l'Empereur demanda pourquoi il ne le voyoit point; & quelqu'un répon- dant qu'il avoit pris médecine, il lui envoya une troupe de Danfeufes, auxquelles il donna ordre de faire leurs ordures en fa préfence. Le Ra- ja, qui fut averti de leur arrivée, s'imagina qu'elles étoienc venues pour le divertir: mais, apprenant l'ordre du Souverain, ik jugeant que ce Monarque devoit être dans un moment de bonne humeur, il ne fit pas difficulté d'y répondre par une autre raillerie. Après avoir demandé aux Danfeufes ce que l'Empereur leur avoit ordonné, il voulut favoir fi leurs ordres n'alloient pas plus loin. Lcrfqu'il fut afluré , par leur propre bou- che, qu'elles n'en avoientpas reçu d'autre, il leur dit qu'elles pouvoient exécuter ponfluellement les volontés de leur Maître commun , mais qu'el- les fe gardaflent bien d'en faire davantage, parceque s'il leur airivoit d'u- riner en faifant leur ordure, il étoit rélblu de les faire fouetter jufqu'au fang. Toutes ces femmes fe trouvèrent fi peu difpofées à rifquer le dan- ger, qu'elles retournèrent fur le champ au Palais, pour rendre compte de leur avanture au Mogol ; & loin de s'en oiFenfer , l'adrefi^e du Raja lui plût beaucoup (^)". Son principal amufement , néanmoins', étoit de voir combattre des lions, des taureaux , des éléphans , des tigres, des léopards & d'autres bê- tes féroces; autre refi:'^ de fon humeur fanguinaire, qu il le plaifoit à nour- rir par ce cruel exercice. Il faifoit quelquefois entrer des hommes en lice, contre ces animaux; mais il vouloit que le combat fût volontaire; «Si ceux qui en fortoient heureufement étoient fûrs d'une récompenfe proportionnée à leur courage. Mandelflo parle d'un fpeélacle de cette nature, que ce Prince donna le jour de la naiflfance d'un de {qs fils, dans un Carvanfera voilin de la Ville, où il faifoit nourrir toutes fortes de bêtes. Ce Bûtinient étoir, ac- compagné d'un grand jardin, fermé de murs, par-deflus lefquels il fut per- mis au Peuple de fe procurer la vue de cette barbare tragédie (r). „ Premièrement, raconte l'Auteur, on fit combattre un taureau „ fauvage contre un lion ; enfuite , un lion contre un tigre. Le lion n'eut „ pas plutôt apperçu le tigre, qu'il alla droit à lui; & le chocquant de tou- „ tes fes forces , il le renverfa : mais il parut comme étourdi du choc , & ,, toute l'alTemblée fe figura que le tigre n'auroit pas de peine à le vaincre. Cependant il fe remit auffi-tôt, & prit le tigre à la gorge, avec tant de fureur qu'on crut la viftoire certaine.- Le tigre ne laifiTa pas de fe déga- ger, & le combat recommença plus furieufement encore, jufqu'à-ce que la laflîtude les fépara. Ils étoient tous deux fort blefles ; mais leurs pla- yes n'étoient pas mortelles. „ A PRÈS cette ouverture, un" Seigneur, nommé Jllamerdy - Kan , Gou- verneur de 0//è/«fr , s'avança vers le Peuple , & déclara au nom de l'Em- „ pereur , que i\ parmi fes Sujets il fe trouvoit quelqu'un qui eût afi'çz de „ cœur pour afi"ronter une des bétes, celui qui donneroit cette preuve de „ cou- (î) Ibidem. . (r) Pag. 135 & fuiv. »» 1) ï> -4 S' 5> »> » F » c » Cl J) » U >» » » » 1 M ' 95 » ] 5 99 i 99 i 93 99 9» ^i ETATS DU GRAND MOG OL, Liv. III. 169 courage & d'adreffe obtiendroit pour récompenfc la dignité de Kan & les bonnes grâces du Maître, l'rois Mogols s'étant offerts, AJlamerdy-Kan ajouta que l'intention de Sa Majefté étoic que le combat fe fît avec le cimeterre & la rondache feuls , & qu'il falioit même renoncer à la côte de maille , parceque l'Empereur voulait que les avantages fuUent égaux. „ On lâcha aulîi-tôt un lion furieux, qui , voyant entrer Ton Adverfai- re, courut droit à lui. Le Mogol fe défendit vaillamment; mais enfin, ne pouvant plus foûtenir la pefanteur de l'animal , qui l'accabloit princi- palement fur le bras gauche , pour lui arracher la rondache de fa patte droite , tandis que de fa patte gauche il tàchoit de fe faifir du bras droit de fon Ennemi, dans la vue apparemment de lui fauter à la gorge; ce brave Combattant , baiflant un peu fa rondache , tira de la main gauche un poignard , qu'il avoit caché dans fa ceinture, & l'enfonça li loin dans la gueule du lion , qu'il le força de lâcher prife. Alors , fe hâtant de le pourfuivre, il l'abbatit d'un coup de cimeterre, qu'il lui donna fur le mufle; & bien-tôt il acheva de le tuer, & de le couper en pièces. „ Sa viftoirefut célébrée aulFi-tôt par de grandes acclamations du Peu- ple. Mais , le bruit ayant cefle , il reçut ordre de s'approcher de l'Em- pereur , qui lui dit avec un fourire amer : J'avoue que tu es un homme de courage, & que tu as vaillamment combattu : mais ne t'avois-je pas défendu de combattre avec avantage, & n'avois-je pas réglé les armes? Cependant tu as mis la rufe en œuvre , & tu n'as pas combattu mon lion en homme d'honneur. Tu l'as furpris avec des armes défendues, & tu l'as tué en aflaffîn. Là defllis, il donna ordre à deux de ks Gardes de defcendre dans le Jardin , & de lui fendre le ventre. Cette courte fen- tence fut exécutée; fur le champ ; & le corps fut mis fur un éléphant , pour être promené par la Ville & pour fervir d'exemple (j). „ L E fécond Mogol , qui entra fur la fcène , marcha fièrement vers le tigre qu'on avoit lâché contre lui. Sa contenance auroic fait juger qu'il fe croyoit fur de la viéloire. Mais le tigre lui fauta fi légèrement à la gorge , que l'ayant tué tout d'un coup, il déchira fon corps en pièces. „ Le troifième, loin de paroître effrayé du malheureux fort des deux autres , entra gayement dans le Jardin & marcha droit au tigre. Ce furieux animal , encore échauffé du premier combat , fe précipita au- devant de lui : mais il fut abbactu d'un coup de fabre , qui lui coupa les deux pattes de devant; & dans cet état , l'Indien n'eut pas de peine à le tuer. „ L'Empereur fit demander auflîtôt le nom d'un fi brave homme. Il „ fe nommoit Geily. En méme-tems, on vit arriver un Gentilhomme , „ qui lui préfenta une vefte de brocard, & qui lui dit: Geily, prends cet- „ te vefte de mes mains, comme une marque del'eftime de ton Empereur, „ qui t'en fait alTurer par ma bouche. Geily fit trois profondes revéren- „ ces, porta la vefte à fes yeux & à fon eftomac; & la tenant en l'air, a- „ près avoir fait intérieurement une courte prière , il dit à voix haute : Je , prie Dieu qu'il rende la gloire de Scha-Jehan égale à celle de Tamerlan , „ donc (O Pag. 137 XllL Part. y >» j> j> j» jj }> » J> J» )> J» J> )i J» J> 5> J> J> »> J» >» 5> JJ 33 ii Mandkulo. 1628. Premier combat. Second coiiibac. Troi'fième combat. Récompen* fe du Vain- queur. 370 VOYAGES DANS LES Mandilslo. 1638. i<^3 9- part av t'c ia Flatte An- gloife. Roiito Jiif. qu'à Goa. Route par terre de Goa a Vifapour. Ditcauly. Sanda. 1) ,1 dont il efl forti ; qu'il fafle çrofpérer fes armes ; qu'il augmente Tes rî- „ cliefles ; qu'il le fafle vivre lept cens ans , & qu'il afFermifle éternelle- ment fa Maifon. Deux Eunuques vinrent le prendre, à la vue du Peu- pie, & le conduifirent jufqu'au Trône, d'où deux Kans le reçurent de „ leurs mains pour le préfenter à l'Empereur. Ce Prince lui dit : il faut „ avouer , Geily Kan , que ton aftion eft extrêmement glorieufe. Je te „ donne la qualité de Kan , que tu pofllederas à jamais. Je veux être ton „ Ami, & tu feras mon Serviteur (t)". Mandelslo partit de Surate , le 5 de Janvier , fur la Marie , Vaifltau de la Flotte Angloife , qui portoit aulîi Methold & quelques autres Mar- chands de confidé ration. Quoique leur embarquement fe fît pour retour- ner en Europe, ils dévoient s'avancer jufqu'à Goa, où Methold avoit à re- cevoir une grofle fomme d'argent , du Gouverneur Portugais. Ils arrivèrent le foir à la vue de Daman , qui étoit alors afliégée par les Troupes du Roi de Decan; mais avec peu de fuccès, parceque le Port n'étant pas bouché, l'Ennemi ne pouvoit arrêter les fecours qui entroient à toute heure dans la Place. Aufli l'embarras du Siège n'empêcha - t'il pas le Gouverneur d'en- voyer des rafraîchiflemens aux Anglois. Jl paroît que Methold étoit appel- lé aufll par fes affaires, à Vifapour^ Capitale du Royaume de Decan, & que ia confufion des armes lui fit prendre le parti de s'y rendre par un chemin plus libre Çv). La Flotte arriva le 7, devant Baçaim , Ville du Royaume de Gu- zarate , fituée fur une Rivière où les plus grands Vaiflfeaux peuvent remon- ter depuis le Golfe de Cambaye ; ce qui rend fon Commerce florifl'ant. Les Portugais, qui en étoient les maîtres depuis l'année 1534, l'avoient aflez bien fortifiée. Le 9, on paflâ devant les liles de Bandera & de Bombay^ qui s'étendent le long delà Côte, depuis Baçaïm jufqu'au-defllis de Rafia- pur. Le 10, on eut, en paflant, la vue dç Rafiapour , d'où il ne refte que vingt & une lieues jufqu'à Goa ; & le même jour , après avoir paf- fé devant Finger!a{x)y Ville à quatre lieues de Goa, oii les Hollandois ont un Comptoir , on découvrit , vers le foir , les Ifles voifines de Goa & les deux Châteaux qui défendent l'entrée de cette Capitale des Indes Por- tugaifes (y). O N a peine à diftinguer auffi , quel tems Methold & Mandelflo pri- rent ici pour fe rendre à Vifapour (z); mais ce Voyage eft d'autant plus curieux, qu'il fert à faire connoître une grande partie du Royaume de De- can, quife nomme aufli yifapoiir , du nom de fa Capitale. On entre dans cet Etat , après avoir pafl'é la Rivière de Madré de DioSy qui fépare l'ille de Goa du Continent, & l'on rencontre à trois lieues de la ïive, une Ville nommée Ditcauly, dont le Gouverneur l'eft aufli de.la Fortereflede Banda y fur la même Rivière. On compte fix lieues de Ditcau- (0 Pag. 1^8. (v) Mr. Prevofl fuppofe gratuitement ce Voyage , dont l'impodlbilité e(l fenOble par la route. R. d. E. («) 0\i IVingurla. R. d. E. (3f) Pag. 214 & 23t. ( a; ) On a beaucoup moins de peine à dif- tinguer qu'ils ne firent pas ce Voyage, conr me nous lavons déjà remarqué; & toutes les defcriptions qui fuivent, paroiilent avoir été ajoi^tées, ou du moins amplifiées , par les Edi- teurs. R. d. £. nte Tes rî- éternelle, ie du Peu- sçLirent de it : 11 faut .ife. Je te X être ton , Vaifleau itres Mar- iir retour- avoit à re- I arrivèrent pes du Roi as bouché, jre dans la •neur d'en- itoit appel- an , & que un chemin ime de Gu- ;nt remon- iflant. Les 'oient aflez le Bombay y I de Rajia- il ne refte avoir paf- 'ollandois de Goa & Indes Por- idelflo pri- Lutant plus le de De- re de DioSy lieues de laufli de. la le Ditcau- ly peine à dif- r& toutes les tnt avoir été [parlesËdi- ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. î^i ly jufqu'à Banda. Cette Ville , qui eft alTez confidérable & dont les rues font fort belles , efl: fituée à l'embouchure de la petite Rivière de Dery , qui entre dans la Mer près des Ifles que les Portugais ont nommées IJlas Que- madas. Ses Habitans font Banians , & font un grand Commerce à Goa. De Banda jufqu'à la montagne de Gate^ le chemin eft de neuf lieues. On . pafle par les Villages d'Jmby & à'Herpoîy^ & l'on trouve celui à'Amba- ly au pied de la montagne. Elle s'étend le long du Dccan jufqu'à la Côte de Coromandel , & fes fommets offrent des plaines auflî fertiles que les plus belles vallées. D'Amboly on fait onze lieues , pour entrer au Village de HcrcnckaJJt ^ fur la Rivière du mémo nom. Une portée de canon plus loin , on palfe par le Village de Berouly , fitué dans un vallon , entre les montagnes de Gâte. A deux lieues de -là, on trouve le Village de JVerferée^ & trois lieues plus loin celui d'Outor. A fix lieues & demie d'Outor, on rencontre celui de Berapour , d'où l'on n'a qu'une demie lieue jufqu'à celui de Marou- ra^ &de-làune lieue jufqu'à celui de Calingra, à cinq cens pas duquel on palfe par celui de Kangir. Proche de Kangir , on traverfe un Hameau , qui n'a pas d'autre nom que Bary, terme général, par lequel on défigne tous les lieux qui n'ont pas de nom particulier. Une lieue plus loin , on arrive au Village de Worry , à demie lieue duquel efl: celui d'Jtîrowad , dont le voifmage offre une fort belle Pagode, fur une éminence qu'on découvre de fort loin. A deux lieues & demie de cette Pagode , on prend à gau- che, par le Village de Badaïary^ qui conduit à Kerwes par deux lieues & demie de chemin. Depuis Kerwes , on compte deux lieues jufqu'à ^V^^om- ry; & de-là cinq, jufqu'aux tours d'une belle Pagode Baniane. De-là, on découvre la Ville & le Château de Mirfie , qui en efl: à deux lieues fur la gauche. Mais FaifTant cette Ville , on fait une lieue depuis la Pagode juf- qu à Rajebag , autre Ville , fort confidérable par fa grandeur & par le Com- merce du poivre. Elle efl du douaire de la Reine de Vifapour, qui la gou- verne par fes propres Officiers. Une lieue au-delà de Rajebag, on trouve un fort beau puits. Deux lieues plus loin on pafle la Rivière de Cugny ; après laquelle, faifant une demie lieue, on laiflTe fur la gauche une Vil- le nommée Gottevy, pour fe rendre aux Villages de Coëtefy & d'Om^ar, qui n'en font qu'à cinq cens pas. A demia lieue de ces deux Villages, on rencontre la grande Rivière de Corfena , qui traverfe tout le Royaume de \/'ifapour , jufqu'à Mafulipatan. Une lieue & demie plus loin , on arrive au Village A^Eyrtatour^ qui efl: fuivi, à peu de diftance, de Katerna, de Tangly & d'Erary^ après lefquefe on trouve la Rivière d'Jgeryy qui n'eft pas à plus d'une lieue & demie du dernier. A trois lieues de la Rivière, on paflfe par la Ville d'/Itteny, Marché com- mun de tout le Pays voifin, d'où l'on y porte chaque jour une grande abon- dance de vivres. A quatre lieues d'Atteny , on rencontre le Village de Bardgîe; à trois lieues de Bardgie, celui d'Âgger^ qui eft à la même diftan- ce de la Ville de Talfenghe. Celle d'Homisiare eft aufTi à trois lieues de Tal- fenghe; & l'on en compte autant d'Hounware à celle de Tieco^ d'où il n'en relie que fix jufqu'à Vifapour (a). Avant (a) Fag. 226 & précédentes. y 2 MANDEI.SL9. 1639. Noms de fdufieurs Vil- âges. Ville &Châ. teau de Mir* fie. Ville de Rajebag. Grande Ri- vière de Cot- fena. Ville d'At- teny. Talfenghe. Hounwarc, Tieco. Ifl VOYAGES DANS LES MaN'DELSLO. 1639. Noiirafpour & Sirrapnur. Dcfcription He Vifapour. Palais du Roi. Noms des Fauxbourgs. Uoute de Dabui. Grande Vil- îe deMirfie. Double Vil- le de Graen. Avant que d'arriver à cette Capitale, on paiïe par deux autres Villes," nommées Nourd/poiir & Sirrapnur^ qui lui fervent comme de Fauxbourg, & dont la première étoit autrefois la rélidencc ordinaire des Rois du Decan. Elle eft tombée en ruines; & l'on achevoit de la détruire, pour emplo- yer les matériaux du Palais & des Hôtels aux nouveaux Edifices de Vi- fapour. La Capitale du Decan efl: une des plus grandes Villes de l'Afie. On lui donne plus de cinq lieues de tour. Sa fituation eft dans la Province de Cun- can , fur la Rivière de Mandova, à quarante lieues de Dabul , & foixantede Goa. Ses murailles font d'une hauteur extraordinaire, âc de belle pierre détaille. Elles font environnées d'un grand folTé, & défendues par plu- fleurs batteries , où l'on compte plus de mille pièces de canon , de toutes fortes de calibre , de fer & de fonte. Le Palais du Roi forme le centre de la Ville, dont il ne laiflepas d'être féparé par une double muraille & un double foffé. Cette enceinte a plus de trois mille cinq cens pas de circuit. Le Gouverneur étoit alors un Italien , natif de Rome, qui avoit pris le turban, avec le nom de Mammout-Iiichan. Son commandement s'étendoit aulîi fur la Ville, & fur cinq mille hommes dont la garnifon étoit compofée, outre deux mille qui faifoient la garde du Château. La Ville a cinq grands Fauxbourgs, qui font habités par les principaux Marchands; fur-touc celui de Champour^ où la plupart des Jouailliers ont leurs maifons & leurs boutiques. Les autres fc nomment Giirapour , Ibra- himpour, Akpoiir & Bomnemaïy . La Religion des Habitans efl; partagée en- tre le Mahomédfme, le Culte des Banians & l'Idolâtrie {h'). Après avoir terminé les affaires de la Compagnie à Vifapour, d'autres intérêts, apparemment, conduifirent Methold à Dabul, où Mandelflo ne perdit pas î'occafion de l'accompagner (c). Il n'en décrit pas moins fôi- gneufement la route. On reprend le même chemin jufqu'à la Ville d'Atcny^ d'où l'on fe rend au Village d'Jgelle, qui en efl éloigné de deux lieues; & de -là, dans une Ville nommée Areck, à fix lieues & demie d'Agelle. D'Areck, on fait trois lieues jufqu'à la Ville de Berce ; & de Berce, trois autres lieues jufqii'ù Mirfie. MiRSiE, qui fe nomme auffî Mirdfte & Mirifgie^ efl: une grande Ville, mal peuplée. Elle a, du côté du Nord, un Château fi bien fortifié, que le Grand Mogol l'ayant aflîiégé avec toutes fes forces, fut contraint de lever le Siège. On voit, dans cette Ville, deux Tombeaux qui ont plus de cinq cens ans d'antiquité, ik pour lefquels tous les Habitans du Pays ont beau- coup de vénération. De Mirfie, on fait trois lieues jufqu'au Village d'Epour; & delà, trois autres jufqu'à Graen ^ Ville fituée fur les bords du Corfena. Cette Rivière la divife par fa largeur, qui efl: d'environ huit cens pas, & forme, des deux côtés , deux parties ii confidérables qu'elles peuvent palier pour deux bonnes (i) Pag. 218 & précédentes. (c) On a déjà dit qu'ils ne firent pas ce Voyage. R. d. i:^ M I ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 173 res Villes," bourg, & du Decan. 3ur emplo- :es de Vi- le. On lui nce de Cun- foixante de jelle pierre es par plu- de toutes e pas d'être te a plus de un Italien, nout-Rkhan. Ile hommes la garde du principaux iailliers ont xpour , Ibra- tartagée en- ur, d'autres [andelflo ne ; moins fôi- on fe rend dans une on fait ieues jufqu'à ck. pi 1 •ande Ville, tifié , que le int de lever jIus de cinq ont beau- îlà, trois ^tte Rivière forme , des pour deux bonnes ic firent pis ce bonnes Villes. Depuis la Rivière de Corfena jufqu'au Village de Tonck^ on compte deux lieues & demie; & de-là une lieue au Village * * = -.— -" ./' "v- • — =: . 1 l - \ 1 ' *.... v'M^-r- — ^^ ■■'*'^''V^.V!Î^ -- *A - -•- r— •■■«*Xii>'i! ._ ;i^ ~ m{:,, mi^El^f^^'^^^' , := ^^^^^^^H^^kk ^ ^ k& ^5|pPfe--..atw^. _;v^ = ' *'*^ j^ T T SCS- *'1«^Bii = — •"^ :;: ~^ •5?-.^- ..:5t^;---^..J^E> "^JiCrë..»».»*^ z^ ■~^^ ii!L"^t~<;?*s:-.- . — .-.d'^ ''"^'""'^^l^SSflfiKfiil zz: — 1. 1 — r , -^ 1-H, =: — .- ÇfcS'tT^' ^^îws*.'•/.!■/' Mfwv . lllllllHIIIIIIIIII'IIIIIIIIIIIIHlllllllllllll|llll|||||llllllllllllllllllll||||||^^ ./."..,• 2} A B U L A B U L . ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. 111. 175 nomment Mparcas, font de bois; & leur ufage eil de \<^s attacher fur le cou-de-pied , avec des courroyes. Leurs enfans vont nuds jufqu'à l'âge de fept ou huit ans. La plupart font Orfèvres , ou travaillent en cuivre. Ce- pendant ils ont des Médecins , des Barbiers , des Charpentiers , & des Ma- çons , qui s'employent au fervice du Public , fans diftinguer les Religions. Leurs Armes font à-peu-près les mêmes que celles des Mogols ; & Mandel- llo remarqua, comme dans l'Indouftan, qu'elles font moins bonnes que celles de Turquie & d'Europe (/). Leur principal Commerce ell en poivre , qui fe tranfporte par Mer en Perfe , à Surate , & même en Europe. L'abondance de leurs vivres les met en état d'en fournir toutes les Contrées voifmes. Ils font quantité de toi- les , qu'on tranfporte auffî par i\Ier ; ce qui n'empêche pas le Commerce de Terre avec les Mogols & les Peuples de Golkonde & de la Côte de Coro- mandel, auxquels ils portent des toiles de coton & des étoffes de foye. O N trouve à Vifapour un grand nombre de Jouaillicrs , & quantité de perles; mais ce n'efl: pas dans cette Ville, ni dans le Pays , qu'il faut cher- cher le bon marché , puifque les perles y viennent d'ailleurs. 11 fe fait beaucoup de lacque dans les montagnes de Gâte, quoique moins bonne que celle de Guzarate. Les Portugais font un grand Commerce dans le De- can , fur- tout avec les Marchands de Dixcauly & de Banda. Ils achètent d'eux le poivre à fept ou huit réaies le quintal , & leur donnent en payement des étoffes ou de la quincaillerie d'Europe. On diiîingue, par le nom de Fcnefars, une race de Marchands Decanins, qui achètent le riz & le bled, pour l'aller revendre dans l'Indouftan & dans les autres Pays voifins, en CaffilasoM Caravanes , de cinq , fix, & quelquefois neuf à dix mille bêtes de charge. Ils emmènent leurs familles entières , fur-tout leurs fem- mes , qui maniant l'arc & les flèches avec autant d'habileté que les hom- mes , fe rendent fi redoutables aux Brigands , que jamais ils n'ont ofé les attaquer (g). OuTRr les monnoyes communes de l'Inde, il n'y a point de Ville, ni prefqu'^:ucun Village, dans le Decan , qui n'ait fa monnoye marquée à fon coin ; ce qui rend l'eflimation des valeurs extrêmement difficile dans le Commerce. Il s'y trouve tantide fauffe monnoye, que malgré les loix, fuivant lefquelles un payement doit fe faire en prefence d'un Cheraf^ow d'un Changeur , on a beaucoup de peine à fe garantir de l'impollure. Les Che- rafs mêmes contribuent à ce défordre, en faiflmc couler de mauvaifes piè- ces avec celles qu'ils font compter, malgré Its punitions établies, qui s'exé- cutent avec beaucoup de rigueur {h). On fe fert ici du même poids que dans le Pays de Guzarate, excepté que v'm^t Maons de Surate en font vingt- fept du Royaume de Decan. Le maon ordinaire , qui eli du quarante Cecrs & de feize Feyfes , fait vingt-fept livres , chacune de deux marcs. Les Decanins ont un poids particulier pour le poivre , qu'ils appellent Gt/É'/^iy, & qui pefe douze maons. Quatre maons font un quintal ; & vingt font un candy (i). Li i639. Leur Com- tneice. i Race de3 Venefars. Monnoye particulière du Decan. Poid». (/) Pag- 22a. (g) Pag. 223. (ZO Pag- 224. CO Ibùk 176 VOYAGES DANS LES Mandrislo. 1639. Forclos du Roi dcDccan. vSi?s guerres & l'on traité avec les Por- tugais, Morveil- leufe pièce de canon. Retour de Mandelilo en Europe. Coimient oi a grofli fa Relation. Le Roi de Decan, ou de Cimcan, ou deVifapour, car il porte ces troig noms, efl: devenu tributaire du Grand Mogol, par des révolutions donc on rapporte ailleurs l'origine (k). Il conferve néanmoins aflez de forces pour mettre en campagne une Armée de deux cens mille hommes , avec lef. quels il fe rend quelquefois redoutable à la Cour d'Agra, quoiqu'elle poflcdc plufieurs Villes dans les Etats de ce Prince, telles que C/;fl«/, Kerby\ DfA- tabad, & quelques autres. On lit, dans les Hiftoriens Portugais, qu/ldcl- han-Scha^ Bilayeul à' Idal-Scba^c\m rignoït du tems de Mandelllo, prit deux fois, en 1586, la Ville de Goa fur leur Nation; mais que fe trouvant rui- né par cette guerre, il convint avec eux de leur céder la propriété du Pays dQSaIfettea.vec foixante-fept Villages , de celui de Bardes avec douze Vil- lages, & de celui de Ttfvary, avec trente Villages; à condition, d'un cô- té, que les Peuples de fon Royaume jouiroient de la liberté du Commerce dans toutes les Indes , & que de l'autre ils feroient obligés de vendre tout leur poivre aux Marchands de Goa. Ce traité ne fut pas exécuté fi fidèle- ment , qu'il ne s'élevât quelquefois des différends confidérables entre les deux Nations. (Quelques années avant l'arrivée de l'Autear aux Indes, les Portugais , avertis que trois ou quatre Vailîcaux du Roi de Decan étoient partis chargés de poivre, pour Mocka & pour la Perfe, mirent en Mer quatre Frégates , qui ne firent pas difficulté de les attaquer. Le combai: fut ianglant , & les Portugais y perdirent un de leurs principaux Officiers. Cependant la Vi6loire s'étant dérlnrép pour pu\ , ils fe fiiifirent des quatre Vailfeaux & les menèrent à Goa , où de fang froid ils tuèrent tous les In. diens qui refloient à bord. Le Roi de Decan feignit d'ignorer cet outra- ge; mais on ne doutoit point, à l'arrivée de MandeHlo, que fous le voile de la ditîîmulation il ne prît du tems pour difpofer fes forces , & qu'il ne déclarât la guerre à la Ville de Goa. L'Inde n'a pas de Prince qui foit plus riche en artillerie. On croira, fi l'on veut, furie témoignage de Mandelflo, qu'entre pluiieurs pièces ex- traordinaires, „ il en avoit une de fonte, qui tiroit près de huit cens li- „ vres de balle, avec cinq cens quarante livres de poudre fine; & qu'en a- ,, yant fait ufage au Siège du Château de Salpour, le premier coup qu'il fit j, tirer contre cette Fortereffe abbatit quarante-cinq pieds de mur. Le „ Fondeur étoit un Italien , natif de Rome (/), & le plus méchant de ,, tous les hommes, qui avoit eu l'inhumanité de tuer fon propre fils, pouf „ confacrer par fon lang cette monftrueufe pièce. Enfuite, il fit jettcr „ dans la fournaife de fa fonte, un Trcforier de la Cour, qui vouloit lui ,, faire rendre compte de la dépenfe (w)-" Le féjour de Mandelflo , à Goa, & l'nilloire de fon retour en Europe avec la Flotte Angloife, n'occupent guères plus de vingt pages dans fa pro- pre Relation , & n'offrent rien d'agréable ni d'utile. Mais, dans le dcllein apparemment d'en faire un Ouvrage plus épais & plus cher, les Editeurs, ou les Libraires, y ont joint tout ce qu'ils ont p(l recueillir des autres Vova- {k) Voyez ci-dctTous la Dcfcription de nommé plus haut Mammout R'iban, & lui Golkon.ie. avoit lcGouvcrnenv-;iiC dcYi.a^n ur. il. d.E. (/) Cefc apparemment le même qui eft (m) Pag. 232. Mandciflo meurt au fei- vice de Irran* ce. ETATS DU GRAND MO G O L, Liv. III. 177 Voyageurs, Air difFcrcntcs Contrccs de l'Aile, que Mandelllo n'avoic MANni-r.sLo, pas vues; de-forte que Ton récit fc trouve noyé dans un grand nombre ^639. de dcfcriptions & de recherches hifloriques ; auxquelles il n'a pas la moin- dre part (n). 11 fuffira, pour terminer cet article, d'ajouter qu'après a- voir elTuyé , fur la Côte d'Angleterre , une affreufe tempête , qui l'effraya plus que tous les périls d'une longue navigation , il débarqua heureufement dans le Comté de Kent (0) le 26 de Novembre; que pendant trois mois que fa curiofité lui fit pafler à Londres, il y fit les obfervations communes à tous les Voyageurs; qu'étant parti le 20 de Mars 1640 (p), il traverfa la Flandre & la Hollande , où il s'embarqua le 23 d'Avril pour Hambourg ; & que de -là, il fe rendit à Gottorp, où il arriva le premier jour de Mai () P^s- 754. (?) Pag. 8û8. z ^ 178 VOYAGES DANS LES Mandelslo. )» 1639. »» >» »» J» »> J» » »» J> î) »J Aerrarques d'Olcnrius, E'itcur de bêtes faiivages, dcstruyes, qui produifenc fans le mélange des mâJcg. Une fingularité li contraire aux loix de la Nature ne lui paraît nicriLer aucune loi. Cependant il entendit aflurer la même chofe par des perfon- nés conddérables , 6c principalement par un Prélidcnt Anglois (; ), ijuj avoit vu, dans un Vaifleau Hollandois, une truye mettre les petits bas , après avoir palle plus de dix mois à bord , fans être approchée d'au. cun mule. „ Les tigres font des animaux très-féroces & très-cruels , qui n'épargnent pas plus les hommes que les betes. Cependant on allure que ceux des Indv^s Orientales dillinguent fort bien les hommes blancs d'avec les noirs, & qu'ils n attaquent pas facilement un homme blanc. On fit ce récit à JVJandelllo, qui n'eut pas peu de peine à le croire: Un Européen & un In- dien noir s étant coucaès enlemble fous quelques broflailles, il vint un ti- „ gre, qui arracha le Noir du côté de I Européen, le déchira cruellemenc „ Ck le dévora , lans menacer le blanc d'aucun mal. „ O N lui dit encore que le tigre ne couvre fa femelle qu'une feule fois dans toute la vie; parce qu après leur jonélion , fes parties s'enflent com- me celles dun chien, & le tiennent attaché pendant quelques jours, juf. qu'à -ce que venant à fe pourrir, il ne fe détache de la tigrellë que par la perte de ce qui fait leur différence. On lui dit auffi que les poils longs & roides qui croiflent à la gueule des tigres, comme aux chats, font le plus violent poilbn qu'on paille employer pour faire mourir un homme. Enfin, on voulut lui perfuader qu'il y a dans les Indes un Canton, où les cornes d'animaux, miles en terre, y prennent racine, croilTent, & de- viennent aulii fermes qu'une produtiion du terroir; de -forte qu'on ne peut les en détacher qu'avec effort. Il fut furpris de lire la même chofe dans Linjihoien, qui la rapporte d'un lieu pierreux de flfle de Goa, où les Bouchers jettent les cornes de bœufs & de vaches , comme des excré- mens inutiles. Ce Voyageur fe vante même d'en avoir tiré quelques- unes hors de terre , qui avoient des racines de deux ou trois empans de longueur". AthiisÔcde bry n ont pas fait difficulté de le répéter fur ion témoignage: mais loin d'y ajouter foi, Mandelllo s'étoit contenté de mettre à la marge de fon ]ouYn3i[ y Objervatmsfaùuleujcs^ fans vouloir qu'el- les entraient dans fa narration. REMARQ.U0NS néanmoins, ajoute fon Editeur, que depuis l'établilTe- ment des Européens aux Indes , il ne s'y efl guères fait moins dj change- mens dans ce qui regarde la Nattire, que dans les mœurs, les ulags, & la forme des Couvernemens. Nous y avons porté, non- feulement nos principes de religion Ck. de politique, mais encore nos manières, nos goûts, nos » >j jj j> »> î» î> j> J) (f ) C'étoit Metholil , qui rapporte lui mè- ne cette particularité dans fa propre Rela- tion , (ans cependant en avoir été témoin oculaire. „ La cliofe m'a été confirmée, „ dit-il ,~non feulement par tous ceux de ma „ Nation , mais aulIl par le rapport unanime I, des iiullandois ; entr'aucres du Sieur ZPr>/f, „ qui m*a afluré que pour en faire i'expé. „ rience, il avf>it mif de;; cochons de ait „ dans fon Vaiffiau, & que fix mois apiès „ ils en firent d'autre;- , fan? qui! s'y trou- „ vât aucun mâle ". Rec. de Tbevenot, Toin.I. pag. 15 de la Relat. de Metbold, R.d.h;. ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. jyp nos arts , nos méthodes de culture pour les végétaux , & d'inflruftion pour Mamdelsm» toutes les créatures capables de difcipline. Linfchoten & tous les anciens 1636. Voyageurs ne reconnoitroient pas aujourd'hui la plupart des lieux dont ils ont publié d'exactes defcriptions ; & toutes leurs hilloires ne leur paroî- troicnt que des Congés. Enfin le zèle dOlearius, pour la gloire de fon Ami, lui fait ajouter qu'on ert redevable, à ^iandeiilo, de la plupart des figures qui fe trouvent dans fa Relation. Elles ont été dellinées de fa propre main ; ou fous fcs yeux, par divers Peintres qu'il rencontroit dans fes courfes (s). W1CQ.UEF0RT, à qui l'on doit cette Traduction, remarque aufli „ que „ Mandelllo s'étant fait inftruire dans l'ufage de TAflrolabe (r), en avoit „ acquis aflez de connoilfance, pour faire les obfervations des longitudes „ & des latitudes qui font répandues dans fon Journal". Il ne loue pas moins fes autres lumières. Cependant , à l'occafion de quelques réiicxions inju-'ieufes , qu'il lui reproche contre les Hollandois, dont il n'avoit reçu que des bienfaits & des poiitefles, il finit par un trait qui n'efl: pas plus obligeant pour le Pays auquel Mandelllo devoit la naiflance: „ A n'en „ point mentir, dit-il, il elî ridicule qu'un homme, né au milieu des Vanda- „ les, & nourri parmi les Cimbrcs , traite d'incivils &de groflîers ceux qui „ on. ouvert depuis tant d'années, pour les Etrangers» l'Ecole de Mars & „ de Minerve, &qui font en polfeliion de porter les Arcs & les Sciences ù „ leurdernièreperfeftiou (î;)". Remarques de fon Tra- ducteur. {s) Préface d'Adam Olearius, qui eft à la lôtc de l'Edition. (t) Olearius dit qu'il lui en avoit appris Tufage. R. d. E. {v) Préface de Wicquefort fur fi Tra- duélion. Voyage de Bcm'icr au Royaume de Kachemlre. UN Médecin célèbre, un Philofophe au-defl^us du commun, un Obfer- vateur également attentif & judicieux , qui voyage dans le defiTein de s'inftruire & de fe rendre utile à l'inllruftion d'autrui , mérite fans dou- te un rang diflingué dans ce Recueil. C'ell à tous ces titres que les Re- marques de ijernier^ fur lEmpire Mogol , font eflimées fingulièrement. La curiofité de voir le Monde l'avoit déjà fait palier dans la Palefline & dans l'Egypte, où s'étant remis en chemin, du grand Caire ^ après s'y être arrêté plus d'un an , il fe rendit en trente-deux heures à Suez , pour s'y em- barquer fur uneCralére qui le fit arriver le dix-feptième jour kGedda, Port à une demie jouraéj de la Mecque. De-là, un petit Bâtiment l'ayant porté à Mocka, il fe propofoit de paffer à (Sonder^ Capitale de l'Ethiopie. Mais, effrayé du traitement qu'on y faifoit aux Catholiques, il s'embarqua fur un Vaiiîèau Indien, dans lequel il aborda heureufement au Port de Surate, en 1655. Le Monarque, qui occupoit alors le Trône des Mogols, étoit en- core Schah- Jehan, fils de Jehan -Guir, & petit fils d'Eckbar. Bernier fe rendit à la Cour d'//gra. Diverfes avantures, qu'il n'a pas jugé à propos de publier, l'engagèrent d'abord au fervice du Grand Mogol en qualité de Mé- decin. Eulliite, si" éi^i SLitdLché b. Danecbmend-Kan, le plus favant homme Z 2 de BEiiriEJt. ^655. Introduc- tion, jir> VOYAGES DANS LES fl E K N I E R. 1655. Dép"vt de !a Ccmi Mo-' gn\'i pour le ll()y:iume de Kacheiiiiie. 1663. Double Artillerie qui fuie le Grand Mogol. de r Afie , qui avoit été Bakchis , ou grand Maître de la Cavalerie , & qui é- toit alors un des principaux Seigneurs de l'Empire , il fut témoin des fan- glantes révolutions qui arrivèrent dans cette Cour, & qui mirent ^lureng. Zeb fur le Trône. Son premier Tome en contient l'Hifloire. Le fécond n'offre rien , non plus , qui appartienne au Recueil des Voyages. Mais , après avoir pafic près de neuf ans à la Cour, Bernier vit naître une occafion, qu'il deliroit depuis long-tems, de viiiter quelques Provinces de l'Empire, avec fes Maî- tres, c'ell-à-dirc, ù la fuite de l'Empereur, & de Dancchmend-Kan , dont l'eftimc & l'affection ne lui promettoient que de l'agrément dans cette en< treprife. Cette Relation, feule partie de fes Mémoires qui doive porter le nom de Voyage, compofc une partie du quatrième Tome. Le relie ne con- vient qu'à la Defcription générale de l'Indouilan {a). Aureng-Zeb confuitant moins la politique , qui ne lui permettoit giic- res de s'éloigner , tandis qu'il retenoit Schah- Jehan , fon Père , prifonnicr dans la Fortereffe d'Agra , que l'intérêt de fa fanté & le fentiment des INIt- dccins, prit la rcfolution de fe rendre à Lahor , & de Lahor à Kachemire ^ pour éviter les chaleurs exceffivcs de l'été. Il partit le 6 de Décembre 1 663 , à l'heure que fes Aftrologucs avoient choilie pour la plus heureufe. La même raifon l'obligea de s'arrêter à deux lieues de Dehli^ dans une de fes Maifons de campagne, nommée Chah-limar , où il paffa fix jours en- tiers à faire les préparatifs d'un Voyage qui devoit être d'un an & demi. 11 alla camper enfuite fur le chemin de Lahor, pour y attendre le relie de fes équipages. Il menoit avec lui trente-cinq mille hommes de Cavalerie, qu'il tenoit toujours près de fa perfonne, & dix mille hommes d'Infanterie, avec les deux Artilleries Impériales , la pefante ik la légère. Celle-ci fe nomme aiilii \ Artillerie de fEtrier, parcequ'elle eft inféparable de la perfonne de l'Empe- reur; au-lieu que la greffe s'en écarte quelquefois, pour fuivre les grands chemins & rouler plus facilement. La groffe efl compofée de foixante-di.x pièces de canon , la plupart de fonte , dont plufieurs font fi pefantes , qu'on employé vingt paires de bœufs à les tirer. On y joint des éléphans , qui aident les bœufs, en pouffant & tirant les roues des charettes avec leurs trompes & leurs têtes ; du moins, dans les paffages difficiles & dans les ru- des montagnes. Celle de l'Etrier confiile en cinquante ou foixante petites pièces de campagne toutes de bronze , montées chacune fur une petite cha- rette , ornée de peintures & de plufieurs petites banderolles rouges , & ti- rée par deux fort beaux chevaux conduits par le Canonnier , qui fert de Co- cher, avec un troifième cheval que l'Aide du Canonnier mène en main pour rclai. Toutes ces charettes vont toujours courant , pour fe trouver en or- dre devant la tente de fEmpereur, & pour tirer toutes à la fois au moment qu'il arrive (b). Un (a) L'Ouvrn;;e contient quatre Tomes en 1671 , à Paris, chez Claude Barhin. ' in 12; fous différens titres, les deux pre- (b) Mémoires de B-^rnier, Tuai.iV, pg. niiers publi'^s en 1670, & les deux autres 10 & préctidentes. ic , avec les ETATS DU GRAND MO GOL, Liv. III. i8r Un fi grand appareil faifoit appréhender qu'au-lieu de faire le Voyage de Kachcmirc, il ne fut réfolu d'aller faire le Siège de l'importante Ville de Candahar, qui étant frontière de la Perfe, de l'Indouibn & de l'Usbeck, Capitale d'ailleurs d'un très-riche & très-beau Pays, a fait de tous tcms le us ong-tems ion cicpart, luns s cApuiLi u ufiuL-urcr uop ;uiii upics i /iimée. Il fçavoit aulîi que fon Nabab, Danechmend - Kan j Tattendoit avec impa- tience. „ Ce Seigneur, dit-il, ne pouvoit non plus fe pafler de philofo- „ pher, tout l'après-midi, fur les Livres de Gaflendi & de Defcartes, fur „ le Globe, fur la Sphère, ou fur l'Anatomie, que de donner la matinée „ entière aux grandes affaires de l'Empire , en qualité de Secrétaire d'E- „ tat pour les affaires étrangères , & de grand Maître de la Cavale- „ rie (c) ". Bernier s'étoit fourni, pour le Voyage , de deux bons chevaux Tar- tares(^); d'un chameau de Perfe, des plus grands & des plus forts, d'un Chamelier & d'un Valet d'étable; d'un Cuifinier, & d'un autre Valet que l'ufage du Pays oblige de marcher devant le cheval de fon Maître , avec un flaccon d'eau à la main. Il n'avoit pas oublié les ullenciles néceffaires , tels qu'une tente de médiocre grandeur & un tapis de pied ; un petit lit de flinglcs , compofé de quatre cannes , très - fortes & très - légères , avec un coullin pour la tête; deux couvertures, dont l'une, pliée en quatre, fert de matelas; un Soufra^ ou nappe ronde de cuir, fur laquelle on mange; quelques ferviettes de toile peinte ; & trois petits facs de batterie de cuifi- ne ou de vaiffelle , qui s'arrangent dans un plus grand fac , comme ce grand fac fe met dans un biffac de fangle, qui contient toutes les provifions, le linge & les habits du Maître & des Valets. Il avoit fait aufli fa provifion d'excellent riz , dans la crainte de n'en pas toujours trouver d'auffi bon ; de quelques bifcuits doux , avec du fucre & de l'anis ; d'une poche de toile , avec fon petit crochet de fer, pour faire égouter & conferver du Days ^ ou du lait caillé; & de quantité de limons, avec du fucre, pour faire de la limonade; car le days & la limonade font les deux liqueurs qui fervent de rafraîchiltement aux Indiens. Toutes ces précautions font d'autant plus néceffaires dans ces Voyages, qu'on y campe & l'on y vit à laTartare, fans efpérance de trouver d'autres logemens que les tentes. Mais l'Auteur fe confoloit par l'idée qu'on devoit marcher au Nord, & qu'on partoit a- prés les pluyes, vraye iaifon pour voyager dans les Indes; fans compter que par la faveur de ïbn Nabab, il étoit iûr d'obtenir tous les jours un pain frais, & de l'eau du Gange, dont les Seigneurs de la Cour mènent pluficurs chameaux ciiargés. Ceux qui font réduits à manger du pain des Marchés, qui ell fort mal cuit, & à boire de l'eau telle qu'en en rencontre, mêlée de toutes fortes d'ordures que les hommes & les animaux y laiffent, font ex- pofcs à des maladies dangcreufes, qui produifent même une efpèce de vers dans les jambes. Ces vers y caufent d'abord une grande inllammation , ac- com- (c) Ibid. pag. iT. (rfj II y étoit obligé, à caufe de la paye de cent cinquante écus qu'il avoit par mois. Z3 B r R N I c R, 1663. Caraftùre de Dnncch- mund-Kum. Piéparatif* de l'Auteur. Ses provi- (ions. Mauvaifc qualité du pain & de l'eau. iZi VOYAGES DANS LES B E U N I E s. I 664. Double Camp, qui fe nomme Pei- che-Kanés. FftrrriP des Peiche-Kanés. Piemiire tente. compagnée de fièvre. Quoi4u'ils forcent grdinairement à la fin du Voya- ge, il s'en trouve uulfi qui demeurent plus d'un an dans la playe. L^ùj grolTeur eft celle d'une clianterellc de violon i de-forcc qu'on les prciiuiuk moins pour des vers que pour quelque nerf. On s'en délivre, comm t.n Afrique, en les roulant autour d'un petit morceau de bois, gros comme une épingle, & les tirant de jour en jour, avec beaucoup de précautions pour éviter de les rompre (<). Quoi Q.u'o N ne compte pas plus de quinze ou feize journées de Dehli a Lahor, c'ell-à dire, environ fix-vingt de nos lieues, l'Empereur employa près de deux mois à faire cette route. A la vérité, il s'écartoit fouvont du grand chemin, avec une partie de l'Armée, pour fe procurer plus faci- lement le plaifir de la chafTe, & pour la commodité de l'eau. Lorfque cc Prince efl en marche, il a toujours deux Camps, ou deux amas de tentes qui fe forment & fe lèvent alternativement, afin qu'en fortant de l'un, il en puifle trouver un autre qui foit prêt à le recevoir. De-là leur vient le nom de l'ciche-Kanés , qui lignifie Maijons qui précédent. Ces deux Peiche- Kanés font à-peuprès femblables. On employé, pour en porter un, plus de foixante éléphans , de deux cens chameaux , & de cent mulets , avec un pareil nombre d'hommes. Les éléphans portent les plus pefans far- deaux, tels qtie les grandes tentes, & leurs piliers, qui fe démontent ei; trois pièces. Les chameaux font pour les moindres tentes; & les mulets, pour le bagage & les cuilines. On donne aux Portefaix tous les meubles légers & délicats, qui font fujets à fe rompre, comme la porcelaine qui ferc à la table Impériale , les lits peints ik dorés , & les riches Kaigiais , dont on donnera bien-tôt la dcfcription. L'un de ces deux Peiche-Kanés n'ell pas plutôt arrivé au lieu marque pour le Camp , que le grand Maître des Lugis choilit quelque endroit convenable pour le quartier du Roi , en obfervant néanmoins, autant qu'il efl poflfible, la fymétrie & Tordre qui regarde tou- te r Armée. 11 fait tracer un quarré, dont chaque côté a plus de trois cens pas ordinaires de longueur. Cent Pioniers nettoyent cet efpace , l'appla- niflent, & font des divans de terre, c'efl-à-dire, des efpéces d'eftrades quarrées , fur lefquelles ils dreflent les tentes. Ils encourent le quarré gé- néral de Kanaîes^ ou de paravents, de fept ou huit pieds de hauteur, qu'ils affermiflent par des cordes attachées à des picquets, & par des perches qu'ils plantent en terre deux à deux, de dix en dix pas, une en dehors & l'autre en dedans, les inclinant l'une fur l'autre. Ces Kanates font d'une toile forte, doublée d'Indienne, ou de toile peinte en portages, avec un grand vafe de lîeurs. Au milieu d'un des côtés du quarré efl la porte oa l'entrée Royale, qui efl grande & majeflueufe. Les Indiennes dont elle cil compofée, & celles qui forment le dehors de cette face du quarré, font plus belles & plus riches que les autres. La première & la plus grande des tentes, qu'on dreffe dans cette encein- te, fe nomme Am-Kas. C'efl le lieu où l'Empereur & tous les Grands de l'Armée s'affemblent vers neuf heures du matin , du- moins lorfqu'on fait quelque féjour dans un Camp , ou en Campagne même j car c'efl un uiiige dont (e) Ihid. pag. 18 & précédentes. ETATS DU GRAND M OGOL, Liv. III. 183 dont les Empereurs Mogols fe liirpenfcnt rarement, de fe trouver àTaflem- bkv deux fois le jour comme dans leur Ville Capitale, pour régler les af- faires de l'Etat , & pour adininiflVer la Juftice. La féconde tente, qui n'ell guères inouïs grande que la première, mais qui e!l un peu plus avancée dans l'enceinte, s'appelle (inJel-Kuné (/), c'efl- ù-Jire, lieu pour le laver. C'ell-là que tous les Seigneurs s'alfemblent le foir, & viennent faluer l'Empereur comme dans la Capitale. Cette allem- b!éj du foir leurell très iiiC(jmmode; mais rien n'eft fi magnifique, pour les Spetlateurs , que de voir, dans une nuit obfcure, au milieu d'une campa- gne, entre toutes les tentes d'une Armée, de longues files de ilambeaux qui conduilent tous lesOmrahs au quartier Impérial, ou qui les ramènent à leurs tentes. Ces ilambeaux ne font pas de cire, comme les nôtres ; mais ils du- rent trés-longtems. C'ell un fer emmanché dans un bâton , au bout du- quel on entoure un vieux linge , que le MaJ'ukhi , ou le Porte-flam- beau , arrofe d'huile de tems en tems. 11 tient à la main , pour cet B R B V r F R, 1664. Seconde tente. ulage , un flaccon d'airain , ou de fer blanc , dont le col ell fort long & fort étroit. La troilî^'me tente, plus petite que les deux premières, & plus avancée encore dans 1 enclos, fe nomme h'alvet-Kané, c'eil-à-dire, lieu de retraite, ou falle du Confeil privé, parceqii on n'y admet que les principaux Olliciers de l'Empire, & qu on y traite les aflfaires de la plus haute importance. Plus loin font les tentes particulières de l'Empereur, entourées de petites Kana- tes de la hauteur d'un homme, & doublées d'Indiennes au pinceau, c'efl-à- dire, de ces belles Indiennes de Mafulipatan , qui reprefentent toutes fortes de fleurs; quelques-unes doublées de fatin à rieurs, avec de grandes fran- ges de foye. En fuite on trouve les tentes des Begums ^ ou des Princefles, & des autres Dames du Serrail, entourées aulfi de riches Kanates, entre lefquelles font didnbuées les tentes des femmes de fervice , dans l'ordre qui convient à leur office. L'A M - K A s , <î^ les cinq ou fix principales tentes , font fort élevées ; au- tant pour être vues de loin , que pour réflller mieux à la chaleur. Le de- hors n eft qu'une grolle ik forte toile rouge, embellie néanmoins de grandes bandes , taillées de dive'rfes formes aflez agréables à la vue; mais le dedans ell doublé des plus belles Indiennes, ou de quelque beau fatin, enrichi de broderies de foye, d'or & d'argent, avec de grandes franges. Les piliers qui loûtiennent ces tentes font peints & dorés. On n'y marche que fur de riches tapis, qui ont, par-deffous, des matelas de coton épais de trois ou quatre doigts , autour defquels on trouve de grands carreaux de brocard d'or pour s'appuyer. Dans chacune des deux grandes tentes où fe tient l'aflem- blee, on élève un théâtre fort riche, où I Empereur donne audience fous un grand dsis de velours ou de brocard. Chaque tente Impériale oftre fon dais. On y voit aufli des Karguais drefles; c'eft-à-dire, des cabinets dont les petites portes fe ferment avec un cadenas d'argent. Pour s'en former . une idée , Bernier veut qu'on le repréfente deux petits quarrés de nos pa- ra- (/) C'ert ce que Rhoe nomme Couzalkan. Chaque Nation rapporte ainfi les noms é- uangexs à fa prononciation. Troiilème tente. Tentes Ira* péiiales. Leurs or- nemens. Ce que cVit que le» Kur^juais. x84 VOYAGES DANS LES D'hors lie rcncfintclin- pcrialc. Dr.BNtnn. ravcnts, qu'on auroit pofcs l'un fur l'autre, & ([ul fcroicnt proprcmcni: at- 1 6Ô4. taclus l'un à l'aurru avec un lacet de foyc qui rùgncroit à l'entour; de-fortc néanmoins que les extrémités des cotés de celui d'enhaut s'inclinailcnt Ls unes fur les autres, pour former une crpéce de petit dôme ou de taberna- cle. La feule différence ell que tous les cotés des Karguais font d'ais cL lapin fort minces «Iv: fort légers, peinis tîi: dorés par le dehors , enrichis u l'entour de franges d'or ik de foye, 6i doublés d'écarlate, ou de fatin u lleurs, ou de brocard (g). Hors du grand quarré , s'offrent prcnièrcnicnt des deux côtés dj \i grande entrée ou de la porte Royale, deux jolies tentes, où l'on voit con- ilamment quelques chevaux d'élite, lellés, richement harnachés, d prct-^ à marcher au premier ordre. Des deux cotés de la même porte , font ran- gées les cinquante ou foixante petites pièces de campagne qui compofciu l'Artillerie de i'Etrier, «S: qui tirent toutes pour faluer l'Empereur lorfqu'll entre dans fa tente. Au-devant de la porte mcnif^, on lailfe toujours un efpace vuide, au fond duquel les tymbales & les trompettes font ralVemblc^s dans une grande tente qu'on appelle Nnirar-Ko.no. A p.u de diftance, on en voit une autre, c^ui le nomme Tchauky-Kaiw, oîi les Omrahs font la gar- de à leur tour, une lois chaque femaine, pendant vingt-quatre heures. Ce- pendant la plupart font drelfer , dans le même lieu , ci'.i^iqu'une de leurs propres tentes , pour fe donner un logement plus commode. Tentes des Autour des trois autres cotés du grand quarré, on volt toutes les tcn- Officiers. tes des Officiers, dans un ordre qui elt toujours le même, autant que la difpofition du lieu le permet. Elles ont leurs noms particuliers, qu'elles tirent de leurs diftcrciis ufages. L'une ell: pour les armes de l'Empereur; une autre, pour les plus riches harnois des chevaux; une autre , pour ki vefles de brocard , dont l'Empereur fait fes préfens, &c. On en dillingnc quatre, proches l'une de l'autre, dont la première ell pour les fruits, l.i féconde pour les confitures , la troifième po'u- l'eau du C range & pour le falpetre qui fert à la rafraîchir, & la quatrième pour le bétel. Ces (juatrc tentes font fuivies de quinze ou feize autres, qui compofent les cuifincs & leurs dépendances. D'un autre côté , font celles des Eimuqucs 6i à'va grand nombre d'Olficiers ; après lefquelles , on en trouve quatre ou ciiii longues, qui font pour les chevaux de main, & quantité d'autres pour l.s éléphans d'importance, avec toutes celles qui font comprifes fous le nom de la Vénerie: car on porte toujours , pour la cliaffe, une multitude d'oi- féaux de proye , de chiens , de léopards pour prendre des gazelles , de NUgaus, efpcce de bœufs gris que Bernier regarde comme une forte d'élans. On mène par oilentation , des lions, des rhinocéros, de grands bulles de Bengale , qui combattent le lion , & des gazelles apprivoifées , qu'on fait battre devant l'Empereur. Tous ces animaux ont leurs (rouverneurs & leurs retraites. On conçoit aifément que ce grand quartier, qui fe trou- . ve toujours au centre de l'Armée, doit former un des plus beaux fpectaclts du Monde. Camp gé- A u s s I - T ô T que le grand Maréchal des Logis a choifi le quartier de l'Ein- néral. p^. (g) Ibid, pag. 39 & précédentes. Attirail d'olteucacion. romcHL ai- '; de-lurtu nalTcnt Ls ic tabcrna- U d'uis cl. enrichis u clsi fucin u :6tcs clj la i voit con- , Ce pref, , font i\in- compolcnc ur lorfciu'il oûjours un ralTcmblces iflancc, on font la gar- icures. Ce- le de leurs itcs les ten- dant que la rs, qu'elles 'Empereur; , pour Il-3 ;n dillingiio fruits , 1.1 & pour le Ces (juatrc cuifmcs & les 6: d'i!'.! e ou cil]] pour Ls DUS le nom itude d'oi- izelles , de te d'élans, bulles de qu'on ouverneurs ui fe trou- fpcctaclts .erdefEm" pe- es es ETATS DU GRAND MO G OL, Liv. HT. ig.v pcrcur, & qu'il a fait drefllr l'Am-Kas, c'cft-à-dirc, la plus haute de tou- tes les tentes, fur laquelle il fe règle pour la difpofition du reftc de l'Armée, il marque les Hazars impériaux, dont le premier & le principal doit Ibrmer une grande rue droite oc un grand chemin libre , qui traverfe toute l'Armée , & toujours aufli droit qu'il cil polliblc vers le Camp du lendemain, 'l'ous les autres Hazars, qui ne font, ni 11 longs, ni fi larges, traverfcnt ordinai- rement le premier, les uns en-deça, les autres au-delà du quartier de l'Em- pereur ; & tous ces Bazars font marqués par de très-hautes cannes , qui fe plantent en terre, de trois en trois cens pas, avec des étendarts rouges & des queues de vaches du grand Tibet , qu'on prendroit , au fommet de ces cannes , pour autant de vieilles perruques. Le grand Maréchal règle en- fuite la place des Omrahs , qui gardent toujours le môme ordre, à peu de diftance , autour du quartier Impérial. Leurs quartiers , du moins ceux des principaux , ont beaucoup de reffemblance avec celui de l'Empereur; c'efl-à-dire , qu'ils ont ordinairement deux Peiche-Kanés , avec un quarré de Kanates , qui enferme leur principale tente & celles de leurs femmes. Cet efpace eft environné des tentes de leurs Officiers & de leur Cavalerie ; avec un JSazar particulier, qui compofe une rue de petites tentes, pour le Peu- ple qui fuit l'Armée, & qui entretient leur Camp de fourage, de grains, de riz, de beurre, & d'autres néceflltés. Ces petits Bazars épargnent, aux Officiers, l'embarras de recourir continuellement aux Bazars Impériaux, où tout fe trouve avec la même abondance que dans la Ville Capitale. Cha- que petit Bazar efl: marqué , comme les grands , par deux hautes cannes , plantées aux deux bouts , dont les étendarts fervent à la diflinélion des quar- tiers. Les grands Omrahs fe font un honneur d'avoir des tentes fort éle- vées. Cependant elles ne doivent pas l'être trop, s'ils ne vetilent s'expo- fcr à l'humiliation de les voir renverfcr par l'ordre de l'Empereur. Il faut, par la même raifon , que les dehors n'en foyent pas entièrement rouges , & qu'elles foyent tournées vers l'Am-Kas ou le quartier Impérial. L E relie de l'efpace , qui fe trouve entre le quartier de l'Empereur , ceux des Omrahs & les Bazars , efl occupé par les Manfebdars , ou les petits Omrahs; par une multitude de Marchands, qui fuivent l'Armée; par les gens d'affaires & de Juftice; enfin par tous les Officiers, fupérieurs ou fu- balternes , qui appartiennent à l'Artillerie. Quoique cette defcription don- ne l'idée d'un prodigieux nombre de tentes , qui demandent par conféquent une vafl:e étendue de Pays , Bernier fe figure qu'un Camp formé à l'aife , c'ert-ù-dire, dans quelque belle campagne, où fuivant le plan ordinaire, fa forme feroit à-peu-près ronde, comme il le vit plufieurs fois dans cette rou- te, n'auroitpas plus de deux lieues, ou deux lieues & demie de circuit; encore s'y trouveroit-il divers endroits vuides. Mais il faut obferver que la grofle Artillerie, qui occupe un grand efpace , précède fouvent d'un jour ou deux (h). Quoique les étendarts de chaque quartier, qui fe voyent de fort loin & qu'on difl:ingue facilement, fervent de guides à ceux pour qui cet ordre tlt familier , l'Auteur fait une peinture fmguliére de h confufion qui règne dans (o) Pag. 53 & précédentes^ XIII. Part. A a BERNrCR. 1664. Hazars Im-. pcriaux. Quartieri des Oinrahi. Bazars par- tlculicis. . Efpace qu5 renferme un Camp. Peinture de fes embarras. m VOYAGES DANS LES DpR NIER, I J64. Précautions contre les Voleurs, dans le Camp. „ 'J'outcs ces marques, dit -il, n'empLchcnt pas qu'on ne le Lroiivc quelquetois irès-embarralle , même en plein jour, mais fur- toutlemaun, lorlque tout le monde arrive, Ck que cliaeun ehcrelie à Ib plaejr. il s'eleve Ibuvent une li grande poulîiere , qu'on ne peut décoii- vrir le quartier de l'iilmpcreur, les ciendarcs des Bazars , & les tentes des Omralis, fur lelquelles on ell aecouLume à le régler. On fe trouve pris entre les tentes qu on drelle, ou enire les cordes que les moindres Omrahs, qui nont pas de l'eictieKaué, & les Manlebdars tendent pour marquer leurs logemcns , tic pour empjciier ijuil ne le fair.- un chemin près d'eux, ou que des inconnus ne viennent le placer pr elle de leurs tentes, dans lelquelles il"» ont quelquefois leurs femmes. Si l'on clicrclie un pallage, on le trouve ferme de ces cordes tendues, qu'un tas de Va« leLS armes de gros bâtons refulent d'abailîer. Si l'on V-ut retourner fur Tes pas, le ciiemin par lequel on elt venu ell déjà l)ouciié. C'ell-là qu'il faut crier, faire entendre l'es priè'res ou Tes injures, feindre de vouloir donner des coups Ôc s'en bien garuef , laill er aux Vak-ts le foin de que» relier enlemble Ck. prendre celui de les accorder; enfui le donner toiircs les peines imaginables pour fe Lirer d embarras tic pour faire pallc-r les cha- meaux. Mais la plus infurmontable de toutes les diiiicultes ell pou/ al- ler le foir dans quelque endroit un peu éloigné , parceciue les puan.es fii- mees du bois verd Ck. de la tiente des animaux , dont le Peuple le llrt pour la cuiline, forment un brouillard li épais qu'on ne dillingue rien, fe m'y fuis trouvé pris trois ou quatre fois, julqu à ne fyavoir que devenir. En vain demandois je le chemin. Je ne pouvois le continuer dix pas de fuite, & je ne faifois que tourner. Une fois particulièrement, je me vis contraint d'attendr'^ que la Lune fût levée pour m'cclairer. Une au- tre fois je fus obligé de gagner \'Jg:ucy-dic'y de me coucher au pied, ^ d'v pafler la nuit, mon cueval vlv: mon Valet près de moi. L'Aguacv- die (') efl un grand mat fort menu, qu'on plante vers le quartier de fEmpereur, proclie de la tente Nagar-Kané où font les Muticiens, & fur lequel on élève le foir une lanterne, qui demeure allumée toute k nuit: invention fort commode, parcequ'on la voit de loin, & que fe rendant au pied du mat lorfqu'on eil égaré, on peut reprendre de-là les Bazars & demander le chemin. On ell libre atilïi d'y palier la nuit, fans y appréhender les Voleurs (k) ". Pour arrêter les vols, chaque Omrahdoit faire garder fon Camp parti- culier, pendant toute la nuit , par des gens armés qui en font continuelle- ment le tour, en criant Kubar-da>\ c'eil-à-dire , qu'on prenne garde à foi. D'ailleurs, on pofe autour de l'Armée, de cinq en cinq cens pas, des gar- des régulières, qui entretiennent du feu, ik qui font entendre le meane cri. LeKutual, dont 1 office eil celui de nos grands Prévôts, envoyé pendant toute la nuit, dans l'intérieur du Camp, des Troupes dont il ell le Chef, qui parcourent les Bazars en criant ^ fonnant de la trompette: ce qui n'em* Décile uas qu'il n'arrive toujours quelque defordre. 3> »> 11 »> »> il >» »» »> )> J> >» »ï »> »> >» >» ») ï» »» >> »> »» » »> »> »» pecUe pas qu L'Em- (t) C'S deux mots fignifîpnt Lumière du comme une étoile. Citl, parceque la lanterne paroît de loin ^ï) Pag. 58 & précédente»» ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. IIÎ. 187 '/Empereur Auront; -Zcb le tuifoit porter, dans la marche, fur les dpaulc.s de huit hommes,' dans un Tad-ravin, (|ui ell une elpece de 'l'ronc ou il eroit allis. Cette voiture, que Mernier appelle un 'l'ruiie de cainpa- ene,e(l un magnifique tabernacle peuit vlic dore , qui le lerme avec des vitres. Les c|ti:itre branches du brancard ctoi^nt couvertes d'ecaiiate, avec de gran dis hang.s d'or *^ de foye; »ii«; chaque branche ctoit loutenue par deux I\)r- tcurs '.ichement vêtus, que d'autres lliivoient pour l.s lelayer. Aureng- Zeb monioit quelquefois à cheval, lur-toui iorique le jour etoit favorable pour la challe. Il montoit quelquefois aulU fur un éléphant, en Mickdcm- ber ou en Hauze. C'ell la monture la plus lliperbe ik. la plus éclatante; car l'éléphant impérial ell toCijours couvert d'un inagnilique harnois. Le Mick- dember etl une petite tour de bois quarrée, dont la peinture ik la dorure font tout l'ornement. Le llauze ell un liège ovale, avec un dais à pi- liers (/). Dansées diverles marches, i'Kinpereur étoit toujours acc'jinpa- "•né d'un grand nombre de Rajas 6l d'Uinraiis, qui le fuivoient immédiate- ment à cheval, mais en gros Ck fans beaucoup d'ordre. Cette mainére de faire leur cour parut fort gênante à liernier, particulièrement les jours de challe, où ils etoient expolès, comme de limples Soldats, aux incommo- ditcs du Soleil & de la poullière. Ceux qui pouvoient fe dilpenfer de liii- vre l'Empereur étoient fort à leur aile, dans des Palekis bien fermés, où ils pouvoient dormir comme dans un ht. Ils arrivoient de bonne heure à leurs tentes, qui les attendoicnt avec toutes ibncu de coininodités. AuTouu des Omrahs du cortège, «L même entr'eux, on voyoit tou- jours quantité de Cavaliers bien montes , qui portoient une efpèce de maj- fiie, ou de malle d armes d argent. On en voyoit aulii fur les ailes, qui précédoient la perfonne de l'Empereur, avec plulieurs Valets de pied. Ces Cavaliers, qui le nomment Goui ze- bénins , l'ont des gens choilis , pour la taille (ic !a bonne mine, dont l'olhce ell de porter les ordres, 61: de faire é- carter le Peuple. Après les Rajas, on voyuit marelicr, avec un mélange de timbales ôc de trompettes , ce qu'on nomme le Luurs. C'efl un grand nombre de figures d argent, qui reprélènteiu des animaux étranges, des mains, des balances, des poilions, & d autres objets myllerieux qu on porte fur le bout de certains grands bâtons d'argent. Le Cours étoit fuivi d'un gros de Manlebdars, ou de petits Omratis , beaucoup plus nombreux que celui des O.nrahs {m). [L'Empereur entre dani le Camp tantôt d'un côté, tantôt d^ l'autre; tSi l'ulage veut que tous les Omrahs près defquels il palle , aillent à fa rencontre iSi lui falfent qtielques préfens proportionnés à leur état ou à II ur paye. ] Les Princcircs iic les principales Dames du Serrail fe faifoient porter auin dans difteren'i» fortes de voitures; les unes, comme lEmpereur, fur les épaules de plulieurs hommes , dans un 2\hau-doule^ qui elT: une efpèce de Taèl-ravan peint & dore , couvert d'un magnifique rets de foye de diver- fes couleurs, enrichi de broderie, de franges, & de grofl'es houpes pendan- tes; les autres, dans des Palekis de la même richefle; quelques-unes dans de grandes Ck larges litières, portées par deux puiflans chameaux, ou par deux (0 P^g' 61. (m ) /iiV. pag. 65, . Aa z n R R N I B R. I 6 f) 4. C'Minia'nt Il GtiMil Mo- Kol \\ taii'uit porter. I.f Mick- il( nihtr (5t le lluuzc. CortÔRC lnipi!rial. Marche (fci Princeffis & des autres Daines. x88 VOYAGES DANS LES Bebitier. deux petits cléphans, au -lieu de mules. Bernier vit marcher ainfi jRar/f/;?. i66^. nara Begum. 11 remarqua, un jour, fur le devant de fa litière, qui étoit ouvert, une petite Efclave bien vêtue, qui éloignoit d'elle les mouches (Se la poulTière , avec une queue de paon qu'elle tenoit à la main. D'autres , fe font porter fur le dos des éléphans , richement équipés , avec des cou. vertures en broderie & de grolTes fonnettes d'argent. Elles y font commo élevées en l'air, aflifes quatre à quatre dans des Mickdembers à treillis, qui font toujours couverts d'un rets de foye, & qui n'ont pas moins d'éclat que les Tchau-doules & les Ta6t-ravans. Bernier parle, avec admiration, de cette pompeufe marche du Ser- rail. Dans ce Voyage , il prit quelquefois plaifir à voir Rauchenara Begum marcher la première., montée fur un grand éléphant du Pegu, dans un Mickdember éclatant d'or & d'azur, fuivie de cinq ou fix autres éléphans , avec des Mickdembers prefqu'aufli riches que le fien , pleins des principa- les femmes de fa Maifon ; quelques Eunuques , fuperbement vêtus , & mon- tés fur des chevaux de grand prix , marchant à fes côtés la canne à la main; une troupe de Servantes Tartares & Kachemirienncs autour d'elle, parées bifarrement & montées fur de belles hacquenées ; enfin plufieurs autres Eu- nuques à cheval, accompagnés d'un grand nombre de Valets de pied , qui portoient de grands bâtons pour écarter les Curieux. Après la Princeife Rauchenara, on voyoit paroître une des principales Dames de la Cour, dans un équipage proportionné à fou rang. Celle-ci ctoit fuivie de plufieurs au- tres, jufqu'à quinze ou feize, toutes montées avec plus ou moins de ma- gnificence , fuivant leur ofiice & leurs appointemens. Cette longue file d'é- léphans , dont le nombre étoit quelquefois de foixante , qui marchoient à pas comptés , avec tout ce cortège & ces pompeux ornemens , avoit quel- que chofe de fi noble & de fi relevé, que fi Bernier n'eût appelle fa philo- fophie aiifecours; il feroit tombé, dit -il, „ dans l'extravagante opinion ,y de la plupart des Poètes Indiens, qui veulent que tous ces éléphans por- „ tent autant de DéeflTes cachées (m). Il ajoute qu'efFe6livement elles font „ prefqu'inacceffibles aux yeux des hommes , & que le plus grand malheur „ d'un Cavalier , quel qu'il puifle être, feroit de fe trouver trop prés d'el- „ les". Cette infolente canaille d'Eunuques & de Valets ne cherche que l'occafion, & quelque prétexte, pour exercer leurs cannes. „ Je me fou- viens, ajoute Bernier, d'y avoir été malheureufement furpris ; & je n'au- rois pas évité les plus mauvais traitemens , fi je ne m'étois déterminé à m'ouvrir un pafl!age , l'épée à la main , plutôt que de me laifler efiro- pier par ces Miférables , comme ils commençoient à s'y difpofer. Mon cheval, qui étoit excellent, me tira de la prefTe , &je le poufllii enfuite au travers d'un torrent, que je paflai avec le même bonheur. Aulîi les Mogols difent-ils , comme en proverbe, qu'il faut fe garder fur -tout de trois chofes; la première, de s'engager entre les troupes des chevaux d'é- lite, qu'on mène en main, parcequeles coups de pied n'y manquent pas; la féconde , de fe trouver dans les lieux où l'Empereur s'exerce à la chaf- fe; ôr la troifîème, d'approcher trop des femmes du Serrail (o)". A (n) Ibid. pag. 71 & précédentes. (0) Pag. 73 & précédentes. »> j> j» j» »> )) »> j> » Infi Rauch. , qui ctok nouches (Se . D'autres :c des cou. Dnt comme 5 à treillis, .oins d'éclat :hc du Scr- nara Begum Li, dans un s éléphans, ;s principa- LIS , & mon- e à la main; ille, parées ! autres Eu- pied, qui la Princeirc Cour, dans îlufieurs au- )ins de ma- gue file d'é- larchoient à avoit quel- lé fa phi lo- ue opinion jhans por- tit elles font nd malheur près d'el- herche que Je me fou- & je n'au- éterminé à lifler eflro- er. Mon fai en lu [ce Aulîi ks ur-tout de evaux d'é- quent pas ; à la chaf- J. t'.^yMci/ Jinxr RjLUCHElsrARA B ECU. Ai B E Q UM S A H E B ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 18^ A l'égard des chafles du Grand Mogol, l'Auteur avoit eu peîne à s'ima- giner, comme il l'avoit fouvent entendu, que ce Monarque prit cet amufe- ment à la tête de cent mille hommes. Mais il comprit, dans fa route, qu'il en auroit pu mener deux cens mille. Aux environs d'Agra & de Dehli , le long du Fleuve de Gemené jufqu'aux montagnes , & des deux côtés du che- min qui conduit à Lahor, on rencontre quantité de terres incultes, les unes en bois taillis , les autres remplies de grandes herbes, de la hauteur d'un homme. Tous ces Ueux ont des Gardes , qui ne permettent la chafle à perfonne , excepté celle des lièvres & des cailles , que les Indiens fçavent prendre aux filets. Il s'y trouve, par conféquent , une très -grande abon- dance de toutes fortes de gibier. Le grand Maître des chafles, qui fuit toujours l'Empereur, eft averti des endroits qui en contiennent le plus. On les borde de Gardes , dans une étendue de quatre ou cinq lieues de Pays ; & l'Empereur entre dans ces enceintes , avec le nombre de ChalTeurs qu'il veut avoir à fa fuite, tandis que l'Armée pafle tranquillement , fans pren- dre aucune part à fes plaifirs (p). Dernier fut témoin d'une chafle curieufe, qui efl: celle des gazelles, avec des léopards apprivoifés. Il fe trouve, dans les Indes, quantité de ces animaux, qui reffemblent beaucoup à nos fans. Ils vont ordinairement par troupes , féparées les unes des autres ; & chaque troupe , qui n'efl: ja- mais de plus de cinq ou fix, efl: fuivie d'un mâle feul, qu'on difl;ingue à fa couleur. Lorfqu'on a découvert une troupe, de gazelles , on tâche de les faire appercevoir au léopard , qu'on tient enchaîné fur une petite charrette. Cet animal rufé ne fe livre pas d'abord à l'ardeur de les pourfuivre. Il tour- ne , il fe cache , il fe courbe , pour en approcher , & pour les furprendre. Comme fa légèreté efl: incroyable à fauter, il s'élance defl!us, lorfqu'il efl: à portée , il les étrangle , & fe rafl'afie de leur fang. S'il manque fon coup , ce qui arrive afliez fouvent, il ne fait plus aucun mouvement pour recom- mencer la chaflTe ; & Bernier croit qu'il prendroit une peine inutile , par- ceque les gazelles courent plus vite «Se plus longtems que lui. Le Maître, ou le Gouverneur , s'approche doucement de lui, le flatte, lui jette des morceaux de chair; & faififlant un moment pour lui jetter ce que l'Auteur nomme des lunettes, qui lui couvrent les yeux, il l'enchaîne & le remet, fur fa charrette. La chaflb des Nil-gaux parut moins curieufe à Bernier. On enferme ces animaux dans de grands filets , qu'on reflerre peu à peu, & lorfqu'ils font réduits dans une petite enceinte, l'Empereur & les Omrahs entrent avec les Chafleurs, & les tuent fans peine & fans danger , à coups de flè- ches, de demi-picques , de fabres & de moufquetons ; & quelquefois en fi grand nombre , que l'Empereur en diftribue des quartiers à tous les Omrahs. La chafle des grues a quelque chofe de plus amufant. Il y a du plaifir k leur voir employer toutes leurs forces , pour fe défendre en l'air contre les oifeaux de proye. Elles en tuent quelqu^ifois : mais , comme elles manquent d adreflTc pour fe tourner, plufieurs bons oifeaux en triomphent, a la fin. BCBNIER. I 664, Chafles que l'Auteur vit faire en che- min. Chane deS' gazelles avec; le léopard. ChafTe dès- Nil-gaux & des grues*. Ci>) P^S. 75. De A a 3 ipo VOYAGES DANS LES B EUNIER. I 664. ChafTc du lion. Troubles à l'occafion de cette chafTe. La mort d'un lion s'é- crit dins les Archives. Embarras su paflage des Rivières. D E toutes ces chiiflls , Dernier trom-a celle du lion la plus curleufe & la plus noble. Elle eft rélervée à l'Empereur, & aux Princees de fon fang. Lorfque ce Monarque ell en campagne , li les Gardes des chalTes décou- vrent la retraite d'un lion , ils attachent, dans quelque lieu voifin, un une que le lion ne manque pas de venu- dt'vorer; après quoi, fans chercher d'au! tre proye, il va boire, &'revienc dormir dans fon gîte ordmaire, jurqu'au lendemain, qu'on lui fait trouvi.r un autre une , attaché comme le jour pré- cèdent. On l'apalle ainfi pendant plufieurs jours. Enfin, lorfque Sa Ma- jeflié s'approche, on attache au même endroit, un âne , à qui l'on a fait avaller quantité d'opium , afin que la chair puilïe alFoupir le lion. Les Gar- des, avec tous les Payfans des Villages voifms , tendent de vaftes filets, qu'ils reflerrent par degrés. L'Empereur , monté fur un éléphant bardé de fer, accompagné du grand Maître des challes, de quelques Omrahs montes auffi fur des éléphans, d'un grand nombre de Guurze-berdars à cheval , (ifc de plufieurs Gardes des chalîés armés de demi-picques , s'approche du de- hors des filets, &. tire le lion. Ce fier animal, qui fe fent biefl'é, ne man- que pas d'aller droit à félephant; mais il rencontre les filets qui l'arrêtent; ai. l'Empereur le tire tant de fois, qu'à la fin il le tue. Cependant Bernier en vit un , dans la dernière chafie, qui fauta par-deflus les filets , & qui fe jetta vers un Cavalier , dont il tua le cheval. Les ChaiTeurs n'eurent pas peu de ^eine à le faire rentrer dans les filets (q). Cette chaflé jetta toute l'Armée dans un terrible embarras. Bernier raconte qu'on fut trois ou quatre jours à fe dégager des torrens qui defcen- dent des montagnes , entre des bois & de grandes herbes où les tliameaux ne paroilfoient prefque point. „ Heureux, dit -il, 'eux qui avoient fait quelques provifions , car tout étoit en defordre. Les Bazars n'avoient pu s'établir. Les Villages étoient éloignés. Une raifon fingulière arrecoit l'Armée: c'étoit la crainte que le lion ne fût échappé aux armes de l'Em- pereur. Comme c'ell un heureux ai'gure qu'il tue un lion, c'en eft un très-mauvais qu'il le manque. On croiroit l'Etat en danger. Aufli le fuccès de cette challe eit-il accompagné de plufieurs grandes cérémo- nies. On apporte le lion more, devant l'Empereur, dans l'aflemblee générale des Omrahs. On l'examine. On le melure. On écrit, dans les Archives de l'Empire, que tel jour , tel Empereur tua un lion de tel- le grandeur & de tel poil. On n'oublie pas la mefure de les dents & de ,, les grilfes, ni les moindres circonftances d'un fi grand événement". A l'égard de l'opium qu'on fait manger à l'àne , l'Auteur ajoute qu'avant con- fulté là-defliis un des premiers Chalfeurs , il apprit de lui que c'étoit une fa- ble populaire, & qu'un lion bieri rallafié n'a pas befoin de fecours pour s'en- dormir (r). Outre l'embarras des chafiTes , la marche étoit quelquefois retardée par le paflage des grandes Rivières , qui font ordinairement fans ponts. On é- toit obligé de faire deux ponts de Bateaux, éloignés de deux ou trois cens pas l'un de l'autre. Les Mogols ont fart de les lier & de les affermir. Ils les couvrent d'un mélange de terre & de paille , qui empêche les animaux de (3) Pag. 8s & précédentes, (r) Pag. 87. »> î> )> >> >> j» jj S) &'ê^ rurîeufe & la le Ton jang. laffes dccuu- fin, un àne, tiercherd'au. ire, jufqu'au e le jour prc- •fque Sa Ma- ui l'on a fait n. Les Gar- vaftes filets , lant bardé de nrahs montes L cheval , & roche du de- fle, ne man- ni l'arrêtent; idanc Bernier ;ts , & qui fe n'eurent pas ras. Bernier [îs qui defccn* les tiiameaiix i avoient fait 5 n'a voient pu ilière arretoit mes de l'Em* c'en ell un er. Aufli le des cérénio- s l'aflemblee écrit, dans m lion de tel- s dents & de nement". A u'a^anc con- étoit une fa- urs pour s'en- retardée par onts. On é- 3U trois cens ifFermir. Us les animaux de '¥: EtATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 191 de elifTer. Le péril n'efl: qu'à l'entrée & à la fortie, parce qu'outre la pref- fe ik lu confuiion, il s'y fait fouvenc des folles où les chevaux & les bœufs tombent les uns fur les autres, avec un defordre incroyable. L'Em- pereur ne campa alors qu'à une demie lieue du pont, & s'arrêta un jour ou deux, pour lalifer à l'Armée le tems de palFer plus à l'aile (s). Il n'étoit pas aifé de juger de combien d'hommes elle écoit compofée. Bernier croir , en général, que foit gens de guerre ou de la fuite, il n'y avoit pas moins de cent mille Cavaliers; qu'il y avoit plus de cent cinquante mille chevaux, mules ou éléphans ; près de cinquante mille chameaux ; & prefqu'autant de bœufs & de bidets, qui fervent a porter les provilions des liazars, avec les femme? & les enfans; car les Mogols ont confervé l'ulkge lariare de traî- ner tout avec eux. Si l'on. 5^ joint le compte des gens de lervjce, dans un Pays où rien ne fe fait qu à Force de Valets, & où l'Auteur même , qui ne tenoit rang que de Cavalier à deux chevaux , avoit trois Domelliques à Tes gages, on fera porté à croire que l'Année ne contenoit pas moins de tr as à quatre cens mille perfonnes. Il faudroit les avoir comptés, dit Bernier; mais après avoir afliiré que le nombre etoit prodigieux cs" pi ejljii' ncroyable , il ajoute, pour diminuer ré.onnement , que c'étoit la Ville de DehU entiè- re, parceque tous les llabitans de cette Capitale, ne vivant que de la Cour & de I Armée, feroient expoles à mourir de faim, s'ils ne lùivoient pas J'Empereur, fur-tout dans Tes longs Voyages (i) Si l'on demande comment une Armée 11 nombreufe peut fubfifler, Ber- nier répond que les Indiens font fort lobres, & que de cette multitude de Cavaliers , il ne faut pas compter plus de la vingtième partie , qui mange de la viande pendant la marche. Le Kichery , qui efl un mélange de riz Ck. de légumes, fur lefquels on verfe du beurre roux après les avoir fait cuire, eil la nourriture ordinaire des Mogols. A 1 égard des animaux , on fyaic que les chameaux réfillent au travail, à la faim, à la fjif; qu'ils vivenc de peu., & qu'ils mangent de tout. Aulii-côt qu'une Armée arrive, on les mè- ne brouter dans les champs, où ils fe nourriUlnL de tout ce qu'ils peuvent trouver. D'ailleurs les mêmes Marctiands , qui entretiennent les Bazars à Dehly, font obligés de les entretenir en campagne. Enfin la plus balle partie du Peuple rode ians celle dans les Villages voifins du Camp, pour a.- cheter du fourage, lur lequel il trouve quelque cnole à gagner. Les plus pauvres râpent, avec une efpèce de truelle, les campagnes entières, pour enlever les petites herbes, qu'ils lavent foigneufement , ai. qu'ils vendenc quelquefois allez cher (-y). Bernier s'excule de n'avoir pas marqué les Villes & les Bourgades, qui font encre Dehli & Lahor. Il n'en vie prefque point. 11 marchoi pref- que toujours au travers des champs, & pendant la nuit. Comme ("on Joge- men' n'étoit pas au milieu de l'Armée, où' le grand chemin paiîe fouvenc, mais fort avant dans l'aîle droite, il lùivoit la vue des étoiles pour s'y ren- dre; au hazard de fe trouver quelquefois très ■ emba/ralTé , & de faire cinq ou fix lieues , quoique la diilance d'un Camp à l'autre ne foit ordinai- re- (0 Pag, 8». (0 Pag. gi. (v) Pag. 94. Brknieiu 1664. Dénombre, ment du l'Ar- mée & de la fuite. Comment elle l'ubûlle. I I 192 VOYAGES DANS LES Dernier. 1664. Obfcrva- lions de l'Au- teur û Lahor. Route de I.ahor iUem- hcr. Son excef- five chaleur, & foufFrances île Bcrnier. rement que de trois ou quatre. Mais l'arrivée du jour fînifToit Ton em- barras (.v). En arrivant à Lahor, il apprit que le Pays dont cette Ville efl: la Capita- le, fc nomme Penje-ab , c'eft-à-dire. Pays des cinq eaux , parce qu'clTcétive' ment il ell arrofé par cinq Rivières confidcrables , qui deiccndant des gran- des montagnes dont le Royaume de Kachemireeft environné, vont fejoin- dre à l'Indiis, & fe jetter avec lui dans l'Océan vers l'entrée du Golfe Perfi. que. Quelques-uns prétendent que Lahor eil l'ancienne Bticephale^ bâtie, par Alexandre le Grand , à l'honneur d'un cheval qu'il aimoit. Les Mogols connoiflent ce Conquérant, fous le nom de Sekander Filifous^ qui fignific Alexandre fils de Philippe, mais ils ignorent le nom de fon cheval. La VU- le efl bâtie fur une des cinq Rivières, qui n'eft pas moins grande que la Loire , & pour laquelle on auroit befoin d'une levée , parceque dans fes de- bordemens elle change fouvent de lit. Depuis quelques années , elle s'étoii: retirée d'un grand quart de lieue. Les maifons de Lahor font beaucoup plus hautes que celles de Dehii & d'Agra ; mais , dans l'abfence de la Cour, qui n'avoit pas fait ce Voyage depuis plus de vingt ans , la plupart étoient tombées en ruines. Il ne reftoit que cinq ou fix rues confidérables , dont deux ou trois avoient plus d'une grande lieue de longueur , & dans ief- quelles on voyoit aulTi quantité d'édifices renverfés. Le Palais Impérial n'étoit plus fur le bord de la Rivière , parcequ'elle s'étoit retirée : mais Bernier le trouva magnifique, quoique fort inférieur à ceux d'Agra & de DehUCy). L'Empereur s'y arrêta plus de deux mois, pour attendre la fonte des nèges , qui bouchoient le palTage des montagnes. On exhorta Bernier à fe fournir d'une petite tente Kachemirienne. La fienne étoit grande & pe- faute; & les chameaux ne pouvant pafl^er les montagnes, il auroit été obli- gé de la faire porter par des Crocheteurs, avec beaucoup d'embarras & de dépenfe. Il fe liattoit qu'après avoir furmonté les chaleurs de Mocka & de Bab-el-mandel , il feroit capable de braver celles du relie de la Terre. Mais ce n'efl pas fans raifon, comme il l'apprit bien-tôt par expérience, que les Indiens mêmes appréhendent onze ou douze jours de marche, qu'on comp- te de Lahor à Beinber^ c'eft-à-dire, jufqu'à l'entrée des montagnes de K;i- chemire- Cet excès de chaleur vient , dit-il , de la fituation de ces hautes montagnes, qui, fe trouvant au Nord de la route, arrêtent les vents frais, réflechilTent les rayons du Soleil fur les Voyageurs, & laiflent dans la Cam- pagne une ardeur brûlante. En raifonnant fur la caufe du mal, ii s'ccrioit, dès le quatrième jour de marche ; „ Que me fert de philofopher , d de „ chercher des raifons de ce qui me tuera peut-être demain (s) ". Le cinquième jour, il palTa un des grands Fleuves de l'Inde, qui fe nom- me le Tchenaii. L'eau en eft fi bonne, que les Omrahs en font charger leurs chameaux , au-lieu de celle du Gange , dont ils boivent jufqu'à ce lieu. Mais elle n'eut pas le pouvoir de garantir Bernier des incommodités de la route. Il en fait une peinture effrayante. Le Soleil étoit infuppor table, dès {x) Pag. 9:, (y) Pag- 150 & prticédentes. (2) Tag. 104. !-1 Ville (Je lîember, â l'tntr(!'C des moncngnes. Prdcnutîons de l'Empe- reur pour les palT^r. ETATS DU GRAND M OG ÔL, Liv. III. 193 liés le premier moment de fon lever. On n'appercevoit point un nuage. DEn.f ter. On ne fcntoit point un fouffle de vent. Les chevaux, qui n'avoicnt pas vu 1664. d'herbe verte , depuis Lalior, pouvoient à peine fe traîner. Les Indiens, avec icur peau noire, feche&durc, manquoient de force & d'haleine. On en trouvoit de morts en chemin. Le vifage de l'Auteur, Tes mains , & fes pieds étoient pelés. Tout fon corps étoit couvert de petites puftules rou- ges, qui le picquoient comme des aiguilles. Il doutoit , le dixième jour de la marche , s'il feroit vivant le foir. Toute fon efpérance étoit dans u!i peu de luit caillé fec , qu'il délayoit dans l'eau avec un peu de fu- cre ; & quatre ou cinq limons , qui lui refloient pour faire de la limona- - Il arriva néanmoins, la miit du douzième jour, au pied d'une montagne efcarpée, noire & brûlante, où Bember efl: fituée. Le Camp fut aflis dans un large efpace de cailloux & de fable. C'étoit une vraye fournaife: mais une pluye d'orage, qui tomba le matin , eut la force de rafraîchir l'air. L'Empereur, n'ayant pu prévoir ce foulagement , étoit parti, pendant la nuit, avec une partie des Dames & de fes principaux Officiers. Dans la crainte d'affamer le petit Royaume de Kachemire , il n'avoit voulu mener avec lui que fes principales femmes & les meilleures amies de Rauchenara Bcgum, avec auflî peu d'Omrahs & de Milice qu'il étoit poflîble. Les Om- rahs , qui eurent la permiffion de le fuivre , ne prirent que le quart de leurs Cavaliers. Le nombre des éléphans fut borné. Ces animaux , quoiqu'ex- trêmement lourds , ont le pied ferme. Ils marchent , comme à tâtons , dans les paffages dangereux, & s'affurent toujours d'un pied, avant que de remuer l'autre. On mena auflî quelques mules : mais on fut obligé de "^ fupprimer tous les chameaux , dont le fecours auroit été le plus nécelîaire. Leurs jambes, longues & roides, ne peuvent fe foûtenir dans l'embarras des montagnes. On fut obligé d'y fuppléer par un grand nombre de Porte- faix , que les Gouverneurs & les Kajas d'alentour avoient pris foin de raf- lembler ; & l'Ordonnance Impériale leur afllgnoit à chacun dix écus , pour cent livres pefant. On en comptoit plus de trente mille; quoiqu'il y eût déjà plus d'un mois que l'Empereur & les Omrahs s'étoient fait précéder par une partie du bagage & des Marchands. Les Seigneurs, nommés pour le Voyage, avoient ordre de partir chacun à leur tour, comme le feul moyen • : . d'éviter la confufion , pendant cinq jours de cette dangereufe marche ; & tout le relie de la Cour, avec l'Artillerie & la plus grande partie dès Trou- pes, dcvoit paffcr trois ou quatre mois comme en garde, dans le Camp de ' Bember, jullju'au retour du Monarque, qui fe propofoit d'attendre la fin des chaleurs {h). Le rang de Danechmend - Kan étant marqué pour la nuit fuivante, Ber- PafTrge de nier partit à fa fuite. Il n'eut pas plutôt monté ce qu'il nomme l'affreufe dernier, muraille du Monde (r), c'eft-à-dire, une haute montagne , noire & pelée, qu'en defcendant fur l'autre face, il fentit un air plus frais & plus tempéré. Mais (a) Pag. 113. (6) Pag. 122 & précédente». XIIL Pan. (c) Parceqa'll regarde Kachemire com- me UD Paradis terref^re. B b 194 VOYAGES DANS LES 1664. Admirable changement d'un Pays à l'aMCre. Plantes Eu- ropéennes. Générations & corrup' tiour;. Cafcades Daturelles. . Chute cîe quinze élé- phans dans un précipice. Mais rien ne le furprit tant , dans ces montagnes , que de fe trouver tout d'un coup comme tranfporté des Indes en Europe. En voyant la terre cou- verte de toutes nos plantes & de tous nos arbriifeaux , à l'exct'ption néan- moins de Thiirope, du thym, de la marjolaine & du romarin, il ife crut dans certaines montagnes d'Auvergne, au milieu d'une foret de fapins, de chênes verds , d'ormeaux , de platanes; & Ton admiration écuit d'autant plus vive, qu'en fortant des Campagnes brûlantes de l'Indouftan, il n'avoit rien apperçu qui l'eût préparé à cette métamorphofe (^/). IL admira particulièrement, à une journée & demie de Bember, une montagne qui n'offroit que des plantes, fur fcs deux faces; av^c cette dif* férence, qu'au Midi, vers les Indes, c'étoit un mélange de plantes Indien- nes &. Européennes ; au-lieu que du côté du Nord , il n'en uécouvrit que d'Européennes, comme fi la première face eût également participé de la température des deux climats , & que celle du Nord eût été toute Euro- péenne. A l'égard des arbres, il obferva continuellement une fuite natu- relle de générations & de corruptions. Dans des précipices , où jamais homme n'étoit defcendu , il en voyoit des centaines , qui tomboient , ou qui écoient déjà tombés les uns fur les autres , morts , à demi pourris de vieilleiïe ; & d'autres , jeunes & frais , qui renaiflbient de leurs pieds. Il en voyoit même quelques-uns de brûlés; foit qu'ils eulTent été frappés de la foudre, ou que dans le cœur de l'été ils fe fuflent enilammés par leurs chocs mutuels , dans l'agitation de quelque vent chaud & furieux , ou que , lui- vant l'opinion des Habitans, le feu prenne de lui-même au tronc, lorfqu'ii force de vieillefle il devient fort fec. Bernier ne ceflbit pas d'attacher fea yeux fur les cafcades naturelles, qu'il découvroit entre les rochers. lien vit une, à laquelle il n'y a rien, dit-il, de comparable au Monde. On ap- perçoit de loin , du panchant d'une haute montagne , un torrent d'eau qui defcend par un long canal , fombre & couvert d'arbres , & qui fe précipite tout d'un coup avec un bruit épouvantable, au pied d'un rocher, droit, efcarpé, & dune hauteur prodigieufe. Aflez près, fur un autre rocher que l'Empereur Jehan-Guir avoicfait applanir exprès, on voyoit un grand théâtre, tout drefle, où la Cour pouvoit s'arrêter en paflant, pour conli- dérer à loifir ce merveilleux ouvrage de la Nature (e). Ces. amufemens furent mêlés d'un accident fort étrange. Le jour que l'Empereur monta le Hre-penjale , qui efl: la plus haute de toutes ces mon- tagnes , & d'où l'on commence à découvrir , dans l'éloignemeni , le Pays de Kachemire, un des éléphans, qui portoient les femmes dans des Mick- dembers & des Embarys, fut faili de peur & fe mit à reculer fur celui qui le fuivoit. Le fécond recula fur l'autre ; & fuccelï! vement toute la file , qui étoit de quinze. Comme il leur étoit impolFible de tourner, dans un che- min fort roide & fort étroit , ils culbutèrent tous au fond du précipice, qui n étoit pas heureufement des plus profonds & des plus efcarpés. Il n'y eut que trois ou quatre femmes de tgées; mais tous les éiéphans y périrent. JBernier, qui fuivoit à deux journées de diflance, les vit en paflant, & crut en remarquer plufieurs qui remuoient encore leur trompe. Ce defaftre jet- ta H) Pag. 154. (e) rag. 1^8 & précédentes» ans un che- ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. tg^ ta beaucoup de defordre dans toute l'Armée, qui marchoit en file, fur des côtes, par des fenciersTort dangereux. On nt faire lialtule rede du jour & toute la nuit , pour fe donner le temi de retirer les femmes & cous lei débris de leur chute. Chacun fut obligé de s'arrêter dans le lisu où il fe trouvoit, parcequ'il étoit également impoliible d'avancer & de reculer. D'ailleurs, perfonne n'avoic près de foi fes Porte-faix, avec iU tente & les vivres, fiernier ne fut pas le plus malheureux. 11 trouva le moyen de grimper hors du chemin , & d'y former un petit efpace commode, pour y pailer la nuit avec Ton cheval. Un de fes Valets, qui eut la fidélité de le fuivre, avoit un peu de pain (ju'ils partagèrent enfemble. En remuant quelques pierres , dans ce lieu , ils trouvèrent un gros fcorpion noir , qu'un jeune Mogol prit dans fa main & preiTa fans en être plcqué. Bernier eut la même nardiefle, fur la parole de ce jeune homme, qui étoit de fes amis , & qui fe vantoit d'avoir charmé le fcorpion par un pafTage de l'AU Coran (/). En traverfant la montagne de Pire-penjale, il eut, dit-il, trois occafions de fe rappeller fes idées philofophiques. Premièrement , en moins d'une heure, il éprouva l'hyver & l'été. Après avoir fué à groÂTes gouttes , pour monter par des chemins où tout le monde étoit forcé de marcher à pied , & fous un Soleil brûlant, il trouva, au fommet de la montagne, des neiges glacées , au travers defquelles on avoit ouvert un chemin. 11 tomboit un verglas fort épais, & le vent étoit (1 froid, que la plupart des Indiens, qui n'avoient jamais vu de glace ni de neige , couroient en tremblant jpour ar- river dans un air plus chaud. En fécond lieu, Bernier rencontra, clans l'ef- pace de moins de deux cens pas , deux vents abfolument oppofés ; l'un du Nord , qui lui frappoit le vifage en montant , fur tout lorfqu'il arriva pro- che du fommet; l'autre,, du Midi, qui lui donnoit à dos en defcendant, comme fi, des exhalaifons de cette montagne, il s'étoit formé un vent, qui acqueroit des qualités différentes en prenant fon cours dans les deux vallons oppofés. La troifième rencontre de l'Auteur fut celle d'un vieil Hermite , qui vi- voit fur le fommet de la montagne depuis le tems de Jehan-Guir. On igno- roit fa Religion, quoiqu'on lui attribuât des miracles , tels que de faire tour- ner le vent à fon gré , & d'exciter de la pluye , de la neige & des orages. Sa figure avoit quelque chofe de fauvage. Sa barbe étoit longue , blanche éi mal peignée. Il demanda fièrement l'aumône : mais il laillbit prendre de l'eau dans des vafes de terre, qu'il avoit rangés autour de lui. Il faifoic figne de la main qu'on pafTàt vîte , & fans s'arrêter. Il grondoit contre ceux qui faifoient du bruit. Bernier, qui eut la curiofité d'enirer dans fa caverne, après lui avoir adouci le vifage par un préfent, lui demanda ce qui lui caufoit tant d'averfion pour le" bruit. Sa réponfe fut , que le bruit excitoit de furieufes tempêtes autour de la montagne ; qu' Aureng-Zeb avoit été fort fage de fuivre fon confeil j que Scha-Jehan en avoit toûjoura ufé de (/) Pag. 15a. Bernier ajoute que le jeu- du charme pifleroit à lui en le quittant, com. ne Mogol rcfufa de lui enfeigner ce paflhge me il en avoit tnit Icxp.rience avec celui de l'Âlcoian, fous ptéteite que la puilfunce qui le lui avoit appris. R. d. £. Bb z B E R ir t e It 1664. Scorpion que l'Auci ur prefle fans en etrepicqué. Prompt riaffngc de •été à j'h/' ver. Vent! qut fe trouvent tout d'un coup oppofés* Hermite de la moDtagne. ujâ VOYAGES DANS LE5 I (5(54. Dcfcrlption du Pays du Kachemlre. ^un origine. Sa grandeur k fa utuation. Propriété oes mon- tagnes qui i'environ* ncnc. Beauté fiir- firtnante de a plaine. de même; & que Jchan-Guir, pour s'être une fois mocqud de Cqî avis & n'avoir pas craint défaire Tonner les trompettes & donner des timbaks, avoit failli de périr avec fon Armée (g). On lit, dans l'Hiftoirc des anciens Rois de Kachemire (/»), que tout ce Pays nétoit autrefois qu'un grand Lac, & qu'un faint Vieillard, nommé Kacheb^ donna une iiïlie miraculeufe aux eaux, en coupant une montagne qui le nomme Baramouïé. Bernier n'eut pas de peine à le perfuader que cet efpace étoit couvert d'eau , comme on le rapporte de la l'heflalie ôc de quel- ques autres Contrées : mais il ne crut pas aifément que l'ouverture de lia- ramoulé fut l'ouvrage des hommes , parceque cette montagne efl: très-haute & très-large. Il fe figura plus volontiers que les tremblemens de terre, auxquels ces Régions font affez fujettes, peuvent avoir ouvert quelque abîme où la montagne s'efl enfoncée d'elle-même. C'ell ainfi que, lui- vant l'opinion des Arabes, le Détroit de Bab - el - mandel s'efl ancienne- ment ouvert, & qu'on a vu des Montagnes (k des Villes s'abîmer dans de grands Bois. QuEL a Le! tous la Poèl du traf res, d| leur bc qui leul contrej quant tant d'j pent ji d'une ETATS DU GRAND MOtîOL, Liv. III. 199 1, on voit De RM (Cl. 1664. Caraélère & qualités lies Ilabitans. Leur in- duftrie, & leurs Arts. Châles , Les Kachemiriens (q) paflent pour les plus fpiricuels & les plus fins de tous les Peuples de l'Inde. Avec autant de difpolition que les Perfans pour la PoèTie & pour toutes les Sciences , ils font plus induftrieux & plus amis du travail. Ils font des palekis, des bois de lit, des cabinets, des écritoi- res , des caflettes , des cuillières , & diverfes fortes de petits ouvrages , que leur beauté fait rechercher de tous les Indiens. Ils y appliquent un vernis , qui leur eft propre. On admire particulièrement leur adrefle à fuivre ou contrefaire les veines d'un certain bois , qui les a très - belles , en y appli- quant des filets d'or. Mais rien ne leur elb fi particulier, & ne leur attire tant d'argent par le Commerce, qu'une efpèce d'étoflPes à laquelle ils occu- pent jufqu'à leurs petits enfans. On les nomme Cbales. Ce font des pièces d'une aune <& demie de long, fur une de large, qui font brodées, au mé- cfpècc d'étof tier, par les deux bouts. Les Mogols & la plupart des Indiens, de l'un & l'autre fexc;, les portent en hy ver fur leur tête, repaflees, comme un man- teau, par-deflus l'épaule gauche. On en diflingue deux fortes: les unes de laine du Pays, qui efl: plus fine que celle d'Ëfpagne; les autres d'une laine, ou plutôt d'un poil qu'on nomme TouZj & qui fe prend fur la poitrine des chèvres fauvages du grand Tibet. Les Châles de cette féconde efpèce font beaucoup plus chères que les autres. Il n'y a point de cailor qui foit plus délicat. Mais, fans un foin continuel de les déplier & de les éventer, les vers s'y mettent facilement. Les Omrahs en font faire exprès, qui coûtent , jufqu'à cent cinquante roupies ; au-lieu que les plus belles de laine du Pays ne paffent jamais cinquante (r). Bernier remarquant, fur les Châles , que les Ouvriers de Patna, d'Agra, & deLahor, ne parviennent point à leur donner la molieflTe & la beauté de celles de Kachemire, ajoute que cet- te différence eft attribuée à l'eau du Pays ; comme on fait à Mafuljpatan ces belles Cbites, ou toiles peintes au pinceau, qu'on rend plus belles en les lavant. On vante auHl les Kachemiriens pour la beauté du fang. Ils font com- munément aulîi bien faits qu'on l'eft en Europe , fans rien tenir du vifage des Tartares, ni de ce ne2 écaché & de ces petits yeux de porc qui font le partage de Kachegar & du grand Tibet. Les femmes de Kachemire font fi dillingué-'S par leur beauté, que la plupart des Etrangers qui arrivent dans rindouflan, chercnent à s en procurer, dans l'efpérance d'en avoir des enfans plus blancs que les Indiens, & qui puiflent palier pour vrais Mogols (j). Dans Taille des Kaclitmiruns à. beauté de» femmes. {q) Bernier les appelle quelquefois Ka- themyris. (r) Pag, i47. (j) Pag. 149 Rejettons, dans une Note, quelques autres ciroonftances du récit de Bernier. ..Certainement, dit- II, fi l'on „ peut juger de la beauté des femmes ca- „ chées & retirées . parcelle du menu Peuple ,. qu'on rencontre dans les rues & qu'on „ voit dans les boutiques, on doit croire „ qu'il y en a ùe très -belles. A Lahox, „ où elles font en renom d'être de belle „ taille, menue.» de corps & les plus belles „ brunes des Indes, comme elles le font „ efFcftivement. je me fuis fervi d'un artifi- ,. ce ordinaire aux Mogols , qui efl de fuivre ., quelque éléphant , principalement quel- .. qu'un de ceux qui font richement barna» „ chés; car aufC lôt qu'elles entendent ces „ deux fonncttcs d':irgent, qui leur pendent „ des di iix cAtés , elles mettent tontes la tê- M te autt feotucsi. Je ïds fuis fervi, à Ka- „ cbemire , 2oO V Ô Y A G 15 S DANS LES Brunier. I 664. l'oiitaine uurvt'illcufe. Recherches de l'Auteur pour expli- quer ce phé- nomène. Dans plufieurs occafions, que l'Auteur eut de vifiter diverfes parties du Royaume, il fit quelques obfervations qu'il joint à Ton récit. Danech- mend-Kan, fon Nabab, l'envoya un jour, avec deux Cavaliers pour efcor- te, à trois petites journées de la Capitale , & parconféquent à l'extrêniitc tlu Royaume, pour vifiter une îFontaine à laquelle on attribuoit des pro. priétés merveilleufes. Pendant le mois de Mai , qui efl le tems où les nei- ges achèvent de fe fondre, elle coule & s'arrête régulièrement trois fois le jour ; au lever du Soleil , fur le midi , & fur le foir , fon flux ell ordinairement d'environ trois quarts d'heure. Il efl: aflîez abondant pour remplir un réfer- voir quarré , de dix ou douze pieds de largeur & d'autant de profondeur. Ce phénomène dure l'efpace de quinze jours; après lefquels , fon conrs de- vient moins réglé, moins abondant, & s'arrête tout-à-fait vers la fin du mois, pour ne plus paroître de toute l'année, excepté pendant quelque grande & longue pluye, qu'il recommence fans cefFeoc fans règle, comme celui des autres fontaines. Dernier vérifia cette merveille par les yeux. Les Gentils ont fi.ir le bord du réfervoir un petit Temple d'Idoles (r), où ils fe rendent de toutes parts , pour fe baigner dans une eau qu'ils croyent capable de les fanftifier. Ils domient plufieurs explications fabuleufes à fon origine. Pendant cinq ou fix jours, Bernier s'efibrça d'en trouver de plus vraifemblables. Il confidéra fort attentivenïent la fituation de la monta- gne. Il monta jufqu'au fommet avec beaucoup de peine , en prêtant de tous côtés fon attention. Il remarqua qu'elle s'étend en long , du Nord au Midi; qu'elle efl féparée des autres montagnes, qui ne laifl'ent pas d'en être fort proches; qu'elle eft en forme de dos-d'âne; que fon fommet, qui eil ■très-long, n'a guères plus de cent pas dans fa plus grande largeur; qu'un di fes côtés, qui n'efl: couvert que d'herbe verte, eft: expofé au Soleil levant, mais que d'autres montagnes oppofées n'y laiflent tomber {es rayons que vers huit heures du matin ; enfin , que l'autre côté , qui regarde le Cou- chant, efl: couvert d'arbres & de buifl'ons. Après ces obfervations , il fc mit en état v'.e rendre compte, à Danechmend - Kan , d'une fingularité dont il ceflli d'admirer la caufe (î;). ., . ' :;.. .:',■;.'' . .: '■.■:■- . .;.:. En chcmire, An même artifice, & d'un autre encore, qui m'a bien mieux réuffî. Il é- toit de l'invention d'un vieux Maître d'E- cole , que j'avois pris pour ni'aidcr à en- tendre un Poijte Pcrlan. 11 me fit acheter quantité de confitures 5 & comme il étoit connu, &ou'ilavoit l'entrée par tout, il me mena dans plus de quinze malfons, difant que j'étois fon Parent, nouveau venu de Perfe, & que j'étois riche & à „ marier. AuHî tôt que nous entrions dans une maifon, il dillribuoit mes confitures auxenfans; & incontinent tout accouroit autour de hous , femmes & filles , grandes & petites, pour en attraper leur part, ou pour fe faire voir. Cette folle curiofité „ ne lailfa pas de me coûter quelques bon- ,, ues roupies: mais auûi je ne doutai plus » 11 >> ">> II >» „ que dans Kacheraire il n'y eût d'auili ,, beaux vifnges qu'en aucun lieu de l iîu- ,, rope". lûidem. (r) Dédié à Brire , une des Dentas, ou des Divinités mes , en lui difant que leurs voifins avoient manqué d'efprit lorfqu'ils n'a- voient pas confidéré que fon fang ne demeureroit pas dans leur maifon , puifquc leurs filles emporteroient l'enfant avec elles dans celle de l'homme qu'elles époiiferoient (c). D'à u t r e s informations ne laiflerent aucun doute à Bernier , que le Pavs de Kachemire ne touche au petit Tibet. On a déjà fait ufage de cette re- marque dans l'article du l'ibet ; mais une obfervation fi importante pour h Géographie mérite ici plus d'étendue , comme dans fa véritable fource (d). Quelques années auparavant, les divifions de la Famille Royale du petit '1 ibet avoient porté un des Prétendans à la Couronne à demander fecréce- ment le fecours du Gouverneur de Kachemire, qui , par l'ordre de Sclia- Jehan, l'avoit établi dans cet Etat, à condition de payer au Mogol un tri- but annuel en criftal , en mufc & en laines. Ce petit Roi ne pût fc difpen- fer de venir rendre fon hommage à Aureng-Zeb , pendant que la Cour étoit à Kachemire ; & Danechmend-Kan, curieux de l'entretenir , lui donna un jour à dîner. Bernier lui entendit raconter que du côté de l'Orient , fon Pays étoit voifin du grand Tibet; que fa largeur étoit de trente ou quarante lieues ; qu'à l'exception d'un peu de criftal , de mufc & de laine , il étoit fort pauvre; qu'il n'avoit point de mines d'or, comme on le publioit ; mais que dans quelques parties il produifoit de fort bons fruits , fur-tout d'excei- lens melons ; que les neiges y rendoient l'hyver fort long & fort rude; enfin que le Peuple, autrefois idolâtre, avoit erabraflc la feéle Perfanne du INIahométifnie. . Le Roi du petit Tibet avoit un fi miférable cortège, qu: Bernier ne l'auroit jamais pris pour un Souverain (e). Il y avoit alors dix-fept ou dix huit ans que Scha- Jehan avoit entrepris d'étendre fcs conquêtes dans le grand Tibet, à l'exemple des anciens Rois de Kachemire. Après quinze jours d'une marche très-difficile, & toujours par des montagnes, fon Armée s'étoit faifie d'un Château. Il ne lui relloit plus qu'à paffjr une Rivière, qui eft fort rapide , pour aller droit à la Ca- pitale, & tout le Royaume étoit dans l'épouvante. Mais comme la faifo:) étoit fort avancée , le Général Mogol qui étoit Gouverneur de Kachemi- re, appréhendant d'être furpris par les neiges, avoit pris le parti de rcvj- nir fur fes traces, après avoir laifle quelques troupes dans le Château , donc il s'étoit mis en poffelfion. Cette garnifon, effrayée par l'Ennemi, ou preflee par la difette des vivres, avoit repris bien -tôt uulli le chemin di Kachemire; ce qui avoit fait perdre au Général le dcilein de retourner llir fes traces à l'entrée du Printems. Le Roi du grand Tibet, apprenant qu' Aureng-Zeb étoit à Kachemire, k Ce) Pag. 194 & précédentes. où l'on a cité cet endroit de Bernier, avec (d) Pag. 196. des étlairciiremcns. curieux furie Tibet. (*) Voyez le Tom. IX, de ce Recueil, fec des blan d'un font dian dep liers ETATS DU GRAND MOG O L, Liv. III. 205 fe crut menacé d'une nouvelle guerre. Il lui envoya un Ambafladeur , avec B e r n i e n. des préfens du Pays; tels que du criflal, des queues de certaines vaches 1664. blanches, & fort prccieulls (/), quantité de mule, 6c du 'Jachen ^ pierre d'un fort grand prix. Le jaclicn eft une pierre verdâtre , dont les veines font blanches, & qui efl: li dure qu'on ne la travaille qu'avec la poudre de diamant. On en fait des taifes & d'autres vafes, enrichis de filets d'or & de pierreries. Le cortège de rAmbailadeur étoit compofé de quatre Cava- liers, & de dix ou douze grands hommes fecs & maigres", avec trois ou quatre poils de barbe, comme des Chinois, & de (impies bonnets rouges. Le relie de leur habillement étoit proportionné. Quelques-uns portoient des fabres , mais le refte marchoit fans armes à la fuite de leur Chef. Ce Miniftre , ayant traité avec Aureng-Zeb , lui promit que fon Maître feroit bâtir une Mofquée dans fa Capitale , qu'il lui payeroit un tribut annuel , & que déformais il feroit marquer fa monnoye au coin Mogol. Mais on étoit perfuadé, ajoute Bernier , qu'après le départ d'Aureng-Zeb , ce Prince ne' feroit que rire du traité , comme il avoit dé;'^ fait de celui qu'il avoit autre- fois conclu avec Scha- Jehan (g). L'Ambassadeur avoit amené un Méuccin , qui fe difoit du Royaume M;7c, comme d'une chofe dont les K- , tliiopieiis li'ont aucun doute (s). Murât même, &. un Mogol qui ctoit re- venu avec lui ilc Cîonder , avoient été dans le Canton qui dunne naiffance à C2 ricuve. Ils s'accordoient à rendre témoignage qu'il fort de terre, dans le Pavs des Jgaiis , par deux fources bouillantes, & proches l'un de l'autre, qui forment un petit Lac de trente ou quarante pas; qu'en prenant fon cours, hors de ce Lac, il ell déjà une Rivière médiocre , & que d'efpace en efpa- cc il efl grôlli par d'autres eaux; qu'en continuant de couler, il tourne af- fez pour former comme îlne grande lile ; qu'il tombe enfuite de plufieurs ro - clicrs efcarpés ; après quoi , il entre dans un grand Lac , où l'on voit des 111 js fertiles, un grand nombre de crocodiles, & quantité de veaux marins, qui n'ont pas d'autre iflue que la gueule pour rendre leurs excrémens (t); que ce Lac ell dans le Pays de Dumbia , à trois petites journées de Gon- der , & à quatre ou cinq de la fource du Nil , qui en fort chargé de beau- coup d'eaux, des Rivières & des torrens, qui y tombent principalement dans la faifon des pluyes; qu'elles commencent régulièrement, comme dans les Indes, vers la fin de Juillet, ce qui mérite ime extrême attention, par- cequ'on y trouve l'explication convaincante de l'inondation de ce Fleuve : qu'il va palier de-là ^iarSeminr, Ville Capitale du Royaume des Fiinges ou JJarberiSf Tributaires du Roi d'Ethiopie, }• (a) Ibid. pag. 272. (a) On n'a rapporté ce qui regarde le Nil que pour faire honneur aux recherches de Dernier; fans quoi cet article parultroit ici déplacé. On fait d'ailleurs , & l'on verra danj ua autre lieu , que la fource de ce Fleuve étoit connue des Europé( ns , dis 1613, par les rechcrchei. du Pcic Fuis, Jo. lune. {b) Uernicr revint (ni668. à Paris, où il mourut l'année IC88. R. d. E. Tavernier. i n t k o d u c- T I 0 N. Voyages de Tavernier dans îlndoitjîan. QUoKiUE le nom de ce fameux Voyageur ait paru plufieurs fois, dans les Tomes précédens, tantôt avec honneur, tantôt pour eilliycr une rigoureufe cenfure, c'efl ici qu'on s'ell propofé ue le produirez- vec la diftinèlion qu'il mérite, & de réunir, dans un même article, tout ce qui peut fervir à faire prendre une juile idée de fa perlbnne ik de Ils Ouvrages. C'est de lui-même, ou plutôt d'un Ecrivain de fon tems, dont il zvn\i emprunté la plume, qu'on tirera des éclaircilîemens fur fes premières an- nées. Une variété extraordinaire de petites courfes & de légères avun'Lii- res l'avoit préparé, comme par degrés, au rôle de gr.ind Voyageur, qu'il joua pendant quarante ans. ,, Si l'éducation, dit-il, etl une féconde Na- ture, il étoit venu au Monde avec le déiir de voyager. Les entretiens que divers Sçavans avoient tous les jours avec fon Père, fur les marieras de Géographie, qu'il avoit la réputation de bien entendre, lui infpirc* rent de bonne heure le delîein de vilîter les Pays qu'on lui préfentoic lur les Cartes. 11 ne fe laifoit pas d'y jetter les yeux. A lâge de vingt-deux ans , il avoit vu les plus belles Régions de l'Europe ; &. par un effet du nic- »> >% ;,i ETATS DU GRAND MO G O L, î.iv. Ilf. ut mém^ pancliant, il parloic la plupart des langues qui font les plus fami- " Itcrcs aux Kiiropccns ". jlan-Hap ris TE Tavernicr étok né^ en 1(^05, ù Paris, où fon Porc, natif d'Anvers, ctoit venu s'établir pour y faire le Commerce des Cartes CrjOfîr<.,''hiques. Les Curieux qui venoient en acheter elle/ lui, s'y arrêtant (ju-lquetois àdifcourir fur les Pays étrangers, 1 inclinutitjn tiaturelle du jeu- ne'l'avernier pour les Voyages , ne fut pas moins ecluuifiee par leurs dif- cours que par la vile continuelle de tant de Cartes. Aulîi eommença-t'il à s'y livrer dès fa première jeunefle. On apprendra, par fbn exemple, que ràrdcur & l'incUillrie peuvent conduire à la fortune avec fort peu de fecours. II gagna, dans l'es Voyages d'Orient, des biens li conlidérables , par le Commerce des pierreries, qu'à fon retour en 1668, après avoir été atinobli par Louis XIV, il fe vit en état d'acheter la Ikironie d'/itikme, au Canton de Berne (a) , fur les bords du Lac de Genève. Cependant la malverfation d'un de fes Neveux , auquel il avoit confié la direction d'une cargaifon de deux cens vingt-deux mille livres, dont il elpéroit de tirer au Levant plus d'un million de profit, jetta fes affiiires dans un li grand defordre, que pour payer fes dettes, ou pour fe mettre en état de former d'autres entreprifes, il vendit cette l'erre à iVl. du Qitejhe, Fils aîné d'un de nos plus grands hom- mes de Mer. Enfuite, s'étanc mis en chemin, dans l'cfpérance de réparer les pertes par de nouveaux Voyages, il mourut il Mofcou, dans le cours du mois de Juillet 1689, iigé de 84 ans (/-»). Il avoit recueilli quantité d'obfervations , dans flx Voyages qu'il a- voit faits, pendant l'efpace de quarante ans, en Turquie, en Perfe & aux Indes: mais un fi long commerce, avec les Etrangers, lui avoit fait négliger fa langue naturelle julijU'à le mettre hors d'éiat de dreller lui- même fes Relations (c). Dans les événemens qu'il raconte fur la foi d'au- trui TAvr.nNf»p.. Introduction. N.'iiflancc, fortune & 1,1- i.irtùrcdc'l'.i- vcriiicr. (a) Edition de i<58r, à Paris chez Clou- fier, quatre Volume;. 1/1-4°. C'efl la leçon- de. lilie fut revue & corrigée par l'Auteur, (]ui demeuroit alors d'ms fa lîaronnie d'Au- bonne. Quelques Genevois m'ont affuni qu'étant un jour à Vcrfaillts, Loui.» XIV. lui dcm.'inda pourquoi il s'tHoit établi hurs de les Erars? Tavernicr répondit qu'il ai- moit la liberté. Sur quoi, Louis XIV. lui tourna brufc]ut'ment le do;:, (t) Par conféquent l'Auteur du Mercure du mois de Février i<5yo fe troinpe, en don- nant alors à Tav-jrnier I à,^e Je 89 ans. (c) La première Kiition parut en i(379, à P.iiis, en 2 Vulunies iii-,\°, &. fut contre- faite aulTî tôt en Hollande , in-12; comme celle de i68i. dont on fe fert ici , le fut auflî dès la môme année. Le troifième To- me fut publié leul, après les deux premiers. C'eft particulièrement dans ce dernier Tome que l'Auteur inédit violemment de ceux qui gouvernent les afViiiies de la Compagnie Hol- landoife. Mais, citons un palfage du la Dé- fenfe de Samuel Cbapuzeau , contre l'Auteur de la fameuie Satyre intitulée l'Ej'prit de M. Arnaud, dans laquelle il étoit fort mal trai- té, pour avoir prêté fa plume A Tavernier. On y va trouver tous les éclaircllFemens qui conviennent à ce fujet. ,, iVl. Tavernier, dit Chapuzeau , fe voyant beaucoup de bien à fon retour, en 1668, s'avifa d'a- cheter la Baronie d'Aubonne. Il vint H Genève pour ce fujet , & logea quelque- tems chez moi. L'amitié fut alors ru- nouée i mais û une condition fort onéreu- fe, qui étoit de donner quelque forme à fon cahos , comme vous nommez très- bien les Mémoires confus de fes fix Voya- ges, qu'il avoit tirés en partie d'un certain Père Raphaël, Capucin , qui demeuroit de- puis long-tems à Ifpahan. Je l'amufai plus de deux ans , dans l'cfpérance qu'il eut que je lui prêterois ma plume: mais entiii perdant patieiîce, & me trouvant à Paris, où j'étois appelle pour mes afFaircs, quel- que répugnance que j'eulTe , pour bien des D d 2 » "i- Jugement fur fes Ou- vrages. ^N. TAVr.RNIER. Ifuroduâiun. 2IÎ .VOYAGESDANSLES trui (d), on peut croire , avec Baile , qu'il fe trouve beaucoup de fables, & qu'on avoit quelquefois pris plaiiîr à le jouer de fa crédulité : mais com- me on ne l'accufe point d'avoir manqué de probité ni de bon Icns , les plaintes de ceux qui fe font crus bleifés par quelques-uns de les récits (< »' II j) >i »• >i » i> i> >i >> »i >» » » it '» >• II ji >i raifons, à faire ce qu'il vouloit, de quoi pluficurs le mes Amis onc été témoins, il trouva eiil-in le inuyen de m'y engaijer par une fo;ce lupéiieure. Il employa pour cela le crédit de M. le Premier Préfident de Lamuigiion. qui ayant parlé au Roi de cette affaire, à ce qu'il me lit en endre, me dit que Sa Mijellé defiroit de voir les Voyages de Tavernier , & que celui-ci ne pouvant trouver d'autre homme que moi do!,t il pût s'accommoder pour ce travail , il ne falloit pas le recu.'i.r davantage. M. de Lamoignon & M. de L'avilie, Ion fils, aimoient à l'entendre parl.;r de fes Voya- ges , & le premier étant d ailleurs curieux de Médailles, il en avo t reçu un bon nombre deTavemier, comme celui-ci me l'a ibuvent dit; ce qui l'obligeoit par ré- connoilFance à prendre: fes intéiôts. Ain- fi, Moiilieur, fi vous faviez combien j'ai été mortifié, pour ne pas dire martiriie , pendant plus d'un an qu'a duré ce iniféra- ble travail, piirl'efprit brufque du mari & par refprit ridicule de la femme, vous n'auriez fans dourepas eu alllz de cruau;é pour m'infultcr fur une cliofc que je n'ai faite qu'à mon corps défendant, avec une horrible répugnance & fans aucun fruit. Vous faurez d ailleurs , Monfieur , que lorfqu'il fallut venir au chapitre de la con- duite des Hollandois, en Alk- , les amis à qui Monfieur Tavernier comniunity.ioit fes MéiiKiires, qu'il tiroit pour la p ùpait de fa tête &. qu'il me didoit en ion pa- tois, fans avoir rien d'écrit que ce qu'il avoit eu du Capucin, ledilluadèrent autint qu'ils purent de toucher cette corde. J en fis de même; & ni eux , ni moi, n'en ayant pu venir à bout, je lui déclarai nettement qu'il pouvoit chercher utj autre que moi. Après les éloges magnifiques, qu'avec au- tant de rcconuoiirance que de jufiii;*.', jd „ donnai, il y a vingt ans, à la Nation IIo!. „ landoife, dans le premier 'Volume de iiioa ,, Europe vivante, aurois-je pu lâchement me „ démentir.'' Sur mon refus donc , qui nous „ brouilla quelques jours , & qui faillit à ., nous brouiller pour jamais , M. Tavcr- ,, nier eut recours au Sieur de la Chapelle, „ Secrétaire de M. de Lamoignon. Il lui „ prêta (a plume,- & c'ert le même, qui, a» „ près mon retour à Genève, écrivit le troi- „ fième Volume des Ilelations duditTaver- „ nier, où fe trouve l'Hiltoire du Japon, il ,, m'ell facile de prouver l'Alibi, & que j'é. ,, tois à Genève ave'- ma famille, & non d ,, Paris, lorfque ce troilième Volume fut é- „ crit & in)primé. Défenje de Cbapuzeau, >i P"g- 7 iS juivantes ". Ce qij'on peut con- clure , c ell que Chapuzeau n'eut aucune part au troifièmc Tome de Tavenuer; mais en lui reprochant de l'impruoeiice, ou de la malice , il ne l'accufe point ii faulTeté. {d) Comme dans fa Relation du Ton. quin. Voyez celle de Baron, au Tome XI, de ce Ri-eueil. (fi) J! paroît qu'en effet il n'y a que les plaintes, publiées par d'habiles gens, tJs que M. Jurieu èc quelques autres, qui aytiit décredité Tavernier. (/) Ceux qui l'accufent de Plagiarifine font bien éloignés de lui nuire, puifque c'il't le décharger au ccr.traire de l'accu'atioii Je fiulfLié. On cite particulièrement H-jdi, qui lui reproche d'avoir pris un fort long palfage dans une Relation de Voyige, im- primée à Lyon en 1671. Elle e(t du l'cie Gabriel deCi.'/io», Capucin, qui avoit paifé trente ans en Perfe. Mais on ne faun-it pié- tendre que ce palluge foit devenu falnileuX dans Tavernier. U-^de , de Rclig. veiei; Tafaruoi, pa^. 335 (iic feq. gne; w ETATS DU GRAND MO G O L, Liv. III. 213 vu, à proportion qu'elle peut la diminuer fur ce qu'il rapporte d'après les Taverntei, autres; & la difficulté ne conlirte qu'à faire, dans fon Ouvrage, un jufte l"ttoduaion, difcernement de ces deux fortes de faits. Enfin , fi Tavernier eft impof- teur; „ (^ue n'a-t'on pris, kiivant la remarciue de liaile, le parti d'oppofcr „ Relation à Relation , faits à faits, au-iicu d'entafler des injures ptrfon- „ nelles? Ce qu'il y a de plus étrange, ajoute le ineme Critique , c'elt qu'en „ peu de mots , Ion principal ^ccufatcur a dît prefqu'autaiit de mal que ,, lui des HollanJois (g) "• (jf) Diftionnaire critique, Tojn. IV. pag. 325. 5. I. Prerr,'-"' Voyages de Tavernier. So N premier eiïbr le conduifit en Angleterre , où rcgnoit alors Jacques I. , qui fe fit nommer Roi de la Grande Bretagne , pour latisfaire les An- glois & les EculTois, par un nom commun à ces deux Nations. D'Angleter- re, il fit voile en l'Iandres. Il y vit Anvers, qui étoit la patrie de l'on Pè- re; & de-là continuant f n Voyage dans les Provinces-Unies, l'inclination qu'il avoit pour les Voyages s'accrut par le concours de cette multitu- de d'Etrangers , qui fe rendent à Amfterdam de toutes les parties du Monde. Après avoir vifité les dix-fept Provinces , il prit fa route vers l'Allema- gne; & s'étant rendu à Nuremberg par Francfort «Se Augsbourg, le bruit des Armées qui marchoient en Bohême pour fe remettre en polleiîion de Prague, lui fit naîcre le defTein d'eflfayer du métier des armes. En appro- chant de Nuremberg, il rencontra im Colonel de Cavalerie, nommé ihns Brener, fils du Comte Philippe Brener, Gouverneur de Vienne, qui lui of- frit de le conduire en Bohême. 11 lailfe, à l'Hilloire de fon Siècle, le ré- cit de cette guerre: mais quelques années après, il fuivit à Vienne le mê- me Colonel, qui le préfenta au Gouverneur de Raab, fon Oncle, à qui l'on donnoit la qualité de Viceroi de Hongrie. Ce Gouverneur, ou ce Vice- roi , le retint au nombre de fes Pages. On peut demeurer dans cette con- dition, en Allemagne, jufqu'à l'âge de vingt-cinq ans ; & lorfqu'on la quit- te c'ell pour obtenir une cornette ou im drapeau. Le jeune Tavernier a- voit paOo quatre ans & demi à la Cour du Viceroi, lorfque le Duc deMan- toue arriva dan» la Capitale de l'Empire d'Allemagne, pour y négocier les intérêts de fon Père. Sa politique manqua de iliccès , & M. de Sabrariy Envoyé de France, ne réulïït pas mieux dans les ibllicitations qu'il étoit chargé de fiiire en fa faveur. Mais le Viceroi avoit époufé, en fécondes nuccs, une fœur du Comte d'/Yrt- , Premier Miniftre du Duc de Mantoue, qui etoit venu à Vienne avec le fils de fon Maître. Le Comte n'ayant pu manquer d'aller voir fon beau -frère , Tavernier fut nommé pour le fer- vir, pendant fon fejour à Javarin. Vers le tems de fon départ, le Com- te d'Arc témoigna au Viceroi , que le Prince de Mantoue n'ayant perfon- ne auprès de lui qui fcût la langue Allemande , il lui feroit agréable que Tavernier l'alluc fervir , pendant le féjour qu'il devoit faire à Vien- Dd 3 ne. m. TAVKRNniR. ne. 214 VOYAGES DANSLES Cette demande fut accordée. l*avernier fuivit le Comte à la Couf Impériale. 11 eut le bonheur de ne pas déplaire au Prince, qui lui offrir fa proteélion à Mantoue. C'étoit alTez pour lui infpirer le goClc d'un Voyi- ge en Italie. Il fit approuver fon deflein au Viccroi, qui étant fatisfait de fes fervi ces lui accorda fon congé de bonne grâce, en lui faifant préfent, fuivair. l'ufage d'Allemagne, d'une épée, .d'un cheval, ik d'une paire de piftolecs. 11 y joignit une bourfe pleine de ducats. JM. de Sabran , qui partoit alors pour Venile, avoit belbin d'un François qui fcùc la langue Allemande. Ta- vernier, dont il accepta les offres, le fuivit à Venife. Le Comte d'/yi',;/,,i; y étoit alors Ambafladeur de France. 11 reçut M. de Sabran avec beaucoup de conlidération ; & la République, qui n'étoit pas moins iniércflee aux af- faires de Mantoue que laAiailbn de Gonzague, lui fit préfent de huit grands balfins de confitures, avec une chaîne d'or qu'il mit à fon cou pendant quel- ques momens. M. le Duc de Rohan étoit alors à Venife , avec toute fa famille. Tavernier reçut la commifiion de porter fix de ces bafllns à Ma- demoifelle de Rohan , qui les reçut de bonne grâce. Pendant le féjour qu'il fit à Venife, il fit fes obfervations fur cette Ville célèbre; & comme elle a beaucoup de reffemblance avec Arallerdam, par ia fituation, fa grandeur, fa magnificence; par ion Commerce, 6i par le concours des Etrangers; elle ne contribua pas moins à fortifier l'inclination naturelle qu'il avoit pour les Voyages. De Venife, il fe rendit à Mantoue avec M. de Sabran; & le Prince, a- près lui avoir témoigné quelque joye de le revoir, lui offrit le choix, ou d'un drapeau, ou d'une place dans la Compagnie d'Ordonnance du Duc Ion Père. Tavernier accepta la iéconde de ces deux offres, pour fe trouver fous le commandement de M. le Comte de Cuiche, qui étoit alors Capitaine de cette Compagnie, & qui elt devenu enluite le Maréchal de Grammont. Un long féjour à Mantoue ne s'accordoit pas avec la paffion qu'il avoit de voyager. Mais, fArmée Impériale ayant aliiégé la Ville, il fouhaitoic a- vant Ion départ, de fe faire quelque réputation dans les armes; & fa bon- ne fortune lui en fit naître l'occalion (a). Quelque-tems après il obtint Icn con- (a) Voici le témoignage qu'il fe rcnci ; Nous réduifîines, dit-il, les Impériaux à lever enfin le Siège ; ce qu'ils nient une veille de Noël. Je diiai qu'un jour dix- luiic hommes des nôties, ayant été com- mandés pour aller rtconiiDÎtre la hauteur & la largeur d'un folTé que riinntmi avoit fait en coupant la digue, pour la défenfe d'un petit Fort d'où il noua avoit chafl'és, & huit Cavalitrs de nôtre Compagnie é- tant de ce nombre , j"' btins du Prince la permiflion d'être un des huit, mais avec „ beaucoup de peine, parcequ'il piévoyoit, „ comme il eut la bonté de me k dire en „ particulier, qu'il faudroit ed'uyer un fort „ grand feu. En effet, de dix-huit que nous „ foiciaies, il n'en retourna que quatre; (Se nous étant coulés le long de ia Si^v.^. en. tre les rofeaux , lu' Ennemis firent i::v:il fiirieufe décharge , dè> que nous paiiVîies fur le bord du fi)iru, (Qu'ils ne nous don- nèrent pas le tcms de nous recon;;ci;re, J'avois choifi , dniis le Magnfin des ar- mes, une cuiradc foit loger;.' , mz'if Je bonne trempe; ce qui me f;iuva la^i?, ayant été frappé de deux baies, l'ure i ia mammelle gauche & l'autre au deroii,-; 6: le ftT de iU (.uiraffe s'étant tiifciHé, je foulTris quelque Joulewr du coup. Lorf ,, que nous vînmes faire nôtre rapport, i\I. „ le Comte de Guichc , qui vit quelle tioit ,, la bonté de ma cuiraiïe, la lit enjuiiver, ,, & la garda, fans que je l'aye vCi depuis '• Ibidem. ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 215 confié -du Princ?, qui le lui avoit promis quand il le fouhaiteroit, & qui TAvrr,%'iER, l'accompagna d'un pall'vjport honorable, jufqu'à Vcnife. De-là, i! ie ren- dit à Lorette, de Lorettc à Rome, & de Rome à Pv^aples, d'où revenant encore par Rome, il alla viilter Florence, Tife, Livourne & Gènes. En- Aiite s'ctant embarqué pour Marfeille , il retourna droit à Paris. Mais il s'y arrêta peu. Le deflein qu'il avoit de voir la Pologne le fit rentrer en Allemagne par la Suille, après avoir vifité les principaux Cantons. Il def- cc;ndit fur le Rhin , pour ie rendre à Brifac & à Strasbourg ; d'où remon- tant par la Souabe,il pafla par Ulm & parAugsbourg pour aller à Munich. Il vit, dans cette Capitale de la Bavière, le magnifique Palais des Ducs, que Guillaume V. avoit commencé, & que Maximilien , fon Fils, acheva dans la chaleur des guerres qui troubloient l'Empire. De-là, il alla pour la féconde fois à Nuremberg & à Prague; & Portant de Bohème, il entra dans la Silclie. II palia l'Oder à Hrellau, d'où il fe rendit à Cracovie, une des plus grandes Villes de l'Europe, ou plutôt un compofé de trois Villes, Ôc l'ancien léjour des Rois de Pologne. Il prit enluite le chemin de Varfovie, fur la gauche de la Viltule ; & dans cette Ville, il admira la Cour du Roi Si.^ifmond. De Varlovie, étant retourné à Brellau, il le détourna vers la balle Sil.-lie, pour aller voir un des principaux Officiers de la Maifon Impé- riale, av-C lequel il étoit lié d'amuie. Mais, à deux lieues de Glogau, il abandonna ion delfein, pour céder aux ibllicitations du Colonel Butler , E- coilbis, qui commandoit un Régiment de Cavalerie pour l'Empereur, & qui tua depuis le fameux IVaJJiein. Sa femme aimoir. les Irançois; & l'un & l'autre a^ant prelfé Tavernier de s'arrêter près d'eux, il ne put rclifter aux témoignage^ de leur amitié. Cependant, après avoir paifé quelque- tems avec eux , 1! apprit que l'Empereur alloit àRatisbonne , avec Ferdinand m. fon Fils, pour le faire couronner Roi des Romains. L'ayant vu cou- ronner Roi de Hongrie & de Bonéme, il fouhaita d'aiiifter à cette troifiè- me cérémonie, qui devoit être plus éclatante que les premières. En eftet, il en admira la magnificence. Mais rien n'attacha tant les yeux que les Tournois, où plulîeurs jeunes Seigneurs exercèrent leur adrefll'. Vis-à-vis de la Carrière, on avoit dref- fé deux éciiafiauts. Le plus grand éroit pour l'Empereur & l'Impératrice, avec toutes les Dames de la Cour. L'autre avoit l'apparence d'une grande boutique, (jui oflroit pluileurs joyaux de grand prix. Quelques-uns va- loient plus de dix mille écus. Il fe faifoit des parties de icpt ou huit Ca- valiers, qui touc.ioient , avec une longue baguette, la pièce pour laquelle ils vouioient entrer en lice. Elle ne coutoit rien au Vainqueur, ik ceux qui avoient couru avec lui dévoient la payer aux Marchands. Il la recevoit des mams du Prmce iV Ekemùerg , Premier Miniilre de l'Empereur ;& l'ayant mife au bout de ia lance, il alloit la préfenter à l'impératrice, qui ne l'ac- ceptoit pas ; ce qui lailloit au Cavalier la liberté de l'offrir à quelque Dame de la Cour. Apres la cérémonie du Couronnement, Tavernier apprit que l'Empe- reur envoyou un Rclident à la Porte Ottomane. C'était allez pour lui tai- re nuîcre l'iciée de pafl -r à Conftantinople avec lui. Il lui relloit une fom- me conlidéruble, des iibéraliiés au Colonel ikitler. Mais lorfqu'il fe dilpo- ibit ii6 V.O Y AGES DANS LES Tavernied. foit à partir avec les Allemands , le fameux Père J'^/f/j/; , qui éroic à.Ratis. bonne, de la part de !a France, lui propofa d'accompagner M.BachcHci\v^ul étoit envoyé à la Cour de Mantoue, ou M. l'Abbé de Ch.ipes, Crève du Ai.), réclial d" Anmnnt , & M. ûc Saint Liban ^ qui dévoient faire le Voyage dj Conllantinople & de la Palefline. Tavernier, charmé de ces deux ollVes, le détermina pour la féconde. Ses deux Protecteurs ne voulurent: pas quir. ter l'Allemagne fans avoir vu la Cour de Saxe. Ils paiïcrenc enfemblepar Fre}berg,. petite Ville, qui renferme les fuperbes tombeaux des Electeurs. Jls virent enfuite le Château d'Auguftebourg , où , parmi divei ils curioO. tés, on montre unefalle, qui n'a pour ornement, de haut en bas, qu'une infinité de cornes de toutes Ibrtes d'animaux (/»). De-là s'étant rendus a Drefde, ils y furent bien reçus de l'Elefteur. De Drefde, ils allèrent a Prague, que Tavernier vit pour la troifième fois. Ils traverfèrent la iio- hème par ion centre; & touchant un coin de la Moravie, ils entrèrent ji Autriche, dans le deflein de s'embarquer bien-tôt, parceque le froid il faiibit déjà fentir. Tavernier avoit acquis en peu d'années tant d'expo rience & de crédit , que fes Protecteurs le repolant fur lui de la conduit;, de leur Voyage, il leur procura de puilîantes recommandations auprès d,! Viceroi de Hongrie , de qui dépendoient les pafleports dont ils avoient Le. foin. Non-feulement ils furent traités civilement à leur départ de Vienii., mais on leur donna deux Bateaux; l'un, pour leurs perfonnes, avec ur.- chambre à poîle , i^d) On a vu , ci-deflug, qu'il fe trompoit dans cette opinion, S. IL Voyngcs de Tavernier dans ïlndcujlan. ON paffe fur le Voyage de Perfe, pour fuivre l'ordre qu'on s'eft propofé dans toutes les Préfaces de cet Ouvrage ; & renvoyant cet article au Recueil des Voyages par Tj;rre, on fe contente d'obferver,à l'honneur de Tavernier, que peu de Voyageurs ont rendu plus de fervice à la Géogra- phie de cette grande Région, par l'exaftitude avec laquelle il tient compte des routes & des diftances. Il décrit, avec le même foin, la route d'Ifpa- -lan à Agra , par Candahar j mais , comme elle appartient particulièrement £e 2 ù 166$. 220 VOYAGES DANS LES Tavernier. 1665. Obfi-'rva- tioiis fur les routes de Per- fe aux Indes. Tems pour le départ d'Ormus. Méthode de Tavernier, utile à la Géo- graphie. à la Perfe, il efl: tems de le repréfenter au premier terme de fon Voyage, & déjà rempli des nouveaux objets qu'il peint fuccefllvcmenc. Ce s t donc à Ton départ de Perfe qu'on prend ici Tavernier , & prêt à s'embarquer pour rindoullan. En Voyageur exercé , il s'explique d'abord fur les routes. Quoique les Indes faflent front à la Perfe l'efpace de plus de quatre cens lieues, depuis l'Océan jufqu'à cette longue chaîne de mon- tagnes qui coupe l'Afie du Couchant au Levant, & que l'Antiquité a con- nue fous le nom de Mont ■ Tanins au de Mont • Caucaje , il y a bien moins de chemins, pour palier de la Perfe aux Indes, que pour aller de 'lui-. quie en Perfe, parce -qu'entre la Perfe ôc les Indes on ne trouve que des fables & de vafles déferts où l'on manque abfolument d'eau. Ainfi, pour fe rendre d'Ifpahan à Agra , il ne fe préfente que deux routes; l'une par Ormus, où l'on prend la Mer ; l'autre parCandahar, fans quic- ter le Continent , & qui appartient par conlequent au Recueil des Voya. ges par Terre. Toutes les faifons n'étant pas propres aux Indes pc ur la navigation, les mois de Novembre, de Décembre, de Janvier, de Février & de Mars font les feuls mois de l'année où l'on s'embarque à Ormus pour Surate , «Se à Surate pour Ormus; avec cette différence néanmoins, qu'on ne fort giiè- res plus tard de Surate qu'à la fin de Février; au -lieu que pour fortir d Or- mus, on peut attendre jufqu'à la fin de Mars, & même jufqu'au quinze d'Avril, parceque le vent d'Ouefl:, qui amène les pluyes aux Indes, com- mence alors à fouffler. Pendant les quatre premiers mois , il règne d'abord un vent de Nord-Efl, avec lequel on paffe de Surate à Ormus en quinze ou vingt jours. Enfuite, fe tournant au Nord, il fert également aux Vaif- feaux qui vont à Surate & à ceux qui viennent de ce Port. Dans ce tems, on demeure en Mer trente ou trente -cinq jours: mais fi l'on veut paflcr d'Ormus à Surate, en quatorze ou quinze, il faut s'embarquer au mois de Mars , ou pendant la première partie d'Avril , parcequ'alors on a toujours le vent d'Ouefl: en poupe (a). Les VailFeaux qui fortent d'Ormus vont reconnoître Mafcate^ fur la Cô- te d'Arabie, pour ne pas s'approcher trop de celle de Perfe; & ceux qui viennent de Surate ne manquent point de reconnoître l'entrée du Golfe. Mais les uns ni les autre?^ ne touchent point à Mafcate, parcequ'on y paye des droits au Prince Arabe, qui a pris cette Place aux Portugais. D'ailleurs, fa fituation, qui efl: au bord de la Mer, vis-à-vis de trois rochers, en rend l'accès fort difficile. En allant à Surate , on reconnoît Dm & la Pointe de Saint Jean ^ d'où l'on va motiiller à laRade de «Sûmû//; c'en:-à-dire, à quatre lieues au Nord de la Rivière de Surate. Tavernier s'arrête peu à la defcription de cette Ville: mais, fuivant fa méthode, qui efl: précieufe pour la Géographie, il s'étend fur les loutes qui conduifent de Surate aux divers lieux de l'Empire , que ^ts affaires ou fa curiofité lui firent vifiter. On n'en diflingue que deux pour Agra , qui étoit le premier objet de fon Voyage. Il les donne toutes deux fucceiii- vement, avec d'autant plus de certitude que dans la fuite il les fit plufieurs fois. (a) Voyages de Tavernier, Tora. II, pag. 2. fois, dit-il, de ma fon d{ ETATS DU GRAND M O G O L, Liv. HT. 221 fois. Mais, il fe difpenfe d'en marquer les tems, parcecjue c'efl: alTez, dit-il, d'être exa6l fur les lieux (b)i (S: de-la vient qu'on le trouve obligé démarquer ici, pour année courante, au Ibinniet des colomnes, celle de ion dernier Voyage , en promettant néanmoins de fuivre Tes propres dattes pour les obfervations & les événemeiis. Des deux Routes de Surate à Agra, l'une eft par Brampour & par Seron- ge; l'autre par Amadabaîh. TAVERNirH. 1665. VV'yi£!;e Suinte a A^;i;i I A VER NIER, s étant detcrmme d abord pour la première, fit quatorze Ç,o ., ..f. colles julqu a Barnoly , gros liourg, ou Ion palle une Rivière a gue. Pen- dant cette journée, il eut à traverlcr un Pays mêlé, qui offre, tantôt des bois, tantôt des champs de bled & de riz. Il fit dix cofies de Barnoly à JSa/or, autre gros Bourg, iur un Etan^ qui a près d'une lieue.de circuit, & fur lequel on voit une bonne Fortereile dont l'entretien efl: négligé. Trois quarts de lieue en -deçà de Balor , on paOe un ruilleau à gué, mais au travers de quantité de roches & de cailloux, qui expofent les voitures à quelque danger. Cette féconde journée fe fait prefque continuellement dans les bois. De Balor à Keikia, qui fe nomme auflî le Carvanfera de la Begum^ ou de la Princ jilé , il fit cinq cofles. Ce Carvanfera ell grand & commode. Il fut bâti par les libéralités de Begiim-Saheb , fille de Scha- Jehan, à qui l'on a- voit repréfenté que la journée de Balor à Nampoura étoit trop grande , & que ce lieu étant frontière du Pays de quelques Rajas , qui refufent quel- quefois d'obéir au Grand Mogol, dont ils font les Vaflaux, il y paflbit peu de Caravanes qui n'y fuflent maltraitées. Entre le Carvanfera & Nava- poura , on pafle à gué deux Rivières, dont l'une efl fort proche du fécond de ces deux Bourgs. Navapoura, où l'on arrive à quinze cofles de Kerkoa, efl un gros Riz des Bourg, rempli deTifferands, quoique le riz faffe le principal Commerce Grands, qui du Canton. 11 y paffe une Rivière, qui rend fon territoire excellent. Tout ^'■''" '^ '""'^^"' le riz qui croît dans cette Contrée , efl plus petit de la moitié que le riz or- dinaire, & devient, en cuifant, d'une blancheur admirable; ce qui le fait eftimer particulièrement. On lui trouve aulFi l'odeur du mufc , & tous les Grands de l'Inde n'en mangent point d'autre. En Perfe même, un fac de ce riz efl regardé comme un préfent fort agréable. C'eft de la Rivière qui paffe à Kerkoa , & des autres -qu'on trouve dans cette route , que fe forme celle de Surate. De Navapoura, on compte neuf coffes à Nafarbar ; quatorze de Nafarbar à DoJ-Medan ; fept de Dol-Medan à Senquera; & dix deSenquera à Tallener, où l'on paffe une Rivière qui fe rend dans le Golfe de Cambaye par Baroche, où elle ell fort large. De Tallener à Cboupre , il y a quinze coffes ; treize de Choupre à Senqielis; dix de Senquelis à Nabïr; & neuf de Nabir à BaU de'poura. C'efl dans ce dernier lieu que les voitures , chargées des marchan- diies, payent les droits de Brampour. Le Pays offre, de toutes parts , du bled, du riz & de l'indigo. Brampour, qui n'eil qu'à cinq coffes de Baldelpoura, efl une grande Ville de ^ ^ r J a Brampour & ,., ,.., fon Gommer- {b) ibidem, pag. 27. ce Ee 3 i2'% VOYAGES DANS LES TA\'!«NrP.R. 1665. Morttrngi. nnu les avantages de la Province de Bengale, qui portoic autrefois le nom de Royaume, on en a fait le principal gouvernement de l'Empire. I^c Com- merce ell iloriiTant à Brampour. 11 le fait, dans la Ville & dans la Pro- vince, une prodigieute quantité de toiles fort claires, qui fe tranfportcnt en Perfe, en Turquie, en Mofcovie, en Pologne, en Arabie, au grand Caire & dans d'autres lieux. Des unes , qui font teintes de diverles cou. leurs , à fleurs courantes , on fait des voiles & des écharpes pour les fem- mes, des couvertures de lit & des mouchoirs. D'autres font toutes blan- ches, avec une raye d'or ou d'argent qui borde la pièce & les deux bouts, depuis la largeur d'un pouce jufqu'à douze ou quinze; c'ell-à-dire, plus ou moins grande. Cette bordure n'ell qu'un tiflli d'or ou d'argent, & de foyc , avec des fleurs dont la beauté efl: égale des deux cotés. Si celles qu'on por- te en Pologne, où le Commerce en efl conlidérable , n'avoient aux cleiix bouts trois ou quatre pouces, au moins, d'or ou d'argent; ou û cet or & cet argent devenoient noirs en palTant les Mers de Surate à Ormus , & de Trebiionde à Mangalia, ou dans d'autres Ports de la Mer noire, on ne pourroit s'en défaire qu'avec beaucoup de perte. D'autres toiles font par bandes, moitié coton, moitié d'or & d'argent, & cette efpèce porte le nom d'Onnus. Il s'en trouve depuis quinze jufqu'à vingt aunes, dont le prix efl: quelquefois de cent & de cent cinquante roupies ; mais les moin- dres ne font pas au-deflbus de dix ou douze. En un mot , les Indes n'ont pas de Province où le coton fe trouve avec plus d'abondance qu'à Brampour (c). En fortant delà Ville, on pafle une Rivière, différente de celle que l'Auteur avoit déjà palfée. Il compte cent trente-deux colfes de Surate à Brampour; & ces cofles, qui font des plus petites de l'Inde, fe font en moins d'une heure. Tavernier raconte une étrange fédition , dont il fut témoin dans la même Ville, en revenant pour la première fois de la Cour à Surate en 1641. Le Gouverneur de la Province, qui étoit Neveu de l'Empereur par fa Mère, avoit conçu de criminels fentimens d'affeftion pour un de fes Pages. Ce jeune homme, après avoir réfifté long-tems aux ful- licitations, réfoUit, parle confeil de fon frère, qui étoit f^ervis , de s'ar- mer d'un grand couteau, & fe voyant prelle , dans un lieu qui ne luilaif- foit pas d'autre reflburce, il tua le coupable, de deux ou trois coups. 11 fortit auflTi-tôt, fans aucune marque d'émotion, & les Gardes de la Porte le crurent chargé de quelque melliige. Le Dervis , pour le fauver du fup- plice, en failant connoître f infamie du Guuverneur, prit auflî-tôt, av.c les Compagnons, les Banières de Mahomet, qui étoient plantées autour de la Molquce ; ôi. fe mettant à crier que tout ce qu'il y avoit de fiJéks Ma- (c) Tag. 29. ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 223 Mahomdtans eulTcnt à les fiiivre , ils anemblèrcnt en peu de tcms une nom- breufc populace. Ils (c prefentèrent , avec cette fuite, aux portes du Pa- lais, en criant de toute leur force (//); ,, mourons pour Mahomet, ou „ tju'on nous livre un infâme Ciouvern^ur qui n'eft pas digne d'être enterré „ parmi les Murulmans, & que nous ferons manger par les cliiens". La garde n'étoit pas capable de rcliflcr aux feditieux. Il auroit fallu les fatis- lairc, fi quelques uns des principaux Seigneurs de la Ville n'eulfent trou- vé le moyen de les appaifer, en leur repréfentant qu'ils dévoient quelque refpeft au Neveu de l'Empereur. Dès la nuit fuivante, le corps fut en- voyé à la Cour, avec le Ilarem du Gouverneur; & l'Empereur, qui hérite des biens de tous {"es Sujets , apprit tranquillement une nouvelle qui lui apportoit d'immenfes richefles. 11 affeCta même de récompcn- fer la vertu du P 4. 3. J2, de Nova fera à Icbavour: d'ichavour à Signer: de Sifznor à Ciitkaipour: de Chtk:tipour à Dour-ay: de Dour • ay à ylicr kaire; d'Aier kaire à Telor: de lelor a Sa?i- knirer de San ■ kaiie à Serongt, 224 VOYAGES DANS LES Tavf.rntpir. 1665. frniilparcntej, pour les femiiics. Malice d'un éléphant. rcs de lit & de nappes à manger. On en fait dans d'autres lieux que Soron. gc, mais de couL-iirs moins vives, & plus fujettes à fe ternir dans l'eau; tandis que tviks de Seronge deviennent plus belles chaque fois qu'on les lave. I"i Kivière, qui palVe dans cette Ville, donne cette vivacité aux teintures. Pendant la faifon des pluyes, qui durent quatre mois, les Ou. vriers impriment leurs toiles, fuivunt le modèle qu'ils reçoivent des Mur. cliands étrangers; & lorlque les pluycs celTent, ils le hâtent de laver L-scoi- les dans la Kivière, parccque plus elle efb troubie , plus les couleurs font vi- ves & rèlillent au tems (^'). On fait aulîi, à Seronge, une forte de gazes ou de toiles ïi fines, qu'étant fur le corps, elles lailVcnt voir la chair eom- me à nud. Le tranfport n'en efl: pas permis aux Marchands. Le Gouvcr. neur les prend toutes , pour le Serrail Impérial ai. pour les principaux Sci- gneurs de la Cour. Les Sultanes & les Dames Mogoles s'en font des elle. mifes & des robbes, que l'Empereur & les Grands le plaifent à leur voir porter dans les grandes chaleurs (h). Les cent & une colî'es , que l'Auteur fit de Brampour à Seronge lui paru- rent beaucoup plus grandes que celles de Surate à lirampour. Il mettoit quelquefois cinq quarts -d'heure à les faire dans fa voilure. Pendant des journées entières, il traveribit des campagnes fertiles, qui reflemblentbeau. coup à celles de la Beaulle. On y trouve rarement des bois; & les Villages étant fort près l'un de l'autre, un Voyageur marche ou s'arrête à fon gré, & fait cette route à ion aife (»). Callabas ell un gros Bourg, autrefois la réfidence d'un Raja tributai- rc du Grand JVlogoi. Les Caravanes qui paflbient par fes terres étoient, ou volées , ou Vcxèes par des droits excellifs. Aurcng - Zeb , étant mon- té fur le Tronc, fit couper la tête à ce l'yran des Voyageurs & à quan- tité de fes Vallaux. On a fait élever, proche du Bourg, fur le grand chemin, plufieurs tours percées d'un grand nombre de fenêtres, fur lef(|uel- les on a placé toutes ces têtes, de deux en deux pieds de dillance. En 1065, c'cfl-à-dire, au dernier Voyage de Tavernier, cette exécution devoit être récente , puifque les têtes paroiflbient entières , & jettoient encore unegran- de puanteur (k). Collas A II efl une petite Ville, dont tous les Habitans font Idolâtres. A l'arrivée de Tavernier, dans fon dernier Voyage, on y faifoit entrer huit grolTes pièces d'artillerie, les unes de quarante-huit livres de balle, & d'autres de trente-fix , tirées chacune par vingt r quatre couples de bœufs. Elles étoient fuivies d'un éléphant, qui fervoit à les poufler avec fa trom- pe , dans les paflages difficiles , où les tœufs n'auroient pas fuffi pour les ti- rer. Hors de la Ville, le long du grand chemin, on rencontre quantité de ces (ff) Ibidem, pag. 32. (A) Kiles daiifent avec ces chemiTes , & cV'ft appniL'inment ce qui fait dire à Rhoe & MainU'Iflo qu'elles danfent nues. ( j ) De Seronge à Magalki fera , on comp- te fix cofles: 2, de Magaliti-fera à Paulkijera: 3 , de Pauikl- fera à KaJ'ariki Jera : 6. de Kafaiiki-fera à Cbariolki-fera: 6, di- ChadolJiikra à Callabas: 2, de Calhibas à Akmate: 9, d'Akmate à Colla far : 6, de Colla'ar à Satijein: 4, de Sanffle à Dongry: 3, de Dongry à Gâte, (*) Pag. 33. ETATS DU CfRAND MOGOL, Lrv. Ilf. 225 tes jiçros arbres qui s'appellent Mangues; & dans les intervalles, on voit en plufi-urs enJroits de petites Pagodes, dont chacune a fon Idole devani !a porte. A mefure que l'clcphant palToit devant ces Pagodes, il cnl'.'voit les ilatuc'S avec fa trompe, àc les jetioit 11 haut & (î loin qu'ell'.'S fe brifoiL-nt en pièces. Il y avoit beaucoup d'apparence (|u'il y étoit porte par (^Uflques lignes du Mahoméian tiui le conduiloit ; mais les Hanians en paruilloienc lort affligés, (ans ofer le plaindre, parceque l'efcorte étoit de plus de deux nulle hommes, tous Mahonictans, ù l'exception des Maîtres -Canonnicrs, qui étoient frungnis , c'ell-à-dirc , François, Anglois & Ilollanduis. L'Iùnpercur envoyoit cette artillerie à Ton Armée du Decan , pour faire la guerre àSevagy, ce fameux Rebelle, qui avoit pillé 'Surate 1 année d'au- paravant (/). On appelle G.^fff, un détroit de montagnes , qui dure refpace d'un de- mi-quart de lieue, & qu'on defcend du coté d'Agra. L'entrée offre enco- re les ruines de deux ou trois Cliàteaux; ik le chemin eft ù étroit, que deux ou trois chariots n'y palTeroient pas aifément de front. En venant du coté du Midi, comme de Surate, deGoa, de Vifapour, de Goikonde, deMa- fulipatan & de quantité d'autres lieux, on ne peut éviter ce dangereux che- min qu'en prenant la route d'Amadabath. Les deux entrées du détroit a- voient autrefois leur porte; & celle qui regarde Agra ell encore occupée par quelques maifons de Banians qui vendent de la farine, du beurre, du riz ik des legu nés. Tavernier, s'y étant arrêté pour attendre les voitures, parcequ'on elt obligé de defcendre à ce pallage , fut témoin d'un fpeftacle qui dût l'effrayer. Les Banians avoient, à peu de diftance, un magafin de ïïzik de bled. Une femme, qui alioit prendre du grain, fut picquée par un ferpent de treize ou quatorze pieds de long & d'une groffeur proportion- née, qui fe crouvoit caché derrière les facs. Elle revint en pounant de grands cris. On lui lia le bras au-deffus de la picquûre, dans l'elpérancc d'arrêter le venin. Mais, Ton vilage s'étant enllé auiil-tôt, avec des taches bleues & livides , elle mourut en moins d'une heure (;«). Quatre Ragi- pous, qui palTent pour la meilleure Milice des Indes, & qui ne font pas fc upule , quoique Banians, de tuer dans l'attaque & la défenfé, furvinrent achevai, lorfque cet affreux événement caufoit encore l'épouvante à tous les Spe6lateurs. Ils ne balancèrent point à fe jetter dans le magafin , ar- més du labre & de la demie picque. Tavernier n'eut pas la curiofité d'af- fifler au combat ; mais il les vit ibrtir vainqueurs ; & le ferpent , qui fut jet- té hors du Village , attira tout d'un coup tant d'oifeaux de proye, qu'il fut bien-tôt dévoré. Une Rivière, qui coule au pied de Gâte, & que les pluyes avoient fait déborder, obligea l'Auteur de palier deux jours dans ce lieu, pour la pou- voir traverfer à gué ; fans quoi l'on eft forcé de décharger les voitures , & même de les démonter, pour les faire porter à force de bras jufqu'aux Barques. Ce chemin, qui eft d'une demie-lieue, eft couvert de groflès ro- ches, &fipreffé entre la montagne & la Rivière, qu'on ne peut rien s'i- ma- (1) Voyez les Relations du Tom. XI. (m) Pag. 34. XIII. Part, Ff 1665. Dt'trok de Gâte. Avanture d'un gros ferpent. Horrible chemin. I m il'l © ■ n 1/ i 226 VOYAGES DANS LES Tavernier. 1665. Nader , grande Ville qui forme une Peninfulf. Fortereffe do Goualcor , Prifon d'Etat. Diverfes Rivières. maginer de plus dangereux. Les Habitans ne manquent, ni de boîs, ni de pierre , pour y faire un pont ; mais ils trouvent plus d'avantages à ren- dre d'autres iervices aux Paiîans. A quatre cofles de Gâte, on arrive à Nadcr (n), grande Ville, fituée fur la pente d'une montagne, au-dcHus de laquelle on découvre une Fortereire. Toute la montagne en efl: une elle- même, par les murailles dont elle eil environnée. On voit, autour delà Ville, plufieurs grands Eiangs, qui étoient autrefois revécus de pierre de taille , mais dont on a néglige l'ent.-etien. Une lieue plus loin, on ccnferve, avec plus de foin, quelques belles fépultures. La même Rivière qu'on a paflee le jour précédent , & qu'on repafle quatre ou cinq colles au-delà de Nadcr, entoure les trois quarts de la Ville & de la montagne, dont elle fait une Peninlule, & va fc jetter dans le Gange après avoir long-tems ferpen- té. On fabrique, àNader, de belles couvertures picquées , blanches, ou brodées de tieurs d'or , d'argent & de foye. GouALEOR efl une grande Ville , mal bâtie, & divifée par une petite Rivière. Une haute montagne, qui la borde au Couchant, efl entourée d'une muraille flanquée détours; &, dans cette enceinte, on voit quel- ques Etangs formés par les pluyes. Ce qu'on y fème régulièrement lliffit pour la fublîllance de la garnifon. Auiîî cette Place ell- elle regardée com- me une des meilleures de l'Inde. Sur la pente de la montagne au Nord- Ouelt, on découvre une Maifon de plaifance , bâtie par Scha- Jehan, qui commande toute la Ville, & qui tient lieu de Fortereffe. Au bas de cet édifice , Tavernier fut furpris de trouver plufieurs figures de démons , tail- lées dans le roc en bas-relief. Il en admira une, dont la hauteur efl extra- ordinaire. Depuis que les Mogols font établis dans cette Contrée, Goua- leor eft comme la Prifon d'Etat. Scha-Jehan, n'ayant dû la Couronne qu'à fes artifices , faifoit arrêter fuccelTivement tous les Princes & les Seigneurs dont il redoutoit le cara6lère ou la puilTance, & 'es envoyoit à Goualeor; mais il leur lailToit la vie & fufage de leur bien : au-lieu qu'Aureng-Zeb n'y faifoit conduire un Prifonnier, que pour s'en défaire peu de jours après par le poifon. Morat-Bakché ^ le plus jeune de fes frères, y trouva la mort. On lui a fait, dans la Ville, un magnifique tombeau, pour lequel on a bâti une Mofquée, avec une grande place environnée de voûtes & de boutiques. C'ell fufage des Indes, de joindre à tous les édifices publics, une place qui fert de Marché, & d'y mre une fondation pour les Pau- vres (0). A cinq cofles de Goualeor, on pafl!e à gué une Rivière qui fe nomme Lantké. On trouve k Paterki-feray celle de Quarinadi, qu'on pafle fur un Pont de fix grandes arches. Celle de Chamelnadi , qu'on rencontre à Dol- poura^ fe palfe en Bateau & va fe rendre dans le Geincnè, entre Agra & Ha- la- (n) Quatre cofles de Gâte à Naier: 9, de Nader à Barki -ferai 3 , de Barki - fera à Trie : 9, de Trie à Goualeor: 3, de Goualeor à Patcrki fera: xo, de Faterki-fera à Quariqui-ferai 6, de Quariqui • fera à Dolpoura : 6, de Dolpoura à Minaski fera : 8, de Minaski -fera, au Pont de JaoulkOf poul: 4, du Pont de Jaoulkapoul à Agra. (0) Pag. 06. ' ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 227 labas. CeWe de 3^agomadi j entre Minaski-fera 6c Agra.^ offre un Pont fort long & bâti de pierre de taille, qui fe nomme ^aoulkapoul. Suivant le cal- cul de l'Auteur, on compte cent fix coffes de Seronge à Agra (p). Il feroit inutile de répéter, après lui, la route par Amadabath, qu'on a déjà donnée dans la Relation de Mandelflo, s'il n'y joignoit les dillances, & quantité de lieux, qui, n'étant pas nommés dans l'autre, peuvent for- mer du moins une Note utile (q). Quoiqu'il ne marque point le tems de ce Voyage, il mêle, à Tes defcriptions, quelques remarques échappées à Mandelllo , qui paroiflent mériter aufli d'être confervées. En paffant à Barocbe^ il accepta un logement chez les Anglois, qui ont un fort beau Comptoir dans cette Ville. Quelques Charlatans Indiens ayant offert d'amufer l'affemblée par des tours de leur profeiîion , il eut la curio- fité de les voir. Pour premier fpeftacle, iis firent r.Uumer un grand feu , dans lequel ils firent rougir des chaînes, dont ils fe lièrent le corps à nud , fans en reffentir aucun mal. Enfuite , prenant un petit morceau de bois, qu'ils plantèrent en terre, ils demandèrent quel fruit on fouhaitoit d'en voir fortir. On leur dit qu'on fouhaitoit des mangues. Alors , un des Charla- tans , s'étant couvert d'un linceul , s'accroupit cinq ou fix fois contre ter- re. Tavernier , qui vouloit le fuivre dans cette opération , prit une place , d'où fes regards pouvoient pénétrer par une ouverture du linceul ; & ce qu'il raconte ici femble demander beaucoup de confiance au témoignage de fes yeux. „ J'apperçus, dit-il, que cet homme, fe coupant la chair fous les aif- „ felles , avec un razoir , il frottoit de fon fang le morceau de bois. Cha- ,, que fois qu'il fe rélevoit, le bois croiffoit à vue d'œil ; & la troifième, il „ en fortit des branches , avec des bourgeons. La quatrième fois , l'arbre „ fut couvert de feuilles. La cinquième on y vit des fleurs. Un Miniflire Anglois , qui étoit préfent , avoit protefl:é d'abord qu'il ne pouvoit con- fentir que des Chrétiens aiîiftaffent à ce fpeftacle : mais lorfque d'un mor- ceau >> j» TAVEKNIEn. 1665. Tours in- croyables des Charlatans Indiens. 9) (p) En les joignant à cent trente deux, de Surate à Brampour , & à cent une de Brampour à Seronge, c'eft trois cens trente- neuf de Surate à Agra. (î) De Surate à Barocbe, on compte 23 cofTes : de Baroche à Brodra : de Brodra à Neriade : de Neriade à Amadabatb: d'Amadabath à Paîj/i?r: de Panfer à Mafana : de Mafana i Cbitpour: de Chitpour à Balampour : de Balainpour à Dantivar; de Dantivar à Bargant: 15, de Bargant à Bimal: 15, de Bimal à Modra: 10, de Modra à Cbalnour: 12, de Chalaour n Cantap: 15, de Cantap àSethm: 22, J8 20, 13. 14. I4> 12, II. 17, 14, de Setl,ana à Palavafeny: 11, de Paiavaftnj' à Pipars: 16, de Pipars à Mirda: 12, de Mirda à Boronda: i8> de Boronda à Coetcbiel: 14, de Coetchiel à Bandar - Sofmery: 16, de Bandar-Sonnery à Ladona: 12, de Ladona, Ville, à Cbafou: 17, de Chafou à Nuali: 19, de Nuali à Hindou: ic , d'Hindou à Baniana : 14, de Baniana à Vettapour , Ville fort an- cienne, où l'on fait des tapis de laine : la, de Vettapour à Agra; ce qui fait, par cette route , quatre cens quinze cofles depuis Surate. On met ordinairement rrente-cinq ou quarante jours à faire cette route. Ibii. pag. 51 & précé- dentes. Ff 2 22$ VOYAGES DANS LES Tavrpnier. 16(55. Avanture fingulière d'un enfant, » >f »» » j» >» ceau de bois fec il eut vu que ces gens-là faifoient venir, en moins d'une demie-heure*, un arbre de quatre ou cmq pieds de haut, avec des feuil- les & des lieui s comme au Printems , il ie mit en devoir de l'aller rom- pre, & dit hautement qu'il ne donneroit jamais la Communion à aucun de ceux qui demeureroient plus long-tems à voir de pareilles choies : ce qui obligea les Anglois de congédier ces Charlatans , après leur avoir donné la valeur de dix ou douze écus , dont ils ie retirèrent fort fa- tisfaits (r)". Dans le petit Voyage que l'Auteur fit à Cambaye, en fe détournant de cinq ou fix cofles, il n'obferva rien dont Mandelflo n'aie fait la d.fcription; mais , à fon retour , il pafla par un Village , qui n'eft qu'à trois colies de cette Ville, où l'on voit une Pagode, célèbre par les offrandes de la plu- part des Courtifanes de l'Inde. Elle ell remplie de nudités, entre lefquelks on découvre particulièrement une grande figure, que l'Auteur prit pour un Apollon , dans un état fort indécent. Les vieilles Courtifanes , qui ont amafle une fomme d'argent dans leur jeunefTe, en achètent de petites Efcla- ves , qu'elles forment à tous les exercices de leur profeflion ; & ces peti- tes filles , que leurs Maîtreflfes mènent à la Pagode , dès l'âge d'onze ou douze ans , regardent comme un bonheur d'être offertes à l'Idole {s). Cet infâme Temple eft à fix coffes de Chid-zibad , où Mandelilo vifita un des plus beaux Jardins du Grand Mogol. A l'occaiion de la Rivière d'Amadabath, qui eft fans pont, & que les Payfans paflTent à la nage , après s'être lié, entre feftomac & le ventre, une peau de bouc qu'ils rempliflent de vent, il remarque que pour faire pafT;;): leurs enfans , ils les mettent dans des pots de terre , dont l'embouchure cil haute de quatre doigts , & qu'ils pouffent devant eux. Pendant qu'il étoit dans cette Ville, un Payfan & fa femme pafibient un jour, avec un enfant de deux ans, qu'ils avoient mis dans un de ces pots , d'où il ne lui fortoit que la tête. Vers le milieu de la Rivière, ils trouvèrent un petit banc de fable, fur lequel étoit un gros arbre que les flots y avoient jette. Ils pouf- fèrent le pot dans cet endroit , pour y prendre un peu de repos. Comme ils approchoient du pied de l'arbre, dont le tronc s'élevoit un peu au-deffiis de l'eau, un ferpent, qui fortit d'entre les racines, fauta dans le pot. Le père & la mère fort effrayés abandonnèrent le pot , qui fut emporté par le courant de l'eau, tandis qu'ils demeurèrent à demi-morts au pied de l'arbre. Deux lieues plus bas, un Baniane & fa femme, avec leur enfant, fe lavoienc, fijivant l'ufage du Pays, avant que d'aller prendre leur nourriture. Ils vi- rent, de loin, ce^otfur l'eau, & la moitié d'une tête qui paroifToit hors de fembouchure. Le Baniane fe hâte d'aller au fecours , & pouffe le pot à la rive. AufTi-tôt, la mère, fuivie de fon enfant, s'approche pour aider l'autre à fortir. Alors, le ferpent, qui n'avoit fait aucun mal au premier, fort du pot, fe jette fur l'enfant du Baniane, fe lie autour de fon corps ir^r divers replis, le picque & lui jette fon venin, qui lui caufe une prompte mort Deux Payfans fuperftitieux, fe perfuadèrent facilement qu'une avan- ture fi extraordinaire étoit arrivée par une fecréte difpofition du Ciel , qui leur (r) Ibid. pag. 37^38. (0 ^biism. pag. 39. 3Îns d'une des feuil- iller rom- à aucun loft's: ce eur avoir t fort fa- urnant de tription ; coiics de e la plû- lefquellcs ; pour un , qui ont tes Efcla- ces peti- l'onze ou >). Ctc :a un des L que les ntre, une ire pafil;): chure cil: ju'il ctoit m enfant ii fortoit banc de Ils pouf- omme ils •u - defllis 30t. Le té par le e l'arbre. avoienc, Ils vi- bit hors i le pot à )ur aider premier, orps p:tr prompte ne avan° :iel, qui leur ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 229 leur ôtoit un enfant pour leur en donner un autre. Mais le bruit de cet événement s'étant répandu, les véritables parens, qui en furent informés, redemandèrent leur enfant; & leurs prétenfions devinrent le fujet d'un dif- férend fort vif L'affaire fut portée devant l'Empereur , qui ordonna que l'enfant fût reftitué à fon père (r). Ta VER NIER prend plaifir a s'étendre fur diverfes hiftoires , dont on lui fit le récit dans la même Ville: mais le goût de h vérité doit faire met- tre quelque différence entre ce qu'il rapporte fur le témoignage d'autrui , ou fur celui de fes propres yeux. Il confirme ce qu'on a lu dans Mandelllo, delà multitude de finges qu'on rencontre fur la route, & du danger qu'il y a toujours à les irriter. Un Anglois, qui en tua un d'un coup d'arque- bufe, faillit d'être étranglé par foixante de ces animaux, qui defcendirent du fommet des arbres, & dont il ne fut délivré que par le fecours qu'il re- çut d'un grand nombre de Valets. En paflant à Chitpour, affez bonne Vil- le , qui tire fon nom du Commerce de ces toiles peintes qu'on nomme Chi- tes , Tavernier vit , dans une grande place , quatre ou cinq lions qu'on a- menoit pour les apprivoifer. La méthode des Indiens lui parut curieufe. On attache les lions par les pieds de derrière, de douze en douze pas l'un de l'autre, à un gros pieu bien affermi. Ils ont au cou une autre corde, dont le Maître tient le bout à la main. Les pieux font plantés fur une mê- me ligne; & fur une autre parallèle, éloignée d'environ vingt pas, on tend encore une corde, de la longueur de l'efpace qui efl: occupé par les lions. Les deux cordes , qui tiennent chacim de ces animaux attachés par les pieds de derrière, leur laiffent la liberté de s'élancer jufqu'à la corde parallèle, qui fert de borne à ceux qui font au-delà , pour les irriter par quelques pier- res ou quelques petits morceaux de bois qu'ils leur jettent. Une partie du Peuple accourt à ce fpeftacle. Lorfque le lion provoqué s'cll élancé vers la corde, il efl ramené au pieu par celle que le Maître tient à la main. C'efl ainfi qu'il s'apprivoife infenfiblement ; & l'Auteur fut témoin de cet exercice, à Chitpour, fans fortir de fon caroffe (v). Le jour luivant lui offrit un autre amufement, dans la rencontre d'une bande de Fakirs, ou deDervis Mahométans. 11 en compta cinquante-fept, dont le Chef , ouïe Supérieur, avoit été grand Ecuyer de l'Empereur Je- han-Guir, & s'étoit dégoûté de la Cour , à l'occalion de la mort de fon pe- tit fils , qui avoit été étranglé par l'ordre de Scha Jehan. Quatre autres Fakirs, qui tenoient le premier rang après le Supérieur, avoient occupé des emplois confidérables à la même Cour. L'habillement de ces cinq Chtfs confidoit en trois ou quacre aunes de toih:, couleur orangée', dont ils le fai- foient comme des ceintures, avec le bout paifé entre les jambes & relevé par derrière jufqu'au dos , pour mettre la pudeur à couvert; ik lur les épau- les , une peau de tigre , attachée fous le menton. Devant eux , on mcnoic en main huit beaux chevaux, dont trois avoient des brides d'or & des (el- les couvertes de lames du même métal, & les cinq autres des brides d'ar- gent & des felles couvertes aulîi de lames d'arg-.nt, avec une peau de léo- pard fur chacune. L'habit du reftc des Dervis étoit une Gmple corde, qui leur (0 Pag. 42 & précéjentes. (v) Pag. 40. Ff 3 Tavf.kmer. 106$. Danger d'iriiter les finges. Comment on apprivuife les liens. Rencontre de cinrjiiinie- fept Fakirs & àc \^ iirs Chels. 230 VOYAGES DANS LES i06s. Arme in- connue eu Europe. Camp des Dervis. TAVERNrr.R, leur fervoic de ceinture, fans autre voile pour riionnêtetc , qu'un pctic morceau d'etofTe. Leurs cheveux étoient liés en trelFe autour du ki cete & formoicnt une efpèce de turban. Ils étoient tous armés , la plupart d'arcs & de lléclies, quelques-uns de moufquets, tSc d'autres de denii-picques, a- vec une Ibrte d'arme, inconnue en Europe , quieffc, fuivant la delcripcion de l'Auteur, un cercle de fer tranchant, de la forme d'un plat dont on au roit oté le fond. Ils s'en paflent huit ou dix autour du cou, comme une frai- fe; & les tirant lorfqu'ils veulent s'en fervir, ils les jettent avec tant de for- ce, comme nous ferions voler une alîiette, qu'ils coupent un honme prci"- qu'en deux par le milieu du corps (a). Chaque Dervis avoit aulîi une ci'- pèce de cor-de-chafle , dont ils fonnent en arrivant dans quelque lieu, avec un autre inftrument de fer , à - peu - près de la forme d'une truelle. C'ell: a- vec cet inllrument, que les Indiens portent ordinairement dans leurs Voya- ges , qu'ils raclent & nettoyent la terre dans les lieux où ils veulent s'arrê- ter, & qu'après avoir ramalîe la pouflière en monceau, ils s'en fervent com- me de matelas pour être couchés plus mollement, 'l'rois des mêmes Der- vis étoient armés de longues épées, qu'ils avoient achetées apparemment des Anglois ou des Portugais. Leur bagage étoit compofé de quatre cot- fres , remplis de Livres Arabes ou Perfans , & de quelques uftenciles dt cuifine. Dix ou douze bœufs , qui faifoient l'arrière-garde , fervoient à por- ter ceux qui étoient incommodés de la marche. LoiisÔ^UE cette religieufe troupe fut arrivée dans le lieu où Tavcrnicr s'étoit arrêté , avec cinquante perlbnnes de fon efcorte & de fes domclli- qucs, le Supérieur, qui le vit fi bien accompagné, demanda qui étoit Cct Aga, & le fit prier enfuite de lui céder fon pofle, parcequ'il lui paroillbit commode pour y camper avec fes Dervis. L'Auteur , informé du rang des cinq Chefs , fe difpofa de bonne grâce à leur faire cette civilité. Aulîi-toc la place fut arrofée de quantité d'eau, & foigneufement raclée. Comme on étoit en hyver, & que le froid étoit aflez picquant, on alluma deux icux pour les cinq principaux Dervis , qui fe placèrent au milieu , avec la faciliié de pouvoir fe chauffer devant & derrière. Dès le même foir, ils reçurcn: dans leur camp la viiite du Gouverneur d'une Ville voifme , qui leur fit ap- porter du riz & d'autres rafraîchifTemens. Leur ufage , pendant leurs courfes, efl d'envoyer quelques-uns d'entr'eux à la quête , dans les Habi- tations voifines ; & les vivres qu'ils obtiennent fe dillribuent avec égali- té dans toute la troupe. Chacun fait cuire fon riz. Ce qu'ils ont de trop eft donné aux Pauvres, & jamais ils ne fe refervent rien pour le lende- main (y). Bar G A NT eft le Domaine d'un Raja, dont les Vafliiux paflent pour des Brigands, redoutables aux Voyageurs: mais quelques préfens que Taver- nicr fit à leurs Chefs lui firent obtenir un traitement fort civil & lui proeu- rèrent même une efcorte. Le Pays, qui eft entre Dantivar & Mirda, ndl pas plus fur. On compte trois journées , par des montagnes qui appartien- nent à des Rajas tributaires du Grand Mogol, auxquels ce Prince donne en revanche des emplois dans fes Armées, qui leur rapportent plus que le tri- but (X) Pag. 47. (y) Pag. 48. V(.'nj.',<-'ancc d'iinL' i'iiii- CcUc. ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 23? but qu'ils lui payent. Mirda cft une grande Ville, mal bâtie, où Tavernier 7 Avv.p.mtn. eut le defagrément de trouver tous les Carvanferas remplis , parceque la tan- i (^ 6 5. re de l'Empereur Scha-Jehan , femme de Schu-EJl-Khan , y paflbit alors a- vec fa fille. L'Auteur le vit obligé de iaire drelîer fa tente, fur une digue bordée de grands arbres ; & deux heures après , il fut furpris de voir quin- ze ou vingt éléphans, qui vinrent briler une partie de ces arbres, avec Lurs trompes , dont ils callbient les plus grolîes branches comme nous rompons celles du plus petit arbriOcau. Ce ravage étoit ordonné par la Princeire, pour fe vanger du mépris des llabitans de Mirda, qui ne lui avoient pas fait l'accueil & L'S préfens qu'ils lui dévoient. Nitali & Hindou Ibnt deux Villes, où fe fait, comme dans le Pays dont elles font environnées, l'in- digo plat, qui efl: rond, & le plus cher des Indes, parcequ'ïl paiVe pour le meilleur (2). Aprks la defcrlption de cette route, fuppofons Tavernier dans la Ville Impériale d'Agra. Elle efl, dit-il, à vingt-lept degrés trente-une minutes de latitude, dans un terroir fabloneux, qui l'expoie pendant l'été à d'ex- ccllives chaleurs. C'eil la plus grande Ville des Indes, ik la réfidence ordi- naire des Empereurs Mogols. Les maifons des Grands y font belles & bien bâties: mais celles des i-'articuliers , comme dans toutes les autres Villes des Indes, n'ont rien d'agréable. Elles font écartées les unes des autres & cacnees par la hauteur des murailles, dans la crainte qu'on n'y puiife apper- cevoir les femmes; ce qui rend toutes ces Villes beaucoup moins riantes que celles de l'Europe. Les Edifices Jes plus remarquables d'Agra, font le Palais Impérial, & Palais Im- quelques belles Sépultures. Le Palais ell un grand efpace, environné d'une P^'"''''^ d'Agra. double muraille, qui dans quelques endroits ell llanquée d'une terraflTe, fur laquelle on a bâti de petits îogemens pour quelques Officiers de la Cour. Le Gemené coule devant cette enceinte; mais entre le mur extérieur & la Ri- vière , on a formé une grande place , où fe font \ids combats des éléphans. Tavernier obferve qu'on a choili cette place proche de l'eau, parcecjue l'é- léphant viftorieux feroit difficile à gouverner, fi l'on n'employoit l'artifice pour le pouffer dans la Rivière, en attachant, au bout d'une demie picque, des fufées & des pétards où l'on met le feu. On le chafle ainli vers l'eau, dans laquelle il n'ell pas plutôt à la profondeur de deux ou trois pieds, que fa fureur s'appaife (^a). D u côté de la Ville, on trouve une autre place devant le Palais. La pre- Tavernier mière porte, qui n'a rien de magnifique, ell gardée par quelques Soldats. °^'.''"i, '' , Lorfque les grandes chaleurs d'Agra forcent l'Empereur de tranfporter fa fj,^'"' '°" ^ Cour à Dehli , ou lorfqu'il fe met en campagne avec Ion Armée, il donne la garde de fon tréfor au plus fidèle de fes Omrahs, qui ne s'éloigne pas nuit &jour de cette porte, où il a fon logement. Ce fut dans une de ces ab- fences du Monarque, que Tavernier obtint la permilfion de voir le Palais. Toute la Cour étant partie pour Dehli, le gouvernement du Palais d'Agra fut confié à un Seigneur qui aimoit les Européens, [■^clant , Chef du Comptoir HoUandois, fallafaluer aulîi-tot, & lui oifrir, en épiceries, en cabinets du (2) Pag. 51 & précédentes, (a) Psg. 60. voir. Tavfrnieu. 1665. Première cour & ffs portiques. Seconde cour. Niche de l'Empereur. Cour ïm périaie. Ri che dcffein. Î32 VOYAGES DANS LES Japon, & en beaux draps clj Hollande, un préfent d'environ fix mille cens, Tavernicr, qui écoic prelenc, eue occafion d'admirer la gcnéroiîcé Mu^ole. Ce Seigneur reçut le compliment avec politefle; mais le trouvant oltcnfé du prclent, il obligea les llollandois de le remporter, en lui difanc que par conlidération & par amitié pour les Franguis , il prendroit feulement uns petite canne, de lix qu'il lui offroic. C étoit une de ces cannes du Japon, qui croiflent par petits nœuds. Encore Failut-il en ôter l'or dont on ravoir enrichie, parcequ'il ne la voulut recevoir que nûe. Après les complimens, il demanda au Directeur Hollandois ce qu'il pouvoit faire pour l'obliger; (S: Vêlant l'ayant prié de permettre , que dans l'abfence de la Cour , il pu;; voir, avec Tavernier, l'inLcrieur du Palais, cette grâce leur fut accordée. On leur donna fix hommes pour les conduire. La première porte, qui l'ert de logement au Gouverneur, eft une voûte longue & obfcure, après laquelle on entre dans une grande cour, environ- née de portiques , comme la place royale de Pans. La galerie qui eft en fa- ce eft plus large & plus haute que l'es autres. Elle eft foutenue de trois rangs de colomnes. Sous celles qai régnent des trois autres côtés de la cour, & qui font plus étroites & plus balles, on a ménagé plulieurs petites cham- bres pour les Soldats de la garde. Au milieu de la grande galerie, on voit une nicae , pratiquée dans ie mur, où r]'!.mpen ur Te rend par un petit d- calier dérobé; & lorfqu'il y eil aiiis, on ne le ciéeouvre que jufqu'à la poi- trine, à-peu-prés comme un bulle. 11 n'a point alors de Gardes autour de lui, parcequ'il n'a rien à redouter, ik que île tous les cotés cette place ti\ inacceiiible. Dans les grandes chaleurs , iî a feulement , près de fa per- fonne, un Eunuque, ou même un de fes En fans , pour l'éventer. Les Grands de la Cour fe tiennent dans la galerie qui eft au delfous de cet- te niche (b). Au fond de la cour, à main gauche , on trouve un fécond portail , qui donne entrée dans une autre grande cour, environnée de galeries, comme la première , ibus lefquelles on voit aulli de petites chambres pour quelques Officiers du Palais. De cette féconde cour, on palle dans une troiiicme, qui contient l'appartement Impérial. Scha-Jehan avoit entrepris de couvrir d'argent toute la voûte d'une grande galerie qui eft à main droite. 11 avoit choili pour l'exécution de cette magniriqu • entreprife, un François, qui le nommoit Auguftin de Bordeaux. Mais, uwint belbin d'un Miniftre inL>..ii- gent pour quelques affaires qu'il avoit à Goa, il y envoya cet Artifte; d les Portugais, qui lui reconnurent aflez d'efprit pour le trouver redoutable, fempoifonnèrent à Cochin (c). La galerie eft demeurée peinte de feuilla- ges d'or & d'azur. Tout le bas eft revêtu de tapis. On y voit des portes, qui donnent entrée dans plufieurs chambres quarrées, mais fort petites. Ta- vernier ft' contenta d'en faire ouvrir deux , parcequ'on l'aOlira que toutes les autres leur reffembloient. Les trois autres côtés de la cour font ouverts, & n'ont qu'une limple muraille à hauteur d'appui. Du côté qui regarde la Rivière, on trouve un Divan , ou un Belvédère, en faillie, où f Empereur vient (t) Pag. 61. Cette deR-ription efl plus nette que celles de Rhoe & de Mandelilo; mais Tavernier n'employé pas les niêraes noms. (c) Pag. 62. im ETATS DU GRANf) MOGOL, Liv. III. »35 vient s'afleoir, pour fe donner le plailîr de voir Tes Brigantins, ou le combat des bétcs farouches. Une galerie lui fert de veftibule ; & le deflein de Scha-Jeiian étoit de la revêtir d'une treille de rubis & d'émeraudes , qui dé- voient repréienter au naturel les raifins verds & ceux qui commencent à rougir; mais ce delFein, qui a fait beaucoup de bruit dans le Monde, Ôt qui demandoit plus de richeffes qu'il n'en peut fournir, efl demeuré .'mparfait. On ne voit que deux ou trois feps d'or , avec leurs feuilles , comme tout le refle devoit être ; émaillés de leurs couleurs naturelles , & chargés d'éme- raudes , de rubis & de grenats , qui font les grappes. Au milieu de la cour, on admire une grande cuve d'eau, d'une feule pierre grifàtre, de quarante pieds de diamètre (c/), avec des degrés , dedans & dehors , pratiqués dans la même pierre , pour monter & defcendre. I L paroît que la curiofité de Tavernier reçut ici des bornes ; ce qui s'ac- corde avec l£ témoignage des autres Voyageurs , qui parlent des apparte- mens de l'Empereur comme d'un lieu impénétrable. Il pafle aux Sépultu- res d'Agra & des lieux voilins, dont il vante la beauté. Les Eunuques du Palais ont prefque tous l'ambition de fe faire bâtir un magnifique Tombeau. Lorfqu'ils ont amaffé beaucoup de biens, la plupart fouhaiteroient d'aller à la Mecque, pour y porter de riches préfens. Mais le Grand Mogol , qui ne voit pas fortir volontiers l'argent de fes Etats , leur accorde rarement cette permiflion; & leurs richeffes leur devenant inutiles, ils en confacrent la plus grande partie à ces Edifices , pour laiffer quelque mémoire de leur nom ((?). Entre tous les Tombeaux d'Agra, on dillingue particulièrement celui de l'Impératrice, femme de Scha- Jehan. Ce Monarque le fit élever proche du Tafimakan^ grand Bazar, où fe raffemblent tous les Etrangers, dans la feule vue de lui attirer plus d'admiration. Ce Bazar ou ce Marché , efl: compofé de fix grandes cours , entourées de portiques , fous lefquelles on voit des boutiques & des chambres , où il fe fait un prodigieux Commer- ce de toiles. Le Tombeau de l'hnpératrice efl: au Levant de la Ville , le lo.ig de la Rivière, dans un grand efpace fermé de murailles, fur lefquelles on a fait régner une petite galerie. Cet elpace eft une forte de Jardin en compartimens , comme le parterre des nôtres ; avec cette différence , qu'au- lieu de fable, c'efl: du marbre blanc & noir. On y entre par un grand por- tail. A gauche , on découvre une belle galerie, qui regarde la Mecque, avec trois ou quatre niches où le Mufti fe rend à des heures réglées , pour y faire la prière. Un peu au-delà du milieu de l'efpace , on voit trois gran- des plate-formes, élevées l'une fur l'autre, & chacune accompagnée de qua- tre tours, d'où l'on annonce ces heures. Au-delfus s'élève un dôme, qui n'a guères moins d'éclat que celui du Val-de-Grace. Le dedans & le dehors font également revêtus de marbre blanc. C'efl; fous ce dôme qu'on a placé le Tombeau; quoique le corps de l'Impératrice aît été dépofé fous une voû- te, qui efl: au-deflbus de la première plate-forme. Les mêmes cérémonies, qui fe font dans ce lieu fouterrain , s'obfervent fous le dôme , autour du Tombeau; c'efl- à- dire, que de tems en tems on y change les tapis, les chandeliers, & les autres ornemens. On y trouve toujours aufll quelques Mul- (rf) Ibidem, (e) Pag. (52. XIIL Part. Gg Tavernieh, 1665. Auirt pro- jet d'uiu ri- ch.ilc fui pre- nante. Pourquoi les Pom beaux I Agra font uiaguiii- ques. Defcription du plus beau. ^3+ Voyages dans les durée du tra vail. Peinture qui rcpréfcn- te des Jéfui- CCS. Tavernier. Mullahs en pricrcs. Tavcrnier vit commencer & finir ce grand ouvrage i^}^5' auquel il aflure qu'on employa vingt-deux ans, & le travail continuel de Dépenfe & vingt milL' hommes (/). Ou prétend, ditril, que les feuls échaliaudagos ' ont coûte plus que l'ouvrage entier, parceque manquant de bois on étoir contraint de les taire de brique, comme les cintres de toutes les voûtes; ce qui demandoit un travail & des fraix immenlcs. Scha- Jehan avoit commen- cé à fe bâtir un Tombeau de l'autre côté de la Rivière: mais la guerre qu'il eut avec les Enfans interrompit ce deflein; & l'heureux Aureng-Zeb, Iba Succclleur, ne fe fit pas un devoir de l'achever. Deux mille hommes, fous le commandement d'un Eunuque, veillent fans celle ù la garde du iVJauJolé.; de l'Impératrice & du Talimakan (g). Les Tombeaux des Eunuques n'ont qu'une feule plate-forme, avec qua- tre petites chambres aux quatre coins. A la dillance d'une lieue des murs d'Agra, on vifite la Séptilture de l'Empereur Eekbar. En arrivant du coté de Dehly , on rencontre près d'un grand Bazar, un Jardin, où elT. celle de Jehan-Guir, Père de Scha-Jehan. Le defliis du portail oftre une peinture de fon Tombeau, qui eft couvert d'un grand voile noir, avec plufieurs llambeaux de cire blanche, & la figure de deux Jéfuites aux deiix bouts. On clt étonné que Scha- Jehan, contre l'ufage du Mahométifme, qui défend les Images, ait fouffert cette repréfentation. Tavernier la regarde comme uii monument de fa réconnoiflance , pour quelques leçons de Mathématiques èc d'Aftrologie que ce Prince & fon Père avoient reçues des Jéfuites. 11 ajou- te que dans une autre occafion , Scha-Jehan n'eut pas pour eux la même in- dulgence. Un jour qu'il étoit allé voir un Arménien , nommé Corgia^ qu'il aimoit beaucoup, & qui étoit tombé malade, les Jéfuites, dont la Maifon étoit voifine, firent malheureufement fonner leur cloche. Ce bruit, qui pouvoit incommoder l'Arménien , irrita tellement l'Empereur , que dans fa colère il ordonna que la cloche fût enlevée & pendue au cou de fon élé- phant. Quelques jours après, revoyant cet animal avec im fardeau qui c- toit capable de lui nuire , il fit porter cette cloche à la place du l\a- teval , où elle ell demeurée depuis. Corgia palfoit pour excellent Poi'- te. Il avoit été élevé avec Scha-Jehan, qui avoit pris du goût p^ir fon efprit, & qui le combloit de richefies & d'honneurs; mais fes pru- mclTcs ôc fes menaces n' avoient pu lui faire embraller la Religion de Mix- homet (/j). Taveknier, toujours indépendant de l'ordre, décrit la route d'Agn à Dehli , fans expliquer à quelle occafion ni dan-j quel tems il fit ce Voya- ge. Il compte foixante-huit cofles entre ces deux Villes (i). A Chcki- fera (^), qui n'cil qu'à onze colles d'Agra, il vit une des plus grandes Pa- Cloche en- levée à ces Pères , par Scha-Jehau, Route de Ddili. jour dc( i' (/) Pag. 63. (6) P-i«. 64. (i) D'Aijra à Goodki.fi'ra , on corrpte fix cofTes ; cinq , de GooJid fera à Cbekifera; fci- ze, de.ChLki-fera à Kutki-fera; quinze, de Kû'Jvifera à PcluJ'siki-Jira; dix-huiS lii Pe- hifelid-fera à Badelpoura; & huit de BaJ^!- pouta à Dehli. Fng. 59 & 60. {k^ Mr. Prevoft avoit mis ici, pnr cr reur , Cooilki fera, qui n'elt qu'à fix col? : d'Agra. Ct.tte route elî renvtrfée dans Ta- vernier, quila donne de Dehli à Agra, maij cela rcviciiC au même. II. d. E. ETATS DU GRAND MOG OL, Liv. III. 235 godes c]:s Indes, accompagnée d'un Hôpital pour les flngcs. Cette Pago- de, i]m fc nomme M attira i ccoit autrefois beaucoup plus refpcftcc qu'au- jourd'hui, (S: cette dinércnce ne vient que du changement de la UivièM'c de ('Cmené, qui palloit autrefois au pied du Bourg, & qui ayant pris fun cou ^ au Nord , èv n'en paiïant plus qu'à la diftance d'une grande cofle , a fait jierdre aux Péic-rjus Jîanians la commodité de s'y laver, fuivant leur ufa- gc, avant que d'entrer dans la Pagode. Dr. HLi ell: une grande Ville, lituéc fur le Gemené, qui coule du Nord au Sud, & qui prenant en fuite fon cours du Couchant au Levant, après a- vûir palle par Agra & Kadiove, va fe perdre dans le Gange. Sclia-Jehan rebuté des chaleurs d'Agra, fit bâtir près de Dehiy une nouvelle Ville, ù laquelle il donna le nom de Jehan-abad^ qui fignifie Fille de Jehan. Le cli- mat y eft plus teniperé. Mais, depuis cette fondation , Dehly cfl: tombée prefquc en ruines, o: n'a que des pauvres pour Habitans ; à l'exception de trois oa quatre Seigneurs , qui , lorfque la Cour eft à Jehan-abad , s'y établiflcnt dans de grands enclos , où ils font dreflcr leurs tentes. Un Jéfuite, qui fuivoit la Cour d'Aureng-Zeb , prenoit aulli fon logement à Dehly. Jehan-abad, que le Peuple , par corruption , nomme aujourd'hui Jan- nahat, ell devenue une fort grande Ville, & n'efl féparée de l'autre que par une fimple muraille. Toutes fes maifons font bâties au milieu d'autant de grands enclos. On entre, du côté de Dehli, par une longue & large rue, bjrdée de voûtes, dont le deffus efl; en plate-forme, 6; qui fervent de re- traite aux .ÏNlarchands. Cette rue fe termine à la grande place , où eft L^ Palais de l'Empereur. Dans une autre, fort droite Ck fort large, qui vient fe rendre à la même place, vers une autre porte du Palais, on ne trouve que de gros Marchands qui n'ont point de boutique ex- térieure. Le Palais Impérial n'a pas moins d'une demie-lieue de circuit. Les mu- railles font de belle pierre de taille, avec des créneaux & des tours. Les foffés font pleins d'eau, & revêtus de la même pierre. Le grand portail du Palais n'a rien de magnifique, non plus que la première cour, où les Seigneurs peuvent entrer fur leurs éléphans. Mais, après cette cour, on trouve une forte de rue , ou de grand paflTage , dont les deux côtés font bor- dés de beaux portiques , fous lefquels une partie de la garde à cheval fe re- tire dans pîufieurs petites chambres. Ils font élevés d'environ deux pieds; & les chevaux, qui font attachés en dehors à des anneaux de fer, ont leurs mangeoires fur les rebords. Dans quelques endroits, on y voit de grandes portes , qui con Juilent à divers appartemens, entr'autres à celui des femmes , & au quartier où l'on rend la Jullice; ce pafTage eft divifé par un canal plein d'eau , qui laifle un beau cîicmin des deux côtés , & qui forme de petits baf- f:ns à d'égales diftances. Il mène jufqu'à l'entrée d'une grande cour, où les Omrahs font la garde en pcrfonne. Cette cour eft environnée de logemens allez bas , & les chevaux font attachés devant chaque 4Dorte. De la fécon- de cour, on palTe dans une troilième, par un grand portail, à côté duquel *on voit une petite falle, élevée de deux ou trois pieds, où l'on prend les veftes dont l'Empereur honore fes Sujets ou les Etrangers. Uu peu plus Gg 2 loin. Tavermer. 1C65. Situn'ion de cette Ville. Jehan-abad, bîitic pnr Scha-jelian. Sa defcrip- tiou. Palais de Tclianabad. 336 VOYAGES DANS LES Tavernier. 1665. Salle d'au- c'icncc. 'Vu '-.c Im- périal. I Mufique pendant le Confcil. Illl loin, fous le même portail, cCl le lieu où fe tiennent les tambours, les trompettes, & les hautbois, qui Ce font entendre quelques momcns a. vaut que l'Empereur fe montre au Public , & lorlqu'il cil prêt à fc reti- rer. Au fond de cette troilième cour, on découvre le Divan, ou la falle d'audience, qui ell élevée de quatre pieds au- deflus d.i rez- de-chaufllc, & tout-à-fait ouverte de trois côtés, 'l'rente-deux colomnes de marbre, d'environ quatre pieds en quarré , avec leur piédeltal & leurs moulures, foûtiennent la voûte. Sclia-Jehan s'étoit propofé d'enrichir cette falle des plus beaux ouvrages MofaïquL s, dans le goût de la Chapelle de Florence; mais, après en avoir fait faire l'eflai fur deux ou trois colomnes de la liaii- teur de deux ou trois pieds, il defefpéra de pouvoir trouver afîlz de pierres pour un fi grand deflein; 6c n'étant pas moins rebuté par la dépenfe, il le détermina poui une peinture en tleurs. C'est au milieu de cette falle, & près du bord qui regarde la cour, en manière de théâtre, qu'on dreffe le Trône où l'Empereur donne audience, & difpenfe la Juftice. C'ert un petit lit , de la grandeur de nos lits de camp, avec fcs quatre colomnes, un ciel, un dolfier, un traverlin & la courte- pointe. Toutes ces pièces font: couvertes de diamans: mais lorfque l'Em- pereur s'y vient afleoir, on étend fur le lit une couverture de brocard d'ur, ou de quelque riche étoffe picquèe. Il y monte par trois petites marches, de deux pieds de long. A l'un des côtés, on élève un parafol, fur un bâ- ton de la longueur d'une demie picque; & l'on attache à chaque colomne du lit une des armes de l'Empereur; c'ell-à-dire, à l'une fa rondache, à l'au- tre fon labre, fon arc, fon carquois & fes flèches. Dans la Cour, au-deflbus du Trône, on a ménagé une place de vingt pieds , en quarré, entourée de balullres, qui font couverts tantôt de lames d'argent , &. tantôt de lames d'or. Les quatre coins de ce parquet font h\ place des Secrétaires d'Etat, qui font aufîi la fonction d'Avocats dans les causes civiles & criminelles. Le tour de la baluftratie ell occupé par les Sei- gneurs , & par les Muficiens ; car , pendant le Divan même , on ne ceffe point d'entendre une Mufique fort douce , dont le bruit n'eft pas capable d'apporter de l'interruption aux affaires les plus férieufes. L'Empereur, af- fis fur fon Trône, a près de lui quelqu'un des premiers Seigneurs , ou fes feuls Enfans. Entre onze heures & midi , le premier Miniftre d'Etat vient lui luire l'expofition de tout ce qui s'eft palfé dans la chambre où il préfide, qui cfl: à l'entrée de la première cour; & lorfque fon rapport eîl fini, l'Em- pereur fe lève. Mais, pendant que ce Monarque ell fur le Trône, il n'eil permis à perfonne de fortir du Palais. Tavernier fait valoir Thonneur qu'on lui fit de l'exempter de cette loi (/}. ViRS (J) „ Un jour, dit -il, quelques afFaires „ preiTantes m'obligeant de fortir , tandis que „ l'Empereur étoit au Divan, le Capitaine „ des Gardes m'arrêta pat le bras & me dit „ brufquement que je n'irois pas plus loin. „ Je conteftai quelque-tems avec lui; mais „ voyant qu'il me traitoit rudement, je por- „ taî la main â mon cangiar & je l'aurois „ frappé dans la colère où j trois, fi tr ils ,, ou quatre Gardes, qui virent mon aftion, „ ne m'avoient retenu. HL'urL'Lifemi.'nt pour „ moi, le Nabab, ou ie premier Minillrc, „ qui étoit oncle de l'Empereur, pafla dans „ le môme-tcms , & s'écain infurmé du fujct »> de •ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 537 Vers le milieu de la cour, on trouve un petit canal, large d'environ fix polices, où pendant que le Roi efl: fur Ton Trône, tous ceux qui viennent à l'autlience doivent s'arrêter. Il ne leur efl pas permis d'avancer plus loin fans être appelles; & les AmbalFadeurs mêmes ne font pas exempts de cet- te; loi. Lorfqu'un Ambafladeur efl venu jufqu'au canal, l'introdudeur crie vers le Divan où l'Empereur efl ailis, que le Miniflre de telle PuifTanee ibu- luite de parler à Sa Majeflé. Alors un Secrétaire d'Etat en avertit l'Empe- rcLir, qui feint Ibuvent de ne pas l'entendre: mais quelques momens après, il lève les yeux; & les jettant fur l'Ambalfadeur, il donne ordre au même Secrétaire de lui faire Tigne qu'il peut s'approcher. De la flille du Divan, on palTc à gauche fur une terrafTe , d'où l'on dé- couvre la Rivière; & fur laquelle donne la porte d'une petite chambre, d"où l'Empereur paflTe au Serrail. A la gauche de cette même cour, on voit une petite Mofquée, fort bien bâtie, dont le dôme efl: couvert de plomb û par- faitement doré, qu'on le croiroit d'or malTif. C'efl dans cette Chapelle que l'Jimpereur fait chaque jour fa prière , excepté le Vendredi , qu'il doit fe rendre à la grande Alofquée. On tend , ce jour -là , autour des de- grès , un gros rets de cinq ou fix pieds de haut , dans la crainte que les clephins n'en approchent, & par refpefl pour la Mofquée même. Cet Edifie-', que 'i'avernier trouva très-beau, efl afTis fur une grande plate- forme, plus élevée que les maifons de la Ville; & Ton y monte par di- vers efcaliers. Le côté droit de la cour du Trône ell: occupé par des portiques, qui forment une longuegalerie,élevéed'environunpied&demiau-deirus du rez- de-ehaulfée. Piufieurs portes , qui régnent le long de ces portiques, don- nent entrée dans les Ecuries Impériales , qui font toujours remplies de très- beaux eh .'vaux. Tavernier alfure que le moindre a coûté trois mille écus, & q e le prix de quelques-uns va jufq'i'à dix mille. Au-devant de chaque porte, on fufp.nd une natte de bambou, qui fe rend auifi menu que l'oller; mais au-lieu que nos petites treifes d'ofier fe lient avec l'olier même, celles de bambou :bnt liées avec de la foye torfe, qui repréfente des fleurs; & ce travail, qui efl fort delieac, demande beaucoup de patience. L'effet de ces nattes efl d'empêcher que les chevaux ne foyent tourmentés des mou- ches. Chacun a d'ailleurs deux Palfreniers, dont l'un ne s'occupe qu'à l'é- venter. Devant les portiques , comme devant les portes des écuries , on met aulTi des nattes , qui fe baiffent & fe lèvent fuivant le befoin ; & le bas de la galerie efl coi vert de fort beaux tapis, qu'on retire le foir , pour fai- re , dans le même lieu , la litière des chevaux. Elle ne fe fait que de leur fien- Tavrrnier*, 16 fi 5. Ciiivil (',11! fert de borne devant le Trùnc. „ de nôtre querelle, ordonna au Cnpitame „ des Gardes de me lailFer fortir. Enfuite, „ ayant rendu compte à l'Enipertur de ce , qui s'étoit palTé, il m'envoya le foir un de „ l'es gens , pour me dire que Sa Majeflé „ vouloit que j eufle la liberté d'entrer au ,, Pal iis & d'en ibrtir à mon gré, pendant „ quelle feroit au Divan; dequoi j'allai fai- Petite Mof. quée lmpéria« le. Ecuries du Grand Mogol à Jehan-abad. Manière- d'y nourrir les chevaux* „ re, le lendemain, mes remercîmens au ,, Nabab ". Ibid, pag. 87. On efl en peine, ici, à quel titre un Particulier tel que l'Au- teur, qui ne fait dans tout ce Voyage que le rôle de Jouaillier, ofoit violer une* loi de l'Empire. La faveur qu'il obtint caufe moins d'embarras; elle fait honneur à la booié d'Aureng-Zeb pour les Ëtrangei«. itî 1 IMAGE EVALUATION TEST TARGET (MT-3) /. // ^ >. K Photographie Sciences Corporation 23 WiST MAIN STREIT WIBSTER.N.Y. 145S0 (716) S73-4503 238 VOYAGES DANS LES TAVF.llMRn. 1665. Tavernier vifitc plu- fieiirs Villes de l'Empire, fientc , qu'on dcrafe un peu , après l'avoir fait Aidicr au Soleil. Les clic- vaux qui paiïL'nc aux Indes, dj Pcrfc , ou.d'Arabic, ou du Pays des Us- becks , trouvent un grand changement dans leur nourriture. Dans rindou- ftan, comme dans le relie dis Indes, on ne connoît ni le foin, ni l'avoine. Chaque cheval reçoit le matin, pour fa portion, deux ou trois pelotes, coin- polees de farine dj froment & de beurre, de la groileur de nos pains d'i,.*! fou. Ce n'ell pat. fans peine qu'on les accoutume à cette nourriture, «Se fouvent on a|belbin de quatre ou cinq mois pour leur en faire prendre le goût. Le Palfrenier leur tient la langue d'une main; & de l'autre , il leur fourre la pelote dans le gofier. Dans la faifon des cannes de fucre ou de millet, on leur en donne à midi. Le foir, une heure ou deux avant le coucher du Soleil, ils ont une mefure de pois chiches, écrafés entre deux pierres & trempés dans l'eau (w). Tavernier partit d'Agra le 25 de Novembre 1665, pour vifiter quel- ques Villes de l'Empire, avec Dernier, auquel il donne le titre de Médecin de l'Empereur (t), quoiqu'on aîtlû, dans fa propre Relation , qu'il avoit avec iiérnier. quitté alors le lervice de ce Monarque pour s'attacher à Danechmend- Kan , Secrétaire d'Etat pour les affaires étrangères. Le Journal de leur route eft d'autant plus curieux, que les obfervations qu'il contient leur ayant été communes , il peut palier pour un fupplément aux Mémoires de Dernier , dont on a regretté que tous les papiers n'euflcnt pas vu le jour (0). Le premier jour de leur départ, ils firent trois cofleSj qui les conduifirent à un mauvais Carvanfera. Le lendemain , ils en firent neuf jufqu'à Beriizi- bad, petite Ville, où 'l'uvernier toucha huit mille roupies , qui lui étoient dues par un Seigneur Mogol pour le payement de quelques marchandifcs. Les cinq jours fuivans, ils paflerent par Morîides^ qui eft à neuf cofles de Beruzabad; par Ejlanja^ à quatorze coiFes de Morlides; par Haj:-mal, h douze colles d'Eftanja ; par Sckaviera ^ à treize cofles d'Haji-mal; & par Sankal^ à quatorze de Sekandera ^^p). Le premier de Décembre , ils ren- contrèrent cent dix charettes, tirées chacune par fix bœufs, & chacune portant cinquante mille roupies. C'étoit le revenu de la Province de Den- gale, qui, toutes charges payées, & la bourfe du Gouverneur remplie, monte à cinq millions & demi de roupies. Une lieue en-deçà Sankal , on pafle une Rivière, nommée Saingoiir^ qui va fe rendre, à demie-lieue de-là, dans celle de Gemené. On la pafle fur un Pont de pierre. Ceux qui vien- nent du Bengale à Seronge & à Surate, peuvent accourcir leur chemin de dix lieues, en quittant celui d'Agra, pour fe rendre à ce Pont, & pafler enfuite le Gemené dans un Bateau. Cependant on eft plus porté à fuivre le chemin d'Agra, parcequ'on trouve dans l'autre cinq ou fix journées de pier- (m) Pag 59. ( « ) Pag. 66. ( 0 ) 11 die en finiffant, que pour fes au- très avantures, dont M.Thevenot étoic fort curieux, il' efpérpit qu'avec le tems il pom- roit les débrouiller dans fes Mémoires. Tom. ir. pag.2i3. (p) L'Auteur joint, aux quatre premiers de ces lieux, le nom de Serrail, par lequel il entend une Maifon de plaifance de l'iiui- perçu r. lémoires. Tom. ETATS DU GRAND MOGOJ., Liv. 111. 23^ pierres, & qu'il faut traverfer les terres de quelques Rajas, fameux par leurs brigandages. Les deux François firent douze cofles, de Sankal à Cherourabad. Vers la moitié du chemin, ils rencontrèrent une petite Ville, nommée Gianabad^ près de laquelle ils virent un rhinocéros, qui mangeoit des cannes de mil- let. Il les recevoit de la main d'un petit garçon de neuf ou dix ans ; &Ta- vernier en ayant pris quelques-unes , cet animal s'approcha de lui , pour les recevoir aulli de la fienne. Le 3 , la route fut de dix cofles , jufqu'à Cha- geada-j de quinze, le lendemain jufqu a yJrakan; & de neuf, le jour iuivant jufqu'à /kreng-abad. Ce dernier Bourg, qui portoit autrefois un autre nom ' ell: le lieu dans lequel Aureng-Zeb remporta fur fon frère, Sultan-Sujah , la vitloire qui fervit à félever fur le Trône. Non- feulement il lui donna fon nom , mais il y fit bâtir , pour Monument de fa gloire , un beau Palais ac- compagné d'un Jardin & d'une Mofquée. Le 6, après avoir fait neuf cofles, les deux Voyageurs arrivèrent à Alinchan. A deux lieues en deçà de ce Bourg, on rencontre le fameux Tavebniïr, 1665. Rhinocéros futniiicr. Effets de • l'eau du Gan- ge. pluyes , qu'il efl impoliible aux Bateaux de remonter. En arrivant fur fes bords , les deux François burent un verre de vin dans lequel ils mirent de l'eau de ce Fleuve , qui leur caufa quelques tranchées. Leurs Valets , qui la burent feule, en furent beaucoup plus tourmentés. Auffi les Hollandois qui ont des Comptoirs fur les rives du Gange, ne boivent-ils jamais de cet- te eau fans l'avoir fait bouillir. L'habitude la rend fi faine pour les Habi- tans du Pays, que l'Empereur même & toute la Cour n'en boivent point d'au- tre. On voit continuellement un grand nombre de chameaux, lur lefqucls on vient charger de l'eau du Gange. ïIalabas, où l'on arrive à huit cofles d'Alinchan, efl: une grande Vil- le , bâtie fur une pointe de terre , où fc joignent le Gange & le Gemené. Le Château , qui ell de pierre de taille ik ceint d'un double fofle , fert dé Palais au Gouverneur. C'étoit alors un des grands Seigneurs de l'Empire • fa mauvaife fanté l'obligeoit d'entretenir plufieurs iMédecins , Indiens & Perfans , entre lefquels étoit un François , né à Bourges , & nommé Claude Maillé, qui exerçoit tout à la fois la Médecine & la Chirurgie (q). Le premier de fes Médecins Perfans jetta un jour fa femme du haut d'une ter- raflTe en bas, dans un tranfport de jaloulie. Elle ne fe rompit heureufe- ment que deux ou trqis côtes. Ses Parens demandèrent juftice au Gou- verneur, qui fit venir le Médecin,- & qui le congédia. Il n'étoit qu'à deux ou trois journées de la Ville, lorfque le Gouverneur, fe trouvant plus mal' l'envoya rappeller. Alors ce furieux poignarda fa femme & quatre enfans qu'il avoit d'dle , avec treize filles efclaves ; après quoi, il revint trouver le Gouverneur, qui feignant d'ignorer fon crime, ne fit pas difficulté de le reprendre à fon fervice. (î)C'e(l le même que Tavernier avoit •vu au Pays de Carnate, & dont on a lu Le l'hifloire ci-defTus, dans le Voyage mx Mi- nes de Diauians. Halabas & fon Gouver- neur. Cruniitd d'un Méde- cin. HQ VOYAGES DANS LES TAVEnNIER. 1665. Bàmroii, trè'i - belle Ville. Pagode de Banaruu. Torme de différentes Idoles. Baiiimadou. Le 8, l'Auteur & Bernier paflerent le Gange dans un Bateau; mais ce ne fut pas fans s'être ennuyé beaucoup fur la rive . pour attendre une per- miflîon par écrit du Gouverneur , que Maillé leur apporta. L'Officier, qui fait payer les droits , ne laifle pafler perfonne fans cet écrit. La journée fut de feize cofles , jufqu'à Sadoul-Serrail ; celle du lendemain, de dix cof- fQS^ jufqu'à Sakedil-fera; & celle du jour d'après, de dix autres colTes, jufqu'à Bouraki-fera. Le 11, elle fut encore de dix cofles, jufqu'à Bana- roUf grande Ville, très-bien bâtie, dont la plupart des maifons font de bri- que ou de pierre de taille, & plus élevées que celles des autres Villes de rinde. Mais les rues font fort étroites. Entre plufieurs Carvanferas , on en admire un , pour fa grandeur & pour la beauté de fes édifices. Sa cour eft partagée par deux galeries , où l'on vend des toiles , des étoffes de foye , & d'autres marchandifes. C'eft de la main des Ouvriers mêmes qu'on les achète. Mais avant que de les expofer en vente , ils doivent y faire met- tre le fceau Impérial par le Chef de la Ferme , & ceux qui manquent à cette loi font punis avec une extrême rigueur. La Ville efl; fituée fur le bord du Gange , qui baigne le pied de fes murs, & qui reçoit une grande Rivière, deux lieues au-deflbus , du côté du Couchant. Les Banians ont , à Bana- rou , une de leurs principales Pagodes , que l'Auteur & Bernier vifitèrent curieufement. Sa forme efl: en croix, comme celle de toutes les autres Pagodes, & les quatre branches font égales. Au milieu s'élève un dôme fort haut, comme une manière de tour à plufieurs pans , qui finit en pointe ; & le bout de chaque branche efl: terminé par une autre cour , où l'on monte par dehors. Aux difi^érens étages de ces dômes ou de ces tours, on trouve quantité de balcons & de niches , qui s'avancent , pour y prendre le frais ; & leurs de- hors font ornés de figures en relief, de toutes fortes d'animaux, la plu- part aflez mal faites. Sous le grand dôme, au centre de la Pagode , on voit un Autel en forme de table, de fept à huit pieds de long, & de cinq à fix de large , avec deux degrés , qui fervent de marchepied , couverts d'un tapis d'or ou de foye, fuivant la folemnité du jour. L'Autel efl: revêtu de brocard d'or ou d'argent , ou de quelque précieufe toile. De dehors on le voit en face , avec toutes les Idoles qu'il foutient ; car les filles & les fem- mes n'ayant pas la liberté d'entrer dans la Pagode, non plus qu'une certai- ne Tribu de leur Seéle, il faut que leurs adorations fe falTent en dehors. Entre les Idoles du grand Autel , l'Auteur & Bernier en obfervèrent une qui efl debout & de cinq ou fix pieds de haut, mais dont on ne voit, ni les bras, ni les jambes, ni le corps. Il n'en paroît que la tête &. le cou; & tout le refl:e, jufques fur l'Autel, efl: couvert d'une robbe qui s'élargit par degrés vers le bas. On lui voit quelquefois au cou une chaîne fort riche, d'or, ou de rubis, ou de perles, ou d'émeraudes. Cette fl:atue reprclente un ancien perfonnage, nommé Bainmadou, qui s'eft rendu célèbre par fes vertus, & dont les Banians ont fouvent le nom à la bouche. Au côté droit de l'Autel, on efl: furpris de trouver la figure d'un animal monflrueux, qui repréfente en partie, un éléphant, un cheval & une mule. Il ell d'or maf- fif. On le nomme Garou , & fes Adorateurs prétendent que c'étoit la mon- ture de Bainmadou, lorfque ce faint homme vifitoit le Monde, pour y fai- re ETATS DU GRAND MO GOL, Liv. III. t,^i re régner la vertu & les bons exemples. En entrant dans Ja Pagode , en- tre la grande Porte & le grand Autel , on trouve à gauche un petit Autel , qui offre une Idole de marbre noir, affife les jambes en croix , & d'environ deux pieds de hauteur. Tavernier y vit un petit garçon, iils du Grand- Prétre, à qui le Peuple jettoit des pièces de taffetas ou d'étoffes brodées , dont il frotcoit l'Idole, & qu'il rendoit enfui te à ceux qui les a\'oicnt ap- portées. D'autres lui jettoient des chaînes de grains , que les Banians le mettent au cou, & qui leur fervent de chapelets pour dire leurs prières, des chaînes de corail, d'ambre jaune, de fruits & de fleurs, qu'il fanftifioit par la même cérémonie. Cette Idole, qui fe nommo Morlï-Ram^ ou le Dieu Morli, paffe pour le frère de celle qui efl: fur le grand Autel. Sous le grand Portail de la Pagode, un des principaux Bramines, fe tient alîis près d'une grande cuve, remplie d'eau, dans laquelle on a dé- layé quelque matière jaune. Tous les Banians viennent fe préfentcr à lui , pour recevoir fur le front une empreinte de cette couleur, qui leur defcend entre les deux yeux & fur le bout du nez, puis fur les bras & devant l'cf- tomac. C'eft à cette marque qu'on reconnoît ceux qui fe font lavés de l'eau du Gange ; car lorfqu'ils n'ont employé que de l'eau de puits , dans leurs maifons, ils ne fe croyenc pas bien purifiés, ni par conféquent en état de manger faintement. Chaque Tribu a fon onélion de différente couleur ; mais l'onélion jaune eft celle de la Tribu la plus nombreufe , & paffe auffi pour la plus pure. Assez près de la Pagode , du côté qui regarde l'Ouefl: , Jejfeîng^ le plus 3uiffant des Rajas idolâtres de l'Empire , avoit fait bâtir un Collège pour 'éducation de la Jeuneffe. L'Auteur y vit deux Enfans de ce Prince , dont es Précepteurs étoient des Bramines, qui leur enfeignoient à lire & à é- crire dans un langage fort différent de celui du Peuple- La cour de ce Col- lège eft environnée d'une double galerie, & c'étoit dans la plus baffe que les deux Princes recevoient leurs leçons, accompagnés de pVifieurs jeunes Seigneurs, & d'un grand nombre de Bramines, qui traçoient fur la terre , avec de la craye , diverfes figures de Mathématiques. Auffi - tôt que Ta- vernier fut entré , ils envoyèrent demander qui il étoit ; & fâchant qu'il étoit François , ils le firent prier d'approcher , pour lui faire plufieurs quef- tions fur l'Europe, & particulièrement fur la France. Un Bramine appor- ta deux Globes , dont les Hollandois lui avoient fait préfent. Tavernier leur en fit diftinguer les parties & leur montra la France. Après quelques autres difcours, on lui fervit le bétel. Mais il ne fe retira point, fans a- voir demandé à quelle heure il pouvoit voir la Pagode du Collège. On lui dit de revenir le lendemain, un peu avant le lever du Soleil. Il ne manqua point de fe rendre à la porte de cette Pagode, qui eft auffi l'ouvrage de Jeffeing , & qui fe préfente à gauche en entrant dans la cour. Devant la porte , on trouve une efpèce de galerie , foûtenue par des piliers , qui étoit déjà remplie d'un grand nombre d'Adorateurs. Huit Bramines s'avancèrent l'encenfoir à la main , quatre de chaque côté de la porte , au bruit de plu- fieurs tambours & de quantité d'autres inftrumens. Deux des plus vieux Bramines entonnèrent un Cantique. Le Peuple fuivit, & les inftrumens ac- XllL Fart. II h com- Tw'v.v'.v.i'A. 16C5. Onélioiî jaune drs Banians. Collège bâ- ti par le Raja Jeffeing. F.tudes des Mathémati ques & de la Géographie. Pngode dii Collège. 943 VOYAGES DANS LES Tavernibr. I66j. Ce que Ta- vernicr y voit. ?agoJe de Kichourdas. Montagnes •ntremôl«:es de belles flaines. compagnoient les voix. Chacun avoit à la main une queue de paon , ou quelque autre éventail , pour chalTcr les mouches au moment que la Pago. de devoit s'ouvrir. Cette mufique & l'exercice des éventails durèrent plus d'une demie-heure. Enfin , les deux principaux Bramines firent entendre trois fois deux groflesfonnettes, qu'ils prirent d'une main; & de l'autre, Ils frappèrent avec une elpèce de petit maillet contre la porte. Elle fut ou- verte aulTi-tôt , par lix Bramines qui étoient dans la Pagode. 'I avernicr découvrit alors, fur un Autel, à fept ou huit pas de la porte, une grande Idole, qui fe nomme Ram-Kam, & qui pafle pour la fœur de Morli-Ram. A fa droite, il vit un enfant, de la forme d'un Cupidon , que les Banians nomment Lokemin', & fur fon bras gauche , une petite fille, qu'ils appellent Sira. Auflî-tôt que la porte fut ouverte, & qu'on eut tiré un grand ridian qui laifla voir l'Idole, tous les Aifiibans le jettérent à terre en mettant les mains fur leurs têtes , & fe profternèrent trois fois. Enfuite , s'étant rele- vés, ils jettérent quantité de bouquets, & de chaînes, en forme de chape- lets, que les Bramines faifoient toucher à l'Idole & rendoient à ceux qui les avoient préfentées. Un vieux Bramine, qui étoit devant l'Autel , tenoic à la main une lampe à neuf mèches allumées , fur lefquelles il jettoit, par intervalles , une forte d'encens , en approchant la lampe fort prés de l'Ido- le. Après toutes ces cérémonies , qui durèrent l'efpace d'une heure , on fit retirer le Peuple, & la Pagode fut fermée. On avoit préfenté , à Ran> Kam, quantité de riz , de farine, de beurre, d huile & de laitage, dont les Bramines n'avoient rien laifle perdre. Comme l'Idole repréfente une femme, elle eft particulièrement invoquée de ce fexe, qui la regarde com- me fa Patrone. Jefleing , pour la tirer de la grande Pagode & lui donner un Autel dans la Tienne , avoit employé, tant en préfens pour les Brami- nes , qu'en aumônes pour les Pauvres , plus de cinq lacres de roupies , qui font fept cens cinquante mille livres de nôtre monnoye (r). Dans la même rue, & vis-à-vis du Collège , on voit une autre Pago- de , qui s'appelle Ricbourdas , du nom de fa principale Idole , à laquelle en n'a pas laifle d'en alTocier une petite , nommée Goupaldas , qui efl fon frè- re , & qui reçoit des honneurs proportionnés. De toutes ces figures , on ne voit que la face, qui eft de pierre ou de bois fort noir; à l'exception néanmoins de Morli-Ram , qui demeure toujours nue. Ram-Kam , dans la Pagode du Raja Jefl'eing, a pour prunelle deux diamans, que ce Prince lui a mit mettre au milieu des yeux , avec une grofle chaîne de perles au cou , & un dais fur la tête , foutenu de quatre piliers d'argent. A huit journées deBanarou, droit au Nord, on entre dans un Pays de montagnes , dont les intervalles font de fort belles plaines , larges quekjue- fois de deux ou trois lieues. Ces petits efpaces ibnt très - fertiles en bled , en riz & en légumes : mais le malheur de leurs Habitans eft de les voir fou- vent ravagés par des troupes d'éléphans fauvages , dont lia ont beaucoup de peine à fe défendre. Une Caravane , qui palTe dans ces lieux , & qui fe trouve forcée d'y camper, parcequ'on n'y rencontre point de Carvanfe- ras, ne fauveroit pas fes vivres, fi pendant toute la nuit elle n'ailumoit des feux, ( r ) Ibidem, pag. 367 & précédentes. ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 243 feux , avec un bruit continuel de moufquéterie & de toutes fortes d'inftru- mens. On voit, dans le même Pays , une belle & fort ancienne Pagode, dont toutes les figures dedans & dehors, ne repréfentent que des femmes & des filles. Aulfi n'y vient-il guères de Pèlerins de l'autre fexe. Sur l'Au- tel , qui cfl au milieu , comme dans les autres Pagodes , on admire une Ido- le d'or maflif , haute d'environ quatre pieds , qui repréfente une filla de- bout, fous le nom de Ram-Marion. Elle a, du côté droit, un enfant d'ar- gent maflif, de la hauteur de deux pieds. Les Banians racontent que cette fille menant une vie fort fainte, on lui amena un enfant, qu'on la pria d'inflruire ; & qu'après quelques années d'infl:ruélion , il devint fi fçavant, que tous les Rajas & les Princes portant envie à fes lumières, il fut enlevé par quelque jaloux, fans qu'on ait jamais entendu parler de lui. Au bas de l'Autel, à la gauche de l'Idole, on voit la figure d'un Vieillard , qui fervoit Ram-Marion & l'enfant , & qui efl: particulièrement honoré des Bramines. On ne vient en pèlerinage à cette Pagode qu'une fois lan, qui ell le premier jour de la Lune de Novembre, quoique la Pagode ne s'ou- vre point avant la pleine Lune. Pendant ces quinze jours , tous \qs Pèle- rins de l'un & de l'autre fexe obfervent de rigoureux jeûnes, fe lavent trois fois le jour, & ne fe lailTent aucun poil fur le corps. Ils ont l'arc de le faire tomber facilement , avec une efpèce de terre dont ils fe frottent (j). A cinq cens pas de Banarou , au Nord-Ouefl, l'Auteur & Bernier vifité- rent uneMofquée, où l'on montre pluiîeurs Tombeaux Mahométans, dont quelques-uns font d'une fort belle Architeélure. Les plus curieux font cha- cun dans un Jardin fermé de murs , qui laiflent des jours par lefquels ils peuvent être vus des Paflans. On en diUingue un , qui compofe une gran- de mafle quarrèe, dont chaque face efl: d'environ quarante pas. Au milieu de cette plate-forme , s'élève une colomne de trente-quatre ou trente-cinq pieds de haut , tout d'une pièce , & que trois hommes pourroient à peine embrafiTer. Elle efl: d'une pierre grifàtre , fi dure, que Tavernier ne put la gratter avec un couteau. Elle fe termine en pyramide, avec une grofle boule fur la pointe & un cercle de gros grains au-defl'ous de la boule. Tou- tes les faces font couvertes de figures d'animaux en relief. Plufîeurs Vieil- lards , qui gardoient le Jardin , aifurèrent Tavernier , que ce beau Monu- ment avoit été beaucoup plus élevé, & que depuis cinquante ans il s'étoit enfoncé de plus de trente pieds. Ils ajoutèrent que c'étoit la Sépulture d'un Roi de Boutan , qui étoit mort , dans le Pays , après être forti du fien pour faire la conquête de ce Royaume , dont il fut chafl'é depuis par les defcendans de U'amerlan (f). Pendant deux jours que les François paflerent à Banarou, ils efluyè- rent une pluye continuelle, qui ne les empêcha point de fatisfaire leur cu- rioiité , & de pafler le Gange avec une permiflion par écrit du Gouverneur. La rigueur eil extrême pour le payement des droits. Ils firent, le 13, deux colles jufqu'à^ater/îOMr ; huit, le lendemain, jufqu'à Satragi -fera ; & neuf, le jour fuivant, jufqu'à Moniarkifera. Dans la matinée du 15, a- (O rag. 368. (0 Pag. 68. H h 2 près Tavernier. 1665. Ancienne Pagode de fil- les, & fes fables. Tombeaux de Banarou. 244 VOYAGES DANS LES feron & fes orneincns. Je i'at(:;i. Tavernier. près avoir fait deux cofles, ils paflerent une Rivière, nommée Caninfar- 166$. Jqi^^ & trois cofles plus loin, celle de Saotle-Jhu^ qui fe pallcnt toutes dnix à gué. Le 16, ils firent huit colFes jufqu'à Goumiabad^ Bourg litué fur la VilIedeSa- Rivière de Goudera-fou^ qu'on pafl^e fur un Pont de pierre. Le 17, ils arri» :ron & fes y^rent à Saferon^ après avoir fait quatre cofles. Saferon efl: une Ville, au pied des montagnes , aflife fur le bord d'un grand Etang , au milieu duquel on voit une petite Ille, qui contient une fort belle Mofquée. C'eft la lé. pulture d'un Nabab, nommé Selim-Khan. ancien Gouverneur de la Provin- ce. Le Pont, par lequel on pafle dans l'Ifle, efl: revêtu & pavé de gran- des pierres de taille. Sur un côté de l'Etang règne un grand Jardin , où l'on voit le Tombeau du fils de Selim-Khan , fuccelfeur de fon Père au goit« vernement de la Province. Ceux qui vont à la Mine de Soumelpour quit- tent ici le grand chemin de Patna, pour tirer droit au Midi par Èkberbourg^ & par la fameufe Fortereflfe de Rhudas (v). Dans la journée du 18, qui fut de neuf coflTes jufqu'à Daoud-Nagnr-fe. m, les deux Voyageurs paflerent en Bateau la Rivière de Sou-fou, qui vient des montagnes du Midi. On y paye des droits pour les marchandifes. Le lendemain, dix cofles les conduifirent à Halva-fera; d'où s'étant rendus , le i;o,à A'ga-ferai qui n'en eft qu'à neuf cofles , il ne leur en refl:a que dix jiif. qu'à Patna y une des plus grandes Villes de l'Inde {x). Elle efl fituée fiir la rive Occidentale du Gange. Tavernier ne lui don- ne guères moins de deux coflTes de longueur. Les maifons n'y font pas plus bjlies que dans la plupart des autres Villes Indiennes ; c'eft:-à-dire, qu'elles font couvertes de chaume ou de bambou. La Compagnie Hollandoife s'y (x) Pag. 70. 166 s. DivL'rrts Rivières riui fu jettent daiii le Giii'À^', Ville de Monglur. 1666. ETATS DU GR^ND MOGOL, Liv. III. 245 A Patna, l.s deux Voyageurs prirent un Bateau pour de cendre à Daca. TAvrr>.N!P.i'.. Ilsauroientpû s'embarquer au Tort d'Halabas, ou du moins à iianarou , fi la Rivière eût été aulîi forte que dans la faifon des grandes pluyes ; mais ne l'ayant trouvée navigable quà Patna, ils firent quinze colles pour aller paifer la nuit à Beeuncow-fera. Cinq colles au-deflus de ce i3ourg , on ren- contre une Rivière, nommée Ponpunjm^ qui vient du Midi , ik qui le jet- te dans le Gange. Le 30, après avoir fait dix-fept cofles , ils arrivèrent à Erija-fera. Le jour îuivant, ils en comptèrent quatre jufqu'à la Rivière de Kaoa^ qui vient aufli du Midi; & trois cofles plus bas, ils rencontrè- rent celle de Chanon^ qui tombe du Nord. Quatre colTes de plus leur ti- rent trouver celle d*Erguga, qui vient du Sud; & fix cofles plus loin, ils vinrent à celle à' Arquera , qui defcend du même côté. Ces quatre Riviè- res fe jettent dans le Gange. Pendant toute cette journée, ils virent au Sud de grandes montagnes, tantôt à dix cofles du Gange, tantôt à quin- ze; & le foir après en avoir fait dix-huit, ils arrivèrent à Mongher (y). Le premier jour de Janvier 1666, ils avoient vogué l'efpace de deux heures, lorfqu'ils virent entrer dans le Gange une grande Rivière qui vient du Nord , & qui fe nomme Gandet. On ne compte que huit cofles par ter- re, de Mongher à Zan^'iVa : mais comme le Gange ferpente beaucoup pen- dant cette journée, ils n'en firent pas moins de vingt-deux par eau. Le 2 , depuis fix heures du matin jufqu'à onze, ils virent tomber, dans le Gange, trois Rivières, qui viennent toutes trois du Nord ; la première, nommée Ronova-j la féconde, Taé; & latroifiéne, Chanon. Ils firent dix-huit cof- fes, pour aller paflTer la nuit à Bakelpour. Le 3, après quatre heures de na- vigation , ils trouvèrent le Katare , autre Rivière qui vient du Nord. Ils palférent la nuit à Pongangel^ Village au pied des montagnes qui touchent au Gange , où l'on compte treize coflfes depuis Bakelpour. Au-deflbus de Pongangel , ils virent le matin une grande Rivière , nommée Mart - nadi , qui vient du côté du Nord ; & le foir , après avoir fait fix cofles , ils entrè- rent dans les murs de liagi-Mahol. C'eft une Ville, qui étoit autrefois la réfidence des Gouverneurs de Bengale ; mais la Rivière ayant pris un au- tre cours , & ne paflant plus qu'à une grande demie-lieue de fcs murs , cet- te raifon , joint à la néceflité de tenir en bride le Roi d'Arrakan & plu- fieurs Bandits Portugais , qui fe font retirés à l'embouchure du Gange , a fait prendre, au Gouverneur & aux principaux Marchands deRagi-Ma- hol , le parti de fe retirer à Daca , dont le Commerce en a reçu beaucoup d'accroillement. Le 6 de Janvier , à fix cofles de Ragi-Mahol, dans un gros Bourg nom- mé D^napour, Tavernier eut le chagrin de fe féparer du Compagnon de fon Voyage , qui devant fe rendre à Cafetubazar, & pafler de-là jufqu'à Om- g/y, fe vit forcé de prendre par terre. Un grand banc de fable, qui fe trouve devant la Ville de Soutiqui , ne permet pas de faire cette route par eau lorfque la Rivière efl: baife. Ainfi, pendant que Bernier prit fon che- min (y5 Voyez ci-defTus la defcriptlon & le plan de Mongher & des Jardins de Ragi-Mahol , ains la Relation de de Graat'. Ville ('c Rnni-M:iuoi è les chau- geiiicns. Sdparntion de Bernier èc de l'Auteur. H h 246 VOYAGES DANS LES TAvrnNTEn. • 1666. L'Auteur efTiyc fi les crocodiles fentcnt un coup Jf fufil. Divifiondu Gnnge en trois hriui- ches à Jatra- pour. Defcription de Daca. min par terre , l'Auteur continua de dcfcendre le Gange jufqu'à Toutîpm qui eft à douze colles de Ragi-Mahol. Ce fut dans ce lieu , qu'il commen- ça le lendemain , au lever du Soleil , à voir un grand nombre de crocodiles couchés furie fable. Pendant tout le jour, jufqu'au Bourg \XAcerat^ quj eft à vingt-cinq coffes de Toutipour , il ne celFa pas d'en voir une fi gran. de quantirc, qu'il lui prit envie d'en tirer un, pour elfaycr s'il cft vrai, comme on le croit aux Indes , qu'un coup de fufil ne leur nuife point. L^ coup lui donna dans la mâchoire, & lui fit couler du fang; mais il ne s'en retira pas moins dans la Rivière. Le lendemain , on n'en apperçut pas un moindre nombre, qui étoient couchés fur le bord de la Rivière; & l'Au teur en tira deux, de trois balles à chaque coup. Au même inftant , Us le renverfèrent fur le dos, en ouvrant la gueule; & tous deux momiiitn: dans le même lieu (2;). Tavernier fit dix-fept cofles pour arriver le foirà Doiiloudia. Le 9, il en fit feize jufqu'à Dampour; & vers deux heures après midi, il rencontra une Rivière, nommée Cbâtivor^ qui vient du côté du Nord. Le 10, après avoir fait quinze coffes , il pafla la nuit, au bord de l'eau , dans un lieu éloigné des maiibns. Le lendemain , ayant fait vingt cofles jufqu'à l'endroit où le Gange fe divife en trois branches, dont l'une conduit à Daca, il s'arrêta dans un gros Village nommé Jatrapour^ à l'en- trée de ce Canal. Ceux qui ont peu de bagage peuvent couper par terre de Jatrapour à Daca , pour éviter les détours du Fteuve. Tavernier, con- tinuant fa navigation, pafla, le 12 , devant un gros Bourg, qu'on nomme Bagamara , & fe rendit le foir à Kajîata , autre gros Bourg à onze coiVcs c'^ Jatrapour. Le 13 , à midi , il vit à deux cofles de Daca, la Rivière doLj- kia^ qui vient du Nord-Efl;. Vis-à-vis de la pointe où les deux Rivières le joignent, on a bâti, fur chaque rive du Gange, une Forterefle munie de plufieurs pièces de canon. Une demie coflfe plus loin , une autre Rivière, nommée Pagalu^ qui defcend du Nord-Efl:, oflFre un beau Pont de bricjue; & demie cofle au-delfous , on en trouve une autre encore , qui fe nomme Ca- damtaliy & qui efl: couverte aulfi d'un Pont de brique. Des deux cotes du Gange , on voit plufieurs tours , dans lefquelles un grand nombre de tètes humaines font comme enchaflees. Après avoir fait neuf colTes , Tavernier arriva le foir à Daca (a). C'est une grande Ville, qui ne s'étend qu'en longueur, parccquc les Habitans ne veulent pas être éloignés du Gange. Elle a plus de deux cof- fes ; fans compter que depuis le dernier Pont de brique, on ne rencontre qu'une fuite de maifons, écartées l'une de l'autre, & la plupart habitées par des Charpentiers , qui conft:ruifent des GaléaflTes & d'autres Bâtimens. Tou- tes ces maifons , dont TAuteur n'excepte point celles de Daca , ne font que de mauvaifes cabanes , compofées de terre grafle & de bambou. Le Palais même du Gouverneur efl: de bois: mais il loge ordinairement fous des ten- tes , qu'il fait drefl'er dans une cour de fon enclos. Les I lollandois & les Anglois , ne jugeant point leurs marchandifes en fureté dans les édifices de Daca , fe font fait bâtir d'aflTez beaux Comptoirs. On y voit aufll une fort belle (2) Pag. 72. (a) Pag. 73. • ETATS DU GRAND MO G 0 L, Liv. lîl. £47 belle Eglife de brique , dont les Pères Augudinr font en poflelVion. Ta- vcrniei obferve , à l'occafion des GaléalTes qui fe font, à Daca, qu on efl: éconné de leur vÎLdîc. 11 s'en fait de li longues, qu'elles ont jui'qu à cinviuante rames de chaque côté , mais on ne met que deux honimi..s k chaque rame. Quelques-unes font fort ornées. L or & l'azur y font pro- digués (b). Ta VER NIER, dont l'induftrie s'exerçoit à différentes fortes de Com- merce, fe crut obligé, en arrivant à Daca, de s'aflurer la prote6lion du Nabab. Dans une vifite qu'il fe hâta de lui rendre, il lui fit préfent d'une couverture en broderie d'or, bordée d'une grande dentelle d'or de point d'Elpagne; & d'une grande écharpe d'or & d argent du même point, avec une bague d'une fort belle émeraude. Cette libéralité fut reconnue par des politeiles. Le foir, s'étant logé chez les Hollandois, il reçut de la part du Nabab, des grenades, des oranges de la Cliine, deux melons de Per- fe, & des pommes de trois efpèces. Le jour d'après, en lui montrant fes marchandiles, il fit préfent, au Prince fon fils, d'une montre à boëte d'or émaillée , d'une paire de petits pillolets garnis d'argent , & d'un, telef- cope. Ces préfens lui revenoient à plus de cinq mille livres (c)» Mais il paroît qu'il en fut dédommagé par la vente de fes marchandifes. D'ailleurs le Nabab lui fit expédier un palfeport , dans lequel il lui donnoit la Tavehnihr, 10 66. VitclTL- IX- trû. c ilv.' ffs GuléuUcs. Générofité de 1 Auteur. Privilèges qu'il obtiens (b) Ibidem. ( c ) Pag. 74. Tavernier fe fait honneur, dans un autre endroit, d'une généronté beau- coup plus extraordinaire. En arrivant, dit- il, à Jthanabad, je fis ma révérence à l'Em- pereur, le 12 de Septembre 1663 > & voici Je preTent que je lui fis. i". Une rondache de brunze , de haut relief parfaitement do- ré, la dorure feule coûtant trois cens du- , cats d'or, qui montoient alors à 1800 li- vres , & la pièce entière à 4^78. Au mi- lieu le voyoit repréfentée l'HIÛoire de Cur- tius, qui fe jetta à cheval, & tout armé, dans le gouffre qui s'étoit ouvert à Rome. Le tour de la rondache étoit une naïve re- préfentation du Siège de la Rochelle. C'é toit le Chef d œuvre d'un des plus excel- lens Ouvriers de France, à qui il avoit été commandé par M. le Cardinal de Richelieu. Tous les grands Seigneurs , qui étoient alors autour d'Aureng-Zeb , furent charmés de la beauté de cet Ouvrage, & lui dirent qu'il falloit mettre une pièce fi riche fur le grand éléphant qui portoit l'étendart devant Sa Majelté. 2'. Je fis prêtent, à l'Empereur, d'une mafTe d'armes de ciillai de roche , dont toutes les côtes étoient couvertes de lubis & d'émeraudes enchalfées en or dans le cridal. Cette pièce me coutoit 3119 li vres. 3». Plus, d'une felle de chcNai à la Turque , biodée de petits rubis , de peiies & d'émeraudes, qui avoit coûté 2892 livres. 4°. Plus, d'une autre felle de cheval avec la houlfe, le tout couvert d'une broderie or & argent, & du prix de 1730 livres. Je (îs préfent au Nabab Cta/VrAa/i , Oncle du Grand Mogol j ]■>. Dune table, avec dix* neuf pièces qui compofoient le cabinet; le tout de pierres de rapport de divcrfes cou- leurs, repréfentant toutes fortes de fleurs & d'oiieaux. L'Ouvrage avoit été fait à Flo- rence, & avoit coûté 2150 livres. 2*. D'un anneau d'un rubis parlait , qui avoit coûté 1300 livres. Au grand Tréforier , je don- nai une montre à Loëtc d'or , couverte de petites émeraudes, du prix de 720 livres. Aux Portiers du tréfor de l'Empereur, & aux Tréforiers , 2cx) roupies ou 30c livres. A l'Eunuque de la grande Begum , Sœur d'Atireng-Zeb, une montre à boëte peinte; de 260 livres. En un mot, tous mes pre- miers préfens montèrent à la fomme de vingt- trois mille cent quatre- vingt -fept livres. L'Auteur ajoute, pour donner de la vrai- feuiblance à fon récit, que ceux qui veulent avancer leurs affaires à la Cour des Princes, tant en Turquie qu'en Perfe & aux Indes , ne doivent rien commencer fans avoir des préfens tout prêts , & la bourfe prefque toîi- jours ouverte pour les Officiers dont ils onc befoiii. Fag. 81 & précédentes. M8 VOYAGES DANS LES Route de Daca à Ca- TAvrRNiFn. la qualité de Gentilhomme de fa Maifon; faveur qui lui aHiiroît divers nrj. i 666. vilèges, dans tous les Etats du Grand Mogol. Les llullandois lui conlciN lurent de prendre le payement de les marchandifes en Lettres de chimère pour Cafembazar, parcequ'il y a (luelque danger dans cette route, à I'ck- cadon des petites Harques avec lelquelles on elt obligé de remonter le Gan- ge julqu'au Mourg d'Acerat, pour éviter des marais qu'il faudroit traverfcr par terre. Ces Marques peuvent etry reiivcrfées par le moindre onigj,* ^ Il les Mariniers découvrent qu'on y porte de l'argent, il leur efl facile d- contribuer au défallre, dans l'efperance de trouver l'argent au fond de Wm & de s'en faifir. Le 29, jour du départ de 'l'avernier , tous les Ilollandois l'accoiripa- gnèrcnt pendant l'cfpace de deux lieues, dans leurs petites liarqucs aniucs. Il employa quatorze jours à remonter julqu'au Bourg d'Acerat, où lalIfiiK fes Domelliques & les marchandifes dans la Barque, il jjrit un Bateau qui le porta au Village de Mirdapour. Le 12 de Février, il le procura un che- val pour lui-même; mais ncn ayant pas trouvé d'autre pour fon bagage, il fut obligé de prendre deux femmes, qui en chargèrent leurs épaules. Le foir, du même jour, il arriva heurcufement à Calembazar , où IFachten- donk^ Dircélcur général de tous les Comptoirs Ilollandois du Bengale, le reçut avec beaucoup de civilités. Il apprit, le lendemain, que fes mar- chandifes & les gens qu'il avoit laides pour les garder dans fa Barque, a- voient couru beaucoup de rifque fur le Gange , par la force du vent ou par l'infidélité des Mariniers. Cette allarme fut comme le préfage d'une autre difgracc, à laquelle il s'attendoit beaucoup moins. Les Hollandois lui ayant prêté un paleky, pour fe rendre à Madezou • Bazarkî ^ gros Bourg à trois cofles de Cafembazar, il fit ce Voyage, le 15, dans l'efpérance d'y tou- cher l'argent de fes Lettres de change. Mais le Receveur du Nabab lui dit, après les avoir lues, que le foir auparavant il avoit reçu ordre de ne pas le payer. Une fi fàcheufe déclaration fut éclaircie quelques jours après par une lettre du Nabab, qui fe plaignoit d'avoir été trompé dans la ven- te , particulièrement fur le prix d'une très-grofle perle , & qui prétendoic retrancher vingt mille roupies de la fomme. Ces défiances lui étoient ve- nues de la Cour , où Tavernier , malgré tous fes préfens , n'avoit pas eu le bonheur de fatisfaire trois Officiers , établis par Aureng-Zeb , pour l'exa- men des joyaux qu'on lui préfentoit. Le Nabab ofFroit d'ailleurs de re- mettre toutes les marchandifes qu'il avoit achetées , (1 Tavernier ne con- fentoit point à cette diminution. En vain le Direfteur Hollandois repré- ferita „ qu'il étoit connu pour honnête homme; qu'il étoit le feul qui ap- portât aux Indes les plus précieufes raretés de l'Europe; que ce traitement lui feroit perdre l'envie d'y revenir , & qu'il ne manqueroit pas d'infpi- rer le même dégoût à ceux qui fe propofoient d'y vepir à fon exemple". Le Nabab , qui fe croyoit heureux d'avoir reçu les avis de la Cour avant que fa Lettre de change eût été payée , infifta fur fes demandes ; & Taver- nier fe vit forcé de lui accorder du moins un rabais de dix mille roupies. On doit juger quel étoit le profit d'un Commerce, dans lequel une perte fi confidérable & fes préfens continuels ne l'empêchoient pas d;^ s'enrichir. Mais Difgncedc Tavernier, S) ETATS DU GRAND MO G O L, Ln. IJI. 249 »i Mais il donne Ton exemple comme un motif de précaution, pour ceux qui Twr.nsm.. traitent avec les Seigneurs de l'Orient (d). i 0 60. APRiis s'être conlulé de cotte injullicc, il partit le 17, pourOiigly, àius une Barque à quatorze rames , que les I loîlundois lui prêtèrent, il pafù les deux premières nuits lur la Rivière. J.c ig, il s'arrêta dans un gros Mourg, nommé A'aw/i, julqu'où remonte le llux de la Mer. Un vent furieux & la hauteur de l'eau forcèrent les Mariniers d'y mettre la Barque à terre. Le 20, étant arrive à Ougly (f ), les l lollandois lui firent le plus a- gréable accueil. „ Ilsavoient, dit-il, pour la bouche, toutes les délica- telles qui le trouvent dans nos jardins d'Europe ; des lalades de plulieurs „ fortes, des choux, desafperges, des pois, «i principalement des fèves, „ dont la graine vient du Japon. Mais jufqu'alors ils n'avoient pu faire „ venir des artichaux dans leurs jardins (/) ". Tavernier retourna le 5 de Mars à Cafembazar, où il reprit le che- l.eC.raoi! min de Jehan-abad. 11 fupprime toutes les circonflances de ce Voyage , ^'.^'ç]^ '^" qu'il fit apparemment par la même route: mais, comme il s'attache peu à yaiixàT-î- 1 ordre de fes courfes , on lit, dans une autre partie de la Relation (^), vcrnicr. qu'étant allé au Palais, pour prendre congé de l'Empereur avant que de quitter fa Cour, ce Monarque lui fit dire qu'il ne vouloit pas qu'il partît fans avoir vu fes joyaux. Le lendemain , de grand matin , cinq ou fix Officiers vinrent l'avertir que l'Empereur le demandoit. Il fe rendit au Palais , où les deux Courtiers des joyaux le préfentèrent à Sa Majeflé , & le menèrent en- fuite dans une petite chambre, qui efl: au bout de la falleoù l'Empereur étoit fur foa Trône, & d'où il pouvoit les voir. Akel-Khan, Chef du tréfor des joyaux , étoit déjà dans cette cham- Précautions bre. 11 donna ordre , à quatre Eunuques de la Cour , d'aller chercher les *!"' s'obfcr- joyaux, qu'ils apportèrent dans deux grands plats de bois lacrés avec des ^^"^* feuilles d'or , & couverts de petits tapis faits exprès , l'un de velours rou- ge , l'autre de velours verd en broderie. On les découvrit. On compta j:rois fois toutes les pièces, l'rois Ecrivains en firent la lifte. Les Indiens obfervent toutes ces formalités , avec autant de patience que de circon- fpeflion; & s'ils voyent quelqu'un qui fe prefle trop ou qui fc fâche, ils le regardent fans rien dire, en riant de fa chaleur comme d'une extrava- gance (/>). La première pièce qu' Akel-Khan mit entre les mains de Tavernier, fut un grand diamant , qui eft une rofe ronde , fort haute d'un côté. A l'arrê- te d en-bas , on voit un petit cran , dans lequel on découvre une petite gla- W^"** ce. L'eau en eft belle. Il pèfe trois cens dix-neuf ratis & demi , qui font deux cens quatre vingt de nos carats (/'). (k). C'eft un préfent que Mir- gimola (/) fit à l'Empereur Scha- Jehan, lorfqu'il vint lui demander une retraite {k) A ce compte ce ne fcroit que deux cens foixance & dix • neuf carats , neuf fci;, z'ièmes. R. d. E.' (i) Bernier le nomme plus correflement ï'Emir Jtmla, dont Mirgimola paroit une corruption. Voyez ci - deflus le Voyage de Tavernier , aux Mines deDiamans. Pièces du tréfor des (rf) Pag. 57 & fuivantes. {e) Les François n'y avoient point enco- re de Comptoir. Voyez cidclfus les Rela- tions de deGraaf &de Luiliier. (/) P«g. 76. {g) Même Tome, pag. 226. (i) Ibii. pag. 227. ( t ) Le ratis fait fcpt huitièmes de carat. XllL Fart. n 250 VOYAGES DANS LES Taverntek. retraite à fa Cour, après avoir trahi le Roi de Golkonde fon Maître. Cet- 1 66(5. te pierre étoit brute & pefoit alors neuf cens ratis, qui font fept cens qua- tre-vingt-fept carats & demi. Elle avoit plufieurs glaces. En Europe, on l'auroit gouvernée fort différemment ; c'eft-à-dire , qu'on en auroit tiré de bons morceaux, & qu'elle feroit demeurée plus pefante. Scha-Jehan la fit tailler par un Vénitien , nommé Honenûo Jioigts^ mauvais Lapidaire qui fe trouvoit à la Cour. Aufll fut-il mal récompenfé. On lui reprocha d'a- voir gâté une fi belle pierre , qui auroit pu conferver un plus grand poids , & dont Tavernier ajoute qu'il auroit pu tirer quelque bon morceau fans faire tort à l'Empereur (;«). Il ne reçut, pour prix de fon travail, que dix mille roupies (n). Après avoir admiré ce beau diamant, & l'avoir remis entre les mains d'Akel-Khan, l'Auteur en vit un autre, en poire, de fort bonne forme (SÎ de belle eau , avec trois autres diaraans à table , deux nets , & l'autre qui a de petits points noirs. Chacun pèfe cinquante-cinq à foixante ratis ; <& la poire, foixante-deux & demi. Enfuite on lui montra un joyau de duuze diamans ; chaque pierre , de quinze à feize ratis , & toutes rofes. Celle du milieu eft une rofe en cœur, de belle eau , mais avec trois petites glaces ; à cette rofe peut pefer trente-cinq à quarante ratis. On lui fit voir un autre joyau de dix-fept diamans , moitié table, moitié rofe, dont le plus grand ne pèfe pas plus de fept ou huit ratis ; à la réferve de celui du milieu , qui peut en pefer feize. Toutes ces pierres font de la première eau, nettes, de bon- ne forme, & les plus belles qui fe puiflent trouver. Deux grandes perles en poire; fune d'environ foixante-dix ratis, un peu plate des deux côtés, de belle eau & de bonne forme. Un bouton de perle, de cinquante - cinq à foixante ratis, de bonne forme & de belle eau. Une perle ronde , belle en perfeélion , un peu plate d'un côté . & du poids de cinquante-fix ratis. C'efl:un préfent de Scha-Abbas II, Roi dePerfe, au Grand Mogol. '1 rois autres perles rondes , chacune de vingt* cinq à vingt-huit ratis, mais dont l'eau tire fur le jaune» Une perle dû parfaite rondeur, pefant trente-fix ratis &derai, d'une eau vive, blanche, &de la plus haute perfeélion. C'étoit le feul joyau qu Aureng - Zeb eut acheté , par adr?iration pour fa beauté. Tout le reflie lui venoit , en partie de Dara-Cha, fon frère aîné, dont il avoit eu la dépouille après lui avoir fait couper la tête ; en partie des préfens qu'il avoit reçus depuis qu'il étoit monté fur le Trône. Ce Prince avoit moins d'inclination pour les pierre- ries que pour l'or & l'argent (o). Akel-Khan continua de mettre entre les mains de Tavernier, en lui biflant tout le tems de fatisfaire fa curiofité, deux autres perles, parfaite- ment rondes & égales, qui pèfent chacune vingt-cinq ratis & un quart. L'une efl: un peu jaune; mais l'autre eft d'une eau très-vive, & la plus bel- le qui foit au Monde. Il efl: vrai que le Prince Arabe, qui a pris Mafcate fur les Portugais , en a une qui paîfe pour la première en beauté. Mais quoi- (m) Pag at7. (n) Au contraire Tavernier dit que rEnî- fetem lui fit prttidre cette fomme, & qu'il lui en auroit bien fait prendre davantage s'il eut été plus riche, R. d. E. Co) ^'^è' £28. & précédentes. ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 25 1 quoiqu'elle foit parfaitement ronde, & d'une blancheur fi vive , qu'elle en Tavehniep eii comme tranfparcnte , elle ne pèfe que quatorze carats. L'AÎie a peu 1666, de Monarques qui n'ayent follicité ce Prince de leur vendre une perle fi rare (p). ^ ■ , Tavernier admira deux chaînes; l'une de perles & de rubis de di- verfes formes, percés comme les perles; l'autre, de perles & d'émerau- des , rondes & percées. Toutes les perles font rondes & de plufieurs eaux , chacune de dix ou douze ratis. Le milieu de la chaîne de rubis offre une grande émeraude de vieille roche, taillée au quadran & fort haute en couleur , mais avec plufieurs glaces. Elle pèfe environ trente ratis. Au milieu de la chaîne d émeraudes, on admire une amethifle orientale à table longue , du poids d'environ quarante ratis , & belle en perfe6lion. Un rubis balais Cabochon ^ de belle couleur, & percé par le haut, qui pè- fe dix-fept Melfcah , dont fix font une once. Un autre rubis cabochon , parfait en couleur , mais un peu glacé , & percé par le haut , du poids de douze melfcals. Une topaze orientait, de couleur fort haute, taillée à huit pans , qui pèfe fix melfcals , mais qui a d'un côté un petit nuage blanc. Iels étoient les plus précieux joyaux du Grand Mogol. Tavernier vante l'honneur qu'il eut de les voir & de les tenir tous dans fes mains , com- me une faveur qu'aucun autre Européen n'avoit jamais obtenue (a). Il rend compte de deux Voyages qu'il avoit faits de Surate à Golkonde, dès l'année 1645 , & qui méritent de trouver place dans une Note, en fa- veur des Géographes (r). Les remarques fuivantes regardent quelques j^onde^ Places , où l'Auteur s'arrêta dans cette route. DOL Deux Vo- yages de Su- rate àGoI- (/)) Ibidem. Iq) Pag. 229. (f ) Tavernier partit de Surate le 19 de Janvier, & fit, le premier jour, 3 colFes, jufqu'à Camhari: De Cambiri à Barnoli , 9 colFes. De Barnoli à Beara , 12 De Beara à Navapour , 1 6 De Navapour à Rinkula, 18 De Rinkula à Pipelnar, 8 De Pipeinar à A'i/iipour, j? De Nimpour à Fantane, 14 De Pantane à Secoura^ 14 De Secoura à hakelay 10 De Baiiela à DUgon, 10 De Disgon à Doltabat, 10 De Doltabat à Jureng abai, 4 D'Aureng-abad à Pipeli, 8 De Pipeli à Aubar, . 12 D'Aubar à Gui/muer y 10 De Guifmuer à Jjli, 12 D'Afli à Sarver, 16 De Sarver à Lefona, 16 De I.efona i Nadour, 12 De Nadour à P monta, 9 » De Patonta à Kikeri, 10 De Kakeri à Satapour, 10 12 cofles. 10 16 12 14 que en 'Au- prit De Satapour à Sitatraga , De Sitanaga àSatanagar, De Satanagar à Melvari, De Melvari à Gtrbalii, De Girballi à Golkonde, Cette route eft de 324 cofles , teur fit en 27 jours. En 1653, i une autre, depuis Pipeinar j mais il ne rnar- que pas les cofTes. De Pipeinar à liirgam, le la de Mars. De ^irgam à Omberat, le 13 lyOu-'^entà Enneck-Tenque, le 14 D'Enneck Tenque àCeroa/, le 15 De Geroui à Lazour, le 1$ De Lzzom à j^urengabad, le 17 D'Aureng abad à Pipelgan ou Pipely , De Pipelgan à Ember, D'Ember à Deogan , De Deogan à Patris, De Patris à Bargan, De Bargan à Palam , De Palam à Candear, De Candear à Gargan , De Gargan à Nagouni, De Nagouni à Indovc , D'Indove à Indelvaï, Hz D'In- le 18 le 19 le 20 le 21 le 22 le 23 le 24 le 25 le 26 le 27 le 28 ii fl5î VOYAGES DANS LES Taverniek. 1666. Remarques fur iiverfes Places. Letti-e de Scha-Eft- Khan à Ti- vetnier. DoLTABAT eft unedes meilleures ForLerclles des Etats du Grand Mo. gol, fur une montagne fi efcarpee, que le chemin qu'on y a pratiqué ne peut recevoir à la fois qu un cheval ou un chameau. La Ville, qui eft au bas de la montagne, ell ceinte de bonnes murailles. Cette Place impor- tante , que les Mogols avoient perdue lorfque les Rois de Vifapour & de Golkonde avoient lecoué le joug, fut reprife par des rufes fort fubtiles fous le règne>de Scha-Jehan. On y voit une très-belle artillerie, dont le foin eil: ordinairement commis à des Canonniers Anglois ou Hollandois. AuRENG-ABAD n'étoit anciennement qu'un Village , dont Aureng-Zeb a fait une Ville , en mémoire de la première femme , qui y étoit morte , & pour laquelle il avoit eu d'autant plus d'aifeélion que tous fes enfans ve- noient d'elle. Elle ell enterrée fur le bord d'un Lac , de deux cofles de tour, qui baigne le pied des maifons de la Ville. Son Tombeau & laMof. quée dont il ell accompagné , avec un fort beau Carvanfera , ont coûté des fraix immenfes , parceque le marbre blanc , dont ces deux Edifices font re- vêtus , viennent de Lahor par charroi , & demeurent près de quatre mois en chemin. Tavernier rencontra , près d'Aureng - abad , plus de trois cens charettes, chargées de ce marbre, dont la moindre étoit tirée par douze bœufs (j). On paffe, à A'aiowr, une Rivière qui va fe jctter dans le Gange, & qui expofe les Voyageurs à l'embarras d'obtenir du Gouverneur une permiffion par écrit ; fans compter qu'on y paye quatre roupies , pour le paffage de; chaque voiture. Ce s t à Satanagar qu'on entre fur les terres du Roi de Golkonde. En N E c K - T E N Q.U E cft une bonne Forterefle , qui porte le nom de deux Princefles des Indes. Sa fituation eft fur une montagne efcarpee de toutes parts , avec un petit chemin , au Levant , qui eft le feul côté par lequel on y puiiTe monter. L'enceinte de la Place contient im étang , & des terres qui peuvent fournir à la fubûftance de cinq ou fix cens hommes. Il pafle, zLazour^ une Rivière dont le bord , à la portée du canon vers. le Levant, eft orné d'une des plus grandes Pagodes du Pays, où l'on voit arriver fans ceiTe un grand nombre de Pèlerins. Candear eft une grande Forterefle , mais commandée par une montagne. Entre Indelvaïôc Regival, on pafle une petite Rivière, qui fépare les Etats du Grand Mogol des terres du Roi de Golkonde (j). Ce fut pour \m de ces Voyages, que Tavernier reçut du Nabab Sclia- Eft-Khan , Oncle du Grand MogoL, un pafleport & diverfes lettres , qui lui donnoient la qualité de ce qu'il appelle Gentilhomme de fa Maifon, quoique le paflieport ne porte que le nom de Serviteur. On rapportera quelques.- unes de ces lettres , dans la même vue qui les lui fait rapporter toutes D'Indelvaï à /îif^iî;aii, 5e 29- De Kegivdli à Majapkipet, le 30 De Mafapkipet à Miret Mo- Iakipetf le 31 A Golkonde, le l d'Avril.. D'Agra à Golkonde on prend par Bram- pour, 5 ue Brampour à Doltabat, qui n'en eft qu'a cinq ou fix journées ; d'où l'on pafle par les autres lieux nommés ci-delTus. (O Pag. 83. (0 Tafi. 85. ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 253 toutes ; c'efl: - à - dire , pour faire connoître le flyle & la forme de ces faveurs Orientales (v). En arrivant à Aureng- Abab , où les dernières l'appelloient, il trouva le Nabab parti pour le Decan, à la tête d'une Armée, qui avoic déjà formé le Siège de Cbuupar, une des Villes du fameux Sevagi. Il fe rendit ai; Camp, & le Nabab acheta tout ce qu'il avoit apporté. Ce Seigneur envoyoit cha- que jour , à Tavernier , quatre plats de différentes viandes , & quatre de fruits & de confitures , qui tournoient au profit de fes Domeftiques , par- cequ'on ne lui laiflbit guéres la liberté de manger dans fa tente. Cinq ou fix (i>) Réponfe de Scha EQ-Khan à la de- mande- de l'Auteur. „ Grand Dieu. Au chéri delà fortune, y, appui de la vertu, le Sieur Tavernier, „ François. A mon cher Ami , fâchez que „ vôtre Lettre m'a été rendue, par laquelle ,f j'ai fçû vôtre retour à Surate, & comme „ vous avez apporté ce que je vous avois „ recommandé. J'aiconfideré diftinftement „ tout ce que vous m'avez écrit; ce qui „ m'a donné beaucoup de fatisfaAIon. C'e(l „ pourquoi, il faut qu'aptes avoir reçu cet- „ te Lettre, vous veniez en ma préfence , „ avec ce que vous avez apporté , & foyez „ certain que je vous ferai tous les avança- „ ges pofnbles. De plus, je vous envoyé „ le PaiTt-port que vous m'avez demandé. „ Le plutôt que vous pourrez venir fera le „ mieux. Pourquoi écrire davantage? Fait „ l'onzième du mois Cbouval, de l'année de „ Mahomet 1069". Ce qui fuit étoit de la propre main du Nabab. „ L'Elu de mes plus chéris, vôtre Re- ,, quête m'a été rendue. Dieu vous bénif- „ fe, & vous récompenfe d'avoir tenu vô- „ tre promefle. Il faut que vous veniez „ promptement, & foyez fur que vou» au- „ rtrz avec moi toutes fortes de contente- „ ment & de profit". Le tour «lu fceau contenoit ; Le Prince des Princes. Le Serviteur de l'Empereur Con- quérant Aureng -Zeb. 2e Lettre. ,, Grand Dieu. Au plus expert „ des Ingénieurs & la ciêmedes bonsefprits, „ le Sieur TavernitT, François. Sachez que „ je vous liens au nombre de mes plus chers „ favoris. Comme je vous avois écrit de ,, venir à Jehan-abad, & d'apjiorter avec „ vous les raretés que vous avez pour moi , „ maintenant que par les faveurs & grâces de „ l'Empereur, j'ai été conlîitué fon Viceroi „ & Gouverneur au Royaume de Dtcan; je „ me fuis mis en chemin le 15 du mois „ Chouval. Ainfî, il n'eit pas à propos „ que vous veniez à Jehan-abad ; mais tâchez TAVEnNTE»,' L'Autfi;r joint Sctia- EltKhi'.n au Siègf de Chuupar. „ de vous rendre au plutôt à Brampour, „ où, avec l'aide de Dieu, j'ariivcini avant ,, deux mois. J'efpère que vous ferez ce „ que je vous écris". 3e Lettre. „ Grand Dieu. Le plus chéri „ de mes favoris, le Sieur Tavernier, Fran- ,, çois, fâchez que je vous ai fortement ,, dans ma mémoire. La Lettre que vous „ m'avez envoyée m'a été rendue. Je l'ai „ lue attentivement, mot pour mot. Vous „ m'écrivez que les pluyes & les mauvais „ chemins vous empêchoienc de venir, ôc „ qu'après Ihyver vous me viendriez trou- „ ver. M^iintenant que les pluyes font paf. ,, fées, & que dans vingt -cinq ou vingt- „ fix jours j'efpère que je ferai à Aureng- „ Abad, faites diligence pour m'y venir „ trouver. Je crois que vous n'y manque- „ rez pas". Ce qui fuit étoit dé la main du Nabab : „ Cher Ami, vous ne manquerez pis „ d'exécuter ce que je viens de vous écrire". Réponfe de Tavernier, dans le même fiy- le. „ Celui qui prie Dieu pour Vôtre AU „ teffe & pour l'accroilTement de vôtre «grandeur & profpérité , Jean- Baptille „ Tavernier,. François, préfente Requête i, à vôtre libérale bénignité, vous qui êtes „ le Lieutenant de l'Empereur, qui gouver. ,, ne, comme Parent de Sa Majclté, tous „ les Royaumes fournis à fon fctptre , le«juel ,. a remis à vôtre conduite les plus iinpor- „ tantes affaires de fa Couronne, le Prince „ invincible Scha- Eli Khan, que Dieu „ tienne en fa garde". „ J'ai reçu l'honneur du commandement „ dont Vôtre AltelR.' a voulu augmenter la- „ fortune du moindre do fes Serviteurs. Salut au Nabab, le Prince des Princes. Je m'étois donné l'honneur, ces jours palTés, de vous écrire par un Valet de pied de la Maifon de Vôtre AltelFe, que „. je ne manquerois pas , &c. Maintenat;t „ que vous ordonnez que ce foit à Aureng-- „ Aoab , je uiviai vos ordres. Fait le „ dixième du mois i/aga", lis 254 VOYAGES DANS LES TAVKRNIIiR. l6 66. Voyage par 'rcirc deSu- tstv,' à Goa. v*5ort d'un VaiiTenu An- glûJs attnqué par les Malu- barcs. fix Princes Idolùires, qui fe trouvoient à l'Armée, le traitoient tour à tour: mais leurs mets, inletlcs de poivre, de gingembre & d'autres épiceries . lui faifoicnt trouver peu de plailir dans ces fèces. Pendant Ion lejour au Camp, le Nabab lit jouer une mine; opération li nouvelle pour les Ilabi- tans de Choupar, que dans l'effroi qu'ils en conçurent, ils ie rendirent à conipofition. Les brigandages, qui fe commettoient par les Coureurs des deux partis, firent fouhaiter àTavernier que le prix de Tes marchandifes lui fût compté à Doltabat; ce que le Nabab lui accorda volontiers; & dès le lendemain de fon arrivée dans cette Ville, il fut fatisfait avec une exafti tilde qu'il loue beaucoup dans cette occalion {x). Dlux Voyages que l'Auteur fit de Surate à Goa , l'un en 1641, l'autre en 1648, lui donnent occafion de tracer le chemin par Terre (y). Le chemin eft fort mauvais, fur-tout depuis Daman jufqu'à Rajapour. A\x% la plupart des Voyageurs le font-ils par Mer, dans une de ces JSarques à rames qui fe nomment AJmadies ^ & qui ne perdent guères la vue des Côtes D'un autre côté , cette courte navigation les expofe à tomber entre les mains des Malabares, Corfaires de profeiîion , & cruels ennemis des Chrétiens. Tavernier vit un Carme, auquel ils avoient donné une fi rigoureufe torture, pour en tirer plus promptement fa ranyon , qu'il étoit demeuré fort eflropic d'un bras & d'une jambe. Il raconte qu'im Capitaine Anglois, nommé Clerk^ venant de Bantam à Surate, eut le malheur de tomber dans une Efca- dre de vingt-cinq ou trente Barques Malabares , dont il fut vigoureufemeiu attaqué. Dans l'impuillance de ré(ifl:er à cette première furie , il fit mettre le feu à quelques barils de poudre, qu'il avoit eu le tems de préparer fous le tillac. Cette rufe fit fauter un grand nombre de Corfaires, qui étoient déjà montés abord: mais les autres n'en paroilTant que plus animés, Clerk, au defefpoir , fit defcendre tous Çqs gens dans fes deux Chaloupes , entra feu! dans fa chambre, où il difpofa une longue amorce jufqu'à la foute aux poudres ; & prit le tems où les Corfaires montoient de toutes parts , pour taire jouer cette efpèce de mine. Son adrefle & fon intrépidité lui firent trouver le moyen de fe jetter dans les flots; & de rejoindre une des deux Clialoupcs , tandis que Çqs Ennemis voloient en pièces avec un fracas épou- vantable. Cependant il en reftoit alTez pour arrêter les Chaloupes, qui contenoient environ quarante Anglois. Tavernier étoit à déjeûner avec le Préfident de Surate , nommé Fremelin , lorfque le Capitaine Clerk informa les Anglois de cette Ville, qu'il étoit Efclave du Samorin, avec tous fes Compagnons. Ce Prince n'avoit pas voulu les laiflTer entre les mains des Corfaires , parceque plus de douze cens Veuves , qui avoient perdu leurs Maris dans cette avanture, demandoient leur vie. Il les appaifa néanmoins, en leur promettant à chu?une deux piafl:res; ce qui montoit à plus de deux mille quatre cens écus , outre leur rançon , pour laquelle on en demandait quatre mille. Le Préfident fe hâta de faire tenir cette fomme; & Taver- nier (se) Pag. 235. Baçaim'; 9 de Baçaim à Cbaul; 12 deChau' à ( y ) On compte icî les diftances par gos, qui Daboul ; 10 de Dabou! à Rajapour ; 9 tlf R ija- font environ quatre de nos lieues communes, pour à Mingrela (i); 4 de Mingrela a Goa, De Surate à Daifian, 7 gos; 10 de Daman à Entout foixante-une coiTes. Ibid. pag, 100. {i) Ou plutôt WingHrU, R. i. E. ETATS DU GRAND M OG OL, Liv III. 055 nier vit revenir tous les Captifs, les uns en bonne fanté, d'autres accablés de maladies (2). MiNGRELA, d'où il ne refte que quatre cos , ou feize lieues, jufqu'à Goa , eft un gros Bourg à demie lieue de la Mer , fur les terres de Vifa- pour. C'eil une des meilleures plages de toutes les Indes. Les Hoilandois y prenoient autrefois des rafraîchiflemens , lorfqu'ils venoient blocquer Goa, & ne ceflent pas d'y en prendre encore dans leurs navigations de Commerce. Non-feulement on y trouve d'excellent riz & de très-bonne eau,- mais ce Canton eft renommé pour le Cardamome , que les Orientaux croyent la meilleure des épiceries, & qui efl: fort cher aux Indes, parcequ'il ne s'en trouve que dans ce lieu (a). On y fait auffi de grofles toiles , qui s'employent dans le Pays; & une forte de treillis, nommé Toti, qui fcrt pour l'emballage des marchandifes. Mais c'eft moins pour le Commerce que pour les vivres , que les Hoilandois y ont établi un Comptoir. Tous les Vaifleaux qui font voile de Batavia, de Bengale, de Ceylan, des Moluques, du Japon & des autres lieux, pour Surate, la Mer-rouge, le Sein Perfique, &c, viennent mouiller , enpaflant, à la Rade de Min- grela (b). Tavernier, entre plufieurs obfervations fur Goa , qui lui font com- munes avec les autres Voyageurs , remarque particulièrement (c), que le Port de Goa, celui de Conftantinople & celui- de Toulon, font les trois plus beaux du grand Continent de nôtre ancien Monde. Avant que les Hoilan- dois , dit-il , euffent abbatu la puiflance des Portugais dans les Indes , on ne voyoit à Goa que de la richefle & de la magnificence: mais depuis que les fources d'or & d'argent ont changé de maîtres, l'ancienne fplendeur de cette Ville a difparu. „ A mon fécond Voyage, ajoute l'Auteur, je vis des gens, que j'avois connus riches de deux mille écus de rente, venir le foir en cacheté me demander l'aumône ; fans rien rabbatre néanmoins de leur orgueil , fur-tout les femmes , qui viennent en palekis , & qui demeu- rent à la porte, tandis qu'un Valet, qui les accompagne, vient nous fai- re un compUment de leur parc. On leur envoyé ce qu'on veut , ou bien on le porte foi-méme, quand on a la curiofité de voir leur vifage; ce qui arrive rarement, parcequ'elles fe couvrent la tête d'un voile. Mais elles préfentent ordinairement un billet de quelque Religieux qui les recom- mande, & qui rend témoignage de leurs richefles pafFées, en expofant leur mifère préfente. Ainfi, le plus fouvent, on entre en difcôurs avec la Belle; & par honneur, on la prie d'entrer pour faire une collation, qui dure quelquefois jufqu'au lendemain (rf). Il eft conftant, ajoute en- core Tavernier, que fi les Hoilandois n'étoient pas venus aux Indes, on ne trouveroii pas aujourd'hui, chez la plupart des Portugais de Goa, un. morceau de fer, parceque tout y feroit d'or ou d'argent (e)". Le VoyezIcDiflionnairede Commerce. R. d.E. {h) Pag. 104. (c) Pag. 105. (d) Pag. io<5. (e) Pay. ii^ s» >> j> j» 5> » ») )» >l (z) Pag. loi. (0) C'eft le petit Cardamome f Car il y en a trois autres fortes qu'on tire d'Afrique, de Ccy'an & de Java; mais qui lui font fort inférieures. Tavernier l'appelle Gi>;ça- msn. Les Malabares le nomment Eleuarù. Tavernier. 1666. Mingrela, Bourg, & Rade excel- lente. JuqetTicnt de" 'l'averuier fur Goa. 25(J VOYAGES DANS LES Tavernier. 1666. Dom Phi- lippe lie Rlaf. caicgnas Vi- ccroi do Gua. En'rcticn de 'rivcrnier avec riuqui- fîtcur. Origine d'u- ne belle Mai- Ton des Car- mes de Goa. Le Viceroi, l'Archevêque & le grand Inquifiteur, auxquels Tavernicr rendit Tes premiers devoirs, le reçurent avec d'autant plus de civilité, que Tes vifites étoient toujours accompagnées de quelque préfent. C'ctoit Dom Philippe de Mafcaregnas qui gouvernoit alors les Indes Portugaifes. Il n'ad- mettoit perfonnc à fa table ; pas même Tes enfans : mais dans la falle où il mangeoit, on avoit ménagé un petit retranchement, où l'on mettoit le cou- vert pour les principaux Officiers & pour ceux qu'il invitoit; ancien ufage d'un tems dont il ne reftoit que la fierté. Le grand Inquifiteur, chez le- quel Tavernier s'étoit préfenté , s'excufa d'abord fur fes affaires , & lui fie dire enfuite qu'il l'entretiendroit dans la Mailbn de l'Inquilition , quoiqu'il eut fon Palais dans un autre quartier. Cette affeilation pouvoit lui caufcr quelque défiance, parcequ'il étoit Proteftant. Cependant il ne fit pas diffi- culte d'entrer dans llnquilition , à l'heure marquée. Un Page l'introduific dans une grande falle , où il demeura feul , l'efpace d'un quart d'heure. En- fin , un OHicier , qui vint le prendre , le fit palier par deux grandes galeries & par quelques appartemens , pour arriver dans une petite chambre où l'In- quiliteur l'attendoit, alîis au bout d'une grande table en forme de billard- Tout l'ameublement , comme la table , étoit couvert de drap verd d'Angle- terre. Après le premier compliment, l'Inquiliteur lui demanda de quelle Religion il étoit? Il répondit qu'il faifoit profelîion de la Religion Protef- tante. La féconde queftion regarda fon Père & fa Mère , dont on voulut Içavoir aulïï la Religion : & lorlqu'il eut répondu qu'ils étoient Proteftans comme lui, l'Inquiliteur raiTura qu'il étoit le bien venu: comme s'il eût été juftifié par le hazard de fa naiflance. Alors l'Inquiliteur cria qu'on pouvoit entrer. . Un bout de tapiflferie, qui fut levé au coin de la chambre , fit pa- roître aufTi-tôt dix ou douze perfonnes, qui étoient dans une chambre voi- fine. C'étoient deux Religieux Auguflins , deux Dominiquains , deux Car- mes, & d'autres Eccléliailiques , à qui l'Inquifiteur apprit d'abord que Ta- vernier étoit né Proteftant , mais qu'il n'avoit avec lui aucun Livre défen- du , & que fâchant les ordres du l'ribunal , il avoit lailîe fa Bible à Mingre- la. L'entretien devint fort agréable, & roula fur les Voyages de l'Auteur, dont toute l'aflemblée parut entendre volontiers le récit. 1 rois jours après, l'Inquifiteur le fit prier à dîner avec lui , dans une fort belle Mailbn qui eft à demie-lieue delà Ville, & qui appartient aux Carmes Defchaufles. C'eft un des plus beaux Edifices de toutes les Indes. Un Gentilhomme Portu- gais, dont le Père & l'Ayeul s'étoient enrichis par le Commerce, avoit fait bâtir cette Maifon, qui peut pafiTer pour un beau Palais. Il vécut fans goût pour le mariage; & s'étant livré à la dévotion , il pafibit la plus grande par- tie de fa vie chez les Auguftins , pour lefquels il conçut tant d'aôeétion , qu'il fit un teftament par lequel il leur donnoit tout fon bien , à condition qu'après fa mort ils lui élevallent un Tombeau au côté droit du grand i\f • tel. Quelques-uns de ces Religieux lui ayant repréfenté que cette place ne convenoit qu'à un Viceroi, & l'ayant prié d'en choifir une autre, il fut fi picqué de cette propofition, qu'il celFa de voir les Auguflins; & fa dévo- tion s'étant tournée vers les Carmes, qui le rejurent à bras ouverts, il leur lailTa fon héritage à la même condition (/). Pen"- (/) Pag. 105. : ■ . . .< ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 257 Pendant trois mois que Tavernier pafla dans Goa, il profita de fa fa- veur pour obtenir ieicongé d'un Gentilhomme François , nommé DwBelky. Cette hilioire eft d'autant plus intéreflante , dans Ion récit, qu'elle fe trou- ve mêlée avec celle de quelques autres François , dont les belles adlions ne doivent pas demeurer fans éloge. Du-Belloy étoit forti de la maifon de fon Père, pour fe former par les Voyages : mais ayant fait une dépenfe exceflive en Hollande , & ne trouvant perfonne qui fût difpofé à lui prêter de l'argent, la néceflité lui fit prendre le parti de pafler aux Indes. Il entra dans une Compagnie Hol- landoife , avec laquelle il fut tranfporté à Batavia , dans le tems que les Hollandois faifoient la guerre aux Portugais de Ceylan. A fon arrivée, on le mit dans les recrues qu'on enyoyoit dans cette Ille. Le Général des Trou- pes Hollandoifes fe voyant fortifié par ce renfort, qui étoit commandé par un Oificier François, nommé Saint-Amant , homme de courage & d'expé- rience, réfolut d'afliéger Negombo , une des Places Portugaifes de i'Ifle de Ceylan. On donna trois aflauts, dans lefquels tout ce qu'il y avoit de Fran- çois firent admirer leur valeur, fur-tout Saint- Amant & Jean de Rofe^ qui furent tous deux blefles. Le Général , charmé de fe voir û bien fervi , pro- mit que fi l'on prenoit Negombo , Saint- Amant auroit le gouvernement de cette Place. Il tint parole. Mais un jeune homme, arrivé depuis peu de Hollande & parent du Gouverneur de Batavia, obtint cette dignité au pré- judice de celui qui la devoit à fon courage, & vint le déplacer avec un or- dre du Confeil. Saint- Amant, furieux de fe voir indignement fupplanté, débaucha quinze ou vingt Soldats, la plupart François, entre lefquels é- toient Du-Belloy, Des-Marets , Gentilhomme du Dauphiné , & Jean de Ro- fe. Il trouva le moyen de fe jetter avec eux dans l'Armée Portugàife. Ce petit nombre de braves Guerriers releva les efpérances des Portugais. Ils attaquèrent Negombo , d'où ils avoient été chaiTés , & l'emportèrent au fé- cond aflaut. Do M Philippe de Mafcaregnas étoit alors Gouverneur de I'Ifle de Cey- lan , c'eft-à-dire , de toutes les Places qui dépendoient du Portugal. Il fai- foit fa demeure dans la Ville de Colombo , où il reçut des lettres de Goa , qui lui apprenoient la mort du Viceroi , & qu'il étoit nommé pour lui fuc- céder. Avant fon départ, il voulut voir Saint-Amant & fes Compagnons, pour rccompenfcr leurs fervices. Il eftimoit la valeur. Auffi-tôt qu'il eut vu cette troupe de Braves , il prit là réfolution de les emmener avec lui, foit parcequ'il fe promettoit à Goa plus d'occafions de les avancer, foie qu'appréhendant de rencontrer les Malabares , il fût bien aife d'avoir près de lui des gens de réfolution. En approchant du Cap de Comorin , une fu- rieufe tempête difperfa fa Flotte & fit périr plufieurs Barques. Le Vaifleau du Viceroi fe trou voit expofé lui-même au dernier danger, & les Matelots faifoient des efforts inutiles pour gagner la Terre , lorfque Saint^ Amant & fes Compagnons, voyant le naufrage inévitable, fe jettèrent dans la Mer avec des cordes & des pièces de bois , fur lefquelles ils prirent leur nouveau Maître & le fauvèrent avec eux. C E Seigneur fit éclater fa réconnoiffance en arrivant à Goa. Auflfi-tôt qu'il eut pris pofTeffion de fa dignité , il revêtit Saint- Amant de la charge de Xni Part. Kk Grand- Tavernier, i666. Hiftoire de Du-Iklloy & de Saint- Amant, Gen. tilshommes rrançoiî. 258 VOYAGES DANS LES Tavernier. 1666. Tavernier cû. tnôlé dans l'afFaire de Du-13elloy. Grand-Maître de l'Artillerie, & d'Intendant Général de toutes lesForteref. fcs que les Portugais avoicnt aux Indes. Il lui fie époufer enfuite une fil- le , qui lui apporta du bien. Tous les autres François fc reflcntirent aufli ch fa gcncrolité. Jean de Rofe demanda d'être renvoyé à Colombo , où il époufa une jeune veuve Metive , que fon mari avoit laiflee fort ri- elle. Dom Philippe , qui avoit conçu des fentimens particuliers d'aficc- tion pour Des-Marets , parceque c'étoit à lui qu'il avoit l'obligation de l'a- voir chargé fur les épaules pour le fauver du naufrage, le fit Capitaine de fes Gardes. Du-Belloy demanda la liberté d'aller à Macao. Il avoit appris qu'u- ne partie de la Noblefle Portugaife fe retiroit dans cette Ville , après s'être enrichie pr'.r le Commerce; qu'elle recevoit bien les Etrangers, & qu'elle aimoit fort le jeu , qui étoit la plus forte paflion de Du-Belloy. Il pafla deux ans , à Macao , dans des amufemens de fon goût. Lorfqu'il avoit per- du fon argent au jeu, il trouvoit des amis aflez généreux pour lui en prê- ter. Mais un jour , qu'après avoir fait un gain confidérable , il perdit tout ce qu'il pofledoit , avec plus de malheur qu'il n'avoit eu de fortune , un em- portement de colère le fit jurer contre un tableau de piété , qui fe trouvoit dans le même lieu , en lui reprochant d'avoir été la caufe de fa difgrace. Aulïi-tot rinquiliteur en fut averti. Toutes les Villes Portugaifes des Indes ont un de ces redoutables Officiers , dont le pouvoir à la vérité n'efl: pas fans bornes , mais qui a droit de faire arrêter ceux dont on lui fait des plain- tes , d'entendre les témoins , & d'envoyer les coupables , avec les informa- tions , par le premier Navire qui part pour Goa , où le pouvoir de condam- ner & d'abfoudre appartient à l'Inquifiteur général. Du-Belloy fut embar- qué, les fers aux pieds, fur un petit Vaiffeau de dix à douze pièces de ca- non. Le Capitaine devoit répondre de fa perfonne: mais cet Officier était un homme civil , qui connoiflant fon prifonnier pour un François de bonne Maifon, lui fit ôter fes fers & le fit manger à fa table, avec l'attention de lui fournir du linge & des habits pendant le Voyage, qui fut d'environ qua- rante jours. Ils arrivèrent à Goa, le 19 de Février 1649. Saint- Amant s'étant ren- du au Port , de la part du Viceroi , fans autre vue que de prendre les let- tres, & de favoir ce qui fe paflToit à la Chine, fut extrêmement furpris de reconnoître Du-Belloy, & d'apprendre fon infortune. Le Capitaine refu- foit de le laifler fortir du bord , avant que le grand Inquiliteur en fût aver- ti. Cependant le crédit de Saint-Amant lui fit obtenir la liberté d'emmener fon ami dans la Ville , où il n'oublia pas de lui faire prendre fes plus vieux habits , pour le préfenter à l'Inquifition. Il plaida fa caufe avec toute la chaleur de l'amitié; & l'Inquifiteur, touché de l'état où il le voyoit, lui donna la Ville pour prifon , à condition qu'il fe repréfentât au premier or- dre. Tavernier , qui fe trouvoit alors à Goa , étant devenu un des princi- paux Afteurs dans la fuite de cette avanture, c'ell dans fes propres termes qu'on doit fouhaiter d'en lire le récit. „ Dans ces circonflances , Saint- Amant m'amène Du-Belloy , comme „ je fortois de mon logement pour aller voir M. l'Eveque de Mire, que j'a- vois connu à Conflantinople, lorfqu'il y étoit Gardien des Francifcains de )> 5J ETATS DU GRAND MOG O L, Liv. III. 25!) „ de Galata. Je les priai de m'attendre un peu, & de dîner avec moi ; ce „ qu'ils m'accordèrent: après quoi j'offris ma mailbn & ma table à M. Du- ,, Jklloy, qui accepta mes offres. Je lui fis faire trois habits complets, „ & le linge ncceffaire. Pendant huit ou dix jours que je paffai encore à „ Goa, il me fut impoffible de l'engager à fe revêtir de ces habits; & fans „ m'apprendre la caufe de fon refus, il me promettoit chaque jour de les „ mettre le lendemain. La veille de mon départ , je lui dis que j'allois „ prendre congé du Viceroi. Il me pria inftamment d'obtenir auffi le fien. „ Je le fis avec fuccès. Nous partîmes fur le foir, dans la même Barque „ où j'étois venu. * Du-Belloy commença vers minuit à fe deshabiller & à prendre fes habits neufs, jettant les vieux dans la Mer & jurant contre rinquifition , fans que j'en fçuffe encore la caufe ; car j'avois ignoré tout ce qui s'étoit paffé. Dans la furprife où j'étois de fon emportement , je lui repréfentai qu'il n'étoit pas encore hors des mains des Portugais , & que nous ne pouvions pas nous défendre, lui & moi, avec cinq ou fix perfonnes que j'avois à ma fuite, contre quarante hommes qui ramoient dans nôtre Barque. Je lui demandai pourquoi il juroit contre l'Inquid- „ tion. Il me promit de me l'apprendre à Mingrela. Nous arrivâmes heureufement au rivage, où nous trouvâmes quelques Hollandois avec leur Commandant , qui buvoient du vin d'Efpagne en mangeant des hui- tres. Ils me demandèrent auffi-tôt qui étoit celui qu'ils voyoient avec moi. Je leur dis que c'étoit un Gentilhomme, qui étant allé en Portugal à la fiiite d'un Ambaffadeur de France , s'étoit embarqué pour les Indes , avec quatre ou cinq autres P^ançois qui étoient encore à Goa , & qu'ayant pris peu de goût au féjour de cette Ville & à l'humeur Portugaife, il m'a- voit prié de l'atîifter pour retourner en Europe. Il m'inftruifit , le foir, de toutes les a\^antures de fa vie. Trois ou quatre jours après , je lui a- chetai une monture du Pays , c'efl-à-dire, un bœuf, pour aller à Surate ; &. je lui donnai un Valet pour le fervir, avec une lettre au Père Zenon, Capucin, par laquelle je le priois de lui faire donner, par mon Courtier, dix ccus par mois pour fa dépenfe, & d'obtenir pour lui, du Préfident des Anglois , la permifljon de s'embarquer fur le premier Vaiffeau de leur Nation. Mais le Père Zenon, qui fe difpofoit à faire le Voyage de Goa, pour l'affaire du Père Ephraim (g), fut bien aife apparemment de ne pas partir fans Guide. Il engagea Du-Belloy à l'accompagner, dans Topinion fans doute qu'il lui fufliroit de fe repréfenter à l'Inquifition , d? de demander pardon pour l'obtenir. Du-Belloy l'obtint'à la vérité; mais ce fut après avoir pafle deux ans à l'Inquifition , d'où il ne fortit qu'avec la chemife fouffrée, & la grande Croix de Saint André devant l'eftomac, accompagné d'un autre François, nommé Louis ^ de Bar-fur-Seine, qui fut traité avec la même rigueur. Ils avoient été condamnés, tous deux, à fuivre quantité d'autres Malheureux qu'on menoit au fupplice. Du- Belloy n'avoit pCi fe montrer , à Goa , fans une extrême imprudence : mais il en commit une, beaucoup moins excufable, en retournant à Mingre- „ la, {g) Voyez ci-defTus l'hiftoire de ces deux Capucins, dans le Voyage aux Mines de Dia« ms. l'ag. 27. Note ( b ). Kk 2 »> »> » »> »> J) î> î> 5> }> 5> » 3> » J> J> J> J» JJ J» )ï J) î> 5» }) mans. Taveunter. 1666. 2(5o VOYAGES DANS LES Tavbrnier. 1666. îlilloire de Des-Marets , Oentilhomme Dauphinois. » » la, où les Hollandois, informés par leur Direfteur de Surate, qu'il s'c* toit autrefois fauve de leur fervice, fe faifirent de lui ôl le mirent fur ua Vaiffeau qui partoit pour Batavia. Ils publièrent qu'ils l'avoient envoyé au Général de la Compagnie , pour fe remettre fur ce Chef fupreme d'u- ne affaire qui excédoit leur pouvoir. Mais Tavernicr apprit , de bonne part, que le Vaiffeau s'étant éloigné de la Côte, ceux qui le conduifoient avoient mis ce malheureux Gentilhomme dans un fac, & l'avoient préci- pilé dans les flots (h) ". L'Histoire de Des-Marcts eft moins funeflc. Il étoit d'une bonne Maifon du Dauphiné, dans le voifinage de Lauriol. Après un duel, dans lequel il avoit tué fon Adverfaire, il étoit paffé en Pologne, où fes belles aftions lui avoient acquis l'eflime & l'amitié du Général de la Couronne. Dans le mème-tems, le Grand-Seigneur tenoit prifonnier, au Château des fept Tours , deux Princes Polonois , qu'il avoit fait arrêter par des raifons dont l'Auteur ne paroit point informé. Le Général , connoiffant la valeur & l'adreffe de Des-Marets , qui joignoit à beaucoup de qualités diflinguées celle de bon Ingénieur, lui propofa de fe rendre à Çonftantinople, pour cher- cher les moyens de rendre la liberté aux d>-ux Princes. Il accepta cette commiffion ; & vraifemblablement fon entreprife auroit eu le fuccès qu'il s'étoit promis, s'il n'eût été découvert par quelques Turcs, qui l'accufo- rent d'avoir confidéré les fept Tours avec trop d'attention & le crayon à la main , pour en lever le plan dans quelque mauvais deffein. C'étoit affcz pour le perdre, fi M. de Cefy, Ambaffadeur de France, n'eût étouffé cet- te affaire par un préfent j remède ordinaire , en Turquie , pour les plus fâ- cheux événemens. Ce Miniftre repréfenta que Des-Marets étoit un jeune Gentilhomme , qui voyageoit dans la feule vue de s'inftruire , & qui fe pro- pofoit de paffer en Perfe à la première occafion. Cette excufe le fauva, mais elle le mit dans la néceflflté de faire en effet le Voyage de Perfe. Les deux Princes , auxquels le Grand Seigneur avoit réfolu de ne jamais rendre la liberté, eurent enfin le bonheur de corrompre un jeune Turc , fils du Gouverneur de leur prifon , à qui fon Père confioit ordinairement les clefs des principales portes. La nuit defl:inée pour leur fuite , il feignit de les fermer, à la réferve de celle qui étoit gardée par un détachement de Ja- niffaires : mais ayant pris fes mefures de loin , il avoit eu recours de bonne heure à des échelles de corde, pour paffer deux murs. Comme les Princes n'étoient pas traités avec la dernière rigueur , on leur permettoit de rece- voir quelques plats , de la cuifine de l'Ambaffadeur de France ; & les Ciiili- niers , qui étoient dans leurs intérêts, leur avoient envoyé plufieurs fois des pâtés remplis de cordes, dont ils avoient fait des échelles. L'affaire fut conduite avec tant de précaution & de bonheur , que les Princes fe trouvè- rent libres. Le jeune Turc les fuivit en Pologne , où il embraffa le Chriflia- nifme, & les récompenfes qu'il y reçut furent proportionnées à la grandeur du fervice (/). Cependant Des-Marets, étant arrivé dans la Capitale de Perfe, s'a- drcflâ {b) Pag. 120 & précédentes. On peut douter de cette dernière circonftance , qui jn- ïoic peu vraifemblabie. R. d. E. (i) Pag. 121. ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. i6i drefla d'abord aux Pères Capucins, qui le conduifircnt chez Tavernicr. Il fit quelque féjour à Ifpahan , pendant lequel fon mérite le fit cftimer des Anglois & des liollandois de cette Ville. Mais fa curiofité , joint à fa har- diefle naturelle, le jetta dans une cntreprifc téméraire, qui faillit de caufer fa perte & celle de tous les Européens , qui fe trouvoient dans Ifpahan. Proche du Carvanfera , dans lequel il étoit logé , on voit un grand bain , où les hommes & les femmes fe rendent fuccelïivement , à des jours marqués pour chaque fexe , & où la Reine de Vifapour , qui avoit pris fon chemin par Ifpahan, à fon retour de la Mecque, fe rendoit fouvent , pour le feul plaifir de s'entretenir avec les femmes des François ; parceque le Jardin de leur Maifon touchant au même bain , elles ne faifoicnt pas difficulté de s'y rendre auffi. Des-Marets, dans la folle paffion de voir ce qui fe paflbit en- tre toutes ces femmes, remarqua une fente dans la voûte du bain; & mon- tant par dehors fur cette voûte, qui efl: plate , comme celles du Serrail, il fe couchoit fur le ventre, & jouilFoit du fpeélacle fans être apperçu. Ta- vernier, (ju'il prit pour le Confident de fa bonne fortune, lui repréfenta qu'il jouoit à le perdre. Mais, n'ayant pas profité de cet avis, il fut dé- couvert par une des femmes qui ont foin du linge , & qui le font fécher An- des percnes qui bordent la voûte. Dans l'effroi d'y trouver un homme cou- ché , elle fe faifit de fon chapeau , en commençant à pouffer des cris. Des- Marets eut le bonheur de lui fermer la bouche , par quelques pièces d'argent qu'il fe hâta de lui mettre dans la main. Lorfqu'il revint au Carvanfera , Tavernier, qui remarqua du trouble fur fon vifage, lui fit avouer fa témé- rité ; & les fuites en pouvant être beaucoup plus dangereufes qu'il ne fe l'i- maginoit, tous les Européens conclurent que fon départ ne devoit pas être difl^eré. On lui fournit une mule & de l'argent , pour fe rendre à Bander- Abaffi. Le Direéleur Hollandois lui offrit des lettres de recommandation pour le Général de Batavia , qui avoit befoin , à Ceylan , de gens d'efprit & de cœur. Mais les careffes & les préfens n'ayant pu le tenter de prendre des engagemens dont il croyoit fa Religion bleffée (k), Tavernier lui con- feilla de paffer à Surate, où le Préfident Anglois, difpofé à féconder fes in- tentions, par le témoignage qu'on lui rendit de fon mérite, écrivit en fa fliveur au Viceroi de Goa, dont il étoit aimé, & fit valoir l'offre des Hol- landois , pour lui procurer plus de confidération. Des-Marets fut bien re- çu du Viceroi. Il demanda la permiffion de paffer dans l'Ille de Ceylan, où le Gouverneur , Dom Philippe de Mafcaregnas , lui donna auffi-tôt de l'em- ploi. Il y arriva trois jours après que les Portugais eurent perdu Negom- bo ; & lorfqu'ils la reprirent, il fut un de ceux qui reçurent le plus de blef- fures , & qui acquirent le plus de gloire. Ce fut lui qui contribua le plus auffi à fauver Dom Philippe du naufrage. Ce Seigneur, étant devenu Vi- ceroi, ne crut pas lui devoir une moinçlre récompenfe, que la charge de Ca- pitaine de fes Gardes , dans laquelle il mourut après trois ou quatre mois d'exercice, fort regretté de fon Maître, & de tous ceux qui l'avoient con- nu. Il laiflli tout ce qu'il poffedoit, à un Prêtre, avec lequel il s'étoit lié d'une amitié fort étroite j en le chargeant de rendre îi Tavernicr deux cens cin'» (k) Pag, i23i Kk s Tavf.rnieRi 1666. 2<52 VOYAGES DANS L K S Tavf.rnifr. 10 6 6. I")ocouvcrte inconnue. ! cinquante cens, que ccX'oyagcur lui avoit prêtes en Pcrfc, & qu'il eut heau' coup de peine il tirer clos niains du Légataire, pendant Ion fcjour à (ioa (l). Ce fut dans le même Voyage, qu'il apprit chez Saint-Amant, Intendaiic Général de toutes les l"'ortereires que les Portugais avaient aux Indes, la nouvelle découverte qu'une Caravelle, partie de Lisbonne, avoit faite dans le cours de la navigation. En voulant reconnoitre le Cap de Bonne Klpéran- ce, elle fut furprile par une tempête qui dura plufieurs jours, & qui lit per- dre aux Matelots la connuillance de leur route. Après beaucoup d'agita- tions, ils furent jettes dans une Baye, que leurs oblervations leur firent ju. gjr à trente lieues du Cap, où ils trouvèrent plufieurs habitations. A pei- ne eurent-ils mouillé, qu'ils virent le rivage bordé d'hommes, de femmes & d'enfans , qui paroiflbient fort étonnés d'avoir devant les yeux des gens vêtus , des vifages blancs , & un Bâtiment tel que la Caravelle. Comme de part & d'autre on ne pouvoit fe faire entendre que par des lignes, les Portugais leur offrirent du bifcuit & de l'eau -de -vie. Ces préfens furent acceptés ; mais les Sauvages s'ctant bien-tôt retirés , & n'ayant pas reparu de tout le jour, il fembloit que la défiance les eut fait difparoître. Cepen- dant, le lendemain, ils apportèrent, fur le rivage, quantité déjeunes au- truches , & d'autres oifeaux , allez femblables à de groiïes oyes , fi gras qu'on ne dillinguoit point leur chair. Les plumes en étoient fort belles, & celles du ventre paroiflbient excellentes pour des lits. Tavernicr ache- ta un gros coullin de ces plumes, d'un des Matelots Portugais, qui lui ra- conta particulièrement tout ce qui leur étoit arrivé dans cette Baye (w), Ils y paiierenc vingt-fept jours. Dans l'impuiffance de s'expliquer, ils don- noient de tems en tems, aux Sauvages, des couteaux, des haches, du co- rail , & de faufles perles , pour les exciter au Commerce , & pour décou- vrir s'ils avoient beaucoup d'or; car ils en voyoient, à quelques-uns, de pe- tits lingots, aux oreilles, rabatus des deux cotés comme des doux de fer- rure. Quelques femmes en portoient au bas du menton & même aux nari- nes. Huit ou neuf jours après l'arrivée des Portugais , ces Barbares leur apportèrent enfin de petits morceaux d'ambre gris , un peu d'or , & quel- ques dents d'éléphans , mais fort petites , quelques cerfs & quantité de poitron. On n'épargna rien pour apprendre d'eux où ils prenoient l'ambre gris, qui étoit fort beau. Le Viceroi de Goa en fit voir, à l'Auteur, un morceau de demie once, qui lui parut le meilleur qu'il eût jamais vu. Les Portugais s'efforcèrent aulfi de découvrir d'où leur venoit l'or. Pour hs dents d'éléphans, ils n'avoient pas befoin d'autre explication que la vue d'un grand nombre de ces animaux, qui venoient boire , chaque jour au matin , dans une Rivière qui fe jette dans la Baye. Enfin, defefpérant de fe faire entendre & d'obtenir des éclaircilleraens , ils prirent le parti de re- mettre à la voile. Mais , comme les Sauvages s'étoient rendus fi familiers qu'il y en avoit toujours quelques-urts dans le Vaiffeau , ils en retinrent deux, avec lefquels ils prirent la route de Goa , dans l'efpérance de leur faire ap- prendre le Portugais, ou de faire apprendre leur langue à quelque enfant qu'un metiroit auprès d'eux. Lorfque le Vaiffeau eut commence à s'éloi- gner, (0 P.-ig. 123 & précédentes. (m) Pag. 124. ETATS DU GRAND M 0 G OL, Liv. III. 2^3 gner, tous les Sauvages voyant enlever deux de leurs Compagnons, qui n'e- toient pas apparemment des moins conddérabics , s'arrachèrent les cheveux Se fe frappèrent l'ellomac , avec des cris" Je des hurlemens épouvantables. La Caravelle arriva heureufcment à Goa. On prit foin des deux Captifs. Mais on ne put leur rien apprendre de la langue Porcugaile, ni rien tirer d'eux pour la connoillance de leur Pays. Dans l'erpace de quelques mois, ils moururent tous deux de chagrin & de langueur ; & les Portugais ne ti- rèrent point d'autre avantage de cette découverte qu'environ deux livres d'or, oc trois livres d'ambre gris, avec trente-cinq ou quarante dents d'élé- phans(M). Tavernier, fe trouvant dans la fuite à IJutavia, raconta tou- tes ces'circonftancesau Général llollanJois, qui ne fit pas des ellorts moins inutiles pour retrouver la même Baye (0). (n) Pag. 125. (0) Pag. 415. Tavernier dit que le Gou- verneur le remercia ajfez froidement de ce rapport, comme d'une choie de peu d'im- portance, quoiqu'il ait fçû depuis ou'on a- voit tntrcpiii inutilcincnc cette rtchorche. Une Baye à trente lieues du Cap aurnit-ello élu inconnue aux Uollandois? R. d. \ù. TAVPnNirR, 1666. F.triirts inu- tilis pour re- trouver Ctltf Uaye. 5. I II. Foyage de Tavernier à Batavia. LE Voyage de Batavia, un des plus pénibles que l'Auteur eut entre- pris , du moins par les dangers auxquels fa vie fut expofée , fait la der- nière partie de fon Journal. 11 partit de Mingrela, au Koyaumc de Vifa- pour, fur un Vaifleau Hollandois, qui apportoit des foyes dePerJc, & qui a- voit ordre, en faifant voile à Batavia, de mouiller à Bakanor, pour y prendre du riz. On arriva, dans ce Port, quatre jours après. Le Capitaine étant obligé de defcendre, pour demander au Roi la permiflîon du Commerce, Tavernier eut la curiofité de f accompagner. Ils remontèrent la Rivière près de trois lieues ; & lorfqu'ils s'y attendoient le moins , ils trouvèrent le Roi fur le bord de l'eau , dans un lieu où ils ne découvrirent que dix ou douze cabanes, compofées de branches de palmier. Ils jugèrent que ce Prince avoit ailleurs quelque logement plus di^ne de lui , & qu'il n'étoit venu dans ce lieu que pour y jouir de la fraîcheur des arbres & de quelques ruiifeaux. La cabane dans laquelle il entra , pour recevoir les deux Européens , ne lailfoit pas d'être ornée de quelques tapis de Per- fe , fur l'un defquels il s'aflît , entouré de cinq ou fix femmes , dont les unes l'éventoient avec des queues de paon, & les autres lui préfentoient le bétel , ou rempliflbient fa pipe de tabac. Les Seigneurs de fa Cour étoicnt dans les autres cabanes ; & l'Auteur en compta près de deux cens, la plupart armés .d'arcs & de flèches. On voyoit deux éléphans, à peu de dillance. Après avoir accordé , au Capitaine, la permiffion d'ache- ter du riz, le Monarque lui envoya , dans fa Chaloupe , un préfent de dou- ze poules & de cinq ou fix flacons de vin de palmier, 'l'avernicr obferve que ce vin étoit beaucoup plus fort que tout ce qu'il cq avoit bû de la mê- me efpècc , & qu'en ayant demandé la raifon à qigjlqiics llabitans d'un Hameau dans lequel ilpafla la nuit, ils lui répondirent tpe cette qualité venoic 1648. Voy;igc de Tavernier dans rille de Jnva. Il pafTe à Uakanor. Dans quil lieu il trouve le Roi. Vin de pal- mier ti Ci- fort, èc ce qui lui donne cette qualité. 264. VOYAGES DANS LES Tnvcrnicr dans une cempêtc. Vavkrnier. venoit de l'ufage où l'on étoit, dans le Pays, de planter le poivre autour 1648. des palmiers (a). La nuit du 28 au 29 d'Avril, le vent commençant à changer, on aver- tit le Capitaine , qui n'avoit point encore pratiqué les Côtes de l'Inde , que la prudence l'obligeoit de ne pas différer plus long - tems à lever l'ancre. Mais comme il regrettoit de partir fans avoir achevé de charger , il rejet- ta ce confeil, fous prétexte qu'il manquoit d'eau. Le vent, qui avoit été fort violent toute la nuit , s'appaifa un peu le lendemain , & l'on continua Fermeté de *^^ charger du riz. Le jour d'après , on vit les apparences d'un 11 mauvais tems, que tout l'équipage commençant à murmurer, le Capitaine envoya les deux Chaloupes pour prendre de l'eau. Mais elles ne furent pas plu- tôt à l'embouchure de la Rivière , qu'un vent furieux obligea les Mate- lots de revenir fans eau, avec beaucoup de peine & de danger. On ne s'arrête à ce récit , que pour faire honneur à Tavernier de fa fermeté, dans une de ces terribles fituations, qui font les plus grands embarras des Voyageurs, & qui forment quelquefois auflî la plus agréable partie de leurs Relations. Les Chaloupes étant revenues à bord , on les attacha derrière le Vaif- fcau, fuivant l'ufage; & l'on mit quatorze hommes dans la grande, pour Li retenir , & l'empêcher de fe brifer par les chocs. Alors , on voulut com- mencer à lever l'ancre. Mais le vent étant devenu plus fort & plus con- traire, douze hommes, de quarante qui étoient autour du moulinet, fu- rent efliropiés par les barres. Le Capitaine même , qui voulut toucher au cable, eut la main prefqu'entièrement écrafée. Enfin la tempête devint fi furieufe, qu'au-lieu de lever l'ancre, on fut contraint d'en jetter d'autres, parceque le Vaifleau étoit impétueufement poufle vers ^la terre. Avant minuit, on avoit perdu fucceflivement fept ancres. Il n'en reftoit plus, & toute autre reffource étoit vaine. On fit trois fois la prière dans l'efpa- ce de deux heures. A la fin de la troifièmc , les Pilotes crièrent que le Vaifleau alloit toucher terre , & que chacun devoit penfer à fe fauver. Le Capitaine étoit incapable de s'aider lui-même dans le miférable état de fa main. Tavernier, qui n'efpéroit pas beaucoup plus de fes propres efforts, s'accouda fur le bord du Vaifleau , pour y attendre fa defl:inée ; & comme on étoit éclairé par la lumière de la Lune, il fe mit à regarder trifliement les ondes , qui le poufloient vers la Côte. Pendant qu'il étoit dans cette pof- ture, le Vaiffeau toucha rudement à terre; & les cris de l'équipage lui fi- rent juger qu'il s'étoit entr'ouvert. Au même inftant, deux Matelots vin- rent lui offrir de le fauver, à condition d'être généreufement récompenfés, fi le Ciel favorifoit leurs efforts. Il leur promit cinq cens écus , qui les dif- pofèrent à rifquer leur vie pour conferver.la fienne. C'étoient deux Ham- bourgeois , qui l'avoient vu à Surate , & qui n'ignorant pas que fon prin- cipal Commerce étoit en pierreries , favoient qu'il avoit fur lui toutes ks marchandifes. Aufl!î-tôt qu'il eut nommé la fomme, ils fe faifirent d'un morceau de bois, de la groffeur de la cuiffe, & long de dix ou douze pieds, auquel ils attachèrent, en cinq oulix endroits, de greffes cordes, de quatre ou (a) Pag. 407. oivre autour ETATS DU GRAND MO G O L, Lir. III. «55 on cinq pieds de longueur. Tavernier confidcroit leur travail, fans en pouvoir deviner i'uflîge, lorfque tournant les yeux vers la terre, il crut re- marquer que le Vaiilcau n'y étoit plus poufle direélement. Dans la crainte rjue cène fût une illufion des ténèbres, parceque la Lune commençoit à fc coucher, il courut à la bouflble, pour s'eclaircir. Il vit qu'en effet le vont étoit tout-à-fait changé, & qu'il venoit de terre. Un cri , par lequel il annonça ce changement aux Matelots , leur fit reprendre courage. La joye fut proportionnée à la crainte. On avertit les quatorze hommes de la grande Chaloupe ; mais perfonne ne répondit ; & le matin , à la pointe du jour, on s'apperçut que leur cable s'étoit rompu. On n'a jamais eu d'au- irc nouvelle de leur fort. L E Pilote ne fut pas long - tems à remarquer que fon gouvernail s'étoit bvifé par le haut ; & pour réparer fur le champ cette difgrace , il fit ten- dre une petite voile , qu'on tiroit de divers côtés fuivant Tes ordres. En- fin le vent devint tout-à-fait Nord-Eft; & plus la nuit s'o'ufcurciffoit par la retraite de la Lune, plus il fe fortifioit du même côté. On en rendit grâ- ces au Ciel par des prières publiques. Cependant le danger n'étoit pas fi- ni , parcequ'on jpvoit à palier trois grofles roches qui s'élèvent au-dciTus des flots, & qu'on ne pouvoit appercevoir dans les ténèbres. Les VaifTeaux ne s'approchent point ordinairement du Port , jufqu'à fe mettre dans la né- cedité de les pafler; mais le Capitaine, preffé par le tems , avoit fait avan- cer le fien le plus près qu'il avoit pu de l'embouchure de la Rivière , pour charger avec plus de diligence. Ainfi, pendant le refte de la nuit, on fe crut expofé , de ce côté-là , au même danger dont on avoit été menacé du cô- té de la terre. Mais le Ciel permit qu'à la pointe du jour, on fe trouva, fans le favoir, à trois ou quatre lieues de la Côte. On tint confeil fur la route qu'on devoit prendre, parcequ'on étoit fans ancres. Les uns propo- foient de fe rendre à Goa, pour y paffer fhyver; les autres, d'aller à Point' de-Gale , première Ville que les Hollandois avoient enlevée aux Portugais dans riile de Ceylan(i). Le chemin étoit égal, &le vent également favora- ble. Tavernier reprélènta qu'on iie pouv^oit aller à Goa fans expofer des Matelots Hollandois à faire, dans l'yvreffe, quelque excès qui les foumet- troit aux rigueurs de l'Inquifition ; & que cette Ville d'ailleurs, leur of- frant diverfes occafions de débauche , le Capitaine ne retrouveroit pas un homme lorlqu'il penferoit à fe remettre en Mer (c). Deux raifons fi fortes firent donner la préférence à Point-de-Galle. Ce- pendant elles n'ôtoient pas la crainte d'une tempête , qui pouvoit brifer fur la Côte un X-aiffeau fans ancre. Quelques Matelots, qui fervoient à bord depuis plufieurs années, fe fouvinrent qu'il y avoit au fond de calle , une ancre fort pelante, mais qu'elle n'avoit qu'un bras. Quoique la quantité de marchandifes , qui étoit dans le Vaifleau, fit craindre beaucoup de difficul- té à la retirer, quelques Charpentiers fort experts, qui avoi^nt quicté le Comptoir de Bander- Abafli pour fe rendre à Batavia, s'étant engages à la mettre en état de fervir , on entreprit de furmonter tous les obftacles. Il en (&) Ils s'étoient déjà rendus maîtres de Buicalo, de Trinquemale & de Negombo, R. d. E. (c) Pag. 409, 410. Xni. Pan. Ll 1648. Perte de quatorze hommes dans une Chalou- pe. Changement du vent, qui fauve le Vaii- L'au. On fuit ic confeil de Tavernier. 166 VOYAGES DANS LES i Ta^ernier. 1648. Ses obfer- vations à Point-de-Ga- Je. Jugement qu'il porte de la conduite des Hoilan* dois. en coûta trois ou quatre cailTes de vin de Chiras , qui furent dijflribuées entre les Ouvriers. Huit jours après , on fe trouva devant Point-de-Gal- lei & l'on fut obligé d'abattre toutes les voiles, pour s'approcher du Port, que Tes roches à ikur- d'eau rendent fort dangereux. AulTi n'arrive - t'il point de VailTeau, que le Gouverneur n'envoyé deux Pilotes , pour l'ai- der à fe conduire. Tavernier ne trouva rien de plus remarquable, dans cette Ville , que les traces des boulets de canon & dts mines que les Mol- landois avoient fait jouer pendant le Siège. La Compagnie donnoit alors des champs & des places pour bâtir, à ceux qui vouloient s'y établir Ibus fa proteftion. Elle avoit formé un nouveau plan , qui , fuivant l'opinion de l'Auteur, dévoie fliire, de cette Ville, une Place très-forte (d). I L y apprit que les Hollandois^, avant que d'avoir chafle les Portugais de tous les Etabliflemens qu'ils avoient dans cette Ifle , s'étoient perfuadc que cette conquête deviendroit pour eux une fource inépuifable de richef' fes. L'effet, dit-il, auroit pu répondre à leurs efpérances , s'ils avoient obfervé plus fidèlement leur premier Traité avec le Roi de Candy, qui oc- cupe l'intérieur de l'Ille. Ils s'étoient engagés à lui remettre la Ville de Point-de-Gale après le Siège ; & ce Prince devoit leur foffrnir tous les ans une certaine quantité de canelle. Mais lorfqu'il leur demanda l'exécution de cette promeffe , ils répondirent qu'ils étoient prêts à le fatisfaire , quand il leur auroit payé les fraix de la guerre , qu'ils faifoient monter à plulieurs millions (^ ). Trois Royaumes, tels que le fien, n'auroient pas fourni I3 moitié de cette fomme. La canelle & les éléphans font le principal Com- merce du Pays. Les Portugais avoient tiré tout le profit de la canelle , pendant qu'ils avoient été les Maîtres; & quoique les éléphans de l'Ifle fo- yent fort eftimés dans toutes les Indes , il eft rare qu'on en prenne plus de cinq ou fix chaque année. Les Hollandois ne furent pas plus fidèles au Roi d'Achem (/) (g), qui s'étoit engagé à les fecourir ; & ce Prince, ne bor- nant point fa vengeance à leur refufer du poivre , leur déclara une guerre fanglante , dont ils craignirent aflez les fuites pour lui demander la paix & le renouvellement du Traité (h). (d) Pag. 411. Voyez le plan de cette Ville, dans la Defcription de l'IUe de Cey- lan , au Tome Xi. R. d. E. (e) On renvoyé le Lecteur au Tome XL pag. 267, où cette accufation fe trouve re- futée par de bonnes & fblides raifons , tel- les que Tavernier en donne lui ■ même une qui tû. fans réplique. Les prétendons des Hollandois étoient fondées fur un Traité (o- lemnel , dont le Roi de Candy avoit enfreint la principale condition, dès qu'il ne lesrem- bourfoit pas de leurs -avances. R. d. E. (/) On a déjà remarqué que les Hollan- dois accufent Tavernier de les avoir cruel- lement maltraités ; & nue leurs plaintes , fur-tout dans la bouche du fameux Minillre Jurieu, ont beaucoup fcrvi à décréditer fon Ouvrage. Bayle , en réconnoiflant la véri- té de l'accufation , obferve fimpiement que û Tavernier a peu ménagé les Particuliers Ta- riollandois, il n'.i pas manqué de refpeft pour ceux qui les gouvernent ; ce qui efr fort éloigné de lui reprocher de la faufleté. Ainfi quoiqu'il rapporte quantité de faits , peu honorables pour cette Nation, il n'en faut pas conclure qu'il ait manqué de bon- ne-foi. On fait quelle jufte différence il faut mettre entre la médifance & la calomnie. ig) Le caraftère de perfidie du Roi d'A- chem e(l aiïez connu par la Relation du Gé- néral de Beauiieu, au Tome précédent; mais nous ne trouvons rien de ce que Tavernier veut infinuër ici, contre la bonne-foi des Hol- landois, qui ne dépend d'ailleurs pas de fon témoignage. R. d. E. (b) L'Auteur joint ici un détail curieux: „ Pour ceteiFet, dit -il, ils s'envoyèrent de „ part & d'autre des ÂmbalTadeurs. Celui „ qui vint à Batavia, de la part du Roi , fut „ reçu avec beaucoup de magnificence. Lorf- o qu'il ETATS DU GRAND MO G OL, Liv. III. o^j, Tavernier partit de Point de-Gale, le 25 de Juin. Il pafla la Li- Taverntes. gne le 2 de Juillet; & le 6, il eut la vue d'une Iflc qui le nomme Nazakoi. 1648. Le 17, il découvrit la Côte de Sumatra-, le 18, l'Ifle à'Inganno', & le 19, rifle Fortune. Le 20 , il vit plufieurs autres petites liles , entre lefquel- les on en difl;ingue trois par le nom dHIfles du Prince (i). La Côte de Java s'offrit le même jour; & le 22 , il mouilla heureufement dans la Rade de Ba avia. CET OIT le Général Fan der Lyn, qui gouvernoit alors les Indes IIol- Comment landoifes. Caron , Dire6teur général (^), occupoit après lui la première '^^^'''"'^.'_ place du Confeil. Tavernier fut reçu fi favorablement de ces deux Chefs , Jayia?" ^ que prefqu'à Ton arrivée , il fe vit invité à dîner par le Général , avec les principaux Officiers de la Ville & leurs femmes. On ne l'entretint d'abord que de fes Voyages ; mais enfuite le Général , l'ayant prié de pafler dans fon cabinet, lui fit diverfes queflions, qui le préparèrent aux embarras que les Hollandois dévoient lui faire efluyer. Cependant les apparences furent foû' »» I» „ qu'il fut fur fon départ, le Général Hol- „ landois & tout le Confeil le traitèrent fplcndidement. Les Dames fe mirent à table i ce qui furprit fort cet Ambaffadeur Mahométan , qui n'éioit pas accoutumi' à voir des femmes boire & manger avec des „ hommes. Mais ce (^ui l'étonna beaucoup „ plus, ce fut qu'à la lin du repas, après a- „ voir bû plufieurs fantés, on but celle de la Reine d'Achem , qui avoit gouverné cet Etat, pendant la minorité de fon fils, & que pour l'honorer davantage , M. le Gé- néral voulut que Madame la Générale , fa femme , baifât l'AmbalTadeur. Le Roi S: la Reine d'Achem ne reçurent pas moins bien l'AmbalTadeur qui leur fut envoyé de Batavia. C'étoit un Hollandois, nommé Crook', il étoit abbatu depuis quinze ans, par une maladie de langueur, qui faifoit croire qu'on lui avoit donné quelque poi- fon lent. A la troifîème audience , le Roi d'Achem ayant fçu qu'il étoit réduit de- puis long-tems à ce trille état, lui deman- da s'il n'avoit jamais entretenu quelque fille du Pays , & comment il l'avoit quit- tée? Crook avoua" qu'en ayant aimé une , il l'avoit quittée pour aller fe marier en I, Hollande, & que depuis ce tems il n'avoit „ pas ceffé d'être infirme & languiffant. Là- „ defliis , le Roi dit â trois de fes Méde- „ cins, qui fe trouvoient près de lui, qu'a- „ yant entendu la caufe du mal de l'Ambaf- „ fadeur , il leur donnoit quinze jours pour „ le guérir , & que s'ils n'en venoient à bout „ dans cet intervalle , il les feroit mourir „ tous trois, lis aflTurèrent le Roi qu'ils lui „ répondoient de la guérifon de l'Ambafla- „ deur, pourvu qu'il voulût prendre les re» >» f» >» mèdes qu'ils lui donneroient. Crook s'y réfolut. Ils lui donnoient, au matin, un breuvage, & le foir une pillule. Le neu- j, vième jour , il lui prit un grand vomifle* „ ment. On crut, qu'il mourroit des étran- „ ges efforts qu'il fit. Enfin il vomit un pe- „ tit paquet de cheveux , de la groffeur d'une „ petite noix; après quoi, il fut prompte- „ ment guéri. Enfuite le Roi lui fit l'hon* „ neur de le mener à la chafTe du rhinoce. „ ros, & voulut qu'il donnât le coup mor- „ tel à la bête, dont il coupa la corne , pour „ la lui préfenter aufli. Cette chafie fut fui- ,, vie d'un grand feflin, dans lequel le Roi „ but à la fanté du Général de Batavia &de „ fa femme, & fit venir une des Hennés , „ qu'il fit baifer à l'Ambafladeur. A fon dé- „ part, il lui fit préfent d'un caillou, de la „ grofifeur d'un œuf d'oye, où l'on voyoit „ de grofles veines d'or, comme on voit les „ nerfs fur la main d'un homme; en lui di- „ fnnt que c'étoit ainfi que l'or croiflbitdans „ fon Pays. Crook fe trouvant , dans la fui- „ te, Chef du Comptoir à Surate, fit rom- „ pre le caillou par le milieu, pourendon- ,, ner la moitié à celui qui avoit la première „ autorité après lui , & qui fe nommoic Con- „ fiant. Je lui en offris, ajoute Tavernier, „ cent cinquante pifloles, dans le defFeinde „ le porter à M. le Duc d'Orléans i mais il „ ne voulut jamais s'en défaire". Ibidem, pag. 413 & 414. (i) On ne donne le nom à'Ifle du Prîiu ce qu'à une feule Ifle, qui elt à l'entrée du Détroit de la Sonde. R. d. E. (fc) Le même qui forma le Comptoir Fran- çois à Surate. Voyez les dernières Rela- tions du Tome XL Ll 2 268 VOYAGESDANS LES Tavernier, 1648. Farte du Général llol- Cherté du vin à Bata- via. Grandes fêtes du Peu- pic. a »> j> »» if >» 5> »» J» S» foûtenues civilement. On lui propofa de faire un tour de promenade hors de la Ville. La magnificence du cortège , dans les moindres occalîons où le Général fe fait voir, paroît mériter une defcription. „ Deux trompcitcs „ fonnèrent pour avertir de fa marche. Enfuite il monta dans un grand „ carolTe à fix chevaux , avec Madame la Générale & quatre autres feiii- „ mes. Pluficurs Ol^iciers montant à cheval , on en préfenta un à Tavcr- „ nier, fellé & bridé à la Perfane. 11 y a toujours quarante ou cinquinue chevaux de felle, dans les écuries du Général. Le carofle étoit préccdc d'une Compagnie de Cavalerie ; chaque Cavalier avec le colletin de buf- fle & le haut-de-chaufle d'écarlate galonné d'argent, un plumet au cha- peau, la grande écharpe bordée d'une dentelle d'argent, la garde de l'c- pée & les éperons d'argent maffif ; & tous les chevaux fort bien équi- pés. Trois Gardes du corps marchoient à chaque portière , la hallebarde en main , & galamment vêtus , en pourpoint de fatin jaune , avec le haut-de-chaulîe d'écarlate , couvert de galons d'argent , les bas de foye jaune, & de fort beau linge. Derrière le carofle fuivoit une Compa- gnie d'Infanterie ; fans compter celle qui fort de la Ville une heure ou deux avant le Général, pour aller à la découverte". Les Confeil- 1ers, ajoute l'Auteur, ont aufli leiu* fafte. Soit dans leurs maifons, foit lorfqu'ils en fortent, chacun d'eux a deux Moufquetaires pour fa garde. Lorfqu'ils ont befoin de chevaux , un Ecuyer du Général doit leur amener ceux qu'ils demandent. Ils ont aufli leurs petites barques , pour la prome- nade en Mer, ou fur la Rivière, ou fur les Canaux, qui font bordés dç leurs Jardins. Pendant trois ou quatre jours, Tavernier reçut quantité de vifites, qui l'engagèrent dans une allez grande dépenfe, parceque l'ufage oblige ce- lui qui les reçoit de préfenter du vin. Une pinte de vin, mefure de Paris, ne tient que quatre verres Hollandois. Le vin d'Efpagne eft à bon marché dans Batavia, lorfqu'il ne coûte qu'un écu. Le vin du Rhin & le vin de France en valent deux. „ Les tems de joye dans cette Ville , obferve l'Auteur, pour l'infliruflion de ceux qui feront le même Voyage, font les jours où l'on voit arriver, de Hollande, quelques Vaifl'eaux qui ap- portent du vin ou de la bière. Quoiqu'il foit permis aux Particuliers d'en acheter leur provifion , la plus grande partie de ces liqueurs paile aux Cabaretiers, foit que les Hollandois prennent plus de plaiflr au Ca- baret que dans leurs maifons , ou qu'ils y trouvent plus de commodité pour fe réjouir enferable. Dans ces jours, qui font leurs grandes fêtes, on rencontre, au milieu des rues, des femmes & des filles, qui portent un Momon aux Paflans , pour quelques bouteilles ; & foit qu'on perde ou „ qu'on gagne, l'honneur, fuivant Tavernier , ne permet guères de fouf- frir que les femmes payçnt. Il en furvient d'autres, à la fanté defquel- les on efl: t bligé , dit-il , de boire par bienféance. Ainfî l'intempérance des Habitans coûte cher aux Etrangers (l)". Les embarras, dont l'Auteur étoit menacé, avoient leur fource dans la • corn- (0 Pag. 415, 416& 417. yi » î> }» >> 5» M » liUU fraut >l pies c'étc 1» n'y a » pagn Situi » la co >l i! l'a » n'em r » y av IeC( II m'ou „1 ETATS DU GRAND M 0 G OL, Liv. III. 269 complaifance qu'il avoit eue pour un Directeur Hollandois , nommé Conjtant , qu'il avoit connu dans les Comptoirs de Bandirr-Abairi & de Su- rate, & qui l'avoit chargé de lui acheter pour feizc mille roupies de Dia- mans, aux Mines de Golkonde. 'l'avernier, à l'on retour, l'ayant trouvé parti pour l'Europe, avoit remis les Diamans aux Dh-e6l'jurs Anglois, qui les firent tenir à Confiant: mais il ne s'écoit adrefle aux Anglois, qu'après avoir propofé la même commilîion au Directeur Hollandois, qui s'en étoit cxcufé , quoiqu'ami de Confiant ; fous prétexte que fi le Général , ou leCon- feil de Batavia , étoit informé qu'il eiît reçu ce dépôt, il couroit rifque d'être traité comme Receleur , & de perdre fa charge & tout fon bien. On favoit à Batavia que Tavernier lui avoit fait cette propofition. Un jour trois ou quatre Confeillers, feignant de le traiter avec beaucoup d'a- mitié, lui demandèrent fi depuis fon Voyage de Golkonde il avoit eu des nouvelles de Confiant. Il les afiiira qu'il n'en avoit pas reçu ; d'où fe croyant en droit de conclure qu'il n'avoit pu lui envoyer les J)iamans, ils fe prirent mutuellement à témoins que de fon propre aveu il avoit pour fei- ze mille roupies de Diamans , qui appartenoient à un J^iredleur Hollandois. Cette faulTc fuppofition l'allarma peu. Il répondit nettement que depuis plus de fix mois , il avoit envoyé les Diamans par terre. Cependant il re- çut ordre , dès le lendemain , de paroître au Confeil de la Ville , où l'A- vocat Fifcal devoit prendre la caufe de la Compagnie. Rien ne pouvoit le difpenfer de s'y rendre: mais lorfqu'il y entendit traiter cette affaire d'un ton fort férieux, & que malgré fes explications, il vit porter une fen- tence, fuivant laquelle Confiant devoit être pourfuivi , pour avoir fraudé la Compagnie, fous prétexte que fes gages n'i;voient pu le mettre en état d'acheter pour feize mille roupies de Diamans, il tint un langage qui parut chagriner plufieurs perfonnes de l'aflcmblce (?«). Leur animofité devint fi 1648. Afi'aiic dan- qeiL'ufc »|U'on lufcitc à Ta- vcniier. Avantage qu'on prend fur lui. (m) On le lira volontiers dans Tes termes. A ce difcours d'avoir fraudé la Compagnie ^ je ne pus m'empèchtr de rire,- ce qui fur- prit tout le monde : & le PréfiJent du Confeil me demanda pourquoi je riois? Je lui dis que c'étoit de voir qu'il s'éton- noit de ce que le Sieur Confiant avoir fraudé la Compagnie de feize mille rou- pies, & que s'il n'avoit empoité que cela c'étoit bien peu de chofe; ajoutant qu'il n'y avoit gueres de Serviteur de la Com- pagnie qui eut pafle par les charges où le Sieur Confiant avoit palTé , & qui eut eu la commodité de faire le ntgoce comme i! l'avoit eue , fans crainte du Fifcal , qui n'emportât du moins cent mille écus. Il y avoit alors deux ou trois perfonnes dans le Confeil, qui n'étoient pas bien-aifesde m'ouir parler de la forte, & que ce dif- „ cours regardoit particulièrement : car „ pour dire les chofes comme elles font , j, les Directeurs, & ceux qui les fuiventdans „les Comptoirs, favent mettre à part de „ grofTes fommes à leur profit & au grand „ préjudice de la Compagnie; & comme „ ils ne le peuvent fans être d'intelligence „ avec le Courtier , celui-ci en fait autant ,, de fon côté, &. ceux qui font fous lui „ prennent auflî ce qu'ils peuvent. J'ai fait „ compte une fois de tout l'argent dont on ,, peut fruflrer la Compagnie fur le négoce , ,, dans chaque Comptoir, & j'ai trouvé que „ quand tous les ans on ne lui fait tort que ,, d'un million cinq ou fix cens mille livres, ,, elle a lieu de s'en confoIVr. Pour ne par- ,, 1er que de la Perfe, j'ai connu des Direc- „ teurs, qui tant fur la vente des épiceries ,, que fur l'achat des foyes, ont mis à part, ,, dans une année, plus de cent mille piaf- „ très. Ils ont pour cela des adreffes mer- „ veilleufes, qu'il eft mal-aifé que la Corn- „ pagnie puilTe découvrir ". Ibidem, pag. 419 & 420. Voyez la Defcription de bata- via , au Tome X. , où le récit de Tavernier cft confirmé par des Hollandois mêmes. Ll 3 Tavernibr. 1648. S70 VOYAGES DANS LES fi vive, que pendant quatre ou cinq femaines, non-feulement il fut inter. rogé comme un coupable, & forcé de répondre à tous les articles, mais qu'il fe vit menacé d'être conduit dans une prifon. Il eut la fermeté de répondre qu'il ne craignoit point leurs menaces, & qu'il avoit l'honneur d'être à un Prince qui fauroit le tirer de leurs mains & fe rcflentir de cet affront (n). Mais lorfqu'il fe vit aflez prefTé pour craindre les effets de de leur rellcntiment, il prit un parti, fur lequel il fit plus de fond que fur fon innocence: ce fut de ne plus diffimulcr qu'il étoit inflruit des rapines continuelles d'un grand nombre de Confeillers , de Direfteurs , & de celles du Général même. Il eut feulement la précaution de ne s'ouvrir qu'au Pré- fident, dans un entretien qu'il eut tête à tête avec lui; fur, par cette voye, de faire paffer aux oreilles des coupables une déclaration qui de voit leur eau- fer quelque frayeur (0). En effet fa hardieffe en impofa aux Juges Hol- ■ ian- (fi) M. le Duc d'Orléans l'avoit chargé de lui acheter quelques Diamans & d'autres chofes précieufes. (0) Ne perdons pas l'occafion de faire connoître quelles médifances les Hollandois reprochent à Taveniier: „ Je dis au Préfi- „ dent, que puifqu'il vouioit abfolumentque „ je lui dîfle tout ce que je favois du Sieur „ Conftant, je ne lui cacherois rien de ce qui „ étoit venu à ma connoifTance , fut-ce au „ defavantage du Général même, & de plu- „ Heurs du Confeil , & de vous même qui me „ prefTez de parler. Alors je lui déclarai „ qu'en partant de Surate pour aller à la Mi- „ ne de diamans, le Sieur Confiant m'avoic „ remis quarante-quatre mille roupies, me „ priant d'employer cette fomme en diamans, „ & particulièrement en grandes pierres, m'af- „ furantque mes provifîons me feroient très- „ bien payées, & que cette fonime appartenant „ à M. le Général, il étoit bien-aife d'avoir „ occafion de l'obliger; de plus, que M. le „ Général avoit acheté du Sieur Conftant , „ lorfqu'il étoit venu à Batavia , toutes les par- „ ties que je lui avois vendues pendant qu'il „ étoit au Comptoir de Surate : c'étoit tou- „ tes pierres que j'avois fais tailler, dont la „ valeur étoit de plus dequarante mille écus. „ Pour ce qui étoit des perles que le Sieur „ Conftant avoit achetées pour M. le Géné- „ rai, du tems qu'il étoit à Ormus, je n'en „ favois pas bien la fomme ; mais que je fa- „ vois pourtant qu'il y avoit deux feules pet- „ les en poire, qui coutoient cent foixante- „ dix tomans : que j'avois eu aufll d'aûTez „ bonnes fommes à employer pour le Sieur „ Caries Rend, le Sieur Kam , & quelques „ autres: que lui-même nçdevoit pas avoir „ oublié que lorfque le Sieur Conftant étoit „ parti de Batavia pour aller être DireÂeur „ en Perfe, il lui avoit remis trente fix mil- ,, le roupies , le priant de donner cette fotn- „ me à quelqu'un de fes amis , pour l'em- „ ployer à une partie de diamans : que le ,, Sifur Conftant ne m'avoit pu joindre dans „ cette faifon: mais, pour vous faire voir, „ dis -je encore au Préfident, combien il „ étoit porté' pour vôtre profit , il acheta, „ de la plus grande partie de vôtre fomme, „ desmarchandifes de Seronge & de Brani- „pour; & dès qu'il fut arrivé à Gomron, „ on lui en offrit trente pour cent de profit, „ Il eft vrai, pourfuivis-je, qu'à faire coinp. ,, te fur le pied de ce que payent les autres „ Marchands, cela n'eut été qu'à cinq poui „cent; mais, voulant vous fervir, il fai- „ foit tout pafler pour le compte de la Cor,|. „ pagnie, qui ne paye ni le fret du VaifTeau, „ ni la Douane de Gomron, deux ardclesquî „ reviennent pour les Marchands à vingt- „ cinq pour cent. Comme le VailTeau qui „ l'avoit porté retournoit à Batavia , bien „ que les marchandifes ne fuflent pas ven- „ dues , il ne laifTa pas de vous écrire qu'il „ en refufoit trente pour cent de profit, dans „ l'efpérance d'en avoir davantage. Cepen- „ ddiit il arriva trois VaifTeaux à Gomron, „ chargés de quantité de ces mêmes marclun- „ difes , de manière qu'on eût de la peine ,, à en tirer ce quelles coutoient aux Indes; „ ce qui l'obligea de donner au prix courant „ celles qu'il avoit achetées pour vous. Ce- „ pendant il a été H généreux que de ne „ vous en avoir rien mandé , & il m'a avoué „ en particulier qu'il y avoit perdu plus de „ quinze pour cent. „ Ayant fait tout ce détail au Préfident, „ il en parut fort furpris, & me pria de n'en „ pas faire de bruit; en quoi il fît fagement; „ car j'en aurois pu nommer bien d'autres, „ toutes les adrefTes des principaux de la „ Compagnie étant venues à ma connoifTan- „ ce, & la plus grande partie des groffes „ fommes qu'ils onc fait employer en Jia- ., mans ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. -271 landois , & changea leurs rigueurs en carefles , comme il le raconte affez piaifamment lui - même. Il avoit trouvé, à Batavia, un de fes frères, qui étoit venu aux Indes, avec lui , dans un de Tes premiers Voyages , & qui avoit une rare facilite pour apprendre les langues étrangères. Cinq ou fix mois lui fuffilbient pour en apprendre une. 11 en parloit huit en perfeftion. D'ailleurs c'étoit un homme bien fait , & d'une valeur éprouvée. S'étant battu en duel à Ba- tavia, contre un Capitaine d'Infanterie, fur lequel il avoit remporté l'avan- tage, non-feulement le Général Van Dicmen , qui aimoit les gens de cœur, & les principaux du Confeil , fermèrent les yeux fur cette avanture ; mais ils lui permirent d'équiper un Vaifleau à fes fraix, & de faire toute forte de Commerces, à l'exception de celui des épiceries. Il acheta un VaifTeau de quatorze pièces de canon , avec lequel il fit piufieurs Voyages. Celui de Siam , par lequel il commença , lui auroit apporté un pi*ofît allez confidéra- ble , s'il n'eût été obligé déjouer avec le Roi & cinq ou fix Seigneurs , qui étoient ravis, s'il en faut croire ici Tavernier (p), d'entendre un Euro- péen parler fi parfaitement la langue Malaie (g), mais qui lui gagnèrent cinq ou fix mille écus. Tavernier, qui ne favoit pas cette langue , & qui ne vouloit pas quit- ter rifle de Java fans avoir vu Bantam , pria fon frère de l'accompagner dans ce Voyage. Une petite Barque les porta heureufement. Le lende- main de leur arrivée, le Roi , de qui le Capitaine Tavernier étoit fort connu, apprenant que fon frère apportoit de précieux joyaux, marqua une fi vive impatience de les voir , que dès la première fois que le Capitaine le rendit au Palais pour demander fes ordres, il ne lui permit pas de fortir ; & fur le champ il fit prefler fon frère , de venir avec toutes fes richefles. Cet- te ardeur exceflive parut fufpefte à l'Auteur, qui fe fouvenoit de la maniè- re dont le Roi d'Achem avoit traité un François , dans les mêmes cir- confl;ances. Le récit qu'il en fait appartient trop à rHifl:oire des Voyages , & fur-tout à celle du Commerce François dans les Indes , pour ne pas ob- tenir ici quelque attention (r). Le goût du Commerce fe répandant parmi la Noblefle Françoife , M. de Montmorency , à la tête d'une Compagnie formée pour les Indes, fit partir de Nantes quatre VaiflTeaux, fur lefquels s'embarquèrent, entre piu- fieurs Tavernier: 1648. Tavcriiict retrouve un de fes frères, Eloge qu'il en fait. mans] ayant paffé par mes mains. LePré- fident alla aufïî-tôt au Fort, apparemment vers le Général. Entre onze heures & de- mi , je rencontrai l'Avocat Fifcal , chez qui Je favois que le Préfident étoit allé en fortant du Fort. Il m'aborda d'un vifage riant & me demanda où j'allois. Je lui dis que j'allois à laMaifon de Ville, pour répondre à quelques-unes de fes demandes. Je vous prie, me répliqua • t'il prompte- '-.ent, laiffons-là cette afFaire , pour al- 1er dîner enfemble. On me fit hier pré- fent de deux can.-vettes de vin , l'une de France & l'autre du Rhin,- nous verrons lequel fera le m àlleur. Tout ce que je „ vous demande efl un mot d'écrit de vô- „ tre main, comme vous n'avez rien à M. ,, Confiant: ce que je lui accordai volon- „ tiers; & de la forte, tout le Procès fut „ fini ". Ibid. pag. 329. (p) C'eft le même frère dont il reçut la Relation duTonquin , qui fe trouve autroi- fième Tome de fes Voyages, & qui eft criti- quée fort durement par Baron , dans le To- me XI. de ce Recueil. (î) On a fait fouvent remarquer qu'au- delà des terres du Grand Mogol , cette lan- gue e(l parmi les Orientaux, ce que la lan- gue Latine eft en Europe. (f ) Tavernier ne marque pas l'année. Voyage de l'Auteur à Bantam. Son inquié- tude, & d'oii elle venoit. M. de Mont- morency en- treprend le Commerce. 272 VOYAGES DANS LES 1648. Sort de qiintre Vaif- fcaux qu'il envoyc aux InJes. Artifice des Ilollandois. . lîiftoire des deux frè- res Renaud. fleurs Niigocifins, deux frères nommes Renaud, qui s'étoient engagés an fcvvicj cîe la Compagnie. Leur navig ition fut la plus courte Ci: la plus heii- reufe dont on aie eu l'exemple. Ils arrivèrent devant Bantam, en moins de quatre mois. Le Roi les reyut avec beaucoup de joye, & leur fit donner tout le poivre qu'ils demandèrent, à fi jaile prix, qu'ils l'eurent à meilleur marché, de vingt pour cent, que les llollandois. Mais leurs idées s'eten- dant plus loin que le poivre, ils voulurent lavoir aulfi ce que c'étoit que le négoce du clou de girolle, de la noix de mufcade & de la tleur. Ils en- voyèrent le plus petit de leurs Vailleaux, avec la meilleure partie de leur argent, à MacafTarjOÙ les Magalins du Roi étoient ordinairement remplis, malgré les efforts des llollandois, qui emplo\ oient toute leur adrelle pour faire pafler uniquement le Commerce des épiceries par leurs mains. l\n. dant rabfencc de ce VaifTeau , les François, s'ennuyant à '*intam, allèrent fe promener à lîatavia , qui n'en ell éloignée que de quatorze 'ieues par Mer, Leur Commandant n'eut pas plutôt jette l'ancre dans ce Port , qu'il envoya faire des complimens au Général llollandois, qui répondit à cette clviliie, en invitant les principaux irançois à defcendre au rivage, & qui fin porter en même-tems , à ceux qui relièrent à bord, quantité de rafraîeliifleniens, fur-tout du vin d'Efpagne & du Rhin; avec ordre, à ceux qu'il chargea di; cette commillion , de faire boire leurs Hôtes jufqu'à les enyvrer. il leur fut aifé, dans la chaleur de cette fête, de mettre le feu aux Valiïeaux Fran- çois, fuivant l'ordre qu'ils en avoient auHi. Comme on découvre toute la Rade, de la falle du Fort où le Général traite les Etrangers, un Ccmieil- 1er des Indes , qui étoit à table, feignant beaucoup de furprife, s'écria qu'il croyoit voir les trois Vaiffeaux en léu. Le Général affedla aulîi beaucoup d'étonnement ; tandis que le Commandant François , qui jugea tout d'un coup d'où venoit le mal , & qu'il lui étoit impoflible d'y apporter du renie- de, regarda l'affemblée fans s'émouvoir, & dit aux llollandois: ,, conti- „ nuons de boire , Mcilieurs ; ceux qui ont fait mettre le feu aux trois bords, „ payeront le dommage". Mais , dès ce moment, il jugea que la réparation ne feroit pas égale à la perte. En effet, tous les hommes furent fauves fur des Frégates, qui furent envoyées en diligence; mais les llollandois ne payèrent pas le quart du dommage (s). Cependant le Général fit, aux Fran- çois, de grandes offres qu'ils refulèrent. Ils retournèrent à Bantam, pour y attendre leur petit Vaifleau. A fon retour, ils ne trouvèrent pas de meil- leur expédient que de vendre leurs marchandifes & le Vailfeau même aux Anglois, & de faire entr'eux un partage de l'argent. Les Anglois leur offrirent le palfage en Europe ; mais cette offre ne fut acceptée que du Commandant & des principaux Officiers; & la plus grande partie des équi- pages , Marchands & Matelots , prirent parti chez les Portugais , avec Ici"- quels il y avoit alors quelques avantages à fe promettre. Les deux Renaud, après avoir touché leur part, de l'argent qui fut diftribué , trouvèrent le moyen de paffer à Goa, & s'infinuèrent avec tant de bonheur dans faffedlion du Viceroi, qu'ils obtinrent de lui 1p permilfion de (i) Voyez une avanture fort femblable, dans la Relation de Beaulieu, au Tome X1I> ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. •■^73 3e négocier dans tous les lieux où les Portugais avoicnt quelque pouvoir. Dans Fefpace de cinq ou fix ans , ils avoient gagné chacun la valeur de dix mille écus. L'aîné faifoit le Commerce des toiles & d'autres marchandifes communes, ■& fon frère celui des pierreries. Les Portugais ctoient alors dans l'ufaged'envc-jer tous les ans trois ou quatre Vaifleaux au Port d'A- chem, pour en tirer du poivre, de l'y voire & de l'or-. Ils y portoient tou- tes fortes de toiles , particulièrement des toiles bleues & noires. Ils en- voyoient auffi des pierreries au Roi , qui les aimoit avec paffion. Les deux Renaud prirent cette route, chacun pour l'objet particulier de fon Com- merce. L'un porta de belles toiles , & l'autre des joyaux précieux , entre lefquels il y avoit quatre anneaux, qui valoient environ dix-huit mî'le écus. En arrivant dans la Ville d'Achem , ils fe rendirent avec les Portugais au Palais du Roi , qui étoit alors à deux lieues de la Mer. Ce Prince admira les quatre anneaux & fouhaita de les acheter; mais, au -lieu de dix -huit mille écus, que Renaud lui demandoit, il n'en voulut donner que quinze mille. Cette différence de prix ayant fait rompre le marché , Renaud prit le parti de. retourner à bord. Dès le lendemain, il fut appelle à la Cour , par un ordre qui lui donnoit de nieiHeures efpérances. Cependant il fut long-tems en doute s'il devoit reparoître devant le Roi ; un preflentiment fecret fembloit l'avertir du malheur dont il étoit menacé. Enfin tous les Officiers du VailTcau lui confeillant de fe fier à fa fortune, il fe rendit au I^alais , où le Roi prit les quatre anneaux pour dix-huit mille écus , qu'il lui fit payer fur le champ. Mais depuis qu'il fut forti de la chambre de ce Prince, on n'a jamais pu favoir ce qu'il étoit devenu, & l'on n'a pas dou- té qu'un ordre cruel ne l'eût fait tuer fécretement dans quelque partie du Palais (0' Cette avanture fe préfenta vivement à la mémoire de Tavernier , lorf- qu'il fe vit appelle avec tant d'empreffement au Palais de Bantam ; fur-tout ne voyant point fon frère entre ceux qui lui apportoient les ordres du Roi. Cependant il s'arma de courage; & bornant fes précautions à ne prendre fur lui que pour douze ou treize mille roupies de joyaux, la plus grande partie d'anneaux de Diamans en rofes , les uns de fept pierres , d'autres de neuf, avec quelques braflelets de Diamans & de Rubis , il mit fa confiance dans la proteèlion du Ciel. Il fut rafluré, en entrant dans l'appartement du Roi, par la vue de fon frère , qui étoit a;Tis près de ce Prince , à la manière des Orientaux , avec trois des princip"jx Seigneurs de la Cour. Ils avoient devant eux cinq grands plats de riz, de différentes couleurs , du vin d'Efpagne , de reau-de-vie,& plufieurs efpèces de forbets. Auffi-tôt que Tavernier eut falué le Roi , en lui faifant préfent d'un anneau de Diamans, & d'un petit braffelet de Dia- mans , de Rubis , & de Saphirs bleu« , ce Prince lui commanda de s'affeoir , & lui fit donner une taffe d'eau-de-vie, qui ne contenoit pas moins d'un demi-feptier. Il parut étonné du refus que Tavernier fit de toucher à cet- te liqueur ; & lui ayant fait fervir du vin d'Efpagne, il ne tarda guères à fe lever, dans l'impatience de voir les joyaux. Il alla s'affeoir dans un fau- teuil, (0 Pag. 434 & précédentes. XIIL Part. Mm TAVr.RWTBS. Frayeur que cette hiftoirc caufe à Ta- vernier. En quel état il trouve le Roi de Bantam. Tavernter. 1648. Palais du Roi de Uan- lam. Tavernier eft expofé à périr par ia main d'uQ Furieux. dore comme les bordures de nos tableaux , & quj pis dePcrfc, d'or & de foye. Son habit étoit 274 VOYAGES DANS LES tcuil, dont le bois ctoit doré ctoit placd fur un petit tap une pièce de toile , dont une partie lui couvroit le corps depuis la ceinture jufqu'aux genoux , & le rcfte étoit rejette fur fon dos en manière d'échar- pe. Il avoit les pieds & les jambes nues. Autour de fa tête , une forte de mouchoir à trois pointes formoit un bandeau. Ses cheveux , qui paroif. foicnt fort longs , étoient liés par-deflus. Onvoyoit, à côté du fauteuil, une paire de fandales , dont les courroyes étoient brodées d'or , & parfe- niées de petites perles. Deux de fes Officiers fe placèrent derrière lui, avec de gros éventails , dont les bâtons étoient longs de cinq à fix pieds , termi- nés par un faifceau de plumes de paon , de la grolfeur d'un tonneau. A la droite , une vieille femme noire tenoit dans fes mains un petit mortier & un pilon d'or , où elle piloit des feuilles de bétel , parmi lefquelles elle mé* loit des noix d'areka, avec delà femence de perles qu'on y avoit fait diflbu- dre. Lorfqu'elle en voyoit quelque çirtie bien préparée , elle frappoit de la main fur le dos du Roi, qui ouvroit auffî-tôt la bouche, ôc qui recevoit ce qu'elle y mettoit a ec le doigt, comme on donne de la bouillie aux en- fans. Il avoit mâche tant de bétel & bû tant de tabac, qu'il avoit perdu toutes fes dents (y). Son Palais ne failbit pas honneur à l'habileté de l' Architefle. C'étoit un efpace quarré , ceint d'un grand nombre de petits piliers , revêtus de différens vernis, & d'environ deux pieds de haut. Quatre piliers plus gros faifoient les quatre coins , à quarante pieds de diflance. Le plancher étoit couvert d'une natte, tilfue de l'écorce d'un certain arbre, dont aucune for- te de vermine n'approche jamais ; & le toit ér oit de fimples branches de cocotier. Aflez proche , fous un autre toît , foutenu aufli par quatre gros piliers , on voyoit feize éléphans. La garde Royale , qui étoit d'environ deux mille hommes , étoit allîfe par bandes à l'ombre de quelques arbres. Tavernier ne prit pas une haute opinion du logement des femmes, La porte en paroiflbit fort mauvaife; & l'enceinte n'étoit qu'une forte depa- lifTade, entremêlée de terre & de fiente de vache. Deux vieilles femmes noires en fortirent fucceflivement , pour venir prendre de la main du Roi les joyaux de Tavernier , qu'elles alloient montrer apparemment aux Dames. Il obferva qu'elles ne rapportoient rien; d'où il conclut qu'il devoit tenir ferme pour le prix. Auflî vendit - il fort avantageufement tout ce qui étoit entré au Serrail , avec la fatisfa^lion d'être payé fur le champ (x). Dans un autre Voyage qu'il fit à la même Cour, il ne tira pas moins d'avantage de tout ce qu'il y avoit porté pour le Roi. Mais fa vie fut ex- pofée au dernier danger , par la fureur d'un Indien Mahométan, qui rêve- noit de la Mecque. Il paflbit , avec fon frère & un Chirurgien Hoiian- dois, dans un chemin où d'un côté l'on, a la Rivière, & de l'autre un grand Jardin fermé de paliflades, entre lefquelles il refte des intervalles ou- verts. L'aflaffin, qui étoit armé d'une picque & caché derrière les paliila- des, pouffa fon arme, pour l'enfoncer dans le corps d'un des trois Etran- gers. {v) Pag. 435. , («) Pag. 43tî. Son frère tue leur e&* nemi* ETATS DU GRAND MOGOL, Liv. III. 175 gers. Il fut trop prompt , & h pointe leur pafla devant le ventre à tous TAv«m«Trtt, trois; ou du moins elle ne toucha qu'aux valtcs hautes-chaulTos du Chirur- 1648. gien Hollandois , qui failit aulîî-tôt le bois de la picque. Tavernier le prit auliidefes deux mains; tandis que fon frère, plus jeune & plu3 difpos, fauta par-defllis la paliflade & donna 'irois coups d'épee dans le corps à l'In- dien , qui en mourut fur le champ. Aufli-tôt quantité de Chinois & d'In- diens idolâtres, qui fe trouvoient aux environs, vinrent baifer les mains au Capitaine Tavernier , en applaiidiflant à fon aélion. Le Roi même , qui en fut bien-tôt informé, lui fit préfent d'une ceinture, comme un témoigna- ge de fa reconnoiirance (y). !>' Auteur jette plus de iour fur une avantu- re 11 finguliére. Les Pèlerins Javans de l'ordre du Peuple, fur-tout les Fak- kirs qui vont à la Mecque, s'arment ordinairement, a leur retour, de cet- te efpéce de poignard qu'on appelle Crits, dont la moitié de la lame ed: em- poifonnée; & quelques-uns s'engagent par vœu à tuer tout ce qu'ils ren- contreront d'Infidèles, c'efl-à-dire, de gens oppofés à la Religion de Ma- homet. Ces Fanatiques exécutent leur réfolution avec une rage incroya- ble, jufqu'à-ce qu'ils foyent tués eux-mêmes (z). Alors ils font regardés comme Saints, de toute la Populace, qui les enterre avec beaucoup de cé- rémonie , & qui contribue volontairement à leur élever de magnifiques tombeaux. Quelque Dervis fe conftruit unehute auprès du monument, & fe confacre pour toute fa vie à le tenir propre, avec un foin continuel d'y jîiter des fleurs. Les ornemens croilFent avec les aumônes, parceque plus la fépulture efl: belle, plus la dévotion augmente, avec l'opinion de fa fainteté. Tavernier s'étoit propofé depaiïer, à Batavia, les trois mois qui Cour du reftoient jufqu'au départ des Vaifleaux pour l'Europe; mais l'ennuyeufe vie ^°' '^^ J*- qu'on y mène , fans autre amufement , dit-il , que de jouer & de boire , lui P^''* fit prendre la réfolution d'employer une partie de ce tems à vifiter la Cour du » (y) Pag. 439. (3) „ Je me fouviens , dit l'Auteur, qu'en 1642, il arriva au Port de Surate un Vaifleau du Grand Mogol , revenant de la Mecque, où il y avoit quantité de ces Fakkirs;car tous les ans ce Monarque envoya deux grands Vaifltaux à la Mec- que , pour y porter gratuitement les Pè- lerins. Ces Bàtimens font chargés d'ail- leurs de bonnes marchandifes , qui fe ven- dent j & dont le profit elt: pour eux. On ne rapporte que le principal , qui fert pour l'année fuivante, & qui efl au moins de (ix cens mille roupies. Un des Fakkirs, qui revenoit alors, ne fut pas plutôt defcen- du à terre, qu'il donna des marques d'une furie diabolique. Après avoir fait fa priè- re, il prit fon poignard, & courut fe jet- ter au milieu de pludeurs Matelots Hollan- dois, qui faifoient décharger les marchan- difis Je quatre Vaifleaux qu'ils avoient au Port. Cet enragé, fans leur laiûei le „ tems de fe reconnoître , en frappa dix. „ fept , dont treize moururent. Il étoit ar- „ mé d'une efpèce de poignard , qui fe nom- „ me Cangiar, dont la lume a trois doigta „ de large par le haut. Enfin le Soldat Hol- „ landois , qui étoit en fentinelle, à l'entrée „ de la tente des Marchands, lui donna au ,, milieu de l'edomac un coup de fuHI dont „ il tomba mort. Aufli-tôt, tous les autres „ Fakkijs qui fe trouvèrent dans le uiême „ lieu , accompagnés de quantité d'autreg „ Mahométans, prirent le corps & l'enter- „ rèrent. Dans l'efpace de quinze jours, il „ eut une belle fépulture. Elle efl renver- „ fée, tous les ans, par les Matelots Anqlois ,, & Hollandois, pendant que leurs Vaiffeaux „ font au Port, parcequ'alors ils font les „ plus forts,' mais à peine font -ils partis, „ que les Mahométans la font rétablir & „ qu'ils y plantent des enfeignes". Pag. 441 fif précédentes. Mm i ft75 VOYAGES DANS LES lAVERNIER. IÔ48. Haine de ce Prince pour les ilollandois. Son origine 4ifes efTecs. du Roi de Japara, (ju'on nomme aufli Y Empereur de la Jme. L'Ifle entière étoit autrefois réunie fous fa domination , avant que le Roi de Bantain celui dcjacatra, & d'autres Princes qui n'étoient que fcs Gouverneurs,' euflcnt (ecoué le joug de la foumiUion. Les Ilollandois ne s'étoicnt d'aborj maintenus, dans le Pays, que par la divifion de toutes ces l'uliTances. Lorf. que le Roi de Japara s'étoit airpofc à les attacjucr , le Roi de liantam les avoit fecourus ; & le premier au contraire s'étoit emprefle de les aider , lorf. qu'ils avoient été menacés de l'autre. Aulfi, quand la guerre s'élevoii; entre ces deux Princes, les Hollandois prcnoicnt toujours parti pour le plus foible (a). Le Roi de Japara fait fa réfidence dans une Ville, dont fon Etat porte le nom , éloignée de Batavia d'environ trente lieues. On n'y va aue par Mer, 'e long de la Côte, d'où l'on fait enfuite près de huit lieues dans les terres, par une belle Rivière ci ui remonte jufqu'à la Ville. Le Port, qui eft fort bon , offre de plus belles maifons que la Ville, & feroit la réndtn. ce ordinaire du Roi, s il s'y croyoit en fûreté. Mais ayant conçu, depuis l'établiflement de Batavia, une haine mortelle pour les Ilollandois, il craint de s'expofer à leurs attaques dans un lieu qui n'efl: pas propre à leur réfiller. Tavernier raconte un fujet d'animofité plus récent , tel qu'il l'avoit appris d'un Confeiller de Batavia. Le Roi, père de celui qui règnoit alors, n'avoit jamais voulu entendre parler de paix avec la Compagnie. Il s'étoit faifi de quelques Hollandois. La Compagnie , qui lui avoit enlevé , par repré- failles , un beaucoup plus grand nombre de fes Sujets , lui fit offrir inutile- ment de lui vendre dix prifonniers pour un. L'offre des plus grandes fom- mes n'eut pas plus de pouvoir fur fa haine ; & fe voyant au lit de la mort, il avoit recommandé , à fon fils , de ne jamais rendre la liberté aux Hol- landois qu'il tenoit captifs, ni à ceux qui tomberoient entre fes mains. Cette opiniâtreté fit chercher, au Général de Batavia, quelque moyen d'en tirer raifon. C'eflTufage, après la mort d'un Roi Mahométan, que celui qui lui fuccéde envoyé quelques Seigneurs de fa Cour à la Mecque, avec des préfens pour le Prophète. Ce devoir fut embarraffant pour le nouveau Roi, qui n'avoit que de petits Vaiffeaux, & qui n'ignoroit pas que les Hol- landois cherchoient fans ceffe l'occafion de les enlever. Il prit la réfolution de s'adreffer aux Anglois de Bantam, dans l'efpérance que les Hollandois refpefteroient un VailTeau de cette Nation. Le Préfident Anglois lui en promit un, des -plus grands & des mieux montés que fa Compagnie eût ja- mais envoyés dans ces Mers , à condition qu'elle ne payeroit déformais que la moitié des droits ordinaires du Commerce fur les terres de Japara. Ce Traité fut figné folemnellement , & les Anglois équipèrent en efi^t un fort beau Vaiffeau , fur lequel ils mirent beaucoup de monde & d'artillerie. Le Roi , charmé de le voir entrer dans fon Port , ne douta pas que fes Envoyés ne fiffent le Voyage de la Mecque en fûreté. Neuf des principaux Sei- gneurs de fa Cour, dont la plupart lui touchoient de près par le fang, s'em- barquèrent avec un cortège d'environ cent perfonnes , fans y comprendre «quantité de Particuliers , 'qui faifirent une occafion fi favorable , pour faire le (a) Pag. 444. ETATS DU GRAND MOCOL, Liv. III. 277 le plus Paint Pèlerinage de Icu. Religion. Mais ces prénafatifs ne purent tromper la vigilance des I lollandois. Comme il faut palier ncceflliirement devant Bantam , pour fortir du Détroit, les OlKciers de la Compagnie u- voient eu le tems de faire préparer trois gros Vailîeaux de guerre, qui ren- contrèrent le Navire Anglois vers Ihntam, &. qui lui envoyèrent d'abord une volée de canon, pour l'obliger d'amener. Enfuite, paroiflant irrités de lu lenteur, ils commencèrent à faire jouer toute leur ùrtillerie. Les An- glois, qui le virent en danger d'être coulés à fond, baillèrent leurs voiles & vol.. urent fe rendre : mais les Seigneurs Japarois, & tous le^ Javans qui ctoient à bord , les traitèrent de perfides , oc leur reprochèrent de n'avoir fiiit un Traité , avec le Roi leur Maître , que pour les livrer à leurs Enne- mis. Enfin, perdant l'efpérance d'échaper aux Hollandois, qu'ils voyoienc prêts à les aborder, ils tirèrent leurs poignards & fe iettèrent fur les An- glois , dont ils tuèrent un grand nombre avant qu'ils fullent en état de fe dé- fendre. Ils auroient peut-être malfacré jufqu'au dernier, fi les Hollandois n'étoient arrivés à bord. Pluiieurs de ces defefperés ne voulurent point de Quartier , & fondant au nombre de vingt ou trente fur ceux qui leur of- troient la vie, ils rangèrent leur mo^t par celle de fept ou huit Hollan- dois. Le Vaifleau fut mené à Batavia, où le Général fit beaucoup de ci- vilités aux Anglois, & fe hâta de les renvoyer à leur Préfident. Enfuite il fit offrir, au Roi de Japara, l'échange de fes gens pour les Hollandois, qu'il avoit dans fes fers. Mais ce Prince , plus irréconciliable que jamais , rejetta cette propofition avec mépris. Ainii les Efclaves Hollandois per- dirent l'efpérance de la liberté j of les Javans moururent de mifère à Ba- tavia (b). La mort du Capitaine Tavernier, qui fut attribuée aux débauches qu'il avoit la complaifance de fliire avec le Roi de Bantam (c) , n'efl intéreflan- te ici que par l'occafion qu'elle donne à l'Auteur, de fe plaindre des ufages de Batavia. Il lui en coûta , dit-il , une fi grofle fomme pour faire enter- rer fon frère, qu'il en devint plus attentif à fa propre fanté, pour ne pas mourir dans un Pays où les enterremens font li chers (d). La première dépenfe fe fait , pour ceux qui font chargés d'inviter à la cérémonie funè- bre. Plus on en prend, plus l'enterrement efl honorable. Si l'on n'en em- ployé qu'un , on ne lui donne que deux écus ; mais fi l'on en prend deux , il leur faut quatre écus à chacun ; & fi l'on en prend trois , chacun doit en avoir fix. La fomme augmente avec les mêmes proportions , quand on en prendroit une douzaine. Tavernier-, qui \ ouloit faire honneur à la mémoi- re de fon frère, & quin'étoit pas inftruit ck cet ufage, en prit fix, pour lefquels (J) Pag. 447. L'Auteur ajoute , pour faire juger du courage des Javans , autant que de leur baine contre les Hollandois , qu'en 1629, ( 1 ) pendant qu'ils afliégeoient Batavia, un Soldat Hollandois, qui étoit en embufcade dans un marais , ayant donné de fa picque dans le corps d'un Javan ; celui- ( 1 ) Tavernici dit en !«$>•& Mt Ptevoft en iss9 i mais c'eft uoe faute dam l'un 8c dansi l'autie, t'hifiqiie de ce mémorable Siège, au TomeX. A.d. E. Mm 7 TAVERNteli 1648. Mort du frère de l'Au- teur. ci, au lieu de fe retirer pour fe dégager de la picque, fe l'enfonça dans le corps jufqu'au bout par lequel fon Ennemi la tenoit, & s'approcba de lui fi vite, qu'il trouva le moyen de le tuer, de deux coups dr poignard; dans l'eftomac. Ibidem, (c) Pag, 448. (rf) Ibidem. Voyta 278 VOYAGES DANS LES Tavernier, 1648. Embarras de Tavernier pour les Re- ^ucnings. Explication de ces comp- tes. Iciquels il fut fort étonné de Te voir demander foixante - douze écus. Le poêle, qui fe met fur la bière, lui en coûta vingt , & peut aller jufqu'i trente. On l'emprunte de l'Hôpital. Le moindre efl de drap , & les troig autres font de velours ; l'un fans franges; un autre avec des franges; le troifième avec des franges & des houpes aux quatre coins. Un tonneau de vin d'Efpagne , qui fut bû à l'enterrement , lui revint à deux cens piaf, très. 11 en paya vingt -fix, pour des jambons, & des langues de bœuf; vingt - deux pour de la pâtiflerie ; vingt pour ceux qui portèrent le corps en terre; & feize pour le lieu de la fépulture. On en demandoit cent pour l'enterrer dans l'Eglife. Ces coutumes parurent étranges à Taver- nier, plaifantes, inventées, dit -il, pour tirer de l'argent des Héritiers d'un Mort () Ibidem, (0) Ibidem» Nn ip) Pag. 46a. 2Sl VOYAGES, DANS LES TAvnvnm, ce d'y retourner, parceque le vent efl: toujours contraire. & ne change ja. i.<548. mais (?). LoRSQ.w'oN eut heureufement mouillé, tout l'équipage fut divifé en deux parties; & le Vice- Amiral, s'étant placé fur la poupe, leur tint ce difcours : „ Meffieurs , nous demeurons ici vin^t - deux jours. Voyez la- „ quelle des deux bandes veut aller la première a terre , pour fe rafraîchir „ & pour chaffer: mais qu'elle fe trouve ici l'onzième jour, afin que la fe- „ conde y aille auffi ". Ènfuite, il fit donner à chacun de ceux qui def- cendirent au rivage, une paire de fouliers , du riz, du bifcuit, du fel & de l'eau-de-vie. On leuf fournit auffi de grandes chaudières. Lorfqu'ils font à terre, il en demeure trois ou quatre au bas de la montagne, pourcueil- lir de l'ozeille , qui croît à la hauteur de deux ou trois pieds. De-là, ils vont rejoindre les autres, pour la chaffe des porcs fauvages, dont l'Ille efl: remplie. Après avoir tué quelques-uns de ces animaux, ils les font cuire avec du riz & de l'ozeille; ce qui fait une forte de potage afl!ez bon , & qui purge infenfiblement. Pendant le tems qu'on leur accorde , ils ne font que chanter, boire & manger; mais ils font obligés d'envoyer, chaque jour, quelques porcs fauvages au Vaifleau. On leur donne une paire de fouliers, parceque la montagne étant haute & fort efcarpée, ils ont befoin de ce Ibulagement dans un exercice très-pénible. Les VaiflTeaux qui reviennent des Indes apportent ordinairement, pour cette chaffe, des lévriers de Per- fe, qu'on jette dans la Mer, après les avoir fait fervir à cet ufage (r \ Pendan*ï" que les ChaflTeurs tuent des porcs fauvages, ceux qui demeu- rent dans le Vaifleau employent le tems a la pêche. On donne à chacim une mefure de fel , dont ils lalent le poifll)n qu'ils prennent. Enfuite ils le font fécher au vent. C'eft leur principale nourriture, pendant le relie du Voyage. Leur provifion dure ordinairement trente ou quarante jours ; ce qui épargne quantité de vivres à la Compagnie, car on ne leur donne alors qu'un peu d'huile & de riz cuit à Peau. On met auffi à terre tous les porcs , les moutons, lesoyes, les canards & les poules oui refient à bord. Ces animaux n'ont pas plutôt mangé de l'ozeille , qui les purge comme les hommes , qu'en peu de iours ils devien- nent extrêmement gras, fur-tout les oyes & les canards (s). La Flotte Hollandoife étoie compofée d'onze Vaiffeaux, qui fe rafTem- blèrent à Sainte-Helene. On y tint confeil, fur la route qu'on devoit te- nir pour la Hollande. Le réfultat fut de tirer au Couchant, parceque la faifon étant fort avancée , on fe flattoit d'y trouver des vents favorables. Mais, après avoir paffé la Ligne, on les trouva fi contraires à cette efpérance, que dans la fuite on fut obligé d'aller jufqu'au foixante-quatriéme degré, à la hauteur de l'Iflande, & de revenir en Hollande par le Nord. On n'ob- ferve ces circonflances , que pour avoir occafion de donner, d'après l'Au- teur, la peinture de quelques autres ufages Hollandois. Après avoir dé- couvert les Côtes d'Illande, on eut bien-tôt la vue de l'ifle de Ferelle, où la Autres ufa- ges des Vaif- feaux Hollan- dois. (f ) Pag. 4<5î. (r) Pag. 4). Dans cet eipace, elle contient trentefept. grandes Provinces, qui étoient ancienne- ment autant de Royaumes. La première efl celle de Kandahar, qui tire fon nom de fa Capita- le (c) , ou qui lui donne le fien. C'eil la Province la plus Occidentale de ce grand Empire, & voifine de laPerfe. Aufli devient-elle fouvent l'occaQon d'une guerre fanglante entre les Rois de Perfe & lesMogols, comme Bagdat & Erivan entre la Perfe & la Turquie. Sa Capitale eft une Ville très-riche , par le Commerce de toutes les Caravanes , qui n'ont pas d'autre paflage pour aller par terre aux Indes; & doublement fortifiée , par fafituation, & par une [double] Citadelle qui pafle pour la meilleure de toute l'Afîe (d). Kaboul, féconde Province de l'Indouflan , & la plus riche de l'Empi- re, tire aufli fon nom de fa Capitale, qui efl une Ville bien bâtie & forti- fiée de deux bons Châteaux (e). Elle a pour frontière au Nord, la grande Tartarie. C'efl de cette Province que fort la Rivière du Nilab, qui change fon nom en celuide Bagal^ ou Begal,& qui joint fes eaux à celles de l'indus. On croit que c'efl la Coa, ou leSuaJlus de Ptoloméc. LesTartares Usbecks vienr nent vendre, to'us les ans , plus de foixante mille chevaux à Kaboul. On y mè* Divifion des l'iovin- CCS. Province de Kandahar, Province do Kaboul. («) Le fond de cette Defcription eft tiré de Thomas Rhoe, qui" l'avoit obtenue de la Sécretaircrie du Grand Mogol. Elle eft con- firmée par Edouard Terri , autre Voyageur Anglois.qui obtint la liiême faveur dans cet- te Cour. MandelQo n'a fait que l'adopter, avec quelques remarques qui font de lui. Par exemple , il obferve à l'occafion de Sin- de, qu'ilyavoit un Royaume du même nom, dont les Habitans fe nomment encore y^bint. Les Perfansôc les Arabes lui donnent le nom de Diul. Ils donnent auffi celui de Peng- ab, au ricuve Indus ou Sinde , pa ceque, fuivant la fignification de ce mot, il cftgrof- fi par cinq autres Rivières. La première eft celle de />a^ai(i), dont la fource eft prés de Kaboul," la féconde , qui fe nomme Cbanab , prend fon origine dans le Royaume de Ka- chemire, à quinze Journées au-deiTus de La* hor, vers le Septentrion. La troifième, nom- mée Ravy, lave les murs.de Lahor, & prend fa fource dans le voifinage de cette Ville. Les deux autres, qui font la T/a & l'O/v/^i [ou Sinde] , viennent de bien plus loin , ôc fe joi- gnent enfemble près de Bakar, qui eft prtf- qu'à la même diftance de Lahor & de la Mer. MandelJlo(2), Tom. I. pag. 46 & 47. (t) Mandelflo, pag. 54. C'eft fans dou- te une faute, au-lieu de trente-quatre. R. d. E, (c) A quatre-vingt-cinq degrés de longi- tude, & trente-trois de latitude du Nord. (rf) Tavernier en a donné le plan au pre- mier Tome de fes Voyages. (e) A [quatre- vingt -fix degrés trente minutes de longitude,] trente -trois degrés trente minutes de latitude du Nord. Ci; Va» Tvift doute que ce foit la même que le Nilab, fuivant Mandelflo 5c d'autiei, R. d. E. <,aj Ce» lemai^ues font tirées de T«xeiia, f-»^, 114. R. d. E. Nn 3 î8(5 DESCRIPTION « Dbscriptiom mène auflî de la Perfe quantité de moutons & d'autres beftiaux. Les vivres . , "^ y font à vil prix, & l'on y trouve du vin. Tavernier, aui avoit fait cette L iKDousTAN. ^q^^q ^ obfcr vc un ufage fort fingulier des Peuples nommés Augans [ou ^fgans,'] qui habitent depuis Kandahar jufqu'à Kaboul , vers les Montagnes de Bakk gens très-robufles , & redoutés par leurs brigandages. Us font accoutumes | comme tous les Indiens, à fe nettoyer & à fe racler la langue, chaque jour ■du matin , avec un petit morceau courbe d'une racine du Pays : mais au-iieu que cet exercice fait jetter le matin, aux autres Indiens, quantité d'ordu- res & les excite à vomir, les Augans ne vomiflent qu'en commençant à prendre leur repas. A peine ont-ils mangé deux ou trois morceaux , que leur eftomac fe foulevant, ils font contraints d'aller vomir; après quoi ils reviennent rranger de bon appétit. Le même Voyageur ajoute que s'ils manquoient à cet ufage, ils ne vivroient pas jufqu'à trente ans, & qu'ils de* viendroient comme hydropiques (/). Province La troifième Province eft celle de M ult AN, dont la Capitale, quipor. de Multan. te le même nom , eft une grande Ville , fort ancienne , & riche par fon Commerce. On y fabrique quantité de toiles , qui fe tranfportoient à Tat* ta, avant que les fables euflent fermé l'embouchure de la Rivière. Mais depuis ce changement, on les porte à Agra, & d'Agra à Surate. Comme les voitures font fort chères , le Commerce de Multan s'en reflent beaucoup. ■ C'efl de cette Ville que fortent tous les Banians qui vont exercer le Négoce dans la Perfe, où ils font le métier des Juifs, fur lefquels ils l'emportent même par leurs ufures. Malgré la Loi qui défend à leur Sefte de fe nourrir de la chair des animaux , ils en ont une particulière , qui leur permet de manger des poules à certains jours de l'année, & de ne prendre qu'une femme entre deux ou trois frères, dont l'aîné pafle pour le père des enfans. Multan produit aufli quantité d^ Baladins , de l'un & de fautre fexe , qui fe répandent dans toutes les parties de la Perfe {g). Cette Province eft fituée le Jong du Fleuve Indus (A) , à l'Orient de la Perle & [au Sud] .de Kandahar (i). Province Haja-Kàn ou Hanji-Kan, quatrième Province de l'Empire, efl d'Haja-Kan. bordée à l'Eft par l'Indus , & à l'Oueft par une Province de Perfe , qui fe nomme Lar^ [ou Ghermes. ] Elle n'a point de grande Ville; mais elle eft habitée par unPeviple belliqueux, quife nomme les Ballocksy d'où lui venoit anciennement le nom de Royaume de Ballocky. . La (/) Tavernier, Tom. II. pag. 53. Ig) Le mêiiif, ibii. png. 52. (i) Sa Capitale e(l à cent quinze degrés [vin^t mi::utes] de longitude (l), & vingt- iifuf dt-grés quarante minutes de latitude. ( i ) On peut enrichir cette Defcription par Je nom & les diilances des Places , qui fe trouvent dans l'icinéraire de Tavernier. De K;ind;ihar il fit dix colTes, ou dix lieues juf- qu'à C^DT/'à/ar : douze colles de Charifafar ïZeloié; huit, de Zelaté à iBêtazy; fix, de Betazy à Mczour; dix-fept , de Mezour à K:irab.7(; dix-fept, de Karabat à Cbakenikou- zê. Depuis Cmdahar jufqu'à ce dernier Bourg, le Pays eft fous la domination de plu- fleurs petits Seigneurs, qui payent quelque chofe au Roi de Perfe. De Chakenikouzéà Kaboul, Tavernier lit quarante codes, pen- dant lefquelles on ne trouve que trois nié- chans Villages, où l'on n'eft pas fur d'obte- nir du pain & de l'orge pour les chevaux. Ainfi la prudence oblige d'en porter avec foi. Aux mois de Juillet & d'Auîit, il lè- gne dans ces quartiers un vent chaud qui fait perdre l'haleine, & qui tue quelquefois furie champ. Ubi J'uprà, pag. 52. ( I ) Mr. Ptevoft a pris tout» cet poliiions du Diftlonnaiie Géographique. Cette longitude eft de beau» (onp Kop Orientale., à piuponlon des auttct. K. d. E, DE L'I N D 0 U S TA N, Liv. III. 287 La Province de Buckor,Bukar, ou Bakar, dont la Capitale fe nomme fi«c- kor-Sukor (/t), eft fituéc aiifTi fur les bords de l'Indus, qui la coupant par le mi- lieu , en fait une des plus fertiles Contrées de l'Empire. Elle a vers le Sud- Sud-Oueft, la Province deïatta, & vers l'Ouefl: celle de Haja-Kan, ou des Ballocks (/). Tatta, [ouSind,] dont laVille Capitale porte le même nom (?«),en: coupée aufli par l'Indus. Il rend le paflage fort agréable en y formant plufieurs belles Ifles. Cette Province efl: renommée par fes Artifans , qui paflent pour les plus induflricux de l'Empire. Les Portugais y faifoient autrefois un grand Commerce. SoRET, efl une petite Province , mais fort riche & fort peuplée. Elle touche vers l'Orient à celle de Guzarate, & vers le Sud à la Mer. IjFana- gar efl le nom de fa Ville Capitale. ] Jesselmire a pour frontière , à l'Orient , la Province de Guzarate ; & celles de Soret, de Buckor & de Tatta vers l'Occident. Outre fa Ville Ca- pitale (n), qui porte le même nom, on y trouve celle de RacUmpour^ & quelques autres moins confidérables. Attock, & fa Ville Capitale (0), qui lui donne fon nom , fontlîtuées fur la Rivière de Nilab. Cette Rivière, venant du côté de l'Occident, s'y joint à l'Indus qui fépare la Province d' Attock de celle d'Haja-Kan. La Province de Peng-ab , qui tire fon nom de cinq Rivières entre lef- quelles elle efl: fituée & qui fe rendent toutes dans l'Indus, au Sud deLahor, efl: une des plus fertiles & des plus confidérables de l'Empire. Labor^ Vil- le célèbre , dont on a vu la defcription dans les Journaux de MandelHo & de Bernier , efl: fa Capitale ( p ). [Quelques-uns en font une Province féparée.] KisMiRE, que les Européens ont nommée KachemirCt & dont la Ville Capitale ne porte 'pas le même nom (^), comme les Géographes l'ont cru , fur le témoignage de Bernier, mais fe nomme Syranakar (r), efl: une des plus (id) MandelHo nomme fa Capitale Ba- cbtrhukon,o\x Bicanar. Elle eft à cent vingt (i) degrés vingt minutes de longitude, & vingt- huit degrés quarante minutes de latitude du Nord. (0 Mandelflo, ou fon Tradudleur, les nomme ici Bolacbes. (m) AI quatre-vingt-fix degrés de longi- tude , & vingt-cinq degrés vingt minutes de latitude. (n) A [quatre-vingt-dix] degrés quinze minutes de longitude, &vingt-fix degrés qua- rante minutes de latitude. (0) A quatre-vingt-dix degrés quarante minutes de longitude [ & trente-deux degrés vingt minutes de latitude.] (p) A quatre -vingt -treize degrés trente minutes de longitude , & trente-un degrés quarante minutes de latitude. (j) Reprenons l'Itinéraire de Tavernier depuis Kaboul jufqu'à Lahor. De Kaboul , DEScniPTiOM L'iNnOUSTAN, Province de Uuckor. Province de Taua. Province deSo'et. Province de Jcirtimire. Province d'Attock. Province de ?cng-ab. Province de Kifuiire. II fit dix-neuf cofTes jufqu'à Bariabé; dix-fepr, de Bariabé à Nimela ; dix-ileuF, de Nimela à j4lybouai dix-fept, d'Alyboua à Taka; fix, de Taka à Kiemry; quatorze, de Kiemry à Cbaour ; quatorze , de Chaour à Novekar ; dix- neuf, de Novekar à y4tek. La Ville d'Atek eft affife fur une pointe de terre, où deux grandes Rivières viennent fe joindre. C'efl une des meilleures Forterefles du Mogol. D'Atek , Tavernier fit feize cofTes jufqu'à Kalapané; feize, de Kalapané à /2ou/iat^; fei- ze, de Roupaté à Toulapeka; dix-neuf, de T ouhpeki à Keraly; feize, de Keraly à Z?ra- bad: dix-huit, de Zernbad à Imiabad; dix* huit d'imiabad à Lahor. Ubi fup. pag. 53. (r) Le témoignage de Bernier ne peut l'emporter ici fur celui de Rhoe & de Terri, qui écrivoient fur» des Mémoires de laSécre- tairerie du Grand Mogol (2). Cette Ville eft à quatre-vingt-treize degrés de longitude , & trente-quatre degrés trente minutes de latitude. (i) Le Dift. Géog. porte feulement cent. & l'on en pouiroit encore bien labaitie R. d. E. ( ï ) Betnicr avoit été pourtant à Kachemire. Il parle de Serma^utr comme 4'un autre petit Etat fépaifci V^Otttr, qui éciit i(ri-N(\'er, cti fait la Cjpitalç de Kackemiie. R, d. E, û88 DESCRIPTION Diiêcntf'TroN l'Indoustan. Province Je liankiTch, Province de Jciii-îanDur. Pioviiicc (le Jciiiba. Province lit DJiU. Provincii de Bandu. Pro> inco de Maioway. Province de Chitor. plus belles Contrées du Monde, arrolee par la Rivière de Bach, qui form^, un grand nombre de belles Illes, Ck qui va le jeter dans l'InJus (s). ] ., Province du Kaoliernire touche à celle de Kaboul. lÎANKiscii ell fituée à l'Orient de Kachemirc, un peu vers le Sud, ^ n'en cil féparéc que par le J'ieuve Indus. [_Beicbar eil fa Capitale. ] Jengatouk (r ) , qui porte le nom de fa Ville Capitale , elt iituée fur la RJ. viére de Kaou!, une des cinq qui tombent dans l'indus, auNord-EftdeLuhor. Jemba, ou Jamba, tircaulli fon nom de fa Capitale, & touche à l'Occi.' dent la Province de Peng-ab. Cette Contrée cil fort montagneufe. On y voit une célèbre Pagode, nommC^Q Illamah , où les Banians vont en pèlerinage. [La même Pagode fc trouve nommée Kakmnka^ dans la Province deNagra- kut; ainti Mandelilo fe trompe, en la mettant ici une féconde fois.] La Province de Deiily, & la Ville Capiiale, dont elle prend le nom, ell fituée entre celles de Jemba & d'iAgra, vers la fource du Jemené, qui fe JL-tce dans le (lange après avoir pafle par Agra. La Ville de Dchli^ dont on a vu la Defcription dans le Journal de T.avernier, efl: très-ancien- ne {v). Les ruines de les Palais & les Sépulchres des anciens Rois, mar. quent afll-z qu'elle étoit anciennement la Capitale de l'Indouflan; & quel- qiies-uns croyent qu'elle étoit le fiège du RoiPorus; Scha- Jehan y fit bâtir, au commencement du feizième fiècle, une autre Ville,, qu'il appella ^f^^an. abad, de fon norn, & qui n'efl féparée de l'ancienne Dehli que par un mur. Les (îrauds Mogols y font fouvent leur rèfidence, lorfque la chaleur les oblige de quitter Agra. Le fameux Thamas Kouli-Khan, ayant porté la guerre dans l'Indouflan, prit Jehan-abad, ou Dehli, & fe faifit des immen* les richelles qu'il trouva dans !e Palais Impérial. • La Province de B and o forme à-peu-près le centre de l'Empire, entre celles de JelTclmire, d'Agra & de Dehli. Outre fa Ville Capitale, qui por- te le même nom, elle contient celles de Touri^ de Moajia, de GodackSc (ïJ/inere, o\iJfmire. Cette dernière Ville (a:), où le Grand Mogol failbit fa réfidcnce ordinaire pendant l'AmbalTade de Rhoe(3'), donne quelquefois ion nom à toute la Province. M A L o w a Y, ou M A L o u É , cft unc Province très-fertile. La Ville Ca- pitale fc nomme Rant'ipour; on y compte aulfi les Villes de Serampour & dC'« gm (2). La Rivière de Cepra , fur laquelle ell fituée une autre Ville, nommée Calleada , rèfidence des anciens Rois de Maiidoa, arrofe une parde de cette Province, en allant fe jetter dans le Golfe de Cambaie. La Province de Chitor étoit autrefois un Royaume confidérable : mais fa Ville (j) Et non dans le Gange, comme ledit Mandeiflo, pag. 49.(1). (t) MandLiflo lui donne auffi le nom de Jemipar ou Jeimpar : â quatre-vin^t-quatorze tiL'grés de longituJe, & trente degrés trente niii'.utes de latitude. {v) Qtiatre-vingt-dixfept degrés de lon- gitude, vingt-huit degrés vingt minutes de latitude. (x") Quatre-vingt treize degrés de longi- tude, vingt-cinq degrés trente minutes de la- titude. ( y ) M. Prevoft fe trompe dans cette fup- polition, comme on l'a déjà obfervé ailleurs. Le Grand Mogûly avoit fait feulement quel» que féjour avec fon Armée. Voyez ci- deflus, pag. 141. R. d. K. (s) Mandeiflo acciife nial-à-propos Rhoe d'avoir confondu Rantipour & Ugcn. Cet Anglois les diftingue dans fa Carte (2). (X ) D'autres l'ont aiTuié longtems avant lui; mais avec auflî peu de vrailemblance. K d. E. ( z ) aiio: nomme Ugcn . & Teiri R.aniipout p3U[ la piinci^aU Ville, Maad«lflo ajufttc cncoie Oxiel, ^ni (ft appaicmmcïit la in«me chofï qu'U^^en. i^, d, B. DE L'I N D O U S T A N, T.iv. III. 289 Ville Capitale, dont elle porte le nom, & dont les murs cmbralToient autre- DF.?cniPTto* fjis une circonférence de plus de fix lieues , n'ell aujourd'hui qu'un mifcra- ,.,v,^nn,^.« Province Gogi. Pattcpatane b!e amas de rumes. Cette Province touche ix l'Orient celle de Candish, & c^!!e de Guzarate au Sud (a). Cl uzAii AT E, que les Portugais ont nommée le Royaume de Cambaie^ tlu nom de cette Ville, où ils laiibient leur principal Commerce, cft fans de Guzarate. contredit une des plus belles & des plus puilTantes Provinces de l'Empire Mogol. Outre les Villes dont on a déjà donné la defcription, telles que fa St^s P/.j"'^'' Cipitale, qui ell ficuée au milieu du Pays (/>), & qui s'appelle proprement P'*'*^^ Villes. JJuiiied EiViUl^ c'efb-à-dire, nilc du Roi Hanml , qui eil fon Fondateur, rKils qu'on nomme par corruption Amacïavut , ou Amadabath , Cambate , llroâra^ Bmtfcbia, Mamadebat ^ ik Surate ^ une des plus fameufes Vil- les du Monde par fon Commerce; la Province de Guzarate en a plufieurs autres, dont on trouve les noms difperfés dans les Voyageurs. Goga ei\ une petite Ville , ou plutôt un gros Bourg , fitué à trente lieues de Cam- baie , dans un endroit où le Golfe efl: fi petit, qu'il n'y forme qu'une efpè- cj de Rivière. Ce lieu efl: peuplé de Banians , la plupart TilTerands ou gens de Mer. Il n'efl: défendu que par un mur de pierre de taille, du côté de Kl Mer, où les Portugais avoient autrefois leur rendez- vous pour l'cfcor- tc de leurs VailTeaux Marchands jufqu'à Goa. Pattepatane & Mangerai font deux beaux Bourgs, à neuf lieues de Goga, riches tous deux par fabondan- & Manga-ol. ce du coton & par les toiles qui s'y fabriquent. La Ville de Z)/«, où les ^'U' Portugais ont encore trois bons Châteaux, efl: fituée fur la frontière du Pays de Guzarate, du côté du Midi. Ils rappellent Divc ^ en prononçant l'e Ci doucement, qu'on a peine à l'entendre. Bïfantagan efl: une des plus gran- des Villes de toute la Province , & fa fituation en efl: prefqu'au centre. On y compte environ vingt mille maifons. C'cfl: à la fertilité de fon terroir qu'elle doit (li grandeur prélente; car elle n'étoit autrefois qu'un Village. On y nourrit une prodigieufe quantité de befl:iaux; & ie riz, le bled , le co- ton y croiflent en abondance. Pettan avoit autrefois plus de fix lieues de circuit; mais, diverfes raifons ayant altéré fon Commerce, un beau mur de pierre de taille, dont elle étoit fermée, tombe chaque jour en ruines; & de fes plus beaux édifices, il ne refle d'entier que le Château, qui fert de logement au Gouverneur. Ses Habitans ne font plus que des toiles grof- fières de coton , pour l'ufage du Pays. Ce font celles qui fe nomment Def- . îemaîs y Sgarderberals , Longis ^ Allegkns, &c. On voit, au milieu de la Ville, une Mofquée , qui paflTe pour un ancien ouvrage des Payens, & que Mandelflo regarde comme un des plus beaux Temples de l'Orient. Sa voû- te, dit-il, eltibûtenue par mille & cinquante colomnes , dont la plupart font de marbre. Cheytepour efl: une autre Ville, à fix lieues de Pettan, & Cheytepour. à vingt-deux d'Amadabath , fur le bord d'une petite Rivière. Tous fes Ha- ( a) Quatre vingt-quatorze degrés ( i ) de latitude. Mandelflo & Tavernier ont décric longitude, vingt trois de latitude. toutes ces Villes, dans les articles qui por- . (6) A quatre vingt dix degrés quinze mi- tent les noms de ces deux Voyageurs. Voyez nutes de longitude, & vingt-trois degrés de la defcription de Surate au Tom. XI. ( I ) M. Pievoft dit feultment quatre-vingt-quatre. Dans U Note fuiv»nte, il avoit lailTé en blanc les de. grès de longitude Se de latitude, a. d. C Xni. Part. O G Bifantagan. Pettan. ?i 290 DESCRIPTION Description DE l'Indoustan. MelTana. Na (îliry , Gauduy, LiU fara. Habitnns de la Provin- ce de Guzi- rate. Figure & habits des hommes. Figure & habits des femmes. ITabitans font Baniims *Sc ne s'occupent (Jiki hnc du fil de coton. On en- tretient duns la Ville une garnilon alfcz nombreule, pour i'clcorte des (V ravanes ou des Catlilas , qui prennent cette route. McD'ana ell un aros Huurg ouvert , accompagne d'un vieux Château , où le Gouverneur e!l obligé d'en- tretenir deux Cens chevaux poiu* l'cfcorte des Caravanes. Le Pays pr(i(liiit beaucoup de coton. Najj'ary ou NauJ'ury , Gauduy àc Bal/ara, font trois po- tites Villes du canton de Surate, d'où la première efl: éloi^jnée de Cix lieucs, la féconde de neuf, & la troilième de quator'/c. Elles lont toutes trois à deux lieues de la Mer. On y fait quantité de çrolTes toiles de coton ; i^ c'efl: des forêts voilines , qu'on tire tout le bois qui s'employe dans la Provin- ce à la contlruélion des Edifices & des Navires. Les anciens liabitans de Guzarate font ceux qui fe nomment proprement liindoys ou fndous. Ils font Idolâtres ; car la Religion de Mahomet n'y cil entrée qu'avec les armes de l'amerlan & des autres Etrangers qui s'y funt établis par des Conquêtes. La Province ell peuplée à préfent de Perfans, d'Arabes, d'Arméniens & d'autres Nations, qui n'empêchent point que les Naturels du Pays ne fafl'ent toujours le plus grand nombre. En général, tous les liabitans du Royaume de Guzarate font bazanés ou de couleur oli- vâtre, mais plus ou moins, fuivant la qualité du climat. Les hommes font robulles, & d'une taille bien proportionnée. Ils ont le viiage large, &1ls yeux noirs. Us fe font rafer la tête & le menton , à la réferve des moufta- ches, comme les Perfans. Ceux qui font profelVion du Mahométifme, font vêtus auiîi à la Perfane; mais ils ont une manière différente de plier leur turban. Ils paflent l'ouverture de leur .vefle fous le bras gauche, au-licu que les Perfans la paflent fous le bras droit. Ils nouent leur ceinture iur le devant & laillent pendre les bouts. Au contraire, les Perfans ne font que la palier autour du corps, & cachent les bouts dans la ceinture même. C'efl: dans cette ceinture que les Mahométans de Guzarate portent leurs poignards, qu'ils appellent Zimber, & qui n'ont pas moins d'un pied de long , avec plus de largeur vers la garde qu'à la pointe. Quelques-uns por- t.ent aulîi des épées, & tous les Soldats font armés de fabres ou de cimeter- res. Quoique les femmes foyent de petite taille, elles font bien pro- portionnées , d'une propreté fingulière dans le foin qu'elles ont d'elles-mê- mes , & magnifiques dans leurs habits. Leurs cheveux flottent fur leurs é- paules. Les unes ne font coëffées que d'un petit bonnet ; d'autres fe cou- vrent d'un crêpe, brodé d'or, dont les bouts leur pendent des deux côtés jufques fur les genoux. Les plus difl:inguées portent, aux oreilles, de ri- ches pendans de diamans , de perles ou d'autres pierreries. Elles ont au cou de grofles perles rondes , qui ne font pas un mauvais effet fur un teint brun. Quelquefois elles pendent auffi des bagues à leurs narines , fans en être in- commodées, parcequ'elles ne fe mouchent prefque jamais. Elles portent, comme les hommes , des hautes-chauffes , qui font de taffetas ou de quel- que étoffe de coton, fi longues , qu'étant tout-à-fait étendues fur le corps, elles pafferoient par-deffus la tête, mais affez jufl:es jufqu'au deffous du gras de la jambe , où elles fe pliffent comme des bottes , à faide d'un cordon d'or & de foye qui les noue & les ferre au-deffus du nombril , & dont les bouts pendent jufques fur les pieds. Leurs chemifes fe mettent par-deffus ces .1, DE i;i N D O U S T A N, Liv. Ul. •291 ces hautcs-chauires , & font 11 courics, qu'elles ne dcH.v;K!ciu que jiifqiraux hanches. Une juppe de tutVetas ou de toile de coton, qui j)reiid du même point, efl: ordinairement fi claire, qu'elle ne leur cache prelque rien. Leurs loaliers font ordinairement de marocjuin rouge, plats fur le derrière & poin- tus par le bout. ICILs ont le lein découvert & les brads nuds julqu'au cou- de, quoiqu'elles les couvrent en partie de bralTelets dont ils l'ont comme chargés. Les honnêtes femmes ne parollFent point en public avec It vifagc découvert, & les femmes de qualité fortent rarement de leurs maifons. Un long commerce avec les Mogols, qui fc trouvent répandus dans toutes les parties du Pays, (îtqui n'ont pas cefle d'y donner la loi, depuis qu'ils ont ré- duit le Royaume de Guzarate en Province, met aujourdhui beaucoup de conformité entre les ufages des deux Nations. Mais il faut en excepter les Banians, qui ne font pas moins dillinçués des Mahométans par leurs habits & leurs coutumes , que par leurs principes & leurs pratiques de Religion. Comme on fe propofe de traiter, dans un article féparé, tout ce qui appar- tient à cette ancienne Seéle, il fuffira d'obferver ici, que s'il n'y a point de Contrée des Indes où l'on ne trouve des Banians, la Province de Guzaratc cil celle qui en contient le plus grand nombre. Elle n'appartient à l'Indou- ikan que depuis 1565. Candi su ell de toutes les Provinces de l'Empire celle qui efl: la plus a- vancée vers le Sud(t). Sa Capitale, qui le nomme Brampour^ ou Burfampour^ étoit la rélidence ordinaire des Rois de Decan , avant que le Grand Mogol l'eût réunie à fa Couronne. C'eft une Ville fort grande & fort peuplée, a- vec laquelle on compte, dans la même Province, celles de Pala, d'/ljere & de Mandou. La Rivière de Tapte, qui va tomber à Surate, fépare Can- dish d'un petit Pays, nommé Bartafpha, dont le Prince efl; Tributaire du Grand Mogol. Berar, dont la Capitale fc nomme Schapore^oxx Chafpour(d)^ s'étend vers le Midi , & touche à la Province de Ciuxarate & à la Montagne de Rana. El- le efl: bornée à l'Orient, par celle de Bengale; au Nord par celle de Ma- louay; & à l'Ouefl par celle de Candish. Narvar ell fltuée entre les Provinces de Bengale, de Gualor, d'Agra & de Sambal. Elle efl: arrofée pai une très-belle Rivière , qui entre dans le Gange. Sa Ville Capitale fe nomme Gebud (e). La Province de Gualor, ouGouliar, qui prend ce nom de fa Ville Capitale (/) , efl: célèbre par une Citadelle dont le Grand Mogol a fait fa prifon d'Etat. Ag R a, dont la Ville Capitale porte auflfi le même nom (5-) , efl: une des plus (c) Mandeiflo, pag. 155 & fuiv. Bien entendu avant les conquêtes d'Aureng-Zeb. Brampour eft fituéc à quatre-vingt-quinze de- gitis de longitude, & à vingt-un degrés dix minutes de latitude. R. d. E. (^d) Longitude quatre-vingt-dix- fept de- grés cinquante minutes ; Latitude vingt- ufi degrés trente minutes R. d. E. (e) Longitude quatre -vingt -fcize degrés O De:;<.i f?TiO» I-'Indoustan. quarante minutes j Latitude vingt* cinq dC' grés ()x minutes. (/) Longitude quatre-vingt-fept degrés; Latitude vingt -cinq degrés quarante minutes. R. d. E. (g) Longitude quatre-vingt-feize degrés vingt-flx minutes; Latitude vingt-Hx degrés quarante minutes. 0 Z Province de Candish. Province de Berar. Province de Narvar. Province de Gualor. Province d'Agra. 29i< DESCRIPTION Descripyion DE l'Ikdoustan. Sa Ville Capitale. En quoi tille l'emporte fur Dchli. MaiTons aes Jéfuites & des Hollan- iois. plus grandes Provinces de l'Empire, & celle qui tient aujourd'hui le pre- mier rang. Elle eil arrofëe par la Rivière de Gemené, qui la traverfe en- tièrement. On y trouve les Villes de Scander, d'Âmdipour, & de Fet'ipuui; Le Pays efl fans montagnes; & depuis fa Capitale jufqu'à Lahor, qui font les deux plus belles Villes de l'Indouflan , on voit une allée d'arbres , à la- quelle Terri donne quatre cens miles d'Angleterre de longueur. Bernier trouve beaucoup de reflemblance entre la Ville d'Agra, & celle de Deh- fi, ou plutôt de Jehan-abad, telle qu'on a pu s'en former l'idée dans la de- fcription de Tavernier (h). „ A la vérité, dit-il, l'avantage d'Agra efl qu'ayant été long-tems la demeure des Souverains , depuis Ekbar , qui la fit bâtir, & qui la nomma de fon nom, Ekbar -/Ibad, quoiqu'elle ne l'ait pas confervé , elle a plus d'étendue que Dehli , plus de belles Maifons de Rajas & d'Omrahs, plus de grands Carvanferas, ai plus d'Edifices de pier- res & de briques; outre les fameux Tombeaux d'Ekbar, & de Taje-Me- liai, femme de Scha-Jehan (i). Mais elle a^ufli le defavantage de n'ê- tre pas fermée de murs ; fans compter que n'ayant pas été bâtie fur un plan général, elle n'a pas ces belles & larges rues de même flrufture, qu'on admire à Dehli. Si l'on excepte quatre ou cinq principales rues marchandes , qui font très-longues & fort bien bâties , la plupart des au- tres font étroites , fans fymétrie , & n'ofi'rent que des détours & des re- coins, qui caufent beaucoup d'embarras lorfque la Cour y fait fa réliden- ce. Agra, lorfque la vue s'y promène de quelque lieu éminent, paroît plus champêtre que Dehli. Comme les Maifons des Seigneurs y fort en- tremêlées de grands arbres verds, dont chacun a pris plaifir à remplir fon jardin & fa cour, pour fe procurer de l'ombre, & que les maifons de pierre des Marchands, qui font difperfées entre ces arbres, ont l'appa- rence d'autant de vieux Châteaux, elles forment toutes enfemble des perfpeélives très -agréables, fur -tout dans un Pays fort fec & fore chaud , où les yeux femblent ne demander que de la verdure & de l'ombrage (/t)". Les Jéfuites ont, dans Agra, uneEglife & une Maifon, qu'ils appellent Collège , où ils enfeignent les principes du Chriftianifme aux cnfans de vingt-cinq ou trente familles Chrétiennes , qui fe font ralfemblées dans cet- te Ville ( /). On y voyoit auifi , du tems de Bernier , un Comptoir Hollan- dais, « » » >» ») » )) JJ J» J> J> » »J (fc) Voyez ci-defflis fon Journal, qui n'empêchera qu'on ne rapporte les obfer- vations de Bernier, fur cette Ville, dans l'article de la Cour du Grand Mogol. Voyez auflî la defcription d'Agra dans le Journal de MandelHo. (i) Voyez la defcrîption dans le Journal de Tavernier. Bernier la donne auffi, avec peu de différence. {k) Bernier, Tom. lil. pag. 141 & 142. {l) Ibid. pag. 147. Ce Voyageur confir- me aulïï ce qu'on a lû dans le Journal de Rhoe , fur les efpérances que les Empereurs Ëkbar, Jehan-Guir, & Scha-Jehan avoienc fait concevoir de leur penchant pour le Chrif- tianifme. Il ajoute, fur le témoignage des Jéfuites, „ que pour autorifer lérieiifemert „ le Chriftianifme, Jehan -Guir réfolut de „ faire habiller toute fa Cour à la manière „ des François , & qu'après avoir commen- „ ce à prendre cet habit lui-niû-ne, il fitve- „ nir un de fes principaux Omrahs, auquel „ il demanda ce qu'il en penfoit j mais que „ ce Seigneur lui ayant répondu froidement que c'étoit une cntreprife bien dangereu- „ fe, il changea de deflein & tourna l'afFai- „ re en raillerie ". Bernier raconte un au- tre trait , qu'on a lû fort différent dans le inâ-r 91 l'Indoustan, DE L'I N D 0 U S T A N, Liv. III. 293 dois, habité par quatre ou cinq .Marchands de cette Nation, qui avoient D£>ct((nioN tiré long-tems beaucoup de profit de l'écarlate , des glaces de miroir, des dentelles fimples & des dentelles d'or & d'argent. Il n'en trouvoient pas moins à prendre diverfes marchandifes du Pays , telles que l'anil , ou l'in- digo, qui fe recueille autour d'-Agra, particulièrement à Bianès^ qui n'en efl qu'à deux journées , & toutes les toiles qu'ils tiroient de JcJapnur & de Lacknau. Ils avoient auffi des Maifons dans tous ces lieux; mais l'éloigne- lîient de Surate, & la difficulté des voitures, commençoient à les refroidir , d'autant plus que les Arméniens faifoient le même Commerce. Cependant Bernier jugea qu'ils n'abandonneroient pas leur Comptoir, parcequ'ils y ven- doient ciès-bien leurs épiceries , & qu'ils avoient beioin d'entretenir quel- qu'un proche de la Cour, pour Te conferver une faveur, néceflairc à leurs Etablillemens de Surate & de plufieurs autres lieux de l'Empire. Les An- glois s'écoient réduits , depuis quelque-tems , à ceux qu'ils avoient dans la Province de Guzarate. Sa M BAL, ou Sambel, ainfi nommée de fa Ville Capitale , efl féparée de la Province de Narvar, par la Rivière de Gemené , qui entre dans le ^^ Sambal Gange auprès de la Ville de HalebaJJe , où ces deux Rivières forment une Ille dans leur jon6lion. De-là vient que cette Province prend quelquefois auiTi le nom de Do-ab, qui fignifie, entre deux eaux^ comme Mefopotamie ou Entragues. Bakar ou Bakish, efl: une Province fituée fitr le bord Occidental du Gange , qui la fépare de celle de Patna. Elle ell bornée , au Nord , par celle de Jemba, à l'Oueftipar celle de Dehli, & au Sud par celle de Sambal. Sa longueur efl: d'environ foixante lieues , fur vingt-cinq de largeur. Bikamr efl: fa Capitale (?«) («). La Province de Nagrakut, ou Nakarkut, efl: une des plus Sep- tentrionales de l'Empire. Elle ell remplie de montagnes. Sa Capitale , qui porte le même nom , & qui efl: fituée fur la Rivière de Ravy ( 0) , con- tient un Temple fort riche, dont le plancher & le pavé font couverts de la- mes d'or. On y voit la figure d'un animal , ou plutôt d'un monftrc hideux , Province Province de Bakar. Province de NagraKuti même Rhoe. V^oici fon récit. ,, J'ai appris „ d'un Mahométan , qui étoit fils d'un Ofli- cier de Jehan-Guir, que ce Prince étant un jour en débauche, lit venir un certain Père Florentin , qu'il avoit nommé le Pè- re Atecb, parceque c'étoit un petit hom- me plein de feu, & qu'après lui avoir or- donné de dire tout ce qu'il pourroit con- tre la loi de JVlahomet & en faveur de la loi Chrétienne, en préfence des plus fa- vans JUulIahs, il fut fur le point de faire une terrible épreuve des deux loix. Il commanda qu'on fît une grande fofle & „ un bon feu dedans, prétendant que le Pè- „ re Atech , avec l'Evangile fous le bras, „ 6: un Muliah de même avec l'Alcoran, „ fe jetteroientenfemble dans le feu , & qu'il „ fuivroit la loi de celui qui nebrûleroitpas. ;, Mais la trilte mine des MuUabs :out éton- Oo 3 rêve- „ nés, & la compaflîon qu'il eut du Père, „ qui accepcoit le parti , l'en détourna. U eft „ très -certain, ajoute • t'il , que tant que Je- „ han-Guir a vécu , ces Pères ont été honorés ,, &refpe6bés à cette Cour. MaisScha-Jchan, ,, fils de Jehan-Guir & Père d'Aureng-Zeb, „ leur ôta leur penfion , fit ruiner l'Eglife „ de Lahor, & démolir la plus grande par- „ tie de celle d'Agra ". Ibid. pag. 148 & fuivantes. (?n) A cent degrés vingt minutes de lon- gitude, & vingt-huit degrés quarante "minu- tes de latitude du Nord. (?i) Terri l'appelle Brianée , & dans la Carte de Rhoe, elle elt nommée Bicaneer. R. d. E. (0) Longitude quatre-vingt-felze degrés i Latitude trente-deux. 29+ DESCRIPTION Description DE I.'LvnoUJTAN. l'iovince dt Siba. Province de Kakaies. Province de Gor, Province de Pitan. Province de Kandua- ua. Province de Pacna. révéré fous le nom de Matta^ qui attire tous les ans un nombre infini de Pclcrins. Quelques-uns fe coupent un petit morceau de la langue, qu'iiij offrent à l'Idole. Kalumaka (p) , autre Ville de la même Province, n'efl pas moins célèbre par le pèlerinage qu'on fait au creux d'une roche , d'où forcent des flammes , avec une fontaine dont l'eau ne lailfe pas d'être très- froide. Ces flammes font adorées des Indiens. Siba, Province dont la Ville Capitale fe nomme Hardimhe , s'étend à l'Efl: jufqu'aux montagnes. Le Gange y paroît fortir d'un roc, auquel les Habitans trouvent quelque refTemblance avec la tête des vaches , pour lef- quelles ils ont beaucoup de vénération ; ce qui les attire en foule pour fe baigner dans ce lieu (q). La Province de Siba n'efl: pas moins remplie de montagnes que celle de Nagrakut , quoiqu'elle foit moins Septentrionale. Kakares [ouKakaner] efl une grande Province, qui efl: fcpa- rée de la Tartarie, au Nord, par le Mont - Caucafe , & qui touche vers le Sud aux Provinces de Pitan, de Siba, de Nagrakut & de Kit- mire ou Kachemire. Ses principales Villes font Dankeler & Furhola. Ce Pays efl: fort montagneux. L A Province de G o k , qui prend fon nom de fa Ville Capitale ( r ) , eft pleine aufli de montagnes. Elle efl fltuée au-delà du Gange, entre les Pro- vinces de Kanduana, de Pitan, & la grande l'artarie. La Rivière de Per- Jîlis, qui fe jette dans le Gange, y prend fa fource. Pitan, & fa Ville Capitale, d'où elle tire fon nom, font arrofées par la Rivière de Kanda , qui fe jette aufli dans le Gange à rextrêmite de la Province. Elle a pour bornes au Nord, les montagnes de Nagra- kut; à l'Efl, les Royaumes de Lafla & d'Afem ; ?u Sud, la Province de Jefual & la Province de Mevat; à l'Oueft , les Provinces de Mevat & de raral. [Ce dernier nom efl; nouveau, & en général ces limites paroif- fent peu exaéles.] La Province de Kanduana, dont la Ville Capitale fe nomme Karhach, ou Kerakatench^ & que plufieurs Géographes nomment Katene^ et féparce de celle de Pitan par la Rivière d'JdercUs, [fuivant Mandelflo, ce qui efl: une faute , au - lieu de Perlilis. ] Cette Province & celle de Gor font les dernières de l'Empire Mogol , au Nord-Eft , fur les confins de la gran- de Tartarie , [ ou plutôt du Tibet. ] Patna efl une Province aufli fertile, que les deux précédentes le font peu. Sa Ville Capitale, qui porte le même nom, efl célèbre par fon Com- merce. Les Hollandois y ont un Comptoir. Toute la Province efl renfer- mée entre les Rivières du Gange, dePerfilis, de Gemené & de Candaeky [ou Kanda, comme elle efl: nommée plus haut. ] La Ville de Pqtna efl fi- tuée fur le Perfilis (j). ' Je« (P) Jallamaka fuivant Terri, & Illamaks dans la Carte de Rhoe. Mais remarquez que Mandelflo met ailleurs Illamake dans la Pro- vince de Jemha," en quoi certainement il fe trompe, comme les Géographes, qui donnent, d'après lui, ce même nom corroinpu à deux lieux dift'érens. Voyez, pag. 288. R. d. E. Cî) Dc-là vient apparemment l'ufage qu'ils ont de fe baigner tous les jours dans les au- tres endroits de ce Fleuve , qu'ils regardent comme facré. (f)Longitudecentfix; Latitude trente-un. (s) Longitude cent cinq degrés quinze minutes; Latitude vingt-cinq degrés cinquan- te - cinq minutes. Voyez la defcription de Fatna , dans le Journal de Tavernier, DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 295 Te SUA L eft au -là du Gange, entre les Provinces de Patna , d'U- defla & de Mevat, au Nord du Bengale, & à TEft de Patna. Rajapoiir ou Rayapor eft fa Capitale. Les François y avoient autrefois un Comptoir. La Province de Mevat, dont la principale Ville fe nomme Narnol, eft: un Pays fort montagneux. Elle eft fituée au - delà du Gange , vers le Nord du Bengale. Udessa eft la dernière Province de l'Empire, du côté de l'Orient. Sa Capitale fe nomme Jokamt ou Jeskanat. Elle eft lituée au-delà du Gange &du Perfilis, entre les Provinces de Kanduana, de Patna, de Jefual , de Mevat, & le Lac de Chiamnay. La Province de Bengale, anciennement un Royaume confidérable eft fans doute une des plus puiflantes Provinces de l'Indouftan. Elle donne fon nom au Golfe, qui reçoit le Gange par quatre embouchu- res. Ses principales Villes font Chatigham , Mongher , Rajimahol , DaC' ca & Philipatan (t). Son {^'^uverncment eft fubdivifé en plufieurs au- tres petites Provinces , dont les plus confidérables font Pana & Patan , dont plufieurs Rois n'ont pas dédaigné de prendre les titres. Les François , les Anglois & les Hollandois ont des Comptoirs au Bengale, fur les rives du Gange. Texeira , dans fon Hiftoire de Perfe , nomme , à l'occafion de quelques Pays de l'Indouftan, le Royaume deSinde, auquel il donne Tatah pour Ca- pitale: mais il fe contente de la nommer, fans défigner fa fituation; quoi- qu'il ajoute que les Portugais y faifoient un grand Commerce (v). Il par- le aufli du Royaume de Caeche , renommé , dit-il , par fes Haras , au Nord de Description DE l'Indoustan. Province de Jdual. Province de Mevat. Province d'U^ieffa. Province de Bengale. (t) Voyez ci-deflus plufieurs Voyantes fur le Gange. On a cru long-tems , fur des lu- mières incertaines, qu'il y avoit une Ville du nom de Bengale. Mais ce qu'on nom- moit la Ville de Bengale étoit la Capitale de ce Royiume, qui porte chez les Indiens, le nom de Cbatigam , différente ( fiiivant feu M. Otter, ou plutôt fuivant le Géographe Turc qu'il cite, &i]ui la nomme Tcbatigoun) d'une autre Chatigam , ou Satigam , qu'il place auprès d'une des embouchures du Gan- ge, à cent lieues de la première, & à trois journées d'une Ville maritime, nommée Pom- lari. Il met cette Ville de Tcbatigoun , ou de Bengale, à cent trente-cin(| degrés de lon- gitude, & vingt-trois de latitude, dans une Ifle formée par la Rivière de Koufm. Le Pays , dit il, fur la même autorité, s'étend l'efpace de trois cens miles en longueur, fur deux cens foixante de largeur. Il eft divifé en vingt deux Touwanj, ou diftrifts. Kiour- kiè , ancienne Capitale, eft fituée dans le Pays de Dgennet abad. Le Golfe de Benga- k, nommé par les Indiens Djibanaguioun , s'étend entre les terres l'efpace de huit cens miles ou davantage. Il fe réciecic de plus en plus vers le Nord, & finit à vingt-deux de- grés de latitude , à l'entrée du Gange. Les Orientaux donnent, au Bengale, le nom de Benguialè. C'eft un Pays tempéré , où il tombe de groOes pluyes, qui inondent les terres, & qui obligent les Habitans d'em- ployer des Bateaux pour aller & venir. Ses principales productions font la foye, le riz, le fucre, le poivre, & deux fortes de fruits; 1 un nommé Gueule, qui relfemble à l'oran- ge; l'autre, qui s'appelle Leneuien, & qui reifemble à la grenade. On y fait, des toiles fi fines , qu'une pièce de vingt • iept aunes peut tenir dans une main fermée. Foyagc d' Otter à Paris, chez Guerin, 1748, Tom. II. Note de la pag. 66. {v) Texeira, pag. 114. La difficulté n'eft' pas de trouver la fituation de la Province de Sinde.Sc de Tatta fa Ville Capitale , qui font en- .core connues fous ces mêmes noms; (Voyez ci- defl'us,pa^ 287;) Mais la remarque de Man- delflo regarde la Province à'Utrat & fa Capi- tale. M. Prevoft en cherchant ce nom dans Texeira, étant tombé par hazard fur celui de Sinde, {pag. 114, ) a foit plaifamœent pris le change. R. d. £. 29Ô DESCRIPTION Descrtption DE l'Indoustan. Remarques lU- M. Otter fur divers iiiux de Vin- il ou 11 an. GourbenJ. RuRick, Ziftr&Ua- g'aai. Gaznin ou Gaziié. Kaboul ou Kiabul. de Cambaie. C'efl apparemment la Province de Candish , dont on vient de repréfenter la fituation. Un Voyageur fort moderne, qui mérite d'autant plus de confiance qu'a- yant fait le Voyage de l'Afie fous la proteélion d'un grand Miniftre, il s'ti. toit attaché pendant plulieurs années à fe perfeélionner dans les langues Orientales , pour fe mettre en état d'éclaircir la Géographie avec le fecours des Géographes Turcs , Arabes & Perfans (x) , a répandu dans fes Rela- tions diverfes lumières , fur celle de l'Indouftan , dont je me crois obligé d'enrichir cet article. Après avoir fait le récit du fiège , & de la prife de Kandahar, il con- duit ion Héros (}') à Kaboul , par Gourhend 6i par Gaznin (z)^ dont il s'empara fuccelTivement. Gourbend , dit - il , efl; un défilé des montagnes àii Zablijlan y par lequel on entre dans le Pays de Goury qui efl un Canton & un Bourg au Nord de Kbandjan. On va de Gourbend, en trois jours, à M'mendy en palTantpar un défert, & de-là en deux jours à Balkhe , par un Pays habité. Les autres lieux confidérables de ce Pays font Riijlack, le Fort de Zafer & Baglam. Il s'y trouve des mines d'argent & de lapis lazif- li , qu'on néglige de faire valoir. Entre Gourbend & un autre lieu nommé Abi-baraHy on rencontre deux Cantons plantés d'arbres, qui rendent ce fc- jour agréable pendant le Printems, & dans Icfquels oh voit une efpccc par- ticulière de tulipes, appeilées tulipes-rofes, d'une odeur charmante. Gaznin ou Gazué, eft une Ville marchande fur la frontière de l'Inde, dcS dépendances de BamiaUy dont elle efl; éloignée de huit journées, à quaran- te lieues du ^/V/t,'-//?^» , Province de Pcrfe (a). Elle étoit autrefois peu con- fidérable: mais Emir ■ Sebuktep^u'm & fon û\s Sultan- Mahmoud l'aggrandirent beaucoup. Une Rivière pafle à côté & va fe joindre à celle de Kaboul. L'eau eft bonne à Gaznin, & l'air très-fain, parccque le Pays eft rempli (.h montagnes. Les arbres & les vignes y portent des fruits , mais qui meu- riflent rarement. Cette Ville, qui étoit fort peuplée fous les Princes Gaz- neniens, a produit de grands hommes dans la Littérature. Kaboul eft la Capitale du Zabliftan, que les Perfans nomment Bakhc- îù'Zem'm; Pays plus long que large, entouré de montagnes. II eft bornû à fEft par Bçrcbaver & quelques autres Cantons de l'Inde ; à fOueft, par le Kiouhijian & Hezaré ; au Nord , par les Pays de Kandez & d'Endez , où la montagne de Uindoukieche lui fert de frontière j au Sud , par Kïzmil & d'au- tres (x) C'eft feu M. Otter, à qui l'on repro- che feulement d'avoir jette un peu de confu- fion dans fes récits , en voulant rétablir la véritable oitographe des noms Orientaux. II devoit du moins y joindre ceux de l'ancien ufage , fans lefquels il n'eft pas toujours aifé de fe reconnoître. (y) Thamas Kouli-Khan, qui venoit de fe faire couronner Roi de Perfe, fous le nom de NadirScbab , en 1738, & qui avoit décla- ré la guerre au Grand Mogol , Mubammtil- Scbab. (2) Texeira la nomme toujours Gaznem, (a) Gaznin, fuivant le Géographe Turc, eti à cent quatre degrés & demi de longitu- de, & trente-trois de latitude; fuivant les Etvals, elle eft à quatre vingt quatorze de- grés quarante minutes de longitude, & tren- te-quatre degrés quarante-quatre n:inutes de latitude. Suivant le Canon, c'cft quatre- vingt-douze degrés cinquante-une minutes de longitude, & trente-trois degrés cinquante- quatre minutes de latitude. DE L'I N D 0 U S T A N, Liv. III. 297 très Pays habités par les Afgans. La Ville de Kaboul efl fituëe (b) fur le bord dune Rivière, au'IbnuSaid appelle Mebran. Elle eflbien fortifiée & d'un accès difficile. Autrefois, elle étoitfî conHdérée des Indiens, qu'ils ne reconnoiflbient leurs Princes , que lorfgu'ils y avoicnt été couronnés. Les montagnes voifines ont des mines de fer. Il y croît des aromates & du bois d'aigle. Le mirobolan n'y croît pas ; mais comme on l'apporte de l'Inde à Kaboul , par les voyes du Commerce , on l'appelle Kiabuli , du nom de cette Ville. La Rivière eft nommée , par les Habitans du Pays , //e- zarè^ mot Perfan, qui fignifie Mille ^ à caufe du grand nombre de Villes & de Bourgs qu'elle a fur fes bords. Elle coule du Nord au Sud de la Ville, & prend enfuite fon cours à l'Eft&auSud. Après avoir paflTé Nekierhar (c), à quatre journées plus bas , & Pichaiver , à deux journées de Nekierhar , elle fe rend kDevav (. kiouby à deux autres journées par Piloupuut^ enfuite aux Habitations d'If. tnael-Khan & de Fethi-Khan, & quatre journées plus- loin à Sitpour ; après quoi, il fe joint à la Rivière de Tchmhav^ & plus bas à celle de Fiab {k). Dix JQirjiées plus bus, ilpafl'e çAt.Kiufdi & Bavela; une plus bas, par le Fort de A/ff/V; deux plus loin , par Pekier; cinq autres après, psûc Sehvan; & cinq autres encore, par Nckier-lchetcbé. Entin^ à deux joiurnées de-là, il fe divife en deux brandies & fe jette dans la Mer. Cette defcription elî de Cheïk-Jilem-Eddin lelCumuni. D'autres prétendent qu'il fe divife en trois branches, au Nord de Nekier-Tchecché , dont la première paife à l'Oueft de cette Ville, & fe jette dans la Mer près du Port de Lahuri; & la féconde, près du Bourg de Raniper^ à une journée de Lahuri vers l'Eft. Ils ne parlent point de la troifième. On donne, à l'Indus, quarante - deux journées de cours, cinquante ilades (/^ dans fa plus grande largeur, & quinze pas dans fa plus grande profondeur. Il reçoit environ vingt autres Rivières, dont les poiflons prennent une autre couleur dans fes eaux ( m ). Des cinq Rivières, qui fe joignent à l'Indus dans le Peng-ab, le Géographe Turc en nomme quatre, & les fait fortir des montagnes de Kachemire; celle de Viahj qui paiTe à l'Efl: & au Sud de Lahor, & fe jette dans l'Indus, près d'OutcheUué ', celle de /icîî;/ , qui prend d'abord fon cours vers le Sud, dans le Pays de Lahor , fe plie enfuite vers l'Oueft , & fe mêle avec l'Indus au- deflbus de Suiour-, celle de Tchenhav (n) qui coule à l'Oueft & au Sud, & s'y jette près de Multan; & celle de Feihat (o), qui s'y joint près de Bch- ra. Le Géogr^iphe Turc place Lahor à cent vingt-trois degrés de longitu- de, & trente-un degrés &. demi de latitude. Les Etvals la mettent à cent de- ■ ( » ) Otter écrit Kicbemir. (fe) Celle appiremment que Rhoe nom- me Viab ( I ). " ( / ) Le Géographe Turc employé ce terme. (wi) Ei)ul-feda, qui le nomme Mebran, dit qu'il pafFe par la Province de Multan, à 3uatre-vingtfeize degrés trente cinq minutes e longitude,& vingt-neuf degrés quarante mi- nutes & demi de latitude; que prenant fon cours , au Sud & à l'Ouefl; , il pafle enfuite par Manfouré, à quatre-vingt-quirwe degrés de lon- gitude , & vingt-fix degrés quarante minutes de latitude; qu'il fe jette dans la Mer à l'Efl de Deibul, à quatre-vingt-douze degrés & demi de longitude, & vingt-cinq degrés dix minutes de latitude; qu'il refTemble au Nil, en ce qu'il répand fes eaux dans certains tems; qu'en d'autres tems il fe retire dans fon lit, & qu'il rend tous fes bords fertiles. L'Au- teur d'un Livre, intitulé Refmulmamour , dit qu'il commence à cent vingt-fix degrés de longitude, & trente-fix de latitude ; qu'il coule à rOueft & au Sud jufqu'à cent vingt degrés de longitude, & trente-deux de lati- tude ; enfuite à l'OucH , jufqu'à cent onze de- grés de longitude, & vingt- fix de latitude; puis au Sud jufqu'à cent fept degrés de lon- gitude, & vingt-trois de latitude; après quoi il fe divife en deux branches , dont l'une fe jette dans la Mer à cent quatre degrés de longitude, & vingt de latitude. (n) C'ell celle que Rhoe nomme Q6a- nab (2). (0) Rhoe la nomme autrement. (i) C'cft Mindêlflo, d'après Tt'xeiia, qui la noîarae la r/<«. B., d. (t) Encoie Mandclflo fit Tcxcita R. d, Z, DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 299 degrés de longitude, & trente -un de latitude; diiFérens de nos Géogra- phes , qui mettent cette Ville à quatre-vingt-treize degrés trente minutes de longitude , & trente-un degrés quarante minutes de latitude. Le Traité queNadir-Schahfit àDehli (p) avec le Grand Mogol, don-^ ne occafion à M. Otter de s'étendre fur les Pays & les Villes que Muham- med abandonnoit au Vainqueur. Il rapporte les termes du Traité: „ Je lui ai cédé tous les Pays à l'Occident de la Rivière d'Etek , de celle du Sindt & de NaJè-Senguerè ^ qui en eft une branche ; c'eft-à-dire. Fichai- ver, Kiabul, & Gaznin; \q Kioubijlan , habité parles ^fgam\ les Pays & les Forts de Tekier, df^Sekier & de KbudaAbad-, les Pays des Tchoukis (q), des Boloudges &' autres , avec leurs Villes, Forts, Villages, & dépen- dances, pour faire à l'avenir partie de fon Royaume. Le Fort d'Etek ^ la Ville de Seheuri , de même que les autres Villes & Forts à l'Orient de cette Rivière, de celle du Sind , & de Nalè-Senguerè , doivent apparte- „ nir comme ci-devant à l'Empire des Indes (r)". M. Otter fait les re- marques fui van tes; Les plus connues des Villes à l'Oueft du Sind, ou de l'InduF , . u du Mehran , font Debout , fameule Ville de Commerce, fur le bo. ' Je la Mer (f), à fix journées de Manfouré , & quatre de Teroun. Lahuri, au- jourd'hui Port confidérable de ce Pays (f ) , efl: à deux journées à l'Eft de Deboul , & de l'endroit où une des branches de l'Indus fe jette dans la Mer. Celle qui prend fon cours à l'Oueil de Tetè, pafle au Sud de ce Port , où le Hux de la Mer rend l'eau de la Rivière falée. :, . Mansouré (v) eft une Ville de grandeur médiocre, fîtuée dans une Ifle formée par l'Indus ou le Mehran. Il y croît des dattes , des cannes de fii- cre, & un fruit ndmmé Temoumè, de la grofleur d'une pomme & d'un goût fort aigre. L'ancien nom de cette Ville étoit Menhevarè. r. ■ -n- •' r . . i ♦ » J> î» J» »> J> DeïcrtttioS' DE LlICTDUUSTAm Pays de l'Iiuioufban cedts aux Pcrfans. : nomme Cba- (p) M. Otter écrit Dilli. Il fe trompe, lorfqu'il dit qu'elle a reçu ce nom de Scha- jehan. lia voulu dire que la nouvelle Deh- il a pris le nom de Scha-Jehan, fon Fonda- teur & fe nomme Jebanabad ( i ). L'an- cienne n'eil pas à une lieue de 1& nouvelle, comme il le dit auflî. Elles ne lont réparées que par un mur. Le Géographe Turc place Dehii à cent vingt degrés de longitude, & vingt de latitude. Nos Géographes ne la tneccent qu'à quatre -vingt dix- ftpt degrés de longitude, & vingt-huit degrés vingt mi- nutes de latitude. (j) M. Otter remarque que ce font les Scythes. R. d. Ë. (f) Voyage d'Otter, Tom. IL pag. 407 & fuivantes. (5) A cent un degrés & demi de longitu- de, & vingt -deux degrés & demi de laciru- de, fuivant le Géographe Turc. Abul-fcda la nomme Deihul; il la place, fuivant Ibni- Said & le Canon, à quatre* vingt -douze de- grés trente - une minutes de longitude, & vingt -quatre degrés vingt minutes de latitu- de; elle eil, fuivant les Ëtvals, à quatre- vingt - douze degrés trente minutes de lon- gitude, & vingt -cinq degrés dix minutes de latitude. (t ) A cent deux degrés & demi de longi- tude, & vingt-deux degrés & demi de latitu- de , fuivant le Géographe Turc. (t;) Suivant le niême, à cent cinq degrés & demi de longitude, & vingt cinq & demi de latitude. Ibni-Said la met à quatre-vingt- quinze degrés quarante minutes de longitu- de, & vingt -cinq degrés quarante deux mi- nutes de latitude. Les Etvals & le Canon à quatre-vingt-quinze degrés quarante mi- nutes de longitude, & vingt -fix degrés tren- te minutes de latitude. (1) C'rft à toit que Ml. Fitvoft ccnfutc ici M. Oitei. qui ne dit pas autit cbofe que ce qu'il a voulu di- te K, d. E. Pp 2 300 DESCRIPTION Description DE L'iMDOUtTAN. Ob fer va- lions de M. Otcer fur le Mekran , frontière Per- fane de l'In- doullan. MuLTAN (x), eft à cent foixante lieues au Sud de Gaznin. Le Tchen- hav pafTe à une lieue au Sud de cette Ville , & fe rend à Outchetchè , qui eft à rOued. On voit , à Multan , une Idole qui repréfence un homme aflis fur une chaife, les jambes croifées fous lui. Ses deux yeux font deux {)ierres précieufes. Elle fait l'objet de la vénération des Indiens , & de eurs pèlerinages. DeïreÏ-Ismaïl-Khan efl une Place fur le bord de Tlndus, dans un Pays plat, à deux journées au-deflfous de Piloutou. De'ire'i- Fethi- Khan efl: fur la même Rivière , à deux journées plus bas. SiTPF.R efl: une Ville, à trois ou quatre journées plus bas que Deïreï-Fe- thi-Khan fur le bord del'Indus, quifarrofeau Sud (y). Outchetchè, autre Ville (2) , efl: fituée à l'Efl: & au Sud du même Fleu- ve, vis-à-vis de Sitpcr, trois journées à l'Oueft de Multan. Le Tchenhav, réuni avec la Rivière de Rubah, fe jette dans l'Indus, à une demie jour- née de-là vers le Sud. Bavela, première Ville du Pays de Multan , fur l'Indus, efl: à trois jour- nées d'Outcnetchè (a). Metilè en efl: éloignée d'une journée à l'Oueft de ce Fleuv«. Pekier, autrefois Capitale & Réfidence des Rois du Pays, eft (îtuée {b) fur une colline que l'Indus environne. La Ville de Louberi, qui eft défen- due par un Fort , eft fort proche de Pekier , fur le bord Méridional du mê- me Fleuve. Sekier eft un Fort fur la rive Septentrionale, & Tekier eft une Ville à quatre lieues de Pekier. Ce Pays eft voifin du Mekran , qui eft une Province de Perfe, bornée à l'Oueft par celle de Kirman, au Sud par la Mer, à l'Eft par le Sind, au Nord par Achenaguir, Khaft & le Zabliftan. Elle eft fort étendue , mais .fTez déferte. Ses Habitans ont beaucoup de reflemblance avec les Kiurds ^ ou les Curdes; ils parlent la langue Perfane, ils portent des habits de coton avec le turban , & font livrés au Commer- ce. Cette frontière des Mogols méritant d'être mieux connue , M. Otter remarque d'après le Géographe Turc, que la Capitale du Mekran eft une grande Ville , qui fe nomme Guiè (c ) , & qui eft fituée entre des monta- gnes qui la bornent au Sud & au Nord; Ormus, que les Perfans appellent Hurmuz, en eft à dix journées à l'Oueft, & Kidge à la même diftance du côté de l'Eft. Cette dernière Ville eft revêtue de Fortifications (d). La Rivière de Nebenk pafle à côté de fon Fort , qui a de l'autre côté un rocher d'un accès très-difficile. On trouve, au Nord de la Ville, de hautes mon- tagnes; & au Sud un défert, qui s'étend jufqu'à la Mer, Tefpace de dix journées de chemin. Di- (») Suivant le Géographe Turc, à cent fept degrés & demi de longitude , & vingt- neuf degrés & demi de latitude ; fuivant le Canon « les Etvals, à quatre • vingt - feize degrés vingt - cinq minutes de longitude , & vingt-neuf degrés quarante minutes de lati- tude. (y) A cent fcpt degrés de longitude, & vingt - neuf & demi de latitude. (s) Même longitude que Sitper, & trente degrés de latitude. (a) A cent fix degrés de longitude, & vingt- huit de latitude. (6) A cent cinq degrés & demi de lon- gitude, & trente -quatre de latitude. (c) A quatre -vingt -feize degrés de lon- gitude, & vingt- fept & demi de latitude. (d) A quatre-vingt-douze degrés & de- mi de longitude , & vingt • fept & demi de latitude. DE L'I N D OU S TAN, Liv. III. 301 DiZEK eftune autre Ville du Mekran (e), arrofée d'une Rivière qui Description vient du Nord; Guiè en eft à dix journées à i'Ouell, en tirant vers le Sud; ,, "^ &Djal, Ville fortifiée, en eft à trois vers l'Eft. Une grande Rivière, »• ^"""^"''f *»• 3ui vient de TOueft & du Nord, pafle au Nord de Djal, & va fe jetter ans la Mer au Nord de Pentchepour (/). Les Rivières du jMekran font, i*. le Nehenky qui eft aufli grande que le Nil. Elle vient du côté de Gaznin , d'Erkioub & de. Bedahchan , paf- fe à l'Eft & au Sud de Kidge, enfuite au Sud de Daren, & fe rend à Mend (g), où elle prend fon cours au Sud , & va fe jetter dans L Mer , à deux journées à î'Oueft de Kievadir , près d'un lieu , qui fe nomme De/- tiari. 2". Le Kiourkienky qui vient du côté de iVlav^* {h). Cette Rivière paf- fe à l'Eft de Pirouzabad (i), ôck I'Oueft de Picbin (it), d'où elle coule à i'Oueft , & au Sud fous le nom de Souringuiour, Après avoir parcouru beau- coup de Pays, elle fe mêle avec celle du Kiourkies, & fe jette enfuite dans la Mer à Tiz (/), à huit journées d'Ormus, fi l'on prend le chemin de Ter- re, & à quatre par Mer. D'autres prétendent que le Kiourkienk pafle aufli à Kiecheky qui eft un Fort (m), & qu'il fe jette enfuite dans la Mer d'Or- mus entre Khudar & Pichin. . ^ ^^, La Rivière Kiourkies ^ qui vient de l'Eft de Sipavend (n), pafle à Dizck, àKiechek, à Pentchepour, à Guiè, 6c kVOaeîï. de Kafnkiund(o)^ où elle fe mêle avec celle de Souringuiour, & fe jette enfuite dans la Mer d'Ormus , près de Tiz. M,: 4*^. Makichid eft une autre Rivière, qui vient du côté de Gaznin, & paflTe enfuite à Navek, à Djal, à l'Eft de Pentchepour, & une jour- née à l'Eft de Kidge: après quoi, elle fe mêle avec celle de Nehenk, près à'Ejen. Les obfervations de m. Otter, fur le Royaume de Guzarate , n'ont pas un air moins correél. Il donne fon vrai nom , qui eft Gutcherat. Sa lon- gueur , dit-il , eft d'environ cent foixante miles d'Allemagne , & fa largeur ell à-peu-près la même. On le nomme aufli Kienbdit (p), d'une Ville de ce nom, qui eft à trois journées au Sud-Eft à'Abmed'Abad (g) , à la même diftan- Obferva- tions Tur l'an- cien Royi.u- me de Cuza- ratc. («) A nonante-fept degrés & demi de longitude, & vingt - neuf & demi de latitude. (/) Ville à quatre - vingt - dix - huit degrés & demi de longitude, & vingt -fix & demi de latitude. {g) h quatre - vingt • feize degrés de lon- gitude, & vingt fix & demi de latitude. (2)) A quatre-vingt-dix-neuf degrés de longitude, & u-ente de latitude. ( i ) A quatre - vingt • feize degrés & demi de longitude, & vingt -fept& demi de latitude. (I) Longitude quatre -vingt- feize & de- mi ; Latitude vingt - fept. ( i ) £bul - Feda fe trompe quand il dit que Tiz, & non Fiz, comme Mr. Ptevod l'ap- pelle, eft fituée, fur le bord du Mehran. Cette Rivière en tfl fort éloignée. R. d. £. ( m ) A quatre - vingt - feize degrés de lon- gitude, fur vingt -huit & demi de latitude. (n) Bourg, à nonante-huit degrés de longitude ftr vingt -neuf & demi de lati- tude. (0) A quatre -vingt -feize degrés de lon- gitude, & vingt 'fis & demi de latitude. (;>) C'eft autrement Camftai;, que le Géo- graphe Turc met à cent quinze degrés de longitude, & vingt- quatre de latitude; le Canon, à quatre -vingr- dix -neuf degrés vingt minutes de longitude , & vingt • deux degrés vingt minutes de latitude : & les Et- vais à la même longitude , & vingt- lix degrés vingt minutes de latitude. (î) C'ell ce que tous les Voyngeurs & toutes les Cartes nomment ^nudabatl). PP 3 302 DESCRIPTION Deicbiption DE l'Indoustan. Obferva- tions fur Agra. Obferva- tions fur le Uekan. ?, cUllancc de Bervedge, qui eft au Sud, & à trois miles de la Mer, fuivant Yldriji, fur une petite Rivière, qui fe jette dans un Golfe de trois jour- nées de longueur. Ce Golfe ell: dangereux par fcs marées: l'eau s'y retire uclquefois l'efpace de trois miles , ai laifle à découvert de grands rochers îir lefquels on voit périr quantité de Vaifleaux. Four y entrer, on eltobli- gé de prendre des Pilotes à Diu. Kienbaït, ou Cambaie, cfl: une des gran- des & belles Villes de l'Inde. Il s'y lait un grand Commerce d'épiceries & d'autres marchandifes qu'on y apporte de toutes parts; fur -tout de dents d'élephans , qui viennent de Rufala , & dont les Habitans de Kienbaït ornent leurs maifons, qui font bâties de brigue & de marbre blanc. Ahmed-Abad, Capitale du Gutcherat, eft: fituée dans un Canton fer- tile & charmant , fur une petite Rivière. L'air & l'eau de cet endroit, qui n'étoit anciennement qu'un Bourg, nommé l'.Jaml^ plurent tant à Mmed- Chah, Roi du Pays, qu'il en fit une Ville, l'an de IHegire 813, & qu'il la fortifia. Sultan- Mahmoud en bâtit une autre, à quelques lieues de -là, fous le nom de Mahmoud- /Jbad. Les deux Villes s'étant jointes , en s'ac- croiilant, n'en font plus qu'une aujourd'hui. Les Bazars y font plus fpa- cieux & plus propres que dans les autres Villes des Indes. Les boutiques y ont deux & quelquefois trois étages. Elles font plus belles & plus' ornées qu'ailleurs. Les hommes y font civils , les femmes blanches , belles, &de complexion amoureufe. La Ville maritime, que nous nommons Surate, à cinq journées au Sud d'Ahmed- Abad , s'appelle véritablement Souret. Diu eft une autre Ville à l'entrée du Golfe, à lOueft de Kienbaït (r). La fa- meufe Ville de Goa , que l'Auteur, nomme G'^î;^, & Daman, qu'il appelle Demen , font du même Pays , & appartiennent aux Portugais. Nos Voya- geurs altèrent ainfi tous les noms. Ekber-Abad, on Egrè (j), autrefois Capitale de l'Inde, eft: à quatre- vingt miles à l'Eft, & au Sud de Dilli, ou Dehii. Elle dépendoit originai- rement de Biavè. Suitan-EskJender entreprit d'en faire une grande Ville; Chir-Khan & Selim-Khan , eurent le même deflein après lui , & l'exécutèrent parfaitement. Le Grand Mogol Ekbar - Chah, qui lui fit prendre fon nom, l'orna de Palais magnifiques & de beaux Jardins, qu'il plaça des deux côrcs de la Rivière de Tchoun, ou Tchumna, Jomanes des Anciens (f), qui palFe au milieu de cette Ville. Le Fort d'Egrè eft conftruit de pierres , fi bien Jointes par des crampons de fer, qu'elles paroiflTent n'en faire qu'une. On employa quatre ans , & des fommes immenfes à fa conftruftion. Hifar eft une grande Ville, à l'Eft & au Nord d'Egrè. Lekienhou en eft une plus pe- tite, àl'Eft (v). . . • ,:^ A l'égard des autres Pays de l'Inde, qui ont appartenu à l'Empire Mo- gol, & dont quelques-uns lui payent encore un tribut, tels que les Royau- mes de Vifapour, de Golkonde, de Carnate, &c., on peut confuker les' ' ; v:...: arti- .-•..itir '"li :■'.' (f ) A cent onze degrt je longitude, & vingt ■ un de latitude , fuivant le Géographe Turc. (s) C'eft le vrai nom d'Agra , fuivant M. Otter. (t) C'eft ce que tous les Voyageurs nom- ment le Gemené ou le Gemna. (u) Voyez les Notes du Voyage dût- ter. DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 303 articles qui contiennent leur dcfcription. Le Dckan , que M. Otter nom- me I)f't»w, fait aujourd'hui partie de l'Indouflan. 11 eft fitué au Sud de Guzarate, & s'étend depuis le commencement de la Rivière de Ba$ juf- qu'à celle à'Aliga^ l'efpace de deux cens cinquante miles. On le divife en trois parties, formées par la montagne de yegat^ qui le traverfe d'un bout à l'autre, & par les Pays qui font licués des deux côtés de cette mon- tagne. 11 renferme trois cens loixante Forts (x). On prétend qu'il a pris le nom de Dekan , oudeDekien, qui fignifie Rdtmi^ depuis la conquête des Dilems'y parceque ces Peuples, après s'y être établis, î'e mêlèrent avec les femmes du Pays, & produifirent une race métive. Ahmed-Niguer ^ qui en eflla Capitale (y) (s), furpalle les autres Villes de l'Inde par l'excel- lence de fon air & de Ion eau, & par les avantages de fa fituation. Elle a des montagnes & des plaines , un Fort qui paflc pour imprenable, des con- duits fouterrains qui foumiflent de l'eau à toute la Ville, des jardins, & de belles promenades. On compte, dans l'Indouflan , quatre-vingt-quatre Princes Indiens, qui confervent encore une efpèce de Souveraineté , dans leur ancien Pays , en payant un tribut au Grand Mogol , & le fervant dans fa Milice. Ils font diltingués parle nom de Rajas; & la plûparc demeurent fidèles à l'Idolâ- trie, parcequ'ils font perfuadés que le lien d'une Religion commune ferc beaucoup à les foûtenir dans la propriété de leurs petits Etats, qu'ils tranf- mettent ainfi à leur pofl;erité. Mais c'ell prefque le feul avantage qu'ils ayent fur les Omrabs Maliométans , avec lefquels ils partagent d'ailleurs , à la Cour, toutes les humiliations delà dépendance. Cependant on en dil- tingue quelques-uns , qui confervent encore une ombre de grandeur, dans la préfence même du Mogol. Le premier , qu'on a nommé dans diverfes Relations, prétend tirer fon origine de l'ancien Porus, & fe fait nommer le fils de celui qui fe fauva du déluge; comme fi c'étoit un titre de Noblefle qui le diflinguât des autres hommes. Son Etat fe nomme ZeduJJlé (a). Sa Ca- pitale efx Udepour. Tous les Princes de cette race prennent de père en fils, le nom de Runa, qui fignifie Homme de bonne mine. On prétend qu'il peut mettre fur pied cmquante mille chevaux , & jufqu'à deux cens mille hom- mes d'Infanterie. C'efl le feul des Princes Indiens , qui ait confervé le droit de marcher fouS' le parafol , honneur réfcrvé au feul Monarque de l'In- douflan. [ On le nomme aufîi le Raja de Chitor. ] Le Raja de Rator égale celui de ZeduiVié en richeffes & en puiflancc. II gouverne neuf Provinces avec les droits de Souveraineté ; fon nom étoit Jakons-Sing^ c'efl-à-dire, le maître Lion ^ lorfqu'Aureng - Zeb monta fur le Trône. Comme il peut lever une aufîi greffe Armée que Rana , il jouît de la même confidération à la Cour. On raconte qu'un jour Scha-Jehan l'ayant me- (x) Suivant [l'Auteur de] Hefi-Eklim» cité par M. Otter, Tom. I. pag. 341. (y) D'autres Iznomment j4ureng-abad (^1). Voyez le Journal de Tavernier. (2) Le Géographe Turc la place à cent quinze degrés de longitude, & vingt degit's de latitude. R. d. K. (a) Voyez la fituation de cet Etat, dv.ns le Journal de Mandelflo. DESciiirTion l'Indoustan< , Cl ) Le» Géographes dlftingneni Aîimcii Niguer, Capitak' duDccan, d Aiirerg-abidi Capitale de lafrovince ^e Ballagite. UeitaOat , pat coiiuptioi) poui Dnifkt'ul/Ad , cû le nom de la Eoiteicile, Voyez ci-i^eflus. p^. B.. d, E. R i;:is 'l'iibu- tuiles. I.e Rina, Rajn dw Ze- duOlé. I,e Raja Je Rator. iSz 304 DESCRIPTION DlSCRIFTION Dl l'Inooustait. Le Raja de Chagué. Autres Ra« jaspuilTiins. Jugement fur l'état pré- fent de lin- doullan. menacé de rendre une vifîte k Tes Etats , il lui répondit fièrement que le lendemain il lui donncroit un fpeébcle , capable de le dégoûter de ce Vq. yage. En effet , comme c'étoit Ton tour à monter la garde à la porte du l'aiais , il rangea vingt mille hommes de fa Cavalerie fur les bords du Fieu- vc. Enfuite il alla prier l'Empereur de jetter les yeux du haut d'un Balcon, fur la Milice de fes Etats. Scha- Jehan vit avec Airprife les armes luifanteî &. la contenance guerrière de cette troupe. „ Seigneur, lui dit alors le Ra* „ ja, tu as vu fans frayeur, des fenêtres de ton Palais, la bonne mine de „ mes Soldats. Tu ne la verrois peut-être pas fans péril , fi tu entreprenois „ de faire violence à leur liberté '. Ce diicours fut applaudi , & Jakons* Sing reçut un préfent. i Le troifième Raja, qui eft refpefté à la Cour, peut mettre en campagne quarante mille hommes de Cavalerie; fon Etat fe nomme Chagué ^ & fa Ca- pitale Jnder. Pendant les guerre J d'Aureng - Zeb , fon nom étoit Jafing^ ou JeJJetnguc , fameux dans les Relations du même tems. OiTTRE ces principaux Rajas, on n'en compte pas moins de trente, dont les forces ne font pas méprifables, & quatre particulièrement, qui entretiennent à leur folde plus de vingt- cinq mille hommes de Cavalerie. Dans les befoins de l'Etat, tous ces Princes joignent leurs Troupes à celles du Mogol. Ils les commandent en perfonne. Ils reçoivent , pour leurs gens , la même folde qu'on donne à ceux de l'Empereur ; & pour eux-mê- mes , des appointemens égaux à ceux du premier Général Mahométan. L'Auteur de l'Introduftion à l'Hiftoire de l'Afie, après avoir exami- né, fuivant fa méthode, l'étendue ik. les bornes de ce grand Empire, en porte fon jugement dans ces termes. „ Le Mogol n'a rien à craindre , au Midi , du côté des petits Royaumes de la Côte de Malabar. L'inégali- té des forces & les longues montagnes de Gâte lui répondent d'une bon- ne intelligence avec ces Peuples. L'effroi , que fon nom a répandu fur toute la Côte de Coromandel, lui a fervi plus que fes Armées à foûmettre les Souverains qui fe font mis fous fa proteélion. Le Roi d'Arrakan fe- roit un voifin plus dangereux , s'il étoit vrai qu'il fût Souverain de Tim- {►ra, d'Ava, ae Pegu, & de toute la Côte Orientale du Golfe de Benga- e. Mais quand tout ce Pays feroit réiini fous un même Monarque, il ne paroît pas qu'il fût affez peuplé, ni alTez riche, pour contrebalancer une Puiflance aufli redoutable que celle du Mogol ; & d'ailleurs , il ne pourroit l'attaquer que du côté du Gange, où font les principales forces de rindouftan. Les. Tartares feroient plus à craindre: mais les monta- gnes de rimaus font un rempart naturel , fortifié par de nombreufes Ar- mées. Ajoutez que les Tartares , aujourd'hui partagés en un grand nom- bre de Branches & de Tribus , font fort éloignés d'être aufli redouta- bles qu'ils l'ont été, lorfque toutes les forces de la Tartarie étoient unies fous des Chefs auffi belliqueux que Jenghiz-Khan , & Timurbeg ou Ta- merlan. Ainfi le plus grand danger, dont l'Indouflan foit menacé , ne peut venir que de la révolte des Princes du fang , & de la fédition des Armées (*)". Il (ft) Tom. I. pag. 343. » »» »> n »« n DE L'INDOUSTAN, Liv. lîl. 305 Il eft furprenant que l'Auteur qu'on cite, ne compte point les Perfans Deicbiptiow entre les plus dangereux ennemis du Mogol, fur-tout depuis l'heureufe in- L'iNcouiXAtr. valion de Nadh'Chah^ plus connu Ibus le nom de Thamas-Kouli-Khan. M» . S. II. Fondation de YEmplre Mogol & Race Impériale. 1. ON a vu, dans l'Article de la Tartarie , au Tome IX. de ce Recueil, l'origine de Timur-Beg^ ou Tamerlan^ Empereur Tartare de la race de Jenghiz-Kbany & Fondateur de l'Empire Mogol dans les Indes. Ce Prin- ce, après avoir entamé les Indes, par les ravages cju'il fit dans l'Indouftan , tourna Tes armes contre la Perfe & la Syrie, dont il fit très- rapidement la conquête , & revint vers la fin du quatorzième fiècle , pour réduire le Ca- bulc^an (a), qui avoit fecoué, dans Ton abfence, le joug de fa domina- tion. Il châtia les Rebelles , pafla V Indus , ou le Sind , vainquit plufieurs petits Souverains , entre lefquels l'Indouftan étoit alors partagé, & fe ren- dit maître de Dehîif Capitale des Indes. Ses exploits, contre un ^rand nombre de Souverains Tartares qu'il aflervit , & les vifloires par lefquel- les il renverfa le Trône de l'orgueilleux Bajazety Empereur des 'l'urcs, n'appartiennent point à l'Hiftoire de l'Indouftan. Il mourut en 1405 , âgé de foixante - fix ans , & laifTa fes vàftes Etats partagés entre fes en- fans (b) (c). Miracha, fon troifiéme fils, eut pour fa part de la fuccef- fion , La Race Impériale des Mogols re- monte à Ta' merlan. Ce Prince affiijettit l'Inde. M 05' Sa poUéricé. (a) M. Otter le nomme Zablijlan ( i ). (b) I/opinion qu'on doit avoir de l'exac- titude de M, Otter fera lire avec piaifir fes remarques fur chaque Prince de la podérité • de Tamerlan, avec l'orthographe de chaque nom, telle qu'il la devoit à fes lumières Oriei talcs. Il appelle Tamerlan Teïnour- Kiurekian. „ Ce Prince naquit, dit -il, le „ ôJAvril 1336, à Kecbe, autrement nom- „ niée Cbebri-Sebez , ou la nile fierté, à „ une journée de Semerkand. Etant monté „ fur le Trône à Balkbe, le 8 d'Avril 1370, „ il conquit Maveraulnebre , liedakbtcban , „ Kbarezme, le Turkijian , le Zablijlan, „ le Pays de Gour, l'Inde jufqu'à Dilli, „ l'Afie mineure, la Syrie & l'Egypte, il „ tomba malade à j^trar, & mourut le 8 de „ Février 1405. dans le tems qu'il étoit en „ marche pour faire la guerre aux Tatars de „ la Kbata". Remarquez que le fond du Texte eft tiré ici de Tavernier , & du Père Catrou, réduits par la Martinière; & que lePèreCatrou reconnoît, pour fa principa- le fource, un Mémoire manufcritde M. Ma- noucbi , Voyageur Vénitien , qui avolt eu la commiMiication des Chroniques du Mo» gol ( 2 ) ( c ) Sjeriefeddien Aali , Auteur Perfan du Tezd, qui a été traduit en François, & Con- temporain de T.imerlan, lui donne le nom de Timour Bec, qu'on ne trouve point dans les Annales Mogoles, où il edconnamment appelle Mier Timour} & par les Tartares, Timour- Lenk ; c'ed ■ à - dire , Timour le Boi' teux; & Timour , qui en leur langue fignl- fie Fer ; parceque ce Prince avoit palTé toute fa vie au - milieu des armes. L'Auteur qu'on vient de citer fixe aufli fa nailTince environ l'an 1336, auBourg de Â.Tiz, dans l'encein- te des murs de la grande Ville de Neeb. La Chronique Mogole, dont le Père Catrou a donné un extrait, très - defFeflueux à plu- fieurs égards, le fait naître à Cafen, gros Bourg de Tartarie, au-delà de l'Oxt/i, & connu aux Indes fous le nom d'Abiamou; mais elle diffère confidérablement par rap- port à l'année, & quelques autres Auteurs s'éloignent encore plus de cette première date. ( I ) 11 faut diftinguei le Zahliftm du Cabuleftan . oui la Ville de Cabul ctt fîcuie . dam les Etart do Gun4 Mogol. L'autre rft une Piovince de Perle R. d. E (a ) I! avoit rifidé quarante ans à la Cour du Mogol , en ( Jb ) Sjeicb Omar , Sjeîcb M'rzab , ou Sut' tan Hamed, (Ixième Grand Mogol , étoit le cinquième fils d'Aboufaid, & non le quatriè- me, comme Je dit M. Otter. 11 régna vingt- fix ans. Valentyn ne parle pas du genre de fa mort, qu'il fixe en 1495. R. d E. (i) Zahireddin ■ Baber , fils d'Umer- Mir- za, naquit en 1483, monta fur le Trône le 8 Juin 1494, régna d'abord dans Mavcraul- nehre, lit enfuite la conquête de Kiabul, de Kandehar, de Bedakhechan, de Gafnin &de toute ITnde, excepté le Dckien, leGut- cherat, & le Bengale. Il mourut en 1530, & fut enterré à Kiabul. 11 a fait la Relation de fa vie, fous le titre dcrakeat-Baberi. Ot- ter, ubifuprà. (f«) Cbab-Babour, feptième Grand Mo- gol, fils, o'i félon d'autres neveu de Sjeich- Omar, mourut à Dehii en 1532. Il laifTa deux fils, Mirzab Ilomajom & Mirzab Ka- moran , dont l'aiaé régna après lui. R. d. E. 3o8 DESCRIPTION Dkscription DE t'iNOOUSTAN. 1530- Honiayom, ou Nafreddin Huuiaïoun. 1552. Ekbnr, ou Dgelal.ed din • Ëkber. Père, qu'il fe vit attaqué par Schahek • Khan , fils d'Ufbeck-Khan, qui avoic été dépouillé de Tes Etats par Abouchaïd. Babar , abandonné de fes Su- jets, le réfugia dans Tes Domaines des Indes, & laifla le Royaume de Sa- markand à Schabek-Khan. Depuis ce tems-là, l'ancien Empire des Mo- gols fut divifé en deux Monarchies. Les Ufbecks régnèrent à Samarkand; & Babar dans les Indes, où quelques viftoires le firent vivre en paix juf- qu'à l'année 1530, qui fut celle de fa mort. H o M A Y o M ( »i ) , fon fils , fut traverfé au commencement de fon règne , par Chlra (0), Prince d'une race que Babar avoit détrônée. Après divers combats, dans la Ville de Dehli, le parti de Chira devint fupérieur, & força Homayom de fe retirer en Perfe. Cette difgrace lui arriva l'onzième année de fon règne. Mais, Chira étant mort neuf ans après, il fe remit en pofleflion des Indes avec une Armée Perfane , & fa domination fut pai- fible pendant deux ans, qui furent le terme de fa vie, en 1552. A K E B A R ou Ekbar (p) , fon fils , aggrandit l'Empire par fes conquêtes. Il fit rebâtir la Ville d'Agra, pour y établir le fiège de fon Empire. Il af- fiégea la Fortereffe de Cbitor , & enleva par trahifon le Rana : mais la fem- me de ce malheureux Prince foûtint le fiège & trouva le moyen de rendre la liberté à fon mari {q). Ekbar revint affiéger le Château de Chitor. Le Ra- na fut tué , & la Place fe fournit au Vainqueur , qui défit Babare , Roi de Guzarate, avec lefecours des Portugais de Goa (r), & fe rendit maître des (n) Nafreddin • Humatoun , fils de Baber, naquit à Kiabul , en 1508 , monta fur le Trô- ne à Egrè, en 1530, fit la conquête du Ma- leva, du Gutcherat & du Bengale, fut chaf- fé enfuite de fes Etats, fe retira en Perfe & demanda du fecours à Cbab-Tabmas , fils à'ifnaîl , qui l'aida à rentrer dans fe» États. Il mourut en IS56. Otttr ^ ubifuprà. (0) D'autres le nomment IJeet Kban, ou Ferried Kban , & diiTèrent beaucoup dans les circonftancesdefon hiftoire; mais ce pe- tit extrait eu tiré de la Chronique Mogole. La date de la mort d'Homajom , rapportée par M. Otter, ne paroit pas jufte. R. d. E. (p) Dgelaleddin-Ekber, naquit à Emir- Kiout, en 1542, fut proclamé Empereur en 1556, à Kalainour, dans la Province de La- bour. Il réduifit prefque toute l'Inde fous fon obéïfTance, & mourut à Egrè en 1605. Otter, ubifuprà. (î) Cette généreufe femme s'appellolt Padmana. Divers Auteurs Orientaux & au- tres racontent qu'Ekbar en étoit devenu éper- duement amoureux, furies rapports qu'on lui avoit faits de fa beauté; & que ce fut le mo- tif de cette guerre, dans laquelle il tua lui- même le Raja Zimet, Roi de Chitor, fans le connoître. Deux jours après, Ekbar ap- prit que Padmana sétoit brûlée avec le corps de fon malheureux Epoux. Mais tout ce récit a bien l'air d'une fable, & l'on n'en trouve rien dans la Chronique Mogole. R. d. E. (r) Le dernier Roi de Guzarate, dont il efl ici queflion , s'appelloit Sultan Mobbam- med, & non Bbadour, (que M. Prevoil énit Babare,) comme quelques Auteurs le nom. inent mal -à propos. Le Père Catrou & d'autres , infèrent en cet endroit un récit des avantures de certain Bbadour , Roi de Cam- baye, avec la prife de Diu & d'autres évé- nemens arrivés depuis longtems , favoir en- tre les années 1524 & '5^9; tandis que ce Roi de Cambaye avoit été vaincu même a- vant le règne d Homajoin , & conféquem- ment, non par Ekbar, mais par Its Portu- gais. Ces événemens , qui diffèrent fi fort à l'égard du tems & des circonftances, ils les confondent avec ceux du règne d'Ek'iar, qui n'ont pourtant rien de commun enfem- ble. Car autre chofe efl la prife de la Ville de Cambaye, & autre chofe la conquête de tout le Royaume de Guzarate, dont elle é- toit anciennement la Capitale. Une erreur fi confidérable dans l'Hiftoire générale de I^Afie, ne peut que nous engager àyfuppléer, en rapportant ici les véritables circonrtances de la conquête du Royaume de Guzarate; & nous nous fiattons , par la même raifon, que cette longue Remarque ne paroitra pas inuti- le DE L'INDOUSTAN, Liv. III. 5C9 1 » qui avoic î de fes Su- urne de Sa- ire des Mo- Samarkand j en paix juf- 2 fon régne, \près divers ipérieur, & ^a l'onzième , il fe remit tion fut pai- • s conquêtes, pire. Il af- mais la fem- n de rendre itor. Le Ra- are. Roi de endit maître des le, & l'on n'en nique Mogole. izarate, dont il 'uUan Mobbaru' l. Prevort écrit uteurs le nom* ère Catrou & oit un récit des Roi lie Cara- d'autres évé- ns , favoir en* tandis que ce incu même a- & conféquem- lar les Porta- ffèrent fi fort onftances, ils ègne d'Ek'iar, mmun enfem- ife de la Ville conquête de dont elle é- Une tireur générale de r à y fuppléer, circonrtances ? Guzarate; & e raifon, que itra pas inuti- le des Royaumes de Decan & de Candisli. Il conquit enfuitc le iloyaume'de Descriptiow Kachemire, & mourut en 1605, après avoir ékvé l'Empire au comble de L•i,^no-s fa puiflance (s). * ^J,« " Jehan -GuiR (f)» fon fils, fuccéda au Trône , fans avoir hérité de la -^'L^ valeur & des bonnes qualités de fon père. Il fe lailfa gouverner par ia Sul- J' hcui cm 1, tane 'Nur''Jaham (v) (x)y & fut arrêté par MaAwMcf Kbarty un de fes Mi- dinn^ïaiî- nilires. Cofron (y), fon fils aîné, s'empara aulfi-tôt de l'autorité: mais rui,. ''" '' Mahomet - Khan défit fes Troupes, & remit Jehan -Guir en hbcrté (2). ** Col- le, qHoiqu'elle ait déjà été faite ailleurs, mais moins à propos , & avec quelque différen- ce ( i ). Sultan Mohhammed donc, étant mort, laifla fon Royaume à fon fils Sultan Moda- far; mais comme ce Prince, âgé feulement de douze ans, n'étoit pas encore en état de gouverner par foi -même, fon Père avoit eu la précaution de charger du foin de fa tutel- le, un de fes favoris , nommé Hamed ■ Kban , 3ui s'appercevant des cabales que les Grands u Royaume formoient continuellement con- tre le légitime Héritier de la Couronne, ne crut pouvoir prendre de meilleur parti pour fa fureté & celle de fon Elève, que d'appel- 1er Ekbar à leur fécours , avec promelfe de lui remettre Hamed-Abad, une des plus bel- les Villes commerçantes du Guzarate. Ëk- bar, à la tête d'une puiflante Armée , fe ren- dit bien-tôt maître de tout le Royaume, em- menant avec lui le jeune Prince , qu'il retint prifonnier, pendant plufieurs années; Mais Il trouva enlln le moyen de s'évader, & fe retira auprès d'un Raja Ami de fon Père , à l'aiJe duquel il reprit d'abord quelques Villes & quelques Bourgs qu'il ne conferva pas long - tems , contre le Nabab . Général de l'Armée Mogole. Son malheureux fort l'a- yant fait tomber une féconde fois entre les mains de fes ennemis, il fe coupa la gorge, lailTant ainfi Ekbar dans la pailible poiTeflion du Royaume. A regard du Decan, obfervons encore, Su'Ekbar n'en put foumettre qu'une partie; ielik Ambar, Général des Troupes du Royaume, défendit toujours le refte avec autant de valeur que de prudence. Voyez les avantures de ce fameux Général , dans le Voyage de Van den Broeck , au Tome X. , pag. 515 & fui vantes. R. d. E. (j) Le genre de mort de ce grand Monarque femble encore mériter une Note. Il fe la don- na en prenant, par mégarde , une pilulle empoi- fonnée qu'il deltinoit à un de fes Courtilans dont il vouloitfe défaire j au-licu de celle qui (i J Voy« le Tom, XI, pag. 3:7. avoit été préparée pour lui-même. L'efFet en fut fi prompt, qu'il n'eût que le tems de mettre fon turban fur la tête de Sultan Seiim, fon fils unique. Il en avoit eu deux autres, nom- més Sultan Pebari , ou Moraad , & Mirzab Da- nijaal. Le premier fut tué en 1599, dans une bataille contre Melik Ambar Général des Troupes du Decan ,• & le fécond mourut peu de tems après. On croit qu'il fut empoifon- né par Selim, fon frère aîné, qui s'étoit ré- volté contre fon Père, en 1602; mais qui obtint enfuite fa grâce. R. d. E. (t) Selim, fils aîné d'Ekbcr , naquit à Fetbepour, à douze lieues d'Egrè , en 1569, monta fur le Trône , en 1605, fous le nom de Noureddin • Dgibanguir, & mourut à Tcbiii' garijii en 1627. C'étoit un Prince effémi- né, qui fe lailfa gouverner par une belle femme , nommée Nour - Dgiban. Otter, ibid, (v) Tous les Voyageurs la nomment Nour • Mabal. (*) Outre le nom de Nour - Mahal que lui donnent la plupart des Voyageurs, elle prenoit encore celui de Nour-Dgiban Begum, qui flgnifie la lumière des Princejjei du Monde ; & c'étoit le nom qui étoitfur fon cachet. On peut voir ci-deffous , dans l'article des Mon- noyés de l'AJte , les principales particularités de l'hidoire de cette Sulrane , qui efl fort remarquable. Nous y ajouterons en même- tems quelques éclaircifTemens , auxquels il fufBt ici de renvoyer le Leétcur. R. d. E. (y) Rhoe, qui étoit alors à la Cour, le nomme Cofronroë , & Corforonne. (2) Après la mort d'Ekbar, les Grands de l'Empire fe partagèrent en deux factions , dont l'une prit le parti de Sultan Cofroe , fils aîné de Selim, prétendant qu'Ekbar l'a- voit déclaré fon SuccefTeur, dans le tems de la révolte de Selim. Cofïoe préfenta la bataille à fon Père, qui mit fes Troupes en fuite, & le fît prifonnier lui-même. Mais il eft faux que Selim eut été arrêté avant l'en- treprife de fon fils. Cet événement efl an- ticipé , & n'a aucun rapport avec les afFai- Qqa ï6' Cha-Tchnn, ou Chihabcd- clin-Chah- Dgihan. 310 DESCRIPTION Dïsciui'TroN ri li l'Isdoustan. Cofron fut jette dans une prifon, où il fut étranglé par Tordre de Chor. (di), fon frère, qui avoit époufé la fille de Mur-Jaham (b). Chor- rom rom ne jouit pas long-tems de fon crime: il fut envoyé dans fon gouverne- ment de Guzarate (c) , où s'étant révolté contre fon père, il fe mit en cam- pagne avec une Armée de foixante mille hommes. Jehan-Guir le vainquit dans trois combats. Chorrom, qui s'étoit fauve, reprit courage après la retraite de fon père. Mais n'ayant pas eu plus de fuccès dans fes nouvel- les entreprifes, il fit la paixj & Jehan-Guir finit tranquillement Ces jours, kBimber^ en 1627 {d). Après fa mort, Bolaki , fils de Cofron, fut appelle au Trône. Chor- rom feignit d'être malade, & fit courir enfuite le bruit de fa mort. On demanda la permiflîon , à Bolaki , d'enterrer fon oncle dans le tombeau de fes pères; & fous ce prétexte , Chorrom déguifé fuivit lui-même fon cer- cueil. Bolaki, qui fortit d'Agra pour aller au-devant du Convoi funèbre, fut furpris parles complices de fon Rival, & n'eut pas peu de peine à fe fauver en Perfe. Aulïi-tôt, Chorrom fe fit jjroclamcr Empereur, fous le nom de CIm- Jehan {e). Il commença fon règne par une guerre con- tre les Portugais , auxquels il enleva la Ville d'Oa-/f. Il avoit déjà quatre :]fs:i. fils. ( 0 ) l(Tioe fe nomme Coronne. (b) Autre erreur que nous avons déjà re- levée dans nôtre Note précédente, où l'on a vu que Chorom avoit époufé la nièce de Nur-Jaham, ou Nour-Mahal, fille d'Afaph- Khan, frère de cette Sultane, dont la fille, qu'elle avoit eu de fon premier Mari, fut don- née à Sultan 5/aiar/af ,1e plus jeune des fils du Grand Mogol , que Nour- Mahal tenta vai- nementde fairemonterfur le Trône. R. d. E. (c) On a lû ie contraire dans le Journal de Rhoe, qui dit que Cofroe fut mis fous la gardé de Chorom, en partant pour aller pren- dre le Commandement des Troupes qui dé- voient fafte la guerre dans le Decan. AiiiTi fut-ce à Brampour que le malheureux Cof- roe finit fes jours par la perfidie de fon frè re, qui fut rappelle à la Cour, pour répo-i- dredefa conduite; mais loin d'obéïr il fe ré- volta contre fon Père , qui mourut penciant cette guerre fans s'être reconcilié avec fon fils. R. d. E. (d) Ce fut au commencement de Décem- bre 1626, &non en 1627, comme quelques Auteurs ledifent, fur de très -mauvais fon- démens. R. d. E. ( e ) Cbibabeddin ■ Cbab - Dgiban , troifième fils de Dgihanguir, naquit en 1592, monta fur le Trône en 1628, & tranfporta le ficge de l'Empire d'Egrè àDilli, en 1647; ce qui a fait donner depuis, à cette dernière Ville, le nom de Dgiban ■ abad. Après avoir rogné trente ans, il fut dépofé par fon fils Eurenk- res de Sultan Cofroe, qui étoit mort depuis quelques années ; de-i^orte que ce ne fut pas lui, mais Chorom qui voulut s'emparer de l'autorité Royale. Mabobet - Khan n'avoit d'abord d'autre motif que de pourvoir à fa propre fureté , contre les intrigues de fes en- nemis , qui le forcèrent à prendre les armes. La fortune le féconda fi bien qu'il arùin l'Empereur, Nour-Mahal, & les principaux Seigneurs de la Cour; & s'il ne rendit pas la liberté à ce Prince , qui je fauva de fes mains, il etl vrai qu'il la lui auroit donnée, & qu'il n'oublia rien pour le perfuader de fa fidélité, en lui f^ifant connoître la perfidie de fes ennemis. Mais toutes fes foumifllons ne purent lui faire obtenir fa grâce. La Rei- ne continua de le petfécuter avec plus d'ar- deur que jamais. Après quelques mauvais fuccèf, Mahobet-Khan dégofitédu monde, fe retira dans un hermitage , où fes ennemis ne le laiflerent pas plus tranquille. Enfin Japb-Kban, frère de Nour-Mi»hal , qui fe fou- venoit des civilités qu'il avoit reçues deMa- hobet, dans le tems qu'il étoit fon prifon- nier , ne pouvant fouftVir qu'un fi brave hom- me périt par les artifices d'une femme, vou- lut tirer parti de cette conjonfl:ure en faveur de Chorom fon Gendre, & engagea Maho- bet à l'aller joindre fur les frontières du De- can, où il fut audi-tôt élevé aux premières charges dans l'A' 'ée du Prince. Nour-Ma- hal fe repentit, uis trop tard de fa folie, & l'Empereur en iut fi affligé qu'étant tombé naïade, il mourut peu de jours après. R. d, E. zib , qui le fit enfermer dans le Château d'E grô , Jre de Chor. [b)' Chor. n gouverne- mi t en cam- le vainquit a^e après ]a ies nouvel- it Hcs jours , lone. Chor- mort. On tombeau de me Ton cer- oi funèbre, : peine à fe ur, fous le guerre con- déjà quatre fils, avons déjà re- lente, où l'on f(i la nièce de , fille d'Afaph' , dont la fille, Mari , fut don- "une des fils du ihal tenta vai. VAne. R.d.E. ans le Journal fut mis fous la lour aller pren- oupes qui de- Decan. Aiiflî Iheureux Cof- lie de fon frè , pour répo'j- 'obéir il fe re- ourut penciant icilié avec fou nt de Decem- mme quelques •mauvais fon- han, troifièoie 1592, monta jjorta le fiège 1647; ce qui ernière Ville, s avoir régné )n fils Etirenk- î Château d'E- Ch^h Jehan Tfîîf ■i .: L,.l. 1 t ' l n^ û^'Hm * *. «.." MIER SUMLA, ::va/>ah, oi^ Û€k^ul d' A UKJEI^G - ZEM , taboddin-ne« hadirChab. Azam-Chah s't'tant emparé de l'Empire & des tréfors de fon Père, ne perdit pas un moment pour fc mettre à la tête d'une Armée. Cha-IIa, lam , qui reçut aufli-tôt cette nouvelle , aflcmbla Tes forces , fe fit proclamer Empereur à Dehiy, & marcha fièrement contre Azam-Chah. Les deux Partis, étant venus aux mains [prés d'Agra], fc battirent avec beaucoup d'animofité. La nuit les fépara : mais le lendemain, Azam-Chah, s'ctanc obftiné à recommencer le combat, fut vaincu , & fe tua dans le mouvement de fon defefpoir (y). Cha-Halam, recueillit les fruits de fa vicloirc, en fe failimt reconnoître aulll-tôt Empereur des Mogois. Ënfuite il tourna tous fes foins contre fon frère Cambash, qu'il fit périr auflî dans un combat (a), & dont la mort le laifTa paifible fur le Trône. Malheureusement cette fucceflion , qui efl; la dernière dont nos Voyageurs & nos Hiftoriens ayent publié l'Hifloire , paroît entièrement démentie par le témoignage de M. Otter , qui donne pour Succefleur , à Aureng-Zeb, Muhammed-Muzcm ^ l'aîné de fti fils. On cefle ici de relc. guer fes obfervations dans ïqs Notes, parcequ'on ne connoît point d'autre éclairciflement fur l'Hifloire moderne de cet Empire. „ Muhammed-Mu- zem partit, dit-il, de Kaboul, à la tête d'une Armée, livra bataille près d'Agra, ï Çow ivèxQ Muhammed-Azem {Azam-Chah) ^ le défit, & fut pro- clamé Empereur fous les noms de Kutebeddin-Behadîr-Cbah^ & de Chah' Akm. Alors, marchant contre {on îvqxq Kiam - Babche , (celui que nos Hiftoriens nomment Cambash, ou Cambax), qui s'étoit établi à Haidcr- Abad, il le fit prifonnier". A la vérité, M. Octer adonné, dans un aytre endroit, le nom de Mu' hammed-Ekbar au fils aîné d'Aureng-Zeb ; & le nom de Chah-Alem qu'il fait {«rendre au Succefleur, n'eft guères diflférent de celui de Cha-Halam. Mais 'aîné des quatre Princes étoit en Perfe , & pouvoit être venu par Kaboul; au-lieu que Cha-Halam n'y pouvoit être alors, puifqu'on le fuppofe à Deh- H; fans compter qu'il ne paroît , par aucune trace, qu'il eût jamais porté lenom deMuhammed-Muzem (a). ■ . Quel- » »» J> S» „,.' . .*i . . . • (9) Plufieurs Auteurs le difent de même; mais les Millionnaires Danois prétendent au contraire qu'il fut tué dans la mêlée, avec fes deux fils , après avoir régné cinq mois. E. d. £. (») Ce Prince n'avoitque cinq cens Ca- valiers. Il fut fait prifonnier & conduit â Badarfcbat où il mourut peu de tems après. R. d. Ë. (a) Le témoignage de M. Otter, loin de démentir celui de tous les autres Voya- geurs & (iifloriens, le confirme pleinement a tous égards. A la vérité il efl aflez diffi- cile de concilier leurs récits, par la variation qui régne dans les noms. Cependant on y parvient avec la connoifTance de ces diffé- rences , qui fixe celle des perfonnes & ^des ( I J M»»wm iijiiifie h fki grMid, événemens. Aurene-Zeb eût cinq fils, dont l'ntné, nommé Mohammed- Moazem , ou fimplemcnt Sultan Mohammed , Gendre du Roi de Goikonde, s'étant enfui au I^engale auprès de Chah-Chuia fon Oncle, fut ramené à la Cour, & conduit prifonnier à Gualeor, où fon Père le fit exécuter, ftiiva'it les MiflîoQ. naires Danois. Quoiqu'il en Toit, il ctoit mort depuis longtemsj ainfi il n'e(l point queûion de lui dans ces dernières rdvoiu- lions. Le fécond fils s'appelloit d'abord Cbnh- Alem-Bbadw, mais depuis la mort de fon frère il pri'noit aufC fouvent fun nom , qui n'elt proprement qu'un titre ( i ). I>Bs qu'on fçait donc que Chab-AIem, DE L'I N 1) O U S T A N, Lrv. III. St5 Quelque jugement qu'on porte ilc ce Uehaclir-Chidi , ce fii ),& que l'Armée Perfane fortiroit des Etats du. Mogol. Le cérémonial fut auflî réglé. Il portpit „ qu'on drefferoit une tente entre les deux Armées; que les deux Monarques s'y rendroient fucceffivement , Nadir -Chah le premier, & Muhammed - Chah lorfque l'autre y feroit entré ; qu'à l'arrivée de l'Empereur , le fils daRoi de Per- fe feroit quelques pas au-devant de lui pour le conduire; que Nadir- Chah iroit le recevoir à la porte & le meneroit jufqu'au fond de la ten- te, où ils fe placeroient en même-tems fur deux Trônes, l'un vis-à-vis de l'autre ; qu'après quelques momens d'entretien , Muhammed-Chah re* tourneroit à fon Camp ; & qu'en fortant, on lui rendroit les mêmes hon- neurs qu'à fon arrivée". Un autre Traître nommé Seadet-Kban , voulut partager avec Nizam-ul- Mulk les faveurs de Nadir-Chah, &prit, dans cette vue, le parti d'en- chérir fur fa méchanceté. Il fit infinuer au Roi que Nizam-ul-MuIk lui avoit manqué dé refpeft , en lui ofirant un préfent fi médiocre , qui ne ré- pondoit ni à l'opulence d'un Empereur des Indes, ni à la grandeur d'un Roi de Perfe. Il lui promit le double, s'il vouloit marcher jufqu'à Dehli; à condition néanmoins qu'il n'écoutât plus les confeils de Nizam-ul.-Mulk, qui j> »» »» (/) Voyage d'Otter, Tom. I. pag. 598 & fil Ivan tes. {g) Ce Seigneur étoit Gouverneur du De- can, &pa(roit pour un des plus grands hom- mes de l'Empire. Mais il avoit reçu, de la piart des Minières de l'Empereur, divers fu- jets de mécontentement, qui ne lui failbient refpirer que la vengeance. C'étoit lui qui avoit facilité l'entrée de l'Inde aux Perfans. La mort du premier Miniftre Kban-Devran , qui avoit été tai à la bataille de Kiernal , n'avoit pas fatisfait toute Ton anlmoHcé,^ quoiqu'elle l'eût laiffé maître abfolu dans le Confei! & dans l'Armée. Muhammed, dans l'embarras de fa dcuation, venoitde le nom» mer tout à la fois fekil • Mutlak , c'eft - à- dire. Lieutenant -Général de l'Etat, & Gé» néraîiflîme de les Troupes. (ï&) Le Kiurour fait cent Leuks. Leieuk fait cent mille roupies; & la roupie vaut environ quarante* cinq fous de nôtre mon* noyé. DE L'I N D 0 U S T A N, Liv. IIL 31? qui le trompoit, qu'il retînt l'Empereur, lorfqu'une fois il l'auroit près de lui, & qu'il fe fît rendre compte du tréfor. Cette propofition, qui flat- toit l'avidité de Nadir-Chah , fut fi bien reçue , qu'elle lui fit prendre aufli- tôt la réfolution de ne pas obferver le Traité (1). Il ordonna un grand Feftin. L'Empereur étant arrivé , avec Nizam-ul- Mulk, fut traité d'abord comwe on étoit convenu. Après les premiers complimens, Nadir-Chah fit figne de fervir, & pria Muhammed-Chah d'agréer quelques rafraîchiflemens. Son invitation fut acceptée. Pendant qu'ils étoient a table, Nadir-Chah prit pccafion des circonftances pour te- nir ce difcours à l'Empereur : „ Eft-il poflible que vous ayiez abandonné le foin de vôtre Etat , au point de me laifler venir jufqu'ici ? Quand vous apprîtes que j'étois parti de Kandahar, dans le deffein d'entrer dans l'In- de , la prudence n'exigeoit-elle pas que quittant le féjour de vôtre Capi- tale, vous marchaffiezen perfonnejufqu'à Lahor, &que vous envoyaf- fiez quelqu'un de vos Généraux avec une Armée jufqu'à Kaboul, pour me difputer les paflages ? Mais ce qui m'étonne le plus , c'efl; de voir que vous ayiez eu l'imprudence de vous engager dans une entrevue „ avec moi, qui fuis en guerre avec vous, & que vous ne fâchiez pas que la plus grande faute d'un Souverain efî de fe mettre à la difcrétion de fon Ennemi. Si , ce qu'à Dieu ne plaife , j'avois quelque mauvais deffein fur vous, comment pourriez- vous vous en défendre? Mainte- nant je connois affez vos Sujets , pour favolr que Grands & Petits , ils font tous des lâches , ou même des traîtres. Mon deffein n'efl: pas de vous enlever la Couronne. Je veux feulement voir vôtre Capitale, m'y arrêter quelques jours, & retourner enfuite en Perfe". En achevant ces derniers mots, il mit la main fur l'Alcoran, & fit ferment de tenir fa parole (*). Muhammed-Chah , qui ne s'attendoit pointa ce langage, parut l'écoir- ter avec beaucoup d'étonnement : mais les dernières déclarations le jettè- rent dans une confternation qui le fit croire prêt à s'évanouir. Il changea de couleur. Sa langue devint immobile, fon efprit fe troubla. Cependant, après avoir un peu refléchi fur le danger dans lequel il s'étoit jette , il rom- pit le filence , pour demander la liberté de retourner dans fon Camp. Na- dir-Chah la lui refufa, & le mit fous la garde d" Jbdul-Baki-Krau , un à^ ks principaux Officiers. Cette nouvelle répandit une affreufe conflernation tlins toute l'Armée Indienne. Ulntimadud-Deoukt (/) , & tous les Omrahs paffèrent la nuit dans une extrême inquiétude ; ils virent arriver, le lende- main matin , un Ofîicier Perfan , avec un détachement , qui après s'être em- paré du tréfor & des équipages de l'Empereur, fit proclamer, dans le Camp^ que chacun pouvoit fe retirer librement avec fes équipages & tout ce qu'il pourroit emporter , fans craindre d'être arrêté ni de recevoir d'infulte. Un moment après , dix Cavaliers Perfans vinrent enlever l'Intimadud-Deoulet. Ils le conduifirent au quartier de l'Empereur, dans leur propre Camp, & le laiffè- Dbscriptiow DE l'Indoustan. Nadir-Chah donne un Feftin au GrandMogor. Difcours qu'il luitient^ » Muhammeâ' Chah ell arrêté. AdrefTe de Nadir- Chah. (0 Otter , ubi fup. pag. 385 & 386. (*) Ibid. pag, 387. {1} Voilà doncle vcritabic titre du Crand- Vifir de l'Indouftan, que d'autres nomment V ^tbamadottht. Rr 3 3î8 Descuiption L'iN'UUUàTAN. Précautions qu'il prend du côté de Dchli. Dntisqiifl ordre il mar- che vers cette Capitale. Pur'rion d'un Tiauvc. D E S C R I P T I O N IciilTcrcnt avec ce Prince. Après la difperfiûn de l'Armée , Nadir-Chah pou- voie marcher droit à la Capitale: mais, voulant pcrfuader au Peuple que fa marche étoit concertée avec Muhammed-Chah , il fit prendre les devants à Seadet-Khan , pour difpofer les efprits à l'exécution de fes defleins. Ce Khan partit avec deux mille chevaux Perfans , commandés par un des fils de Nadir-Chah. Il commença par faire publier, à Dchli, une défcnfe de s'oppofer aux Perfans. Enfuite, ayant fait appeller le Gouverneur du Fort, il lui communiqua des Lettres , munies du fceau de l'Empereur , qui por- toient ordre de faire préparer le quartier de Renchcn-zJbad ^pom'Naàïr-Chsh^ & d'évacuer le Fort, pour y loger le détachement qui l'avoit fuivi. Cet ordre parut étrange au Gouverneur; mais il ne laifla pas de l'exécuter avec une aveugle foumiflfion. Les deux mille Perfans entrèrent dans le Fort. Seadet-Khan prit le tems de la nuit pour s'y tranfporter. Il mit le fceau de l'Empereur fur les coffres, & aux portes des magafins. Enfuite il dreflh un état exaél des Omrahs, des Minillres, des autres Officiers, & de tous les riches Habitans de la Ville , Indiens ou Mahométans. Cette lille de- voit apprendre d'abord, à Nadir-Chah, les noms de ceux dont il pouvoit exiger de l'argent à fon arrivée. Seadet-Khan fit aufli marquer les Palais, qui dévoient être évacués pour loger les Officiers Perfans (m). Cependant le Vainqueur, maître de la caiiTe militaire, de l'artiHerie & des munitions de guerre , qui s'étoient trouvées dans le Camp , envoya tout , fous une bonne efcorte , à Kaboul , pour le faire tranfporter en Fer- fe. Il partit enfuite de Kiernal , dans l'ordre fuivant : l'Empereur , porté dans une litière, accompagné d© Nizam-ul-Mulk , duVifir, de Serbu'end- Khan &. d'autres Orarahs , marchoit à la droite , fuivi de quarante mille Pcr- fans. Une autre partie de fArmée Perfane étoit à la gauche ; & Nadir-Chah faifoit l'arrière-garde avec le refte de fes Troupes. Après plufieurs jours de marche, ils arrivèrent (h) au Jardin Impérial de Chalémar^ où ils paflercni: la nuit. Le lendemain , TEmpcreur fit fon entrée dans Dehli. Lorfqu'il fui: defcendu au Palais, il fit publier que Nadir-Chah devoit arriver le jour fuivant, avec ordre à tous les Habitans de fermer leurs maifons, & défcn- fe de fe tenir dans les rues , dans les marchés , ou fur les toîts pour voir feutrée du Roi de Perfe. Cet ordre fut exécuté fi ponftuellement, qao Nadir-Chah étant entré le 9, en plein jour, ne vit pas un Indien dans Ion chemin. Il alla prendre fon logement dans le quartier de Renchen-Abad, qu'on lui avoit préparé. Seadet-Khan s'étoi; emprelfé d'aller au-devanc de lui jufqu'au Jardin de Chalémar , & l'avoit accompagné au Palais , où il étoit defcendu. Il fe fiattoit d'obtenir une audience particulière , & de lui don- ner des avis fur la conduite qu'il devoit tenir dans la Capitale. Le Roi n'a- yant paru faire aucune attention à fes empreflemens , il ofa s'approcher, pour fe faire entendre. Mais il fut reçu avec beaucoup de hauteur, & me- nacé même d'être puni, s'il n'apportoit auffitôt le préfent qu'il avoit pro- mis. Un traitement fi dur lui fit reconnoîtrc d'où partoit le coup. Nizam- ul-IVIuIk, qui avoit feint pendant quelques jours de l'affocier à l'a trahifon, mais Cj?0 Otter, uh' [up. pag. 390 & précédentes. {n) Le 7 de Zii-lladgc, qui répond au mois ai Mars. mais avoit foi. rant le len Le deD( DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 319 de l'anillerie DE l'Ibooustan. Carnage de Perfans dans Dehlit Vengeance fju'ils en tircni. mais qui étoit trop habile pour vouloir partager avec lui la faveur du Roi, De$criptio» avoit déjà trouvé les moyens de le perdre , en faifant foupçonner fa bonne- foi. Le malheureux Seadct-Khan épuifa toutes fes reflburces ; & defefpé- rant de l'emporter fur fon Rival , il prit du poifon , dont on le trouva mort le lendemain Ço). Le même jour, un bruit, répandu vers h foir, perfuada aux Habitans de Dehli que Nadir-Chah ctoit mort. Ils prirent tumultueufement les ar- mes; & leur haine les portant à faire main-bafle fur tous les Perfans qu'ils renconcroient dans les rues , on prétend que dans ce tranfport , qui dura toute la nuit , ils en firent périr plus de deux mille cinq cens. Quoique le Roi en eût été d'abord informé , la crainte de quelque embufcade lui fit attendre le lendemain pour arrêter le defordre. Mais au lever du Soleil j s'étant tranfporté à la Mofquée de Reuchenud-dewlet , le fpeftacle d'un grand nombre de Perfans, dont il vit les corps étendus, le mit en fureur. 11 ordonna un maflacre général , avec permilfion de piller les maifons & les boutiques. A finflant, on vit fes Soldats répandus, le fabre à la main, dans les principaux quartiers de la Ville, tuant tout ce qui tomboit fous leurs coups, enfonçant les portes & fe précipitant dans les maifons, hom- mes, femmes, enfans, tout fut malTacré fans diftinftion. Les Vieillards , les Prêtres & les Dévots , réfugiés dans les Mofquées , furent cruellement égorgés en récitant l'Alcoran. On ne fit grâce qu'aux plus belles filles, qui échappèrent à la mort pour affouvir la brutalité du Soldat , fans aucun égard au rang , à la naiffance , ni même à la qualité d'Etrangère. Ces Bar- bares , las enfin de répandre du fang , commencèrent le pillage. Ils s'at- tachèrent particulièrement aux pierres précieufes , à l'or , à l'argent ; & leur butin fut immenfe. Ils abandonnèrent le refle; & mettant le feu aux maifons , ils réduifirent en cendre plufieurs quartiers de h Ville. Quelques Etrangers, réfugiés dans la Capitale, s'attroupèrent pour la défenfe de leur vie. Les Bijoutiers, les Changeurs, les Marchands d'é- toffe , fe raffemblèrent près d'eux. L'Intendant dès meubles de la Couron- ne fe mit à leur tête , avec Iman - Eddîn , Médecin de la Cour. Ils fe bat- tirent,, quelque-tems, en defefpérés. Mais n'étant point accoutumés à ma- nier les armes , ils n'eurent que la fatisfaélion de mourir le fabre à la main, L'Auteur afllire qu'il périt, dans ce maffacre, plus de deux cens mille per- fonnes. Un grand nombre de ceux qui échappèrent au carnage prirent heureufement la fuite (p). NiZAM-CL-MuLK & le Grand- Vifir, penfant à fauver le refle delà Ville, allèrent fe jetter aux pieds de Nadir-Chah pour lui demander grâce. Il donnoit ordre, en ce moment, de porter le fer & le feu dans les autres quartiers. Les deux Omrahs furent mal reçus. Cependant , après avoir exhalé fon courroux dans un torrent d'injures & de menaces , il fe laifTa toucher ; & l'ordre fut donné aux Officiers de rappeller les Troupes. Les Habitans reçurent celui de fe renfermer dans leurs maifons , & la tranquillité fut auifi-tôt rétablie. Lu (») Ibid, pag. sCt. (p) Ibidem pag. 395 & précédentes. 320 DESCRIPTION Description De l'Indoustan. L'ordre eft rétabli à D';hli. Avidité de Nadir-Chah pour les ri- chefTrs des Mogols. I Le lendemain, on obligea les Soldats de rendre la liberté à toutes Jes femmes qu'ils avoient enlevées , & les Habitans d'enterrer tou« les cada- vres , fous peine de mort. Ces malheureux demandoient le tems de fépa- rer les corps des Mufulmans de ceux des Indiens idolâtres , pour rendre les derniers devoirs à chacun , fuivant leur religion : mais , dans la crainte que le moindre délai ne fît recommencer le malfacre, ils firent, à la hâte, les uns des fofles dans les marchés , où ils enterrèrent leurs amis pôle-méle, les autres des bûchers , où ils les brûlèrent fans diftinftion. On n'eut pas le tems, jufqu'au départ des Perfans, de penfer à ceux qui avoient été tués dans des lieux fermés; & ce fut alors un fpeftacle horrible, de voir tirer, desmaifons, les cadavres à moitié pourris. Seïd-Khan & Chehfurav-Khan ^ l'un parent du Vifir, l'autre de Khara - Khan , qui avoit été tué à la bataii- le, furent accufés, avec Reiman, Chef des Tchoupdars , ou des Huiffiers de l'Empereur, d'avoir tué, dans le tumulte, un grand nombre de Perfans. Na- dir-Chah leur fit ouvrir le ventre ; l'ordre fut exécuté aux yeux de Nizam- ul-Mulk & du Vifir, qui avoient employé inutilement tout leur crédit pour les fauver. Nadir-Chah fe fit apporter d'Audih , le tréfor de Seadet-Khan , qui montoit à plus de dix leuks de roupies. Murïd-Khan fut envoyé au Benga- le , pour fc faifir de la caifl'e des impôts. Nizam-ul-Mulk & le Vifir eu- rent ordre de remettre la caifle militaire, qui étoit d'un Kiurour de rou- pies, lorfqu'ils étoient fortis de la Capitale pour marcher contre les Per- fans. Ils furent fommés auffi de faire venir, de leurs gouvernemens , les fonds qu'ils y avoient en propre , & ceux qui appartenoient à l'Empereur. Nizamul-Mulk eut l'adrefie de fe tirer de cet embarras : „ Vous Içavez, Seigneur , dit-il au Roi , que je vous fuis dévoué , & que je vous ai toujours parlé fincèrement; ainfij'efpère que vous ferez difpofé à me croire. Lorfque je partis du Dekan, j'y établis mon fils en qualité de Lieutenant, & je rerais entre fes mains tous les biens que je polTé- dois. Tout le monde fçait qu'il ne m'efl plus foumis , & qu'il ne dépend pas de moi de le faire rentrer dans le devoir ; vous êtes feul capable de le réduire, & de foumettre les Rajas du Dekan, qui font autant de rebelles. Outre les tréfors que mon fils a raflemblés , vous pourrez le- ver de fortes contributions fur ces fiers Rajas , qui ne refpeélent plus au- cune autorité. Nadir-Chah fentit toute radrefl*e de cette réponfe ; mais comme Ni- zam-ul-Mulk lui étoit encore nccefl^aire, il prit le parti de diflîimuler, & ne parla plus du tréfor du Dekan. Le Vifir fut traité avec moins de ména- gement. On le croyoit très-riche. Le Roi , n'ayant pas réulTi à l'intimi- der par des menaces , fit venir fon Secrétaire, qu'il accabla d'injures, en le preflant de repréfenter fes comptes ; & loin d'écouter fes raifons , il lui fit couper une oreille. Le Vifir fut expofé au Soleil , ancien genre de fiip- plice dans les Pays chauds. Cette violence lui fit offrir un Kiurour de rou- pies, fans y comprendre quantité de pierres précieufes, & pUifieurs élé- phans. Le Secrétaire fut taxé à de grofles fommes, & remis entre les mains deSerbulend-Khan, avec ordre d'employer les tourmens pour fc faire payer. Mais il fc délivra de cette vexation par une mort volontaire. Nadir- *> »> » »> DE L'INDOUSTAN, Liv. III. 32t Nadir-Chah, n'épargnant pas même les Morts, mit garnifon dans les Palais de Muzaffer - Khan , deMirklu, & de quantité d'autres Omrahs qui avoient perdu la vie au combat de Kiernal. Il tira de leurs héritiers un Kiurour de roupies. Comme la Ville ne ceflbit pas d'être invertie, les Habitans qui entreprenoient de fe fouflraire aux vexations par la fuite , tomboient entre les mains des Troupes Perfanes, & périflbient fans pitié. Bien-tôt on manqua de vivres, & la famine augmenta les maux publics. Plufieurs Etrangers, préférant le danger d'être maltraités par les Perfans au fupplice de la faim, fe jettérent en corps aux pieds de Nadir-Chah, pour lui demander du pain. Il fe laifla toucher par leurs prières, & leur permit d'aller chercher du bled, pour leur fubfiftance, du côté de Ferid-Abad; mais , faute de voitures , ils étoient obligés de l'apporter fur leurs têtes. Enfin Nadir-Chah fe fit ouvrir le tréfor Impérial & le garde-meuble, auxquels on n'avoit pas touché depuis plufieurs règnes. Il en tira des fem- mes ineflimables , en pierreries , en or , en argent , en riches étoffes , en meubles précieux, parmi lefquels il n'oublia point le Trône du Paon, évalué à neuf Kiurours ; & toutes ces dépouilles furent envoyées à Kaboul, fous de fidèles efcortes. Alors, pour fe délafler des fatigues de la guerre, il pafla plufieurs jours en promenades, & d'autres en feftins, où toutes les délicatefles de l'Inde furent fervies avec profufion. Les beaux édifices , & les autres ouvrages de Dehli, lui firent naître le deflein de les imiter en Perfe. Il choifit, entre les Artifles Mogols , des Architeéles , des Menui- fiers , des Peintres , & des Sculpteurs , qu'il fit partir pour Kaboul avec le tréfor. Ils dévoient être employés à bâtir une Ville & une Forterelle, d'a- près celles de Jehan-abad. En effet il marqua, dans la fuite, un heu près de Heniedan, pour l'emplacement de cette Ville , qui devoit porter le nom de Nadir- Abad. Les guerres continuelles, qui l'occupèrent après fon re- tour , ne lui permirent pas d'exécuter ce noble projet : mais , pour laiffer à la pollérité un monument de fa conquête, il fit battre, à Dehli, de la monnoye d'or & d'argent , avec laquelle il paya fes Troupes. On affura l'Au- teur de ce récit, qu'il fit battre auffi de ces pièces à Surate & dans le Bengale. Mais elles n'eurent point de cours dans la Capitale ; & vraifembla- blement elles n'en eurent pas plus dans les deux autres Pays (q). Après avoir épuifé le tréfor Impérial & toutes les richeffes des Grands, Nadir-Chah fit demander, à Muhammed-Chah , une Princeffe de fon fang, nommée Kianibahche, ipour Nafrullab-MirzaCorï fils, & ce Monarque n'ofa la lui refufer. Le mariage fe fit dans la forme des loix Mufulmannes ; mais il ne fut point accompagné d'un feftin , ni d'aucune marque de joye. Sa politique ne fe bornoit point à l'honneur d'une fimple alliance. Comme il prévoyoit trop de difficultés dans la conquête d'un fi vafte Empire, &de rimpoffîbilité même à le conferver, il vouloit s'alfurer du moins d'une par- tie de l'Inde. Le lend'^main de la cérémonie, il fit déclarer à l'Empereur qu'il falloit céder aux nouveaux Mariés la Province de Kaboul , avec tous les {q) Quelques-unes de ces monnoyes c'e(\-à-d\rc, le Prince des Princes du Monde, avoient pour légende : Sultan ber Selatini- le Roi des Rois , la Merveille de h Perfe ^ du Dgiban • Cbab - Cbuban • Nadir ■ IranuZeman ; Siècle. XIII, Part, S s DcscnirTio» DE l'Indoustan. Elle s'exerce jufques fur les Morts. Nadir-Chah s'empare du tréfor Impé- rial. Il enlève lesi^rtifles de Dehli, pour un grand projet. Monnoye] qu'il fait battre. Il marie fon fils avec une Princefle Mogole. Ceflîon d'une partie des lîtats du Mogol à Nadir-Chah. Il 322 DESCRIPTION DfiscRiPTioN les autres Pays de l'Inde, fitués au-delà de la Rivière d'Etek. Dans la né- ,j °^ ceflfité de céder à la force, Muhammed, par un écrit figné de fa main 6c LiNDousTAN. ^^^_jj^, j^, ç^^ ^-^^^^^ ^j,^^^ abandonna fcs droits fur de li belles Trovinces. Na- dir-Chah ne longea plus alors , qu'à groHir les richeflcs par de nouvelles ex- torlions. 11 exigea des Omrahs & de tous les Habitans de la Ville, des fommes proportionnées à leurs forces , fous le nom de préfent. Quatre Seigneurs Mogols, chargés de l'exécution de cet ordre, firent un dénom- brement exa6l de toutes les maifons de la Ville , prirent les noms de ceux qui dévoient payer , & les taxèrent enfemble à un Kiurour& cinquante Leuks de roupies : mais lorfqu'ils préfentèrent leur lille au Roi , cette fomme lui parut trop modique ; & devenant furieux , il demanda fur le champ les qua- tre Kiurours que Seadet-Klian lui avoit promis. Les Commillàires eifrayés divifèi'ent enir'eux les différcns quartiers de la Ville, & levèrent cette fom- me avec tant de rigueur, qu'ils firent mourir, dans les tourmens, plufieurs perfonnes de la plus haute diftinftion. A force de violence, ils ramafl'érent trois Kiurours de roupies , dont ils dépofèrent deux & demi dans le tréfor de Nadir-Chah , & gardèrent le refte pour eux. Un Dervis, touché de cora- pafllon pour les malheurs du Peuple, préfenta au terrible Nadir-Chah un é- crit, dans ces termes: „ Si tu es Dieu, agis en Dieu. Si tu es Prophète, conduis-nous dans la voye du falut. Si tu es Roi, rends les Peuples heu- reux, &ne les détruis pas". Nadir-Chili répondit , fans s'émouvoir: „je ne fuis pas Dieu, pour agir en Dieu; ni Prophète, pour montrer le che- min du falut; ni Roi, pour rendre les Peuples heureux. Je fuis celui que Dieu envoyé contre les Nations fur JefqueJles il veut faire tomber fa ven- geance (i")". Nadir-Chah Enfin, content de fes fuccès dans l'Inde, il fe prépara férieufement à partdeDehli. j-gtoumer en Perfe. Le 6 de Mai, il aflembla au Palais tous les Omrahs, devant lefquels il déclara qu'il rétabUlfoit l'Empereur dans la pofTefllon libre de fes Etats. Enfuite , après avoir donné à ce Monarque plufieurs avis fur la manière de gouverner, il s'adreffa aux Omrahs, du ton d'un Maître irrité: Je veux bien vous laiiler la vie, leur dit-il, quelqu'indignes que vous en foyezj (r) La datte de cet Acte ell du mois Mm- barrem, l'an de l'Hegirt; 1 152; ce qui revient au mois d'Avril 1739. On a rapporta les noms des Pays dans l'Articlo Géographique : mais le préambule de l'Aile ne mérite pas moins d'at- tention par la fingulaiité des motifs: „ l.e „ Princedcs Princes, le RoidesRois, l'om- „ bre de Dieu fur la terre, le Protecteur de „ Vljî.vn (c'efl à-dire de la vraye foi), le „ fécond Alexandre, le puifTant Nadir Chah, „ que Dieu falfe régner long ■ tems , ayant „ envoyé ci-devant des Ambaifadeurs auprès „ de moi , proflcrné devant le Trône de Dieu, ,, j'avois donné ordre de terminer les affaires „ pour lefquelles ils étoient venus. Le même dépêcha depuis, deKandehar, [leTurc- man MubammedKban,en qualité d'Ambaf- fadeur,]pour me faire fouvenir de fes de- mandes: mais mes Miuiltrcs ramurc'reut,& il » >> 5» jj >> »» »» tâchèrent d'éluder l'exécution de mes or- dres. Cette mauvaife conduite de leur part a fait nnîrre de l'inimitié entre n." '. Ellea obligé Nadir-Chah d'entrer dan» . Inde a- veC une Armée. Mes Généraux lui ont livré bataille auprès de Kiernal, Il a remporté la victoire,' ce qui a donné occafion à des négociations, qui ont été terminées par une entrevue quej'ai eue avec lui. Ce grand Roi elt enfuite venu avec moi jufqu'à Chah-Dgi- han-Abad. Je lui ai offert mes richeffes, mes tréfors & tout mon Kmpire ; mais il n'a pas voulu l'accepter en entier , & fe conten- tant d'une partie, il m'a laill'é Maître, comme j'étois, delà Couronne & du Trône. En confideration de cette générofité , je lui ai cédé, &c. Otter , pag. 404 & fuivantes. (j) Il/id. pag. 414. „ de f| „ de n 'liii DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 3^3 „ foyez; mais fi j'apprcns à l'avenir que vous fomentiez dans l'Etat refprit , de faèlion <& d'indépendance, quoiqu'éloigné, je vous ferai fentir le poids de ma colère , & je vous ferai mourir tous fans miféricorde (0 "• 'I'els furent fes derniers adieux. Il partit le lendemain, avec des ri- chefTcs imnienfes , en pierreries^ en or, en argent, qu'on évalua pour fon pri'pre compte à foixante & dix Kiurours de roupies ; fans y comprendre le butin de. fcs Officiers & de fes Soldats, qu'on fait monter à dix Kiurours. L'Auteur évalue toutes ces fommes à dix-huit cens millions de nos livres , indépendamment de tous les effets qui avoient été tranfportés à Kaboul. L'Armée Perfane marcha , fans s''arrêter im feul jotir , jufqu'à Serhind (u). De-là Nadir-Chah fit ordonner à Zekierïa-Khan , Gouverneur de la Province de Lahor , de lui apporter un Kiurour de roupies. Ce Seigneur , à qui les vexations de la Capitale avoient fait prévoir qu'il ne feroit pas épargné , te- noit des groifes fommes prêtes, & le mit aufli-tôt en chemin, avec celle qu'on lui demandoit. Sa diligence lui fit obtenir diveries faveurs, & la li- berté d'un grand nombre d'Indiens, que le Vainqueur cnlcvoit avec les dé- pouilles de leur Patrie. Mais il ne put la faire accorder à cinquante des plus habiles Ecrivains du Divan , que Nadir-Chah faifoit emmener , dans le delfein de s'inftruire à fond des aftaires de l'Inde. Ces Malheureux , n'envifageant qu'un trille efclavage , cherchèrent d'autres moyens pour s'en délivrer. Quel- ques-uns prirent la fui(;e. D'autres, que cette raifon fit reflerrer avec plus de rigueur, fe donnèrent la mort, ou fe firent Mufulmans (.v). La diihculté, pour les Perfans, étoit à fe rapprocher de la Province de Kaboul. Ils n'étoient plus maîtres, ni de la Capitale, ni de la Perfonne de l'Empereur, dont la captivité avoit tenu toutes les parties de l'Empire dans la conllernation & le refpcft. Ils avoient à paflfer le Tchenav , ou le Che- nab, rindus, & d'autres Rivières, dans un tems où l'abondance extraordi- naire des eaux ne leur permettait pas d'y jetter des ponts. On n'a pas dou- té que fi les Ai gans, Peuples qui habitent à l'Occident de l'Indus, avoient exécuté la réfolution qu'ils formèrent, d'attaquer au paflîige une Armée char- gée de butin , Nadir-Chah n'eût été perdu lans reffource. Mais la fertilité de fon efprit le tira de ce danger. Dix leuks de roupies , qu'il diftribua aux Chefs de la ligue, firent évanouir tous les projets. Les eaux diminuèrent; on jetta un pont fur le Fleuve, & l'Armée pafl!a fans obftacle. Alors il prit une réfolution , que l'Auteur met au rang des plus grandes aftions de fa vie, & qu'il ne put croire, dit-il , qu'après fe l'être fait attefler par plu- fieurs témoins dignes de foi. Il fit publier, parmi fes Troupes, un ordre de porter à fon tréfor tout le butin qu'elles avoient fait dans flnde, fous prétexte de les foulager, en Ijb chargeant de ce quipouvoit les embarraifer dans letir marche. Elles obéirent : mais il pouffa l'avidité plus loin. On lui avoit appris que les Officiers & les Soldats avoient caché des pierreries : il les fit fouiller tour à tour, en partant} & leur bagage fut vifité avec la mé- Descbiptiow l'Induujtan. Ses adieux aux Omiahâ. Dangers dont fon bonheur le tire. Aflion ex- traordinaire de Nadir- Chah. (t) Orter, Tome II. p:iç 90. (u) Ibidem, pag. 92. Scilijn .'ingt miles de Dehli , cSc au inôi.,^ ^ ^ ment de Lahor, à trois jouruties de Smiana, X w,.,^ .IX. i,.,ci. y^. qui efl une autre Ville à l'Oiieft. FzVot/3 Cfcafc (v) Ibidem, pag. 92. Seilijnd eft à cent y fit bâtir un Fort l'an de l'Htgire 753, & lui vingt miles de Dehli, tSc au môme éloig"e- donna \c nom de Firouz-.iibad, '■■-■-' ' " (^^^ /^j^_ p;)g, g^^ Ss 2 324 DESCRIPTION Politique qui la fait réiiflir. Description même rigueur. Ainfi rien ne put échapper à Tes recherches. Maïs, après ,j °^ s'être emparé de tout ce qu'on découvrit, il fit diftribuer à chaque Soldat L NDousTAN. (. j^q ^ens roupics , & quelque chofe déplus aux Officii;rs, pour les confo. 1er de cette perte. Il doit paroître étonnant que toute l'Armée ne fe fût pas foulevée contre lui , plutôt que de fe laifler arracher le fruit d'une (i pénible expédition. L'Auteur obferve que ce qui arrêta le foulevement fut l'adrefTe qu'il avoit toujours , de femer danL' l'efprit de Tes Sujets , fur. tout de ceux qui compofoient fes Armées , une défiance mutuelle , qui les empéchoit de fe communiquer leurs defleins. Plufieurs , à la vérité , fon- gèrent à déferter : mais la crainte d'être maflacrés par les Indiens , les re- tint, & le fervice n'en devint que plus exa6l (y). Derniers D'autres Indiens voulurent difputer le palfage aux Perfans. Nadir- f'^in'^'r*'"'' ^^^^» ^^ laflant départager fes richeflTes avec fes Ennemis, fe fit jour par la force des armes : & les ayant obligés de prendre la fuite , il les fit pour- fuivre par divers détachemens , qui pénétrèrent dans leurs habitations , où ils mirent tout à feu & à fang. Le dernier obflacle qu'il eut à vaincre fut dans la Province de Pekier^ dont le Gouverneur, ayant refufé de fe fou- mettre à fes armes, ruina le Pays par lequel il devoit pafler, empoifonna les puits en y jettant du bois de Zakkoiim^ & faccagea, par le feu, les fo- rets & les campagnes ; enfuite renfermant tous fes tréfors dans la Forteref- fe d'Emir-Kiout^ fituée fur la Rivière de Heji-Niid^ il fit entrer une partie des Tribus dans celle de Habful-Emïr ^ & fe fortifia lui-même dans celle dQ Khuda-Jbad j avec une Armée de cinquante mille chevaux & d'autant d'in- fanterie, pour en défendre les approches. Mais il ne réfifta pas long-tems à la fortune d'un Ennemi, qui employoit l'artifice aufli heureufement que la valeur. Nadir-Chah trouva le moyen de fe faifir du Gouverneur & de fon fils ; après quoi , paflant la Rivière de Hefl-Nud , il s'empara du Fort d'Emir-Kiout , & de toutes les richeffes qu'on y avoit raflemblqes. Pen- dant le chemin qui lui reftoit jufqu'à Kaboul , il envoya plufieurs beaux chevaux de fon écurie, avec d'autres préfens, à Muhammed-Chah; & toute fa retraite eut l'air d'un nouveau triomphe. On apprit , avec beau- coup de joye, dans l'Inde, qu'il avoit repris la route de Kandahar; & l'inquiétude diminua par degrés, jufc^u'à l'heureufe nouvelle de fon retour en Perfe. (3.) Ibid. pag, 94. Avant que de pafler l'Indus, Nadir-Chah s'étoit rendu à Rebnas, Ville & Fort à l'Orient de la Rivière d'Etek , fur le bord de celle deSuvat, à une journée & demie au Sud de Ferbalé. On remarque toutes ces Places , en faveur de la Géogra- £hie. Le même motif fait obferver , d'après I. Otfer, que Mu'.tan, Ville fameufe, dont on a vu la Defcription dans deux articles précédcns , n'eft pas feulement très-confidé- rable par elle-même, mais encore par fon diftrift qui eft fort grand. Il s'étend , du cô- té del'Oueftjjuiqu'à la frontière àçMekran, & vers le Sud jufqu'à Manfouri. Multan eft défendu par un bon Fort, On voit, aux eivi- rons , des vignes & des jardins d'une demie lieue de longueur, accompagnés de fort beaux Palais. Les femmes du Pays font braves , manient les armes comme les hom- mes, & montent bien à cheval, Ibid. Noce de la pag. 99. Nota. Nous retranchons de cette Remar- que quelques circonftances qui ont déjà été rapportées , & dont M. Prevofl ne fe fouvc- noit plus. R. d. £. % II ï- DE L'IN D O U S T A N, Liv. III. 325 5. III. • Etat de la Cour du Mogol depuis le départ de Nadir-Chah. LES détails font précieux lans un Voyageur exaél «& fidèle; fur-tout ceux qui regardent un P; vs, avec lequel on a peu d'autres communi- cations. Recueillons, avec confiance, ce que M. Ottcr a jugé digne de la fienne. Quoique Muhammed-Chah n'eût pas pénétré toute la trahifon de Nizam-'il-Mulk, il avoit de fortes raifons de fe défier de fa conduite. Mais, le voyant protégé par Nadir-Chah , il fe vit dans la néceffité de lui laifler l'adminiftration. Ce Minillre aftif ne négligea rien pour confirmer fon pou- voir. Il s'attacha d'abord à mettre dans ^s intérêts tous les Partifans du dernier Miniflre, & des autres Omrahs qui avoient péri à Kiernal & dans la fuite des troubles. A la vérité, ce fut aux dépens des légitimes héritiers des Morts, qu'il dépouilla de leurs biens & de leurs emplois, pour les dif- tribuer à fes nouvelles Créatures. Cette conduite lui fit des ennemis parmi les Grands; mais elle lui afliiroit la faveur populaire ; &, ce qu'il fe propo- foit encore plus , elle fervoit à diflîper le foupçon de fa perfidie. Cepen- dant l'Empereur leva le mafque de la dilfimulation , lorfqu'il le vit affefter de maltraiter & d'éloigner les anciens Serviteurs de la Cour ; & pour faire fentir, par un coup d'autorité, combien cette injuftice lui déplaifoit , il rappella, malgré lui, Emir-Khan & Lhak-Khan. Le premier fut revêtu de la troifième dignité militaire de l'Empire, avec le Gouvernement d'Allah- Abadr, & le fécond, delà qualité de Secrétaire d'Etat. Ces deux Omrahs entreprirent , de concert , d'enlever à Nizam-ul-Mulk la plupart de fes Créa- tures , de le traverfer dans ftz entreprifes & de lui caufer toutes fartes de dégoûts. Le grand Vifir toujours attaché à l'Empereur, & perfonnelle- ment ennemi de Nizam-ul-Mulk, favorifa fecrétement leurs mefures (a). Cette nouvelle divifion , dont on fut bien-tôt informé dans les Provin- ces , y fit naître de nouveaux defordres. Un Gouverneur fubalterne de cel- le d'Ekbar-Abad prit le nom de Deranîi-Chah ^ & s'étant mis à la tête d'un Corps de Cavalerie & d'Infanterie , fe rendit maître de fon Canton. A fon exemple, d'autres petits Gouverneurs fecouèrent le joug, & s'érigèrent en autant de Souverains. Dans l'intervalle, Azlm-Ullah-Khan , devenu enne- mi de Nizam-ul-Mulk , s'étoit lié d'intérêts avec Emir-Khan. Il s'offrit pour les réduire. On lui donna un corps de bonnes Troupes , & tout ce qui pouvoit aflurer le fuccès de fon expédition. Il défit & difperfa les Rebelles. Muhammed-Chah prit occafion de cet important fervice, pour le nommer Général de fes Armées. Son crédit augmentant de jour en jour, il fe joi- gnit aux ennemis de Nizam-ul-Mulk. Ces Omrahs engagèrent l'Empereur à fortir de la Capitale, fous prétexte d'une partie de chafle. Lorfqu'ils le virent hors de Dehii, c'efl: à-dire, afl!*ez libre pour les écouter tranquille- ment , ils lui propofèrent de délibérer fur les moyens de fe délivrer de fop- prelfion du Miniîlré. Dans ce confeil fecret, on réfolut d'envoyer Seïi- (a) Otter, uiifup. pag. 107 & fuiv. Ss 3 Drscriptioîï DE V,'IND0U5TAN. Nizam - ni- Mulk fe fou- tient dans l'adminillra- tion. L'Empereur s'tfForce de le perdre. Ligue for. mée contre lui. Confeîl tenu horsdeDchlù 325 DESCRIPTION Ilibili'tido Nizini ■ ul- Miilk. DrscdTPTioN Muhammed-Khan ù Nadir-Chah , pour fe plaindre de lu mauvaifc adminiflra- ., "^'^ tion de Nizam-ul-Alu!k. On convint aiilli que l'Empereur eeriroit à lladn tiNoousTAN. ^^^ p^^j^. j.^.n^.i^^.r i chairer, du Djkan, le fils de Nizain-ul-Mulk , avec promefTe de le rL\'etir lui-mcme de ce Cîouvernjmjnt. Emir-Khan fechar- gea de rappeller a la Cour cous les Seign.urs que le Minillre en avoit cloi. gnés, fur-cout Aluhammcd-Kiian & Çvs fils. Après avoir pris ces mcfurcs l'Empereur ik les Oniruhs rentrèrent fans affeftation dans la Capitale (/;).' Malheureusement pour le llicces de leurs vues, le grand Villr é- toit vivement picqué de voir croître la faveur d'Eiuir-Khan , & la ficniie diminuer de jour en jour. Sa parefie lempèchoit d'agir ik d'écouter Ton rellentiment. Mais Nizam-ul-MuIk, plus aèlif, découvrit les difpontions & ne manqua pas d'habileté pour les féconder. Sans pénétrer les deUlins qui le formoicnt contre lui-même, il ^ /oit le cœur ulcéré. Non-ieuLin-;.: l'Empereur n'avoit pas voulu confentir à renvoyer Emir-Khan dans fonGoii. verncmenc d'Allah-Abad, ik à éloigner Ishal^-Khan; riais il marquoit fi pcii d'égard pour Tes demandes, qu'il lui avoit rcfufé de donner à ion fils (nizl Eddin le commandement de l'artillerie, ik à Hafiz-Eddin l'Oluce de Sccrt;. taire d'Etat. Dans fi^n chagrin, Nizam-ul-Mulk réfiDlut de fi; lier avec !c grand Vifir, qui malgré la toiblefle de fian autorité, confi;rvoit une fiji-tt de puiiVance par les richefTes ik par le nombre de fiis domelliques & de fis créatures. Il le prit en particulier ; ik feignant d'avoir oublié leurs an- ciennes divifions, il lui repréfenta vivement ce qu'ils avoient tous deux i craindre du Parti oppofé. „ Ne vous appercevcz-vous pas, lui dit -il, „ que depuis quelque -tcms nous fommes ici des Serviteurs inutiles, e\: „ que cet état nous expofe au mépris ? Le feul parti qu'il y ait à pren- dre efl: de nous unir étroitement ; feignons de vouloir quitter la le Vifir .. feindre de fe retirer avec lui. Cour. Le befoin qu'on a de nous fera bien - tôt renaître notre conlidé- ration (t)". Cette feinte parut dangereufe au Vifir. Mais Nizam-uI-Miilk revint fi fouvent à la charge , en lui repréfentant que l'Empereur ne pouvoit fe pafler de leurs ferviccs, & lui promettant de le rendre maître du Confeil, s'ils en chafiToient ime fois les Khans Emir «& Ishak , qu'il le fit confentir à préfenter chacun leur Requête , pour demander la permiffion de fe retirer. Mais ils furent extrêmer^- nt furpris de fe voir prendre au mot, à la foili- citation d'Emir & d'Ishak, qui excitèrent l'Empereur à profiter d'une fi belle occafion de fe délivrer d'eux. Dans leur indignation , ils firent fortir fur le champ, de la Capitale, tous leurs gros bagages; & ramaflant dans un feul jour dix-fept mille fulils , dont ils armèrent un même nombre d'hom- mes, ils partirent le 6 du mois de ^il-Kadè , qui répond au mois de Fé- vrier 1740. (d). Les circonllances de leur départ effrayèrent jufqu'aux deux Khans, Au- teurs de leur difgrace. Ils craignirent un defiein formé de fufciter de nou- veaux troubles j & leur foiblefle , autant que leur imprudence , les fit courir à l'Empereur, pour lui repréfenter que tout étoit à craindre de deux Enne- mis fi puiflTans , qu'on ne pouvoit trop fe hâter de prévenir leur révolte , & •- • qu'il (fr; Pag. m, (c) Pag. 113. (rf) Pag. 114. DE L'I N D 0 U S T A N, Liv. III. 327 qu'il falloit fur le champ les fatisfaire tous deux. Muhammecl-Chah, frap- pe de l'embarras de Tes tieux lavoris, *S: ne trouvaiu perfonne autour de fui qu^tûtadcz de fermeté pour lui en inlpircr, fe ri-ndit à lc(U' coufeil, & leur lailTa la liberré d'agir en fon nom. Jv.nir-Khun le tranfporta aulfi- tut à la tente du Vifir, qui titoit campé hors de lu Ville. Après lui avoir rcpréf^nté le chagrin que fa '"uite caufoit à l'Kmperiiir, & ki douleur qu'il en relïentoic lui-même, il le preflii iiiflamnient de revenir. Cette propofi- tion ne déplut point au Vifir, qui n'.ivoit quitté la Cour qu'à regret: mais ne voulant fe déterminer à rien, fans la participation de Nizamul JVlulk , il déclara qu'il s'en remettoit à la decilion de ce Minillre. Emir • Khan ne balan(;a point à monter avec lui dans un Palanki {c). Ils fe rendirent à la tente de Nizam ul-iNlulk, où Emir-Khan ne fit pas diffieulté de fe profter- ner à fes pieds, ik de lui demander grâce pour le palTé. Nizam -uî-Mullc coniéntit à rentrer dans Dehii , à condition qu'ICmir-Khan fe rerireroit dans fon (Gouvernement. En effet ,' ce timide Favori, étant retourné à la Ca- pitale, donna ordre que fes tentes & fes bagages fulfent tranfportés del'au- tfj côté de la Rivière. Enfuite il fe rendit auprès de l'Empereur , & l'ayant informé du fuccès de fa négociation, il lui demanda la permilfion de fc re- tirer. Elle lui fut d'abord refufée: mais fes inllances ik le prétexte du bien public la lui firent obtenir. Ishak-Khan crut que le moyen de ie juftifier étoit de rcjetter, fur Emir-Khan , la caufe de tous les troubles. Quelques foumiffions, accompagnées d'une promelfe de fidélité qu'il fit aux deux Mi- nillres , lui firent conf. ver fon poile. Le Vifir, & Gazi-Eddin fils de Nizam -ul-Mulk, ne pouvant réfiftcr plus long-tems à l'emprelTement qu'ils avoient de retournera la Cour, par- tirent fur le champ pour aller fiiire leurs foumiffions a l'Empereur. Mais Nizam-ul-Mulk feignit de perPffcr uans le dcffein de fe retirer, e^ continua fi marche l'efpace de quatre lieues , après lefquelles il s'arrêta , pour don- nc;r le tems à l'Empereur' de lui faire de ..ouvelles inllances. Sa politique ne fut pas trompée. Muhammed-ChrJi , malgré toute fa répugnance , fe hiffa déterminer à cette humiliante uémarche. Le Vifir même alla trou- ver de fa part Nizam- ul-JNIulk. \\ le lamena au Palais, où le Mo- narque , forcé de diilimuler , lui fit un bon accueil , le revêtit de fes plus riches habits , ik lui .endit toute fa confiance dans un long en- tretien. Quatre ou cinq jours riprès cette révolution, Nizam-ul-Mulk avertit le Vifir, que l'affaire la plus preffante éroit celle du Dekan. Il lui reprefen- ta que fi iiadgira, dans refpérance qu'Emir -Khan lui avoit donnée de le mettre en polfeffion de ce Gouvernement, venoit à bout d'en chafler fon fils, ce Raja ne manqueroit puint de marcher droit à la Capitale, à la tê- te de fes Merehdh (/). Là-defilis , ajoutant qu'il ne pouvoit lui-même s'éloi- gner de la Cuur fans danger, il propofa au Vifir de partir à la tête de l'Ar- mée. Mais la confiance etoit déjà diminuée entr'eux. Le Vifir s'étoit ap. Paleki ; d'autres Di:«ci;TrTioi*' MIL l'Inpoustan. I.i f.iîiltf. (.■ do la C»)i.r U't r.iit rap- pciUr tuui deux. Ni/.nin • ul- Mulk fuit fc3 coiuiUioi'.s, avec laquelle il le fnit prtf- fer de icvs- nir. (e) D'autres écrivent falanquin. (/) M. Prevofl Ocrit toujours Marchais. Ce font les Marottes, noi'ninés antreifient Ganimes, qui ont tant fait parler d'eux de- puis. R. d. E. .V^« IMAGE EVALUATION TEST TARGET (MT-3) 1.0 II Uâ|2B 12.5 ^ Uà §22 ë |Â& 12.0 11= II— llllli^ ^ 6" ► é% ^ Hioliograiiiic Sdaices Corporation 23 WIST MAIN STRIIT WiBSTIR.N.Y. I45S0 (716) 872-4503 i ^ 328 DESCRIPTION DiSCRTPTION DE jU'Jndoustan. Guerres In- tetUnes des Mogols. apperçu que Nizam-ul-MuIk éludoit Texécution de Tes promefles. Cette propodcion acheva de les divifer. Bien-tôt les Ganimes , s'écant afTemblés dans le Dekan au nombre de cent mille hommes , s'approchèrent de Baçaim , Ville de la dépendance des Portugais , & s'en mirent en pôflefllon. Goa même feroit tombée entre leurs mains , û l'on n'eût pris le parti de leur payer huit cens mil. le roupies pour les en éloigner. Ils donnèrent auffî de l'inquiétude aux Ahglois ; mais ils n'ofèrent attaquer Bombay , quoiqu'ils en euflent conçu le deflein. Les Rajas Badgira & Sabou n'eurent pas plutôt reçu l'ordre expédié par Emir -Khan , qu'oubliant leurs fecrétes liaifons avec Nizam-ul-Mulk , ils fe mirent en mouvement pour chafler fon fils du Dekan. Ils l'alïiéçèrent dans Aureng- Abad ; & les vivres devinrent fi chers , qu'il étoit a la veille de fe rendre, lorfqu'une feule lettre de fon père , qui avoit repris fon au- torité, fit changer de face aux afi^aires. Il lortit de la Place, & les Mère- hais fe retirèrent ; mais ce fut pour porter leurs ravages dans d'autres Pro- vinces de l'Empire. Mulharàgi, Ratoudgi, & d'autres Chefs de ces Bri- gands , partirent avec quarante mille Cavaliers , dans la réfolution de le- ver le tribut de l'Inde. Ils s'avancèrent jufqu'aux dépendances de Benaris^ à huit journées SAzim-Abad, faccageant les Bourgs & les Villages Usé- toient prêts à paffer la Rivière de Kiunk, pour répandre la défolation dans les Provinces d'Allah- Abad & d'Audih {g) , \orft{iCEbul-Manfour-Kban, Gou- verneur de la dernière, fe mit à la tête de cinquante mille hommes, & marcha du côté de Benaris , pour s'oppofer à leurs courfes. Emir - Khan , qui s'étoit retiré à Allah- Abad-, après fa difgrace volontaire, n'eut pas le courage de fe joindre à Ebul-Manfour-Khan ; mais un autre Khan , originaire de ce Pays, fit réparer, en diligence, les fortifications âeFerah- Mad. Les Chefs des Merehais ayant appris qu'Ebul-Manfour-Khan rnarchoit vers eux, & qu'Ali-rerdi'Kban , Naïb de la Province de Behar , après avoir tué Sere- fraz-Kbarif Gouverneur de Bengale, s'étoit emparé de fes tréfors, parti- rent de Benaris , & prirent la route d'Azim-Abad. Enfuite la mort impré- vue de Badgira les obligea de rentrer dans leurs Terres. On ne connoît point de Mémoires plus récens fur Tétat intérieur de l'Empire Mpgol (b). Mais lafecherefle de cet article m'engage à le terminer par ) Audih renomme aufl! Tcbout-Pour. C'eft la Capitale des Etats du Rana [Sangà], 3ui Tont fitués entre le Gutcherat, le Pays e Devlet-Abad, & h Province de Labour. La Ville d'Audih e(l fltuée fur une monta- f ne aride, à l'Oued, & peu éloignée d'Egrè; quatre journées de Tcbitour, Ville & Can- ton du même Pays, à dix journées à'./ibmei' Mai, à la même diflance zix Sud de la Vil- le de Takiour , qui efl à quatre journées à l'Ouefl de Lahour, & à deux au Nord -Efl de Djalour. La Ville de Surmbi eu, à dix journées au Sud d'Audih. Il pleut fort peu dans le Pays d'Audih , & la plupart des Ha- bilans y font Idolâtres. Otter, ubifup. No- te de la pag. 127. (6) Cependant M. Prevoft avoit déjà rapporté, fous l'Article de Pondichery, qui nous refle à donner , les fuites de cette guerre contre les Marattes, & la mort de Nazer- zingui (i), fit j de ce même Nizam-ul» Mulii . le grand Ami de Ta Nation , â qui il prodigue ici, peut-être fans v penfer, les épitbétes de traître & de perfide. R. d. £• (I ; Sottb* de GolkondC) tué dans h ftaglantc bataille du i( Deceubie 17(0, DE L'I N D 0 U S T A N, Liv. ÏII. S29 pir r.n récit plus intcreflant. Bedreddiu - Khan , fils aîné du Vifir, avoic tlifparu à la bataille de Kiernal , Hms qu'on eût pu découvrir ce qu'il étoit devenu. Un Inconnu, qui lui rcflembloit parfaitement, & qui avoit pris rhabit de Dervis, arriva un jour à Perver, à la tête d'une troupe de Men- dians. Quelques domeftiques du Raja , qui connoilToient Bedreddin , pri- rent ce jeune homme pour lui, & s'emprefTèrent d'apprendre à leur Maî- tre, qu'ils avoient retrouvé le fils du Viiir. Le Raja fe le fit amener, le reçut avec toute la diflinélion qu'il crut devoir au rang de Ton Père , & n'é- pargna pas les plus riches habits pour l'en revêtir. En vain le jeune Avan- turier refufa ces marques d'honneur, en proteftant qu'il n'étoit pas Bed- reddin. On refufa de l'en croire. Le Raja continua de le traiter avec les mêmes refpeéls , & le retint malgré lui , pour fe donner le tems d'apprendre au Vifir que fon fils étoit heureufement retrouvé. Cette nouvelle répandit la joye, non - feulement dans fa famille, mais dans tou- te la Capitale de l'Empire , où elle fut célébrée par des réjouïlTances publiques. Le Vifir fit un riche préfent au Meflager , qui la lui avoit an- noncée, & prefl!a , par faréponle, le retour d'un fils fi cher. Aufli-tôt le Raja fit préparer un beau palanki, porté fur un éléphant, & mit le jeu- ne homme en marche-, fous une efcorte de cinq cens Cavaliers, qui le con- duifirent jufqu'àEkbar-Abad, où ils le remirent à d'autres gardes, que le Vifir avoit envoyés au-devant de lui. Il fut mené à petites journées , pour lui épargner de la fatigue, jufqu'à Tibet ^ Bourg voifin de Dehli , où Ni- zam-ul-Mulk fe trouvoit alors campé. On le fit defcendre chez ce Minifl:re, qui, étant ami du Vifir , embrafla fon fils & lui baifa le front. Bien-tôt le Vifir même , amené par fon impatience , lui fit les mêmes carefles , en ver- fant des larmes de joye. Enfuiteils s'aflirent tous trois fur le même fofa, & mangèrent enfemble. On a peine à concevoir que cette familiarité ne fût pas capable de faire ouvrir les yeux au Vifir; ou du moins, que celui qu'il pTenoit pour fon fils , n'aidât point alors à le détromper. Cependant on nous raconte , avec le même air de certitude, qu'ayant achevé de dî- ner, le Vifir fe rendit à la Capitale, y conduifit le jeune homme à fon Pa- lais, & le fit entrer auffî-tôt dans le Harem, pour ne pas laiflTer fa mère plus long-tems dans l'impatience. Cette Dame ne penfa point à fe voiler pour fon fils. Elle le re- çut à vifage découvert. Elle examina fa phifionomie & fa taille. Quoi- qu'elle le trouvât parfaitement femblable à Bedreddin , elle voulut dif- fiper tous les doutes , en examinant un endroit de fon corps où elle lui connoiflbit une marque. Mais , ne l'ayant pas trouvée , fa confu- fion & fon repentir furent ejitrémes. „ Ce n'eil pas mon fils, s'écria- „ t'elle. Qu'on le fafl'e fortir fur le champ". Alors il ne balança point à répéter qu'il n'étoit pas fils du Vifir. Il nomma fon véritable père, & fc plaignit qu'on eût refufé de le croire , avant cet cclairciflement. Ainfi le rélùltat d'un examen trop exaél troubla toute la joye de la Mai- fon. Le Vifir, confus de fa méprife, & plus encore de l'imprudence qu'il avoit eue , d'introduire un homme de cet âge dans fon lïarem , voulut ré- parer l'une & l'autre, en l'adoptant pour fon fils. Mais toutes fes offres ne purent lui faire obtenir cette fatisfaftion. Ce jeune Etranger, qui étoit XllL Pan. T t un DiSCRIPTION DE L'iNnOL'STAN. Avaiuiire figiili'jrc arri- vée au Vifir, 830 DESCRIPTION DiicKipTioN un libertin d'honnête naifTance, fit admirer Ton obflination à rejetter la for. „ °^ tune : & fon père, informé de fa conduite, vint le réclamer avec des tranf. ports de joye (*;. Cet événement n'efl pas fans exemple. Mais, quand on lui trouveroit quelque apparence romanefque, le témoignage de M. Otter fuffît pour lui donner de la vraifemblance. , > (k) Otter, ubifup. pag. 126 & précédentes. Mogols. Généalogie [Il ne fera pas inutile, de joindre à la fin de cet Article, une Lifte Cè- des Grands néalogique des Grands Mogols qui ont régné dans l'Indouflan , depuis Ta. merlan , qu'on regarde comme le Fondateur de cet Empire , jufqu'à nos jours. Elle fervira de guide dans THiftoire de ces Princes, qu'on n'a pu éclaircir, . par tant de Remarques, fans la rendre un peu embaraflante pour une partie des Leéleurs. IJJie Généalogique des Grands Mogols. I. JVli E R-T I M o u R , ou Itmour Lenk^ communément nom- mé Tanurlan, depuis 1370, jufqu'à 1405. Il laifTa quatre fils ; r. , 1. Djihan-Guir. „ • ■ S :'' 2. Sjekh-Hamar. . * ' 3. Miroun-Cbab. 4. Mîrzah-Charok ^ ou Mtrzab-Seyed, II. Miroun-Chah, depuis 1405, III. Mirzah-Seyed, fonfrère, depuis 1408, Ce dernier étoit en même-tems Empereur de Tartarie & de l'Indouflan. jufqu'à 1408. jufqu'à 1447. IV. Pie r-M o h h a m m e d , fils de Djihan-Guir, depuis 1447 , jufqu'à 1452. Il régna feulement fur l'Indouflan, & fut fuivi par fon fils; V. Abou-il-Said, depuis 1452, . . . jufqu'à i4(5p. Son fils lui fuccède; VI. Sultan-Hamed, ou Sjeich-Omar-Chab ^ depuis 1469, jufqu'à 1495. . Il efl fuivi par fon fils (a); . . - VIL ( «) On a dit à tort , ci * defTus , que Va- lieu que , faivant lui , c'eft la terradS: qui s'é* lentyn ne parle pas du genre de mort cte ce boula fous fes pieds. Viince , qu'on fait tombef d'une teriaire,au« DE L' I N D 0 U S T A N, Liv. III. S3r VII. Chah -B A BOUR, depuis 1495, . . . jufqu'à 1532. DticiiwTioir Il établie le Siège de Ton Empire à Dehli , en " fla " jufqu'à I5J8. jufqu'à 1605. 1526, & laiiTa deux fils i 1. Mirzab-Homajonif *0Mé, ou iSffcoffr; Ses enfans étoient , a) SolimanSjckoub y donc le fils étoit Sepe-Sjekoub. b ) Miraad-el-Molouk. c) Nour-el-TadjoUy fa fille. 2. Cbah'Cbuja , ou Soufa , qui eut trois fils Si deux filles ; z) Sultan-Banke, o\x Bon-Sultan. h) Mirzab-Bhadour y on Ballandacbter, c) Mirzab'Saany on Saan-Sultan» d) Hamed-Meballe. \ ç en . ' e) Nour-Begum. S ' 3. Aureng'Zeb, ou Eurenksùb. 4. Moraad-ul-Begy ou Moraad-Bakcbe, ' 5. Begum-Sabeb. ? f^s filles. 1. 3 Tt a jufqu'à 1657. é. Rûptcbenara-Begum, XII. Description DE l'Indoustan, 332 DESCRIPTION XII. Aureng-Zeb, depuis 1657, Il eut cinq fils ; ^ . ^ , .. Mohhammed-Moazem. Chah'Alem , nommé auffi Mcizum j ou Moaztnt. Ekbar. Azem-Cbahf ou Azem-Tarra, Cambax. jufqu'à 1707. I. 2. 3- 4- 5. jufqua 1712. XIII. Chah-Alem, ou Behadîr-Chab y depuis 1707, . Il laifla quatre fils ; 1. MmJJadhny Mojfoddm ^ ou Dgibandar-Chah y qui eut trois fils, dont l'aîné le nommoit -r^i/V». ' . 2. Mabmiid-Jzem, /IJJlmdim^ on JJJimfcha , qui eut auffi trois fils; a) Mabmud-Cariem. • - • * . - b) Ferrub-Sîer, ou Farrucbfer. c) Hamambax. 3. Refiel-Chaby ou Rafiel-Gadders y qui laifla deux fils. 4. Dgihan-Cbaby ou Cbocbaijla - Cbadder , qui laifla auffi deux fils. XIV. MuAssADiM, ou Dgibandar-Cbab f depuis 1712, . jufqu'à 1713. XV.Ferruh-Sier, depuis 1713, . . . jufqu'à 1719. XVI. Rafieldowla , filsde Refiel-Chah, règne quatre mois. }iYU.RATiELDARAS.CHAyOu Cbab-Geban II, Suivant les Miffionnaires Danois. M. Otter, le fait précéder Rafieldowla fon frère. Il régna environ fix mois. XVIII. C H a I J a N , Mcofjeer , ou Chcb • Geban III, règne auffi fix mois, jufqu'à 1723. XIX. M u H A M M E D - C H a H , fils de Muaflàdim , ou Dgihan- dar-Chah, depuis 1723. Remarques On ne s'attache ici qu'aux principales différences des noms, pour cvi- furie Sceau ter l'inconvénient qui nous a fait juger cette Lifte très-néceflaire à la fuite de ces Prin- ^q l'Hiftioire abrégée des Grands Mogols. La Figure du Sceau de ces Em- pereurs, fi elle étoitjuftie, devroic fervir à prouver quelques-uns des pre- miers règnes ; mais nous y remarquons des défauts qui demandent d'être éclaircis dans une Note (^).] . \ ., {b) Cette Figure , qui efl tirée de Taver- propos , parceque celle qu'on a de ce Voya- nier, fe trouve jointe, dans l'Edition de geur Anglois ne va que jufqu'à Geban-Guir, Paris, à la Relation de Ilhoe, mais mal-à- qui règnoic de fon tems. C'eft la laifonqui nous ces. lu'a 1707. lua 1712. [uai7i3. lu'à 17 19. ua 1723. )our cvi- à la fuite CCS Em- dcs prc- tit d'ècre e ce Voya- fban-Guif , railbn qui nous Sceau n£^ Grands Mogozs. Ryks-Zegel der Groote MoGOLS. DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 333 nous a engngé à l'en détacher, outre qu'elle paroit beaucoup mieux convenir à la tin de l'Article' qui traite de la fuccelïïon des Em- pereurs Mogols, oîinous la citons en preuve. A la vérité M. Prevoft, ou fon Graveur, a tù foin d'avertir, au bas de la Figure, que tel étoit le Sceau fous Aureng-Zeb, dont les Armes occupent le centre i mais ceite ex- plication même, que nous avons fupprimée, n'ell pas jufte, puifque le nom (plutôt que les Armes) de Cbab-Geban, occupe le cen- tre, liont celui d'^ttr*"^-Z?* eft par con- féquent exclus. Tavcrnier nous en apprend la raifon, favofr, „ que ce Prince n'avoit „ pas fait battre de ces pièces d'or & d'ar- „ gent que les Grands Mogols ont coutume „ de jetter au Peuple, à leur avènement au „ Trône"; Car il e(t à remarquer, que Ta- vernier repréfente feulement, quoique très- mal, la forme de ces médailles ; ce qui n'empêche pas que le Mogol régnant n'eût un Sceau pareil , augmenté de fon nom ; tel que Valencyn l'a tidèlement copié d'un Firman accordé , en 1662 , au Sr. Fan Adricbem , Am- bafTadeur de 11 Compagnie Hollandoife à la Cour de ce Prince. Dans ce Sceau, qui efl: bien différent de la Figure de Tavernier , Mier • Timour eft. placé en- haat; & fuccelfiveinent à droite , au deflbus; 2. Miroun-Cbab, 3. Mirzab- Seyed, 4. Pier - Mohammed , 5. Aboujaidy 6. CbeickOmar, & 7. Cbab-Babour. Les quatre fuivans , 8. Hoinayom, 9. Ekbar, 10. Djebaan-Guier, & 11. Cbab • Djibaan ^ reprennent d'en - haut à gauche de Mier -Ti- mour , & defcendent, de manière que le der- nier vient joindre le feptiéme; & 12 Eurang Zeb occupe le centre. Sans parler de l'orthographe & de la dif- pudtion des noms, la ditVérence notable qu'on remarque entre la Figure de Tavernier & celle de Valentyn, c'ell que dans la pre- mière, on a omis le nom du troinème Grand Mogol, Mirzab-Seyed, ou Mirzub-Cbab, dont la Chronique Mogole ne fait pas men« tion , & qu on doit cependant mettre au rang de ces limpereuis; (Voyez ci-delujs nôtre Note (e) pa^. 306.) On nous objectera peut-être, que le même nom ne fe trouve pas non plus dans la Figure de Rhoe; mais nous avons lieu de croire que Tavernier l'a copiée en partie dans la flenne,vû la grande conformité qui règne dans l'orthographe des noms de l'une & de l'autre Figure. Quoi- qu'il en foit, Valentyn ,qui donne même le Portrait de MirzahSeyed, ouMirzah-Chah, nous afTure qu'il a vu plulieurs autres Cachets, & toujours avec l'un des deux noms de ce Prince ; ce qui , dlt-ii , ne change point la perfonne, parceque le mot de Cbab, ne fi- gnifie autre chofe que Roi , en langue Per- fane. C'eft le même que M. Otter appelle Cbab-RoÛb, ou Cbaroft, nom qu'il pohoit, fuient Valentyn, avant fon avènement au Trône : mais M. Otter a omis Miroun - Cbab fon PrédêceiTeur , & Pier - Mtbammed^ fon SucceflTeur , dont la Chronique Mogole ne fait pas isention non plus, quoiqu'il foit nommé dans tous les Sceaux; & c'ed ce 2u'il nous importoit de prouver, pour julli* er nos Notes critiques des pages 306 & 307» ci - delTus. Forces î§ RicheJJes des Grands Mogols. .--y 'v LE prodigieux nombre de Troupes, que ces L. arques ne ceflent point d'entretenir à leur folde, en font, fans compc*raifon , les plus redou- tables Souverains des Indes (a). On croit fauffement, en Europe, que leurs Armées font moins à craindre par la valeur , que par la multitude des Combattans. C'efl moins le courage qui manque à cette Milice, que la fcience delà guerre, & l'adrefle à fe fervir des armes. Elle feroit fort in- férieure à la nôtre, par la difcipline & l'habileté: mais, de ce côté même elle furpalfe toutes les autres Nations Indiennes j & la plupart ne l'égalent point (a) De tous les Ecrivains qui ont re- cueilli ce qui appartient à l'Empire du Mo- gol , aucun n'ayant parlé de fes forces avec plus d'exaftitude .& de netteté que l'Auteur de rintroduftion à l'Ililtoire de l'Alie , on croit devoir employer ici quelques endroits de fa defcription , avec le foin de lui en faire honneur, & d'y mêler ce qu'on jugera propre à l'enrichir. Description DE l'Indolstan. ^'^ Tt 8S4 DESCRIPTION DKICRTrTION DE l'Inooustan. Trois Ordres de Milice Mogolc. Corps des quatre mille Éfclaves. Gardes des trgis malTes. point en bravoure. Sans remonter à ces Conqui-rans Tartares, qui peu. vent être regardés comme les Ancêtres des Mogols , il efl: certain que c'efl: par la valeur de leurs Troupes , qu'Ekbar & Aqreng-Zeb ont étendu fi loin les limites de leur Empire, & que le dernier a fi longtems rempli tout l'O- rient de la terreur de fon nom. On peut rapporter, comme à trois Ordres, toute la Milice de ce grand Empire. Le premier efl: compofé d'une Armée toujours fubfiftan. te , que le Grand Mogol entretient dans fa Capitale , & qui monte la garde chaque jour devant fon Palais ; le fécond , des Troupes qui font répandues dans toutes les Provinces de l'Empire ; & le troifième , des Troupes auxiliaires, que les Rajas , Vaflaux de l'Empereur, font obli. gés de lui fournir. L'Armée, qui campe tous les jours aux portes du Palais, dans quelque Jieu que foit la Cour , monte au moins à cinquante mille hommes de Cava- lerie; fans compter une prodigieufe multitude d'Infanterie, dont Dehii âc Agra, les deux principales réfidences des Grands Mogols, font toujours remplies. AulTi, lorfqu'ils fe mettent en campagne, ces deux Villes ne reflemblent plus qu'à deux Camps déferts , dont une grofle Armée feroit fortie. Tout fuit la Cour; & fi l'on excepte le quartier des Banianes , ou des gros Négocians, le refte a l'air d'une Ville dépeuplée. Un nombre in- croyable de Vivandiers , de Porte - faix , d'Efclaves , & de petits Mar- chands , accompagnent les Armées , pour leur rendre les mêmes fervices que dans les Villes. Mais toute cette Milice de garde n'efl: pas fur le mê- me pied. Le plus confidérable de cous les Corps militaires efl; celui des quatre mille Efclaves de r Empereur , qui efl: diftingué par ce nom , pour marquer fon dévouement à la perfonne. Leur Chef, qui fe nomme le Da- roga , efl: un Officier de confidération , auquel on confie fou vent le com- mandement des Armées. Tous les Soldats , qu'on admet dans une troupe fi relevée , font marqués au front. C'efl: de là qu'on tire les Manfebdarj & d'autres Officiers fubalternes, pour les faire monter par degrés jufqu'au rang d'Omrahs de guerre; titre, qui répond aflez à celui de nos Lieute- nans Généraux (b). Les gardes de la mafl'e d'or , de la mafle d'argent , & de la maflfe de fer, compofent aufll trois différentes Compagnies, dont les Soldats font marqués diverfement au front. Leur paye efl: plus grofle , & leur rang plus refpec- té , fuivant le métal dont leurs mafles font revêtues. Tous ces Corps font remplis de Soldats d'élite , que la valeur à rendus dignes d'y être admis. Il faut néceflairement avoir fervi dans quelqu'une de ces troupes, & s'y être diftingué , pour s'élever aux Dignités de l'Etat. Dans les Armées du Mo- gol , la naiflance ne donne point de rang. C'eft le mérite qui règle les prééminences; & fouvent le fils d'un Omrah fe voit confondu dans les derniers degrés de la Milice. Aufll ne reconnoit - on guéres d'autre No- blefl'e, parmi les Mahométans des Indes, que celle de quelques defcen- dans de Mahomet, qui font rcfpedés dans tous les lieux où l'on obferve l'Alcoran. En (ft) Voyez ci* deflus , dans l'article de fiermer, la cuiieufe defcriution d'un Caoy Mogol. '^ DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 335 En général , lorfqr ^ la Cour réfide dans la Ville de Dehli, ou dans celle d'Agra, l'Empereur y entretient, même en tems de paix, près de deux cens mille hommes. Lorfqu'elle eft abfente d'Agra , on ne laiflb pas d'y laifler ordinairement une garnifon de quinze mille hommes de Cavalerie, & de trente mille d'Infanterie; règle qu'il faut obferver dans le dénombre- ment des Troupes du Mogol, où les gens de pied font toujours au double des gens de cheval. Deux raifons obligent de tenir toujours, dans Agra, une petite Armée fur pied : la première , c'eft qu'en tout tems on y con- ferve le tréfor de l'Empire ; la féconde , qu'on y eft prefque toujours en guerre avec les Payfans duDiftriél, gens intraitables & belliqueux, qui n'ont jamais été bien foumis depuis la conquête de l'Indouftan. La Cour fait quelquefois aulîi fa réfidence à Lahor; mais, lorfqu'elle eft ailleurs, l'Empereur y entretient toujours douze mille hommes de Ca- valerie, & de l'Infanterie à proportion. Dans la Province (ÏJfmire, il paye conftamment fix mille Cavaliers de garnifon; dix mille dans celle de Guza- rate ; fept mille dans celle de Malway ; fept mille dans celle de Patauo ; fix mille dans celle de Multan. L'Armée, qui défendoit la Province de Kaboul avant l'invafion de Nadir-Chah, étoit toujours aflez nombreufe, pour ar- rêter les Perfans du côté deKandahar. Elle montoit ordinairement à foixan- te mille chevaux, que l'habileté du Roi de Perfe diftlpa plus que la force. Les Provinces de Tafa, de Bokas^ à^UrekaScde Kachemire, n ont pas cha- cune plus de quatre mille chevaux. On en compte huit mille dans la Pro- vince deDekan-j fept mille dans celle deBarar; fix mille dans celle de Bram- pour; cinq mille dans celle de Baglana', quatre mille dans celle de Ragi-Ma- holf & fix mille dans celle de Nandé. Depuis les conquêtes d'Aureng-Zeb , les Royaumes de Bengale ^ d'Ugeny de Vijapour «S: de Golkonde, ont des gar- nifons beaucoup plus fortes. Le Bengale , qui touche d'un côté à la partie des Indes fituée au-delà du Gange , & de l'autre, au Royaume d'Arrakan , & à la Ville de Chatigam , a befoin d'un plus grand nombre de Soldats pour fa défenfe. On y entretient conftamment une Armée de quarante mille chevaux. Ugen , quoique fitué aflTez avant dans les Terres de l'Em- pire, fe trouve enclavé au milieu des plus puiiTans Rajas, & n'a jamais moins de quinze mille chevaux. L'Armée, ou la garnifon du Vifapour, n'eft pas moins forte. Celle du Royaume de Golkonde, où font les Mines deDiamans, eft de vingt mille chevaux, & celle du Carnate^ à-peu-prés du même nombre, pour tenir, dans le refpeél, quantité de petits Rois , qui ne font plus que les Fermiers & les Receveurs du Grand Mogol , dans leurs propres Etats. Si ce grand nombre de Soldats & d'Officiers, qui ne vivent que de la folde du Prince , eft capable d'aflùrer la tranquillité de l'Etat , il fert auffi quelquefois à la détruire. Tandis que le Souverain conferve aflez d'autori- té fur les Vicerois & fur les Troupes , pour n'avoir rien à redouter de leur fidélité , les foulevemens font impoflibles : mais aufli-tôt que les Princes du fang fe révoltent contre la Cour , ils trouvent fouvent , dans les Troupes de leur Souverain , de puiflans fecours pour lui faire la guerre. Aureng- Zeb s'éleva ainfi fur le Trône; & l'adrefle avec laquelle il ménagea l'afiec- tion des Gouverneurs de Provinces, JÊt tourner, en fa faveur, toutes les for- ces Descnimo» DK L'iNnot'STAIf. Dcnoiiibrâ' ment Jls Troupes qui font (ofijouri fur pied. Obfervation fur cette nombreufe Milice. 33^ DESCRIPTION Diiscnii'TioN CCS que Cha-Jcli:iii fou l'ère cntrctcnoic pour fa clcfcnfe. Cette forme de nit L'IN'DOUSTAN 'J'ioiipcs auxiliaires. gouvernement :i néanmoins beaucoup cruvantagcs, entre lelc|ucls on peut ' compter, que les Empereurs , étant Propriétaires de toutes les Terres i',,- l'Empire, elle lert ù faire fubfiiler, de leurs revenus, une bonne partie du fes .Sujets. Les 'J'roupes auxiliaires (jue les Rajas font obliges de four- nir, augmentent encore les forces de l'Indoullan; mais elles ne font ur- ployécs ordinairement que dans les guerres, »ic moins par néceirité que pur grandeur (c). ( c ) II faut fe fouvenir que toutes les Trou- pes qu'on a nommées , font conlhimment fur pied; car, dans les befoins extraordinaires, chaque Province en fournit un beaucoup plus grand nombre. La Province de Gnzarate, arturc Mandeido, peut fournir feule quatre- vingt-dix mille chevaux. Celle d'OWxa, qua- tre-vingt mille, & celle de DebU cent cin- Ïuante mille. Tome I. pag.iii. Toute cette avalcrie, dit iemûme \'oyngeur, cil diOri- buCe en divers Régimens , dont les uns font de quinze ou douze mille chevaux, qui ne font donnés qu'aux fils de l'Empereur & aux premiei s Seigneurs du Royaume. Les autres font de deux, de trois ou de quatre mille chevaux; & la dignité de ceux qui les com- mandent ell proportionnée au nombre. Man- delflo donne un détail curieux de l'Armée, que Cba-Cboram, ou Comme, alors Grand Mogol , commandoitcn 1630, dans la guerre contre CvanChanna. RIieétoit compoféede cent quarante-quatre mille hommes, en quatre Corps de Cavalerie, fars y comprendre les éléphan?, les chameaux, les mulets, & les chevaux de bagage. Le premier étoit com- mandé par SchiiJ-îft Kban , fiis à' yîfapb-Khan , &conipofé de treize Régimens. Chevaux [Celui do fon Père tout compofé de Ra?bouts , 5000] Celui de Scba- ^ft-Kban, . . 5000 Sadoc-Khan, 3000 MirJaT:iU-Madnffcr 3000 CiaJ'cr Kbiin 2^oo Goiiin Saher , 2000 S-UJaffey, 2ioo Ifaftèr Kban, looo Mubmud Kban, 1000 Alnwirdi-Kban, ....;. 2000 S^fdel-Kbmlladaïi, 700 Mirja-S'ier-Siid , 500 Jiaaker Kban, 500 On y joignit un Corps de Man- fcbdars , didribués en plufieurs Compagnies Franches, au nombre de 4600 Le fécond Corps, commandé par Emln- Kban , étoit compofé de treize Ui;^i. mens. Chevaux Eradet-Kbvi , . ', 4000 " ' 1000 1200 1:00 12Û0 1000 2000 3000 1000 loon 7000 400 400 RauDouda.i Dorkadas , Kerous Ram-Tcbaud-Ilarrau MuJlafaKhan Jnkotit-Kban, Killojy, Sidi-Pakir Ecka-Berkmdas -. Jogi Ralei , J'eluckicbaud, Jakoet-Beg , Trois autres Seigneurs comman- doient chacun deux ceii? chevaux, fait, ^ganour , Cbabontckun , fiaboii- Kban, Ssid-Kamel, Sidi-M, & Sadead- Kban,en commanJoient cha- cun cinq cens, fait , .... 603 3000 En tout 23000 Le troifième Corps, commandé par /î.i;> Gedjîng, txvolt les douze Régimens fuivai.t. ClKvnix Raja Gedfîiig , 3000 Raja liidd Lias , suo Odjram, 3000 RjjaF'iemfor 20CO M:idozr:g, lono R'>ja-Ros-yl[]hn, 1000 Baduur'.u-Raja-libûQZO, .... looo Raja-Krijienjing 1000 Raja- Saur, 1000 RajaCbL'terfing, 500 IVamoup, 500 Raja-Odafmg, 500O Plufieurs Rajas inférieurs en corn- mandoient , en différentes Com- pagnies, • . • 4500 Total 26500 Le (x) Dans l'Edition dcFatis, oui:e les ^000 oubliés, on avoir mis deux fois 300 pour )ooo, Se une fois zoopoui 2000 i ce qui faifoic cireur d'un &égim(nt} £c de 12100. chevaux, R. d, E, (i) En tout 32900 •pire, iité a moin! qui fo qui d ient Le te forme de icis on peut: s 'l'ctTCS c',c inc partit: d- i,ùs (le lour- nc font eir.' :llkc quepur Des idc' par Emln- treize Uo^i- Chevaux . . 4000 • • looo . . 1200 . . 1200 . . 1200 . . 1000 . . 2000 . . 3 000 . . 1000 . 1 1 oon . . 7000 . . . 433 . . . 400 romman- aux, fait, Babou- in, & ienc cha- 603 ;ooo F.n tout23ûoo landé par R^ji- mens fuivai.i. Chcv.r.ix 3ûO') 3 ICO 20CO IOf>0 1000 1000 1000 1000 500 500 5000 corn- Coin- 4500 Total 26500 Le )ooo, Se une fois DE L'I N n 0 U S T A N, r.iv. iir. 537 Des Armées fi formidables, répandues dans toutes les parties de l'Em- ■pire, procurent ordin:;ii'emenc de la fureté aux frontières, oc de la tranquil- lité au centre de l'Etat. Il n'y a point de petite Hourgade, qui n'ait au moins deux Cavaliers & quatre Tantallins. Ce font les efpions de la Cour, qui font obligés de rendre compte de tout ce qui arrive fous leurs yeux,Cfc ui donnent occafion, par leurs rapports, à la plupart des ordres qui paf- ent dans les Provinces. Les Armes oftcnfives des Cavaliers Mogols , font Tare , le carquois , char- ge' DE > de Jeffir looo „ bons retranchemens de fix lieues d'éten- AIockly'Kban, 1000 „ due, du côté le plus foible". Serif-kban , 1000 On ne doit pas £tre furpris de ce grand Seid-j^Uen, 1000 nombre d'Infanterie & de Cavalerie j car Amiral, 1000 quand l'Empereur veut, il peut mettre en Roja-Ramdas 1000 campagne une Armée , encore beaucoup plus Torck-Taes-Kban 1000 redoutable, puisque, fuivant une Lille de Mirjemla, 1000 ce que chaque Province doit fournir, celles Mirja-Abdiilac, 500 àCUdeJfa & de Canduaiia, font obligées de Mabmud-Kban 500 donner chacune 500 mille hommes ; DW/i, Mirfa-Maant-Cber, 501J 400 mille; Cabul, 360 mille; Bengale, 240 Gbaivaes-Kban, 1000 mille j CoMr 200 mille; Cwa/wr, 180 mille; Moried-Kbant looo Narvar, i5o mille; Siba, 140 mille; Gol- Plufieurs Omrahs en comman- konde (ijeival, chicane 120 miWe; Agra & doient encore, en différentes Com- Sambel, chacune 90 mille; Jengapour , 80 pagnieS) loooo mille; Labor, 72 mille; Gùzerate, Nagra- ■' eut & Jeffelmer, chacune 60 mille; Decan, Total 62500 48 mille; Malva, Pattana& Berar, chacune 42 mille; Vifapoury Kakares & Pitan, cha- Nota. L'Armée de Mobammed-Moazem-Bba- cune 40 mille; A/mère^ MuUan, Brampour dur-Cbab (ou Cbab-Alem) l'aîné des fils & 5anrfo, chacune 36 mille; ^«oife, if a?j<.'w6 d'Aureng-Zeb, étoit bien plus confidérable. &.Peng'ab, chacune 30 mille; Tatta, Bue- Valentyn en donne la Lide, dont nous nous katy Kacbemire , Kandisb & Bakour, chacune contenterons de rapporter le total. Elle fe 24 mille; le tout moitié à pied, & moitié à montoit à 195000 hommes d'Infanterie; cheval, ce qui fait deux millions, quarante 170000 de Cavalerie, à lafolde di». Prince , mille hommes d'Infanterie, & autant deCa- fans y comprendre 4414 hommes, avec leurs Valérie. Valentyn ^ Tom. IV. Part. II. pag. chevaux, amenés par divers Rajas; outre un 279. R. d. E. grand nombre de canons , qui ne font pas (i) Ltmtt idif, Reç. XXV, pag. 407. . XllL Part, Vv » «> »» »» »» »» s» >l ») » 5> 344- DESCRIPTION Description partie dc ces trcfors fort tous les ans de fcs mains & recommence à roule- .j "'• fur fes terres. La moitié de l'Empire fubfille par les libéralités du Souvc- ViNDousTAN. ^^jj^^ ou du moins elle efl: conftammcnt à les gages. Ontre ce grand nom- bre d'Officiers & de Soldats , qui ne vivent que de leur paye , tous les Pay. fans qui labourent pour lui font nourris à fcs fraix; & la plus grande partie des Artifans des Villes, qui ne travaillent que pour fon iervice , font pa- yes du tréfor Impérial. Cette politique, rendant la dépendance de tant de Sujets plus étroite , augmente au même degré leur refpeél & leur attache- ment pour leur Maître (/). Principes de l'adinini- llration. Office da premier Minidre & des Secrétai- res d'Etat. ne faifant que celle de trois cens quarante- huit millions deux cens vingt nx mille [trois cens quatre -vingt- fix] roupies, el- les n'approchent point des richefles de l'ar- rière petit -fils d'Ekbar ( i ),. que Mandel- flo trouva fur le Trône: ce qui confirme que le tréfor des Grands Mogols groflit tous les Jours. MandelJÎOyT ome I. pag. 1 19 & fui vantes. A^ota. Cette lifte, dont M. Prevoft pré- tend faire honneur à Mandelflo, avoit déjà paru, dans les Voyageurs Hollandois, quelques années avant la publication de fon Ouvra- ge. Fan Tijoijl qui la rapporte , y en ajou- te deux autres aflez curieufes. L'une efl celle des Omrahs & des Mancebdars , qui, après la mort d'Ekbar, étoient reliés au fer- vice de Gehan-Guir, fon fils & fucceireur au Trône. On y compte 359 Omrahs , qui dévoient entretenir 7606000 chevaux,* & 7^84. Mancebdars, ou Rajas, taxés à 307648 chevaux. L'autre lifte, contient une fpécificntion des éléphans, chevaux, chameaux, droma. daires, mulets & bœufs, trouvés dans Icj écuries de ce Prince , au nombre dc 6731 éléphans; 120CO chevaux; 6223, tant dro. madaires que chameaux; & 7260 mulets ou bœufs. En tout 32234 pièces. Obfervons encore , d'après Valentyn , qu'il ne faut point comprendre , dans cette fuc- ceflion particulière, les tréfors de l'Empi- re, dont les revenus , fous le règne d'Ek- bar, montoient déjà beaucoup au-delà ds deux cens millions, fans compter que tou- tes les richcffes des Grands, appartiennent aufli au Prince , qui ne donne aux héritiets que ce qu'il lui plait. R. d. E. (i) Tout ce détail efttiré de Bernier, de Carré, deTavernier, deThevenot, du Re- cueil des Voyages de la Compagnie Hollan- doife , & des Lettres édifiantes. (!) Chah-Jehan n'étoit que le petit-fîls ë'Ekbai. C'eft Mandelfl» qui a fait ceite faute. K. d, K, 5- V. • Gouvernement ^ Police de Vlndouflan, RIEN n'efl plus fimple que les reflbrts qui remuent ce grand Empi- re. Le Souverain feul en efl l'ame. Comme fa Juril'diftion n'ell pas plus partagée que fon Domaine , toute l'autorité réfide uniquement: dans fa perfonne. Il n'y a proprement qu'un feul Maître dans l'Indouftan. Tout le refte des Habitans doit moins porter le nom de Sujets que d'Ef- claves. A la Cour , les affaires de l'Etat font entre les mains de trois ou quatre Omrahs du premier ordre, qui les règlent fout, l'autorité du Souverain. L'/- thnad-iid-Deoidct (a) , ou le premier Miniftre , tient auprès du Mogol le mê- me rang que le Grand Vifir occupe en Turquie. Mais ce n'eft fouvcnt qu'un titre flms emploi & une dignité fans fon6lion. L'Empereur choifit quelquefois, pour grand Vifir, un homme fans expérience, auquel il ne laifle que les appointemens de fa charge. Tantôt c'ell un Prince du fang Mo- («) On fuit l'orthographe de M. Otter. DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 54Jf llogol» qui s'cftaflez bien conduit pour mériter qu'on le laifle vivre juf- pu'à la vieillefle. Tantôt c'efl le Père d'une Reine favorite , forti quel- quefois du plus bas rang de la Milice, ou de la plus vile Populace. Alors tout le poids du Gouvernement retombe Jiir les deux Secrétaires d'Etat. L'un ra'flemble les tréfors de l'Empire, & l'autre les difpenfe. Celui-ci paye les Officiers de la Couronne, les Troupes & les Laboureurs; celui-là lève les revenus du Domaine, exige les impôts & reçoit les tributs. Un troilième Officier des Finances, mais d'une moindre confidération- que les Secrétaires d'Etat , efl: chargé de recueillir les héritages de ceux qui meu- rent au fervice du Prince; commiffion lucrative , mais odieufe. Au relie, on n'arrive à ces polies éminens de l'Empire, que par la voye des armes. C'cll toujours d'entre les Officiers d'Armée que fe tirent également, & les Miniftres qui gouvernent l'Etat, & les Généraux qui conduifent les Troir- pcs. Lorfqu'on a befoin de leur entrcmife auprès du Maître , on ne les aborde jamais que les préfens à la main. Mais cet ufage vient moins de l'avarice des Omrahs que du refpeél des Cliens. On fait peu d'attention à la valeur de l'offre. L'cflentiel elT: de ne pas fe préfenter , les mains vuides , devant les grands Officiers de la Cour. S 1 l'Empereur ne marche pas lui-même à la tête de fes Troupes, le com- mandement des Armées efl confié à quelqu'un des Princes du fang , ou à deux Généraux choifis par le Souverain ; l'un du nombre des Omrahs Ma- homéians, l'autre parmi les Rajas Indiens. Les Troupes de l'Empire font commandées par l'Omrah. Les Troupes auxiliaires n'obéïflent qu'aux Ra- jas de leur Nation. Ekbar, ayant entrepris de régler les Armées , y éta- blit l'ordre fuivant , qui s'obferve depuis fon règne. Il voulut que tous les Officiers de fes Troupes fuflent payés fous trois titres différens. Les pre- miers, fous le titre de douze mois; les féconds, fous le titre de fix mois; & les troifièmes , fous celui de quatre. Ainfi lorfque l'Empereur donne à un Manfebdar^ c'eft-à-dire, à un bas Officier de l'Empire , vingt roupies par mois au premier titre , fa paye monte par an à fept cens cinquante rou- pies, car on en ajoute toujours dix de plus. Celui à qui l'on afligne par mois la même paye au fécond titre, en reçoit par an trois cens foixante& quinze. Celui dont la paye n'eft qu'au troifième titre , n'a par an que deux cens cinquante roupies d'appointemens. Ce règlement ell d'autant plus bi- zarre , que ceux qui ne font payés que fur le pied de quatre mois , ne ren- dent pas un fervice moins affidu, pendant l'année , que ceux qui reçoivent la paye fur le pied de douze mois. Mais , fuivant le génie des Orientaux , les Empereurs Mogols croyent fe donner un air de grandeur en faifant con- cevoir que l'inégalité du falaire vient de celle des fervices. D'ailleurs , lorfqu'ils ordonnent la penfion d'un Manfebdar, ils ne fe fervent jamais du terme de roupies, mais du mot de Dams, qui efl une petite monnoye, af- fez rare dans le Commerce , & dont quarante font une roupie. Ainfi, en honorant un Officier d'ime penfion de mille roupies; „ je lui afîigne, dit „ l'Empereur, cinquante mille Dams d'appointemens": emphafe d'exprefr fion qui n'augmente pas l'opulence, & qui revient à la manière Efpagnole de compter par Maravedis. X///. Ban, ■ Xx Lors- DESCRIPTXOIf DE l'Indoustam. Commf^nt on fe prti fen- te à eux. Ordre ctabll pour le Gou- vernement, Militaire. DiffL^rencfi de la paye des Officiers. 54<5 t)K SCRIPT ION Description DE l'Indoustan. Citte dif fért'nce fur me les dt'grt's du r'ang. Appointe- mens ik'S premiers Oin- lahs. Admînidra- tion de la JuHice Civile. OfHce du Kutual. LotisQ.UE lapenfion d'un Officier de l'Armée, ou de la Cour, monte par mois jufqu'à mille roupies au premier titre (*), il quitte l'ordre des Manfebdars pour prendre la qualité d'Omrah. Ainfi ce titre de grandeur efl tiré de la paye qu'on reçoit. On efl obligé , alors , d'entretenir un clé- phant & deux cens cinquante Cavaliers pour le fervice du Prince. La pcn- lion de cinquante mille roupie&ne fuffiroit pas, même aux Indes, pour l'en- tretien d'une fi grofle Compagnie; car l'Omrah e(l obligé de fournir au moins deux chevaux à chaque Cavalier : mais l'Empereur y pourvoit autre- ment. IlalUgne, à l'Officier, quelques terres de Ton Domaine. On lui compte !a dépenfe de chaque Cavalier, à dix roupies par jour: mais les fonds de terre qu'on abandonne aux Omrahs , pour les faire cultiver , pro- duifent beaucoup au delà de cette dépenfe. Les appointemens de tous les Omrahs ne font pas égaux. Les uns ont deux ^Zir/y de paye , d'autres trois, d'autres quatre, quelques-uns cinq; & ceux du premier rang en reçoivent jufqu'à fix; c'efl-à-dire, qu'à tout prendre, la penfion annuelle des principaux peut monter jufqu'à trois mil- lions de roupies. Auffî leur train efl: niagninque; & la Cavalerie qu'ils en- tretiennent égale nos petites Armées. On a vu quelquefois ces Omrahs de- venir redoutables au Souverain. Mais c'efl: un règlement d'Ekbar , auquel fes inconvéniens mêmes ne permettent pas de donner atteinte. On comp- te ordinairement fix Omrahs de la grofle penfion, l'Itimad ud-DcouIet, les deux Secrétaires d'Etat , le Viceroi de Kaboul, celui de Bengale & celui d'Ugen. A l'égard des fimples Cavaliers & du refl:e de la Milice , leur paye efl: à la difcrétion des Omrahs qui les lèvent & qui les entretiennent. L'or- dre oblige de les payer chaque jour, mais il efl: mal obfervé. On fe con- tente de leur faire tous les mois quelque diftribution d'argent ; & fouvent on les oblige d'accepter, en payement, les vieux meubles du Palais, & les habits que les femmes des Omrahs ont quittés. C'efl: par ces vexations que les premiers Officiers de l'Empire accumulent de grands tréfors , qui ren- trent après leur mort dans les cojfres du Souverain. La Jufl:ice s'exerce avec beaucoup d'uniformité, dans les Etats du Grand Mogol. Les Vicerois , les Gouverneurs de Provinces , les Chefs des Vil- les & des fimples Bourgades , font précifément dans le lieu de leur Jurif- diflion, fous la dépendance de î'Empertiur, ce que ce Monarque fait dans Agra oudans Dehli; c'efl:-à-dire, que par des fentences qu'ils prononcent feuls , ils décident des biens & de la vie des Sujets. Chaque Ville a néan- moins fon Kutual & fon Cadi^ pour le jugement de certaines affaires. Mais les Particuliers font libres de ne pas s'adrefler à ces Tribunaux fubalternes ; & le droit de tous les Sujets de l'Empire eft: de recourir immédiatement, ou à l'Empereur même, dans le lieu de fa réfidence, ou aux Vicerois dans leur Capitale, ou aux Gouverneurs, dans les Villes de leur dépendance. Le Kutual fait tout à la fois les fondions de Juge de Police & de Grand- Prévôt. Sous Aureng-Zeb, Obfervateur zélé de l'Alcoran, le principal objet du Juge de Police étoit d'empêcher l'yvrognerie, d'exterminer les ca- barets (■i) C'efl ce qui s'appelle un Mari > Omatbêo, DE L'I N D O U S T A N, Lrv. III. S47 baretsàvin, & généralement tous les lieux de débauche, de punir ceux qui diftilloient de l'arrack ou d'autres liqueurs fortes. Il doit rendre comp- te à l'Empereur des delbrdres domeftiques de toutes les familles , des que- relles, & des alTemblées nofturnes. Il a, dans tous les quartiers de la Ville, un prodigieux nombre d'Efpions , dont les plus redoutables font une efpèce de valets publics , qili fe nomment /Jlarcos. Leur office: eft de bala- yer les mailons & de remettre en ordre tout ce qu'il y a de dérangé dans les meubles. Chaque jour, au matin, ils entrent chez les Citoyens, ils s'inftruilent du ftcret des familles, ils interrogent les Efclaves, & font leur rapport au Kutual. Cet Officier , en qualité de Grand - Prévôt , efl ref- pomable , fur fes appointemens , de tous les vols qui fe font dans fon diftrift, à la Campagne comme à la Ville. Sa vigilance & fon zèle ne fe relâchent jamais. Il a fans ccfle des Soldats en campagne & des E- miifaires déguiiés dans les Villes, dont l'unique foin eft de veiller au main- tien de l'ordre. La JurilUiftioii du Cadi ne s'étend guères au-delà des matières de reli- gion, des divorces, & des autres difficultés qui regardent le mariage. Au refte, il n'appartient, ni à fun, ni à l'autre de ces deux Juges fubalternes, de prononcer des fentences de mort, fans avoir fait leur rapport à l'Empe- reur, ou aux Vicerois des Provinces; &, fuivant les ftatuts d'Ekbar, ces Juges fupremes doivent avoir approuvé trois fois, à trois jours différens , l'Arrêt de condamnation avant qu'on l'exécute. QUOIQ.UE diverles explications, répandues dans les articles précédens, ayent déjà pu faire prenure quelqu'idée de la majertucufe forme de cette Juftice Impériale, on croit devoir en raflembler ici tous les traits, d'apréç un Peintre exaél & fi-.èle (c) Après avoir décrit divers appartemens; on vient, dit-il, à VAm-Kas, qui m'a femblé quelque chofe de royal. C'eft une grande Cour quarrée , avec des arcades qui reflemblent allez à celles de la Place royale de Paris, excepté qu'il n'y a point de bàtimens au-delTus, & quelles font féparées les unes des auireà par une muraille; de- forte, néanmoins, qu'il y a une petite porte , pour palier de l'une à l'autre. Sur la grande porte , qui eft au milieu d'un des côtés de cette place , on voit un grand Divan , tout ouvert du côté de la cour, qu'on nomme Nagar-Kanay^ parceque c'eft le lieu où font les trompettes, ou plutôt les haubois & les timbales, qui jouent enfemble à certaines heures du jour & de la nuit. Mais c'eft un concert bien étrange aux oreilles d'un Européen qui n'y eft pas encore accoutumé ; car dix ou douze de ces haubois , & autant de timbales donnent quelque- fois tout d'un coup ; & quelques haubois , tels que celui qu'on appelle Kar- m, font longs d'une braiîe & demie, & n'ont pas moins d'un pied d'ou- verture par le bas ; comme il y a des timbales de cuivre & de fer qui n'ont pas moins d'une bralle de diamètre. Bernier raconte que, dans les pre- miers tems, cette mufique le pénétroit, & lui caufoit un étourdilTement infupportable. Cependant l'habitude eut le pouvoir de la lui faire trouver très-agréable , fur-tout la nuit , qu'il l'entendoit de loin , dans fon lit 6l de •f» (c) Bernier. Xx 2 DaçcRtpTio."!^ DE L'iMÛOUSTAtf, Ofiîcc Ju Cadi. Defcriptioa de l'Am • Kss. Effet de la Mufique Mo- go le fur Ber- nier. "DuscniPTiON DR X,'1>00USTAN. Speftacles que l'Empe- reur fe donne à l'Am-kas. 348 DESCRIPTION fa terralTc. Il parvint même à lui trouver beaucoup de mclodic & de ma- jcflc. Comme clic a Tes règles & fes mefures, & que d'exccllcns Maîtres, inlîruits dès leur jeunefle, Içavcnt modérer & ilécliir la rudelfc des Tons, on doit concevoir , dit-il , qu'ils en 1 javent tirer une fimphonie qui lîattc l'oreille dans l'éloignement. A roppofitc de la grande porte de cette cour du Nagar-Kanay, au-delà de toute la cour, s'oll're une grande & magnifique falle à plufieurs rangs de piliers, haute & bien éclairée, ouverte des trois cotés , qui regarde llir la cour, & dont les piliers & le plat -fond font peints & dorés. Dans le milieu de la muraille, qui féparc cette falle d'avec le Serrail , on a laifTé une ouverture, ou une efpèce de grande fenêtre, haute & large, àlaquel- le l'homme le plus grand n'atteindroit point d'en-bas avec la main. C'cft- là qu'Aureng-Zeb fe mont r oit au public, affis fur fon Trône; quelques-uns de fes fils à fes côtés, & plufieurs Eunuques debout, les uns pour chafl'er les mouches avec des queues de paon, les autres pour lui faire du vent a* vec de grands éventails , & d'autres , pour être prêts à recevoir fes ordres. De-làil voyoit en-bas, autour de lui, tous les Omrahs, les Rajas & Ici Ambaffadeurs, d.bout aufli fur un Divan entouré d'une balufl:re d'argent, les yeux baifles & les mains croifées fur l'eflomac. Plus loin , il voyoit les Manfebdars , ou les moindres Omrahs, debout comme les autres, & darj le même refpeft. Plus avant , dans le relie de la falle & dans la cour , fa vue pou voit s'étendre fur une foule de toutes fortes de gens. C'étoit dans ce lieu qu'il donnoit audience à tout le monde , chaque jour à midi ; & de- là venoit, à cette falle, le nom d'Am-kas, qui fignifie Lieu d'aJJcmbléCy commun aux grands & aux petits. Pendant ime heure & demie, qui ctoit la durée ordinaire de cette augufte fcène, l'Empereur s'amufoit d'abord à voir pafler devant fes yeux un certain nombre des plus beaux chevaux de fes écuries , pour juger s'ils étoient en bon état & bien traités. Il fe faifoit amener auflî quelques élc- phans , dont la propreté s'attiroit toujours l'admiration de Bernier. Non- feulement, dit-il, leur fale & vilain corps étoit alors bien lavé & bien net, mais il étoit peint de noir, à la referve de deux grolTes rayes de peintuio rouge, qui defcendant du haut de la tête , venoient fe joindre vers latrom- pe. Ils avoient aufll quelque belle couverture en broderie, avec deux clc* chettes d'argent qui leur pendoient des deux côtés, attachées aux deux bouts d'une grofle chaîne d'argent qui leur paflbit par-defTus le dos, & plu- fieurs de ces belles queues de vaches du Tibet , qui leur pendoient aux oreil- les en forme de grandes moufiaches. Deux petits éléphans bien parés mar- choient à leurs côtés , comme des efclaves dcfl:inés à les. fervir. Ces grands colofles paroiflbient fiers de leurs ornemens , & marchoient avec beaucoup de gravité. Lorfqu'ils arrivoient devant l'Empereur, leur guide , qui étoit aflis fur leurs épaules avec un crochet de fer à la main, les picquoit, leur parloit, & leur faifoit incliner un genou, lever la trompe en l'air, & pouf- fer une efpèce d'hurlement, que le Peuple prenoit pour un Tajliin, c'eft-à- dire une falutation fibre & réfléchie. Après les éléphans , on amenoit des gazelles apprivoifées ; des nilgaux ou bœufs gris , que Bernier croit une ef- pèce d'élans i des rhinocéros j des bufles de Bengale, qui ont de prodigiwni- ki DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. M9 fc'S cornes ; des léopards ou des panthères apprivoifées , dont on fc fcrt à la chaflb des gazelles j de beaux chiens de chalfe Usbecks, chacun avec fli petite couverture rouge ; quantité d'(3ilcaux de proye, dont les uns étoient pour les perdrix , les autres pour la grue , & d'autres pour le lièvre & pour les gazelles mêmes, qu'ils aveuglent de leurs ailes «Se de leurs griftcs. Souvent un ou deux Omrahs fuifoient alors pafler leur Cavalerie en revue devant l'Empereur. Ce Monarque prenoic même plailir à fiiire quelque- fois ellayer des coutelas fur des moutons morts, qu'on apportoit lans en- trailles , & fort proprement empacquetés. Les jeunes Omrahs s'efForyoient de faire admirer leur force & leur adrelfe , en coupant d'un feul coup , les quatre pieds joints enfemble , & le corps d'un mouton. Mais tous ces amufemens n'étoient qu'autant d'intermèdes, pour des occupations plus férieufes. Aureng-Zeb ie faifoit apporter, chaque jour, les requêtes qu'on lui montroit de loin, dans la foule du Peuple. Il le les faifoit lire. Il faifoit approcher les Parties. Il les examinoit lui-même; & quelquefois il prononçoit fur le champ leur fentence. Outre cette Juftice publique, il alTifloit régulièrement, une fois lafemaine, à la Chambre, qui fe nomme Adaleî-Kanay , accompagné de les deux premiers Cadis , ou Chefs de Juftice. D'autrefois , il avoit la patience d'entendre en particulier , pendant deux heures, dix perfonnes du Peuple, qu'un vieil Officier lui prc- fentoit. C E que Bernier trouvoit de choquant dans la grande aflemblée de l'Am- kas, c'étoit une ilatterie trop baiTe & trop fade, qu'on y voyoit régner continuellement. L'Empereur ne prononçoit pas un mot , qui ne fût rele- vé avec admiration, & qui ne fît lever les mains aux principaux Omrahs , en criant Karamat, c'eil-à-dire, Merveille. De la falle de l'Am-kas, on pafle dans un lieu plus retiré, qui fe nom- me le Gofel-Kanay (r/), & dont l'entrée ne s'accorde pas fans diftinftion. AulTi la cour n'en ell-elle pas û grande que celle de l'Am-kas : mais la falle ed fpacieufe, peinte, enrichie de dorures, & relevée de quatre ou cinq pieds au-deffus du rez-de-chauflee, comme une grande eflrade. C'efl-là que l'Empereur, alîîs dans un fauteuil', & fes Omrahs debout autour de lui, donnoit une audience plus particuUère à fes Officiers, recevoit leurs comptes , & traitoit des plus importantes affaires de l'Etat. Tous les Sei- gneurs étoient obligés de fe trouver chaque jour au foir à cette affemblée, comme le matin à l'Am-kas ; fans quoi on leur retranchoit quelque chofe de leur paye. Bernier remarque , comme une diftinélion fort honorable pour les Sciences , que Danneckmend-Khan , fon Maître, étoit difpenfé de cette fervitude en faveur de fes études continuelles; à la réfervc néan- moins du Mercredi, qui étoit fon jiour de garde. Il ajoute qu'il n'étoit pas fiirprenant que tous les autres Omrahs y fulfent afflijettis, lorfque l'Empe- reur même le faifoit une loi de ne jamais manquer à ces deux allemblées. Dans ffs plus dangereufes maladies, il s'y faifoit porter, du moins une fois le DEicniPTiowl DR l'Indoustan. Comment il y rend la JulUcc. {(l) C'efl ce que Rhoe a nommé Gouzal- hn. Il n'efl pas aifé de fe déteruiiner en- tre deux témoignages d'un poids égal , & Flatterie deî MogoU, Gofel-Kanay, Faveur ac- cordée aux- Sciences. c'efl par cette raifon qu'on a pris le parti dis^ les rapporter tous dïux. Xx '5^ DESCRIPTION Dr.JcmrTiOM Piori-mon f! 1 tîoftl- Kanay. Rernicr voit l'Am kns , dins une des plii' brillaa- Peinture qu'il en fait. le jour; & c'étoit alors qu'il y croyoit fa pcrfonne plus ncccfTairc, parco- qu'au nioinurc loupv'on qu'on auroit eu de Ai mort, oji auroit vu tout itm- pire en delordre , Ck les boutiques fermées dans la Ville. Pendant qu'il étoit occupé dans cette faile , on n'en faifoit pas moins palier, devant lui, la plupart des mêmes cliofes qu'il prenoit plaifir à voir dans l'Am-kas; avec cette différence que la cour étant plus petite, Ci: j'af- femblée le tenant au loir, on n'y faifoit point la revue de la Cavakrie. Mais, pour y fuppléer, les Manfebdars de garde venoient palier devant l'Empereur , avec beaucoup de cérémonie. Ils étoient précédés du A'wnj, c'ell-à-dire, de diverfes figures d'argent, portées fur le bout de pluficms gnts bàtuns d'argent fort bien travaillés. Deux rcprélentent de graiijj poilfons; deux autres, un animal fantallique d'horrible figure, que les Mu- gols nomment Eicdcbai d'autres, deux lions; d'autres, deux mains; d'au- tres, des balances, &. quantité de figures aulîi millérieufes. Cette pro- cellion étoit mêlée de pïuiicurs Guurzc-lierdars ^ ou Porte-malfues , gens Je bonne mine , dont on a déjà dit que l'olfice confifte à faire régner 1 ordre dans les aflemblées. Terminons cet article par une peinture de l'Am-kas, tel que le mê- me Voyageur eut la curiolîté de le voir dans une des principales fêtes de l'année, qui étoit en méme-tems celle d'une rcjouïlTance extraordinaire pour le luccès des armes de 1 Empire. On ne s'arrête à cette defcripiion, que pour mettre un Leéleur attentif, en état de la comparer avec celles do 'l'avernier & de Rhoe. L'Empereur étoit afUs fur fon Trône, dans le fond de la grande falle. Sa veftc étoit d'un fatin blanc à petites fleurs , relevé d'une fine broderie d'or & de foye. Son turban étoit de toile d'or , avec une aigrette dont le pied étoit couvert de diamans d'une grandeur & d'un prix extraordinaires, au milieu defquels on voyoit une grande topafe oricniale, qui n'a rien d'c- gai au Monde, & quijettoitun éclat merveilleux Un collier de grolfcs perles lui pendoit du cou fur l'ellomac. Son l'rône écoit foutenu par lix gros pieds d'or maflif, & parlemé de rubis, d'émeraudes & de diamans. Bernier n'entreprend pas de fixer le prix, ni la quantité de cet amas de pier- res précieufes, parcequ'il ne put en approcher allez pour les compter, & pour juger de leur eau. Mais il aiïïire que les gros diamans y font en très- grand nombre , & que tout le Trône eft efUmé quatre Kiurours , c'ell-à- dire, quarante millions de roupies. C'étoit l'Ouvrage de Cha-Jeiian, Père d'Aureng-Zeb , qui l'avoit fait faire pour employer une mulcitude de pier- reries, accumulées dans fon tréfor, des dépouilles de pluiieurs anciens Ra- jas , & des préfens que les Omrahs font obligés de faire à leurs Empereurs dans certaines fêtes. L'art ne répondoit pas à la matière. Ce qu'il y avoit de mieux imaginé, c'étoient deux paons, couverts de pierres précieufes & de perles (f), dont on attribuoit l'invention à un Orfèvre l-'rançois, qui après avoir trompé plufieurs Princes de l'Europe par les Doublets , qu'il faifoit merveilleufement , s'étoit réfugié à la Cour du Mogol où il avoit fait fa fortune. A¥ (e) On a vu que ce Trône fut enlevé par Nadir -Chah. DE i; I N D O U S T A N, Liv. III. 351 Au pied du Trône, tous les Oinralis, magnifiquement vêtus, dtoicnt DescrirTioif rancés fur une cflrade couverte d'un ^rand dais de brocard, à grandes fran- „ '"' ces dor, environnée cl une balultrade cl argent. Les piliers de la lalle e- tuicnt revêtus de brocard à fond d'or. De toutes les parties du plat-fond pcndoient de grands dais de Patin à tleurs, attachés par des cordons de foyc rouge, avec de groires houpes de Ibye, mêlées de HIets d'or. Tout le bas étoit couvert de grands tapis de foyc très riches, d'une longueur & d'une largeur étonnantes. Dans la cour, on avoit drelle une tente, qu'on nom- me Vylfpekf aufli longue & aulli large que la falle, à laquelle elle étoit: jointe par le haut. Du côté de la cour, elle étoit environnée d'une grande baluflrc couverte de plaques d'argent, & foutenue par des piliers de dif- férentes grolleurs, tous couverts aulîi de plaques du même métal. Elle ctoit rouge en dehors, mais doublée en dedans de ces belles chices, ou toiles peintes au pinceau, ordonnées exprès, avec des couleurs fi vives & des fleurs fi naturelles, qu'on les auroit prifes pour un parterre fufpendu. Les arcades, qui environnent la cour, n'avoient pas moins d'éclat. Cha- que Oinrah étoit chargé des ornemens de la fienne, & s'étoit efforcé de 1 emporter par la magnificence. Le troifième jour de cette fuperbe fête , l'Empereur le fit pefer avec beaucoup de cérémonie, & plufieurs Omrahs à Ton exemple, dans de riches balances d'or malfif comme les poids. Tout le monde applaudit avec de grandes marques de joye , en apprenant que , cette année, l'Empereur pefoit deux livres de plus que la précédente. Son intention, dans cette fête, étoit de favorifer les Marchands de foye & de brocard, qui depuis quatre ou cinq ans de guerre, en avoient des maga- fins dont ils n avoient pu trouver le d^:bit. Ces fêtes font accompagnées ^d'un ancien ufage, qui ne plaît point à Ancien ufa* la plûpaift des Omrahs. ils font obligés alors de faire, à l'Empereur, des ^!/^,.^^{!,1s ^ f)réfens proportionnés à leurs forces. Quelques-uns, pour fe diitinguer par ViiiiHpaeur. eur magnificence , ou dans la crainte d'être recherchés pour leurs vols & leurs conculîîons, ou dans l'efpérance de faire augmenter leurs appointe- mens ordinaires , en font d'une richefle ftirprenante. Ce font ordinaire- ment de beaux vafes d'or , couverts de pierreries ; de belles perles , des diainans, des rubis, des émeraudes. Quelquefois, c'eft plus fimplemcnc un nombre de ces pièces d'or qui valent une piftole & demie. Bernier ra- conte que pendant la fête, dont il fut témoin, Aureng-Zeb étant allé vifi- ter Jajer-Khan^ Ton Vifir, non en qualité de Vifir, mais comme fon pro- che parent , ik fous prétexte de voir un Bâtiment qu'il avoit fait depuis peu, ce Seigneur lui offrit vingt-cinq mille de ces pièces d'or, avec quel- ques belles perles , & un rubis qui fut eftimé quarante mille écus (/). Un fpeftacle fort bizarre , qui accompagne quelquefois les mêmes fêtes, c'eft une efpèce de foire, qui fe tient dans le Mebalu^oii le Serrail de l'Em- pereur. Les femmes des Omrahs & des grands Manfebdars font les Mar- chandes. L'Empereur , les Princeffes & toutes les Dames du Serrail , vien- nent acheter ce qu'elles ont étallé. Les marchandifes font de beaux bro- cards, de riches broderies d'une nouvelle mode, de riches turbans, & ce qu'on (/) Jbiii. pag. 102 & fuivantes. Leur riclicITe. Speftacl» d'une foire bizarre. 35: DESCRIPTION DnSCMPTION DE L'L\DOU!iTAN. Aiireng Zcb iuoliciin ufa- Se indC'cent. Hifloire de Bernard, Mijdeciti FrançoiSt Comment il obtient une jeune Dan- feufe. qu'on peut raflembler de plus précieux. Outre que ces femmes font les plus belles & les plus galantes de laCour, celles qui ont des filles d'une beau- te diflinguce ne manquent point de les mener avec elles , pour les faire voir à l'Empereur. Ce Monarque vient marchander tout ce qu'il acheté fou il fou, comme le dernier de fes Sujets, avec le langage des petits Mar- chauds qui {"c plaignent de la cherté ëc qui conteftent pour le prix. Les Dames fe défendent de même; & ce badinage efl poulie jufqu'aux injures. Tout fe paye argent comptant. Quelquefois, au-lieu de roupies d'argent, les Princelfes laillent couler, comme par mégarde, quelques roupies d'or en faveur des Marchandes qui leur plaifent. Mais après avoir loué des ufagcs û galans , Bernier traite de licence la liberté qu'on accorde alors aux femmes publiques, d'entrer dans le Serrail. A la vérité, dit-il, ce ne font pas celles des Bazars, mais celles qu'on nomme Kcnchcnysy c'elt- à-dire, dorées ^ fleuries ^ & qui vont danfer, aux fêtes, chez les Om- rahs & les Manfebdars. La plupart font belles & richement vêtues. El- les favcnt chanter & danfer parfaitement à la manière du Pays. Mais com- me elles n'en font pas moins publiques, Aureng-Zeb, plus férieux que fes Prédécefleurs , abolit l'ufagc de les admettre au Serrail ; & , pour en conferver quelque relie, il permit feulement qu'elles vinlTent tous les Mer- credis lui faire de loin le Salain^ ou la révérence, à l'Am-kas {g). Un Médecin François , nommé Bernard , qui s'étoit établi dans cette Cour , s'y étoit rendu fi familier, qu'il faifoit quelquefois la débauche avec l'Em- pereur. Il avoit par jour, dix écus d'appointemens ; mais il gagnoit beau- coup davantage à traiter les Dames du Serrail , & les grands Omrahs , qui lui faifoient des préfens comme à l'envi. Son malheur étoit de ne pouvoir rien garder. Ce qu'il recevoit d'une main , il le donnoit de l'autre. Cette profulion le faifoit aimer de tout le monde, fur-tout des Kenchenys , arec lefquelles il faifoit beaucoup de dépenfe. 11 devint amoureux d'une de ces femmes, qui joignait des talens diflingués aux charmes de la jeunefle & de la beauté. Mais fa mère , appréhendant que la débauche ne lui fît per- dre les forces nécelTaires pour les exercices de fa profeffion , ne la perdoic point de vue. Bernard fut defefperé de cette rigueur. Enfin, l'amour lui infpira le moyen defe fatisfaire. Un jour que l'Empereur le remercioit, à l'Am-kas , & lui faifoit quelques préfens , pour la guérifon d'une femme du Serrail, il fupplia ce Prince de lui donner la jeune Kencheny, dont il étoit amoureux , 6c qui étoit debout derrière î'alfemblée pour faire le la- lam avec toute fa troupe. Il avoua publiquement la violence de fa pallion , & l'obimcle qu'il y avoit trouvé, lous les Spe6lateurs rirent beaucoup, de le voir réduit à fouffrir par les rigueurs d'une fille de cet Ordre. L'Em- pereur, après en avoir ri lui-même, ordonna qu'elle lui fût livrée, fans s'embarralfer qu'elle fût Mahométane & que le Médecin fût Chrétien. „ Qu'on la lui charge , dit-il, fur les épaules, & qu'il l'emporte". Aulli- tôt Bernard, ne s'embarraffant pas plus des railleries de fallcmblée, fe laiiTa mettre la Kencheny fur le dos, dfortit chargé de fa proye (/;). Obser- {g) tbid, pag. 143. (i) Pag. 144 & précédentes, DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 353 Observons que ce fut à Jehan-Guir, que le Médecin François en DEscnimoN eut l'obligadon ; &qu'Aureng-Zeb, dans le zèle qu'il afFeftoit pour l'Ai- lIndoustak coran, n'auroit jamais permis cette liaifon d'une Mufulmane avec un Chré- tien. Bernier paroît perfuadé , comme Rhoc, que le premier de ces deux Princes, malgré le penchant qu^- d'autres lui ont attribué pour le Chrif- tianifme (f)> mourut fans Religion, & dans le delîein d'en établir une nouvelle, qu'il faifoit compofer fous fa direftion (k). ( (• ) C'étoient les bons Pères Jéfuites , dit Te niônie Voyageur , qui avoic-nt conçu de fi btUes efpéiances pour l'avancement du Chridianifine. Il en prend occafion d'af- furer , qu'après tout ce qu'il a vu & enten- du dans Its InJes . il e(t fort éloigné de s'attendre à ces grands coups d'Apôtres, qui convertifToient deux ou trois mille perfomes en un feul Sermon, fâchant par fa propre expérience & par d'autres témoignages, que tout ce qu'il y a de Miflionnaires , aux Indes, & dans les Etats Mahométans, pourroient bien, à la vérité, par leurs inllruflions , ac- compagnées d'aumônes & de libéral tés, fsire quelques progrès avec les Payens,* mais qu'ils ne font pas , en dix ans, un Jeul Ma- hométan Chrétien; de -forte qu'on doit fe defabufer, & ne point fe laiÂcr aller trop légèrement à tant de contes, ni croire la chofe auffi facile qu'on nous la repréfente dans quelques Relations. ., Ce n'ell point, „ ajoute Bernier, que je n'approuve extrê- „ mement les Millions & les bons & favans „ Miffionnaires , qui font abfolument né- celTafres pour l'honneur & la prérogative du Chriflianifme; en tant qu'ils inllruifent doucement , fans ce zèle & cet emporte- men^indifcret,• qu'ils entretiennent chari- tablement les divers Chrétiens du Pays, foit Catholiques , Grecs , Arméniens , Nefloriens , Jacobites ou autres ; qu'ils font le refuge & la confolation des pau- vres Etrangers & Voyageurs ,• & que par leur doflrine , leurs mœurs réglées, & leur vie exemplaire, ils confondent l'igno- rance, & le libertinage des Infidèles; ce que ne font pas toujours quelques ■ uns d'entr'eux, qui feroient beaucoup mieux dans leurs Couvens , bien reiTerrés , que dans ces Pays, où ils nous viennent faire une momerie de nôtre Religion ; & lefquels par leur ignorance, par leurs dérèglemens, & par l'abus de leur caraflère, fe rendent eux mêmes la pierre d'achopement Je la Foi Chrétienne". Bernier, Tom. II. pag. 83&fuiv. Edition de Hollande. R.d.E. ( À: ) Pag. 151. Voyez, ci ■ deflus > la fin du Jounlal de Rhoe. §. VI. • :';'.: Religion y Figure y Habits, Mœurs £3' Ufages des Peuples de rinàoujlan. DA N s un fi grand nombre de Provinces , qui formoient autrefois diffé- rens Royaumes, dont chacun devoit avoir fes propres- Loix & fes Ufages , on conçoit que malgré la reflemblance du Gouvernement , qui in- troduit prcfque toujours celle de la Police & de la Religion , en changeant par dtgrés les idées, les mœurs & les autres habitudes, un efpace de quel- ques liéclcs, qui fe font écoulés depuis la Conquête des Mogols, n'a pu mettre encore une parfaite uniformité entre tan.t de Peuples. Ainfi, la dcfcription de tous Its points, fur lefquels ils diffèrent, feroit une entre- priie impolfible. Mais les Voyageurs les plus exafts ont jette quelque jour Peuples de dans ce canos, en divifant les Sujets du Grand Mogol en Mahométans, ''in^-^Qu'lan. qu'ils appellent Maures ^ & en Payens , ou Gentils, de différentes Seftes. Cette divifion paroît d'autant plus propre à faire connoître les uns & les, autres, qu'en Orient, comme dans les autres parties du Monde, c'eft la Religion qui règle ordinairement les Ufages. XllL Part. Y y L'Empe- Divifion générale des m DESCRIPTION Description DE i'Jndoustan. Ia' Maho- métifmc eltla Relji;ion do- minante. i Fêtes Mo- dèle?. L'Empereur, les Princes & tous les Seigneurs de l'Indouftan profef- fent le Mahométirmc. Les Gouverneurs, les Commandans, & les Kutuals des Provinces , des Villes & des Bourgs, doivent être de la même Religion. Ainli , c'eft entre les mains des Mahométans , ou des Maures , que réfidê toute l'autorité , non-feulement par rapport à l'adminiflration , mais pour tout ce qui regarde auffi les Finances & le Commerce. Ils travaillent tous avec beaucoup de zèle, au progrès de leurs opinions. On fçait que le Ma. hométifme eft divifé en quatre Se6tes ; celles à'Abubekcry à'Ali^ d'Omar^ d'Oman. Les Mogols font attachés à celle d'Ali, qui leur efl: commun? avec les Perfans; avec cette feule différence, que dans l'explication de l'Ai- coran, ils fuivent les fentimens de Hembïti & de Maleki, au-lieu que les Perfans s'attachent à fexplication d'Ali & de Tzafer-Saduek ; oppofés les uns & les autres aux Turcs , qui fuivent celle de Hanife {a). La plupart des Fêtes Mogoles font celles des Perfans. Ils célèbrent fort folemnellement le premier jour de leur année , qui commence le premier jour de la Lune de Mars. Elle dure neuf jours, fous le nom de Nourou(b)^ & fe pafle en feftins. Le jour de la naiflance de l'Empereur efl: une autre folemnité, pour laquelle il fe fait des dépenfes extraordinaires à la Cour. On en célèbre une, au mois de Juin, en mémoire du Sacrifice d'Abraham, & l'on y mêle aulTi celle d'Ifmael (c). L'ufage eft d'y facrifier quantité de boucs , que les Dévots mangent enfuite avec beaucoup de réjouiffances (& de cérémonies. Ils ont encore la Fête des deux Frères , Hajfan & HoJ. feinj fils d'Ali, qui étant allés, par zèle de Religion, vers la Côte de Co- tomandel, y furent mafTacrés par les Banians & d'autres Gentils, le dixiè- me jour de la nouvelle Lune de Juillet. Ce jour eft confacré à pleurer leur mort. On porte en proceffion , dans les rues , deux cercueils , avec des trophées d'arcs , de iléches , de fabres & de turbans. Les Maures fuivent à pied, en chantant des cantiques funèbres. Quelques-uns danfent & fan- tent autour des cercueils. D'autres efcriment avec des épées nues. D'au- tres crient de toute leur force , & font un bruit effrayant. D'autres fe font volontairement des playes, avec des couteaux , dans la chair du vifage & des bras , ou fe la percent avec des poinçons , qui font couler leur fang le long des joues & fur leurs habits. Il s'en trouve de fi furieux , qu'on ne peut attribuer leurs tranfports qu'à la vertu de l'opium. On juge du dtgrc de leur dévotion , par celui de leur fureur. Ces proceffîons fe font dans les principaux quartiers & dans les plus belles rues des Villes. Vers le foir, on voit dans la grande place du Meidan, ou du Marché, des figures de paille, ou de papier, ou d'autre fubftance légère, qui repréfentenc les meurtriers de ces deux Saints. Une partie des Speélateurs leur tirent des flèches , les percent d'un grand nombre de coups , & les brûlent , au mi- lieu des acclamations du Peuple. Cette cérénionie réveille fi furieufement la (a) Mandeiflo, Tomel. pag. 155. (é) Voyez, ci- deflus, l'explication de ce mot, dans la Relation de Tlioinas Rhoe. ( ( ) Ils prétendent , pour relever leur ori- gine , que c'eft Iftnael , & non Ifâc , qu'A- braham eut ordre d'ôfFrii en facrifice. R. d. £. DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 35^ eux , qu on ne la haine des Maures ,& leur infpire tant d'ardeur pour la vengeance, que les Banians & les autres Idolâtres prennent le parti de fe tenir renfermés dans leurs maifons. Ceux qui oferoient paroître dans les rues , ou mon- trer la tête à leurs fenêtres , s'expoferoient au rifque d'être maflacrés , ou de fe voir tirer des flèches. Les Mogols célèbrent aulU la Fête de Pâques, au mois de Septembre ; & celle' de la Confrairie , le 25 de Novembre , où ils fe pardonnent tout le mal qu'ils fe font fait mutuellement. Les Mofquées de l'Indouftan font aflez bafles ; mais la plupart font bâ- ties fur des éminenccs , qui les font paroître plus hautes que les autres édi- fices. Elles font conllruites de pierre & de chaux, quarrées par le bas, & plates par le haut. L'ufage eft de les environner de fort beaux appar- temens , de falles & de chambres. On y voit des tombes de pierres , & fur-tout , des murs d'une extrême blancheur. Les principales ont ordi- nairement une ou deux hautes tours. Les Maures y vont avec des lanter- . ftes. pendant le Ramadan^ qui efl: leur Carême, parceque ces édifices font fort obfcurs. Autour de quelques-unes on a creufé de grands & larges fof- fés, remplis d'eau. Ceux qui font fans fofles, ou fans rivières, ont de grandes citernes à l'entrée, où les fidèles fe lavent le vifage, les pieds & les mains. On n'y voit point deHatues, ni de peintures. CHAQ.UE Ville a plufieurs petites Mofquées, entre lefquelles on en dif- tingue une plus grande , qui pafle pour la principale , où perfonne ne man- que de fe rendre tous les Samedis après-midi & les jours de fête. Au-liei;i de cloches , un homme crie du haut de la tour, comme en Turquie, pour aflembler le Peuple , & tient , en criant , le vifage tourné vers le Soleil. La chaire du Prédicateur efl placée du côté de l'Orient. On y monte par trois ou quatre marches. LesDo6leurs, qui portent le nom, de Mullahs, s'y mettent pour faire les prières & pour lire quelque palFage de l'Alcoran, dont ils donnent l'explication , avec le loin d'y faire entrer les miracles de Mahomet & d'Ali , ou de réfuter les opinions d'-A bubeker , d'Otman & d'Omar (d). On a vu, dans le Journal de Tavernier, la defcription de la grande Mofquée d'Agra. Celle de DehU ne fait pas une figure moins brillante, dans la Relation de Bernier. On la voit de loin , dit-il , élevée au milieu de la Ville , fur un rocher qu'on a fort bien applani pour la bâtir , & pour l'entourer d'une belle place, à laquelle viennent aboutir quatre belles & longues ruts, qui répondent aux quatre côtés de la Mofquée; c'efl-à-dire, une au froritifpice , une autre derrière , & les deux autres aux deux portes du milieu de chaque côté. On arrive aux portes pur vingt-cinq ou trente degrés de pierres, qui régnent autour de l'Edifice, à l'exception du der- rière, qu'on a revêtu d'autres belles pierres de taille, pour couvrir les iné- galités du rocher qu'on a coupé ; ce qui contribue beaucoup à relever l'éclat de ce Bâtiment. Les trois entrées font magnifiques. Tout y eft revêtu de Descriptiou D'- l'Indoustan. Mf^fq liées de rindouilan. Grande Mofqaée de Dehli. id) Voyages de Gnutler Schouten, auTom, VII. du Recueil de la Compagnie Hollan- doife, pag. 100 & précédentes. Yy2 35<5 DESCRIPTION Description DE l'Indoustan. Fafle avec lequel l'Kiii' pereur s'y rend tous les Vendredis. Revenus des Mofquées & desMullahSt Offices des frêties. de marbre , & les grandes portes font couvertes de plaques de cuivre d'un fort beau travail. Au-deflus de la principale porte , qui efl: beaucoup pjug magnifique que les " deux autres , on voit plufieurs tourelles de marbre blanc , qui lui donnent une grâce fingulière. Sur le derrière de la Mof- quée s'élèvent trois grands dômes de front, qui font aufli de marbre blanc & dont celui du milieu efl plus gros & plus élevé que les deux autres! Tout le refle de l'Edifice , depuis ces trois dômes jufqu'à la porte prin. cipale, efl fans couverture, à caufe de la chaleur du Pays; & le pavé n'efl; compofé que de grands carreaux de marbre. Quoique ce Temple ne foit pas dans les régies d'une exafte Architecture, Bernier en trouva le deflein bien entendu & les proportions fort juftes. Si l'on excepte les trois grands dômes & les tourelles , on croiroit tout le refte de marbre rouge ; quoiqu'il ne foit que de pierres très - faciles à tailler, & qui s'alté. rent même avec le tems. C E s T à cette Mofquée que l'Empereur fe rend le Vendredi , qui ell le Dimanche des Mahométans, pour y faire fa prière. Avant qu'il Ibrtedii Palais, les rues, par lefquelles il doit pafler, ne manquent pas d'être arro- fées , pour diminuer la chaleur & la pouflière. Deux ou trois cens Moiif. quétaires font en haye pour fattendre; & d'autres, en même nombre, bor- dent les deux côtés d'une grande rue qui aboutit à la Mofquée. Leurs moufquets font petits , bien travaillés , & revêtus d'un grand fourreau d'é- carlate, avec une petite banderolle par-deffus. Cinq ou fix Cavaliers, bien montés, doivent auflî fe tenir prêts à la porte, & courir bien loin devant lui, dans la crainte de lui faire de la pouiîière, pour écarter le Peuple. Après ces préparatifs, le Monarque fort du Palais, monté fur un élé- phant richement équipé , & fous un dais peint & doré ; ou dans un Trô- ne éclatant d'or & d'azur , fur un brancard couvert d'ecarlate ou de drap d'or, que huit hommes choifis & bien vêtus portent fur leurs épaules. 11 efl fuivi d'une troupe d'Onirahs , dont quelques-uns font à cheval , &d'au. très en palekis. Cette marche avoit, aux yeux de Bernier, un air de gran« deur , qu'il trouvoit digne de la Majefté Impériale (e). Les revenus des Mofquées font médiocres. Ce qu'elles ont d'affuré , con- fifle dans le loyer des maifons qui les environnent. Le refle vient des préfens qu'on leur fait, ou des difpofitions tc<>amentaires. Les Mullahs n'ont pas de revenu fixe: ils ne vivent que des libéralités volontaires des fi- dèles, avec le logement pour eux & pour leur famille, dans les maifons qui font autour des Mofquées. Mais ils tirent un profit conlidérable de leurs écoles, & de l'inflruélion de la jeunelTe, à laquelle ils apprennent à lire & écrire. Quelques-uns pafTent pour fçavans; d'autres vivent avec beau- coup d'auflërité, ne' boivent jamais de liqueurs fortes & renoncent per- pétuellement au mariage ; d'autres fe renferment dans la folitude, & palfent les jours i^i. les nuits dans la méditation ou la prière. Le Ramadan, ou le Carême des Mogols, dure trente jours , & commence à la nouvelle Lune de Février. Ils l'obfervent par un jeûne rigoureux, qui ne finit qu'après («) Bernier, Tom.III. pagi 127 & précédentes. DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 357 Caraflère général de» Mogols. Leur figura & leur habil» kmcnt. qu'après le coucher du Soleil. C'eft une opinion bien établie parmi eux-, Description qu'on ne peut être fauve que dans leur Religion; Ils croyent le-; Juifs, l'Lndoustan. les Chrétiens & les Idolâtres également exclus des félicités d'une autre vie. La plupart ne toucheroient point aux alimens qui font achetés ou préparés par des Chrétiens. Ils n'en exceptent que le bifcuit fort fec & les confitu- res. Leur Loi les oblige de faire cinq fois la prière, dans l'efpace de vingt- qiiatre heures. Ils. la font , tête baillée jufqu'à terre , & les mains jointes. L'arrivée d'un Etranger ne trouble point leur attention. Ils continuent de prier dans fa préfence; & lorfqu'ils ont rempli ce devoir, ils n'en devien- nent que plus civils. En général, les Mogols & tous les Maures Indiens ont l'humeur noble, les manières polies , & la converfation fort agréable. On remarque de la gravité dans leurs aftions & dans leur habillement, qui n'eft point fu- jet au caprice des modes. Ils ont en horreur l'incefte , l'yvrognerie , & tout, s fortes de querelles. Mais ils admettent la poligamie; & la plupart font livrés aux plaifirs des fens. Quoiqu'ils fe privent en public de l'ufage du vin & des liqueurs fortes, ils ne font pas difficulté, dans l'intérieur de leurs maifons , de boire de farrack & d'autres préparations qui les animent au plailir. Ils font moins blancs que bazanés ; la plupart font d'aflez haute taille, robuftes & bien proportionnés. Leur habillement ordinaire eft fort mo- defte. Dans les Parties Orientales de l'Empire, les hommes portent de longues robbes , des plus fines étoffes de coton , d'or ou d'argent. Elles leur pendent jufqu'au milieu de la jambe, & fe ferment autour du cou. Elles font attachées avec des nœuds par -devant, depuis le haut jufqu'en bas. Sous ce premier vêtement , ils ont une vefte d'étoffe de foye à fleurs , ou de toile de coton, qui leur touche au corps & qui leur defcend fur les cuiffes. Leurs culottes font extrêmement longues , la plupart d'étoffes rou- ges rayées, & larges par le haut, mais fe retrécilfant par le bas: elles font froncées fur les jambes , & defcendent jufqu à la cheville du pied. Comme ils n'ont point de bas , cette culotte fert , par fes plis , à leur échauffer les jambes. Au centre de l'Empire & vers l'Occident , ils font vêtus àlaPerfane, avec cette différence, que les Mogols paffent, com- me les Guzarates, l'ouverture de leur robbe fous le bras gauche, au-lieu que les Perfans la paflent fous le bras droit ; & que les premiers nouent leur ceinture fur le devant , laiffent pendre les bouts , au-lieu que les Perfans ne font quelapafferautourducorps,& cachent les bouts dans la ceinture même. Ils ont des Seripous, qui font une efpèce de larges fouliers, faits ordi- nairement de cuir rouge doré. En hyver comme en été , leurs pieds font nuds dans cette chaulïïire. Ils la portent , comme nous portons nos mu- les , c'eft-à-dire fans aucune attache; pour les prendre plus promptement , lorfqu'ils veulent partir, & pour les quitter avec la même facilité, en ren- trant dans leurs chambres , où ils craignent de fouiller leurs belles nattes & leurs tapis de pied. Ils ont la tête rafe & couverte d'tm turban (/) , dont la forme reffemble à (/) Ils prononcent Tulbsnt ou Teulbant, Yy 3 358 DESCRIPTION Description Dii ;.'Indoustan. HabiHcmens des femmes. à celui des Turcs ; d'une fine toile de coton blanc , avec des rayes d'or 011 de foye. Ils fçavent tous le tourner & fe l'attacher autour de la tcte quoiqu'il Toit quelquefois long de vingt - cinq ou trente aunes de France. Leurs ceintures , qu'ils nomment Commerbaiit , font ordinairement de Ibye rouge, avec des rayes d'or ou blanches, & de grofles houpes qui leur pen. dent fur la hanche droite. Après la première ceinture, ils en ont une au- tre, qui eft de coton blanc, mais plus petite, & roulée autour du corps, avec un beau Syimder [ou poignard] au côté gauche, entre cette ceintu' re & la robbe, dont la poignée efl: fouvent ornée d'or , d'agathe, de crif- tal , ou d'ambre. Le fourreau n'efl; pas moins riche à proportion. Lorf. qu'ils fortent , & qu'ils craignent la pluye ou le vent , ils prennent par^ deflus leurs habits, une écharpe d'étoffe de foye, qu'ils fe palTent par-def. fus les épaules , & qu'ils fe mettent autour du cou pour fervir 'de manteau. Les Seigneurs , & tous ceux qui fréquentent la Cour, font éclater leur ma- gnificence dans leurs habits ; mais le commun des citoyens & les gens de métier font vêtus modellement. Les Mullahs portent le blanc, depuis la tête jufqu'aux pieds (g ). Les femmes & les filles Mahométanes ont ordinairement, autour du corps , un grand morceau de la plus fine toile de coton , qui commence à la ceinture , d'où il fait trois ou quatre tours en bas , & qui efl: aflez large pour leur pendre jufques fur les pieds. Elles portent, fous cette toile, une forte de caleçons d'étoffe légère. Dans l'intérieur de leurs maifons, la plupart font nues par le haut jufqu'à la ceinture , & demeurent auflî tête & pieds nuds. Mais, lorfqu'ellcs forcent, ou qu'elles paroiffent feulement à leur porte, elles fe couvrent les épaules d'un habillement, par-deffus le- quel elles mettent encore une écharpe. Ces deux vetemens , étant afll-z larges , & n'étant point attachés ni ferrés , voltigent fur leurs bras. Les femmes riches, ou de qualité , ont aux bras des anneaux & des cercles d'or. Dans les rangs ou les fortunes inférieures , elles en ont d'argent, d'y voi- re, de verre, ou de lacque doré & d'un fort beau travail. Quek|ue- fois elles en ont les bras garnis jufqu'au deffous du coude : mais ces riches ornemens paroiffent les embarraffer,& n'ont pas l'air d'une parure aux yeux des Etrangers. Quelques-unes en portent autour des chevilles du'pied. U plupart fe paffent, dans le bas du nez, des bagues d'or garnies de petites perles , ôc fe percent les oreilles avec d'autres bagues , ou avec de grands anneaux qui leur pendent de chaque côté fur le fein. Elles ont au cou de riches colHers, ou d'autres ornemens précieux , & aux doigts quantité de bagues d'or. Leurs cheveux , qu'elles laiffent pendre , & qu'elles ménagent avec beaucoup d'art, font ordinairement noirs, & fe nouent en boucles fur le dos. Les femmes de confidération ne laiffent jamais voir leur vifage aux E- trangers. Lorfqu'elles fortent de leurs maifons , ou qu'elles voyagent dans leurs palanquins, elles fe couvrent d'un voile de foye. Schouten prétend que cette mode vient plutôt de leur vanité , que d'un ^e"timent de pudeur &demodefliei ^laraifon qu'il en apporte, c'eft ^^u'ules traitent i'ufage op- (g) Schouten, ubi fup. pag. i8(5 & fui vantes. ; DE L'I N D O U S T A N, Liv. HT. 359 is, étant ailtz DE l'Indoustan. Maifons des Muj^ols. oppofé, de baflefle vile & populaire. Il ajoute que l'expérience- fait fou- Oescrtptiow vent connoître que celles qui affeélent le plus de fcrupule fur ce point, font ordinairement affez mal avec leurs maris, à qui elles ont donné d'au- tres occafions de foupçonner leur fidélité (A). Les maifons des Maures font grandes & fpacieufes, & diftribuées en divers appartemens , qui ont plufieurs chambres & leur falle. La plupart ont des toîts plats & des terraffes, où l'on fe rend le foir pour y prendre l'air. Dans celles des plus riches, on voit de beaux jardins, remplis de bofquets & d'allées d'arbres fruitiers, de fleurs, & de plantes rares, avec des galeries, des cabinets & d'autres retraites contre la chaleur. On y trou- ve même des étangs & des viviers, où l'on ménage des endroits égale- ment propres & commodes , pour fervir de bains aux hommes & aux fem- mes, qui ne laiiTent point palier de jour fans s'accorder le plaifir de fe ra- fraîchir dans l'eau. Quelques-uns font élever, dans leurs jardins, des tom- beaux en pyramide, oc d'autres ouvrages d'une Architeélure fort délicate. Cependant Bernier, après avoir parle d'une célèbre Maifon de campagne du Grand Mogol , qui efl: à deux ou trois lieues de Dehli , & qui fe nom- me Chah-Limar, finit par cette obfervation: „ C'eft véritablement une bel- „ le & Royale Maifon : mais n'allez pas croire qu'elle approche d'un Fon- „ tainebleau, d'un Saint Germain, ou d'un Verfailles. Ce n'en eft pas j, feulement l'ombre. Ne penfez pas non plus qu'aux environs de Dehli , „ il fe trouve des Saint Clouds , des Chantillis, des Meudons, des Lian- „ cours , des Vaux , &c. , ou qu'on y voye même de ces moindres maifons de fimples Gentilshommes, de Bourgeois & de Marchands, qui font en fi grand nombre autour de Paris. Les Sujets ne pouvant acquérir la pro- priété d'aucune terre, une maxime fi dure fupprime néceffairement cette forte de luxe (i) ". Les murailles des grandes maifons font de terre & d'argile, mêlées enfemble, & ftchées au Soleil. On les enduit d'un mélange de chaux &. de fiente de vache, qui les préferve des infeftes ; & par-deflTus encore, d'une autre compofition d'herbe, de lait, de fucre & de gomme, qui leur donne un luftre & un agrément fingulièr. Cependant on a déjà fait remar- quer qu'il fe trouve des maifons de pierre; &. que, fuivant la proximité des carrières , plufieurs Villes en font bâties prefqu'entièrement. Les mai- fons du Peuple ne font que d'argile «Se de paille. Elles font bafles , cou- vertes de rofeaux , enduites de fiente de vache. Elles n'ont ni chambres hautes, ni cheminées, ni caves. Les ouvertures , qui fervent de fenêtres , font même fans vîtres; & les portes, fans ferrures & fans verroux; ce qui n'empêche point que le vol n'y foit très-rare (k). Les appartemens des grandes maifons offrent ce qu'il y a de plus riche Magnifîcen- en tapis dePerfe, en nattes très-fines, en précieufes étoffes, en dorures ^^ '^" P'-'f* & en meubles recherchés, parmi lefquels on voit de la vailfelle d'or & d'ar- °""""^ "• gent. Les femmes ont un appartement particulier, qui donne ordinaire- ment il >» j» {b) Ibid. pag. i88. (0 Bernier, ubifup. pag. 138. ( Jk ) Schouten , pag'. 190 & fuiv. Z6o DESCRIPTION DrscnirTioN nu l'Indoustan. Leur'! fem- irns & leurs doiiK'lUques. V^oitiircs les plus com- munes. Comment elles font por- té es. ment fur le jardin ; elles y mangent cnfemble. Cette dépenfc efl incroya- ble pour le mari, fur-tout dans les conditions élevées; car chaque ftmnn; a les Domelliques & Tes Efclaves du même fexe , avec toutes les cominu- dites qu'elle délire. D'ailleurs les Grands & toutes les perfonnes riches entretiennent un grand train d'Oificiers , de Gardes, d'Kunuques, de Vn lets, d'Elclaves, & ne font pas moins attentifs à fe faire bien fervir au- dedans, qu'à fe dillinguer au-dehors par l'éclat de leur cortège. Chaque Domeflique efl: borné à fon office. Les Eunuques gardent les femmes, a- vec des foins qui ne leur laifTent pas d'autre attention. On voit, au fcrvi- ce des principaux Seigneurs, une efpèce de Coureurs, qui portent deux fonnettcs fur la poitrine, pour être excités , par le bruit, à courir plus vi- te, & qui font régulièrement quatorze ou quinze lieues en vingt -ciuaae heures. On y voit des Coupeurs de bois, des Charetiers& des Camclicrs pour la provilion d'eau , des Porteurs de palanquins , & d'autres fortes de Valets pour divers ufages. Entre plulîcurs ibrtes de voitures, quelques-uns ont des carolTes à l'Indienne, qui font tirés par des bœufs: mais les plus communes font di- verfes fortes de palanquins , dont la plupart font iî commodes , qu'on y peur. mettre un petit lit avec fon pavillon, ou des rideaux qui fe rétroullent com- me ceux de nos lits-d'ange. Une longue pièce de bambou , courbée avvc art, palTe d'un bout à l'autre de cette litière, & foutient toute la machiiK- dans une lituation fi ferme qu'on n'y reçoit jamais de mouvement incom- mode. On y ell alîis ou couché. On y mange & l'on y boit, dans le cours des plus longs Voyages, On y peut même avoir , avec foi , quel- ques amis i & la plupart des Mogols s'y font accompagner de leurs fem- mes: mais ils apportent de grands foins, pour les dérober à la vue des Paflans. Ces agréables voitures font portées par fix ou huit hommes , fui- vant la longueur du Voyage , & les airs de grandeur que le Maîtr.; cherche à fe donner. Ils vont pieds nuds, par des chemins d'une argile dure, cjuj devient fort glillante pendant la piuye. Ils marchent au travers des brof- failles & des épines, fans aucune marque de fenfibilité pour la douleur, dans la crainte de donner trop de bfanle au palanquin. Ordinairement, il n'y a que deux Porteurs par devant, &deux par derrière, qui marchent fur une même ligne. Les autres fuivent, pour être toujours prêts à fuccédcr au fardeau. On met , ^avec eux , autour de la litière, des Joueurs d'inllni- mens, des Gardes, des Cuifiniers, & d'autres Valets, dont les uns por- tent des tambours & des flûtes, les autres, des armes, des banderol'.s, des vivres, des tentes, & tout ce qui efl; néceffaire pour la commodité du Voyage. Cette méthode épargne les fraix des animaux, dont la nourritu- re efl: toujours difficile, & dune grande dépenfe, fans compter que rien n'efl; à meilleur marché que les Porteurs. Leurs journées les plus fortes ne montent pas à plus de quatre ou cinq fous. Quelques-uns même ne ga- gnent que deux fous par jour. On fe perfuadera aifément qu'ils ne met- tent leurs fervices qu'à ce prix, fi l'on confidère que dans toutes les Par- ties de rindoufl:an, les gens du commun ne vivent que de riz cuit à l'eau; &que, s'élevanc rarement au-deilus de leur condition, ils apprennent je IDC" COCHJ'JS MoCrOL s 7' 1RES PAR DES BŒUFS. MOGOLSCHK KOÉTSEN door OsSKN GETROKKE^J mec pou L m\ fon prél des s'alT tapi goci pet'i E qucs cora font Poë( les ^ pour dans II fomi la m coup On 1 tionr famil chev fols. près dont Danf foule les g jeunt fent. Relig rie ji la do didlic Li très : qui e mun comp XI DE L'I N D O U S T A N, Liv. II T. 3fîi métier de leurs pères , avec l'habitude de la foutniffion & de la docilité pour ceux qui tiennent un rang fupcricur. Les Seigneurs, «Si les riches Commer^-ans, font magnifiques dans leurs feflins. C'cll une grande partie de leur dépenfe. Le Maître de la Mai- fon fe place, avec Tes Convives , fur des tapis, où le Maître d'Hôtel prélente à chacun, des mets fort bien apprêtés, avec des confitures & des fruits. Les Mogols ont des fièges & des bancs , fur lefquels on peut s'alVeoir : mais ils fe mettent plus volontiers fur des nattes fines & fur des tapis de Perfe, en croilant leurs jambes fous eux. Les plus riches Né- gocians ont chez eux des fauteuils , pour les offrir aux Marchands Euro- péens (/). Dans les conditions honnêtes, on envoyé les enfans aux Ecoles publi- ques, pour y apprendre à lire, à écrire, & fur-tout, à bien entendre f Al- coran. Ils reçoivent auffi les principes des autres Sciences , auxquelles ils font deftinés, telles que la Philofophie, la Rhétorique, la Médecine, la Poëfie, l'Aflronomie & la Phyfiquc. Les Mofquées fervent d'Ecoles, & les Mullahs de Maîtres. Ceux qui n'ont aucun bien élèvent leurs enfans pour la fervitude , ou pour la profefllon des armes , ou pour quelque métier dans lequel ils les croyent capables de réuflîr (w). ' . Ils les fiancent dès l'âge de fix à huit ans : mais le mariage ne fe con- fomme qu'à l'âge indiqué par la Nature, ou fuivant l'ordre du père & de la mère. Aulfi-tôt que la fille reçoit cette liberté, on- la mène, avec beau- coup de cérémonie , au Gange , ou fur le bord de quelqu'autre Rivière. ' On la couvre de fleurs rares & de parfums. Les réjouïflances font propor- tionnées au rang ou à la fortune. Dans les propofitions du mariage, une famille négocie long-tems. Après la conclufion , l'homme riche monte à cheval pendant quelques foirées. On lui porte , fur la tête , plufieurs para- fols. Il cfl: accompagné de fes amis, & d'une fuite nombreufe de fes pro- pres domelliques. Ce cortège eft environné d'une multitude d'inflrumens , dont la marche s'annonce par un grand bruit. On voit, parmi eux, des Danfeurs , & tout ce qui peut fervir à donner plus d'éclat a la Fête. Une foule de Peuple luit ordinairement cette cavalcade. On paiTe dans toutes les grandes rues; on prend le plus long chemin. En arrivant chez la jeune femme, le Marié fe place fur un tapis, où fes parens le condui- fent. Un Mullah tire Ton livre & prononce hautement les formules de Religion , fous les yeux d'un Magiftrat , qui fert de témoin. Le Ma- rié jure devant les Speftateurs, que s il répudie fa femme, il reftituera la dot qu'il a reçue; après quoi le Prêtre achève, & leur donne fa béné- diélion. Le fefl:in nuptial n'eft ordinairement compofé que de bétel , ou d'au- tres mets délicats : mais on n'y fert jamais de liqueurs fortes , & ceux qui en boivent font obligés de fe tenir à l'écart. Le mets le plus com- mun , & le plus ellimé , eft une forte de pâte en petites boules rondes , compofée de plufieurs fémences aromatiques , & mêlée d'opium , qui les (i) Ibid. pag. 191, (m) Ibid, pag. 178, , . XI IL Part. Zz I)r.«rp7rTiol» PF. 1.'1M)CI)STAM. l'clUllà. Elurafion des cni'iins. Maiinge. ''i 352 DESCRIPTION Description DE I'Indoustan, Divorce. Punition de l'adulcére. Femmes d'un même homme éta- blies en dif- fcixns lieux. les rend d*abord fort gais , mais qui les étourdit cnfuite , & les fait dormir. Le divorce n'cfl pas moins libre que la poligamic. Un homme peut é- poufer autant de femmes que fa fortune lui permet d'en nourrir; mais en donnant, à celles qui lui déplaifent, le bien qu'il leur a promis le jour du mariage, il a toujours le pouvoir de les congédier. Elles n'ont ordinaire- ment, pour dot, que leurs vêtemens & leurs bijoux. Celles «jui font d'u- ne haute naiflance paflent dans la maifon de leur mari, avec leurs femmes de chambre &. leurs cfclaves. L'adultère les expofe à Ir mort. Un hom- me qui furprend fa femme dans le crime, ou qui s'en afflirepardes preuves, eft en droit de la tuer, i/ulage ordinaire des Mogols eft de fendre la cou- pable en deux , avec leurs fabres. Mais une femme, qui voit fon mari entre les bras d'une autre, n'a point d'autre relTourceque la patience. Ce- pendant, lorfqu'elle peut prouver qu'il l'a battue, ou qu'il lui refufe ce qui efl néceflaire à fon entretien, elle peut porter fa plainte au Juge, & de- mander la diflblution du mariage. En le féparant, elle emmène fes filles, & les garçons demeurent au mari. Les riches Particuliers, fur -tout les Marchands, établiflent une partie de leurs femmes & de leurs concubines, dans les difFércns lieux où leurs affaires les appellent , pour y trouver une maifon prête, & toutes fortes de commodités. Ils en tirent aulfi cet avan- tage , que les femmes de chaque maifon s'efforcent , par leurs carefles , de les y attirer plus fouvent. Ils les font garder par des Eunuques & des Ef- claves , qui ne leur permettent pas même de voir leurs plus proches pa- rens (n). Les (n) Ibid. pag. 184 >&. précédentes. Ces foins n'empêchent pas qu'il n'arrive de grands dcfordres jufques dans le Serrail de l'Empe- reur. On peut s'en fier au témoignage de Bernier. „ On vit, dit il , Aureng Zeb „ un peu dégoûté de Raiichenara-Begum , „ fa Favorite (i ), parcequ'clle fut accu- „ fée d'avoir fait entrer, à diverfes fois, y, dans ie Serrail, deux hommes, qui furent „ découverts & menés devant lui. Voici de „ quelle façon une vieille Meltice de Por- „ tugnis, qui avoit été long-tems EPclave „ dans te Serrail, & qui avoit la liberté d'y „ entrer & d'en fortir, me raconta la chofe. ), Elle me dit que llauchenara - Begum , après „ avoir épuifé les forces d'un jeune homme, „ pendant quelques jours qu'elle l'avoit te- „ nu caché , le donna à quelques-unes de „ fes femmes , pour le conduire pendant la M nuit au travers de qitelques Jardins , & le „ faire fauvi.r; mais foit qu'elles euflent été „ découvertes, ou qu'elles craignifFent de u l'être, elles s'enfuirent, & le laillèifent errant parmi ces Jardins , fans qu'il fçût de quel côté tourner. Enfin, ayant été ren- contré & mené devant Aureng Zeb, ce Prince l'Interrogea beaucoup, & n'en put prefque tirer d'autre réponfe , (inon qu'il étoit entré par-dciTus les murailles. On s'attendoit qu'il le feroit traiter avec la cruauté que Chah • Jehan, fon Père , avoit eue dans les mômes occafions: mais il commanda flmplement qt^on le fit fortir par où il étoit entré. Les Eunuques allè- rent peut être nu - delà de cet orvire ; car ils le Jettérent au haut des murailles en bas. Pour ce qui efl du fécond, cette même femme dit qu'il fut trouvé erranc dans les Jardins comme le premier, & qu'ayant confeiTé qu'il étoit entré par la porte, Aureng Zeb commanda auffi Cm- pleiiient qu'on le fit fortir par la porte; fe réfervant néanmoins de faire un grand & exemplaire châtiment fur les Eunu- ques, parcequec'étoit une chofe qui non- feulement regardoit fon honneur, mais „ aulC (i ) C'étoie fa piopfe fœur, & Beinier ne dit nulle part qu'elle fut fa Favorite} mais elle avoit toûiour» ;um-Saheb dans celui de Daia l'aîné de fes ticict. Voyez U figure de «t ité dans fon parti , comme Begu... . deux Fiinccfles, ci-dcirui , p4£, iit. DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 3^5 » & les fait omme peut 6- irrir; mais en mis le jour du ont ordinaire- s (jui font d'u- : leurs femmes )rt. Un hom- irdes preuves, fendre la cou- voit fon mari patience. Ce- i refufe ce qui I Juge, & de- nène fes filles, , fur -tout les rs concubines, y trouver une auifi cet avan- rs careffes , de |ues & des Ef- is proches pa- Les , fans qu'il fçût de fin, ayant étéren- Aureng Zeb , ce coup , & n'en put onfe , flnon qu'il .'S murailles. On it traiter avec la I , fon Père , avoit xafions: mais il i^on le fit fortir es Eunuques allé- de cet ordre ; car des muraille!! en lu fécond, cette fut trouvé errant le premier, & toit entré par la imanda aufli fim- tir par la porte; e faire un grand fur les Eunu- ne chofe qui non- I honneur, mais „ aufli I clic avoit toujours y). Mais on ne trou- „ auflS la (ùteté de fa perfonne. Bernier , Toin II. p ig. 34 & fuivantes. Citons un autre trait du môme Voyageur. „ En cemême-tems, dit il, on vit arriver „ un accident bien funefh-, qui fit grand „ bruit dans Dehli, |>rincipalement dans le „ Sirrail, & qui defabufa quantité de per „ fonnes, qui avjient peine à croire, cotri- „ me moi, que les Eunuques quoique cou „ pés tout raz, devinifent amoureux com- „ me les autres hommes. Didar Kban , un „ des premier Kunuqucs du Serrail, & qui „ avoit fait bsitir une maifon où il venoit „ fouvent cnuciicT & fe divertir, devint a- „ moureux d'upj' tiè'^ belle femme [fœurj „ d'un de fes vic<.uns, qui étoit un Ecrivain .„ Gentil. Ces ai»' «tirettes durèrent adlz „ long-tems fam jut pertonne y trouvât „ beaucoup à redire, p:irce<]u'enfin c'étoit „ un Eunuque, qui a droit dVn'rtr par-tout; „ maiv Celte familiarité devint fi gnnde & fi „ extraordinaire, que les voifins fe doutè- „ rent de quelque chofe, & raillèrent l'E- iy crivain. Une nuit qu'il trouva ,e> deux „ Amans couché.s enlenible, il poignarda „ l'iùinuque, & lailFa la femme pour mor- „ te. Tout le Serrail, Femmes & Euiiu- Dr>ciiirTiox OK l.'lNn.'USTAN. lj,tL.r> mens à d«. «oiri func bici. }, ques , fe liguèrent contre lui pour le faire „ mourir; main Âurcng Zeb fe mocqua de „ toutes leurs brigues, & te contenta de lui „ faire embralfer le Mahoinétifme ". Ibi- dem. png. 31 ( 0 ) Sehouten , ubi jup. pag. 204. (PJ Ouand on les dillinjiue , oSferve MiindelTo, en Fatans, en Mugols, ou Afo- ruUiers . & en Indoulhns. qui font fubdivi- fés en plufieurs Cajtes, ou Tribus, comme ce lits de Sayeit, de Seegb & de Leetb, il faut avouer que H l'on trouve quelques dif- férences dans leur caraftète & dans leurs u- fages , ils les ont apportées du Pays dont ils font fortis, & qu'elles n'ont rien de com* mun avec leur Religion. Les Patans font d'origine libre, de ces efpèces de Monta- gnards, dont on a parlé plufieurs fois ,* gent orgueilleux, inlblens, cruels, livrés au bri- gandage, qui iiiéprifent ceux qu'ils voyent moins téméraires qu'eux à rifquer leur vie fans nécefliîté. Les Mot;ols, ou Mogoliits, qui font proprement les anciens Conque- rans, fortis de la Tartarie , font d'un ca- ratière doux, fage , civil, obligeant. Les Indoutlans, ou les Indous , font les anciens Habitans du Pays. On les reconnolt à leur \Z 2 «^O"* O'jfervaiion. 3^4 DESCRIPTION DBscRirnoM DE l'Inooustan. Caraftère général Jts Banians. Tribut qu'ils payent aux Empereurs Mogois. trouve pas la même conformité dans les Seftes idolâtres*, quicompofent en- core la plus grande partie des Sujets du Grand Mogol. Les Voyageurs en diftinguent un grand nombre , dont les opinions & le culte feront le fujet d'un autre Article. Ici , pour ne s'arrêter qu'aux ufages civils , les princi- pales obfervations doivent tomber fur les Banians, qui, faifant, fans com- paraifon , le plus grand nombre, peuvent être regardés comme le fécond ordre d'une Nation, dont Us Mahomécans font le premier. Suivant le témoignage de tous les Voyageurs , il n'y a point d'Indiens plus doux & plus modeiles , plus tendres, plus pitoyables, plus civils, •& de meilleure foi pour les Etrangers (q), que les Banians. Il n'y en a point auiïî, de plus ingénieux, de plus habiles , &même de plus fcavans. On voit , parmi eux , des gens éclairés dansT toutes fortes de proieffions ; fur- tout , des Banquiers , des Jouailliers , des Ecrivains , des Courtiers très- adroits , & de profonds Arithméticiens. On y voit de gros Marchands de grains, de toiles de coton, d'étoiFesde foye, & de toutes les marchandi- fes des Indes. Leurs boutiques font belles , & leurs magafîns richement fournis. Mais il ne s'y trouve jamais rien qui aît eu vie ; de - forte qu'il n'y faut chercher , ni viande , ni poiflbn. Les Banians fçavent mieux l'A- rithmétique que les Chrétiens & les Maures. (Quelques-uns font un gros Commerce fur Mer, & pofledent d'immenfes richefles. Auffî ne vivent- ils pas avec moins de magnificence que les Maures. Us ont de belles mai- fons , des appartemens commodes & bien meublés , & des badins d'eau fort propres pour leurs bains. Ils entretiennent un grand nombre de do- méftiques , de chevaux & de palanquins. Mais leurs richefles n'empêchent point qu'ils ne foyent fournis aux Maures, daii3 tout ce qui regarde l'ordre de la Société ; à l'exception du culte religieux , fur lequel aucun Empereur Mogol n'a jamais ofé les chagriner. Il eft vrai qu'ils achètent cette liber- té par de gros tributs , qu'ils envoyent à la Cour par leurs Prêtres , qui font les Bramines. Elle en eft quitte pour quelques veftes , ou quelque vieil élé bhant, dont elle fait préfent à leurs Députés (;), Ils payent aufli degrof- fes fommes aux Gouverneurs , dans la crainte qu'on ne les charge de fauf- fés accufations , ou que fous quelque prétexte on ne confifque leurs biens (j) Le Peuple de cette Sefte eft compofé de toutes fortes d'Artifans, qui vi- vent du travail de leurs mains ; mais fur-tout d'un grand nombre de Tifle rands , dont les Villes & les rhamps font remplie. L.PS plus fines toiles & les plus belles étoffes des Indes viennent de leurs Manufa6lures. Ils fabri- quent des tapis, des couvertures, des courte-pointes, & toutes fortes d'ou- vrages couleur , qui ed beaucoup plus noire que celle des deux autres Nations qu'on vient de nommer. Ce font des gens ruliiques & avares , qui ont moins d'eiprit que les Pa- tans & les Mogois. Dans la Province d'Ha- ja-Khan, on trouve certains Peuples, nom^ mes Blotious , qui font courageux & robudes com:';3 les Patans. La plupart font Voitu- liers, & fe mêlent de louer des chameaux. 11« entreprennent de conduire }es Cuffilas , ou les Caravanes ;, ce qu'ils- font avec tant de fidélité , qu'ils perdroient plutôt la vi^ que de s'expofer au moindre reproche. Man- deljlof Tom. I. pag. 197. (q) C'eft le témoignat;e de Schouten , pag. 204. Mandeiflo dit , au contraire, qu'il faut être, fur fes gardes avec eux^ pag- 159' (r) Bernier, Tome III. pag. 9. {s) Schouten, ubifup. pag. 205, DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 3^55 l'Inodustan. Leur maniè- re de fe vdiir. % vrages de coton ou de foye, avec la même induflrie dans, les deux fexes, Dcfcntpriow & la même ardeur pour le travail. "'= Les riches Banians font vêtus à-peu-près comme les Maures; mais la plupart ne portent que des étoffes blanches , depuis la tête jufqu'aux pieds. Leurs robbes font d'une fine toile de coton, dont ils fe font auffi des tur- bans. C'eft par cette partie néanmoins qu'on les diftingue , car leurs tur- bans font moins grands que ceux des Maures. On les reconnoît auffi à leurs hautes-chaufles , qui font plus courtes. D'ailleurs , ils ne fe font point ra- fer la tête , quoiqu'ils ne portent pas les cheveux fort longs. Leur ufage eft auffi de fe faire tous les jours une marque j^.une au front, de la lar- geur d'un doigt , avec un mélange d'eau & de bois de fandal , dans lequel ils broyent quatre ou cinq grains de riz. C'eft de leurs Bramines qu'ils re- çoivent cette marque, après avoir fait leurs dévotions dans quelque Pa- gode {t). .ÎC ii'i: ^ ' Leurs femmes ne fe couvrent point le vifage , comme celles des Ma* hométans; mais elles parent auffi leur tête de pendans & de colliers. Les plus riches font vêtues d'une toile de coton, fi fine, qu'elle en eft tranfpa- rente, & qui leur defcend jufqu'au milieu des jambes. Elles mettent, par- deffiis , une forte de vefte , qu'elles ferrent d'un cordon au-deffiis des reins. Comme le haut de cet habillement eft fort lâche , on les voit nues depuis le fein jufqu'à la ceinture. Pendant l'été , elles ne portent que des fabots , ou des fouliers de bois , qu'elles s'attachent aux pieds avec des courroyes : mais , l'hy ver , elles ont des fouliers de velours , ou de brocard , garnis dfc cuir doré. Les quartiers en font fort bas , parcequ'elles fe déchaulîent à toute heure , pour entrer dans leurs chambres , dont les planchers font cou- verts de tapis. Les enfans de l'un & l'autre fexe vont nuds, jufqu'à l'âge de quatre ou cinq ans (u). La plupart des femmes Banianes ont le tour du vifage bien fait, &beau- Ap:ié;nens coup dagrémens. Leurs cheveux noirs & luftrés forment une ou deux desf-;iimes boucles fur le derrière du cou, & font attachés d'un nœud de ruban. Elles ont comme les Mahométanes , des anneaux d'or pafTés dans le nez & dans les oreilles. Elles en ont aux doigts, aux bras , aux jambes, & aux gros doigts du pied. Celles du commun les ont d'argent, de lacque , d'y voire , de verre, ou d'étain. Comme l'ufage du bétel leur noircit les dents , elles font parvenues à fe perfuad&r Les Bramines font diftingués des autres Banians, par leur coeffure , Habits de^ qui eft une fimple toile blanche, à laquelle ils font faire plufieurs fois le fi^^amines. tour de la tête, pour attacher entièrement leurs cheveux, qu'ils ne font ja- mais couper; & par trois filets de petite ficelle, qu'ils portent fur la peau, & qui leur defcend en écharpe fur l'eftomac , depuis l'épaule jufqu'aux han- ches. Ils n'ôtent jamais cette marque de leur profeffion , quand il îeroic queftion de la vie ( ■> ). L'î^ (t) Mandelflo, Tome I. pag. 158. (v) Scbuuten, pag. 216. Mandelflo pag. 159. (X) (y) Zz 3 Mandelflo, pag. 158. Ibid. pag. 16$. S<5<5 Descrtption l'Indoustan. Education & mariages des Banians. #. Antres ufa- ges des Ba- nians. DESCRIPTION L'iJd V c A T î o N des enfans de cette nombreufe Sefte n'a rien de commun avec celle des Mahométans. Les jeunes garçons apprennent, de bonne heu- re , l'Arithmétique ôi l'Art d'écrire. Enmite on s'efforce de les poufler dans la profeflîon de leurs pércs. 11 eft rare qu'ils abandonnent le genre de vie dans lequel ils font nés. L'u!'age eft de les fiancer dès l'âge de quatre ans & de les marier au-deflus de dix ; après quoi les parens leur laiflent la liber- té de fuivre l'inftinél de la Nature. Ainfi l'on voit fouvent parmi eux de jeunes mères , de dix ou douze ans. Une fille , qui n'eft pas mariée à cet âge, tombe dans le mépris. Les cérémonies des noces font différentes dans chaque Canton , & même dans chaque Ville. Mais tous les pères s'ac- cordent à donner leurs filles pour une femme d'argent , ou pour quelque préfent qu'on leur offre. Après avoir marché , avec i eaucoup d'appareil , dans les principales rues de la Ville ou du Bourg , les deux familles fe pla- cent fur des nattes, près d'un grand feu, autour duquel on fait faire trois tours aux deux Amans; tandis qu'un Bramine prononce quelques mots, qui font comme la bénédiction du mariage. Dans plufieurs endroits, l'union fe fait par deux noix de cocos , dont Tépoux & la femme font un échan- ge, pendant que le Bramine leur lit quelques formules dans un Livre Le feftin nuptial eft proportionné à l'opulence des familles. Mais quelque riches que foyent les parens d'une fille, il eft rare qu'elle ait d'autre dot que fes joyaux , les habits , fon lit , & quelque vaiffelle. Si la Nature lui re- fufe des enfans , le mari peut prendre une féconde, & même une troifième femme : mais la première conferve toujours fon rang & fes privilèges. D'ailleurs, quoique l'ufage accorde cette liberté aux hommes, ils ne peu- vent guères en ufer fans donner quelque atteinte à leur propre réputation. Les Banians font d'une extrême propreté dans leurs maifons. Ils cou- vrent le pavé, de nattes fort bien travaillées, fur lefquelles ils s'affeyent comme les Maures , c'eft-à-dire, les jambes croifées fous eux. Leur nour- riture la plus commune eft du riz, du beurre & du lait, avec toutes fortes d'herbages & de fruits. Ils ne mangent aucune forte d'animaux, & ce rcf- pe6l pour toutes les créatures vivantes s'étend jufqu'aux infectes. Dans pla- neurs Cantons , ils ont des Hôpitaux pour les bêtes languiffantes de vieilleile ou de maladie. Ils rachètent les oifeaux qu'ils voyent prendre aux Maho- métans. Les plus dévots font difficulté d'allumer , pendant la nuit , du feu, ou de la chandelle, de peur c[uc les mouchca ou les papillons ne s y viennent brûler. Cet excès de fuperftition , qu'ils doivent à l'ancienne opi- nion de la tranfmigration des âmes , leur donne de l'horreur pour la guer- re, & pour tout ce qui peut conduire à l'effufion du fang. Auftl les Em- pereurs n'exigent-ils d'eux aucun fervice miUtaire. Mais cette exemption les rendaulli méprifables que leur Idolâtrie, aux yeux des Mahométans, qui en prennent droit de les traiter en Efclaves : ce qui n'empêche point que le Souverain ne leur laiffe l'avantage de pouvoir léguer leurs biens à leurs Héritiers mâles , fous la feule condition d'entretenir leur mère jufqu à la mort, & leurs fœurs jufqu'au tems de leur mariage (2;). ( 2 ) Scbouten , pag. ao8 & 209. $. VII. ' /,- D E^ L'I N D O U S T A N, Lit. IIL S» » >» >» )> DEfCRIPTIOλ DE l'iNDOlSTAW, Mii'titude de Stftes ido- lâtres. Leurs puri- fications. Superflitfons à l'occafîon d'une Eclipfe. 8«9 . D Z S.'CARl I Pv.X 1 X)^ N' ^ Description l'Inooustan. Sefte Jea Ceurawaihg. «Trêtrire ac- cordée aux femmes. préfentoient en grand nombre. . L'Auteur obferva qu'en fortant de la RI- vière, ils prirent tous des habits nouveaux, qui les attendoient fur le fa- ble, & que les plus dévots laiflerent leurs anciens habits pour les Brami. . Cette Eclipfe , dit-il , (ai célébrée de même dans l'indus , dans le nés i> Gange, & dans tous ^s autres Fleuves des Indes; mais fur-tout dans l'eau duTanaifert ou plus de cent cinquante mille perfonnes fe raflemblêrent de toutes les Régions voifines, parceque ce jpur-là fon eau pafTe pour la plus laînte: \^bj . ' (ij-rr ?» t'tf Vnr. •'nn'* ; 'l'îi^m-j'^nv-v^ff^fr- LES quatre-vingt-trois Seftes de Banians peuvent Te réduire à quatre prin- cipalei^, qvii comprennent toutes les autres: çéks des Ceuraïuatbs , des .SV marathSt des Bifnaux, & des Gougis. . ; LfES premiers ont tant d'exaélitude à conferver les animaux, que leurs Bramines fe couvrent la bouche d'un linge, dans la crainte qu'une mouche n'y entre, & portent chez, eux un petit balai à la mam, pour écarter toutes fortes d'infeftes. Ils ne s'afleyent point, fans avoir nettoyé foigneufement la place qu'ils, veulent occuper. Us vont tête & pieds nuds, a"ec un bâton blanc à la main , par lequel ils fe diilinguent des autres Seéles. Ils ne font jamais de feu dans leurs maifons. Ils n y allument pas même de chandelle. Ils ne boivent point d'eau froide, de peur d'y rencontrer des infeéles; & s'ils la font bouillir, c'efl dans quelque, maifon voidne. Leur habit efl une pièce de toile, qui leur pend depuis le nombril jufquaux genoux. Ils nefe couvrent le refte du corps que d un petit morceau de drap , autant qu'on en peut faire d'une feule toifon. ■ Leurs Pagodes font quarrées dans leur forme , avec un toît plat , & , vers la partie Orientale, une ouverture, fous laquelle font les Chapelles de leurs Idoles , bâties en forme, pyramidale , avec des degrés qui contiennent pludeurs figures de bois, de pierre & de papier, repréfentant leurs parens inorts, dont la vie a été remarquable par quelque bonheur extraordinaire. Leurs plus grandes dévotions fe font au mois d'Août , pendant lequel ils fe mortifient par des pénitences fort aullères. Mandelilo confirme^ avec certitude:, ce qu'on a; déjà rapporté fur. d'autres témoignages, qu'il fe trou- ve de ces Idolâtres qui pafTent un mois, ou fix femaines, fans autre nour- riture que de l'eau, dans laq^uelle ils raclent d'un certain bois amer, qui foûtient leurs forces. Les Ceurawaths brûlent les corps des perfonnes âgées, mais ils enteircnc ceux des enfans. Leurs veuves ne fe bi ûkui puinc avec leurs maris. Elles renoncent feulement à fe remarier. Tous ceux , qui font profeflion de cette Sefte, peuvent être admis à laPrétrife. On ac- corde même cet honneur aux femmes, lorfqu'elles ont pafTé l'âge de vingt ans; mjiis les hommes y font reçus dès leur feptième année : ceft-à-dire, qu'ils en prennent l'habit, qu'ils s'accoutument à mener une vie auftère, & 3u'ils s'engagent à la chafteté , par un vœu. Dans le mariage même , l'un es deux Epoux a le pouvoir de fe faire Prêtre, & d'obliger, par cette ré- folution, l'autre au célibat, pour le refte de fes jours.. Quelques-uns font vœu de chafteté après le mariage, mais cet excès de zèle eft rare. Dans les dogmes de cette Sefte , la Divinité n'eft point un Etre infini , qui pré- fide {h) Bernier, Tom. Ul. pag. 8. de l'Article des Gentils de l'Inde. ^M (a) nt de la RI- ;nt fur le fa- ir les Brami. us , dans le it dans l'eau iflemblêrent l^fle pour la quatre prin- h, des Sa- : , que leurs me mouche larter toutes gneufement ec un bâton Ils ne font e chandelle, infeftes; & labit efl une K. Ils ne fe int qu'on en îtplat, &, !^hapelles de contiennent leurs parens raordinaire. lequel ils fe irme, avec [u'il fe trou- autre noiir- } amer, qui tnnes âgées, L puint avec ! ceux , qui fe. On ac- Ige de vingt c'eft-à-dire, auftère, & même , l'un )ar cette ré- ues-uns font rare. Dans Û , qui pré- fide w Ijjjjjjjjjii _ ■"T i "' 1 E ^ # Ht " N[Q ^gM ^jffl s "'"Mç^^-vV^ï^î. ■ \ ^ i 1 ■'1 ^j;^:'^^^^ J^^-1 k. 1 ^^KZBHT ^^ J B I R u M A ou Brama. > :::::::::::::i::::::::::::i:i:::::: I ;,.r ./j.-i'.vî/v/ ..-J'; su ira WISCHTNU a J.ySM.-!/ ,^<-. m lilJJiJJiJJJJJl . .. . i::n:::::::::::iïïMii:::::::::;iî: m — 1 i 1 — il ' \d h 1 1 i Wu^m Pi 1 4 y ffll lË ^^^FT fj^.^ ■'■'jjk'*» „,. iiiii nj m ■ ■ ^f^ ■■■' «'WlflNi - I S U R E N o T"T" . . . . T:::::::::r 1 i ["ïïlïïïïri ^yS-A/fc/ ,///\:v DE L'I N D 0 U S T A N, Lir. IIl 'h^O fide aux dvénemens. Tout ce qui arrive , dépend de la bonne ou de la mauvaife fortune. Ils ont un Saint, qu'ils nomment Tiel-Tciickfcr. Ils n'ad- mettent ni Enfer , ni Paradis; ce qui n'empêche point qu'ils ne croyent l'amc immortelle: mais ils s'imaginent qu'en fortant du corps, elle entre dans un autre, d'homme, ou de bête, fuivant le bien ou le mal qu'elle a fait, » vxes, 4 -••• f» «•• *• «»- %*^m* 4 U m :>? .:#^' *' 'À -A. tu «. » ; DIFFERENTE s SoRTES de FaKIRS Verscheide Soorten vATi Fakirs. DE L'IND OU S T A N, Liv. III. Vt nés Banians, les Hermites, les Millionnaires, & tous ceux qui fe livrent à DEscmmol» la dévotion par état , font profelfion de reconnoître un Dieu Créateur & l'Iudoostait. Confervateur ^e toutes chofes , auquel ils donnent divers noms , & qu'ils repréfentent fous dift'érentes formes. Ils paflent pour de faiiits perfonna- ges; & n'exerçant aucun métier, ils ne s attachent qu'à mériter la véné- ration du Peuple. Une partie de leur fainteté confifte à ne rien manger , qui ne foit cuit, ou apprêté avec de la bouze de vache, qu'ils regardent comme ce qu'il y a de plus facré. Ils ne peuvent rien pofleder en propre. Les plus auftcres ne fe marient point , & ne toucheroient pas même une femme. Ils méprifent les biens & les plaiiirs de la vie. Le travail n'a . . ^ '-.:■■ - "pas „ vres , de Derviches , de Religieux ou San- „ tons Gentils des Indes , il y en a grnnd „ nonbre qui ont une efpèce de Couvens , „ où il y a des Supérieurs, & qui font une j, ibrte de vœux de ch'ifteté, de pauvreté & „ d'obéiilance. Ils mènent une vie û étran- ge, que je ne fçaisfi on pourra le croire. Ce font pour l'ordinaire ceux qu'on ap- pelle Jauguis ( ou Gougis ; , comme qui diroic , unis avec Dieu. On en voit quan- tité toutnuds, ou couchés jour & nuit fur la cendre, allez ordinairement fous quel- Î[ues uns de ces grands arbres, qui font ùr les bords des Talahs, om réfervoirs, ou bien dans des galleries qui font autour de leurs Deutas, ou Temples d'Idoles. Il y en a , dop< les cheveux leur tombent jufqu'à mi-jambes, & qui font entortillés par branches, comme ce grand poil de nos barbets. De ceux-là, j'en ai vu, en plufieurs endroits, qui tenoient un bras, & quelquefois les deux, élevés & tendus perpétuellement par delTus leurs têtes, & qui avoient au bout des doigts les ongles entorciiIcLS , plus longues, fuivant la me- furc que j'en ai prife. que la moitié démon petit doigt. Leurs bras étoient petits & „ maigres, comme ceux des Ethiques, par- ceque dans cette pofture forcée ils ne pre- noient point allez de nourriture ; & leurs nerfs s'étant retirés, & les jointures rem- plies & fichées, ils ne pouvoient les ab- baifler pour prendre quoique ce foit Auf- fi ont- ils de jeunes Novices , qui les fer- vent avec le plus grand refpeft. II n'y a point de Mégère dont la ligure approche de la leur, j'ai fouvent rencontré à la Campagne , principalement dans les Terres des Rajas, des bandes de ces Fakirs tout nuds, qui me faifoient horreur. Les uns ,, teaoient leurs bras élivés , dans la pollu- „ re que je viens de dire. Les autres avoient „ leurs cheveux épars, ou bien ils les a „ voient liés & entortillés autour de la tête. „ D'autres avoient à la main des mafTues, „ & d'autres une peau de tigre, féche & „ roide, fur leurs épaules. Je les voyois „ palier eiFrontément au travers d'une gran* „ de Bourgade; j'admirois comment leshom- „ mes & les femmes les regardoient fans s'é- „ mouvoir, & comment les femmes ieurpor- „ toient dévotement l'aumône. J'ai vu af- „ fez long-tems à Dehii, un fameux Fakir, „ nommé Sonnet, qui alloit ainll nud par les „ rues , &qui aima mieux enfin fe laiflTercou- „ per le cou, que de fe vêtir, quelques „ menaces & quelques promelTes que lui pût „ faire Aureng-Zeb. j'en ai vu pluHeurs, „ qui par dévotion faifoient de longs pèle* „ rinages, non- feulement nuds, mais char- ,. gés de grolTes chaînes de fer , comme cel- „ les qu'on met aux pieds des éléphans; „ d'autres qui par un vœu particulier fe te- „ noient fept ou huit jours debout fur leurs „ jambes , qui devenoient fort enflées , s'ap- „ puyant feu'ement quelques heures de la nuit „ fur une corde tendue; d'autres qui fe te- „ noient des heures entières fur leurs mains, „ faus branler, la tête en bas & les pieds „ haut, & dans d'autres poflures fi contrain» ,, tes & fi difficiles, que nous n'avons pas „ de Bateleurs qui puiffent les imiter, &c.". Bernier explique, en Philofophe, tant d'ef- fets furprcnans, & les attribue moins à l'im- pofture qu'à la force de la (uperflition. Ta- vernier ne s'étend pas moins fur le même fujet; mais on a fait remarquer qu'il elt ac- cufé d'avoir emprunté fes lumières d'autrui. 11 paroît néanmoins ne les devoir qu'à lui- même fur les plus célèbres pèlerinages des Indiens, dont il avoit vu la plupart, & qu'il rapporte fort au long. Bernier, Tome III, article de la Religion des Gentils. Tavernier, Tome II. Mais perfonne n'a mieux traité le même fujtt qu'Abraham Roger, Henri Lor, & les Pères Kirker & Roa, Jéfuites Alle- mands. Aaa 2 37* D ESC R I P TI O N Description DE i.'lNDOUSTAIf. pas plus d'attraits pour eux. Ils pafTent leur vie à courir les chemins & les bois , où la plupart vivent d'herbes vertes & de fruits fauvages. D'autres fe logent dans des mafures ou dans des grottes , & choififlent toujours les plus fales. D'autres, plus faints encore, vont nuds, à l'exception des parties naturelles, & ne font pas difficulté de fe montrer, dans cet état au milieu des grand chemins & des Villes. Ils ne fe font jamais rafer la tête; encore moins la barbe , qu'ils ne lavent & ne peignent jamais , non plus que leur chevelure. Auffi paroiflent-ils couverts de poil , comme au- tant de Sauvages. Quelquefois ils s'aflemblent par troupes , fous un Chef, auquel ils rendent toutes fortes de relpeéls & de foumiflîons. Quoiqu'ils failent profeflion de ne rien demander, ils s'arrêtent près des lieux habités qu'ils rencontrent ; & l'opinion qu'on a de leur fainteté porte toutes les autres Seftes Baniancs , à leur offrir des vivres. Enfin , d'autres fe livrant à la mortification , exercent , en effet , d'incroyables auftérités. Il fq trou- ve auffi des femmes qui embraffent un état fi dur. Schouten ajoute, que fou« vent les Pauvres mettent leurs enfans entre les mains des Gougis ; afin qu'é- tant exercés à la patience, ils foyent capables de fuivre une profeffion li fainte & fi honorée, s'ils ne peuvent fubiiflier par d'autres voyes (e). Rasbouts. QUELQ.UES Voyageurs mettent les Rasbouts (/) au nombre des Se6les Banianes , parcequ'ils croyent auflî la tranfmigration des âmes , & qu'ils ont une grande partie des mêmes ufages. Cependant , au-lieu que tous les au- tres Banians ont l'humeur douce , & qu'ils abhorrent l'effufion dufang, les Rasbouts font emportés , hardis & violens. Ils mangent de la chair. Ils ne vi- vent que de meurtre «Se de rapines. Ils n'ont pas d'autre métier que la guerre. Leur intré- Le Grand Mogol , & la plupart des autres Princes Indiens, les emplo- pidicé, yent dans leurs Armées , parceque , méprifant la mort , ils font d'une in- • trépidité furprenante. Mandeluo raconte que cinq Rasbouts, étant un jour entrés dans la maifon d'un Payfan , pour s'y repofer d'une longue mar- che, le feu prit au Village , & s'approcha bien-tôt de la maifon où ils s'c- toient retirés. On les en avertit; ils répondirent que jamais ils n'avoienc tourné le dos au péril; qu'ils étoient réfolus de donner au feu la terreur qu'il • infpiroit aux autres, & qu'ils vouloient le forcer de s'arrêter à leur vue. En effet ils s'obfl:inèrent à fe laiffer brûler , plutôt que de faire un pas pour fe garantir des flammes. Il n'y en eut qu'un , qui prit le parti de fe retirer f entraînant un de fes Camarades] : mais il ne put fe confoler de n'avoir pas fuivi l'exemple des autres (g). Les Rasbouts n'épargnent que les bêtes , fur-tout les oifeaux , qu'ils nour- riffent même avec foin , parcequ'ils croyent que leurs âmes font particuliè- rement defliinées à paffer dans ces petits corps , & qu'ils efpèrent alors , pour eux-mêmes, autant de charité qu'ils en auront eu pour les autres. Ils ma- rient, comme les Banians, leurs enfans dès le premier âge. Leurs veuves fe font brûler auffi, avec le corps de leurs maris ; à moins que dans le con- trat de mariage, elles n'ayent ftipulé qu'on ne puiffe les y forcer. Cet- te ( e) Ubifup. pag. 230. les Provinces , fans autre raifon , pour fe ma- (/) D'autres les nomment Ragipouts, Ras. rier entr'eux, que celle de leurs opinions. iQuts , Rasboutes , &c. l\s ioiii lép-dniius ds^as (g) C7^i/wp. pag. 178. DE L'I N D O U S T A N, Liv. 111. 373 te précaution ne le deshonore point , lorfqu'elle a précédé l'union con- DEscnuTioN jugale Au-RESTE cette variété d'opinions & d'ufages, qui forme tant de Sec- tes différences entre les Banians, n'empêche point qu'ils n'ayent quatre Li- vres communs , qu'ils regardent comme le fondement de leur Religion , & pour leïquels ils ont le même refpeél, malgré la différence de leurs expl'- cations. Bernier , qui s'attache particulièrement à tout ce qui regarde leurs fciences & leurs opinions , nous donne des éclairciilemens curieux fur ces deux points. Ben ARES, Ville fituée fur le Gange, dans un Pays très-riche & très- agréable, efl l'Ecole générale, & comme l'Athènes de toute la Gentilité des Jndes. C'efl le lieu où les Bramines , & tous ceux qui afpirent à la quali- té de Sçavans , fe rendent pour communiquer leurs lumières , ou pour en recevoir. Ils n'ont point de Collèges & de Claffes fubordonnées comme les nôtres ; en quoi Bernier leur trouve plus de reffemblance avec l'ancien- ne manière d'enfeigner. Les Maîtres font difperfés, par la Ville, dans leurs maifons , & principalement dans les jardins des Fauxbourgs , où les riches Marchands leur permettent de fe retirer. Les uns ont quatre Dif- ciples , d'autres fix ou fept ; & les plus célèbres , douze ou quinze au plus , qui employent dix & douze années , à recevoir leurs inflruftions. Cette étude efl très-lente, parceque la plupart des Indiens font naturellement pa- reffeux ; défaut qui leur vient de la chaleur du Pays , & de la qualité de leurs alimens. Ils étudient fans contention , en mangeant leur Kkhery , c'efl-à-dire un mélange de légumes, que les riches Marchands leur font ap^ .prêter. Leur première étude efl fur le Hanfcrït, qui eft une langue tout-à fait différente de l'Indienne ordinaire, & qui n'efl fçue que des Pendets^ ou des Sçavans. C'efl de cette langue que le Père Kirker a publié l'Alpha- bet, tel qu'il l'avoit reçu duPèreRoa. Son nom fignifie Langue pure; & croyant que c'efl dans cette langue que Dieu , par le niiniflère de Brahma , leur a communiqué les quatre Livres , qu'ils appellent Beths , ils lui don- nent les qualités de Sainte & de Divine. Ils prétendent qu'elle efl auffi ancienne que ce Brahma, dont ils ne comptent l'âge que par Lecks, ou centaine^' de mille ans. „ Je voudrois caution , dit Bernier , de cette „ étrange antiquité. Mais il ajoute qu'on ne peut nier qu'elle ne foit très- „ ancienne , puifque leurs Livres de Religion , qui l'efl , fans doure , „ beaucoup, ne font écrits que dans cette langue &que, de plus, elle „ a fes Auteurs de Philofophie & de Médecine , r s'ers , quelques autres „ Poëfies , & quantité d'autres Livres , dont il vit une grande llille toute remplie à Benurés ". LoK s qu'ils ont appris le Hanfcrit , travail difficile, parccqu'ils n'ont point de bonne Grammaire , ils commencent ordinairement à lire le Puran- ce, qui efl une interprétation, & comme un abrégé des Beths, parceque les Beths font fort gros , du moins , fi ce font ceux qu'on lit voir à Bernier. Ils font même fî rares , que Daneckmend-Khan , fon Maître , ne put trouver i'occafion de les acheter, avec quelque foin qu'il les eût fait chercher. On ne Aaa 3 .les DE l'Ikdoustan. )> Collèges & Sciences des Gentils la- diens. Origine des quatre Livres qu'ils nony ment Beiiw, Ordre de leurs ciudes. ^74 DESCRIPTION Description l'Imdoustan. Leur Phi- lofophie. Premiers principes. Alédeciue. les tient pas moins fécrets , dans la crainte que les Mahométans ne s'en faififcnt, & ne les faflent brûler, comme ils ont fait plufieurs fois. Après le Pu' nce, quelques-uns fe jettent dans la Philofophie. Entre leurs Phi- lofophcs , ils en comptent fix principaux, qui font autant de différentes Seftes. De-là naiflent quantité de différends & de jaloufies , par la préfé- rence que chacun donne à la fienne, parcequ'il la croit, non - feulement meilleure, mais plus conforme aux Beths. D'une de ces fix Seéles, qui le nomme Bauté , fortent douze autres Seftes différentes. Cependant elle eft moins commune que les cinq autres. Ses Seftateurs font haïs & mé« prifés. Ils paffent pour des Athées , dont les ufages ne font pas moins extraordinaires que leurs opinions. Les Traités de Philofophie Indienne s'accordent fur les premiers prin- cipes des chofes. Les uns établiffent que tout eft compofé de petits corps indivifibles , moins par leur réfiftance & leur dureté, que par leur petitef- ïe. D'autres veulent que tout foit compofé de matière & de forme ; d'au- très que tout le foit des quatre élémens & du néant. Quelques-uns regar- dent la lumière & les ténèbres , comme les premiers prmcipes. Plufieurs admettent, pour principe, la privation, ou plutôt les privations, qu'ils dillinguent du néant. Enfin , d'autres prétendent que tout efl: compofé d'accidens. Ce qu'ils difent, pour appuyer leurs fyftêmes , eft obfcur & mal conçu : mais Bernier , qui n'avoit pu lire leurs Livres , & qui trou- voit, d'ailleurs, les Pendets fort ignorans, étoit porté à juger que la faute venoit d'eux plutôt que de leurs Auteurs (h). Au-refte, ils s'accordent tous à penfer que leurs principes font éternels. Une produélion du néant ne paroît pas leur être tombée dans l'efprit, non plus qu'à la plupart des an- ciens Philofophes. Il n'y a qu'un feul de leurs Auteurs, qui femble en a- voir eu quelque idée. Dans la Médecine, ils ont quantité de petits Livres , qui ne contiennent guères que des méthodes & des recettes. Le plus ancien & le principal eft écrit en vers. Leur pratique eft fort différente de la nôtre. Ils fe fon- dent fur ces principes; qu'un Malade, quia la fièvre, n'a pas befoin de nourriture ; que le principal remède des maladies eft l'abftinence ; qu'on ne peut donner rien de pire, à un Malade, que des bouillons de viande, ni qui fe corrompe plutôt dans Teftomac d'un fiévreux ; & qu'on ne doit tirer du fang que dans une grande & évidente néceffité, telle que la crainte d'un tranfport au cerveau , ou dans les inflammations de quelque partie confidé- rable, telle que la poitrine, le foye ou les reins. Bernier, quoique Mé- decin, ne décide point , dit-il, la bonté de cette pratique; mais il en vé- rifia le fuccès. Il ajoute qu'elle n'eft pas particulière aux 'Médecins Gen- tils ; que les Médecins Mogols & Mahométans , qui fuivent Avicenne & Averroës, y font fort attachés, fur-tout à l'égard des bouillons de viande; que les Mogols , à la vérité , font un peu plus prodigues de fang que les Gentils , & que dans les maladies , qu'on vient de nommer , ils fai- gnent ordinairement une ou deux fois, mais, „ ce n'eft pas de ces peti- „ tes (i) Ubifup. pag. 102 & fuivantes» , DE L'I N D O U S T A N, Liv. III. 375 DESCRIPTlOXf' De. l'Imdoustak. Anatomie. Agronomie» '' tes faignëes , qu'il appelle de nouvelle invention ; ce font de ces faignées ' copieufes des Anciens^ de dix-huit & vingt onces de fang, qui vont fou- " vent julqu'à la défaillance , mais qui ne manquent guères aufli d'é- trangler , fuivant le langage de Galien , les maladies dans leur ori- „ gme (0 • Dans l' Anatomie, on peut dire abfolument que les Indiens Gentils n'y entendent rien. La raifon en eft fimple : ils n'ouvrent jamais de corps d'hommes, ni d'animaux. Cependant ils ne laiflent pas d'alTurer qu'il y a cinq mille veines dans le corps humain, avec autant de confiance que s'ils les avoient .comptées. A l'égard de l'Aftronomie, ils ont leurs Tables, fuivant lefquelles ils prévoyent les Eclipfes. Si ce n'efl: pas avec toute la juflefle des Ailronômes de l'Europe , ils y parviennent à-peu-près. Mais ils ne laiflent pas de joindre , à leurs lumières , de ridicules fables. Ce font des raonflres qui fe faifiifent alors du Soleil & de la Lune , & qui l'infeélent. Ils préten- dent, avec autant d'obftination dans leur ignorance, que la Lune eft de . quatre cens mille colfes au-defTus du Soleil , c'eft-à-dire, plus de cinquan- te mille lieues; qu'elle efl: lumineufe d'elle-même, & que c'eft d'elle que nous vient une certaine eau vitale, qui s'aflemble & fe range principalement dans le cerveau, defcendant de-là, comme d'une fource dans tous les mem- bres , pour fervir à leurs fon6lions. Ils veulent que le Soleil , la Lune , & généralement tous les Aftres , foyent des Deutas , ou des Temples ; que la nuit arrive lorfque le Soleil efl: derrière le fommet d'une montagne ima- ginaire, qu'ils placent au milieu de la 'l'erre,à laquelle ils donnent plufieurs mille lieues de hauteur, & la figure d'un pain de fucre renverfé; de- forte que le jour ne luife , chez eux , que lorfque le Soleil revient du derrière de cette montagne. Leurs idées de Géographie ne font pas moins choquantes. Ils croyent Géographie, que la Terre efl: plate & triangulaire ; qu'elle a fept étages , tous difFérens en beauté , en perfeélions , en habitans , dont chacune efl: entourée de fa Mer ; que de ces Mers, une efl: de lait, une autre de fucre , une autre de beur- re, une autre de vin, &c; qu'après une Terre vient une Mer, &une Ter- re après une Mer; & que chaque étage a différentes perfetlions, jufqu'au premier qui les contient toutes. Si toutes ces rêveries, obferve Bernier , font les fameufes fciences des anciens Brachmanes des Indes , on s'efl: bien trompé dans l'idée qu'on en a conçue. 11 auroit eu peine, dit-il, à fe le perfuader, s'il n'avoit vu que la Religion des Indes efl: d'un tems immémorial ; qu'elle s'efl: confervée dans la langue Hanfcrit , qui ne peut être que très-ancienne, puifqu'on ignore fon origine , & que c'ell une langue morte , qui n'eft connue que des Sçavans & qui afes Poëlies; que tous les Livres de fcience ne ^"nt écrits que dans cette langue ; enfin que peu de monumens ont autant de marques d'une très- grande antiquité {k}. L'Au- Réflexion de Bernier fm les anciens Brachmanes» (i) Ibidem, pag. ïo8. (fe) Ibid. 114 II n'y arien à conclure de la Chronologie Indienne, qui ne fait pas le Monde étemel» mais qui le fait fi vieux, dît Bernier, que tout habiles Arithméticiens que font Its Bramines, ils ne peuvent DOffl<> brer leurs calculs, Ibid. pag. 122% 37<5 DESCRIPTION Description ni: l'Indoustan. . Vifite que Bernier rt'iid au grand Pen- det de Bcna- rés. Portrait de ce Docteur. Civilités dci Pendcts. Explica- tions qu'ils donnent à Bcinier. Leur-; idées furlesDeutas. L'Auteur, qu'on cite avec complaifance , raconte qu'en defcendant Ic! Gange & paOant par Bcnarcs, il alla trouver un Chef des Pcndets, qui fait Va demeure ordinaire dans cette Ville. C'étoit un Bramine , fi renom, mé par Ton favoir , que Chah- Jehan , par eftime pour Ton mérite , autant que pour faire plailir aux Rajas, lui avoit accordé une penfion annuelle do deux mille roupies. Il étoit de belle taille , & d'une fort agréable phifio- nomie. Son habillement confiftoit dans une efpèce d'écharpe blanche de foye, qui étoit liée autour de fa ceinture & qui lui pendoit jufqu'au milieu des jambes; avec une autre écharpe, de foye rouge, aflez large, qu'il portoit fur les épaules comme un petit manteau. Bernier l'avoit vii plu- fieurs fois à Dehli, devant l'Empereur, dans l'aflemblée de tous les Omrahs, & marchant par les rues, tantôt à pied, & tantôt en paleki. Il l'avoit même entretenu pluficurs fois chez Daneckmend-Khan, à qui ce Dofteur Indien faifoit fii cour , dans l'efpérance de faire rétablir fa penfion , qu'Au- reng-Zeb lui avoit ôtée, pour marquer fon attachement au Mahométifme. „ Lorfqu'il me vit à Benarés, dit Bernier, il me fit cent carefi^es, ôc me „ donna une collation dans la Bibliothèque de fon Univerfité , avec les lix „ plus fameux Pendets de la Ville. Me trouvant en fi bonne compagnie, „ je les priai tous de me dire leurs fentimens fur l'adoration de leurs Ido- les, parceque me difpofant à quitter les Indes, j'étois extrêmement fcandalifé de ce côté -là, & que ce culte me paroiflbit indigne de leurs lumières & de leur philofophie. Voici la réponfe de cette noble aiïemblée. „ Nous avons véritablement, me dirent -ils, dans nos Deutas ou nos Temples, quantité de Hatues diverfes, comme celles de-Brahma, Me- hahdeu, Gen'ich &Gavam, qui font des principales ; & beaucoup d'autres moins parfaites, auxquelles nous rendons de grands honneurs, nous profl:ernant devant elles & leur préfentant des fleurs , du riz , des hui- les parfumées , du fafran , & d'autres offrandes , avec un grand nom- bre de cérémonies. Cependant nous ne croyons point que ces ftatues foyent ou Brahmamême, ou les autres, mais feulement leurs images oc leurs repréfentations ; & nous ne leur rendons ces honneurs, que par rapport à ce qu'elles repréfentent. Elles font dans nos Deutas, paree- qu'i' eft néceflaire, à ceux qui font la prière, d'avoir quelque chofe, de- vant les yeux , qui arrête l'efprit. Quand nous prions , ce n'cll pas la ftatue que nous prions , mais celui qui efi: repréfenté par la ftatue. Au- relle, nous reconnoiflons que c'efl Dieu , qui eft le JMaître abfolu & le feul Tout-puiffant. „ Voilà, reprend Bernier, fans y rien ajouter ni diminuer, l'explica- tion qu'ils me donnèrent. Je les pouffai enfuite fur la nature de leurs Deutas (/) , dont je voulois être éclairci : mais je n'en pus rien tirer que de confus ; qu'il y en avoit de trois fortes , de bons , de mauvais , & d'in- différens, c'eft-à-dire, qui n'étoient ni bons ni mauvais; que quelques- uns vouloient qu'ils fuffent de feu ; que d'autres les croyoient faits de lu- mière; 5> ÎJ » }> J> 5> 5» 35 J> 5» î> 5» >» (/) Co mot fignifie tout à la fois & les Temples & les objets du Culte, de P.-:goik. comme ctiuî DE L'I N D 0 U S T A N, Liv. lïl. 377 OR l'Inooustan. miére; aue plufieurs prdcendoient qu'ils étoientBîapek ^ terme que je ne DEscRTwoar pus me faire expliquer nettement, excepté qu'ils me difoient que Dieu efl: Biapek , que nôtre ame eft Biapek , & que ce qui eft Biapek efl: incor- ruptible, & ne dépend ni des tems ni des lieux: que fuivant d'autres, les Deutas n'étoient que des portions de la Divinité , & que d'autres en- core les prenoient pour certaines efpèces de Divinités, féparées& dif- pcrfées dans le Monde". Be R N I E R continue : „ Je les mis encore fur la nature daLengue-cheriref admis par quelques-uns de leurs meilleurs Auteurs : mais je n'en pus tirer „ que ce que j'avois depuis long-tems entendu d'un autre Pendet ; fa voir , „ que les femences des animaux , des plantes & des arbres ne fe forment „ point de nouveau ; qu'elles font toutes, dès la première naiflance duMon- „ de, difperfées par-tout, mêlées dans toutes chofes, & qu'atSluellement , „ comme en puiflance , elles ne font que des plantes , des arbres & des ani- „ maux mêmes , entiers & parfaits , mais fi petits qu'on ne peut diftinguer „ leurs parties ; finon, lorfque fe trouva "«t dans un lieu convenable, elles fe nourrilfent, s'étendent & groffilT ac. en-forte que les femences d'un pommier & d'un poirier font un Len^ue-cherire , un petit pommier & un petit poirier parfait , avec toutes fes parties elfentielles ; comme cel- les d'un cheval, d'un éléphant & d'un homme , font un Lengue-cherire, un petit cheval , un petit éléphant, & un petit homme, auxquels il ne manque que l'ame & la nourriture pour les faire paroître ce qu'ils font en effet (?«)"• Quoi- j) » (m) Dernier , u6» /«p. pag. ti6 & précé- dentes. U ajoute que la Doftrine de l'ame univerfelle avoit fait depuis quelques années beaucoup de progrès dans les Indes, parce- que quelques Pendets en avoient infefté l'ef- prit dcDarah&deSujali, les deux premiers hlsde Chah Jehan: mais que cette Doftrine faifoit une forte de cabale, comme fait, en Pcrfe, celle des Soufys & de la plupart des Perfans lettrés; qu'elle fe trouve expliquée en vers Perfiens, fort relevés & fort empha- tiques, dans leur Goultcbenraz, ou Par- terre des myjîères; que fi l'on pénétroit bien dans Platon & dans Ariftote, peut-être trouveroitt'on qu'ils ont donné dans cette idée; que c'eft celle de F/wrf, refutée par Gaffendi, & celle enfin où fe perdent la plupart de nos Chimides : mais que les Ca- baliÛes Indiens portent cette chimère plus loin que tous les autres; qu'ils prétendent que Dieu, ou l'Etre fouverain , qu'ils nom- ment ^cbar , & qu'ils croyent immuable , a non feulement produit ou tiré les âmes de fa propre fubllance , mais généralement] en- core tout ce qu'il y a de matériel & de cor- porel dans l'Univers , & que cette produélion ne s'ed pas faite flmplement à la manière des caufes efficientes , mais à la façon d'une XIII. Pan, araignée, qui produit une toile, qu'elle tire de fon nombril, & qu'elle reprend quand elle veut. La création n'eft donc, fuivant ces Docteurs , qu'une extraflion & une ex- tenfion que Dieu fait , de fa propre fubftan- ce, par ces rets qu'il tire comme de fes en- trailles , comme la deftruftion n'eft qu'une reprife de cette divine fu'oftance & de ces divins rers dans lui même; de-forte que le dernier jour du Monde, qu'ils appellent Maperlé , ou Pralea , dans lequel ils croyent que tout doit être détruit, ne fera qu'une reprife générale de tous les rets que Dieu aura tirés de lui - même. Ils en concluent qu'il n'y a rien de réel & d'efFeftif dans tout ce qui frappe nos fens ; que tout ce Monde n'eft qu'une efpèce de fonge & une pure illuilon, parceque tout ce qui paroit à nos yeux n'eu qu'une feule & même chofe.quî eft Dieiî même; comme tous les nombres, dix, vingt, cent, mille, &c., ne fontqu'une même unité, répétée plufieurs fois. Dernier, qui avoit pris beaucoup de peine â recueil- lir toutes ces opinions, qu'il appelle un fa- tras fabuleux, demande s'il n'a pas droit de s'écrier ,* „ miférable fruit que je retire de „ tant de Voyages & de réflexions ! ". Ubi fup. pag. 133 & précédentes. Bbb S78 DESCRIPTION Dkscrîptioii os t'iNnoUSTAN. Daneck mend prend un Pcndi-t à fes gag(js. Lumières que Ik'rnier tire de lui. QUOIQ.UE Bernicr ne fyiit pas le lianfcrit, où la langue des Sçavans, il eut une prticieufe occafion de connoître les Livres compofcs dans cette langue. Dancckmend Khan , Ton Agah , prit à fes gages un des plus fameux Pendets de toutes les Indes. Quand j'étois lus , dit-il , d'expliquer à mon Agah les dernières découvertes d Harvey & de Fccquet , fur î'Anatomie, 3) 3J 5> 3J J5 » ï» » )> >» 5» Ce arrivent après les pluyes, il obferve encore, que dans les Pays oit coule l'indus , il fe m Dcfcrip' PRESQU7SLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 387 f:: DefiTÎption de la Côte de Malabar, IL doit paroître aflez furprenant , qu'à l'occafion d'un fi grand nombre de Voyages , qui ont préfenté la Côte de Malabar avec éclat , dans le premier Tome de ce Recueil , les Auteurs Anglois ne fe foycnt attachés nulle part à recueillir ce qui regarde le caraélère & les ufages des Habi- tans. Mille fingularités , qui diftinguent cette Région , ne permettent pas ici de négliger diverfes obfervations de Schouten , de Dellon , & de quel- ques autres Voyageurs , qui peuvent fuppléer à ce deffaut. On a remarqué plulieurs fois que toute l'étendue déterre, qui eft entre Surate & le Cap de Comorin, porte ordinairement le nom de Cùte de Ma- labar. Cependant, pour fuivre des idées plus exaéles, cette Côte ne com- mence qu'au Mont Dely^ qui efllitué fous le douzième dcgié au Nord de la Ligne. C'cft feulement dans cet efpace, que les Habitans du Pays pren- nent eux-mêmes le nom de Malabares ou Malavares (a). Dans ce dernier fens, la longueur de la Côte eft d'environ deux cens lieues (i). Elle eft divifée en plufieurs Royaumes indépciidans , dont le plus puiflant eft le Samorin^ ou le Roi de Calecut, quoique celui de Cananor les précède tous, ai. jouïlîe d'une confidération fingulière, qu'il doit à certains motifs de Re- ligion. Il eft diftingué par le nom de Colitri, qui n'eft proprement qu'un titre. Ajoutons à cette idée générale du Malabar , le jugement d'un Voya- geur qui en avoit parcouru toutes les Parties. 11 ne balance point à le re- garder , „ comme le plus beau Pays des Indes Orientales en-deçà du Gan- „ ge". Ce n'eft pas, dit-il, que l'Afîe n'ait quantité de Côtes maritimes, dont fafpeft eft charmant; mais, à fes yeux, elles n'approchent point de celle du Malabar. On y voit, de la Mer, plufieurs Villes confidérables, telles que Cananor , Calecut , Cranganor , Cochln , Porca , CaUcoulang , Coy- lang , &c. On y découvre des allées , ou plutôt des bois de cocotiers , de palmiers , & d'autres arbres. Les cocotiers , qui font toujours verds & chargés de fruits , s'avancent jufnu'au bord du rivage, où, pendant la ma- rée , les brifans vont arrofer leurs racines , fans que les cocos reçoivent au- cune altération de l'eau falée. Mais ce ne font pas les bois feuls, qui font l'ornement de cette Côte. On y voit de belles campagnes de riz , des prai- ries, des pâturages , de grandes rivières, de gros ruifleaux, & des tor- rens Descuiption DU Malaoar. Introduftion, (fl) En langage du Pays, la Côte de Ma- labar s'appelle Malejalam, qui fignifie Mon- tagne riche en Diamans. Selon toute appa- rence les Portugais ont corrompu ce nom en celui de Malabar, qui eft devenu enfuite commun aux deux Côtes de la Prefqu'lfle , dont les Habitans étoient anciennement con- nus fous celui de TamuUs , ou de Pandies. Etendue de la Côte de Malabar, Jugement fur la beauté du Pays. ^?- R. d. E. (t ) Il s'en faut plus de la moitié que la Côte ne foit fi longue dans ce dernier fens; Car la dillance du Cap de Comorin au Mont Dely étant feulement de trois degrés & demi , ne fait pas cent lieues communes de France. R. d. E. CCC 2 3^8 DESCRIPTION DE LA Description nu Malabar. Ordre des Etats qui compofent cette Côte. Bonheur de la Compagnie Hoilandoife des Indes |}iientales. Defcrîption particulière de fes Eta- bliiïemens. rens d'eau pure. De Calecut, & de la Côte Septentrionale qui lui touche, on peut aller vers le Sud, jufqu'à Coylang, par des eaux internes ; il efî vrai, qu'elles n'ont pas allez de profondeur pour recevoir de gros Bâtimens; mais elles forment de grands étangs, des viviers & des baffins pour toutes fortes d'ufages. Elles nourriffent une extrême quantité de poiflbn. Les arbres y font couverts d'une perpétuelle verdure ; & la terre n'efl: pas moins ornée, parceque la gelée, la neige, & la grêle n'y flétriflent jamais l'herbe & les fleurs. Les Royaumes de Cananor & de Calecut, continue le même Ecrivain, font les deux Pays des Indes , qui ont été connus les premiers des Portu- gais. Celui de Cananor, où la plupart des Géographes font commencer la Côte de Malabar, eft à quatorze ou quinze lieues de Mangalor. Calecut , Siège de l'Empire des Samorins, commence proche de la Rivière de Berge- ra , au Nord ( c ) du Royaume de Cananor , & fe termine à celui de Cran- ganor. Sa longueur eft de trente à quarante lieues , fur vingt de largeur. Cranganor efl: entre Calecut & Cochin. Il n'efl pas d'une grande étendue : mais depuis que les Hollandois font en pofTeffion de fa Capitale, ils l'ont af- fez fortifiée pour la rendre capable de réfifler à toutes fortes d'attaques. Le Royaume de Cochin commence à la Rivière de Cranganor , & finit à cinq ou fix lieues au Sud de la Ville de Cochin , qui eft fa Capitale. Il renfer- me , dans fa dépendance , l'Ifle de Vaîpin. Au Sud de Cochin , on trouve le Royaume de Porca , ou Percatti , & plus loin , dans les terres , deux au- tres petits Royaumes , de nulle confidératîon. Porca finit au Sud du Ro- yaume de Calicoulang, qui finit de même au Sud de celui de Coylang (d)y & Coylang s'étend au Sud jufqu'au Cap de Comorin , partie la plus Méri- dionale du Continent des Indes en-deçà du Gange. L'Etat de Coylang n'a pas plus de quinze lieues de longueur. Les Hollandois en ont fortifié la Capitale, avec autant de foin que celles de Cochin & de Cranganor , après les avoir enlevées toutes trois aux Portugais ; furquoi le même Voyageur admire le bonheur de la Compagnie Hoilandoife des Indes Orientales, pour laquelle il femble que les Portugais eulTent travaillé pendant plus d'un fié- cle , en faifant bâtir quantité de belles Villes , qui font pafl'ées entre fes mains , & qui font aujourd'hui le fondement de fa puiflance. Les hautes montagnes de Balagate, qu'on découvre de pluficurs endroits du rivage de ces divers Etats , forment comme un mur de féparation , entre la Côte de Malabar, & celle de Coromandel, quilaifle l'une au Nord, & l'autre au Sud (0 (/). [La Côte de Malabar commence proprement à Mangalor (g) , dernière Place du Royaume de Canara, qui eft féparé de celui de Cananor , par une muraille d'environ vingt lieues, dont une extrémité touche à la Mer, & l'au- été détachés de la fin de l'Hîfloîrc Niturelle. II a paru plus convenable de les placer ici. Nous allons y ajouter quelques éclairciffe- mens. R. d. E. (/) Gautier Schouten, Tom. I. pag. 451 & précédentes. (^) A douze degrés trente minutes delà- ticude du Nord. (c) C'eft au Sud. R. d. E. (rf) La fituation de ces Royaumes eft renverfée. Il faut lire au Nord, & non ati Sud; Car Porca eft au Nord de Calicoulang, qui eft de même au Nord de Coylang. R. d. E. (e) On doit lire, l'une à l'OueJi £? l'au- tre à l'EJl, Ces deux derniers articles ont ' yX/u'^i' i/z/ra- C A JV A l!lllllll|il||||||||ll!llllllllllllllllllllllllllllllll!i|||l!IIIIIIIIIIIIHII!H nnmnmminmm!imnii!iTïïfg l!lll!!llli!||||||||||lill|||||!ll|lliiilllllll!!!|!'i!l|!ll|Hn!i|l!l|!^^ = t rTTTTTTTTTTTT TTTTT A IV A i\r C R î!!lii||^l|^l^!l^!!l!l!i^l|l|l^!l^^l!ij|l!||!lM!lll^;':^H'!^^|^^[^|l^|im A A/" (^ J^ . V Ê^ I dilli. m illllilHII!!Hll^llllii!'lillH.!ilH^llliïï^T -«^»«»^-ii» Il "" w—jm^ii— ^aw^^ ^j,{^-- Sclianl van -io RIivuIhuiUi- KueJen ^-•^-_-i_ 7- — [ZM liNllllllllllllli z Jr.SaAI.y ./.. C A N /\ r A N A N O O R m^ rr IIl lia iiii Ml 4f llllllllllllll!''ll!lllll'llllllllllll!llllllllllllll!llllllllllllllll'll^ M N () O R (i) A onze degrés cinquante- huit minu- tes de latitude, fuivant le P. Noël. ( i ) Quoiqu'on ait déjà donné une Vue de Cananor, d après l'Edition de Paris, cela r,c nous empûche pas d'en joindre ici une autre, qui paroitra alToz différente de la pre- mière. Elle accompagne le Plan de la î'or- tcrclVe, levé par ordre du Sr. Adam Van dit Duyn , Commandant de la Côte de Mala- bar, en 1709. \'oici l'explication des Ren- vois de cette l'igure. A. Porte par où l'on entre. 15. Chemin à travers la ForterclTe. C. haltion de Hollande. D. • - - - de Zelande. E. Traverfe en dehors du Baftion. F. Batterie OverylTel. G. Flanc le long de la Courtine. H. BalUon de Gueidre. 1. Batterie à fleur d'eau. K. Ballion de Groningue, ruiné» L. - - - - d'IJtrecht. M. - ■ - - de Frife. vm- N. Le Mole où les Bâtimens arrivent. O. FaufFe • Braye. P. FofTé du Fort extérieur. Q. Foll'é intérieur. R. Maifon du Chef de Comptoir. S. Grande Tour où l'on tient la poudre dans la faifon des pluyes. T. Logement des Officiers. V. Magazin. W. Hôpital. X. Magazin pour le Commerce de la Com- pagnie. Y. Magazin au poivre. Z. Loge pour toutes fortes d'indrumens ,. uftenciles, &c. ( it ) A onze degrés quarante îninutes de latitude. (i) Voyez ei-delTus le Voyage de Dtl'on, & rEtablilRment de Tilcery, qu'ils ont a- bandonné depuis. (m) A onze degrés dix-fept minutes, fuivant le P. Noël. Cananor. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU (ÎANGE, Liv. III. 3S9 l'autre à la famcufc montagne de Gatc. Les Hollandois y oni un Fort, &. OEscnipTioir une Loge à liarfalor^ qui en eft à dix-huit lieues vers le Nord. Ces deux ^ "" petites Bourgades ne méritent plus aucune confidération ; nais elles font a'-'^"'^''* lituées dans un terroir abondant en riz, fur-tout la prcmitir.. Cananor (/;), qui efl à dix ou douze lieues au Sud de Mangaior, of- fre une grande Ville ouverte , mais fort peuplée. On y voit piufieurs Mof- tuii-es Ci: quelques Pagodes de Gentils. Les maiibns en font allez bien bu- lles. Les Portugais y ont confervé, pendant plus d'un fièele &demi, le premier Fort qu'ils ayent eu aux Indes ; ils le perdirent en 1(^64; «S: de- puis ce tems , les Holiandois, qui le prirent, ayant fait un nouveau Trai- te avec le Roi de Cananor , pour la iureté ïk 1 avantage de la Compagnie, font demeurés en quelque forte les Maîtres du Commerce de cette Partie du Malabar, qui n'a pas moins de vingt-cinq lieues de Côtes. Leur Kor- terelfe e(l munie de bons baftions Ck de folfés très-profonds. Elle eft plus de la moitié dans l'eau , mais fims aucun danger de la part des Vaiffeaux , qui n'eii peuvent point approcher , à caufe des rochers dont elle d\ envi- ronnée (i). La Haye elt au Sud de la Ville, où les Malabares ont un au- tre Port fur le rivage. L E dillriél de Cananor s'étend aflez loin , au Nord , au Sud & à l'ElT: de cette Ville. Le Roi rionr fi Cour h trois ou quatre miles de lialipatnam (/l), dont on a fait ailleurs la defcription , ainn que des autres lieux où les An- glois & les François s'étoient établis (/). La puiflance de ce Prince ell aujourd'hui fort diminuée. Il efl Souverain de quelques-unes des illes Mal- dives. Son Royaume fur le Continent commence au Mont Dely, & finit à la Rivière de ikrgera. Calecut, ou Calicout (m)., fituée k cinq miles au Sud de cette Riviè- re, efl:, comme on l'a dit, la Capitale des Etats du Samorin, Ville ancien- nement fort célèbre, où les Portugais abordèrent la première fois qu'ils Ccc 3 Calecuf^ ' il 39^' n E S C 11 l P T I O N DE LA 1 MALAiiAR. Tancr. Cranganor Cochin. vinrent aux Indes. Ils y avoicnt fait bâtir une Forterefîj qu ils rarà-cnt V voit quelques beaux Edilices , dont le Palais du Roi ell le principal , quoi- que ce Prince laûe fa rclldence à Pananc^ Bourg ou Village à huit miles plus loin \'ers le Sud. Le petit Royaume de Tanor , qui tire Ion no^ de la Capitale (?i) , cil enclave dans les Etats. La Mer gagne tous les jours du terrain fur cette Cote. On donne au Pays de Calecut le nom de Mal- Icamï parmi les Lidiens. Cranganok , Capitale du Royaume de ce nom (o) , à cinq miles au Sud de Panane, & environ la même diltance de Cochin, fe di\'ile en deux parties; l'une occupée par les llollandois, & l'autre par les ÏNIalabarcs. U i-'ortcrelle forme la première. On en donne ici le Plan, dont on renvove les explications dans une Note (/>). Les Hollandois la prirent d'aflaut ll:r les l^ortugais en 1662. Elle ell fituce fur une pointe de terre qui s'avance dans lajNler, à quatre miles en remontant la Rivière de Cranganor, dor.t l'entrée ell dcftendue par un petit Fort nommé Palipot. La Ville, ou i^ Cranganor des Malabares, eil bien peu de chofe. Ce petit Etat n'a pas plus de trois ou quatre lieues de tour. Goa Souverain relève du Samorin. CûcniN, autre Royaume, qui commence où finit celui de Cranganor, a aulTi comme deux Capitales, qu'on diftingue de même que celles de Cran- ganor. La Cochin des Portugais fut prife au mois de Janvier 1667, par h Flotte Hollai-idoife. Cette célèbre Forterefle, dont on donne aufli le i'im, (»j) Le môme Jéfuite la met à onze de- j»rcs quatre minutes. C'cll une lîourgade plLÏiK' deChrctiens. Elle elt à quatre lieues lie Culeciit. ( 0 ) A dix degrés trente minutes de lati- tude. (p) Renvois du Plan de Cranganor. A. Porte du l""oit extérieur. ]]. Porte du Fort intérieur. C. Baltion Amfterdam. 1), - - - - Rotterdam. E. - - - - Middelbourg. i-'. lîattcrie Ryswyck. G. - - - - Wellvvout. 11. - . - - Hûorn. ]. - - - - Overyirel. K. Magaziii à poudre. L & Al. Logement des Officiers. N. Sécretairerie. O. Ma^azin au riz. P. Le Poids. Q. Chambre des Munitions. R. Deux Puirs d'eau douce. S. l'auiTe-Urnye, '1'. La Merme plantée d'épines au bas, V. Le iollé. Cil W. La Bcrme de l'autre côté. O U V .. A 0 E s E X T É 1; I n U K S. N". L Le premier Pagger , on Fortin. a. Maifon de la Conipagnie. b. Logement des Officiers. c. Corps de Garde. d. Porte & poiTage pour aller au Jardine: la Compagnie. e. Porte qui mène au Pagger extérieur. N". IL Le Pagger extérieur. Entièrement ruiné. N°. IIL Projet du nouveau Fort, I. 2. 3. Trois Sarams. 4. 5. 6. Trois Rues, & entre -deux les cm- placemens pour quatre • vingt mat- fons, avec leurs fonds. C'efl encore le Sr. Van der Diiyn qui 3 fourni ce Plan, tel que nous le donnons. ; U I E U H s. fr, ou Fortin. ;nie. !rs. aller au Jardine: gger exttjricur. extérieur. 1 der Duyn qui a )U3 le donnonj. ' j.i;vi/.t' .(i-/K« . Gr ON D T E K ' R A N G 4 N OR , Met tle J] uyteii-J aaii ii^ 't Jaar lyot) . -tlUl iiJJI iU 'Allh. !i||iini|i!|!!;||llil!l!!! wwm îïï] iiij U-LUiXi J Plan D K LA \. F O II T E R E S S E C R A N G A N () R , Soliaai Viiii- ito ItljLViilaiiJlt» Roe• .IW/-»/ jj/; UUJ H Pi. AN njt; la FORTERESSE DE Ce Y L A JV . E S S E GrondtÉke nin g der fortresse coyla N #, . ^ ^^^«o. Av^ IMAGE EVALUATION TEST TARGET (MT-3) 1.0 1.1 lÂâ|28 |25 1^ liii 122 £ 110 12.0 ik II.25 il.4 1.6 Photographie Sdenœs Corporation ^ 23 WBT MAIN STUfT WIBSTiR.N.Y. 14SS0 (716) 872-4503 Gro^jdtÉkenikg der fortresse coylan PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 391 e(l fituée dans une grande Ifle , au Sud de celle de Faipin , ou Baipin , à cinq oiifix lieues de Cranganor(^). Elle efl défendue d'un côté par la Mer, ^ de l'autre par une grande Rivière. Les Hollandois l'ont ruinée en par- tie & ont fortifié avec de bons baftions ce qu'ils en ont confervé. Après Goa c'efl la meilleure Place de toute la Côte occidentale de l'Inde. La lar- geur de la Ville n'eft pas proportionnée à fa longueur. Elle borde la Ri- vière environ une bonne demie lieue. Les maifons y font belles, & les rues larges. Les Hollandois y tiennent leur principal Comptoir, dont dé- pendent tous les autres de cette Côte. La Cochin des Malabares, où le Roi fait fa réfidence, eft fituée plus avant dans les terres, fur le bord d'une grande Rivière. Ce Pays eft extrêmement peuplé , ce qui n'empêche pas que les vivres n'y foyent à très-vil prix à caufe de leur abondance ; mais l'air de Cochin elt plus mal-fain que celui du refte de la Cote, parceque les terres en font fort baffes & marécageufes. Força, ou Percatti , vient après. Son Bourg principal n'a rien de parti- culier que le Palais du Roi , qui mérite d'être vu. Les Hollandois & les Anglois y ont leurs Comptoirs , pour le Commerce du poivre. Les premiers en ont auffi un à Calicoulang , & un autre à Carnapoîi ; Bourg qui donne fon nom à un petit Etat qu'on trouve fur cette Côte. Les Bourgs de Força & Calicoulang font iitués dans deux Ifles, à quatre miles l'un de l'autre (r). CoYLAN , ou Coulang , eft le dernier Royaume de cette Côte. Il a environ quinze lieues de longueur. Sa Ville Capitale, dont il tire fon nom , eft fi- tuée fur le Continent , près d'une belle Rivière qui coule au Nord. Son dif- triél s'étend depuis Calicoulang jufqu'au Cap deComorin, qui eft à la même hau- teur (s). Les Hollandois en ont fait une bonne Fortereffe, dont on donne ici le Plan (t). Il y a auffi un Coylan Malabare, Bourg ouvert, où l'on ne voit rien de remarquable, fi ce n'eft le Palais du Roi , & une affez belle Pagode. Le Pays eft fort peuplé , & rempli de Villages. ] Les autres Etats, & leurs principales Villes, ont été trop fouvent nom- més dans cet Ouvrage, pour demander ici un nouveau dénombrement: mais le but, qu'on fe propofe, eft défaire obferver , qu'il y a peu de Villes dans un Pays de cette étendue , & qu'on n'y rencontre guères que des Villages , d'inégales grandeurs , qui , malgré la différence de leurs Souverains , & l'oppo- fidon de leurs intérêts , fe conduifcntpar les mêmes Loix & les mêmes Ufages. DESCrtTPTTO» nu Malabar. Força, Calicoiilanj; & Carnapolî. Coylan, (?) A dix degrés quelques minutes de latitude ; mais fuivant le P. Noël , feulement neuf degrés cinquante -huit minutes. (f) Força eft à environ dix degrés, & Calicoulnng à neuf degrés de latitude. (0 A huit degrés & demi de latitude, (t) Renvois du Plan de Coylan. À. Entrée , ou Barrière extérieure. B. Porte de la Fortereffe. G. Bâillon Madure. D. • . - • Ccylon, E. - - - - Malabar. F. Batterie à fleui' d'eau, G. Verge de ravilloii. H. Redoute. I. Batterie à fleur d'eau, du côté de la Baye. K. FaufTe-Braye fermée, fous les Baftions. L. Le Foft'é. M. Canal au milieu du foiTé fous le Baf- tion Malabar. N. Logement du Chef de Comptoir. O. des Officiers. P. du Teneur de Livres. Q. Cabinet de plaifance du Chef de Compt, R. & S. Magazins de la Compagnie. T. Corps de Garde, V. Divers Puits. W. La Baye. S' !• DsfCPIPTIOM nu Malauar. Ilibitnns, Leur flRiire ^ leur habil- kuicnc. Ornemens & longueur du* leuiS oreUlci-. Didindlion entre les JVIa- hométaDs & Itii Gentils. 392 DESCRIPTION DE LA §. I. Mœurs ^ Ufages du Malabar. LES Habitans originaires font noirs , ou fort bruns; mais la plupart ont la taille belle. Ils prennent un grand foin de leurs cheveux qu'ils ont ordinairement fort longs. On ne leur reproche point de manquer d'efprit ; mais négligeant de le cultiver , ils vivent dans une égale indiffé- rence pour les Sciences & les Arts. L'habillement des hommes & des fem- mes eft à-peu-prés le même. Les deux Sexes fe ceignent d'une pièce de toile , qui les couvre de la ceinture aux genoux. Ils ont le relie du corps nud , fans en excepter la tête & les pieds ; mais quelques - uns fe fervent d'un mouchoir de foye pour attacher leurs cheveux, après les avoir divifcs par des trèfles & des nœuds. Dans les autres Pays de l'Inde , les perfonnes riches , fur-tout les fera. mes , portent pour habits des étoffes de foye & de brocard d'or ou d'ar- gent. Au Malabar , ce font les femmes des plus baffes Tribus , qui emplo- yent les étoffes précieufes à fe vêtir; & celles qui font difliinguées par la naiffance ou les richeffes , ne fe couvrent jamais que de belle toile de co- ton. Elles ont de riches ceintures d'or, des bracelets d'argent, & de cor- ne de bufle; mais il n'efl permis de porter des braffelets d'or qu'à celles que le Souverain honore de cette diflinftion. Les deux Sexes ont des h- gucs & des pendans-d'oreilles d'or, qui péfent quelquefois jufqu'à quatre onces. Rien ne contribue tant à leur allonger les oreilles , qu'ils ont na- turellement grandes. C'efl: pour eux un trait fmgulier de beauté. On a foin de les percer de bonne heure , aux enfans , & de leur mettre , dans l'ouverture , un morceau de feuille de palmier féche & roulée. Cette feuil- le , tendant fans ceffe à reprendre fon étendue naturelle , dilate infenfible- ment le trou , & rend l'oreille fi longue , qu'il n'efl: pas rare d'en voir qui pendent plus bas que les deux épaules, & par l'ouverture defquelles on paf« îeroit aifément le poing. Les Malabares Gentils fe font rafer la barbe. Quelques-uns ont des mouftaches , quoique la plupart n'en confervent point. Leurs maifons font bâties de terre, & couvertes de feuilles de cocotier. La pierre n'efl: em- ployée qu'à la confl:ru6lion des Pagodes & des Maifons Royales. Dans leurs Campagnes, qui paroiffent ne former qu'un grand Village, parcequ'on y rencontre de toutes parts des maifons difperfées , chacun a fon enclos & fon puits , fur-tout s'il cfl: à quelque diftance des Rivières. II ne leur efl: pas permis, foit pour fe laver, foit pour boire, d'employer l'eau d'un Voilin , qui n'efl: pas de la même Tribu. On diftingue les Malabares Mahométans & les Gentils. Les premiers, qui font en fort grand nombre , fe croyent originaires de l'Arabie , tl'où leurs Ancêtres font venus s'établir fur cette Côte. Tout le Commerce du Pays efl: entre leurs mains; parceque les Gentils, & fur -tout les NaïreSf qui compofent leur Noblefle, fe croiroient avilis par cet exercice, & que d'ailleurs ils ne montent jamais en Mer pour des Voyages de long cours. Aulîi PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 393 Aufli les Mahométans Malabares font-ils prefque tous riches. Ils paflent pour les plus médians & les plus infidèles de tous les hommes. Ils font leur demeure dans les grofles Bourgades, où ils ne fouffrent pas d'Habi- tans , qui ne foyent de leur Sefte. On donne , à ces Bourgs , le nom de Bafar , ou de Marché , parcequ'ils ne font peuplés que de Mar- chands. Les plus conlîdérables font fitués près de la Mer, ou fur le bord des Rivières, pour la facilité du Commerce & la commodité des Négocians étrangers. Ces riches Mahométans ne fe bornent point aux méthodes ordi- naires qui conduifent à la fortune. La plupart font Corfaires. Ils courent la Mer avec des Galiotes & des Galères , qu'ils nomment Paros. Leurs brigandages s'étendent fur toutes les Côtes de l'Inde, & du côté oppofé , juiques dans le Sein Perfique & dans la Mer -rouge, où ils pillent indiffé- remment tout ce qui tombe entre leurs mains. Leurs Prifonniers font trai- tés avec la dernière barbarie. Quoique leurs Bàtimcns foyent prefque tou- jours montés de cinq à fix cens nommes , ils attaquent rarement ceux des Européens , s'ils ne les croyent foibles , ou s'ils ne les voyent fort petits. Ils font plus fubtils que braves. La moindre réfiftance les met en fuite. Mais , ils font infolens & cruels dans la viétoire; & lorfqu'ils font en Mer, ils ne font aucune diftinftion entre les Etrangers & leurs meilleurs Amis. Cette férocité les abandonne au retour. Il n'y a rien à craindre dans leurs Bafars. Les Princes , fous l'autorité defquels ils font établis , ferment les yeux fur leurs larcins maritimes , & les partagent même avec eux ; mais ils les punifTent aufli rigoureufement que le moindre de leurs Sujets, lorfqu'ils peuvent les convaincre de (quelque autre vol. On les diftingue des Gen- tils , à leur barbe , qu'ils laiflent croître ; à l'ufage qu'ils ont de fe couper les cheveux ; & plus fûrement encore à leurs habits , qui font des veftes & des turbans; au-l:eu que les Gentils font prefque nuds. Si les Prifonniers, qu'ils font fur Mer, font Malabares, foit Gentils ou Mahométans , ils les volent , les dépouillent & les mettent à terre ; mais ils ne peuvent les réduire à l'efclavage, s'ils font Gentils d'une autre Con- trée. S'ils font Chrétiens, ils ont le pouvoir de les conduire dans leurs Habitations , de les charger de chaînes , & de les forcer à des travaux pé- nibles , qui abrègent bien - tôt la vie de ceux qui n'ont perfonne qui s'inté- refle à leur fort, & qui fe hâte de les racheter. Lorfqu'un Corfaire met pour la première fois une Galère à l'eau , il y égorge quelques - uns de fes Efclaves Chrétiens ; & l'arrofant de leur fang , il en efpère plus de bonheur dans fes courfes. S'il n'a pas de viélimes qu'il puifle encore immoler , il attend , pour cet exécrable facrifice , qu'il lui tombe quelques Chrétiens entre les mains. Comme les Portugais font la première Nation de l'Euro- pe, qui aît formé des Etabliffemens aux Indes, c'efl: aufli celle qui a le plus fouvent éprouvé la cruauté des Mahométans du Malabar. Les Gouver- neurs de Goa en ont pris occafion d'armer , tous les ans , un certain nom- bre de Galiotes , qui font une guerre continuelle à ces Ennemis du re- pos public. Ceux, dont on peut fe faifir, font conduits à Goa, & con- damnés à ramer fur les Galères , ou à d'autres travaux. Mais les Pirates Malabares ne font pas plus fenfibles au malheur de leurs amis , qui font Ef- X II L Part. Ddd cla- De'CRIPTIOM DU Mauadar. Les MahO' métans s'en- richifTent par le Commerce & la Piraterie. V-il Leur cruau- té pour leurs Prifonniers. Comment les Portugais fe vangent d'eux. 39^ D E S C 11 I P T I O :: DE LA DEfCniPTION DU Mai.aiîak. Diviflon (la ïril)'.;;, cn- tr'j Its (îcn- tils du iMala« bar. Tribu des Pouliats, vile & impure. A quels ou- trages ils font livrés. claves des rortu^ais , qu'à la mifùrc dus Chrétiens qu'ils retiennent dans les icrs. Ces Mahomctans du Malabar font afTujettis à toutes les Loix du ^~i ys, qui ne font pas dire6lement oppofees aux maximes fondamentales Je leur Sc6lc. L'exercice de leur cui-ic ne leur cfl permis que dans l'cnccinte de 1-urs Bafars. Ils y ont peu de Mofquces, &!a plupart font mal entrete- nues. En un mot , les devoirs de la religion & de l'humanité les touclicnt moins, que la paillon de s'enrichir par des voyes indignes de l'un & de l'autre. Les Gentils formant le Corps de la Nation, non -feulement parcequ'ils font les Habitans originaires , mais parceque leur nombre excède beaucoup celui des Maliométans, on les divife en plufieurs Tribus, dont la premic- rc & la plus éminente eft celle des Princes. Les Nambovris, ou Grands- Prêtres forment la féconde; les Bramines^ la troifième; & les Nahers ou Naïres, qui font les Nobles du Pays, compofent la quatrième. La Tribu des TivcSf qui eft la cinquième, comprend ceux qui s'occupent à cultiver la terre,' à recueillir le tary , & à diftiller l'eau-de-vie. Ils portent quelque- fois les armes; mais c'efl par tolérance, après en avoir reçu l'ordre ou la permilîion du Prince. Les Maiiiats, fixième Tribu , n'ont pas d'autre oc- cupation , que de blanchir du linge & des toiles , dont on fabrique une pro- digieufe quantité dans toutes les Parties du Malabar. Les Cbcîes , qui font les TilTerands , compofent aufli une Tribu particulière; & Dellon aiïiire qu'il en eft de même de prefque tous les métiers. Les Maiicoms font la plus ilombreufe. Leur unique exercice eft la Pèche, lis ne peuvent habiter que fur le rivage de la Mer , où tous leurs Villages font bâtis. On les ef- time indignes de porter les armes; & dans le plus grand befoin de Soldats, ils ne font employés qu'à porter le bagage. La dernière , & la plus vile de toutes les Tribus du Malabar, eft celle des Pouliats (a). Cette malheu- reufe efpèce d'hommes eft regardée , de toutes les autres , comme la plus méprifable partie de l'humanité , & comme indigne du jour. Les Pouliats n'ont pas de maifon ftable. Ils vont errans dans les Campagnes. Ils fe re- tirent fous des arbres, dans des cavernes, ou fous des hutes de feuilles de palmier. Leur unique fonélion, dans la fociété , eft de garder les beftiaux & les terres. On devient infâme en les fréquentant , & Ibuillé pour s'être approché d'eux à la diftance de vingt pas. Les purifications font indifpenfa- blés, pour ceux qui leur parlent de plus près. Les Princes , les Nambouris , les Bramines & les Naïres peuvent fe fré- quenter , vivre enfemble & fe toucher ; mais perfonne de ces quatre Tri- bus ne peut prendre la même liberté avec les Tribus inférieures , fans con- traéler une tache qui l'oblige de fe purifier. Une femme eft impure & des- honorée fans retour , lorfqu'elle époufe un homme d'une Tribu inférieure à la fienne. Elle peat s'allier dans une Tribu fupérieure. Mais ces Loix regardent particulièrement les Pouliats. Si quelqu'un, des quatre premiè- res Tribus , rencontre un de ces miférables objets de l'exécration publique, il (fl) Panes, Parreas, ou Parreïers. R. d. E. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 7,0s il jette un cri, d'auflî loin qu'il peut le voir; & c'efl: un fignal qui l'oblige de fe retirera l'écart. Au moindre retardement, on a droit de le tuer, d'un coup de flcche ou de moufquet ; pourvu que le terroir ne loit pas pri- vilégié, c'eft-à-dire , confacré à quelque Pagode. La vie de ces iVIalheu- reux paroît fi méprifable, qu'un Naïre, qui veut éprouver Tes armes, tire indifféremment fur le premier Pouliat qu'il rencontre , fans dillindion d'â- ge & de fcxe. Jamais ce meurtre n'efl: reclierché , ni puni. Cette liber- té de les outrager , & de les tuer impunément , en a fort diminué le nom- bre; & peut-être feroient-ils tous exterminés depuis long-tems , fi le be- foin qu'on a d'eux, pour la garde des biens de la Campagne, n'obligeoit d'en conicrver quelques-uns. Il leur cfl défendu de fe vêtir d'étoffe ou de toile. L'écorce des arbres, ou les feuilles entrelaffées, leur fervent à fe couvrir. Ils font d'ailleurs fort fales. On leur voit manî2;cr toutes fortes d'immondices & de charognes. Ils n'en exceptent pas celles des bœufs & des vaches; ce qui augmente beaucoup l'horreur qu'on a pour eux, dans un Pays , où ces animaux font en vénération. Auili ne leur efb-il pas plus permis d'approcher des Temples , que des Grands & de leurs Palais. Les Prêtres ne reçoivent , de leur part , aucune autre offrande , que de l'or ou de l'argent: encore faut-il qu'ils le pofent de fort loin à terre, où l'on fe garde de l'aller prendre avant qu'ils ayent difparu. On le lave , pour le préfenter aux Dieux; & celui qui va le prendre, cft obligé de fe puri- fier après l'avoir apporté. S'ils ont quelque faveur à demander aux Grands , il faut auffi que leur requête foit préfentée d'affez loin ; & la réponfe fe fait à la même difbance. Souvent, fans avoir commis la moindre faute, ils font condamnés, fous peine de la vie, à payer de groffes amendes; & pour é- viter la mort, ils apportent fidcL'ment la taxe qu'on leur impofe. Les Vo- yageurs expliquent comment des Malheureux , qui font bannis du commer- ce des hommes , qui ne poffédent rien , & qui n'exercent aucune profef- fion dans laquelle ils puifîent s'enrichir, fe trouvent en état de fatisfaire à ces impofitions. C'eil une paflion commune à tous les Malabares , d'en- terrer tout l'or & l'argent qu'ils ont amalfé, & d'ajouter chaque jour quel- que chofe à leur tréfor, fans jamais en rien ôter. Ils meurent ordinaire- ment, fans en avoir donné connoiffance à leurs Héritiers , dans l'efpoir de retrouver ces richeffes & de pouvoir s'en fervir, lorfque, fuivant leurs principes , ils reviendront animer un autre corps. Les Pouliats , qui vi- vent dans l'oifiveté , employent la meilleure partie de leur tems à la re- cherche de ces tréfors cachés; & le bonheur qu'ils ont fouvent d'y réulîir, les fait accufer de fortilège. L'ufage qu'ils font de cet argent eft pour fa- tisfaire l'infatiable avidité de leurs Princes, qui menacent continuellement leur vie. Les Naïres, ou les Nobles du Malabar, n^ font pas moins diftingués par leur adreffe & leur civilité , que par leur naiffance. Ils ont feuls le droit de porter les armes , & leur l'ribu eft la plus nombreufe de chaque Etat. Comme ils dédaignent la profellion du Commerce, la plupart ont fort peu de bien ; mais ils n'en font pas moins refpeftés. Leur pauvreté les oblige de s'engager, en quallcé de Gardes, au fervice des Rois, des Princes, des Gouverneurs de Provinces & de Villes, qui en ont toujours un grand nom- Ddd 2 bre Dr.fCPinioN l'U RIalauar, Comment on reçoit leurs offran- des & leurs requêtes. D'oîi ils tî- rciit de quoi payer les taxes. N.iïrrs C<. kurdil'tiiic- tio!). D SCRimON DU Malauar. Quel fervi- ce ils rcnJcnt aux Etran- gers. Leur fidé- lité à les dé- fendre. Les enfans de cet Ordre font refpeftés des Voleurs. Paye des Naïres. ]()6 DESCRIPTION DE LA bre à leur foldc. Ils s'attachent même à d'autres Naïres , plus riches & plus puiffans, auxquels ils fervent d'efcorte, mais qui les traitent avec au- tant d'honnêteté qu'ils en exigent de refpcél, pour marquer l'égalité delà naiflance. Les Etrangers, qui réfident ou qui paflTent dans le Pays, font obligés de prendre des Naïres pour les garder : mais le nombre n'étant fixé par au- cune Loi, ils ne confultent là-defliis que leurs facultés, ou le defir qu'ils ont de paroître avec éclat. C'efl:, d'ailleurs , une nécéflité indifpenfabie de fe faire accompagner de quelques Naïres , lorfqu'on entreprend de vo. yager dans les 'l'erres du Malabar. Sans cette précaution , le vol & fin- lulte font les moindres dangers auxquels ons'expofe, delà part d'une Tri- bu , qui doit fa fubfiftance à cet ulage. L'aflaflinat même efl une violence aflez ordinair . ; & comme on prend foin d'en avertir les Etrangers , ces vols & ces meurtres demeurent impunis. On rejette leur malheur, fur leur négligence ou leur avarice ; d'autant plus qu'il ne manque rien à la fidélité des Naïres , lorfqu'on employé volontairement leurs fervices. Ils fe louent jufqu'à la frontière de l'Etat, dont ils font Sujets. Là, ils cherchent eux- mêmes d'autres Naïres de l'Etat voifm , à la conduite defquels ils abandon- nent le Voyageur qui s'efl mis fous leur proteélion. Leur zèle va fi loin, que s'ils font attaqués dans la route, ils périflent tous jufqu'au dernier, plutôt que de furvivre à ceux , dont ils ont entrepris la défenfe. Ils n'a- bufent jamais de la confiance qu'on a pour eux; ou, fi l'on rapporte quel- ques exemples de trahifon , ils font comme effacés par les affreux châti- mens dont ils ont été fuivis. Ce n'efl: pas à la juftice publique qu'on re- met la punition des Coupables. Leurs plus proches parens leur fervent de Bourreaux , pour réparer la honte de leur famille , & les mettent en pièces de leurs propres mains , avec des circonftances , dont le récit fait frémir. Dellon obferve qu'un Etranger, qui voyage dans le Malabar, efl: plus en fureté fous l'efcorte d'un enfant Naïre , que fous celle des plus re- doutables Guerriers de la même Tribu ; parceque les Voleurs du Pays ont pour maxime , de n'attaquer jamais que les Voyageurs qu'ils rencontrent armés , & qu'ils ont au contraire un refpeft inviolable pour la foibleffe & l'enfance (6). Les jeunes Naïres, que leur âge ne rend point affez forts pour foutenir & pour manier des armes, portent une petite maffue de bois, d'un demi pied de longueur. 11 efl: furprenant , ajoute Dellon , que mal- gré l'opinion bien établie , qu'il y a moins de danger fous la garde d'un de ces enfans , que fous celle de vingt Naïres bien armés , tout le monde pré- fère le plaifir de paroître avec une fuite nombreufe , à la certitude d'être à couvert de toutes fortes d'infultes, fous une efcorte qui flatte moins la va- nité (c). Un Naïre, qui fert de Garde, reçoit ordinairement quatre Tares par jour. En Campagne, fa paye efl: de huit tares. C'efl: une petite Monno- ye d'argent, qui vaut, à-peu-près, deux liards, & dont feize valent un Fanon, petite Monnoye d'or de la valeur de huit fols. Les Rois Malabares ne (i) Ubi Juprà, pag. 255. (c) Ibidenu PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 397 ne fabriquent point d'autres efpèces : mais ils laiflent un cours libre , dans leurs Etats , à toutes les Monnoyes étrangères d'or & d'argent. Rien n'approche de la ^clicatefTe & des fcrupules de cette Nation , dans ce qui concerne les alliances & les mariages. On a dcja remarqué qu'un homme peut indifféremment fe marier, ou prendre une MaîtrelFe, dans fa Tribu, ou dans celle qui fuit immédiatement la fienne. Mais s'il ell con- vaincu de quelque intrigue d'amour , avec une femme d'une Tribu fupé- ricure, les deux Coupables font vendus pour l'efclavage, ou punis de mort. Si la femme, ou la fille, ell de la Tribu des Nambouris, & le galant de celle des Bramines , on le contente de les vendre. Si l'homme eft d'une Tribu plus baffe, il eft condamne à mourir; & la femme eft remife entre les mains du Prince, qui a droit de la vendre à quelque Etranger, Chrétien ou Mahométan. Comme les femmes, des quatre premières l'ribus, l'em- portent ordinairement fur les autres, parla beauté & les agrémens, il fe préfente un grand nombre de Marchands , pour acheter celles qui font con- damnées à cette punition. Un Voyageur fort grave raconte un événement de cette nature, dont il fut témoin ^d). L E même Ecrivain , qui avoit fait un long féjour au Malabar , obferve , comme une circonftance extrêmement lingulière, que les hommes, de la Tribu d'une femme coupable, ont droit de tuer, pendant trois jours, dans le DeSCRII'TION DU Mai.aiiar. Alliances & Mariages. {d) Pendant que Je demeuroîs, dic-il, à rilcery, un VaiflTeau Portugais fe perdit dans le Port de Cananor. On en fauva tou- tes les inarchandifes; mais le Bâtiment fut brifé. Le Capitaine, obligé de faire quel- que féjour dans le Pays , pour attendre des ordres de Goa , nous venoit voir fouvent à ïilcery, qui n'eft qu'à trois lieues de Cana- jior. Un jour qu'il étoit avec nous, il fut averti que dans un Bourg, éloigné d envi- ron quatre lieues, on avoit furpris une jeu- ne Bramine , avec un garçon de la Tribu des Tives, & qu'elle devoir être vendue. 11 fe hâta de fe rendre au Bourg, & trouvant cette jeune perfonne fort jolie, il convint de prix & l'acheta. II revint aufli - tôt avec elle , parcequ'il n'avoit pas d'autre chemin pour aller à Cananor. il s'arrêta même avec nous pendant trois ou quatre jours , & nous les traitâmes fort bien tous deux, pour adou- cir le chagrin qu'ils relTentoient , l'un de la perte de fon VaiiTeau, & l'autre de celle de fa liberté. Nous fîmes interroger la jeu- ne Indienne fur fon avanture, par nôtre In- terprête; elle en fit un récit fort naïf. De- puis la mort de fa mère, qu'elle avoit per- due dans fon enfance , elle avoit été élevée chez un Oncle, qui l'aimoit tendrement. Elle alloit travailler tous les jours à laCam- f)agne, avec d'autres filles de fon âge & de à Tribu. Un jeune Tivc , à qui elle avoit A quelle occanon lej femmes font vendues. Droit cruel de la Tribu d'une femme coupable. plû, lui avoit aufll paru fort aimable. Il l'avoitfuivie long-tems; il l'avoit attendue, f tour lui parler ou pour la voir, dans tous es lieux oii elle devoir paflfer,* enfin, il lui avoit infpiré tant d'inclination pour lui, qu'après lui avoir procuré les moyens de la voir plufieurs fois, elle s'étoit lailfée perfua- der de l'introduire chez fon Oncle, qui par un malheur étrange , les avoit découverts & furpris cnfemble dès la première fois; qu'il en avoit coûté la vie à fon Amant; & que pour elle, ayant été conduite chez le Prin- ce , qui l'avoit fait garder pendant quelques jours dans fon Palais , les tranfports de douleur, où il l'avoit vue continuellement, .:Vo!ent déterminé à la vendre au premier .■;. étien qui s'étoit préfenté pour l'acheter. . :!e interrompit fouvent fon difcours, par des foupirs & par une abondance de larmes , qui nous firent bien connoltre qu'elle avolc aimé tendrement. Elle nous parut plus tou- chée du fort de fon cher Tive, que de l'é» loignement de fa famille & de la perte de fa liberté; Nous la plaignîmes beaucoup. Le Capitaine Portugais, qui fentoit pour elle plus que de la pitié, craignit qu'elle ne plût à quelque François. 11 partit avec elle pour Cananor, oîi il la fitinftruire&bâtifer , 6coU je l'ai vue plufieurs fois depuis. DeUany Tom. I. pag. 263 & fuivantes. Ddd 3 398 DESCRIPTION DE LA DRStSTTTION DU Mai.\ ;a i. L'Iiomicitie cil un crime plus Icger (]ue le lircin au Malabar. Forinnlités nngulicies du fcniitiu. Sentence Je mort iS: fon exécution. le lieu OÙ le crime s'efl commis, & Tans djflinélion d'uge & de fcxe, ton. tes les perfonncs qu'ils rencontrent de la 'IVibu du beduiteur (e). L-s Naïres exercent ce droit barhiuv fur les 'i'ives Ck les Crietes; ceux-ci fur les Maucouas, & les Maucouas fur la miierable 'l'ribii des Pouliuts. Mais pour empêcher qu'il n'y ait trop de (ang répandu, on garde ordinairement les Coupables pendant huit jours, & ces exécutions fanglantes ne font pcr- mifes que du jour de leur fupplice. l^ans cet intervalle, chacun a le tems & la liberté d'abandonner fon Village, ou les plus timides ne retournent qu'un jour ou deux après l'expiration du terme. On en doit conclure que l'homicide ne palle pas pour un grand crime, entre les Malabares. Outre lesPouliats, qu'on peut tuer impunément, il efl rare qu'on punilTe de mort ceux qui tuent des perfonncs d'une l'ribu plus élevée, à moins que le meurtre ne foit aggravé par les circonllanccs; & dans ces occafions mêmes, c'eft moins la jullice que le reifentiment des familles, qui règle ordinairement la vengeance, il n'en ell pas de même du larcin. Ces Peuples en abhorrent jufqu'au nom. Un Voleur devient infâme. Il efl: puni avec tant de levérité, que Ibuvent le vol de quelnuis grappes de poivre conduit au fupplice (/). On ne connoît point, au Ala- labar, l'ufage des Prifons pour les Criminels. On leur met les fers aux pieds; & dans cet état, on les garde jufqu'à la dôcifion de leur procès, qui dépend du Prince, Juge fouverain de toutes les-aflaires civiles & criminel- les. Si faccufiition ell douteufe , & le nombre des Témoins infulfifant, on reçoit le ferment de l'Accufé (g), dans cette forme: il elT: conduit de- vant le Prince, par l'ordre duquel , on fait rougir au feu le fer d'une hache; on couvre la main de l'Accufé, d'une feuille de bananier, fur laquelle on met le fer brûlant, pour l'y laifler jufqu'à-ce qu'il ait perdu fa rougeur , c'eft- à-dire, l'efpace d'environ trois minutes. Alors, l'Accufé le jette à terre, & préfente la main aux lîlanchilîeurs du Roi, qui fe tiennent prêts, avec une ferviette mouillée dans une efpèce d'eau de riz , que les Indiens nom- ment Cauge^ & dont ils l'enveloppent. Ils lient enfuite la ferviette, avec des cordons , dont le Prince fcelle lui-même les nœuds , de fon cachet. El- le demeure, dans cet état, pendant huit jours; après lefquels on découvre en public la main du Prifonnier. Lorfqu'elle fe trouve faine & fans aucu- ne apparence de brûlure, il efl. renvoyé abfous; mais s'il y refle la moindre impreiîion du feu , on le conduit fur le champ au fupplice. C'efl: par la bouche du Prince, que l'arrêt efl prononcé. L'exécution ne fe diffère ja- mais. Si le crime ell digne de mort , on fait fortir le Coupable de l'en- ceinte du Palais; & les Nahers de la Garde, fe faifant honneur d'exécuter l'ordre du Prince , ambitionnent la fonélion de Bourreaux. Lorfque le cri- me (e) Le même, pag. ^64, (/) Le genre de mort qu'on leur fait fubir eft d'être empallés, & de porter eux-mê- mes l'inflrument de leur fupplice, fur le lieu de l'exécution. R. d. E. (^) La voye de l'ordalie, anciennement en ufage chez quelques Peuples de l'Euro- pe, n'en pas un ferment; mais une épreu- ve. Les Malabares ont auflî recours à la voye du ferment , qui eft d'un grand poids parmi eux. Le plus ordinaire eft de jurer parla privation de quelque fens.ou de quelque membre, dont ils prient leurs Dieux de les châtier, fi ce qu'ils affirment n'eft pas véritable. R. d. E. L PRKSQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 399 jne cfl: aiïL'X noir pour dégrader le Coupable defliTrilni, fos parons s'em- pivlient euX' ..lemcs de lui donner la mort, pour hiver, dans l'on iim;^, la honte dont il couvre fa lamille. Le fupplice commun ell de percer les Criminels à coups de lance, <î^ de lesmetirc en pièces à coups de labre, pour aitaclier leurs membres à plufieurs troncs d'arbres (/;). CiiA(iUE Royaume du Malabar, a plufieurs familles de Princes, qui compofent enfemble la Tribu Royale, dillinguée de toutes les autres Tri- bus. A la mort d'un Roi, le plus ancien des Princes cil déclaré fon Suc- celîeur , de quelque famille qu'il l'oit dans cette Tribu , fans c|u'il y ait ja- mais de contellation pour la Royauté. Jamais aulîi , par conl'équent , on ne voit de jeunes Souverains. Celui qui parvient à la dignité fupreme , pcn- fe, après fon couronnement, à fe procurer un Lieutenant-Général, fur le- quel il puille l'e rcpofer des foins du Gouvernement. A la vérité, cette Charge, qui donne le premier rang après lui, efl: ordinairement mife à l'en- chère; mais il a droit de choillr, entre ceux qui en offrent le plus. C'efl: ce Gouverneur de l'Etat qui expédie les lettres, les pafl'eports, & tous les ordres de la Cour. AulVi-tôt que le Roi fe croit fur de fa fidélité , il lui abandonne entièrement l'Adminiflration publique, pour fe retirer dans un de fes Palais, où fon unique occupation cH de mener une vie heureufe & tranquille. Le nouveau Gouverneur fait fon premier foin , de fournir au Monarque tout ce qui peut contribuer à fon bonheur; &. jouiffant, en effet, du pouvoir fupréme, il reçoit les impôts , il dillribuc les grâces & les récompenfcs, il fait, à fon gré, la paix ou la guerre; tS: quoique fon de- voir foblige d'en conférer avec fon Maître , il i'e difpcnfe fouvent de cette fervitude, fur-tout lorfque la vieilleffe du Souverain augmente l'averfion qu'une vie molle lui infpire naturellement pour les affaires. Cependant, à quelque décrépitude que le Roi foit parvenu, jamais un Lieutenant-Général n'ofe poulfer l'indépendance jufqu'à s'afleoir devant lui; ni prendre la liberté de faire entrer, dans fon Palais, un feul de fes propres Gardes ; ni lui parler , fans avoir les mains pofées l'une fur l'autre devant fa bouche; ce qui pafl'e, au Malabar, pour la marque du plus pro- fond refpeél. Celui , qui manqueroit à quelqu'un de ces devoirs , s'expo- feroit à perdre la meilleure partie de fon bien avec fa dignité ; parceque le Roi fe réferve toujours le pouvoir de caffer fes Lieutenans-Généraux , fans être obligé de les rembourfer de leur finance. Mais ces violentes extrémités font prefque fans exemple. Il efl rare , dans les Pays Orien- taux, qu'un Sujet oublie fon devoir jufqu'à s'écarter du refpe6l qu'il doit à fon Maître. On donne, au Roi de Cananor, le nom de Colitri', titre héréditaire, comme celui de Samorin pour les Rois de Calecut. Lorfque ces Monarques fortent de leur Palais, ils font portés fur un éléphant, ou dans un palan- quin. Ils ne paroiffent jamais en public, fans porter fur la tête une Couronne d'or, du poids de cinq cens ducats, & de la forme d'un bonnet de nuit, qui s'élève en pointe (/). C'eil de la main de fon Lieutenant-Général, que (i) Ibid. pag. 267. (t) Dans i'inde il n'y a que le Grand l)E«ci irnoN Mai.adak. Tii'juRoyale, A qui la Cituronne appiutitiit. T.icutcnnnt- GÙH'ruI , ik fon :.'.,toiit>i. Ce qu'il doit au Sou- verain. Fa fie des Rois du Ma- labar. Mogol , qui ait le droit de porter la Cou- ronne Royale. Les Ilois Malabaies n'ont qu'un \ N 400 DESCRIPTION DE LA DlJCRIPTION t)U Fade Jus Grands. aue chaque Monarque reçoit cette Couronne. Elle ne fert qu'à lui. la mort, elle ell depofce dans le iréfor de la Pagode Royale; & le OrJre delà naidance , d'une Tribu à l'autre. Apre? ï^oi qui fuccède en reçoit une , du même poids , de celui qu'il choifit pour gouver- ner en l'on nom. Les Souverains du Malabar fe font toujours accompagner d'une nom- brcufe Oarde de Naïres, avec quantité de trompettes , de tambours & d'uu- tres inllrumens (k). Quantité d'Officiers, qui marchent loin avant les Gardes , crient de toutes leurs forces que le Roi vient, pour avertir ceux, qui n'ont pas droit de paroître devant lui , qu'ils doivent fe retirer. Tous les Princes, qui fe font voir hors de leurs Palais, fans être à la fuite du Roi, font efcortés aulTi d'un grand nombre de Oardes, de Joueurs d'inflrumens,& d'Officiers qui les précédent, pour éloigner les perfonnes des Tribus in- férieures. Les Princeflcs jouiflcnt du même privilège. Si le Lieutenant- Général de l'Etat n'eft: pas Prince, il peut avoir des Naïres pour fa Gar- de ; mais il n'a pas de Trompettes , ni d'Officiers qui obligent le Peuple de fe retirer. Les Princes, qui ont ici tant de fupériorité fur les autres Tribus, dans l'Ordre politique, font inférieurs, dans l'Ordre de la Religion, aux Nam- bouris n , qui ne vit pas, fans frayeur, la peau d'un de ces redoutables monftres , rend témoignage qu'on en auroit pu couvrir un lit quarré de fix pieds. Ils font plus communs au Nord de Goa. L'expérience a fait con- noître que lorfqu on rencontre un tigre , lî l'on efl armé d'un fufil ou d'un piflolet , le parti le plus fage efl de tirer en l'air , à moins qu'on ne fe croye fur de le tuer ou de l'abbattre. Le bruit l'étonné & le met en fuite ; au-lieu que s'il efl feulement bleffé, la douleur de fa playe le rend plus terrible. On afTure aulTi que la vue du feu écarte les tigres. L'Animal que les Indiens nomment Jakar, ou Jakah^ & les Portu- gais Adive^ efl un autre lieau du Malabar. Il reffembleroit au chien par la figure , s'il n'avoit la queue du renard , & le mufeau du loup. Les adi- ves fe dérobent à la lumière , & ne fortent guères de leurs retraites , que pendant la nuit. Ils marchent ordinairement en troupe. Leur cri efl plain- tif. A les entendre de loin, on les prendroit pour des enfans de différens âges , qui fe plaignent , ou qui pleurent enfemble. Ils font la guerre à toutes fortes de volaille, & ne font pas moins ennemis des chiens, qui a- boyent beaucoup à leur approche. Ils attaquent les enfans ; mais un hom- me, armé d'un bâton, n'a rien à redouter d'eux, quoiqu'ils foyent d'un naturel fi féroce, qu'à quelque âge qu'on les prenne, il efl impoffible de les apprivoifer. 11 efl fouvent arrivé que des adives , entrant dans une maifon ouverte & fans défenfe, ont enlevé des enfans au berceau, ou dans les bras d'une mère effrayée. Tous les Malabares font perfuadés , par de longues obfervations , que la Nature a mis une fingulière intelligence entre le tigre & l'adive. IJn tigre, qui cherche fa proye, fe fert du fecours d'un adive*, qui marche devant lui , pour attirer , par fes cris , les chiens ou les enfans hors des maifons. On reconnoît aifément, fi l'adive efl accom- pagné d'un tigre , parcequ'alors on n'en entend crier qu'un ; au-lieu que fi plufieurs fe font entendre à la fois, les Malabares ne fe croyent pas mena- cés du plus cruel de leurs ennemis , & leurs précautions font proportionnées à leurs craintes. Dellon raconte, qu'il s'efl quelquefois occupé à chercher des adives; & qu'après avoir découvert une de leurs tanières, il y faifoit faire une petite ouverture, par laquelle on introduifoit de la paille où l'on mettoit le feu , pour les étouffer par la fumée. „ J'ai trouvé , dit-il , dans PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 411 „ pliificurs de CCS tanières , qui étoient capables de contenir vingt pcrfon- „ nés, jiifqirà trente adives fufFoqués (i)". Les biilies fauvagcs , font en beaucoup plus grand nombre, au Mala- bar , que dans tout autre Pays du Monde. Les 1 labitans en font peu d'u- fage, & n'en mangent point la chair; mais ils permettent aux Etrangers de les prendre ou de les tuer. On fait de leur peau , des foulicrs , des bot- tes , des rondaches , des outres , & une forte de grandes cruches , garnies intérieurement d'ozier , dans lefquelles on conferve & l'on tranfporte toutes les denrées molles ou liquides. L A civette du Malabar efl: un petit animal , qui reflemble au chat , mais qui aie mufeau pointu, & dont le cri n'approche point du miaulement. Ses griffes font aulfi beaucoup moins dangereufes. [Ses jambes font cour- tes 8c fans jointures ; ce qui fait que ne pouvant fe coucher par terre pour fe repofer, elle s'accroche à une branche d'arbre.] On tire, d'une ouver- ture que le mâle & la femelle ont fous la queue, une efpèce de graille, que les Européens nomment Chette , & dont il fe fait un Commerce fort con- fidérablc dans le Royaume de Calccut. Les finges , dont le nombre & la variété font incroyables au Malabar , y paflcnt pour des animaux divins, auxquels on élève des Statues & des Temples. Quelque ravage qu'ils y caufent, ce feroit un crime capital d'en tuer un, fur les Terres d'un Prin- ce Gentil. Dellon parle de plufieurs fêtes , inflituées à leur honneur , qui fe célèbrent avec beaucoup de pompe & de cérémonies (*). Ce Voyageur avoit douté, dit -il, de ce qu'il avoit entendu raconter, & de ce qu'il avoit ICI fur les couleuvres du Malabar; mais il s'en convain- quit par fcs yeux , & la préfence du fpeftacle augmenta fon étonnement. On en dirtingue plufieurs efpèces , qui diffèrent en groffeur, en couleur , en figure, & fur-tout en malignité. Les unes font vertes, & de la grof- feur du doigt, mais de cinq à fix pieds de longueur. Elles font d'autant plus dangereufes , que fe cachant dans les buiffons , entre les feuilles , leur couleur ne permet pas de les appercevoir. Elles ne fuyent point, û l'on ne fait bc;aucoup de bruit: au contraire, elles s'élancent fur les Paffans , dont elles attaquent prefque toujours les yeux, le nez, ou les oreilles. Ce n'efl point par leurs morfures qu'elles empoifonnent , mais en répandant un venin fubtil, dont l'effet efl fi funefi:e, qu'il caufe la mort en moins d'une heure. Comme leur rencontre n'efl: que trop fréquente, Tufage, dans les chemins étroits, efl: de fe faire précéder d'un Efclave, qui frappe de part & d'autre pour les écarter. Un Indien Chrétien , que Dellon avoit connu , allant un jour, du Bourg de Balliepatan, à la Pagode du même lieu , accom- pagné d'un Malabare, qui leprécédoit, vit un de ces dangereux reptiles, qui s'élança fur fon Guide, & qui fe gliffant par une narine, fortit aulfi-tôt par l'autre , & demeura pendant des deux côtés. Le Payen tomba fans connoilTance , & ne fut pas long-tems fans expirer. Une autre efpèce, que les Indiens nomment Nalle Bambou , c'efl:-à-dire , bonne couleuvre , a re- çu des Portugais le nom de Cobra Capello, parcequ'elle a la tête environnée d'une peau large, qui forme une efpèce de chapeau. Son corps efl; émaillé de (i) Ibidem, pag. 224. (Jt) Ibidem, pag. 228. Fff 3 DESCRirTio* DU Malabar» Civette da Malabar. Couleuvres & autres fer- pens. Avanture d'un Maiaba? re, qu'un ferpent tue par le nez. %lt DESCRIPTION DE LA t}£ICRIPTION DU Malabar. Comment les fcrpens font honorés des Malaba- rei. Serpent d'u* remonftrueu- fe grandeur. de couleurs très-vives , qui en rendent la vue aufli agréable , que fes blelTu- res font dangereufcs. Cependant , elles ne font mortelles , que pour ceux qui négligent d'y remédier (/). Les diverfcs reprcfentations de ces cruels animaux font le plus bel ornement des Pagodes. On leur adrcfle des priè- res & des offrandes. Un Malabare , qui trouve une couleuvre dans fa mai- fon, la fupplie d'abord de fortir. Si fcs prières font fans effet, il s'efforce de l'attirer dehors , en lui préfentant du lait , ou quelqu'autre aliment. S'ob- llinet'clle à demeurer?, on appelle les Bramines, qui lui repréfentent clo- quemment les motifs dont elle doit être touchée , tels que le refpeél du Ma- labare, & les adorations qu'il a rendues à toute l'efpèce. Pendant le fé- jour que Dellon fit à Canaiior , un Secrétaire du Prince Gouverneur fut mor- du par un de ces ferpens à chapeau , qui étoit de la groffeur du bras , ôc d'environ huit pieds de longueur. Il négligea d'abord les remèdes ordinai- res ; & ceux qui l'accompagnoient , fe contentèrent de le ramener à la Vil- le, où le ferpent fut apporté auflî dans un vafe bien couvert. Le Prince, touché de cet accident , fit appeller fur le champ les Bramines, qui repré- fentèrent à l'animal combien la vie d'un Officier fi fidèle , étoit importante à l'Etat. Aux prières , on joignit les menaces. On lui déclara que fi le Malade périflbit , elle feroit brûlée vive dans le même bûcher. Mais elle fut inexorable, & le Secrétaire mourut de la force du poifon. Le Prin- ce fut extrêmement fenfible à cette perte. Cependant , ayant fait réfle- xion que le Mort pouvoit être coupable de quelque faute fecrette , qui jui avoit peut-être attiré le courroux des Dieux , il fit porter hors du Pa- lais le vafe où la couleuvre étoit renfermée, avec ordre de lui rendre la li- berté , après lui avoir fait beaucoup d'excufes , & quantité de profondes révérences. Une piété bizarre engage un grand nombre de Malabares à porter du lait & divers alimens , dans les forêts , ou fur les chemins , pour la fubfiftan- ce de ces ridicules Divinités. Quelques Voyageurs , ne pouvant donner d'explication plus raifonnable à cet aveuglement, ont jugé qu'anciennement la vue des Malabares avoit peut-être été de leur ôter l'envie de venir cher- cher leur nourriture dans les maifons , en leur fourniffant de quoi fe nour- rir au milieu des champs & des bois. L A loi que les Idolâtres s'impofent , de ne tuer aucune couleuvre ( w ) » efl peu refpedlée des Chrétiens, &des Mahométans. Tous les Etrangers, qui s'arrêtent au Malabar, font main-bafle fur ces odieux reptiles; & c'cll rendre fans doute un important fervice aux Habitans naturels. Il n'y a point de jour où l'on ne fût en danger d'être mortellement bleffé, jufques dans les lits , fi l'on négligeoit de vifiter toutes les parties de la maifon qu'on habite. On trouve encore une efpèce de ferpens fort extraordinai- res , longs de quinze à vingt pieds , & fi gros qu'ils peuvent avaller un homme. Ils ne paffent pas néanmoins pour les plus dangereux, parceque leur monflrueufe groffeur les fait découvrir de loin , & donne plus de fa- cilité à les éviter. On n'en rencontre guères que dans les lieux inhabités. Del- (l) Les Malabares ont des remèdes fpé* nentcenom, & d'autres les nomipent fti- ^n ques contre la morfure des ferpens. 11. d. E. pens , cq général. X.m) La plupart des Voyageurs leur don- PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. ir^ Dellon en vit plufieurs fois de morts, après de grandes inondations, qui Hescriptio» les avoient fait périr , & qui les avoient entraînes dans les Campagnes , ou ., "" fur le rivage de la Mer. A queii^ue diftance , on les auroit pris pour des troncs d'arbres, abbattus ik deflcchés. Mais il les peint beaucoup mieux, dans le récit d'un accident , dont on ne peut douter fur fon témoignage (m) , Ce qu'ils & qui confirme ce qu'on a lu dans d'autres Relations fur la voracité de Jj?"' "P'*'»'^» quelques ferpens des Indes. ^^^ *"'■ ScHouTEN donne, à ces monftres affamés , le nom de Polpogs. „ Ils ont, dit-il, la tête affreufe, & profque femblable à celle du fanglier. Leur gueule & leur gofier s'ouvrent jufqu'à l'ellomac, lorfqu'ils voyent une grofle pièce à dévorer. Leur avidité doit être extrême, car ils s'é- tranglent ordinairement , lorfqu'ils dévorent un homme, ou quelque ani- mal; on prétend , d'ailleurs, que l'efpèce n'en efl: pas venimeufc. Il eft vrai, que nos Soldats, prelTés de la faim, en ayant quelquefois trouvé, qui venoient de crever pour avoir avallé une trop grofle pièce, telle „ qu'un veau, les ont ouverts, en ont tiré la bête qu'ils avoient dévorée, „ lont fait cuire, & l'ont mangée, fans qu'il leur en foit arrivé le moin- „ dremal (o). Le même Écrivain en décrit une efpèce, que les Hollandois ont nom- més Preneurs de rats , parceq^u'ils vivent effeftivement de rats & de fouris , comme les chats , & qu'ils le nichent dans les toits des maifons. Loin de nuire aux hommes , ils paflent fur le corps & le vifage de ceux qui dor- ment , fans leur caufer aucune incommodité. Ils defcendent dans les cham- bres d'une maifon , comme pour les vifiter ; & fouvenc ils fc placent fur le plus beau lit. On embarque rarement du bois de chauffage , fans y ietter quelques-uns de ces animaux , pour faire la guerre aux infectes qui s y re- tirent (p). Serpens qui fervent de chats dans les mairgns» (n) „ Pendant la récolte du riz, quel- „ ques Chrétiens qui avoient été Gentils , „ étant allés travailler à la terre, un jeune „ enfant, qu'ils avoient laiiTé feul & mala- „ de à la maifon , en fortit pour s'aller cou- „ cher, à quelques pas de la porte, iur des „ feuilles de palmier , où il s'endormit juf- „ qu'au foir. Ses parens , qui revinrent fa- „ tigués du travail, le virent dans cet état; „ mais ne penfant qu'à préparer leur nour- „ riture , ils attendirent qu'elle fût prête, „ pour aller l'éveiller. Bien- tôt ils lui cn- „ tendirent pouffer des cris à demi étouf- „ fés, qu'ils attribuèrent à fon indifpofition. „ Cependant, comme il continuoit de fe ,, plaindre, quelqu'un fortit, ôcvit.ens'ap- „ prochant, qu'une de ces groffes couleu- ., vres avoit commencé à l'avaller. L'em- barras du père & de la mère fut aufli grand que leur douleur. On n'ofoit irriter la „ couleuvre, de peur qu'avec fes dents elle „ ne coupât l'enfant en deux, ou qu'elle „ n'achevât de l'engloutir. Enfin , de plu- „ (îeurs expédiens , on préféra celui de la jn couper par le milieu du corps ; ce que le „ plus adroit & le plus hard» exécuta fort „ heureufemcnt d'un feul coup de fubre. „ Mais comme elle ne mourut pas d'abord , „ Quoique féparée en deux ; elle ferra , de „ l^s dents, le corps tendre de l'enfant, 6c „ l'infefta tellement de fon venin, qu'il ex- „ pira peu de momens après. „ Un foir, ajoute Dellon, après avoir ,, foupé , nous entendîmes un adive qui crioic „ feul , proche de nôtre Maifon , & d'une „ manière il extraordinaire , que tout le „ bruit de nos chiens ne le fit point écarter. ,, Nous fîmes fortir nos gens, avec leurs „ armes, pnr précaution contre les tigres. ,, Us trouvèrent qu'une couleuvre avalloit ,, l'adive, qu'elle avoit apparemment trou- „ vé endormi, lis- la tuèrent & l'adive aulïï „ Elle n'avoir pas plus de dix pieds de long", Ubifuprà, pag. 241. ( 0 ) Tom. 1. pag. 483. (p ) Ibidem. Nota. Cet Article de la Defcription du Malabar a été détaché du Tome XL de l'E- dition de Paris. H. d. E. Fff 3 Defcrip* ♦H DESCRIPTION DE LA DEScnrrTTON DE GOUKUNDE, Golfe de RL'iigrilc , & fcspiiiicipaiix Royaumes. Bifirigar. Goikondc &fa CapUalc. Qualitcsdu Pays. Lil/ir/p/Ion du Royaume de Golkondc. REPRENONS un article , d'où l'enchaînement de quelques autres fu. jets nous II trop éloignes. Methold «ic Tavcrnier femblenc répéter avec compluilance qu ils ont lait un long fejour dans le Royaume de Gui- konde, ik qu'ils y ont tourné leur attention fur tout ce qui s'attire la eu- riofité d'un Etranger. C'ell de leurs obfervations réunies que cette defcrip. tion fera compofée. Ln CîoHe de Bengale qui s'étend depuis le Cap dcComorin, fous le lui]. tième degré de latitude du Nord, jufqu'ù Chatigam^ qu'on place au vingt- deuxième degré, contient dans cette étendue environ mille lieues {a) d^ Cote. Son ouverture ell de neuf cens lieues; \k le Cap de Sincnpnr, qui cfl fous le premier degré de latitude aullrale, le ferme de l'autre cô- té. La Cote du Golfe olFre plulieurs Royaumes, dont les plus célèbres font ceux de Bilhagar, de Goikonde , de Bengale , d'Arakan, & de Pegu. Elle efl coupée de plufieurs petites Rivières , dont le nom cfl: obfcurei par le voilinage du Gange , un des plus grands & des plus fameux lleuves du Monde (b). Bi SNA G AU, le premier, le plus ancien & le plus confidérable de tous ces Etats, s'efl: divifé, avec le tems , entre les Princes voifins, & plufieurs Na!hs\ ou Gouverneurs de Provinces, qui ont profité des guerres civiles, pour s'y établir par les armes (c). C'efl: dans une des divifions de ce grand Royaume qu'ell lîtuée la fameufe Ville de Siiint-Thumé (r/). Celui de Golkonde, qui le fuit au Nord-Efl: , prend Ton nom de la Vil- le de Golkonde, qui en elî la Capitale, & que les Perfans & les Mogols nomment Ilitiraband (e). On ne trouve, dans aucun Voyageur, l'cxaCte mefure de ion étendue; & les Itinéraires de Tavernier ne peuvent donner là-deflus que des lumières d'autant plus imparfaites, que diverfes révolu- tions y ont apporté beaucoup de changemens (/_). Mais , en général , le Royaume de Golkondc ell un Pays dont on vante la fertilité. Il produic abondamment du riz ik du bled, toutes fortes de befliaux ik de volailles, 6i les autres néceiritcis de la vie. On y voit quantité d'Etangs , qui font rem- (a) L'Auteur cntenJ des lieues Angloi- fcs , qui ibiu do cinq inillt quatre cens ciu- (iuante-quitre piLcià (i ). (ft) Sa l'ouicj t'toit encoro Inconnue du tems de l'Aiittur. On fçait aujourd'hui qu'il la pruiul dans ics rjontngnes qui bordent le petit Tibet, au Sud-lClt, à quatre- vir.gt- i'eizedf.qrés de lor^^itude, & trente ciiîq de- grés quarante • ciiui minutes de latitude du Js'or.l. il fe jette par deux emboucliures ( I ) A ce compte ce n: fctoir que f.pt cens foixame- de. R. d. E. (i) C'cft à dite apparemment d;ux principales j cat dans le Golfe de Bengale. (2). (c) De-Ià vient que ces Parties ont pris dillcrens noms , tels que Camate, Narfingui, Cbandegri, &c. (rf) A treize degrés dix minutes de latitu- de du Nord. (e) Ou plutôt Ilayder • ahad. R. d. E. (/) Voyez la dernière , à la fin de cet Ar- ticle. dix lieues pareilles, pout quatorze degrés de latliu* il y en a plufieots autres, R, d, E. TIF. î5on climnt & f.:s faifouj, PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 415 remplis de bon poifTon, fur-tout d'une cfpccc d'cpcrians fort délicats, qui n'ont qu'une arrête au milieu du corps. La Nature a contribué plus (juc l'Art à former ces Ftanj^s, dont 'l'avirnier admire également la multitude & la forme. La plupart, dit-il, font tiaiis des lieux un peu élcvcs, oiil\in n'abefoin que de faire une cliaulfée du coté de la plaine, pour retenir l'eau. Ces chaulfées ont quelquefois une demie-lieue de long. Après la lliilon des nluyes, on ouvre cle tems en tems les éelufes, pour lailTer couler l'eau dans la campagne, où étant reçue dans divers petits canaux , elle lert à la fécon- dité des terres (g). Le climat elt fort fain. Les Ilabitans divifent leurs années en trois fai- fons. Mars, Avril, Mai & Juin font l'été; car, dans cet efpace, non- feulement l'approche du Soleil caufe beaucoup de chaleur, mais le vent, qui fembleroit devoir la tempérer , l'augmente à l'excès. II y fouille ordi- nairement, vers le milieu de Mai, un vent d'Ouell qui échauffe plus l'air que le Soleil même. Dans les chambres les mieux fermées , le bois des chaifes & des tables cfl: fi ardent qu'on n'y fauroit toucher, & qu'on c(l obligé de jetter continuellement de l'eau fur le plancher & fur les meubles. Mais cette ardeur excefllive ne dure que (ix ou lept jours , & feulement de- puis neuf heures .du matin jufqu'à quatre heures après midi. Il s'élève en- luite un vent frais , qui la tempère agréablement. Ceux qui ont la téméritc de voyager , pendant ces extrêmes chaleurs , font quelquefois étouffés dans leurs palanquins (h). Elles dureroicnt pendant tous les mois de Juillet, d'Août, de Septembre & d'Oélobrc, fi les pluycs continuelles, qui tom- bent alors en abondance , ne rafraîchiffoient l'air , & n'apportoient aux Ilabitans le même avantage que les Egyptiens reçoivent du Nil. Leurs terres étant préparées par cette inondation, ils y fèment leur riz & leurs autres grains, fans efpérer d'autre pluye avant la même faifon de l'année fuivante. Ils comptent leur hyver aux mois de Décembre, de Janvier & de l'évrier: mais l'air ne laifTc pas d'être alors aufli chaud, qu'il l'efl; au mois de Mai dans les Provinces Septentrionales de France. AulVi les arbres de Golkonde font-ils toujours vcrds, & toujours chargés de fruits murs. On y fait deux moiflbns de riz. Il fe trouve même des terres qu'on fèmc trois fois (i). Les Ilabitans de Golkonde font prefquc tous de belle taille, bien pro- l't^ure & portionnés, & plus blancs de viflige qu'on ne pourroit fe l'imaginer d'un I^LJigion Jcs climat fi chaud. Il n'y a que lesPayfans qui foycnt un peu >)azanés (k). "''"^' Leur Religion efl: un mélange d'Idolâtrie Se de Mahométifme. Ceux qui font attachés à la fedle de Mahomet, ont adopté la doctrine des Perians. Les Idolâtres fuivent celle des Bramincs (/). QUOIQ.UE l'ufagc faffe donner à préfent le nom de Golkonde à la Capi- Bagna;îar, taie du Royaume , elle fe nomme proprement Bngnagar. Golkonde cil ^i^^^p^j^l^li'^vrî" une Fortereile qui en eil éloignée d'environ deux lieues, où le Roi fait fa decjolkon'd'i! (g) Tavernier , uli fuprà. Tom. II. pag- 85. {b) Methold, dans Thevenot, pag. 3. (i) Methold, tibi fuprà. (k ) Tavcrnier, png. 90. ( l ) Tavernier , pag. 8(5. 41(5 DESCRIPTION DE LA Deîorîption DE Origine & Defcription de cette Ville. réfidence ordinaire, & qui n'a pas moins de deux lieues de circuit. Ls Ville de Bagnagar fut commencée par le bifayeul du Monarque , qui oc- cupoic le Trône pendant le Voyage de Tavernier, à la folllcitation d'une de Tes femmes qu'il aimoit paiTionnément , & qui fe nommoit Nagar. Ce n'étoit auparavant qu'une Maifon de plaifance , où l'on entretenoit de fort beaux Jardin» pour le Roi. En y jettant les fondemens d'une grande Vil- le, il lui fit prendre le nom de fa femme ; car Bag-nagar^ fignifie le Jardin de Nagar. Elle efl à dix-fept degrés d'élévation, moins deux minutes. Le Pays qui l'environne eft plit. On y rencontre, à peu dediflance, quanti- té de grandes roches, qui reflemblent à celles de la Forêt de Fontaine- bleau. Une grande Rivière baigne les murs, du côté du Sud-Ouefl, & va fe jetter proche de Mazulipatan, dans le Golfe de Bengale. On la pafle, à Bagnagar , fur un grand Pont de pierre, dont la beauté ne le cède guères à celle du Pont-neuf de Paris. La Ville eft bien bâtie, & de la grandeur d'Orléans. On y voit pluiieurs belles & grandes rues , mais qui n'étant pas mieux pavées que toutes les Villes de Perfe & des Indes , font fort incom- modes en été , par le fable & la poulfière dont elles font remplies {m). Avant que d'arriver au Pont , on trouve un grand Fauxbourg , nommé Eretigabadj long d'une lieue, qui n'efl habité que par des Marchands & des Ouvriers. La Ville n'a guères d'autres Habitans que des Perfonnes de qualité , des Officiers de la Maifon du Roi , des gens de Jullice , & des gens de Guerre. Mais, depuis dix heures du matin jufqu'à quatre ou cinq leures du foir, les Marchands & les Courtiers du Fauxbourg ont la li- berté d'y venir négocier avec les Marchands Etrangers. On voit, dans Erengabad, deux ou trois belles Mofquées, qui fervent comme de Ca- ravanferas aux Voyageurs. Les lieux voifins offrent plufieurs Pagodes. C'efl: par le même Fauxbourg qu'en fe rend de la Ville a la Forterefle de Golkonde («). Après avoir pafle le Pont, on entre dans une grande rue, qui meneau Palais du Roi , & qui préfente à main droite les Maifons de quelques Sei- gneurs , avec quatre ou cinq beaux Caravanferas à deux étages. Cette rue eft terminée par une grande Place, fur laquelle règne une des faces du Pa- lais , & au milieu s'avance un Balcon , d'où le Roi donne audience au Peuple. La grande porte du Palais donne fur une autre Place. Elle fait rentrée (»m) Le même, ibidem. ( H ) Methoid , pag 87. Ajoutons , pour donner plus de vraifeniblnnce au récit de Tavernier , que ce Voyageur judicieux, qui avoit vu cette Ville aflez près de fon origi- ne, rend témoignnge que le nouveau Palais furpaflbit en magnificence tous les autres Palais des Indes. Il a, dit-il, douze miles de circuit, il etl tout bâti de pierre; &dans plufieurs endroits , où nous n'employons ici que le fer, comme aux barreaux des fenê- tres , c'efl de l'or rnaflif. On tient ce Prin- ce pour le plus riche des Indes , en élé- phans & en pierreries. Il tire fon origine des Pcrfans, & a retenu leur Religion, qui diffère tellement de celle des Turcs, qu'un nommé Méene , qui fe vantoit d'être de la race de Mahomet , me difoic qu'il prieroic plutôt Dieu pour un Chrétien que pour un Sunny , c'efl - à - dire , pour un Mahoméran hérétique. Ce Prince & tous fes Prédécef- feurs ont gardé le titre de Cotub-cba. Co- tub, en Arabe, f\gn\fie ejfieu; comme s'ils étoient l'appui & le foutien de Mahomet. Metboid, ubi/uprà, pag. 3. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 417 l'entrée d'une vafte cour , entourée de portiques, qui fervenc de retraite à la Garde Royale. De cette cour, on pafle dans une autre, dontTavcrnier parle avec beaucoup d'admiration. „ Elle ell environnée , dit-il , de beaux „ appartemens dont le toît ell en terrafles , fur lefquelles , comme fur ccl- „ les du quartier du Palais où l'on tient les éléphans , il y a de beaux jar- „ dins, & de fi gros arbres, qu'on s'étonne que les voûtes puiflent porter „ ce fardeau". Dans un autre endroit de la Ville, on voit une Pagode, commencée depuis cinquante ans & demeurée imparfaite, qui fera la plus grande de toutes les Indes , s'il arrive jamais qu'elle foit achevée. On admire , fur- tout, la grandeur des pierres. Celle de la niche, qui efl l'endroit où doit fe faire la prière , efl une roche entière , d'une li prodigieufe groll eur , que cinq ou fix cens hommes ont employé cinq ans à la tirer de la carrière , & qu'il a fallu quatorze cens bœufs pour la traîner jufqu'à l'Edifice. Une guerre du Roi de Golkonde & du Mogol a fait fufpendre ce bel Ouvrage , qui auroit pafl^é, fuivant Tavernier, pour le plus merveilleux Monument de toute l'Âfie. D E l'autre côté de la Ville , fur le chemin qui conduit à Mafulipatan , on trouve deux grands Etangs , chacun d'une lieue de tour , fur lefquels on entretient confl:amment quelques Barques fort ornées , pour les promena- des du Roi. Les bords offrent plufieurs belles maifons , qui appartiennent aux principaux Seigneurs de la Cour. A trois lieues de Bagnagar , on rencontre une très -belle Mofquée, qui contient les Tombeaux des Rois de Golkonde , & dans laquelle on diflribue , chaque jour après - midi , du pain & du pilau à tous les Pauvres qui fe préfentent. Aux jours de fê- te, ces Tombeaux, qu'on couvre de riches tapis, forment un fpeélacle magnifique (0). Le Roi de Golkonde, comme la plupart des autres Rois des Indes, efl Maître abfolu de toutes les terres de fon Empire. Elles font divifées en Gouvernemens , que les Gouverneurs tiennent à ferme de la Cour , & qu'ils afferment eux-mêmes à des Particuliers , par d'autres fubdivifions qui con- tinuent ainfi jufqu'au plus bas Ordre du Peuple. Celui qui ne fe trou- ve point en état de payer fa ferme n'a pas d'autre reflîburce que d'abandon- ner le Pays. Alors , la femme & tous fes parens deviennent comptables de la dette. Les Gouverneurs & les grands Fermiers qui manquent au pa- yement , font punis à coups de canne. Methold vit expirer, fous les coups, un Gouverneur de Mafulipatan. Tous les ans , au mois de Juillet , on ex- pofe les Gouvernemens en vente; & comme ils fe donnent au plus offrant, il n'y a pas de violences & d'exaftions que ces Officiers n'exercent pendant la durée de leur bail (p). On compte, dans le Pays, foixante & fix Places fortes, dont la plupart font fituées fur des rochers d'un très-difficile accès. Methold en avoit vu trois: Cundapoli, Cundavera, & Bellum-Cunda (q). Un jour qu'il avoit eu l'occafion de rendre vifite au Gouverneur de Cundapoli, fa curiofité lui fie fou- (0) Tavernier, pag. 87, (p) Methold, pag. 4. XIIL Fart, (q) Dans la langue du Fays, Cundaii: gnifîe une Montagne, Ggg DESCRIPTrOIf DE COLKUNOE. Edifice mer* veilleux. Etangs & Tombeaux des Rois de Golkonde. Leur Cou- vernement & leurs forces* Places for- tes du Pays« Description DE GULKONUE. Divifiondu Peuple de Golkoncie, en quaraiuc.c]ua- tce Tribus. 418 DESCRIPTIONDELA fouhaiter de voir le Château. Le Gouverneur lui dit qu'avec la qualité de Commandant dans la Province, il n'avoit pas lui-même le droit d'y entrer fans un ordre du Prince, qui ne s'obtenoit qu'avec beaucoup de peine. Il ajouta que cette Forterelfe étoit compofée de foixante Forts, qui fe corn- niandoient mutuellement, & qui enfermoicnt des campagnes d'une grande étendue, où le riz & les arbres fruitiers étoient foigneufement cultivés. Methold obferva cette Place dans réloignement. Elle lui parut fituée flir un rocher, que fa forme rend inacccflible, à l'exception d'un chemin étroit par lequel on y peut monter. Elle ell d'ailleurs enfermée d'un mur très- épais & llanquée de quelques baillons. Ceux qui l'ont biitie ont tiré parti fort habilement de fa lituatiom Elle ne peut être minée. Elle commande tous les lieux voilins. C'ell: une retraite que la Nature & l'Art femblcnt avoir formée de concert, pour la fureté d'un Prince malheureux, après la perte d'une bataille (r). Le Peuple de Golkonde efl divifé en quarante-quatre Tribus, & cette divifion fert à régler les rangs & \qs prérogatives. La première Tribu eO; celle des Bramines, qui font les Prêtres du Pays & les Doéleurs de. la Re- ligion dominante. Ils entendent fi bien l'Arithmétique, que les Mahomé- tans mômes les cmploycnt pour leurs comptes. Leur méthode ell d'écrire, avec une pointe de fer, fur des feuilles de palmites. Ils tiennent par tradi- tion, de leurs ancêtres , les fecrets de la Médecine & de l'Allrologie, qu'ils ne communiquent jamais aux autres Tribus (s). Methold vérifia, par di- verfes expériences, qu'ils n'entendent pas mal le calcul des Tems, & la prédiction des Eclipfes. C'elt par l'exercice continuel de ces connoiffan- ces, qu'ils ont fi bien établi leur réputation dans toutes les Indes, qu'on n'entreprend rien fans les avoir confultés. Mais rien n'a tant fervi à la relever, que f honneur qu'ils ont eu de donner deux Rois de leur race; l'un à Calecut , & l'autre à la Cochinchine (t). Après eux, la Tribu des Famgams tient le fécond rang. C'ell un autre Ordre de Prêtres, qui obfcrvent les cérémonies des Bramines , mais qui ne prennent point d'au- tre nourriture que du beurre, du lait, & toutes fortes d'herbages, à l'exception des oignons, auxquels ils ne touchent jamais , parcequ'il s'y trouve certaines veines , qui paroiflent avoir quelque reffemblance avec du fang. Les Coinhis y qui compofent la troifième Tribu, font des Marchands, dont le principal Commerce efl: de raflembler les toiles de coton , qu'ils re- vendent en gros, & de changer les monnoyes. Leur habileté va fi loin dans les changes , qu'à la feule vue d'une pièce d'or , ils parient d'en connoître la valeur à un grain près. La Tribu de Campo-Faro, qtîi fuit im- médiatement, efl: compolée des Laboureurs & des Soldats. C'ell la plus nombreufe. Elle ne rejette l'ufage d'aucune forte de viande, à l'exception des bœufs & des vaches. Mais elle regarde comme un fi grand excès d'in- humanité, de tuer des animaux, dont l'homme reçoit tant de fervice, que le (r) Methold, pag. 4. dans l'Article delà Religion commune des (4) Voyez ce qui concerne les Bramines, Indes. (t) Methold, pag. 5. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 415 le plus indigent de cet Ordre n'en vendroit pas un, pour la plus grolTefom- Description nie, aux Etrangers qui les mangent; quoiqii entr'eux ils le les vendent pour '"'• quatre francs ou cent fous. La Tribu fuivante efl: celle des f-snimes de dé- C*^^Ko^DJ!. bauche, dont on diftingue deux fortes; l'une, de celles qui ne fe prolli- tuent qu'aux hommes d'une Tribu fupérieure ; l'autre , des femmes com- munes , qui ne refufent leurs faveurs à perfonne. Elles tiennent cette in- fâme profeflion de leurs ancêtres , qui leur ont acquis le droit de l'exercer fans honte. Les filles de leur Tribu , qui ont aiïez d'agrémens pour n'être pas rebutées de l'autre Sexe, font élevées dans l'unique vue de plaire. Les plus laides font mariées à des hommes de la même l'ribu , dans l'efpérance qu'il naîtra d'elles , des filles alFez belles pour réparer la difgrace de leurs mères (u). ■ Les Orfèvres, les Charpentiers, les Maiïbns , les Marchands en dé- tail , les Peintres , les Selliers, les Barbiers , les Porteurs de palanquins, en un mot, toutes les profelîions qui fervent aux ufages de la Société , font autant de Tribus , qui ne s'allient jamais entr'elles , & qui n'ont pas d'au- tre relation avec les autres que celle de l'intérêt & des befoins mutuels. La dernière ell celle des Piriaves. Cette malheur,eufe efpèce de Citoyens n'efl reçue dans aucune autre Tribu. Elle n'a pas même la pcrmillion de de- meurer dans les Villes. Le plus vil Artifan d'une Tribu fupérieure , qui auroit touché par hazard un Piriave , feroit obligé de fe laver aufli-tôt. Leur fonction efl: de préparer les cuirs , de faire des fandales , & d'emballer les marchandifes (x). Malgré cette odieufe diflférence, toutes les Tribus ont la même Religion , & les mêmes Temples ; car le Mahométifme n'a guères trou- :oinmune des (t;) On fait apprendre , aux plus jolies, .'e chant , la daiife , & tout ce qui peut leur rendre le corps fouple. Elles font des pof- tures qu'on croiroit impoflîbles. „ J'ai „ vu, dit l'Auteur, une tille de huit ans le. „ ver une de fes jambes auflî droit , par-def- „ fus la tête, que j'aurois pu lever mon „ bras , quoiqu'elle fût debout & foutenue „ feulement fur l'autre. Je leur ai vu met- „ tre les plantes des pieds fur leur tête ". Metbolcl, pag. 6. Tavernicr dit: ,, Il y a „ tant de femmes publiques, dans la Capi- „ taie , dans fes Fauxbourgs & dans la For- „ terefle, qu'on en compte ordinairement „ plus de vingt mille fur les Rôles du Dero- „ ga. Elles ne payent point çie tribut; „ mais elles forrt obligées, tous les Ven- „ dredis, de venir en certain nombre, avec „ leur Intendante & leur Mufique, fe pré- „ ftnter dans la Place devant le Balcon du j, Roi. Si ce Piince s'y trouve, elles dan- „ font en fa préfence; & s'il n'y clt pas , „ un Eunuque vient leur faire figne de la „ main q>i'eilcs peuvent fe retirer. Le foir, „ à la fraîcheur, on les voit devant les por- ,, tes de leurs nnifons, qui font de petites „ hutes; & quand la nuit vient , elles met „ tent pour fignal , à la porte , une chandel- „ le ou une lampe allumée. C'efî alors qu'on „ ouvre aufli toutes les boutiques où l'on „ vend le tari , boilTon tirée d'un arbre , & qui „ ert aufll douce que nos vins nouveaux. On „ l'apporte de cinq ou fix lieues , dans des „ outres , fur des chevaux qui en portent un „ de chaque côté, & qui vont le grand trot. ,, Le Roi tire, de l'impôt qu il met fur le „ tari, un revenu conlidéiabie ; & c'elfc ,, principalement dans celte vue qu'il per- „ met tant de femmes publiques , parcequ'el- „ les en occafionnent une grande confom- ,, mation. Ces femmes ont tant de fouplef- „ fe, que lorfque le Roi, qui règne préfen- „ tement, voulut aller voir la Vaille de Ma- „ fulipatan , neuf d'entr'elles repréfcntèrent „ admirablement bien la figure d'un éié- „ phant, quatre faifant k^s quatre pattes, ,, quatre autres le corps, & une la trompe i „ & le Roi ,'monté deflu? , dans une manière „ de Trône' fit de la forte fon entrée dans „ la Ville". Ubifup. pag. 90. (x) On a vu quelque 4Z.A/ir Rni rl^ VTrir^r^nfl-nn /«6- PAro GOLKONDU. TAy£RKii:ii. ment de fon origine. Sous le règne d Akbar , Roi de l'Indoultan , ^ Père de ( a } On a fait remarquer que Cotuh cba efl un titre commun à tous les Rois de Gol- quit ce Royaume fur les Gentils, fe faifoit appeller Bann Meik ou le grand Roi; le konde. fécond ft; nom îioit Sultnn Ibrahim; le troi- (b) Le premier Roi Mabomécan, qui con* lième, Sultan Mubammed Kolly i le quatriè- me. 424 DESCRIPTION DE LA Orioinb DU de Geban'Guir (c), les Mogols n'étendoient leur domination, du côté du ^gI^Td^'' ^^^^' ^"^ jufqu'à Narbeder, où laFlivière, qui pafle dans cette Ville, & ÏAVEaNiTn. 9^Ji venant du Sud va fe jetter dans le Gange , féparoit leurs terres de cel- les du Raja de Narfingue^ qui alloient jufqu'au Cap de Comorin. C'étoit ce Raja & fcs Prédécefleurs qui avoient foûtenu conftamment \^ guerre contre les Mogols, depuis les Conquêtes du fameux Tamerlan (d). Ils c- toient fi puiflans, que le dernier Raja, qui réfiftoit aux forces d'Akbar, en- tretenoit quatre Armées formidables , commandées par quatre autres Ra- jas , fes Vaflaux , dont le plus confidérable avoit fon quartier dans les ter- res qui compofent aujourahui le Royaume de Golkonde. Le fécond te- noit le fien dans le Pays de Vifapour; le troifième, dans la Province de Doltabat; & le quatrième dans celle de Brampour. Le dernier Raja de Narfingue étant mort fans enfans, ces quatre Généraux fe cantonnèrent dans les Pays qu'ils occupoient. Enfuite, joignant leurs forces contre le Mogol, ils remportèrent une viftoire fignalée, après laquelle ils ne trou, vèrent point d'obftacle à prendre les honneurs fouverains , chacun dans leurs Gouvernemens (^). Gehan-Guir, fils d'Akbar , conquit les terres du nou- veau Roi de Brampour; Cha-Gehan, fils de Gehan-Guir, celles du Roi de Doltabat; & Aureng-Zeb^ fils de Cha-Gehan, une partie du Vifapour. Mais le Roi de Golkonde acheta la paix fous les deux premiers de ces trois règnes , en payant aux Mogols un tribut annuel de deux cens mille Pagodes (/). C„ Abdoul, qui defcendoit de lui (â'), n'eut pour enfans que trois ..t» a fil- me, Sultan Mubammed; le cinquième, SuU tan Mubammed yibdulla. Sultan Ahiulla Kotb ■ cha éKo'it le fixième, & non le feptiè- me, comme le dit Thevenot, qui fe trompe ligalement, à quelques autres égards. Quoique Methold, & de plus anciens Voyageurs, aflu- rent, que Kotb • cba eil un titre commun â tous les Rois de Golkonde, cependant Havart pré- tend qu'il avoit été donné à celui-ci par le Grand Mogol. R. d. E. (c) Voyez ci-deffus l'Article de l'In- doudan. Çd) Voyez ci-deiTus, au Tome IX, ce qui regarde ce Conquérant, qui efl nom- mé par les Orientaux , Timur ■ beg & Temur- leng. (e) Il paroit que Tavernier & quelques autres fe font trompés, en rapportant au tems d'Ekbar, une Révolution qui doit avoir précédé de plufieurs années la fondation de l'Empire des Mogols dans l'Indoultan, fous Sultan Babeiirj en 1526. Sans doute ils au- ront confondu le événemens de deux dif- férentes époques , comme a fait !e P. Catrou , à l'égard du dernier Roi dcGuzarate. (Voyez ci-defFus nôtre Note (r), pag, 308.) Car autrement , d'où viendroit cette fucceffion de ( I ) Voyez enit'auties ci -dcfltis» p*^. 41$, «à il cA cinq Ilots Mahométans, qui ont régné, de Père en Fils, à Golkonde, jufqu'àMuhammed Abdulla, qu'Ëkbar rendit tributaire, fi ce même Muhammed Âbdulla , Père de Sultan Abdulla Kotb -cha, (que Thevenot compte pour le feptième Roi depuis l'ufurpation) eût été un des quatre Généraux Mahométans du dernier Raja de Narfingue ? Comme on peut donner des preuves de la fucceflion de cesRois Mahométans de Golkonde (i), & de l'hom- mage du cinquième, fous Ëkbar, il s'enfuit que la Révolution, dont parle Tavernier, doit être de beaucoup antérieure. Thevenot la fait remonter au tems d'i/owa/MW , Père d'Ekbar; mais cela ne fuffit pas encorf^ R. d. E. (/) Tavernier , ubi fup. pag. 90. & fuiv. (^) Tavernier ne dit pas qu'Abdoul def- cendoit de ce Roi de Golkonde, puifque c'étoit Abdoul lui • même. A la vérité on a remarqué que Muhammed Abdulla fonPcre, étoit déjà tributaire d'Ekbar; mais fon llls le fut encore davantage de Gehan - Guir & de Cha ■ Gehan , dont il avoit été contempo» rain, n'étant mort qu'en 1672, après un règne déplus de cinquante ans. Voyez ci-deflus la Defcriptioii de l'Indouilan. R. d. £. pailé da bifaycul du, dcnici de ce» Fiincei. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 425 „ filles, donc il maria Taînéeau grand Check de la Mecque (A) (1); la Ortotnepu „ féconde, kSi\]t^n Malmmd(k), fils aîné d'Aurcng-Zeb , pour fe délivrer (■^'î^lioN,,"' „ de la guerre (/), que ce Prince avoit portée juiqu'aux porics cL' la C'a- TAvuuNiEa! „ pitalt'i & la troilicme, à un Prince de lu Mai Ion , nouimc Mirza-.lbdul- „ Cofmg, qui en eut deux enfans (;«) («)".] On a pris foin de féparer les (ix lignes précédentes, pour faire obrcrvcr Ya'^,'1,j|"{, '^'■" que l'Auteur ayant quitté alors le Royaume deColkonde, & n'écrivant reftiiir rir que fur des témoignages incertains, trompe fes Lcftcurs, comme il avoit Dmid ShcU été trompé lui-même (0), dans l'idée qu'il donne de la famille & de h fuc- '■^'^^■ celTion dAbdoul. Daniel Sheldon^ célèbre Anglois^ qui a voyagé depuis dans les mêmes Contrées, fait un récit fort différent du mariage des trois Princefles de Goikonde. Il y joint l'hifloire de la fueceflion au 'rrône, avec de curieufes circonftances dont il paroît avoir été témoin , & qui lui font ' mériter un rang dans ce Recueil , quoique fcs remarques n'ayent pas été publiées fous fon nom (p). (b) L'hirtoire de ce mariage dcmanJc une Note, d'après Tavernicr. Le Check é- tanc arrivé à Goikonde, en habit de l";iquir, [c tii:t quelques mois à la porte du Palais, ians daigner répondre aux Officiers de la Cour, qui lui dcmandoient quel étoit fon defTcin. EiJtin le premier Médecin de la Cour, qui parloit fort bien l'Arabe, l'ayant ifjconnii homme d'efprit, prit le parti de le inencr au Roi; & ce Prince, fort fatisfait dt,- fd figure & de fes difcours, voulut fçavoir ce qui l'avoit amené. Le Check lui déclara qu'il étoit venu pour époufer l'aînée de les filles. Cette propofition furprit le Roi, î?; fut même regardée comme une marque de folie, qui fit rire toute la Cour. Cepen- dant l'opiniâtreté du Check , qui alloit juf- qu'à menacer le Royaume des 'plus grands malheurs,- fi la PrincefTe ne lui étoit pas ac- cordée, lit prendre le parti de le mettre en prifon, où il demeura long-tems. Il fut renvoyé à la fin dans fon Pays, fur un Vaif- feau deMafulipatan , qui portoit des Pèle- rins à la Mecque ( i ). Mais il revint à Goikonde, deux ans après, & fa conltance lui fit obtenir la Princefle. Il devint Pre- mier Minifire du Royaume, qu'il gouverna fort habilement, & qu'il défendit même avec beaucoup de courage contre l'Armée d'Au- reng-Zeb. Ce fut lui qui engagea le Roi, fon beau-père , à déclarer la guerre aux Por- tugais, pour délivrer de l'inquifition de Goa, le Père Ephraïm de Nevers , Miflîonnaire Capucin , comme on l'a vu dans une Note du Voyage de Tavernierà Goikonde. (t) Tavernier dit à un des Parens du grand Check de la Mecque. Havart, qui avoit connu perfonnetiement toute la FamiU Le le Royale, le nomme Mîeni Ahmed, & la Princelle aînée fon Epoufe, liane-Suibini- Sabib; muis il ne fait pas la moindre men- tion de toute cette hilloire du Check de la Mecque , ou d'un de fes P.ucns. Seule- ment il prétend que ce Mierza Ahmed étoit fils d'un MtMab , ou PrCtrc Arabe. R. J.. ?:. (ik) Voilà donc ce Sultan iNlahmud qui nianquoit dans la Defcription deTIndouflnn, & qui a pcnfù tout embrouiller la fucccfiîon des Empereurs Mogols. ( Voyez nôtre No- te (a), pag, 314). Havart donne le nom d'UUia Begum à la féconde Princefl'e de Goi- konde , qu'il eut en mariage. Mais nous avons des Mémoires manufcrits , du Comptoir IloUan- dois deMafulipatnam, qui la difent l'aînée, ce que Sheldon confirme. Ces Mémoires por- tent de plus, que la féconde Piincefre fut ma- riée à un Prince Mogol , nûmn-.é liadda Mier- 7à, apparemment le même que Mierza Ah- med, à qui Havart fait époufer la PrincefTe aînée, avi-c plus de vraifemblnnce. R. d. E. (/) Cette guerre lui fut fufcitée par le mCme Mirglmola , dont on a li*l plufieurs fois le nom dans les \''oy;iges précédens, & qui après avoir été fon Général & fon Pre- mier Miniftre, palladans le parti d'Aureng- Zeb. Tavernier , uli Juprà. (ni) Ibidem. (7;) C'clt le môme que Havart ncmme Mierfa Abou ■ il - Ilajjan ^ fans beaucoup de différence dans l'Orthographe. Il le fait defcendre, en ligne collatérale, de Sultan Ibrahim, le fécond Roi de cette Race. R. d. E, ( 0 ) Pas tant que M. Prevofl: fe l'imagine. Voyez nos trois Notes précédentes. R. d. E. (p) Elles fe trouvent dans le Voyage d'O- vmgton y ( I ) Ou pfutôt \ iW«^^4, d'où l'on fe tend pai lene à la Aiccqae» A« E, XîlL Paru Hhh 436 DESCRIPTION DE LA DmmBRK Révolution DE golkondi. Shkldon. Le Roi deGolkonde, Succefleur d'Abdoul Cotub-cha, eft fils d'un Arabe d'illullre extraélion, qui ne jouiflant point , dans fon Pays, d'une fortune égale à fa naiflance, etoit venu chercher de l'emploi à la Cour de Golkon- de. Abdoul, lui reconnoiflant du mérite, l'avoit élevé par degrés aux premières dignités de l'Etat. Mais , quoique fatisfait de Tes fervices , il avoit ufé , après fa mort , du droit qui rend les Rois de Golkonde héritiers de toute la NoblefTe du Royaume ; «Se i^'étant faifi de tous Tes biens , il avoit néglige Ton fils , qui fe trouva réduit b. la paye militaire, c'efl-à-dire, à douze ou quinze pagodes d'appointemens par mois. Abdoul (q) n'avait pqs d'autres enfans que trois filles, dont il avoit marié la première à Sultan Mahmud, fils aîné du Grand Mogol Aureng. Zeb (r). La féconde avoit époufé un Arabe de grande confidération, nommé Mera-Mahmud (j) (r). La troifième "étoit encore fille; mais elle étoit recherchée par un Arabe de haute naiiTance , nommé Sïud-Sultan (t>). Le Roi qui fe voyoit dans un âge avancé, las d'ailleurs des faélions qui fe formoient fans cefle à fa Cour , parcequ'il avoit toujours préféré le plaifir aux foins du Gouvernement, réfolut de fe donner un SuccefTeur. Il ne vouloir, pas de Sultan Mahmud (a;), qui l'avoit forcé, par une guerre 'cruel- le , à lui donner fa fille , dans l'efpérance d'unir par ce mariage le Royau- me de Golkonde £f l'Empire du Mogol. Son inclination ne le portoit pas non plus pour fon fécond Gendre , Mera-Mahmad (y): il haïflbit fon hu- meur & celle de fa femme. Sa troifième fille é»oit aimable. 11 réfolut de lui donner un Mari , dont l'adrelTe & le coura^2 fuflent capables de difli- Î>er toutes les inttieues de la Cour , & qui lui devant fon élévation , fjuî e contenir dans la dépendance. Il crut lavoir trouvé dans l'Arabe (z), qui recherchoit cette PrincefTe. Mais ce jeune homme , voyant fa recher- che approuvée , fe laiffa éblouir par la grandeur à laquelle on lui permet- toit d'afpirer. Au-lieu de ménager les Miniflres , pour les attacher à fes intérêts, il eut l'imprudence de Vz traiter avec tant de fierté, qu'ils ré- foUi- vington, i qui Sheldon tes avoit communi- quées, fous le titre de Hijlory ofla late Ré- volution in tbeKingdomofGolkonda, pag. 525 & fuiv. Ovington eft déjà connu dans ce Recueil, par la Relation de fes propres Voyages ; a Siieldon par la Defcription d'Ar- rakan [&dePegu.] (f ) Ovington, qui le nomme continuel- lement Cotubx&a, parolt avoir ignoré que c'eft un nom de dignité, qui ne diftingue point Abdoul ( i ). (r") Ceci eft d'accord avec nos Mémoires manufcrits ; quoique Havart dife le contraire. Voyez nos Notes (i) & (Ht) , ci-deflus. R. d. E. (s) Cet Arabe étoit apparemment le Check dont Tavernier raconte l'hiftoire. Mais il Jui fait époufer mat -à -propos l'ainée des Prlnceffes. (O Ou Badda Mierfa, fuivant nos Mé- moires, qui le difent aufll Prince du fang Mogol; & Mierza Ahmed, félon Havart; mais , on 2 déjà remarqué qu'il lui fait épou- fer l'alnée des Princeflfes; en quoi nous a- vons lieu de croire qu'il a raifon. R. d. E. («) Tavernier l'appelle Sejedy & le don- ne aufli pour Check. (x) Le Grand Mogol Aureng- Zeb le te- noit en prifon , pour s'être jette dans le par- ti de fes ennemis. R. d. E. (y ) Sans doute parcequ'il étoit aufll du fang Mogol , ce qui confirme en quelque fa- çon nos Mémoires. R. d. E. (z) Nos Mémoires difent que c'étoit un Mogol , comme les deux premiers. R. d. E. f 1} On aiemarqui que, (uÎTam Havait, ce titie lui avoit ttt confeii pat le Grand Mo^çoli ainfi il le 4iftingucroit de fes Piédeceflêuis , àquiles AatcuiiHolUadoisnc Icdonaeot pasnoaplai^^uoiqueccafiincct •icnt p& l'avoix piiid'cu-otimw, &. d. B. GoLKONnE, Sheldon* PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 427 Tolurent de traverfer fon mariage. Les principaux Confeillers du Roi é- DenNiRNE toient Mofo-Kaune, Mir-Zapher, & MouJJouke {a). Mera-Mahmud , fon RÉvoLuiioit fécond Gendre, avoit peu de part au Gouvernement : mais ne pouvant fup- porter l'infolcnce du nouveau Favori, il fe joignit à fes Ennemis pour le perdre. Ces vieux Courtifans, qui connoifloient parfaitement l'eiprit du Roi , repréfentèrent Siud-Sultan , comme un ambitieux , qui n'étoit propre qu'à faire naître de nouveaux troubles. Abdoul , plein d'averfion pour tout ce qui pouvoit lui caufer de l'embarras, abandonna facilement un nomme fi dangereux. Les Miniftres lui confeillèrent , en même-tems , de chercher pour la Princefle un Mari fans biens & fans établiflement , mais de haute naiffance, bien fait, d'une humeur agréable, & plus porté au plaifir qu'aux affaires. Ils lui firent ietter les yeux fur le jeune Arabe (b) , dont il avoit aimé le père. Après l'avoir rempli de cette idée, Mir-Zapher fit appeller ce jeune homme, & l'entretint quelque-tems dans un lieu où le Roi s étoit caché , pour le voir & l'entendre fans être vu lui-même. Il lui parla de la grandeur & des fervices de fon père. Il lui témoigna le chagrin qu'il a- voit de voir le fils d'un fi grand homme , dans un état indigne de fa naiffan- ce. Il lui fit efpérer des emplois honorables. Enfin, lorfqu'il eut iaiffé alfez de tems au Roi pour le confidérer, il le congédia (c). Après fon départ, le Roi n'en parut pas aufli fatisfait que Mir-Zapher l'avoit efperé. Il ne lui trouva pas la figure aufli belle qu'il le défiroit pour fa fille () (/). Le Roi de Crolkonde fcntic croître, de jour en jour, fon affc(5lion pour ce nouveau Gendre. Cependant, il prit le parti de ne lui donner aucune part à rudminillraiiou {k); Cknc lui procurant même aucune occalion de s'enrichir, il ordonna l'euiement que les depenles les plus excelîives fui- fcnt payées , fans qu'il eut jamais belbin de toucher lui-même aucune lom- me. Siiid (/), qui avoit l'elprit pénétrant , conçut bien-tôt le dellein du Roi , & confentit , avec aulîi peu d'ambition cpie d'avarice , à le hiiOer con- duire. Cette politique lui attacha les Omralis n'étoit pas en état de fervir perfonne aiipics de fon Père. R, d. IC. ( k ) Le Roi lui donna le Gouvernement d'une riche Province, avec un revenu de cent mille pagodes. R. d. E. (0 Lifez Tane Saheb , de même que par tout ci deflbus. R. d. E. ( jn ) C'efl ■ à • dire qu'il fit prendre ce nom à Siud. RAvoi.t I lorf ou Goi.KONDI. SlikLDUN. (u) Ou Abou . il • HafTan , comme Tane Saheb ,& non Siud, s';ippelIoit depuis. Le Roi r.'ivoit d'abord nommé Nane Mierja, fuivant nos Mémoires. R. d. E. (0) Ce Prince, difenc nos Mémoires, a» yant voclu s'emparer duTrùne, fe vit aban- donné de tout le inonde & mis en prifon. On croit que le nouveau Roi le fit empoi- fonner deux ou trois ans après, quoiqu'il lui eut pardonné en apparence. Sa femme , dont on crai.i^npit toujours quelque parti , ne lui furvécut pas ioutç-tems. Havart af. (ilia à fes funérailles, & fut témoin des lar- mes que la perte de cette veitueufe Princef- fe faifoit répandre au Peuple. Elle ne Inif- fa point d'enfans, ,, parceque , dit cet Au- „ teur, il y avoit des rnifoiis de politique „ contraires ". Mais fon Mari en eût cin- quante- deux R. d. E. de plufieurs autits ftmmcs,. Hhh 3 430 DESCRIPTION DE LA Dersibke révolution DR golkonde. Shxldon. tion, & fut bien tôt couronna paifib-ement fous le nom qu'il avoit reçu de fon Beau-père (p) (q)- Après cette, cérémonie, fon premier foin fut de récompenfer ceux qui avoient contribué à fotj élévation. Quoiqu'il eût remarqué , depuis long- tems , que Mofo-Kaune & Mir-Zapher fe conduifoient fort mal dans leurs emplois, il avoit tant d'obligation à leurs fervices, que pour fjn propre honneur, il étoit obligé, noii-feulement de les conferver à la Cour, mais de leur faire même de nouvelles grâces ; fans compter qu'il ne croyoit point encore fon pouvoir aflez établi pour les dépouiller de leur autorité. Le mê- me crédit , qui l'avoit fait Roi, pouvoit en élever un autre à fa place. Dans cet embarras, il prit le parti, pour diminuer l'excès de leur puifTance , de faire entr'eux un partage égal de la faveur & de l'adminiftration. lis fe haïlîbient mortellement j & la jaloufie ne pouvant manquer de leur faire chercher les moyens de fe détruire , il y avoit beaucoup d'apparence .que cette averfion mutuelle les rendroit moins redoutables , & donneroit peut* être, quelque jour, l'occafion de les abbatre tous deux. Mofo-Kaune, qui étoir iiomme de guerre, fut créé Général des Armées; & Mir-Zapher, plus propre au Cabinet , fut revêtu de l'importante Charge de Duan , qui renferme celles de Chancelier & de Tréforier (r ). Tous ceux qui avoient fuivi le Roi , furent récompenfés avec la même noblefle. Alors , ce Prince feignit d'abandonner les affaires pour fe livrer au plailir. Mais il n'en prenoit pas moins connoiffance de tout ce qui fe paflbit dans l'Etat. Souvent , il fe tenoit renfeçmé pour méditer & pour écrire. On a fçu depuis, que dans cette folitude, il examinoit les abus publics , & qu'il cherchoit les moyens d'y remédier. Il fe formoit les rè- gles qui dévoient lui fervir un jour à gouverner. Pendant ce tems-là , fes deux Minillres fe difputoient le mérite de lui fournir les plus belles fem- mes , les plus agréables danfeufes , & les meilleurs inftrumens. Ils ne s'ac- cordoient que dans le deffein d'entretenir fa moleffe. Mais ce qu'il avoit prévu ne tarda point à fe vérifier. Ces deux hommes ne pouvant fouffrir d'égalité , s'efforcèrent bien-tôt de fe renverfer mutuellement par des ac- cufations. - Le Duan, chargé du payement des Troupes, ayant reçu de grandes plaintes contre le Général , qui retenoit l'argent deftiné à cet ufa- ge, en informa le Roi (j). Ce Prince feignit également de ne le pas croi- re. (p) Quoique Tavernier aît fuivi de ifiau- vais Mémoires , on réconnoit, dans Ton ré- cit, quelques traces, qui confirment celui de Shcldon. , (ç) Tavernier n'a pu poufler fes Mé- moires (1 loin que Sheldon, puifqu'il n'étoic plus à Golkonde, lorfque ce Prince fut ap- pelle à la Couronne ; mais l'idée qu'il don- ne de la famille & de la fuccefllon cl'Abdoul, s'accorde afTez avec nos remarques; au -lieu que le Siud heureux & malheureux de M. rrevoit, eft incompatible avec foi -même. K. d. E. . (rjlx Roi , fcivaat nos Mémoires , fe fer- vie du miniflère d'un Favori, nommé Mado- na. Créature de Seyd-MouchiafFer, pour abbatre ces deux Seigneurs. Madona, & fon frère ^kena , devinrent encore plus puifTans dans là fuite. R. d. E. (j) C'étoit Madona, qui avoit réveillé la jaloufie du Duan , fon ancien Maître , en l'aÔTurant que le Général ne cherchoit que fa ruine. Nos Mémoires rapportent différem- ment le piège qu'il tendit a ce dernier pour le perdre : Mais nous ceiïerons ici de rele- ver le Texte par des Notes. Ces détails fe- ront mieux placés dans un Supplément à la fin de cet Article. R. d. £. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 431 re, & de ne pas s'en embarrafler. Le Duan, pour ne lui laifler aucun dou- te, fit arrêter le Banquier du Général, qui avoit entre Tes mains tous les comptes de l'Armée. Mofo-Kaune en fut fi picqué , que fe faifant fuivre de quelques Soldats , il fe rendit chez le Duan , dans la réfolution de le mettre en pièces. Mais ce dangereux adverfaire n'étoit jamais fans quel- ques Braves , qu'il s'étoit attachés par fes libéralités. Ils le défendirent avec tant de courage, que le Roi informé fur le champ de cet attentat, eut le tems d'envoyer aux deux partis l'ordre abfolu de fe féparer. Le Gé- néral, dans l'emportement de fa fureur, s'oublia jufqu'à refufer d'obéir. Cependant quelques amis plus modérés, l'iî perfuadèrcnt enfin de fe reti- rer. Auffi-tôt le Duan porta fes plaintes au Roi , qui , loin d'entrer dans les reflentimens , l'appaifa par un langage flatteur, & lui promit de le ré- concilier avec fon Ennemi. En effet , il fit dire au Général qu'il fouhai- toit leur réconciliation. Mais cet efprit impétueux prit feu d'abord , & ne fe rendit aux volontés du Roi , qu'après avoir accablé le Duan de repro- ches & d'injures. Quelque-tems après, il reçut ordre de fe rendre au Pa- lais. Dans le trouble de fa confcience, qui lui reprochoit h. témérité, il balança long-tems à donner cette marque de foumiffion. Cependant quel- ques perfonnes , qu'il croyoit de fes amis , lui ayant repréfenté que la pa- tience du Roi pour fes premières violences , étoit une preuve que ce Prin- ce avoit plus d'affeélion pour lui que pour le Duan , il prit le parti d'obéir ; mais à peine fut-il entré dans la Cour du Palais , qu'il fut arrêté par la Gar- de & jette dans^une étroite prifon. Son Procès fut inftruit avec toutes les formalités de la Juflice. Les chefs d'accufation étoient d'avoir mépri- fé les ordres du Roi ; d'avoir attaqué à main armée , & dans le lieu de fa réfidence, un de fes principaux Miniftres; d'avoir détourné les deniers de l'Etat, &refufé aux Ambaffadeurs du Grand Mogol des fommes confidé- rables que le Roi s'étoit engagé à payer fidèlement. Au - lieu de la mort , qu'il méritoit pour tant de crimes , fa fentence fut réduite à la confifcation de fes b' jns. On trouva , dans fes coffres , cinq cens mille pagodes , qui font environ deux cens mille livres flerling. Après cet exemple de juflice, le Roi fit la revue de fes Troupes, paya ce qui leur étoit dû, & donna le Commandement des Armées à Mofo-Kaune (t). L E Duan reffentit une joye extrême de la difgrace du Général. Mais fe croyant en polTeffion de toute la faveur , il fe rendit bien - tôt coupable de tant d'exaftions & de tirannies , qu'il fe fit détefler de tous les Ordres du Royaume. On annonça une audience folemnelle au Durbar , c'eft-à-di- re, au Balcon d'où les Rois de Golkonde fe font voir à leurs Peuples. Tous les Grands s'y étant rendus, le Monarque, après avoir jette les yeux au- tour de lui, fit figne au Duan de s'approcher, & lui tint d'abord un langa- ge fi obligeant , qu'il fit croire à tout le monde que fon intention étoit de l'élever à quelque nouvelle dignité. Il lui remit devant les yeux l'amitié qu'il Derkieks révolutiow DE Golkonde. Sheldoiï. (t) Voilà encore une furieure contradic» tion. Mofo-Kaune, ou Mofachan, étoit le nom du Général difgracié, qui fut rem» placé par un autre, comme on le .verra ci* dejQTous. R. d. £. DSRNIIÎTIE Rlh'OLUTION DE GOLKONDR, Slli^LUON. SurrLiÎMENT. Difgrace des deux principaux Officiers de Golkonde, 432 D E S C R I P T I O N D E L A qu'il avoit toujours eue pour lui, & la confiance qui l'avoit porté à luî confier raclminillraiion de ion Royaume , avec un pouvoir fi peu borné , qu'il ne s'écoit rclcrvc que le titre de Roi. Mais il prit alors un air plus Icrieux, pour ajouter qu'il s'ctoit malheureufement trompé dans l'opinion qu'il avoiteue de lui, puifqu'il ne s'étoit fervi de cette autorité, que pour déshonorer Ton Maître , & pour opprimer l'Etat. Enfuite , animant Ion difcours, il lui rcpréfenta vivement toutes Tes prévarications. La vie d'un jNIiniftre li coupable ne méritoit pas d'être épargnée. Cependant, ajouta, t'il , en conlidération de les anciens fervices , non-ieulement il lui faifoit grâce de la vie, mais il lui accordoit le Gouvernement d'une Province, à condition qu'il s'y retirât fur le champ, fous peine de perdre l'un & l'autre, & qu'il ne fe mélàt plus d'autres atraires que de .'elles de fon emploi. Il le congédia aulîl-tôt; & loin de lui faire aucun mal, ou de permettre qu'il fût infulté , il ordoîina qu'on lui rendît tous les refpefts qui appartenoient à fon rang. An DALLA-IIousAN fortit alors de fa retraite , comme s'il eut commen- cé de ce jour à régner. Il congédia les femmes & les danfeufes qu'il avoit reçues de la main de Tes Minillres. Il fe livra uniquement aux aftaires ; & fe faifant voir fouvent au Durbar , il donnoit à {"qs Peuples , pendant le féjour que Sheldon fit dans fes Etats, l'efpérance de vivre heureux f-us fon règne (v). ivyShMon, uhifup. pag. 552 & précédentes. % §. II. [ Siipplémem à la dernière Révolution de Golkonde. L'Article qu'on vient délire rempliroit mal fon titre, fans le Sup- plément que nous y ajoutons, parceque la Révolution, dont Sheldon parle , n'elt pas la dernière , ni même la plus remarquable. Mais avant que de continuer cette Hilloire , il paroit nécellaire de reprendre les chofes à rcp(^que de la difgrace des deux grands Officiers de Golkonde, qui efl rapportée fort différemment dans nos Mémoires manufcrits. Le Roi, las de porter un vain titre , dont fes deux Miniflres partageoient également l'autorité fans jaloufie , cherchoit depuis long-tems l'occalion de les diviier, pour avoir enfuite plus de facilité 3. les perdre l'un après l'au- tre. Ce Prince s'en ouvrit au rufé Madona, qui étoit palfé du fervice du Premier Miniftrc à celui du Monarque. Il lui promit, par ferment, de l'é- lever au. polie de fon ancien Maître, s'il trouvoit moyen de le délivrer des Cens. (Quelques faufles confidences que Madona eut l'adrefle de faire paroître hncères aux deux Minillres , produifirent bien-tôt entr'eux une froi- deur, qui ne fcrvit qu'à confirmer de plus en plus leurs foupçons. Lorfque Madona crut n'avoir plus rien à craindre de leur intelligence , il infpira au Roi de demander à Mofachan, cent mille pagodes, pour bâtir un nouveau Palais, perfuadé que ce Minillre les rcfuferoit, comme une chofe inutile, & eureux i-us PRESQmSLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 433 Si qu'il ne manqueroit pas de donner prife fur lui , par fon imprudence ordinaire. DEnmERE On avoïc tu foin de faire tenir, derrière le rideau, laBelle-fœur du Roi,Badda ï^ï^volutio» . Sahebnie, pour lui annoncer fa difgrace, au premier mot qui lui échapperoit gomconde. contre le relpeft lia Monarque. Cette Princefle , qui s'étoit vùedépoiîedéedu Sufflément. Trône , par la fa6lion des deux principaux Miniftres , ne refpiroit encore que la vengeance, & travailloit de concert avec le Roi & Madona à leur ruine. L'événement répondit à leur attente , «Se Mofachan ayant refufé les cent mille pagoJ.s, que le Roi vouloit à toute force , s'emporta jufqu'à reprocher à ce Prince ion ingratitude envers de fidèles Serviteurs , qui , de milerable Fakir qu'il étoit auparavant, l'avoient élevé fur le Trône. Enfin il ajou- ta, que le Roi ne devoit pas être fi prodigue, dans un Pays où il n'avoit apporté que fon corps pour toutes richefles. A peine eut - il proféré ces mots , en préfencede SeydmouchiafFer & de Madona, que Badda Sahebnie faifant entendre fa voix, de derrière la tapiflerie , l'accabla d'injures, & commanda à quelques Gardes de fe faifir de fa perfonne. Jamais ordre ne fut exécuté avec plus de promptitude. Le grand embarras étoit de congé- dier une efcorte de trois à quatre mille Cavaliers, qui attendoient leur Chef devant la porte du Palais , toujours prêts à voler à fon fecours. Quoique Madona eût pourvu à cet inconvénient , en faifant avancer , à certaine dillance, un autre Corps de Cavalerie aux ordres deSeydmoucliiaffer, ce- pendant pour épargner au Roi un fpeftacle tragique, dont ce Prince avoit horreur, il voulut premièrement tenter les voyes de la douceur, & fe pré- fentant aux Troupes, il leur fit une harangue, l'accompagnant fi à propos de promefles & de menaces, foûtenues par iapproche de cinq ou fix mille hommes, qu'il parvint à appaifer ces Troupes émues , & à les renvoyer tranquillement dans leurs Quartiers. Le Roi nomma aulVi-tôt un autre Chef à la place de Mofaclian, qui fut jette dans une étroite prifon, où il vécut miférablement pendant plufieurs années. LEsfervices importans dontSeydmouchiafFer croyoit avoir l'obligation au zèle de Madona , lui ayant fait accorder toute fa confiance , rien n'étoit plus facile à ce dernier que de le dépouiller aufli d'une autorité qu'il lui lailîbit exercer toute entière, tant fur fes Troupe?, que dans le maniement des affaires de fon département. Madona trouvoit des prétextes pour éloi- gner peu à peu les plus fidèles Serviteurs de fon ancien Maître ; il s'atta- clioit les autres par Ces largefles ; En un mot , le Miniflre n'avoit plus au- cun pouvoir dans le tems même qu'il s'en défioit le moins. Un jour que Ma- dona étoit appelle à la Cour, il fefit accompagner des Troupes de Seydmou- chiaffer, au nombre de cinq ou fix raille hommes de Cavalerie, & paroif- fant devant le Roi , àla tête de ce Corps, „ Sire, lui dit-il, je vous amène „ ici les Troupes de celui dont Vôtre Majefté craignoit tant la puiilance. „ Que fouhaitet'elle de plus qu'on fafle pour fon fervice?" Qu'on mette Seyduioucbiûffer aitprèf (le Mofachan^ répondit le Roi; & auffi-tôt les ordres furent donnés pour l'arrêter, fans que perfonne ofirit la moindre rélillancc. Le Roi, pour récompenfer le zèle de Madona, l'éleva à la dignité de Prince, & le fit fon Premier Minidre. Mous - Kimea avoit fuccedé à Mo- fachan, & le Gouvernement des Provinces, qui faifoit partie de l'adminif- tration deSeydmouchiaftcr, vcnoit d'être donné ixMahmst iZ'/Yj/>/w,quiréii- XIII. Pan. lii nit Elévation de iVIaJona& d'Akena fcn fière. 434 DESCRIPTION DE LA DsiimERE KÉVOLUTION OR Goi.KONDE. SU7FLÉM£NT. Prifc de Goikon.lepar l'Armée Mo- gole. MafTacre dos df.'iix AJ- miDiltiatciirs. nit peu de tems après la Charge de Mous Kumea à la iienne ; Mais Ma- dona n'étant pas plus content de lui, iic tombc-r , cnuc les mains d'Akena fon propre frère , le Gouvernement des Provinces Méridionales de Golkonde, les meilleures du Royaume, & Mahomet Ibrahim ne conferva que celles du Nord, fîtuées fur la frontière des Etats du Grand Mogol. On nous dé- peint Akena d'un cara6lère aufli odieux que celui de Madona étoit aimable; Mais les grandes qualités de l'un effaçoient les grands deiFauts de l'autre. Madona étoit un profond Politique, un excellent Financier, qui joignoit à des talens fupcrieurs, la phifionomie la plus revenante, avec toute l'hu- milité & la modeftie convenable aux Bramines, dont il tiroit fon origine. Le Roi , livré aux plaifirs de fon Serrail , & fans inquiétude de la part de fon Miniftre, qui étant Gentil & Bramine ne pouvoit afpirer à la Couron- ne, lui abandonna le foin de gouverner defpotiquement fes Etats. C'cfl ainfi que ces deux frères , qu'on honoroit du titre d'ÂlteJJes , fe virent por- tés, par degrés, au faîte des Grandeurs qui fuivent immédiatement la Ro- yauté, ou plutôt qui la compofent toute entière, au fimple nom près. Ils jouirent conftamment de ces honneurs l'efpace de quatorze années ; Mais leur chute fut encore plus funelle que leur élévation n'avoit été écla- tante. Vers la fin du mois d'Oftobre 1685, l'Armée du Grand Mogol Au- reng-Zeb , qui marchoit contre Golkonde , y répandit une fi grande con- fternation , que dans leur première fureur , les Peuples révoltés commirent de grands defordres,& firent main baflTefur tous lesBramines qui leur tombè- rent entre les mains. Le Roi s'étoit reciré la veille , dans le Château de Gol- konde, avec fes femmes, fes deux Miniflres &plufieurs Seigneurs de la Cour, qui croyoient y trouver un azyle afluré contre les Ennemis du dedans & eu dehors. La Ville fut prife deux jours après, par les Troupes Mogoles, qui mirent tout à feu & à fang dans les Quartiers des Gentils, pillèrent & brû- lèrent les magnifiques Palais de Madona & d'Akena, de même qu'une fii- perbe Pagode que ce dernier avoit fait bâiir à des fraix immenfes; & quan- tité d'autres Edifices conlidérables. Ces ravages, qui continuèrent plufieurs jours de fuite, dépeuplèrent la Ville d'Habitans , & jettèrent la terreur dans le Château, où les cris unanimes des femmes du Serrail & de la multitude, tant au dedans qu'au dehors , for- cèrent le Roi, de leur abandonner Madona & Akena, les deux malheu- reux objets de leur haine, qu'ils regardoient commeles feuls Auteurs de leur infortune ; dans l'efpérance que les Mogols , irrités contr'eux , fe contente- roient de cette viftime, & cefleroientles hoftilités. Les deux frères furent cruellement maflacrés par les Efclaves du Palais , leurs corps dépouillés nuds & traînes dans les rues avec les dernières indignités. Après avoir été fufpen- dus par les pieds pendant vingt-quatreheures au devant du Palais, onpréfenca leurs têtes à Cha-Alem, fils du Grand Mogol, qui les fit porter en triomphe fur des lances , dans toute la Ville. Celle de Madona fut envoyée à Aureng^Zeb, & l'on donna celle d'Akena à un éléphant, quila jetta plufieursfoisen l'air & l'é- crafa enfin fous fes pieds , au milieu de l'Armée. La tète de fon frère eût le mê- me fort , & celui de leurs cadavres fut d'être cxpofés à la voirie , pour fervir de pâture aux oifeaux ëi, aux animaux des champs, llavart , qui avoit fouvent vu ces TRESQU'ISLE EN DECA DU GANGE, Liv. III. ^:,s ces deux frères, dans leur plus grande gloire, prétend que leurs corps furent brûlés & les cendres jctcées au vent, pour qu'il ne reliât rien de leur mé- moire. Telle fut la lia de ces deux puiflans hommes, dont il compare le fort à celui de deux frères , fort connus de toute l'Europe , qui périrent fi miférablement en 1672. Cet Auteur nous apprend encore, que Mofachan mourut dans fa mai- fon, comme un Citoyen oublié de tout le monde; mais que Scydmouchiaffer fut tiré de fa prifon , par l'Ambafladeur du Grand Mogol, «à envoyé duns rindoullan , où il avoit été élevé en dignité , & où il étoit mort , puiflam- ment riche, à l'âge d'environ quatre-vingt-dix ans. Suivant nos Mémoi- res, le premier, dont les fils étoitnt en grande confidération à la Cour de Golkonde, obtint fa liberté du Roi, après la mort de Madona & de fon frère. Quant à SeydmoucliiatFer, ils dilent Amplement, qu'ayant trouvé le moyen de s'évader, il s'étoit retiré auprès du Grand iMogol, au fcrvice duquel il avoit fini fes jours, quelque -tems avarft la Révolution qui fut fi funefle à l'Auteur de fa difgrace. On trouve dans ces Mémoires, la traduftion d'une longue Lettre, que le Roi de Golkonde écrivit au Gouverneur Général de.la Province de Carna- tica, pour lui donner part de ces grands événemens. Il efl aiïez fingulier d'y voir Madona & Akena peints des plus noires couleurs; Mais ce qui doit paroître fort furprenant, c'efl l'aveu que le Roi y fait , de s'être enga- gé , par ferment , envers ces deux Favoris , de ne jamais rien faire fans leur confentement ; ferment qu'il n'avoit pas été en fon pouvoir d'enfreindre , malgré les fâcheufts fuites qui en étoient réfultées pour fon Royaume; com- me Il un Prince n'étoit pas toujours en droit de rétrafter fa parole, dès qu'un Sujet en abufe, contre Tes intentions. On doit croire que le Roi n'avoit pas de meilleure raifon pour excufer fa conduite. L'Armée Mogole étoit compofée de quinze mille hommes, & cellç,de Golkonde du double; mais Mahomet Ibrahim, qui la commandoit, s'étaht jette du côté des Ennemis , pour fe vanger de quelques mécontentemcns particuliers , fa trahilbn mit le Roi dans la nécelFité de fubir la loi du Vain- queur, & d'en paiFer par toutes les conditions qui lui furent impofees. Le tribut de dix-huit cens mille pagodes . que le Roi devoit au Grand Mogol , n'avoit pas été payé depuis quclqu s années. On exigea qu'il fut doublé à .l'avenir, & que tous les arrérages Icroient fatisfaics par termes. Après cette dure Convention , Clia-Alem, qui manquoit de vivres dans Golkonde, en partit, le premier de Novembre, emportant des trefors immenfes. Le Roi de Golkonde, dont les del'aftres ne pouvoient encore vaincre fon funefle attachement pour les Bramines, fe choifit de nouveaux Minif- ires de cette odieufe race. Le premier, nommé ficspativenkaty , ne diri- gea pas mieux les aifaires. L'année fuivante, fViJfhima, frère aîné de Ma- dona, fut revêtu de toutes les dignités qu'avoit pofTedées ce dernier, donc le fils reçut aulfi de grandes faveurs du Prince. A la vérité les Bramines, qui s'étoient enrichis fous l'adminiflration de leurs Protecteurs, fournif- foient des fdmmes confidérables. Mais l'avidité d'Aureng-Zeb, épuifoit toutes les relTources fans fe fatisfaire. En un mot, il ne lui falloit pas . lii 2 moins RÉVOLLTIOW Dli Goi.KONDK. SlTI'LÉMEMT. Derniers éclairciirc- mens fur le fort de Mo. fa cil an & dii Si-ydinou- chiaffer. Remarques fur une Let- tre du Roi. Défertion du Général do Golkonde, & fouiniflion du Roi. Nouveaux Mi nidres Bra- mines. 43), la plupart des Milfionnaires fe retirèrent dans l'Etabliflement François de Pondichery , où le Père Ta- chard, brûlant du même zèle, qui f avoit déjà conduit trois fois aux In- des , fe rendit pour trouver de nouvelles ûccafions de l'exercer. Les grands progrès que les Jéfuites Portugais avoienc fait vers le Sud (c), où ils a- voient formé une Eglife Chrétienne d'environ deux cens mille âmes , lui fi- rent juger, qu'avec la même ardeur pour la converfion des Indiens, fitués au Nord de Pondichery, il pouvoit fe promettre les mêmes fruits. 11 commença par s'établir dans cette Ville; mais en ayant été prefqu'auflTi- tôt chafle par les Hollandois, qui s'en rendirent maîtres, en 1693, il vit fes efpérances retardées jufqu'à la paix de Ryfwick, qui fit rentrer les Fran- çois dans leurs pofleflions. Tous les obflacki furent levés par ce change- ment. Le Père Tachard fe hâta de retourner à Pondichery , où il trouva f exécution de fes defleins Apoltoliques hcureufement commencée, par une Million qui venoit de fe former dans le Royaume de Carnate , à trente oiv quarante lieues de Pondichery, vers le Nord-Oueft. Le Père Mauduit, après s'être employé long-tems dans celle du Madu- rc, où il avoit appris la langye & les ufagcs du Pays, étoit pafle à Caroii- vepondi, où il cultivoit une centaine de Chrétiens, qu'il y avoit déjà batifés. Ce Rl'XATION 00 Caunatk. IntroJuftion. (a) Elles font nu nombre de tio:.';, celle du Père Tccbanl, une du Père houcbet, &, il troifième du Père Mauduit, aux Tomes VI & XI Jes Lettres édifiantes On npprend, dans l'Epitre Dédicatoire du Tome XI , que deux de ces trois Miflîonnnires virent cou- ronner Il ur zcie par une n)ort digne de leur vocation. Le Père Tachard mourut d'une maladie contagieufe , au Bengale, dans Dirpcrfion d' s jôfiiiti's apics !m Rij- vnlu ion de Sinm. Le Père Tachird pen- ff n porter la Foi daiîs le Carnate. Cctfe en* trepriloeft commencée P'M- le Père Mauduit. l'exercice de fes travaux. Le Père Mauduit fut tiouvé mort, avecle Père Cûurbeville,dzn3 une cabane du Carnate, enipoiionnès par les Infidèles. (b) Voyez les Relations du Tome pré- cédent, (cj Au Maduré, qui fait la Pointe de la Prefqlllk de l'Inde. 4|o .1 DESCRIPTION DE LA Etabli fR. nions lit- l'ii'- colan , lii? Carouvt'pof- di , & (1c Pou ganour. Trois J^. fuites nent & les ufages des Braaiines. pren- l'habit Rbt.atio.v nu Ce Mifllonnaiiv avoit fait pliiricurs Voyages & diverfcs dccouvcrtes danj Caknate. les Pays voilliis , fur-tout vers le N>.ril-Oucrt. Dans ces courCes, il JLtui les fondemcns de deux autres Eglifes; l'une à TarcoLm, auirelois le ccntij de ridoldtrie, dans le Carnate, Cfc l'autre à Potigiinour^ grande Ville & fore peuplée, d'où l'on compte environ cinciuante lieues jul^m'à Pondiclicrv. D'un autre côté le Père .Bouchet , qui étoit palTé dans la Province de Malii- bar, après la Révolution de Siani, & qui avoit formé enlliite une Kglifedc plus de vingt mille Chrétiens, dans /lour^ à quatre lieues de Tiiicheiapaly , Capitale du Maduré, reçut ordre de le confiicrcr auHi à la nouvelle Miinôn du Carnate. Il fe fit accompagner d'un autre Millionnaire , nommé le Père de la lùima'mc. Ainjî, dès le mois de Mars de l'année 1702, ils fc trouvè- rent trois du même Ordre. Le Père Boucliet, revêtu de la qualité de Su- perieur, s'établit à 'larcolan; & laillant le Père Mauduit dans fonEglile de Carouvepondi , il envoya le Père de la Fontaine à Ponganour , où Ion par- le la langue Talanque , auili différente de la Malabare que l'Efpagnol i'ell: du François. Dans une aflemblée que les trois Millionnaires tinrent à Carouvepondi, ils réfolurent entr'eux de prendre l'habit & la manière de vivre des SaiiLu Brames, qui font une Sefte Indienne de Religieux Pénitens. C'étoit pren- dre un engagement fort difficile. Outre l'abilinence de chair , de pcjiiTon & d'œufs , les Sanias Brames ont des pratiques extrêmement gênantes. Ils doivent le laver, tous les jours au matin , dans un étang public , fans égard pour la différence des iairons, & recommencer ce bain avant Lur repas, qu'ils ne prennent qu'une fois par jour. Ils font obligés d'avoir un Brame pour Cuifmier, parcequ'ils ne peuvent, fans deshonneur, manger la moin- dre choie qui ait été préparée par des pcrfonnes d'une Cade inférieure. Leur état les affujettit à la plus rigoureufe folitude. Un Sanias ne fort ja- mais, s'il n'y eft forcé par les befoins d"autrui. „ Je paffe, çlit le PèreTa- „ chard, fur d'autres loix également gênantes, qu'un Miffionn.iire Sanus „ doit garder inviolablement, lorfqu'il veut retirer quelque fruit de fes tra- „ vaux pour la converfion des Indiens". Tarcolan étoit une Ville confidérable , pendant que les Rois de Gol- konde en étoient les Maîtres. Il n'y avoit pas plus de trente ans qu'ils l'étoient encore. Mais elle eft beaucoup déchue de fa grandeur & de les' richeffes, depuis que les Mogols l'ont jointe à leurs Conquêtes. Suivdnt les fabuleufes traditions des Gentils, elle étoit anciennement fi belle, que les Dieux du Pays y tenoient leurs affemblées, lorfqu'il leur plaifoit de defcendre fur la Terre. Les Mogols , la trouvant preique déferte , par la fuite des Habitans, qui craignoient l'avarice & la cruauté de leurs Vain- queurs, y ont fait une petite enceinte, après avoir vafé prefqu'entièremcnt les magnifiques Pagodes des Gentils. Ils n'ont épargné quj la principale, dont ils ont fait une Fortereffe. Mais l'étendue des terres, que le Grand iVIoirol a fubjuguées, ne lui permettant pas d'entretenir des Garnifons Mahoméca- nes dans toutes les Villes dont il s'eft failî , il a confié la garde de Tarco- lan , & d'un grand nombre d'autres Places , à des Gentils , qui ne le fervent pas moins fidèlement. Pour récompenfer les fervicei de fes Omrahs, il leur donne, comme en Defciiptîon de Tarcolan. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. HT. ^t en Souveraineté pendant leur vie , des Provinces entières , à la feule condi- tion d'entretenir , dans Tes Armées , un certain nombre de Cavaliers. Mais , à cette dillance de la Cour, & dans ce haut degré d'autorité, il a trouvé le moyen de les retenir dans la foumifllon , en établilTant, près d'eux, des Survcillans, qui portent le nom de Divans; Office, qui répond à celui de nos Intendans de Province. La fonflion de ces Officiers , qui font indépen- dans des Gouverneurs ou des Omrahs, eft de lever les tributs de l'Empe- reur , & d'arrêter les injuftices que les Omrahs exercent ordinairement fur les Peuples concjuis. Le Gouverneur général de la Province de Cangibou- ran^ dont la Ville de Tarcolan cft dépendante, fe nommoit Daourkan. C'étoit un homme de fortune, qui s'étoit élevé par fon mérite, & par les fervices importans qu'il avoit rendus à l'Empire. Il avoit établi , dans cet- te grande Ville, cinq Gouverneurs particuliers, fous le titre de Cramani. Le premier de ces cinq Officiers , qui avoit , dans le voifinage , un Topo , c'eft-à-dire, un Bois de haute futaye, prit des fentimens fi favorables pour le Père Bouchet, qu'il lui fit préfent de ce lieu pour y bâtir une Eglife & une Maifon. Au s SI -TÔT que le Miflîonnaire eut paru dans fa nouvelle demeure , le bruit fe répandit qu'un fameux Sanias étoit venu s'établir près de Tarcolan. Le Cramani, fon Bienfaiteur, fut le premier qui lui rendit une vifite; & le Père Bouchet, qui favoit parfaitement la langue & les ufages du Pays, le reçut avec une politefle & des témoignages de défmtérelTement , qui augmentèrent beaucoup fa réputation. Le Père Tachard en peint les pro- grès. „ Il faut connoître , dit-il, la curiofité naturelle des Indiens, pour n'avoir pas de peine à croire ce que ce MiflTionnaire m'écrit , de la foule du Peuple, qui venoit continuellement à fon Hermitage. Il m'aflure que le tems lui manquoit pour réciter fon Bréviaire, pour faire Çqs prières, & pour prendre le feul petit repas auquel il s'étoit réduit chaque jour. Ces fréquentes vifites furent plufieurs fois interrompues par la jaloufie des Bramines. Ils publioient, parleurs Emiffaires, que le Sanias du To- po étoit de la Cafte abominable des Pranguis , qui habitent les Côtes de l'Inde; qu'il buvoit du vin en fecret; qu'il mangeoit de la viande avec fes Difciples , & qu'il commettoit toutes fortes de crimes. Ces calom- nies, joint à la couleur du Sanias, rallentirent l'ardeur des Peuples. Mais le Cramani ayant examiné, pendant quatre ou cinq mois, la vie péniten- te, l'exaftitude & la bonne-foi du Père Bouchet , embrafla l'Evangile, & devint un fervent Chrétien". Un autre incident, qui fervit beaucoup à confondre les Ennemis de la foi, fut la vifite d''m fameux Bramine, Intendant de Daourkan. On dif- tingue, dans cette race d'Indiens, différens degrés de Noblefle. L'Inten- dant étoit du premier. Il uaira le Miflîonnaire avec beaucoup de civilité ; & dans un long entretien , il convint qu'il n'y avoit qu'un feul Etre fuprê- me, qui méritât nos adorations. Enfuite un Rajapout, nommé 5f^, que Daourkan avoit fait fon Lieutenant Général , ayant reçu ordre de fe rendre kVekur^ dernière Place des Marates, qui étoit afllégée par les Mogols, palfa par Tarcolan & voulut voir auiïi le Sanias Chrétien. Comme les vifites des Grands ne fe font qu'avec beaucoup de pompe, Sek fe rendit à l'Her- XIIL Part. Kkk mitage Rpi.ATiow ntf Carnatb. » }♦ >» 5» 5» 5> J> Province du Cangibou- ran. Le Cramani de Tarcolan donne une terre au Pcr* Bouchée. EfTots de ceprcfcnt. Velour, dernière Pla- ce des Mara- tes. 443 PESCRIPTION DE LA REr.ATioN nu Caunati:, CotirTc du Pcrc M iiniiiit d.ins le Ro- yaiiniu JeCur- nate. Cangivaron, Capitale du Pays. Ayenkolam. Alcatile. Entretien du Père Mau- Huit avec un Brainine. prés s ecre rccommanac a ics pricrcs. un s aiiiigo ici de ne pas d'autres lumières fur le progrès d'une fi belle Mifllon (d). La Lettre du Père Bouehet ne contient que les mêmes événemcns, dans un plus long détail (e) ; & celle du Père Tachard n'y ajoute qu'une courte expolition des travaux du Père de la Fontaine , à Ponganour. Mais la Relation du Père Mauduit , fans nous apprendre mieux les fui- tes de ce premier fuccès , offre les. noms d'un çrand nombre de lieux qui ne font connus que par fon témoignage, & qui peuvent enrichir la partie géographique de ce Recueil. On doit lui reprocher feulement d'avoir ne* gligé les dilliances. Ce fut le 3 de Septembre, 1701, qu'il partit de Carouvepondi , lieu de fa réfidence , à deux ou trois lieues de Cangivaron^ Capitale du Royaume de Carnate. Il arriva d'aflez bonne heure à Ayenkolam , qui étoit autrefois une Ville confidérablc, & qui n'efl aujourd'hui qu'un gros Bourg: mais il alla coucher plus loin, dans une grande Pagode , dédiée à un finge, auquel les Indiens rendent les honneurs divin's. Comme ce Pays n'a point d'Hô- telleries, ni de Caravanferas , on fe retire ordinairement dans les Temples, pour y paffer la nuit. Le lendemain, il fe rendit à Alcatile, grande Ville fort peuplée, mais fale & mal bâtie, comme la plupart des Villes des In* des. 11 y coucha, dans la maifon d'un Bramine, qui adoroit le Démon fous la figure d'une Idole , nommée /Vw/^ar. La vue de cette Idole enlîamma fon zèle. Il la renverfa; & par une indifférence, dont il n'explique pas la caufe, le Bramine n'en parut point offenfé. La plupart des Plabitans d'Al- catile font Linganijles , c'efl;-à-dire , que par refpeft pour une efpèce de Priape, la plus infâme de leurs Divinités, ils portent au cou une figure fort obfcène, qu'ils nomment L/w^^m. Le Milfionnaire vit un Dofteur de cette Seéle, qui s'étoit acquis beaucoup de réputation. Il le trouva occu- pé à lire un Livre, où le Seigneur du Ciel & de la Terre étoit nommé; & dans leur entretien , il eut la fatisfaélion de l'entendre parler de la Religion Chrétienne avec éloge: mais lorfqu'il lui demanda fon fecours, pour taire connoître & refpeéler l'Etre Souverain , il en reçut cette réponfe : „ Vôtre travail feroit inutile. L'efprit des Indiens c(t trop borné. Ils ne font pas capables d'une connoiffance fi fublime". Le Miflîonnaire répliqua: Quoique les pcrfedlions infinies de cet Etre fuprême foyent incomprc- henfibles , il n'y a perfonne qui ne le puiffe connoître autant qu'il efl: ni;- ceffaire pour le falut. Il en efl: de Dieu comme de la Mer : quoiqu'on n'en voye point toute l'étendue, & qu'on n'en connoiffe pas la profon- deur, on ne laiffe pas de la connoître affez pour faire des Voyages d'un fort a 9) » 9> En j» (d) Malgré l'édification que M. Prevoft veut donner aux autres, il paroit ici qu'il n'en cherche pas beaucoup pour lui-même , dans les Lettres des Miflàonnaires Jéfuites , puif- que s'il en avoic fait la lecture, il auroK pu y trouver encore bien des éciaircif- femens. Nous yfuppléerons à la fin de fou Article. R. d. E. (e) Elle contient au contraire précifément les fuites que M. Prévoit demande. R. d»£« Vtlûur PUr.noriSLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. u^ „ fort Ion,'!; cours, & pour fc rendre au lieu où l'on a dcflein d'aller". Cet- R' | ATfON ntj te conipar.iifon plût au Docteur, mais elle ne put lui faire embraflcr la Doc- ^^''^ate. trine qu'il eflimoir, Un gros Lingan qu'il portoit au cou, die le PèreMau- duic, étoit coinnie le fccau de fa réprobation. Apr iis avoir nafle quelques jours à Alcatilc, le Miflîonnairc fe dirpcfoit à continuer ion \ ovage vers l'Uueft. On lui dit que les Mogols & lesMa- rates fe failbient uiic guerre cruelle, & que tous les chemins étoient fer- més. Cette crainte ne l'empêcha point de partir pour Velour, qui cfl: à l'Ouell d'Alcatile. Il arriva dans cette Ville avec les Catéchiftes. Il prit fon logement chez un Bramine: ce qui lui attira beaucoup de conlidération ik le fit pafTcr pour un Sanias du premier Ordre. Le Durcy^ c'efl-à-dire, le Gouverneur, lui rendit vifite, acccompagné d'un grand nombre de per- fonncs de dillinftion. La TortereUe de VcTour ell une des plus confidéra- bles du Pays ; & les Ofliciers de ce porte important étoient alors en mau- vaife intelligence avec les principaux Bramincs de la Ville. Le Gouverneur, attribuant, au prétendu Sanias, une grande connoiflance de l'avenir, lui demanda s'ils ne fe réconcilieroient pas bien-tôt V II répondit adroitement que la paix étoit abfolument néceflaire, &que s'ils vouloient fuivre fes con- feils , ils ne tarderoient point à le réconcilier. Cette réponfe fatisfît le Gou- verneur; &lesBramines, y ayant fait réiîexion , conclurent une paix folide avec les Ofliciers. E N effet , elle étoit d'autant plus indifpenfable , que les Mogols rava- geoicnc tout le Pays , & pouflbicnt leurs courfes juiqu'auX portes de Velour. LePère Mauduit n'efpérant aucun fuccès pour la Religion dans ce trouble, continua fon Voyage à l'Oueft , après avoir batifé quelques Parias , qu'il trouva fuffifamment inftruits. Cette Contrée lui parut belle & fort bien peuplée. Il vit, fur fa route, plufieurs petites "^les , entre lefquellcs il nomme Pallkonde^ dont il admira la fituation. L^ïlajas Piitres, qui font ralliconde; Seigneurs de ces Villes , le reçurent fort civ^ilement. C'eft une Cafte de Princes , venus du Nord , qui fe font établis dans le Pays , & qui s'y main- tiennent fous la proteftion des Mogols, dont ils ont embraffé les intérêts. Le MilTionnaire paffa, de-là, par la petite Ville de lùiriyetavi ; & deux Kuriyetanti jours après, il arriva aux portes d'£>W«r^fl7«. C'eft une Ville fituée fous Erudurgum. cette longue chaîne de montagnes , qui coupent , prefque d'une extrémité à l'autre, la grande Prefqu'IIle de l'Inde, en deçà du Gange. On arrêta le Père Mauduit, à l'entrée de cette Ville, parceque le fameux Ram-Raja ^ qui a fait tant de conquêtes dans les Indes , furprenoit autrefois les Villes & les Fortereffes , fous un habit de Sanias , tel que le Miflîonnaire le por- toit. Cependant, lorfqu'il eut afliiré les Officiers, que fon unique dellein étoit de faire connoître le véritable Dieu , on lui permit d'entrer ; & dans l'efpace d'un fcul jour , qu'il pafla dans la Ville, il fit une liaifon allez étroi- te avec unDoftcur Mahométan, pour regretter beaucoup d-:; n'avoir pfi l'at- tacher à la Foi Chrétienne. C'étoit un homme d'un mérite diftingué, qui parloit la langue Tamule avec autant d'élégance que de facilité, & qui joignoit du fçavoir à beaucoup d'efprit & de probité. Le Père Mauduit trouva d'extrêmes difficultés à continuer fon Voyage. U falloit traverfer des montagnes prefqu'inacceflibles. Les Catéchiftes, Kkk 2 qu'il 444 DESCRIPTION DE LA Relation du CAKNAT£. Peddu-Naia- ken-Durgatn. Harangue du PèreMau- duitàunPrin- ^ indien. qu'il faifoit marcher devant, en paroifToient effrayés. Ils lui repréfentérent que les Princes, dans les Etats defquels il alloit tomber au-delà de ces hau- tes montagnes, étoient en guerre, & que la prudence ne permettoit pas de pénétrer, au mépris du danger, dans un Pays peu connu, Les Indiens font naturellement timides. Sans s'arrêter à leurs imaginations , le -Père Mau- Huit prit le chemin de Peddu-Naiakcn-Durgam. Quoique la diflance , d'Eru- durgam à cette Ville, ne foit que d'une demie journée, il marcha deux jours entiers par des bois & d'affreufes montagnes , incertain de fa route & véritablement égaré. La proteftion du Ciel lui fit trouver, enfin, quel- ques Indiens , qui confentirent à lui fervir de guides. Il pafla heureufe- ment tous ces lieux terribles, où les tigres & d'autres bêtes féroces, ne lui avoient pas caufé moins d'inquiétude que la faim & la fatigue. Après s'être délafle , il traverfa un gros Bourg , qu'il fut furpris de trouver dé- fert. La crainte des Maures , qui couroient la campagne , avoit fait pren- dre la fuite aux Habitans. Ce ne fut pas fans avoir partagé leur épouvan- te, qu'il arriva devant les murs de Peddu-Naiaken-Durgam. Cette Ville efl: petite ; mais elle étoit alors fi peuplée , par les Habi- tans des lieux voifîns , qui s'y étoient réfugiés , qu'il n'y trouva qu'une mau- vaife cabane , pour y pafler la nuit. Il fe préîenta le lendemain à la por- te de la FortereiTe, dans l'intention de faluer le Prince. Il fut arrêté. Ce- pendant quelques Bramines, après lui avoir fait diverfes queftions, le con- duifirent , par quantité de détours , dans l'appartement du Paléagaren. II y trouva, dit-il, un fort bon homme, qui le reçut honnêtement ; quoique, pour fe concilier fon affeélion, il ne lui eût préfenté que quelques fruits du Pays , & un peu de jais , que les Indiens , à h vérité , croyent fort pré- cieux. Ce Prince étoit aflTis. Il avoit, devant lui , une petite eftrade, où il invita le Miflionnairej. s'afleoir. Un motif de civilité , qui ne permet- toit pas au Père Maud J» s> » » »> a (/) Lettres édifiantes , Tome VI. pages 40 & 41. Ceux qui trouveront autant de noblefle & de véritable grandeur que mol, dans undoiple Religieux, qui parolt devant une PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 445 duit expliqua, au Prince, les principaux attributs de Dieu; & lui ayant fait prendre une haute idée de la Morale Chrétienne , il lui demanda fa pro- teftion. Elle lui fut accordée , avec un logement comn^ode pour fa demeu- re , & des ordres aux Officiers de lui fournir tout ce qui feroit nécellaire pour fa fubfiflance. Il partit le lendemain. Lorfqu'on a pafle les montagnes, on n'entend plus , dans tout le Pays , d'autre langue que la Talanque ou Canaréenne. Cependant le Miflionnaire trouva, près de Peddu-Naiaken-Durgam , un gros Bourg rempli de Tamulers , qui s'y étoient retirés pour fe mettre à couvert de la violence des Mogols. Il y reçut la vifite de plufieurs Bra?ncnatis ; c'eft le nom qu'on donne aux femmes des Bramines. Entre plufieurs quef- tions , elles lui demandèrent , fi leurs maris , qui avoient entrepris de longs Voyages , reviendroient heureufement. Il leur répondit qu'il n'é- toit pas venu pour les tromper , comme leurs faux Doéleurs , mais pour leur enfeigner le chemin du Ciel. Elles l'écoutèrent avec attention. En- fuite , l'ayant falué civilement , elles fe retirèrent fans répliquer. Quel- ques autres perfonnes , de moindre qualité , furent plus dociles à fes in- ftruélions. Il arriva le foir à Ba'irepalH^ où il ne trouva qu'un feul Habitant, qui avoit vu prendre la fuite à tous les autres, fans être effrayé de l'approche des Maures. Le lendemain il fe rendit à Tailur , petite Ville de la dépen- dance d'un autre Paléagaren. La Forterefle en efl: allez bonne. Il conti- nua fon chemin vers Sapnur , qui n'eft qu'à une petite journée de Tailur. C'étoit autrefois une Ville fort peuplée , dont le tems a fait un Village. De-là , il fe rendit à Coraïam , autre Ville , qui a beaucoup perdu de fon an- cienne fplendeur , mais qui ne laifle pas d'être encore fort grande & fort peuplée. Il y trouva , dans plufieurs Habitans , beaucoup de difpofition à goûter les vérités de la Foi. Mais , tandis qu'il s'employoit à la conver- fion d'un Bramine , un Maure , qui avoit voyagé , & qui avoit pafTé trois ans à Goa , le regarda fort attentivement , & s'écria , tout d'un coup , qu'il étoit un Pranguis; nom de mépris que les Infidèles donnent aux Européens. Ce fut un coup de foudre pour le Miifionnaire. Il ne douta point que ce feul foupçon ne fût capable de renverfer tous fes defleins. Un des princi- paux Habitans lui avoit offert une maifon , pour y faire librement fes exercices , & plufieurs autres lui avoient promis de fe faire inftruire. Mais l'idée, qu'il étoit un Pranguis, changea tout-à-fait leurs inclinations; Ce fatal contre-tems, & de fàcheufes craintes, lui firent prendre la réfolution de partir. Il fe trouvoit alors au milieu des terres , c'efl;-à-dire également éloigné de la Côte de Coromandel & de celle de Malabar. Ses défirs le pgrtoient à continuer fa marche du côté de l'Ouefl:; mais le danger d'être réconnu pour Pranguis, & l'approche delà faifon despluyes, l'obligèrent de prendre au Nord , dans l'efpérance de trouver , chez quelque Paléagaren, ce qu'il ne devoit plus efpérer parmi les Maures. Il quitta Coralam; & le lendemain, il s'arrêta dans une Ville, qui fe nom- une Cour Idolâtre, afîîs fur fa peau de tigre, & qui lui tient ce langage, ne fe plaindront pas de ce détait. Kkk3 Relation dit Carnate. Vifite qu'il reçoit des Bramenatis. Bairepalli. Tailur. Sapeur, Coralam. Contre-tema qui arrêtent lePèreMau- duit. ■ Sonna Kallu. 44<5 DESCRIPTION DE LA Relation DU Cabnate. Rimafa- MiKternm. Pon;;anour, C'îipitale du Pays. Le Père Maiidiiit ob- tient la per- iiiilTio?) d'y h:':tir une l'-giilV. Sa pauvre- té nuit à fes dtlL'ias. Ohii:t de fon Voyiige. Terapndi, fa m eu le l'a {rode. nomme Sonna-Kallu, entourée de montagnes qui lui fervent de défenfe. De-ià, il fe rendit à Ramafa-Mutteram, Ville aflez confidcrable ; d'où il prit le chemin de Pongamur, Capitale de tout ce Pays (g). C'efl une Ville fort grande & fort peuplée , mais fale & mal bâtie. Il s'y préfenta d'abord à V/Jlvadar, c'efl-à-dire , au Premier Minillre, qui gouvernoit avec une autorité abfolue , pendant la minorité du Roi. Les civilités , qu'il reçut de ce Seigneur , l'excitèrent à lui demander la liberté d'entrer dans'la For- terefle, où le jeune Roi fe tenoit prefque toujours enfermé avec la Reine fa Mère. Mais l'AIvadar, l'ayant remis à d'autres tems, ce délai l'obligea de s'arrêter plus long-tems , àPonganour, qu'il ne l'auroit defiré. Il annonça la Loi Chrétienne au milieu de cette grande Ville; & quoique la plupart des Habitans, qui font Linganilles, marquaflent peu d'attention pour fes dif- cours , il eut la fatisfaÊtion d'enrôler quelques âmes fous les Enfeignes du Chriflianifme. Un jour, lorfqu'il s'y attendoit le moins, il reçut de l'AI- vadar, la permiflion de bâtir une Eglife au vrai Dieu, dans l'endroit de la Ville qu'il voudroit choifir. Son principal deffein étoit de voir le Roi & la Reine fa Mère , dans l'efpérance de convertir cette Princefle , dont on lui parloit avec de grands éloges. Tous fes efforts ne purent lui faire obtenir cet honneur. Un Tamuler faflura , que la crainte de l'AIvadar étoit qu'il ne fît quelques reproches au Roi, fur le Lingan qu'on lui fai- foit porter. Mais il demeura perfuadé, dit- il , que, s'il avoit pu faire quelques préfens à la Cour, on n'auroit pas fait difficulté de l'introduire. Ce fut apparemment fa pauvreté , qui l'empêcha aufli de bâtir une Eglife â Ponganour. Un jour , qu'il fe difpofoit à batifer trois Catéchumènes , dix ou douze Tamulers entrèrent dans fa chambre, chacun avec les inftrumens qui fervent à bâtir. Il les crut envoyés pour mettre la main à l'œuvre. Mais leur ayant demandé fort ardemment s'ils venoient dans ce deflein ; „ ~ non fon Ayeule. Il leur donne auffi les titres de Roi & de R.i;ine. (Voyez ci • deflus , fag 446. ) Le Père Mauduit devoit être fans doute mieux informé que le Père Ta- chard, qui n'avoic pas été, comme lui, fur ks lieux; Mais il ne faut point fe former une trop grande idée de fes Rois & de Tes Reines, ni même des Princes, des Princef- fes, des Cours & des Palais, dont les Mif- fionnaires parlent fî fouvent dans leurs Let- tres , apparemment parcequ'ils manquent d'autres termes. On peut les apprécier , en fénéral, fur le trait fuivant d'un de ces ères. „ JDetovs Its Fnnces du Cazoate, eji ,, dit le P. leCaron, je n'en connois pas un „ feul qui foit de la première Calîe Qutl- „ ques-uns même font d'une Caile fort „ obfcure. De -là vient qu'il y a des Prin- ,, ces , dont les Cuifiniers fe croiroient des- „ honorés, s'ils mangeoient avec les Prin- „ CCS qu'ils ^fervent , & leurs parens les „ chafferoient de leurs Caftes". Lettres édif. , Kdt. XVI. pag. 136, (g) Ire. Lettre du P. Tachard, 4FeT, 1703. Rec. VL pag. 248. {b) Ilde. Lettre du même, 30 Sept. 1 702. Rec. V. pag. 242. Ci) Ibid. pag. 244. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 451 „ en tems ôqs contradiftions de leur part. Son Eglife efl: , de tout le „ Carnate, celle qui a le plus de Chrétiens (k)". Dans cette Lettre, ni dans une autre précédente , qui ne contient aucun cclairciflement hiftoriquejlePéredelaLane ne parle pas duPèreBouchet(.'), quoiqu'il eut pafTé trois ans dans fa MiHlon de Tarcolan , où il dit avoir été aufÏÏ en bute à la malice des Gentils, & aux vexations des Maures, dont le Camp n'ctoit qu'à une demie journée de fon Eglife, fituéc auprès de la Ville. 11 n'avoit pas tenu à eux qu'il n'eut été battu cruellement à coups de fouet, & chalTé de fon Eglife (in). Le récit de fon avanture peut faire prendre une idée des embarras que les MilTionnaires s'attirent le plus fou- vent par leur propre faute. Un jeune Brame orphelin s'étant jette entre les bras du Père de la Lane, pour trouver fa fubfillaiice , les Brames de Tarcolan s'addreflerent au Gouver- neur de la Province, pour lui demander juftice contre le Millionnaire, qu'ils accufoient d'avoir enlevé l'enfant avec violence. Auffi-tôt le Gouverneur le fit faifir par Ces Gardes, qui i[ii ";s l'avoir traité avec beaucoup d'inhuma- nité, le conduifirent en fapréu'^je. On le condamna d'abord au fouet, fans vouloir l'entendre. Un Gentil , touché de compalfton , follicita vive- ment fa grâce & l'obtint du Gouverneur , qui s'étoit flatté de tirer quclq''.e argent du Miflionnaire; mais celui-ci n'ayant rien à lui offrir, il le ren- voya, fans pouffer, plus loin les chofes. L'enfant fut rendu aux Brames, qui pour le purifier le firent jeûner trois jours, le frottèrent à plufieurs reprifes avec de la fiente de vache, & le lavèrent cent neuf fois; après quoi, l'ayant revêtu d'un nouveau cordon, qui cft la marque dillinétive de leur Cafte («) , ils le firent manger avec eux dans un repas de cérémonie (0). L'ordre du tems & le rapport des circonftances placent ici la Lettre du Père Barbier, qui étoit entré, au mois de Mars 171 1, dans le Carnate. Cette Lettre s'addrefTe au Père Petit , que le Père Barbier avoit remplacé dans le gouvernement de la Million de Pinneypundi (p), dont le premier étoit regardé comme le Fondateur. Il avoit fait conftruire une Eglife à Adkhene- lour; mais fon SuccefTeur lui marquoit qu'elle venoit d'être entièrement rui- née. RrLATroN m; Cahnati:. sum'i.émr^t. 1709. I.L" Pcie de la Lane rem- place 11' Pcrc Bouche t a Tarcoliiî. Avantnre qui lui arrive. Miflîon du Père Barbier h l'entrée du Carnate. 1711. (fe) Lettre du P. de la Lanc, 30 Janv. 1709. ubi fup. Rec, X. png, 43 & fuiv. Il ne nommepas cette Eglife; mais on apprend, par une Lettre du P. Barbier, que c'étoit celle de Pinneypundi ; & que le P. Petit , qu'il y remplaça, en partit l'année fuivante 1710. , pour retourner en France. (/) 11 étoit rcpalTé en France, d'où il revint dans la fuite au Carnate, comme on le verra ci-deflbus. Le P. de la Lane dit exprelTément qu'il n'y avoit alors que les quatre Miffionnaires nommés dans fa Lettre, & qu'il faifoit le cinquième. (jn) Ce bon Père auroit parlé plus jufte, fi'il eut die qu'il n'avoit pas tenu à lui que ces disgrâces ne lui fuflent arrivées. (n) Nous employons à deflein cette cx- preffion générale, On fe rappellera ici les fameufes difputes que le cordon des Brames a fait naître, pour fçavoir fi fon ufage eft purement civil , ou fupcrlliticux. Lesjéfui- tes foutiennent le premier, & leurs Adverfai- res le fécond. Ils ont tous rriifon,- car le cordon e(l en effet un figne de Nobleire, mais d'une NobleiTe qui prétend être for- tie du DieuBrumma, dont les Milîîonnaires, déguifés en 5a/i/.if, fe font néceflairement palter pour les Defcendans, dans l'cfprit des Idolâtres. Il eft étonnant qu'on ait pu difputer fi long tems, & avec tant d'opiniatre- « té, fur une chofe fi claire. (0) Lettres du P. delà Lane. 1705 & 1709. ubi fup. Rec. X. pag. 397 , 26 & fuiv. (p ) Au Sud de Carouvepondi , l\ir la fron- tière du Royaume de Cingi. LU 2 452 DESCRIPTION DE LA Supplément. 1711. Tournée Relation DU née. Quelques acquifitions qu'il avoit eu le bonheur de faire à Dieu, Carnate. prefque dans le même-tems , l'avoient bien dédommagé, dit-il , de la peine que lui caufoit cette cataflrophe. Cependant la converfion d'un Vieillard, Chef d'une grande famille, qui mourut bien -tôt après, muni de tous fes Sacremens , manqua auffi de lui être fatale. Les enfans du defFunt , quoique Gentils , vouloient faire enterrer leur père ; mais fes autres parens , qui c- toient fort accrédités dans la Bourgade, prétendoient que le corps fut brû- lé , fuivant la coutume de leur Cafte. Comme cette conteftation faifoit de l'éclat, elle vint bien-tôt à la connoiflance du Raja d'Jneycoulam (^), à la Cour duquel les Chrétiens avoient de puiflans ennemis. Néanmoins la réponfe du Raja fut favorable au Miffionnaire, qui entreprit, quelque-tems après, un Voyage à l'Oueft , pour vifiter la Chrétienté de Court empet i ey ^ & repaflant par le Sud , recueillir les débris de l'Eglife que le Père Petit y avoit bâtie. Cette tournée lui parut être de près de quatre -vingt lieues, prenant qu'il fait dans depuis Pinneypundi jufqu'à Cbingama , d'où paflant au Sud, par Adichenelour, ays' • & par les Habitations qui bordent la Rivière de Fonarou^ on revient par l'Ell de Gingi. A fon arrivée à Courtempettey , on lui fit le récit des ou- trages & des infultes que le Père Mauduit avoit efluyés , quelques années auparavant , lorfqu'il fut arrêté à Chingama. Le Père Laynez , alors Evè- que de Saint Thomé , Fondateur de cette Miflîon (r), & le Père Petit, y avoient éprouvé un fort encore plus rude. On menaçoit le Père Barbier d'une deftinée toute pareille (s); mais fon féjour fut plus tranquille qu'il ne s'y étoit attendu, fur -tout après la converfion d'un fameux Gentil, donc les parens avoient été fort irrités. E N partant de Courtempettey , le Miffionnaire prit fa route vers Tanda- rey , où il drefTa un Oratoire fur les ruines d'une Chapelle qui fut bâtie au- trefois par le Père Jean de Britto , martyrifé dans le Royaume de Marava. Le Père Barbier fe propofoit de relever cette Eglife, dès qu'il en auroit les facultés. Mais il ne paroit pas qu'il exécuta ce deflein , puifqu'on verra dans la fuite, que le Père Bouchet y en bâtit une. A fon paflage par Tiromamaley , il fut frappé de la magnificence des édi- fices & des portiques que la fuperftition a confacrés aux Idoles , & à une mul- Ce qu'il voit à Ti rounamaley. (j) Ce lieu eft apparemment le môme que celui qui e(t nommé, par d'autres, A'^en- coulam, ou ^ye/jfcoia?«, Bourg fitué àl'Ouelt de Carouvepondi. Voyez ci-deffus, pag. 44.2. (f) Elle eft fur la frontière du Maif- four. (j) 11 ajoute; „ mais Dieu ne prodigue „ pas ces fortes de faveurs à tout le monde. „ 11 faut les mériter, &c. " Un moment a- près il femble remercier Dieu de ce que l'o- rage qui le menaçoit n'eût pas de fuite. Cependant fa conllance étoit tout- à -fait extraordinaire. „ Il faut, dit -il, que les „ épines, dont ces prairies font toutes fc- „ mées , foyentbien longues & bien aiguës, „ pour ne pas céder à la fermeté & à l'af- „ furance avec laquelle je les foule. II dl „ vrai que la vue des lieux confncrés par „ les foufFrances des anciens Miffionnaires, „ a bien dequoi encourager leurs Succef- ,, feurs, & en particulier le fouvenir de vô- ,, tfe prifon, dans l'endroit même où jepaf- „ fois alors, a beaucoup contribué à me „ foûtenirdans ce Voyage". Saintes Gaf- conadcs ! , que nous n'aurions garde de tenir pour fufpeftt's, fi le Millionnaire ne les eût démenties lui-même. La fin de fa Lettre en peut faire juger fans partialité. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 453 multitude prodigieufe de finges qu'on y nourrit & qu'on y révère. Il y vit encore, avec douleur, fcpt ou nuit monumens , que l'impiété venoit d'é- lever à l'honneur des femmes que l'on avoit obligées de fe brûler vives , après la mort de leurs maris. Au fortir de Tandarey , le voifinage de Gin- gi & d'autres grandes Villes, lui firent garder plus de ménagemcns pour fécourir les Chrétiens, fans s'expofer à être découvert (t). „ Je n'eus „ plus, dit-il, d'autre demeure que les bois; encore étois-je obligé d'y fai- „ re mes fondions durant la niùt, me contentant pendant le jour d'entre- „ tenir les Infidèles, que la curiofité attiroit au lieu de ma retraite (u) ". En 17 14. , le Père Bouchet, de retour au Carnate , écrivoit que les Pères Mauduit & de Courbeville, peu de tems avant leur mort, arrivée de la fa- çon qu'on l'a rapporté, dans une Note de l'Article précédent, avoient élevé une Êglife kParoupourt lieu fitué au Nord- Oued de Tarcolan, & qui fut prefque entièrement ruinée par les Guerres. C'eft ce qui détermina le Pè- re Bouchet à en bâtir une autre, au Sud-Oueflde Cangibouran, dans une Bourgade appellée Tanderei (x). Quoique cette Bourgade ne foit qu'à vingt lieues de Pondicheri , il dût traverl'er deux défères affreux pour s'y rendre. Le Brame, que ce Père avoit amené à Paris, dans fon dernier Voyage , lui fervoit de Catéchifle. A leur arrivée à Tanderei , ils furent prefque inondés des pluyes qui tombèrent en abondance. Leur plus grand embarras, pendant fix femaines de féjour, fut de fe deffendre des tigres. Ils étoient obligés de tenir toute la nuit de grands feux allumés pour écar- ter ces dangereux animaux. L'Eglife de Tanderei ne fubfifba pas longtems. Les pluyes continuelles, qui furvinrent enfuite, détrempèrent fss murs de terre, & elle s'étoit enfin écroulée. Le Père de la Lane (y) s'occupoit alors de la conflruflion d'une nouvelle Eglife, à quatre ou cinq lieues de la première (2). Depuis ce tems, il n'efl prefque plus queftion, dans les Lettres des Jéfuites, que de leurs Miflions au Nord-Oueil, qui fe font étendues fort avant dans les terres. Le Père le Gac , qui s'y trouvoit , avec le Père de la Fontaine, nous en fournit les premiers détails (a). Ils remontent à l'an- née 1709, dans le cours de laquelle, cette MiifionnaifTante, établie depuis deux ans , à Chinnaballabaram , avoit efluyé un des plus violens orages , de la part des DaJJeris (i), qui fe confiant fur leur puiflfance, & fur la foi- bleffe ReLATiorv dv Caknate. SlPI'IÉMCNT. 1711. (t) Le bon Miflîonnaire ne fe croyoit apparemment pas encore digne des faveurs qu'il tâchoic d'éviter ici , après les avoir re- cherchées inutilement ailleurs. (t)) Lettre du P. Barbier, i Dec. 1711, ubi fup. Rec. XI. pag. 232— à 252. (») Ou Tandarey, fuivant le P. Barbier, qui s'étoit propofé d'y bâtir une Eglife, par- cequ'il trouvoit le lieu fort commode. Vo- yez ci-delTus l'Extrait de fa Lettre. (y) Il étoit entré, quelques années au- paravant, dans la Million du P. Bouchet. 1714- Retour du Pcrt Boucher, qui s'établit à Tanderei. Voyez ci-deflus. (z) Lettre du P. Bouchet, 2 Oft. 1714, ubi fup pag. 325 & fuiv. {a) Dnns une Larre du 10 Janv. 1709. Quoiqu'antérieure à la précédente , on la rangt; ici , pour ne point interrompre une narration fuivie des mêmes événemens & des iiiénits lieux. (6) Les Dafleris compofent une Seûe particulière d'Adorateurs deVitchnou, &ce font les plus grands ennemis des Chrétiens. LIl-î Etat des Miflluns au Nord-OuelU __£709> _ Tumulte excité par les DafTcris, con- tre les Chré- tiersdeCbin- naballabaraoi. 454 DESCRIPTION DE LA .t, # Fklatton du Carnatk. .Si.riTl'.MENT. \.c Prince vcui faire Tor- fir les Mif- fiononircsde la Ville. Nouveaux f R''))i'; lies DallVris. On protège les Miffion- natres contre Jciirs enne- • Biià. lis rcfiifcnt d'abandonner leur Ëglife. blcfle du Prince, réfolurent enfin d'cclatcr, après avoir vu évanouir tou- tes leurs trames fecrétes. Ces furieux , s'étant alfembles en grand nombre, avec quelques Soldats du l'alais, le jour du nouvel an, de* vant l'Eglife des Clircciens, demandèrent fièrement à parler au Millionnai- re. Le l'ère de la Fontaine parue aulîi-tùt en leur préfence, avec cet air aftable qui lui ètoit fi naturel, &. leur addrefla quelques exhortations, aux- quelles les Difciples des Gounux Vitchmwoijlis (c) , ne répondirent: que par des menaces; mais ils en rellèrent-là pour cette fois. Le lendemain matin on apprit que les Dalleris s'attroupoient de nou- veau, cnplusgrand nombre, dans les places de la Ville: Les cris menaçans que poulToient ces féditieux , le bruit de leurs tambours & de leurs trompet- tes, dont l'air retentiflbit de toutes parts, obligèrent le Prince, à envoyer, aux Millionnaires, deux Brames, pour leur donner avis de cette émeute, & les fommer de ibrtir au plutôt de la Ville ; fans quoi il lui feroit impof- llble d'appaifer une populace foCilevde uniquement contre eux. Le Père de la Fontaine répondit , qu'il refpeéloit les moindres volontés du Prin- ce; mais qu'il le croyoit trop équitable pour ne pas rendre, aux Chréciç-ns, la jurtice qui leur étoit due. Un moment après, les Dafleris, fui vis d'une foule immenfe de Peuple, vinrent alTaillir rEglile des Millionnaires. La cour & une grande place vis-à-vis, ne pouvant en contenir la multitude, plulieurs grimpèrent fur les anuraillcsôi: fur lesmaifons voilines, pour être témoins de la ruine des Chré- tiens. Les Dafleris armés crioient de toutes leurs forces, que s'ils refu- foient de fortir du Pays, il n'y avoit qu'à ïts livrer entre leurs mains. La populace mutinée y joignoit les injures les plus atroces. Tout le monde paroiflbit acharné à leur perte, & de tant de perfonncs, il n'y en avoit pas une qui leur portât compaffion , ou qui ofât s'intérefler pour eux. Enfin ils alloient être facrifiés à la fureur de leurs Ennemis, lorfque le Beau- père d!i Prince, qui tenoit après lui le premier rang dans le Royaume , & qui avoit la direftion de la police, envoya des Soldats pour appaifer ce des- ordr'- , & diflTiper les féditieux. A l'approche de la nuit , ils fe retirèrent en corps dans la Forterefle, & là, pour intimider le Prince, ils fe préfen- tèrent aux principaux Officiers , l'épée à la main , menaçant de fe tuer eux- mêmes ( coutume qu'il obfervoit régulièrement deux fois .. . ■ ■ - • cha- (») Voyez ci-deflus , p(tg. 44<î. , où M. Prevoft, contre fon original, avoit écrit Te- rajjadi , pour Terapadi, ou plutôt ïiroupa- ti. Dans la Carte de l'Indoultan de M. Bel- lin, on dirtingue TereJJadi &Tirupatti ; fans compter encore Tripeti , beaucoup plus au Nord-Oueft,& qui doit être cette célèbre Pa- gode. Nous ne fçavons lequel des deux , de l'Hiflorien ou du Géographe, a fourni à l'autre le premier de ces noms, qui ne fe ttouve ni dans les Lettres, ni dans les Cartes des Mif- fionnaires Jéfuites. Nous ne déciderons poui- tant point fi c'eft une faute de M. Bellin , qui peut avoir, pour Terefladi , des Garants que nous ignorons ; mais au moins M. Pre- voft avoit à parler de Terapadi , & non de Teraffadi, fuppofé que ce foyent deux lieux difFérens, comme l'a cru M. Bellin, qui n'ed d'ailleurs pas infaillible; témoin le Fort François de Karikal , qu'il avoit placé au Nord de Tranquebar, c'eft -à -dire fens deflus deflbus. Cette erreur a été corrigée dans nôtre Edition de la même Carte. chaque gef: fi( a PRESQU'ISLE EN DEcA DU GANGE, Liv. III. 461 chaque mois , le 11 & le 27 de la Lune. Ces Mutins refufèrent de man- ger , fi on ne leur promettoit de chafler les Chrétiens de la Ville. La réponfe du Prince ne fut pas favorable; mais ils n'en mangèrent pas moins , &bor nèrent , pour cette fois , leur reflentiment à de fimples menaces. L E calme paroiflbit renaître , lorfque les Dafleris , qui ne s'étoicnt te- nus tranquilles que pour mieux concerter leurs mefures , s'aflemblèrent pour célébrer une de leurs principales fêtes. Leur Chef les conduifant par tou- te la Ville , ne ceflbit de crier qu'il falloit abfolument rafer l'Eglife des Chrétiens. Ils fe rendirent au Palais , & menacèrent le Prince d'une ré- volte générale, s'il ne leur accordoit leur demande. On leur répondit , que les Chrétiens avoient été rétablis par ordre du Nabab, qui pourroit être of- fenfé fi on les infultoit ; mais qu'on chercheroit le moyen de fatisfaire les Mécontens, pourvu qu'ils priflent patience encore quelques jours. Ces nouveaux troubles firent juger, au Père de la Fontaine, qu'il falloit recourir au Nabab , pour le prier de foûtenir fon Ouvrage. Il convint avec M. de St. Hilaire , que le meilleur parti étoit de demander l'étendart du Mogol , pour mettre leur Eglife hors d'infulte. Ce n'étoit pas une chofe facile à obtenir ; cependant la patience & l'aftivité de M. de St. Hilaire , triomphèrent des obftacles. L'étendart fut accordé , avec une Patente ho- norable, par laquelle le Nabab déclaroit, „ qu'il permettoit aux Samajjls „ Romains , de l'arborer dans la cour de leurs Eglifes de Devandapallé & „ de Ballabaram (p)". Deux Cavaliers furent chargés d'accompagner le Miflionnaire, pour porter l'étendart au Prince , qui après bien des délibé- rations , leur fit enfin dire qu'ils pouvoient le placer où ils jugeroient à propos. C E dernier triomphe augmenta la fureur des Dafleris ; Ils s'attroupèrent , & cherchèrent à foulever la Milice & le Peuple. Leur Chef, voyant fes efforts inutiles, conduifît fa troupe à la Pagode de la Ville, qui eft dans la Forterefle ; Il déclara qu'il n'en fortiroit point qu'on ne lui eût donné fatis- fa6lion, avec menaces, au cas de refus, d'aflembler, dans peu de jours, plus de dix mille hommes, au moyen defquels il ravageroit le Pays. L'exécu- tion de ces menaces n'étant pas fans exemple (^;, on tâcha d'appaifer le Chef, qui n'en devint que plus intraitable. Enfin , il fallut lui promettre que dans deux jours on chalTeroit les deux plus confidérables familles de Chrétiens , qui avoient renoncé à fa Seéle, & on lui tint parole. Bien -tôt ces Mutins demandèrent le banniflTement de fix autres familles, qui étoient le foûtien de cette Chrétienté naiflante. Soin qu'ils l'euflcnt véritablement obtenu, ou qu'ils fe prévalufl!ent du nom & de l'autorité du Prince, ils eurent le pouvoir d'envoyer des Soldats chez tous les Chrétiens ; après quoi ils ne gardèrent plus de mefures, & maltraitoient de coups ceux qu'ils ren- controient dans les rues. La perfécution devint générale. Les Dafl'eris, fuivis de Soldats , ne quittoient point ces Infortunés qu'ils ne les euflent conduits hors des portes de la Ville. Relation do Carnate. Supplément. Menaces de» DalTeris. Le Nabab accorde aux Chrétiens l'é- tendart du Mogol. Fureur de leurs enne- mis. On leur donne fatis* faction. (p) C'eft la même Ville que Chinnabaïla- katam. Voyez cI-delTous. Le Les Chré- tiens font chaffés de la Ville. (î) Voyez ci-deflus, pag. 454. Mm m 3 Relation du Caknate. SuPPLiMBMT. *7i4. Ils y ren- trent peu après. ■ On ne cefTe de les inquié- ter. Les Miiîion- naires veu- lent en vain fe plaindre au Prince. Dirpute qu'ils ont avec trois Brames. T.es Chré- tiens font de nouveau chaiTés. Progrès de l'Eglife de Bailabaram. la fureur des Dafleris. Ces paroles firent impreflion. On parla d'accom- modement. Après bien des allées & des venues , un Brame , favori du Prin- ce, vint annoncer au Père, qui s'obftinoit à ne vouloir pas quitter le Pa- lais , qu'on alloit faire entrer les Chrétiens dans la Ville. A fa demande cet ordre fut immédiatement exécuté , au grand chagrin des Dafleris , qui ne fe rebutèrent cependant pas encore. On les vit le lendemain en beau- coup plus grand nombre , marcher en armes vers la Forterefle , criant comme des furieux , & proteftant qu'ils ne feroient pas contens , qu'ils n'euflent vu couler le fang des Prêtres de la nouvelle Loi. Ils en vinrent jufqu'à empêcher qu'on ne fit, dans la Pagode du Prince, les facrifices accou- tumés , tandis qu'on ne ceflbit d'inquiéter les Chrétiens , qui manquoient de tout dans la Ville , parcequ'ils n'avoient plus la liberté d'y travailler pour pourvoir à leur fubliilance. Les ordres du Prince, en leur faveur, étant fi mal exécutés, les Pères de la Fontaine & le Gac, crurent devoir lui renouveller leurs inilances. Ils fe rendirent, dans ce deflein, à la Forterefle; mais ils furent arrêtés à la première porte , & repoufles rudement par les Gardes. La nuit les con« traignit de fe retirer à l'entrée d'une Pagode voifine , où ils efl'uyèrent toutes fortes d'avanies de la part de quelques Dafleris, qui étoient infl:ruits de leur démarche infru61:ueufe. Le lendemain , trois des plus fçavans Bra- mes de la Ville leur furent envoyés par le Minirtre du Prince. La difpute de controverfe qu'ils entamèrent, avec les Millionnaires , mérite d'autant moins d'être rapportée, que ces Brames étoient de trois Seéles différentes, & par conféquent peu d'accord entr'eux fur leurs principaux dogmes. Ils partirent aflfez contens des réponfes des Miflionnaires , qui refl:èrent encore trois jours à l'entrée du Temple. Le quatrième jour , trois autres Brames des plus difl:ingués, vinrent, à ce qu'ils difoient, de la part du Prince, pour les aflurer qu'il leur donneroit audience , & qu'il termineroit cette af- faire à leur fatisfadion. Ils conduifirent les Pères à leur Eglife, où ils leur réitérèrent les mêmes aflTurances ; Mais quelque inft;ance qu'ils firent dans la fuite, il leur fut impolfible d'aborder le Prince, ni de mettre fin à ces vexations. Les Chrétiens n'eurent d'autre parti à prendre que de fe retirer ailleurs. C'efl: ainfi que fe pafl^èrent les années 1713&1714. On craignoit, avec raifon, que ces troubles ne fe communiquaflent à Bailabaram , Ville bien plus conlidérable que Devandapallé , & qui n'en efl; qu'à quatre lieues. Lorfque le Père de la Fontaine y bâtit une Eglife, en- viron fept ans auparavant , les Dafleris éclatèrent, & l'on fut fur le point d'en chafler les Chrétiens. L'ordre en fut intimé aux Millionnaires, de la part du Prince; mais l'exécution ne s'enfuivit pas. Malgré les efibrts des DaflTeris de Devandapallé , il arriva au contraire , que dans le tems même que cette Chrétienté étoit le plus vivement perfécutée, celle de Bailaba- ram faifoit des progrès étonnans. Un grand nombre de familles y avoient depuis reju le Batéme , & entr'autres plufieurs d'une des premières Caftes par- PRESQU'ISLE EN DEçA DU GANGE, Liv. III. 46^ parmi les ChoutreSy qui efl: celle du Prince (r). Ces converfions font d'au- tant plus fingulières , que ceux de cette Cafte ont un attachement incroya- ble pour leurs Idoles (s). O N trouve , dans deux autres Lettres du Père le Gac , la fuite des pro- grès de la nouvelle Eglife de Chruchnabouram , & des travaux de ce Mif- uonnaire. Quoiqu'il aît la modeftie de ne pas fe nommer, on découvre néanmoins , par d'autres récits , qu'il parle de lui-même. Il avoit pénétré encore plus avant vers le Nord-Oueft, àl'occafion de la converfion écla- tante du Chef d'un gros Village , de la Cafte des Rettis , dont le Pays eft éloigné de Chruchnabouram d'environ douze lieues (t). Tout ce Pays, qu'on aTppoileVJndevarou, étoit gouverné par un Prin- ce , nommé Prajappia Naidou , qui avoit la réputation d'être également éclai- ré & inflexible. Deux exemples de févérité lui avoient acquis cette réputation. Com- me il vifitoit une de fes Forterefles , des Mécontens formèrent le delTein de l'y renfermer le refte de fes jours , & de fubftituer fon frère dans le Gouvernement. Le Prince, averti du complot, partit plutôt qu'on ne s'y attendoit, pour retourner à Anantapouram ^ fa Ville Capitale, & rompit ainfi les mefures des Conjurés , qui furent tous mis à mort, à la referve de fon frère. Une autre fois qu'il étoit en Voyage , fes Porteurs le croyant endormi dans fon palanquin , s'échappèrent en des dilcours peu refpeftueux pour fa perfonne. Il diflimula jufqu'à fon retour. Quelques jours après , il aflem- bla les principaux de fa Cour, & leur demanda quel châtiment méritoient des ferviteurs qui avoient parlé de leur Maître avec mépris. Tous répon- dirent qu'ils étoient dignes de mort. Dès le lendemain ils furent exécu- tés. Une juftice fi rigide n'eft pas ordinaire aux Indes, où communé- ment fît fnire des facrifices , pour obtenir fa gué- rifon ,* & afin de les fléchir , il fie appli- quer, avec un fer rouge , fur les deux é- paules de cette PrincelTe , la tîgure d'une de fes principales Divinités. La douleur abrégea fans doute fes jours: car elle mourut après cette cruelle opération. Le Prince en fut fî irrité contre fes Dieux , qu'il cefîa entièrement de faire des fêtes en leur honneur. Sa colère s'efl enfin a- doucie, & le mois dernier il commença une nouvelle fête plus magnifique que „ toutes les autres". (Lettres édif. Rec. XVL paq. 127 & 128.) On penfe apparem- ment au Carnate comme par -tout ailleurs, où la foi des prodiges efl établie. Ce n'eft jamais la faute de l'Idole, fî elle n'accorde pas ce qu'on lui demande. Il y a toujours quelqu'autre caufe fecréte qui empêche le miracle. Voyez en un exemple remarqua» ble, ci-defTus, pag. 412. ( t ) Darmavaran , Ville conûdéiable , eft dans ces environs. (r) Ces détails ne conviennent qu'àChin- nabaliabaram, dont le Siège efl rapporté, par le même MlfOonnairc, fous les deux noms difFérens ; de • forte que c'eft une même Ville. (f ) Lettre du P. le Gac, i. Dec. 1714. Rec. XIV. pag. 128— à 320. Cependant peu s'en fallut , fuivant le P. le Caron. qire ces Idoles ne pcrdllFent entièrement leur crédit, quelques années après. „ Dans la Ville de „ Ballabaram, dit -il, où nous avons une „ Eglife (en. 1720), le Prince régnant fait „ porter continuellement un de fes Dieux „ fur un palanquin , précédé d'un cheval & „ d'un éléphant, richement caparaçonnés , „ dont il lui a fait pséfent. Le bruit de „ quantité d'inflrumens attire une foule in- „ croyable d'Infidèles, qui viennent adorer „ l'Idole. Par intervalles un Héraut fait „ faire fîlence, & il récite les louanges de „ la Divinité. „ L'année dernière, la PrincefTe règnan- „ te fe trouva fort mal. Le Prince, fon Ma- M ri , eue recours à toutes les Idoles , & leur Relation ou Carnate. Supplément. 1714. Etat de celle de Chruchna- bouram. Pays de l'Andevarou, gouverné par un Prince fé- vèrc. E-temples de fa rigueur. 4^4 DESCRIPTION DE LA Relation du Carnate. Supplément. 17 14. On tâche m vain de l'exciter con- tre les Chré-- ciens. Incurfion des Marates. Charité des nouveaux Chrétiens. Le Milîîon- nalre deman- de une Eglife pour eux. Le Prince fouhaite de voir ce Père. Accueil dii- tingué qu'il en reçoit. Defcription du Palais. Succès de cette audien- CCé ment les plus grands crimes ne font punis que de l'exil, ou de quelque amen- de pécuniaire. Ce fut à ce Prince redoutable, qu'un fameux Gourou préfenta requête contre les nouveaux Chrétiens Rettis: Mais ne pouvant point obtenir d'au- dience, il faifit le moment que le Prince alloit à la promenade , & pa- roiflant devant fon palanquin, le corps tout couvert de cendres , & l'épée nue à la main , il fe mit à déclamer de toutes fes forces contre les Miflîon- naircs. Le Prince l'écouta aflez froidement, & lui fit dire que les Saniaf- fis Romains ne demeuroient pas dans fes terres ; mais dans le Pays de Bal- labaram, & que c'étoit-là qu il devoit porter fes plaintes. Ces mouvemens du Gourou , qui ne laiflerent pas d'inquiéter les nou- veaux Chrétiens , furent fuivis d'une incurfion des Marates , qui ra- vagèrent leur Pays. Dans cette dure néccflîté , les Rettis convertis , s'af- fiflérent mutuellement les uns les autres, & ceux qui avoient perdu leurs biens, retrouvèrent des fecours dans la charité de leurs frères. Des effets fi convenables au Chriilianifme , ne pouvant qu'augmenter leur atta- chement à ce nouveau culte, ils follicitèrent vivement le Mifllonnaire de Chruchnabouram , pour avoir une Eglife au milieu d'eux. La difficulté étoit d'en obtenir la permilîion du Prince; & c'étoit une démarche à la- quelle on n'ofoit s'expofer. Le Père fe hazarda néanmoins à lui envoyer un Catéchifle, pour lui préfenter , de fa part, des raifms ,qui font extrême- ment rares dans l'Inde. Le Prince reçut le préfent avec de grands témoi- gnages d'eftime pour le Père, & il lui fit dire qu'il feroit charmé de le voir. Ce favorable accueil raflura les efprits , & le Millionnaire ne fongea plus qu'à fe rendre dans le Pays de l'Andevarou. Le Prince, informé de fon arrivée, lui envoya fon Premier Miniftre, pour le recevoir à la porte de la Ville. Il fut conduit au Palais , à la clarté des flambeaux & au fon des indrumens. Le Prince étoit dans fa grande falle d'audience , qui offroit une efpèce de théâtre , élevé de trois à quatre pieds, dont le toit, en plate-forme, étoit foûtenu par de hautes colomnes, & le parterre , vafl:e & à découvert , embelU de deux jtts-d'eau , l'un au bas du théâtre, & l'autre à foixante pieds plus loin, au milieu d'une belle allée d'arbres. Le théâtre étoit couvert d'un tapis de Turquie , fur lequel le Prince étoit afiis , appuyé contre un grand couiîin en broderie. Il avoit, à fon côté, un poignard & une épée, donc les poignées étoient d'agathe, garnies d'or. Ses Parens & fes principaux Officiers l'environroient. Les Brames occupoient le fond de la falle, & le parterre étoit rempli de Soldats & de Bas-Omciers. A u s s I - T ô T que le Prince apperçut le Mifllonnaire , il fe leva , & après l'avoir falué , il lui fit figne de s'afleoir fur des couffins qui étoient auprès de lui. Le Père refufa cet honneur, & fe plaça deux ou trois pas au def- fous. Les Catéchiftes, qui l'accompagnoient, mirent aux pieds du Prince, une fphère , une mappemonde & d'autres curiofités de cette nature. En- fuite le Père ayant fait tomber l'entretien fur la Religion Chrétienne, le Prince, qui l'écouta attentivement, fuggera aux Brames, de queflionner à leur tour le Mifllonnaire , fur ce qu'il penfoit de leur culte. La véhémen- ce avec laquelle il déclama contre les ridicules Divinités des Payens, exci- ta que amen- ta requête tenit d'au- e , & pa- , & l'épée ;s Miflîon- les Saniaf- lys de Bal- ;r les nou- , qui ra- ertis, s'af- aerdu leurs ires. Des r leur atta- onnaire de a difficulté arche à la- ui envoyer it extrême- ands témoi- irmé de le i ne fongea r Miniftre, , à la clarté i fa grande »is à quatre colomnes , .1 , l'un au d'une belle fur lequel Il avoit, d'agathe, )ient. Les ide Soldats va. , & après ient auprès pas au def- du Prince, ature. En- étienne, le .leftionner à a véhémen- lyens, exci- ta PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Lïv. III. ^^5* ta dans l'aflemblée un murmure confus , qui obligea le Prince de rompre fon lllcncc, pour prier le Père de ne pas poufler plus loin fur cet article. On lui fit plufieurs autres quellions , dont les rcponfcs n'embarralTèivnt pas moins les Brames. Le Prince augmenta leur trouble, en décidant, à l'a- vantage du Miirionnaire, une difpute qui avoit dure plus d'une heure. Le lendemain elle recommença & finit encore de même. Le Prince y fécon- da le Père. Il le prella de venir s'établir dans fa Capitale ; mais le MilTion- naire fe borna à lui demander la permiffion de bâtir une Eglife à Mad'igoub- ba , Village qui n'en eft qu'à deux lieues , & où il avoit plufieurs Difci- ples. Le Prince promit de fournir tout le bois nécefifaire, fans épargner même les arbres de fon Jardin de plaifance. Ce monument, qui s'élevoit au milieu de la Gentilité, ne pouvoit pas manquer d'irriter les ennemis du Chriftianifme. Aufii les Daflferis s'aflem- i)lèrent-ils bien-tôt, en grand nombre , à C/oM;«OMroi< , Village à une demie lieue de celui de Madigoubba, où ils méditoient d'aller mettre le feu aux maté- riaux qu'on cmployoit à bâtir l'Eglife. Mais les Brames de ce dernier Vil- lage leur perfuadèrent de difl:erer jufqu'à la réponfe du Prince, qu'on avoit informé de leurs griefs. Des Soldats Maures , dépéchés de fa part aux Daflerifl , leur ordonnèrent de fe rendre à la Capitale , pour y porter leurs plaintes contre les Chrétiens. Ils y accoururent en foule, tant de la Vil- le que des Villages. Le Prince fit dire aux Dafieris qu'ils dévoient envoyer leurs plus célèbres Dodleurs, pour défendre leur caufe contre le Saniaffi Romain, & qu'il prononceroit lui-même entr'eux. Le Miflionnaire ayant appris ces nouvelles , partit fur le champ pour -Anantapouram, où le Prin- ce le reçut avec des démonftrations d'eftime & d'amitié , encore plus gran- des que la première fois. Il fit aulFi-tôt appeller les Brames , & engagea la difpute , dans laquelle il voulut que le Miitionnaire lui laiflat prefque tout fhonneur de la viéloire fur les Brames. Après l'audience, le Père, dans la viie de prévenir le Prince fur les oppofitions qu'on formoit de toutes parts contre le Chriftianifme, jugea à propos de lui montrer la Patente que M. de St. Hilairc avoit obtenue , du Nabab d'Arcate , quelques années auparavant , dans une occafion à-peu-près pareille. Le Prince , eh finifiant la lefture de cette Patente, afllira le Miffion- naire, qu'il pouvoit compter fur la même proteélion dans fes Etats. Il réitéra fes ordres pour poufler la confiruélion de la nouvelle Eglife , & ajou- ta, en congédiant le Père, qu'il vouloit afliiler à la première fête qui s'y célébreroit. Dans ces entrefaites le Père reçut , à Madigoubba , deux Députés d'un Prince Maure , Gouverneur de Manimaïkngou , petite Ville qui en eft éloi- gnée de dix-huit à vingt lieues. Ce Gouverneur étoit homme d'efprit & curieux. Ayant appris qu'un Saniaflî Romain enfeignoit une nouvelle doc- trine , il fouhaita de le voir & de fentretenir. C'eft ce que contenoit fa Lettre, qui étoit écrite fur du papier, femé de Heurs d'argent. Mais le Pè- re , qui fçavoit que ce Voyage n'aboutiroit à rien , ne crut pas devoir l'entre- prendre. La femme du Nabab de Œrpf, qui l'invita peu de jours après, fut plus heureufe que le Prince Maure. A la vérité elle joignit à fes inftances , XIIL Part. Nnn la RfitATION Ctf Çarnate. SuTPt.ÉMENT» 17 14. Coiifufion des Brames. Le Prince veut faire bâ- tir une Eglife aux Chré- tiens. Chagrin & mouvemens des Dalleiis. Ils font mandes à la Cour , où le Père difpute avec eux. Nouvelles afTurances de proteélion que le Prince lui donne. Invitation que lui fait un Gouverneur Maure. Avanture "> de ce Père avec la femme d'un autre Gouverneur. A66 DESCRIPTION DE LA Helatton du Carnate. durPLÉMENT. I7I4. Le Prince fl'Ananiapou- ram efl; prié d'alTifter à une fête des' Chrétiens. Il y envoyé uii de fes Pa- ïens. Second • Voyage du Millionnaire i la Cour. Sa diPpute avec les Bra- mes. 1715- Le Prince fe rend à l'E- glife des Oirétiens. la permiffion de bâtir une Eglife dans l'étendue de Ton Gouvernement, lui laiflant lechoixdeChirpi, Colalam , ouCotta-Cotta, qui font de grandes Vil- les fort peuplées ; mais elle le prioit de venir lui-même en perfonne. Le Père s'étant rendu à Cotta-Cotta , fut aufli-tôt conduit dans l'appartement de la Princefle Maure, dont le Mari étoit abfent, & le Fils aîné détenu à la Cour du Mogol , jufqu'à-ce que fon Père eut fatisfait à une dette confidé- rable. Cette bonne Dame venoit d'être cruellement la dupe de quelques Faquirs, qui fe vantant de pofleder le fécret de faire de l'or, avoient trou- vé le moyeç de lui voler toutes fes pierreries. La perte étoit grande, & la crainte du retour du Nabab caufoit à la Dame de mortelles inquiétudes. Comme elle s'étoit laiflee perfuader que le MiiTionnaire avoit le véritable fécret de faire de l'or, elle le conjura, avec larmes , de la tirer du niaavais pas où elle s'étoit engagée. Son expérience pafFée ne pouvoit encore la guérir de fon entêtement , fur le fécret imaginaire de la pierre philofopha- le. Le Père eut beau dire qu'il n'entendoit riei dans cette Alchymie; elle le prefToit encore davantage. Enfin , fans un ce fes Fils , qui commandoit en Tabfence du Nabab , le MiiTionnaire n'auroit pas obtenu il aifément la permiflion de fe retirer. De retour à Madigoubba, après cette jplaifante avanture, le Père fe dilpofa à célébrer la fête de Pâques dans fa nouvelle Eglife. Comme le Prince s'y étoit invité lui-même, il lui envoya fes Catéchiftes, pour le prier de vouloir honorer l'aflemblée de fa préfence. Il y avoit quelques jours qu'une indifpofition l'empêchoit de fortir de fon Palais ; mais il fit venir un de fes Parens , & il lui ordonna d'afliller de fa part à la fête , avec une nombreufe efcorte de Soldats , auxquels il joignit encore fes Artificiers & fes Muficiens. Les Dafleris avoient formé le deflTein de mettre le feu à l'Eglife; mais ils n'oférent paroître, & la fête fe pafla dans le meilleur ordre. QUELQ.UE tems après, le MiiTionnaire alla remercier le Prince, qui lui témoigna , d'une manière obligeante , combien il étoit fâché de n'avoir pu aiTiileràla fête. On ne parloit alors, à la Cour, que du fameux fa- crifice appelle j£gmm , qu'on venoit de faire par ordre du Prince , qui n' avoit pu réfiiler aux follicitations des Brames. La dépenfe qu'il fit pour ce facritice, monta à plus d'onze mille livres. Le Père en prie occafion pour interroger les Brames fur l'avantage qu'ils pouvoicnt cf- pérer d'un tel facrifice. L'abfurdité de leurs réponfes lui fournit aiTez d'ar- gumens pour les combattre. La fureur fe peignoit fur leur vifage, tandis que le Prince, attentif à ce qui fe difoit de part & d'autre, fembloit ne prendre aucun parti ; mais il iè divertiiToit en fécret de l'embarras des Bra- mes. Ce fut la dernière difpute que le Mifïîonnaire eut avec eux , & juf- qu'aux Pâques fuivantes , il ne fe pafla plus rien de particulier , li ce n'eft quelques allarmes caufées de tems en tems par les Dafleris. On ne pouvoit guères fe difpenfer d'inviter le Prince à cette féconde fête de Pâques. Quoiqu'il eût alors la fièvre, il y vint avec un nombreux cortège , & affifla a toutes les cérémonies. Ce IMnce avoit un abcès qui lui caufoit de vives douleurs. Il fe l'étoit ouvert lui-même, mais avec fi peu PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 467 peu d'adrefTe^que la playe paroifToit incurable aux Médecins Indiens. Le Père lui envoya un peu de baume dont il fe fentit bien-tôt foulage. Il en témoigna fa réconnollfance au Miflîonnaire , qui s'étoit rendu, par fon or- dre, à la Cour, où on le retint pendant plufieurs jours. Le JPrince étoit campé fous des tentes hors de la Ville , fur un petit coteau , auprès d'un maufolée qu'il faifoit conftruire depuis fa maladie. Cependant l'inquié- tude, pour la mort prochaine du Prince , avoit déjà fait place à la joyeque caufoit fa convalelcence , lorfqu'un événement auffi imprévu qu'extraordi- naire, termina tout-à-coup fa vie, quatre jours après le départ du Mif- fionnaire. Vers la minuit, après que les Officiers fe furent retirés, & qu'on eût pofé les fentinelles à 1 ordinaire, il ne reda, dans la tente du Prince, qu'une Concubine, & un jeune çarçon, dont la fonélion étoit dechaffer les mou- ches pendant fon fommcil. Cette malhcureufe éteignit les lampes , s'ap- procha du lit du Prince , & prenant fon fabre lui en déchargea un coup qui porta fur la joue. Le Prince voulut crier; mais un fécond coup lui coupa la gorge. Au bruit qui fe fit, les Gardes entrèrent dans la tente, & trou- vant le Prince qui nageoit dans fon fang, ils faifirent la Concubine, par- cequ'ils virent qu'elle prenoit la fuite. Loin de fe déconcerter, elle dit fièrement au Général des Troupes, qui mettoit la main fur elle; „ Eft-ce „ donc ainfi que vous faites la gar Je ? On vient d'égorger le Prince ; vous „ en répondrez". Cette femme étoit une de ces Danfeufes Indiennes, que ïe Prince avoit achetée de fes Parens. Comme fa première femme étoit ftérile , il époufa celle-ci , dont il eut quatre enfans. Elle étoit plutôt chargée qu'or- née de perles & de diamans. 11 lui avoit accordé le titre & les honneurs de féconde femme , & il lui donnoit toute fa confiance. Quelque agrément qu'elle eût dans le Palais, elle n'en pouvoit fupporter la gêne, & elle re- grettoit fans cefle fon premier genre de vie. La maladie dangereufe du Prince lui avoit fait efpérer de recouvrer bien- tôt fa liberté. Cette efpé- rance s'étant évanouïe, par le rétabliiTement de fa fanté , l'ennui de la con- trainte & l'amour du libertinage la portèrent à ce noir attentat , dont elle ne fut punie que par une prifon perpétuelle , fans doute, plus rude pour elle que le dernier fupplice. La mort de ce Prmce fut un coup fenfible pour le Miflîonnaire & pour les nouveaux Chrétiens. On craignoit que les Brames & les DafTeris ne profitaflent de cette conjonfture , pour fufciter quelque nouvel orage. Mais les premières démarches du Snccefleur , frère du Prince deffunt , diflipèrent bien-tôt ces inquiétudes. Comme il revenoit de l'Armée du Nabab de Ca- dapUy & qu'il paflbit auprès de Chruchnabouram , il fit demander fi leSa- niafli Romain y étoit. Les Gentils ne voulant point donner entrée, dans la Peuplade , à un Prince étranger , répondirent fauflement qu'il étoit à Ballabaram. Le Père , qui en eût avis , alla dès le lendemain faluer le Prin- ce, qui s'étoit arrêté à une de fes Forterefles peu éloignée. Le Prince fut fort fenfible à cette marque d'attention , & il aflura le Miflîonnaire, que tant lui que les Chrétiens, pouvoient compter fur fonaffeélion, comme ils a- Nnn 2 voient RCLATIOM 00 Carnatb. Supplément. 1715- Le Mifllon» naire le gué' rlc d'une ma- ladie deferpe* rée. Ce Princd eft égorgé par une de fes femmes. Son Succef- feur difljpe les craintes des Chrétiens. Entrevue qu'il a avec le Miflionnai» re. '^6Î DESCRIPTION DE LA ^ÎIrt.ation du Carnatk. SuPPt.ÉMIÎNT. 17^5' Il lui fait une réception favorable. Le Père s'afTure de fa protcftion, en fuéiinant la rincefle. 171 8. Accueil diftingué que ]e Prince de Tatimini fait au Père de la Fontaine. Mort de ce Miflîonnalre. Son éloge. voient compté fur celle de fon frère. Un mois après , ayant appris que le Père étoit de retour à Madigoubba , il vint le voir avec toute fa Cour, où il invita le Miflionnaire de fe rendre. L'accueil qu'on y fit au Père fut des plus gracieux. Après les civilités ordinaires , le Prince, ]ui étoit allé à fa rencontre jufques dans la rue, le conduifit droit à l'appartement de laPrin- celfe. Une fièvre continue, accompagnée de plufieurs accidens, avoit prefque réduit cette Dame à l'extrémité. On avoit épuifé vainement tou- te forte de remèdes. Le MllFionnaire lui donna de la thériaque & quel- ques paftilles cordiales , dont l'effet fut fi heureux , qu'en peu de jours la Princelfe fe trouva parfaitement rétablie. Ce fuccès fut, pour les Chré- tiens , un nouveau gage de la proteélion du Prince j Mais on verra dans la fuite qu'ils n'en jouirent pas long-tems. La confidération de la Million de Chruchnabouram , étoit encore beau- coup augmentée, depuis la réception honorable que le Prince de Tatimi- ni (u), avoit fait, en 1718, au Père de la Fontaine, Supérieur général des Millions du Carnate. Ce Prince , qui dans un âge encore tendre , montroit une grande pénétration d'efprit, avoit fouhaité de voirie Mif- lionnaire. Il l'écouta avec autant d'attention que de plaifir , & pendant les trois jours qu'il le retint à Tatimini , il lui donna des marques de bon- té & même de refpeft, qui furprirent toute fa Cour. Mais le Père de la Fontaine n'eut pas la fatisfadlion de recueillir d'autres fruits de cette vifite , étant mort la même année , extrêmement regretté des François & des Malabares, qui le regardoient comme le Fondateur de la Milïio.'i du Carnate, fur-tout de celle de Chruchnabouram, fituée au-delà des montagnes. „ L E s Eglifes qu'il a fondées , dans ce Pays , dit le Père le Gac , feront des „ monumens durables de fon zèle. Madame la Vicomtefle àHarnoncmrt „ fa Mère, lui faifoit tenir chaque année une aumône confidérable, qui le mettoit en étar de fournir à ces fraix. Il efl: difficile de montrer plus de courage, plus d'aftivité & plus de tranquillité d'ame, qu'il en a fait paroître dans diverfes-perfécutions. Dans celle de Ballabaram, fa dou- ceur charma tellement les Soldats envoyés pour le prendre, qu'ils fu- „ rent tout-à-coup changés en d'autres hommes, & que fe jettant à fcs pieds , ils lui demandèrent pardon des indignités qu'ils avoient exercées a fon égard. Dans une autre perfécution , où l'on avoit foulevé tou- te la Ville contre les Miflionnaires & les Chrétiens, un feul entretien qu'il eût avec le Chef des Troupes , le convainquit des vérités de la Religion , & fur le rapport qu'il en fit au Prince , il y eut dé- fenfe d'inquiéter les nouveaux Fidèles. On ne fauroit exprimer a- vec combien de peines & de fatigues il a recouvré l'Eglife de De- vandapallé qui nous avoit été enlevée. Depuis qu'il fut nommé Su- périeur général , il ne penfoit qu'à ramener les efprits prévenus , fans perdre de vCle cette Miflion (de Chruchnabouram), qui étoit le 5> >» » J> î» »» î> S» îï J> ï> (v) Sa réfidence ell à quatre ou cinq lieues au Nord de Chruchnabouram. is que le our, où e fut des [il le à fu ; la Prin- i , avoit icnt ton- & quel" de jours es Chré- :rra dans re beau- i Tatimî- : général tendre , r le Mif- pendant s de bon- I Père de de cette François i Million -delà des "eront des ûrnoncoun ble, qui urer plus en a taie fa dou- qu'ils fu- ant à fcs exercées evc toii- entretien îrités de y eut dé- )rimer a- de De- iimé Sa- us , fans étoit le „ prin- ram. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 4^9 „ principal objet de Ces foins. Il efpéroit l'affermir davantage, & il Ret.ATioNDu „ portoit fes vues encore plus loin , afin d'étendre de plus en plus la Foi sum'lueNT. „ Chrétienne {x)'\ Le Père le Caron, qui étoit entré dans cette MilTion, en 1719, eut occa- fion,la même année, d'annoncer l'Evangile dans les Etats d'un Prince, dont il ne nous apprend pas le nom , & qui vint le trouver à Chruchnabouram avec un grand cortège. C'étoit un Vieillard âgé de foixante-cinq ans. Il 1719. V:iincs ... ^ - ^ ^ (jtij donnent aflifla à 1 Eglife, & fut il content de fes entretiens particuliers avec le Mif- (ioux autics fionnaire, qu'il lui promit d'embraller le Chriftianifme. Après qu'il fe fut riii:<-'>;s. retiré , le Père le Caron lui envoya un Catéchifte , avec des Livres de piété , qu'il fe fit lire durant quelques jours, fans fe déclarer. Les Brames, qui traverfent les Miflionnaires dans prefque toutes les Cours, où ils font en pofleiVion des premières charges , avoient perfuadé au Prince que le Père étoit le plus grand Magicien qui fut aux Indes. Ils lui firent fi fort crain- dre fon pouvoir, que lix ou fept jours après fa vifite, le Père le Caron lui ayant fait préfenter un panier de railins , auquel il avoit appliqué quelques cachets , le crédule Prince n'ofa y toucher, malgré l'envie qui le portoit ù goûter de ce fruit; Mais ayant fait ôter les cachets par un des Catéchiftes du Millionnaire , il mangea des railins avec avidité. Les Brames furent un peu déconcertés de cet expédient. Un autre Prince , à qui le Père a- voit aufli envoyé un Catéchifte, avec un Livre de la Religion, en écoutoic attentivement la leÊture , lorfqu'un Brame Aftrologue, pour l'interrompre , ouvrant tout-à-coup fon Livre d'Aftrologie , lui dit avec une efpèce d'en - thoufiafme; „ Prince, félon le cours préfent des étoiles, il ne vous cit „ plus permis de refterici; retirez- vous au plutôt ". Le Prince obéît, & congédia fon Lefleur. 'I'el fut le fuccés des premières difpofitions de deux Princes puifrans(v), dont on s'étoit formé les plus belles efpérances. Le Millionnaire fe U or- nant à parler de lui-même, raconte que l'année fuivante, un parti cim'l- dérable de Maures étoient venus pour l'enlever dans l'Eglife de Chruchna- bouram, ayant deux Brames à leur tête , qui étoient apparemment les Au- teurs de cette entreprife. Cependant comme ils craignoient quelque ré- fiftance, après avoir inverti la maifon, fans rien communiquer de leur def- fein , ils s'addreffèrent au Prince , tributaire du Seigneur Maure qui com^ niandoit le détachement , & le firent prier d'envoyer la garnifon de la For- te- Tentative • d'un parti de Maiirtspûiir enlever le l'cre le Caron. 1720. ( x) Deux Lettres du P. le Gac , l'une de Chruchnabouram, le 20 Dec. 1718, & l'autre de Ballabaram, le 21 Janv. 1722. Rec. XV/. pag- 153 - à 299. On croira, peut-être, que nous anticipons les faits contenus dans ces deux Lettres ; que nous envoyons le Pèie le Gac à Anantapuurani, quoiqu'il ne s'en vante pas ; & qu'enfin nous ajoutons , à la fé- conde Lettre, les circonllances du Voya- ge du Père de la Fontaine à Tatitnini , & de la mort de ce Miflionnaire , qui fe trouvent lappoitées au commencement oc à la fin de la première Lettre. Mais ce que nous en a- vons fait efl fondé fur de très - bonnes ral- fons, qu'il feroit trop long de déduire. U fufRc de prévenir l'objci'tion pour ne plus la craindre. Ceux qui voudront faire attention aux rapports qu'on découvre, tant dans les deux Ltttics originales que dans celles de quelques autres Millionnaires, ne nous ac- cufcront pas d'avoir mal à propos renverfé l'ordre des événemens. (y) Suivant le Père du Halde, un des E- diteurs des Lettres édifiantes. Nnn 3 470 DESCRIPTION DE LA (ltt/lT!ON t>U Carnati:, Surt>I.éMe^'T. 1720. Suite de l'Ililloire de la Midion du Carna(e. Ses grands progrès. 1723- Travaux du Fère Âubert. Confidéra- tion dont il jouît dans le Pay«, tcreflc pour tenir les Chrétiens en refpcft. Le Prince, qui affeftionnoît le Millionnaire, s'en exculk, fur ce qu'il ne pouvoii pas exercer des aéki d'hoftilité fur les terres d'un Prince voilin,, avec qui il dtcit en paix. Là- dcflus les Maures réfolurent d'enlever le l'ère ,^ fans éclat , à la faveur des ténèbres ; Mais le Commandant de la Forterelle , inftruit de leur complot , alla trouver le Père le Caron, pour lui en donner avis & lui confeiller en môme-tems de fe réfugier dans la Fcrterenb. Le Millionnaire fuivit Ton confeil, & fortit par une ifllie inconnue aux Maures, qui voyant leur cuup niancjué, fe retirèrent dans leur Camp, hors de la Ville. Le même foir ils lui envoyèrent un Exprès, pour 1 inviter à s'y rendre, fous prétexte que leur Commandant Ibuhaitoit avec paflion de le voir & de l'entendre; Mais , fur fon refus ils décampèrent le lendemain matin. Le Père le Ca- ron , embarrafle d'expliquer cette avanture , fuppofe que les Brames avoient perfuadé aux Maures qu'il fçavoit faire de l'or, & pofledoit de grandes ri- chefles. Depuis peu la même accufation avoit été fatale à un autre Mif- fionnairc, que les Maures retinrent deux ans entiers dans une rude prifon, & qu'ils appliquèrent deux fois à la torture, (z). Quelques Extraits des Lettres des Mifllonnaires , rangées dans l'ordre de leurs dates, feront connoître l'état des Miflîons du Carnate pendant les années fuivantes. Le Père Barbier , ^ui après avoir fait un allez long fé- jour au Bengale & à Pondichery, étoit de retour à Pinneypundi, en 1720, écrit que l'année précédente, un de leurs Mifllonnaires <& fes Catéchiftes avoicnc bâcifé crois cens vingt -huit Adultes & huit cens quarante - huit Enfans (a). 'J'rois ans après, le Père Barbier, qui deflervoit encore la mêmeEglife, peint les fuccès de la Million du Carnate en ces termes. „ Le Père /Ju- bert, qui feul cultive, maintient & augmente , depuis quelque-tems, les Chrétientés répandues en deçà des montagnes du Canavay, dans un ter- ritoire d'environ foixante lieues, a adminiftré cette année, (1723) les Sacremens à environ trois mille Chrétiens, & bâtifé plus de deux cens Adultes; ce qui efl d'autant plus extraordinaire, que la famine, qui af- lîige cette Contrée depuis trois ans , a obligé la plupart des Habitans à fe retirer dans d'autres Provinces. Ce Père , par fes charités , & par les mefures qu'il fçait prendre pour accréditer la Religion, s'efl: attiré une eftime générale. Les Princes & les Gouverneurs reçoivent avec diftinélion les viiites qu'il leur fait faire par fes Catéchiftes, & viennent le viliter eux - mêmes. Le Gouverneur de Cangivaron ell venu tout ré- [y cemmcnt à Vayaour , & s'ef : trouvé honoré de pafler la nuit dans la pau- ^•, vre cabane du Miffionnaire- Plufieurs Cramanis, ou Chefs de Peupla- „ de, j) )> (i) Lettre du P. le Caron, Rec. XVI. bâg. I2I-- à 162. On apprend par l'Epitre Dedicatoire du même Tome , que le Père le Caron mourut bien-tôt après , d'un mal contagieux , dont il fut attaqué à Ponganour, avec unErame fonCatéchifte, le même qui avoit fuivi quelques andées auparavant le P. Bouchet en Europe. On ne fçait quelle raifon peut avoir empêché l'Auteur de cette Epitre , de parler aufll de la mort du P. de la Fontaine , qui ell rapportée dans le même Volume. (a) Lettre du F. Barbier , 7 Janv. 1720. pag. 4(30. ins un ter- PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 471 de, fe font aéluellement inflruire. Le Chef de ceux de Cavepondi(b) a déjà reçu le Batêmc. Les Gentils même, par une bizarrerie difficile à comprendre , mais qui pourra faciliter leur convcrfion , follicitent le Mif- fionnaire de faire une lete magnifique , & ils prétendent fournir à tous les fraix. Les Chrétiens, qui ont afliflé à celle de Noël, m'ont dit que j'aurois été charmé de rcmprcflemcnt de ces l'aycns à orner les „ rues , à allumer des lampes , & à donner d'autres marques de réjouïflan- „ ces, dans tous les endroits où la proceffion devoit palier (f)". Ce fut vers ce tems-là , ajoute le Millionnaire, que le Cramani de f^ailatour^ qui s'étoit trouvé guéri d'une dangereufe maladie, en entrant dans l'Egli- fe de Carvepondy, penfoit férieufement à fe faire Chrétien , lorfque des Brames vinrent lui dire qu'il falloit faire un facrifice pour l'anniverlaire de la mort de fon Père. „ Il rejetta d'abord la proportion ; mais le refpeét hu- „ main l'emporta fur les premières imprelfions de la Grâce" (^d) (e). U N nouveau Miflionnaire , nommé le Père du Gros , qui étoit fur le point de pafler auCarnate, en donnoit, en 1725, les avis fuivans. „ Plus on s'é- loigne des Côtes, plus on trouve de Chrétiens. Dans la feule Miffion du Carnatc, que les Jéfuites François ont fondée, & qu'ils cultivent feuls depuis environ trente ans , on a diéja élevé onze Temples. De la pre- mière Eglife, qui efl à Pinneypundi, jufqu'à la dernière, il y a plus de cent lieues. Nous y comptons huit à neuf mille Chrétiens , partie Chou- tres , partie Parias , & cette Chrétienté n'eft deflervie que par quatre Miflionnaires. Encore n'y en a-t'il maintenant que trois j car le Père Aubert, qui réfidoit à l'entrée de la Miffion , vient de nous rejoindre, à Pondichery , pour fe rétablir d'une maladie qui l'a mis à deux doigts de la mort. Les Pères Gargan & du Champ demeurent à l'extrémité, ik le Père le Gac, qui eft Supérieur, fait fes excurfions de l'un à l'autre bout, pourvoir, animer, régler tout (/). Les Brames, comme dans le refte de l'Inde, font nos plus cruels ennemis, & nous ne pourrions réfifler à leur fureur , fi nous n'étions protégés par le Viceroi du Carnate & par le Grand Mogol même (g)". On a l'obligation au Père Calmette^de pluHeurs éclaircifTemens, & de quantité de remarques curieufes , dont on fentira d'autant mieux le prix , à la fuite des détails précedens. Ce Miflionnaire , qui étoit à Ballabaram , en « »» » >» j> î> Relation du Cahnate. Sul•I>l.iM^^T. I 7 2 .V P.irtlcii'nrl- tés lie fa Mif- fion. Etnt l'u ChrilHniiir- me auCar- nate. 17?- 5- . Nouvenux éclaircine- mens fur ces Minions. (6) C'ed: peut-être une faute pour Car- vepondy, comme le môme Miflionnaire écrit plus bas. Le nom de Carouvepondy, qui cft fans doute le même, a fouvent paru dans les Relations précédentes. ( )j » en 1730, donne d'abord une idée claire & diilinftc de cette Ville. „ Bal- labaram, dit-il, eft la Capitale de la Province de ce nom. Sa fituation eft par les treize degrés vingt-trois minutes de latitude feptentrionale obfervée, &de quatre- vingt-feize degrés de longitude cftimée. La Ville, déjà conlîdérable par elle-même, l'efl: encore plus par le Siège qu'elle foû- tint, il y a vingt ans, contre toutes les forces du Roi de MaiiTour, & par la défaite d'une Armée de cent mille hommes, qui termina leur dif- férend. C'efl: fous le Prince qui foûtint ce Siège , que nous avons fait cet établiflement (h)"- Apres fa mort, le Miffîonnaire ajoute, qu'on follicita vivement fon Succelleur de détruire l'Eglife des Chrétiens. Il calma l'orage par h ré- ponfe: ,, A Dieu ne plaife, dit-il, que j'éteigne la lampe que mon Père a j, allumée". Le frère a fuccedé à celui-ci, au préjudice du fils, ce qui ell allez ordinaire dans l'Inde. Son Etat ell plus liorifTant que jamais. H y compte pluQeurs Places fortes, & entretient une Armée de vingt mille hommes. Cette Ville a donné plus d'une fcène en matière de perfécutions. Le Père Calmette ne faifoit qu'entrer dans la MilTion , lorfque la dernière s'é- toit élevée à l'occafion fuivante. Le Père Supérieur bâtilToit une nouvelle Eglife, parceque l'ancienne n'étoitplus allez valle. Le Prince avoit per- mis de couper le bois dans fes forées j & l'ouvrage s'avançoit à force ; mais bien-tôt la jaloufie des Prêtres Gentils, infpira les Minillres, ameuta les Peuples, fouila l'efprit de fédition parmi les Troupes, fit changer la fermeté du Prince , & difperfa dans peu de jours le troupeau qui étoit con- fié aux foins des Milfionnaires. Trois chofes arrivées coup fur coup , pré- parèrent à cet événement & allumèrent fincendie. Un homme aigri contre fon beau -père, par un procès qui ne réuf- fiflbit pas à fon gré, le défera au Gou'ou du Prince comme Chrétien, & ajouta, que ceux qui étoient venus porter cette Religion dansl'hide, n'é- toient que des Pranguis ( /) , qui traitoient de Démons les Dieux du Pays. Le Gourou, qui voyoit diminuer chaque jour fon tribut, avec le nombre de fes Difciples , failit aulU-tôt cette occafion de ruiner le Chrillianifme. Les Dafieris, Seèlaires de Vitchnou comme lui, fécondant fes vues , alloicnt au, fonde leurs inllrumens, irriter la populace, & s'aflembloient eux-mêmes tumultuairement pour intimider les efprics. Mais ils ne pouvoicnt encore rien faire fans l'Armée. Elle étoit déjà ébranlée, lorfqu'un fécond événe- ment la détermina. Un Soldat, qui paroiflbit hors de fon bon fens, vint un foir, au tems de (i) On voit ici que les noms de Balla- barain & de Chinnabailabaram font donnés indifl"éremment à la même Ville. (»■) On a par!é piufieurs fois du mépris que les Indiens ont pour les Pranguis. Le Mif- fionnaire remarque que c'e(l le nom quils donnèrent d'abord aux Portugais, cS: fuc- cedivcment à tous les Européens, Quel- ques-uns font venir ce mot de Paraangui, qui fignifie, dans la Langue du Pays., Habit étranger. Mais il paroit plus vraifeiiiblable que c'ell le mot Frangui, que les Indiens, qui n'ont point la lettre F, pronoDcent à l'ordinaire par un P , & que ce mot Fran- gui n'eft autre chofe que le nom qu'on donne aux Européens à Conllantinople, & qu'apparemment ce font les Maures qui l'ont introduit aux Indes. Ile. „ Bal- sa ficuatioQ Dtentrionale e. La Ville, qu'elle foû- laiiTour, & na leur dif- I avons fait cernent Ton ; par h ré- mon Pèi'e a fils, ce qui jamais. Il vingt mille rations. Le lernière s'e- ne nouvelle i avoit per- )it à force; res, ameuta changer la li étoit con- coup, prc- ui ne réiif- hrétien, & l'Inde, n'é- ;ux du Pays. e nombre de mifme. Les , alloient au, eux - mêmes jicnc encore :ond évene- ir, au tems de du Pays,//flW vraifemblable ;e les Indiens, prononcent à ce mot Pran- le nom qu'on (laptinople, & Laures qui l'ont PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. IIL 473 delà prière, dans l'Eglife où le Père du Champ & quelques Chrétiens é- toient airemblés. II avoit le poignard à la main, dont il donna contre les murailles, & s'avançant vers l'Autel , frappa à coups redoublés fur la bal- luftre. On le fit retirer. Le Millionnaire , qui ne s'étoit apperçu derien, étant tourné vers l'Autel , le trouva au premier détour près de la porte. Le poignard, qui brilloit dans les ténèbres , attira les Domeftiques & les Chré- tiens, qui chaflerent ce forcené de l'Eglife, & le fuivirentjufques dans la Ville. Le Soldat fe retournant blefla légèrement le Catéchiftc à l'épaule. Celui- ci en porta fes plaintes , fans coniulter le Miffionnaircf. Le Soldat fut chaf- fé du fervice; mais l'Armée, aigrie déjà par le Gourou du Prince, fe crut offenfée dans la perfonne du Soldat , & tout parut s'unir contre les Chré- tiens. On iniinua , au Prince, que l'Eglife qu'ils bâtiflbient étoit une Forte- refle. Il lui fut facile de vérifier le contraire , & de fe convaincre de l'obéïflance des Miflionnaires à fes ordres, pour laconfi:ru6lion de cet Edifice. Leurs ennemis n'ayant pu venir à bout de détruire l'Eglife , crurent y réiilîir en attaquant le Millionnaire; & c'efl: ici la troifième caufe de la perfécution. U N Gentil , qui feignoit des difpofitions pour le Chrillianifme , étant venu voir le Millionnaire , laiiia tomber adroitement fon petit fac dans la chambre. Le Père, qui s'en apperçut,le lui remit entre les mains. Un au- tre jour cet homme trouva l'occafion de cacher fecrétement fa bourfe en- tre le toit & la muraille. Peu de jours après , il prend le Catéchiile à par- tie, lui redemande fon fac, avec trente pièces d'or qui étoient dedans. Le Catéchifte, fe doutant de la fourberie, lui répondit, que n'ayant confié fa 'bourfe à perfonne, il n'en devoit demander compte qu'à lui-même. Là- deiTus le Gentil fe mit à fe plaindre, & fit retentir toute la Ville de fes cris. L'affaire fut portée au Palais , où l'on croyoit trop bien connoitre le desintéreflement des Millionnaires pour les juger capables d'un pareil larcin. Le Calomniateur defespcré de voir fon llratagème inutile , fe jette & fe roule par terre, en préfence du Prince, comme s'il étoit tombé dans mie efpèce de délire. En même -tems fon père déclare que le Millionnai- re a enlbrcelé fon fils par des oranges qu'il lui a données. Un des Princes qui étoit préfent , découvrit l'artifice , & témoigna hautement en fa- veur des Pères. Il avoit mangé lui-même , difoit-il, des fruits de leur jardin , & il ^e portoit cependant à merveille. Plus on trouvoit de tranquillité au Palais, plus la rumeur augmentoit dans la Ville. Le nombre des Dafleris croiflbit de jour en jour, par l'arri- vée de ceux que le bruit du tumulte, & les lettres du Gourou appelloient à la pourfuite de la caufe commune. Les Pères du Champ & du Cros , qui étoient alors dans l'Eglife, apprenoient atout moment qu'on étoit fur le point de la détruire ; Les Soldats paroiflbient par troupes, & les Dafferis arméà s'avançoient en grand nombre. Ils furent arrêtés à la porte de la Vil- le, par ordre du Prince, à qui ces mouvemens déplaifoicnt d'autant plus, qu'on n'ignoroit pas, qu'im Miifionnaire du Maduré, avoit été, quelques années auparavant , fi maltraité dans une émeute des Dafleris , qu'il mourut peu de jours après de fes blefllires (k). Cl. (k) C'efl le P, Dacunha. Voyez ci-defllis. XIII. Part, Ooo Rnr.ATioN DO Cahnatf. SurrLÉMfNT. 173"- Troific;ne caufe. Mouvcmrnî d:s Daflcrif. « 474 DESCRIPTION DE LA Relation do CaI NATE. Sui'fl.ÉMEKT. 1730- Elit (léplo- rnb'c tk's Chrcti.ns. Arrivée du rèro Supé. rieur. Le calme fuccede à l'oraiie. Perfécutïon contre l'Egli- fe de Carve- poiidy. i Cependant le Prince parut enfin fe rendre, &iic prier les Miflîonnaî- res de fe retirer. Le Père du Champ répondit qu'il ne le pouvoit, ni pour l'honneur des Pères , puifqu'ils étoient accules , ni pour celui du Prince, à qui l'émeute du Peuple & de l'Armée faifoit violence; mais on n'en prefla pas moins les Millionnaires de fortir de la Ville. L'o RACE tomba bien-tôt fur les Chrétiens , qui furent déclarés infâmes & déchus de leur Calle. On fit dcffenfe à tous les Ouvriers & Artifans de travailler pour eux; on jetta de la boue dans leurs maifons, & on n'oublia rien pour les couvrir d'opprobres. Ce que la Capitale vcDoit de faire, les Villes du fécond ordre & les Villages le firent à (on exemple. L'épreuve étoit rude pour des Indiens convertis; car fans parler de la Cafte, dont ils font extrêmement jaloux, la famine défoloit le Pays; de-forte que c'étoit les condamner à mourir lentement de mifère. Cependant leur confiance paroiifoit augmenter avec leurs befoins. Le Mathan , ou le lieu de la réli- dence que le Père Supérieur butiflbit alors à f^encatiguiry , Capitale de la Principauté de ce nom , en recueillit plufieurs. Quantité d'autres cher- chèrent de l'emploi , chez les Princes voifins , & le reftc s'eft difperfé en différens Pays. Sur ces entrefaites , le Père Supérieur , qui fe preflbit de finir l'Eglife de Vencatiguiry , arriva pour foulager les Miffionnaires. Il voulut relier feul dans la Ville , & envoya les deux autres Pères pour prendre foin des E- glifes externes. Quoique les attroupcmcns ne fulfent plus les mêmes , & que le feu parût amorti , on ne parloit encore que de venir mafiacrcr le MilTionnaire. Les meubles de l'Eglife, les livres & les autres effets avoienc été la plupart tranfportés ailleurs, & on fe préparoic à tout événement; Mais peu après , le calme fucccdant à l'orage, l'EgUfe s'affermit plus que jamais. Une maladie populaire, qui affligea enfuite la Ville, fut regardée comme une punition de la pcrfécution faite aux Chrétiens. La difette gé- nérale, qui dura près de trois ans,& divers autres événemens malheureux, perfuadèrent encore davantage que le Ciel étoit irrité, & vengeoic fa caufe. Une perfécutïon , qui s'étoit élevée dans le Maduré, obligea bien-tôt le Père Calmette de fe rendre à Velour , pour follicicer la protection du Nabab en faveur des Pères de cette Miifion, qui l'en avoient prié par let- tres. Il y rencontra le Père Aubère, Milfionnaire de Carvepondy , qu'une autre nerfécution, concernant fonEglife,avoit ain.;nc dans les mêmes vues. Comme pcrfonne, dans la MiflTion , n'avoit autant d'accès que lui, auprès des Seigneurs Maures, le Père Calmette lui remit l'affaire du Maduré, pour la- quelle il oublia le lujet qui l'avoit conduit en cette Ville, & ne penfa àfon Églife particulière , que lorfqu'il eut obtenu les Lettres dont la Miifion du Sud avoit befoin. Carvepondy eftia première Eglife que les Fondateurs de la Million duCarnate ont bâtie. Sa fituadon,dans un territoire dépendant des Brames, quoique fiijet au Nabab, l'expcfoit plus que toute autre Eglife aux perfé- cutions de ces Religieux Gentils. Ils n'avoient celfé, depuis trente ans, d'inquiéter les Millionnaires , ik bien qu'ils en euffent été punis quelque- ibis n liflîonnai- ni pour Prince, à 'en prefla Is infâmes ^rtifans de n n'oublia ; faire , les L'épreuve I, donc ils ue c'étoit confiance de la rélî- tale de ki très cher- ifperfé en l'Eglife de relier feul bin des E- nemes , & lafTacrcr le ets avoient vénement; plus que it regardée difette gé- lalheureux, t^engeoic fa ^ea bien-tôt Dteftion du >rié par let- idy , qu'une lêmes vues. , auprès des •é , pour la- penfa àfon i MilHon du îla Million des Brames, aux perle- trente ans, [lis quelque- ibis Surri l.mi-.>;t. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. IIJ. 475 fois par les Maures, Seigneurs de cette Contrée, ils n'avoicnt jamais Rr.LATin^ nu perdu de vue le dedein de ruiner l'Eglife des Chrétiens. Cahnath. Cette dernière année, un Reddi, Créature du Gouverneur iV Outre malour^ ayant eu en Chef le Village de Carvepondy , étoic venu infulter le MifTionnaire , à qui il avoit demandé de quelle autorité il occupoit ce ter- rain. Le Père lui fit voir la Patente du grand Nabab , ou Viceroi du Car- nate, que celui-ci rejetta avec mépris. Comme le Reddi étoit foûtenu, il ne tarda pas d'éclater contre les Chrétiens. Il envoya les gens pour cueil- lir les fruits du jardin des Miffionnaires , & fit delïenfq aux Chrétiens de fortir de la réfidence, avec menace que s'il en trouvoit quelqu'un dehors, il lui feroit couper les pieds & les mains ; après quoi , fermant la porte de l'enclos, il y appofa le fceau, félon l'ufage du Pays. Le Millionnaire ne laiffa pas d'ouvrir la porte. Il fe retira au Village le plus voifm, où il avoit des Difciples , dans l'intention de continuer fa route le lendemain vers Ar- cate , ou Velour , pour y chercher un appui contre ces vexations. A pei- ne fut-il dans le Village, qu'il vit arriver le Père ^'itVâ/7 , Millionnaire de Pinneypundi, qui ne fçaVTîit rien de ce qui fe pafloit. C'étoit une ren- contre heureufe dans l'abfence du Miflîonnaire, dont le Reddi auroit pu fe prévaloir pour exécuter Tes mauvais defleins contre fa Maiibn. 11 fut fi déconcerté de l'arrivée de l'un , & du départ de l'autre , qu'il jugea à propos de demeurer tranquille jufqu'à l'arrivée de la première lettre. Le Pèie Aubère, pour n'offenfer perlonne , crut devoir s'addreffer d'abord au Gouverneur de Carvepondy , qui étoit à Arcate. La Lettre qu'il en obtint, ne fit qu'aigrir davantage le Reddi , à qui le Gouverneur Maure d'Outremalour n'avoit procuré le Village que dans la vue de fe l'approprier ; de-forte que le Reddi , fe fentant appuyé., af- feéla de méprifer les ordres de fon Gouverneur immédiat. Le Père Vicary eut donc de nouvelles bourafqucs à efluyer. Le Reddi renouvella les pre- mières doftcnfes, à cela près qu'il n'ofa plus mettre le fcellé à la porte. Le Millionnaire informa aulli-tôt le Père Aubert du fuccès qu'avoicnt eu fcs premières démarches. Celui-ci ayant obtenu du Nabab BakerhcMan^ une Lettre, avec deux Députés pour le Gouverneur d'Outremalour, l'affaire changea de Tribunal, & le Protefteur du Reddi devenoit ainfi jugj & par- tie. Aufll ne fit-il que lier la playc fans y apporter aucun remède. C'étoit le même Gouverneur qui avoit autrefois tenu le Père Mauduit en prifon du- rant quarante jours. Le Nabab, inftruit de ce qui fe pafibit, prit le parti de renvoyer le Père Aubert à fon Eglife, dans un de fes palanquins, avec une efcorte de Soldats, & une Sauve-garde', qui devoit relier continuellement auprès de fa perfonne. L'arrivée du Millionnaire déplut fort au Gouverneur d'Ou- tremalour, qui fe joignit au Reddi pour perdre les Chrétiens. Comme le Nabab de Velour dépendoit de celui d' Arcate , dont la dignité répond à celle de Viceroi du Carnate, il fe flatta de le furprendre ou de le gagner par des offres d'argent. 11 promettoit même de lui donner trois mille pièces d'or, s'il livroit le Millionnaire à leur difcrétion. Le Reddi, de Ion côté , parcouroit les Villages voifins , & en affembloit les Chefs. „ Je I, vais, leur difoit-ii , détruire l'Eglife & la Maifon du Miffionnaire. Les I,c Naîiab accorde fa profcdion su Miflioniiuire, Ooo a )> Mau- 47(5 DESCRIPTION DE LA Rrr.ATroN du Crti'.N'ATi:. Sli'I'; LMl',^■T. Pareille fa- veur qu'il f;iit aux Chrétiens d: Pouchpa- „ Maures feront du bruit ; mais on les appaifera aifement avec de l'argent. „ Il ne s'agit cjiu de trouver l'amende , ôc nous fommes fûrs du fuccès". Les Chefs des Villages refufèrent d'entrer dans une affaire fi odieufe, & les JVdiirionnaires eurent lieu d'être contens du train qu'elle prenoit à Arcate. DosTiiALiKAN, Ncvcu & Succeflcur defigné du Viccroi, renvoya l'affaire au Nabab l'on Oncle, en difant que pour lui, s'il devoit juger le Reddi , il lui feroit couper la tête. Le Nabab avoit été prévenu par M. Pereyra , fon JNIédecin , & par Chittijorou , Miniftre & Favori du Viceroi , qui venoit de donner aux iVliflionnaires un terrain pour bâtir une Eglife dans la Ville d'Arcate. Comme il fe trouva préfent, il appuya fortement leurs intérêts ; de-forte que le Gouverneur d'Outremalour, qui étoit dans l'antichambre, ne gagna rien à fon audience. Il n'eut d'autre accufation à porter contre les Pères , fmon qu'ils faifoient par tout des Difciples. „ Aimez-vous mieux, lui répondit le Viceroi, fervir le Diable que le Dieu „ des Chrétiens, qui après tout eft le vôtre & le mien. Depuis trente ans, „ ajouta-t'il, que les Sanias font dans le Pays, -on n'a reçu aucune plainte „ légitime de leur conduite. Vivez en paix avec eux, & que je n'entende „ plus parler de cette affaire". Le Gouverneur d'Outremalour fut à pei- ne revenu chez lui, qu'il reçut une corbeille de fruits, de la part du Mif- fionnaire ; il prit occafion de ce préfent , pour fe reconcilier avec lui , & c'efl ainfi que fe termina l'affaire. Il n'y avoit pas long-tems que le Viceroi avoit donné aux Miflî on n ai- res , une pareille marque de proteélion , au fujet d'une famille de Chré- tiens perfecutés pour la Religion; avec cette différence , qu'il s'intérefla pour eux, à la fimple prière des Chrétiens, fans attendre que les Pères lui en portaiTent leurs plaintes. La chofe s'étoit paffée à Jriendel , Village du Diftrièi de Pouchpagniry (/) dont le Père Calmette, qui gouvernoit alors c-tte Eglife, fe trouvoit éloigné de deux journées. A l'on retour il en apprit les circonffances , qui offrent plufieurs traits finguliers affez curieux. C'etoit à l'occafion d'une fête d'Idole, dans laquelle, entr'autres céré- monies remarquables , on marie la Déëffe avec un jeune Parias , qui doit lui attacher pour cet effet un braffelet. La cérémonie finie , il acquiert le droit de battre l'Idole. Si on lui en demande la raifon , il répond qu'il bat fa femme, & que perfonne n'y peut trouver à redire. Il y a, dans chaque Village, un homme de fervice, appelle Tottî ^ qui efl; chargé des impofi- tions publiques, & entr'autres de celle qu'on lève pour cette fête, dans les lieux où fJdole efl: honorée. Ils font quelquefois deux, & alors ils parta- gent enfemble ik le fervice & les droits qu'ils perçoivent dans le Village. C'elt à la faveur de cette fociété que le Chef de la famille dont on parle , fe difpenfoit , depuis plufieurs années , de tout a6le public mêlé de fuuer- ftition, laiffant à fon Confrère Gentil le foin de ces cérémonies. L an- née dernière le Gentil fe brouilla avec cette famille, & lorfqu'il fut quef- tion défaire la fête, il déclara que ce n'ttoit pas fon tour, & qu'on n'a- voic (0 Ce lieu eftfitué, fuivant la Carte des Jcfuites, au Sud-Quefl; de Velour. ' (m) î l'argent. I fiiccès". odicLife , preiioit à renvoya juger le .1 par M. Viceroî , ne Eglife "ortement :oit dans ccufation Difciples. le le Dieu ente ans, le plainte l'entende î"ut à pei- dii Mif- li , & c'ell [iflîonnaî- de Chré- s'intérefTa Pères lui 'illage du noit alors our il en ; curieux. :res céré- , qui doit cquiert le 1 qu'il bat ns chaque ts impofi- , dans les ils parta- i Village, on parle , de fuuer- :s. Lan- 1 fut quef- qu'on n'a- voic Velour. ' PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 477 voit qu à s'addrefler à Ton aflbcié. Son but étoit de brouiller la famille RcfATioNm* Chrétienne, ou avec le Village, ou avec les autres Chrétiens. Ceux qui 0^'^''^''^^''^ compoloient cette iamille ne balancèrent point lur le parti quils avoient t7"o. à prendre. Comme le Chef du Village difputoit avec eux pour les enga- "^ ger, de gré ou de force, à faire la fonction de mettre le bralfelet à l'iùole, ils répondirent conflamment qu'ils ne reconnoiflbient pas leurs faufles Di- vinités. La difpute s'échaufFoit par le concours des Voifms, & par la fermeté des Profélytes , lorfquele Brame, Intendant de ce Canton , palîa dans fon palan- quin. Il demanda quel étoit le fujet de cet attroupement & de leurs con- teflations. A peine lui eut-on répondu que ces Indiens refufoient de don- ner le braiïelet à l'Idole, & qu'ils parloient de leurs Divinités avec le der- nier mépris , que tranfporté de colère , il jetta un bâton ferré à la tête de l'un d'eux, qui heureufement évita le coup ; après quoi il les fit fai- fir & mettre aux fers. Deux de ces Profélytes, qui s'étoient échappés, coururent en donner avis aux Miffionnaires. Les Chrétiens de la Cafle des Parias , qui font à Arcate , furent informés d'abord de ce qui fe paflbit , & ne tardèrent pas à prendre des mefures pour fecourir leurs frères. Comme la plupart avoient foin des éléphans & des chevaux de l'Armée, & qu'ils appartenoient ainfi en quelque forte au Nabab , ils trouvèrent moyen de lui faire parler par un des principaux Seigneurs de fa Cour. La réponfe du Viceroi fut des plus favorables pour les Chrétiens. Le Brame d'Ariendel eut ordre de venir rendre compte de fa conduite, après qu'il auroit remis en liberté les deux frères Chrétiens, qu'il tenoit étroitement refferrés , les pieds enclavés dans l'ouverture d'une grofle -poutre. Durant neuf jours que dura leur prifon, ils y furent attachés nuit & jour , fans pouvoir fe remuer de leur place. On avoit déjà chafTé leur famille de la maifon , enlevé leurs befliaux & mis le fceau à la porte. Le Brame étoit fi irrité contre fes Prifonniers , qu'il ne parloit que de leur fai- re couper la tête. Quoique la chofe palTât fon pouvoir , ce font des me- naces dont l'Indien timide fe laiiTe aifément effrayer. Il s'en fervoit prin- cipalement pour engager les Chrétiens à adorer les Dieux du Pays ; mais leur confl:ance n'en fut point ébranlée. Le Père Aubert, Miffîonnaire de Carvepondi, traitoit, par le moyen d'un Catéchifl;e, avec le Gouverneur de Tirouvatourou, auquel le Brame d'Ariendel étoit fubordonné , lorfque les or- dres vinrent de la Capitale , qui firent entièrement celfer cette perfécu- tion (?«). En 1733, le même Père Calmette écrivoit , que la Million du Carnate s'étendoit déjà jufqu'à deux cens lieues , depuis Pondichery jufqu'à Bouc- capouram^ à la hauteur de Mafulipatnam , le dernier établilîement des Je- ...^ fuites. Il y avoit feizeEglifes dans les terres de ce Royaume, à l'ufage CaniTtc* des Miffionnaires, outre les deux de Pondichery & d'Arian-Coupan , où le Père Vicary fe trouvoit alors. QUEL- (m) Lettre du ?. Calmette, à Baliabaram, le 28 Sept. 1730. Rcc. XXI, pag. $- à 52, Oo 0 3 7 13 r» Etat des 478 DESCRIPTION DE LA Relation du Carnate. suppiémiîkt. 1733- Particulari- té» touchant celle de Chruciina- bourain. Quelques unes, nouvellement fondées, entr'autres celle de Boucca- pouram, faifoient efpérer de grands fucccs par leiu"s commcncemens. „ Nous „ avons, dit-il, des MilTionnaires , qui comptent dans leur Diflriél près de „ dix mille Difciples ". Outre ces feize Eglifes, il y en avoit encore plu- lieurs autres , auxquelles les Chrétiens donnoicnt ce nom , & qui leur fer- voient, dans les Villes , pour y tenir leurs aflemblées & recevoir l'indruc- tion d'un Catéchille. Le Père Calmette venoit de permettre à quelques Chrétiens du Diftriél de Vencatiguiry , où il faifoit la réfidcnce , de bâtir uae pareille Chapelle. „ C'eft ce qui fe pratique fur -tout, ajoute -t'il, dans la Cafte des Parias , la plus vile & en même-tems celle qui a four- ni le plus de Profélytes («). Le Gouverneur Mahométan de Velour s'en eft fait une Compagnie de Soldats , où il ne veut que des Chré- tiens (o)". En fupprimant de la dernière Lettre du Père Calmette , les avantures particulières, entremêlées de prodiges, dont elle eftprefque toute compofée, le refte offre peu de lumières pourl'Hiftoire & la Géographie du Nord de cet- te Contrée. Cependant on ne négligera pas le moindre éclairciflement qui puilfe appartenir à ces deux objets. La converlion d'un de fes Catéchiftes, nommé Paul, fournit au Mifllonnaire l'occalion de parler d'un Beau-père du Prince de Cotta - Cotta , qui étoit venu viliter l'Eglife de Chruchnabou- ram, éloignée de trois lieues de fa réfidence (p). Sa fille, nommée ^a- ha'amma , qui l'accompagnoit, quoiqu'àgée feulement de huit ans, conçut tant d'inclination pour le Chriftianifme, que dans la fuite, ne pouvant for- tir du Palais pour aller trouver les Miffionnaires, elle prit le parti de con- vertir quelqu'un des Domeftiques du Prince fon Père, & ce fut fur Paul qu'elle jetta les yeux. Celui-ci ayant reçu le Batéme , fit part de fes in- uruftions à la Princeffe. Mais il fe vit bien-tôt réduit à chercher fon fa- lut dans la fuite. II fe retira auprès du Père Calmette , qui le fit fon Ca- téchifte. La Princeffe mourut , après bien des difgraces , fans que ni fon Père, ni fon Epoux enflent voulu lui accorder la permiifion d'embrafler le Chriftianifme. „ Cependant, ajoute le Père Calmette, l'odeur de fes ver- „ tus fit encore plus d'imprelTion fur les efprits , que n'a voient fait fes dif- „ cours. Quelques Dames du Palais , fes parentes , ont reçu depuis le Ba- téme avec leurs enfans , & 1^ Prince même a paru fouhaiter qu'on bâtit une Eglife dans la Ville où il fait fa réfidence". Le Catechifte Paul , qui avoit eu la confiance de cette Princeflfe , après avoir élevé une nouvelle Chré- (m) Ceci prouve la diftinélion que les Jé- fuites mettent entre cette Calte & les autres. Ces Miffionnaires, favorifant la faufle idée des Indiens, à l'égard des Parias , les aban- donnent aux foins de leurs Catéchises, & fe gardent bien d'avoir la moindre commu- nication avt-c eux. (o) Autre Lettre du même, Vencatigui- ry, Ie24janv. 1735. Rec. XXI. pag. 450 & fuiv. Ce Miffionnaire die dans la précéden- te , que le Gouverneur de Velour avoit té- moigné, à des EurdJ)t'ens, que s'il n'étoit pas Mahométan , il fe feroit Chrétien , & qu'il approuvoit tout ce que cette Religion cnlli- gne, au culte des Images près. Rec.XXI. pag 43. (p) Cette Ville elt au Sud-Ouelt de Chruchnabouram. Il y en a une autre, du même nom, au Sud -Elt de Devandipal'é, dont on a fouvent parlé ci-delTus. Cotta, fi- giiilic Fotterejfe. Dur avoit té- Caunate. SlTI'I.ÉMENT. J736. Remarques fur la Miftion de li.iUaba- rani. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 479 Chrétknté k f^avelipadou , au Nord de Ponganour, vint demeurer dans l'E- ^'^Jf:!^^},'^^^^ glife de Bnllapouram (^), où le Père Calmette fe trouvoit en 1736. -Ce Miirionnaire s'étend fort au long fur les circonflances d'une rude perfccution que les DalTeris avoient excitée , environ huit ans auparavant , contre les Chrétiens de cette Contrée. La converfion d'un des Ciiefs de ces DalTeris, & les outrages qu'elle lui attira, de la part des autres, font des faits particuliers , qui ne nous arrêteront pas. On remarquera feule- ment, que dans le plus fort de ces troubles , Bairé Gavoudou, Oncle du Prin- ce (r) , étant malade, fit appeller le Milfionnaire , à qui il envoya des Offi- ciers de fa Maifon & des Soldats , pour l'accompagner par honneur. La vifite que le Père lui rendit fe palîa avec toute la bienféance convenable , & le Prince paroifToit entièrement réiblu d'embraiïer leChriftianifme, lorf- que. fa mort fit évanouïr , trois jours après , de fi belles cfpérances. Mais le principal avantage que le MilTionnaire retira de fa vilite, fut que les Daf- feris n'ofèrcnt poulfer plus loin leurs mauvais delTeins contre les Chré- tiens. Le Père Calmette paflant enfuite à des détails plus intéreflans fur l'état Orij^ine de des MilTions du Sud , remonte d'abord aux premières traces de celle de cj['j'l[||^y Vencaciguiry , Capitale de la Principauté de ce nom, où les Jéfuites François avoient bâti, fept ou huit ans auparavant , une aiïLz belle Eglife. Le Père Gargan , qui avoit entrepris cet Edifice , trouva matière à exer- cer fa patience, par les délais, les variations, les froideurs & les re- buts qu'il eût à elfuyer du côté du Palais. Mais il vint à bout de tout par fa douceur & par fa perfévérance. Un jour que le Prince fortoit, pour aller à la promenade , le Père l'atten- dit à Jbn retour , & lui préfenta fa requête. Il en fut reçu fort froidement comme à l'ordinaire; mais le Mifllonnaire , qui avoit pris le parti de ne pas le quitter qu'il n'en tût reçu une réponfepofitive, marcha toujours à fes côtés. Enfin , après avoir palfé beaucoup de tems à vifiter fes écuries , le Prince entra dans la falle d'audience, où il fit alfeoir honorablement le MilTionnai- re , & lui fit faire diverfes queftions par un Brame. La concefilon du ter- rain demandé fut le fruit de cette converfation , & des Officiers furent envoyés , à l'heure même, pour marquer l'emplacement de fEglife. A peine eût-on commencé fEdifice , que le Prince rendit vifite au Mif- fionnaire, qui logeoit alors fous une miférable cabane faite de feuillages. Dès ce jour même, le Frince prit de l'affeétion pour le Père, & pour la nouvelle Eghfe, qui étoit fon ouvrage. Il s'y rendoit deux ou trois foii: par mois, ik prenoit plaifir à fe faire inllruire de la Religion Chrétienne On avoit tout à efpérer de fa pénétration & de fa droiture. Mais ce fu- -«îo" vio- lent ces qualités mêmes qui abrégèrent fes jours; car quelque-tcms après il ''-'"t'L'^u P)"'"- fut empoifonné par des Brames , dont il éclairoit de trop près la conduite. te^Jr dés'chré- Ce tiens. (g) C'efl: encore la même Ville que Chin- banda. C'efb apparemment Goudi-banda, naballabaram & Ballabaiam, qui, vingt- cinq fuivant la Curte de M. d'Anvilic , qui la ans aupnravant, dit le P. Calmette , avoit place au Nord-Ouell: de la première, été ailié-gée par l'Armée de Maiffour. 11 par- ( r ) I/Auteur ne dit pas fi c'étoit le Prin- le d'une Ville voiline , qu'il nomme Couri- ce de Ballabaram , ou quelqu'autre. • 4So DESCRIPTION DE LA Si PI'I.^.MENT. vSicge tie Venrati/riifiy r'ir les Mju- fL-S, Dcdiuflion de l'Eglife dcsCbiétienf. Piifr Je la VilL\ Rri.ation du Ce Prince, dont on vantoit les lumières & l'expérience, gouvernoit abfolii- Carnate. nienc ce petit Etat, quoique Ton frère en fut alors le véritable Seigneur, comme il l'étoit encore du tems du Père Calmette. Pendant trois ou quatre ans , cette nouvelle Chrétienté devinr floriflan- te fous la proteftion de ces deux Princes. Mais les Maures ayant formé enfuite le Siège de Vencatiguiry, le Prince, qui fe vit attaqué du coté où étoit l'Eglife , envoya un détachement pour en abbatre le mur d'enceinte. Gopala Naioiidou y Beau -frère du Prince, & Rangapa Naioudou, Frère du Prince de Cangondy, que des divifions de famille avoient obligé de fe reti- rer à Vencatiguiry , voulurent être de ce détachement, afin de fatisfaire la haine fecréte qu'ils portoient au Chriflianifme. Ils allèrent bien au-delà des ordres du Prince; car ils abbatirent les toits de l'Eglife & de la Mai- fon, renverfèrent une partie des murs, pillèrent ce qui étoit à leur bien- féance, & brûlèrent tout Je refle. La Ville ne tarda pas d'éprouver le même fort de la part des Maures, & le Prince ne pût conferver fa Citadelle qu'en payant un tribut excelîîf. Quand l'Armée ennemie fe fut retirée, le Millionnaire follicita fouvent, & toujours en vain, le rétabliffement de fon Eglife. Enfin, on lui pro- pofa un autre terrain auprès de la Citadelle. Mais il ne jugea pas à pro- pos d'accepter un emplacement qui l'expofoit trop à la vue des remparts. Ainfi il fallut attendre un tems plus favorable. Au bout de deux ans, le Milfionnaire ayant fait préfenter au Prince, un type d'Eclipfe, obtint la fionnairt' ob- permilîion de bâtir fon Eglife dans l'emplacement où étoit la premièi'e, a- îi^irL'.^ P^7_ vant fa deflruftion. Peu de jours après, le Prince vint rendre vifite au Pè- *"' "" " '" re, dans fon Eglife ruinée. Il avoit à fa fuite un grand nombre d'Officiers & de Brames. Ces derniers ne manquent jamais de donner lieu à quel- ques difputes de controverfe. Le Prince les écoutoit volontiers, & ne fe laflbit point de faire des queftions intéreflTantes fur la Religion Chré- tienne. Le Millionnaire, dans la difette du bois néceflTaire pour rélever fon Eglife, fitdemander au Prince de Drongam, desEtats duquel Vencatiguiry eft un dé- membrement , la permi(îîon d'en couper dans fes forêts. Ce Prince , qui, pour le diftiinguer des Cadets, dont Vencatiguiry fait la portion héréditai- re, ell appelle le grand Prince, reçut avec bonté les Envoyés du Milfion- naire, & leur accorda la permiffion qu'ils demandoient. Il s'informa en- fuite, en détail, de la Doftrine Chrétienne, & le Père Calmette remarque, que c'ell la première fois qu'elle a été annoncée à cette Cour , où l'on continuoit de leur témoigner une aflfeftion toute particulière. Les deux Chefs , qui avoient faccagé l'ancienne Eglife de Vencatiguiry , eurent un fort funefl:e , que le Millionnaire veut faire regarder comme l'effet de des Chré- ^^ vengeance Divine , & dont le récit peut au moins fe rapporter à THif- tiens. toire de ce Pays. Gopula Naioudou s'aveugla jiifqu'au point de confpirer contre fon Prince. Il fit faire fecrétement des fers pour l'enchaîner, aulE- tôt qu'il l'auroit en fa puiflance. Le Prince , informé de fes menées four- des, le fit arrêter, & il fut chargé des mêmes fers qu'il préparoit à un au- tre. Il trouva cependant le moyen de s'évader, & d'échapper au fup- plice } mais toute fa famille fut emprifonnée & fes biens confifqués. Ses Con- Le Mif- midloii de re- bâtir fon E- Igllfe. Faveur qu'il reçoit du Prince de Drougam. Sort funeûe de deux Chefs , enne- mis oit abfolii- Seigncur, ir floriflan- 'ant formé .lu côté où d'encvnnte. Frère du :1e fc reti- :; fadsfaire en au-delà le la Mai- leur bien- s Maures, Lit excelîif. buvent , & n lui pro- pas à pro- 1 remparts. IX ans, le , obtint la emière, a- [fite au Pè- d'Officicrs eu à quel- :rs, & ne jion Chré- fon Eglife, y efl: un dé- ince , qui, héréditai- ,u Miirion- iforma en- remarque , • , où l'on catiguiry , e l'effet de iv à l'Hif- : confpirer ner, auS- ;nées four- t à un au- ;r au fup- jués. Ses Con- I PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 481 Confidens curent part au châtiment ; Un de leurs Chefs , qui avoit fuivi le fugitif, fut maflacré par lui-même; les autres furent condamnés à une grofle amende, & après l'avoir payée, ils s'exilèrent d'eux-mêmes. Rangapa Naiadou, frère du Roi de Cangondi , étoit auprès d'un de fes parens à Cadapa ■ Naîtam , Citadelle des Maures, limitrophe de Venca- tiguiry, lorfque le Prince dePonganour, qui étoit toujours en guerre avec fes voifins, après avoir pillé plulieurs Bourgades, & furpris une Citadelle du Nabab de Colalam, vint tomber fur Cadapa-Nattam, qui dépend du Na- bab d'Arcate , le plus puiffant de ces quartiers de l'Inde. Le Prince de Pon- ganour vouloit tirer vengeance d'un Maratte, qui étoit au fervice du Prin- ce fon Père, &qui, après avoir livré aux Maures, la principale Forte- reffe de fon Ecat, s'étoit retiré dans cette Citadelle. Les Troupes dePon- ganour furent d'abord repouffées avec perte ; mais elles revinrent à la char- ge, avec tant de furie, qu'elles prirent la Ville cette même nuit, & le len- demain la Citadelle. Les Prifonniers de confidération , parmi lefquels fe trouva Rangapa Naioudou, furent conduits à Ganclougallou , Place frontière où le Prince étoit relié. Le Maratte, qui s'attenJoit à la mort, avança avec une conte- nance fière, & répondit en termes fort arrogans. Le Prince, après l'avoir fait décapiter , fie le tour du cadavre , en lui infultant , & le foulant aux pieds. On fit avancer enfuite Gopala Naioadou, qui n'ayant jamais eu de démêlé avec le Prince de Ponganour, avoit d'abord obtenu fa grâce } mais il en fut exclus enfuite, fans qu'on en fâche les raifons. Le Gouver- neur de Cadapa-Nattam , qui avoit été bleffé dans l'aftion , fut amené à fon tour, avec fon fils âgé feulement de dix ans. Il conjura le Prince de fe contenter de fa mort & d'épargner fon enfiint. Mais le Prince fut in- exorable , & le fils fut maffacré aux yeux de fon père. Trente-fept perfonnes diftinguées, par leur naiflance ou par leurs emplois, périrent de la forte. Le malheureux Gouverneur fut décapité le dernier, parcequ'on voulut le ren- dre témoin de cette tragique fcène. Le Prince de Ponganour fit apporter toutes ces têtes, fur lefquelles, en fe mocquant , il jetta des lleurs, com- me par manière de facrificc. Le lendemain il les fit tranfporter à fa Capi- tale, où il s'en fit un triomphe barbare, ayant fait attacher deux de ces têtes aux deffenfes de l'éléphant qu'il montoit, tandis que ceux qui le pré- cedoient, par un jeu également cruel , jettoient les autres têtes en l'air, & les recevoient dans leurs mains. Ces têtes furent expofées tout le jour devant la falle des Gardes, & on les fufpendit le lendemain, près de la Vil- le , entre deux colomnes. Il en coûta cher au Prince, pour s'être ainfi livré aux mouvemens de fa colère. L'Armée des Maures promptement affemblée, &. les Princes tributaires réunis, ayant formé un Corps d'Armée confidérable , entrèrent dans le Pays de Ponganour. Le Prince perdit courage. Au defefpoir de ne trouver de falut que dans la fuite, il fit tenailler celui dont les confeils l'avoient précipité dans le malheur ; après quoi il ne fongea qu'à ga- gner au plus vîte fa principale ForterefTe dans les montagnes. Mais ne s'y croyant pas encore en iùreté , il fe rendit à Cadapa , comptant mal-à- propos fur la protection du Nabab , dont il étoit tributaire. Celui - ci , XIIL Pan. Ppp qui Relation dv Carnatb. St'PPI.ÉME.NT. Prife de Cadapa-Nat- tam , par le Prince de Ponganour. Cruauté de ce Prince. Il -éprouve à fon tour les revers de la fortune. 4^: DESCRIPTION DE LA Rrr.ATroN nu Caknate. SlPf'KMaNT. Dcliruclion de Pon^;;iiioiir & de IK^life des Chrétiens, II? font ré- tabli? vl.ins ccitc Villj. Particulari- tés relatives auxMiffions du Nord. Lkheté du Prince envers Jes Rcddis Chrétieiîs. Ils fortent dt' fes Etats. qui é:o\i djitc'iiit^cticc avec lo Nabab oHciilc , l'amufa pendant quel- que-tcms, *l!c le nÙL enfuiic aux fers, oii il éLoit encore en 1736. Cependant la Ville de Ponganoiir fut prill- après (^uelques jours de réfidance. Le Paliis du Prince fut déiruic, la Ville brûlée tS: l.s murs ren- verles. Les Chrétiens eurent part à la défûiaLion commune, 6: Lur Ey:,\\- fe ne fut pas épargnée. Les Maures , après avoir mis la Principauté iur la tête d'un Enfant du Prince, établirent le IJrame Summapa pour Général de l'Etat, donnèrent la paix ù tout le Pays, «!:ic fe retirèrent. Le Millionnaire n'ayant pii , durant ces troubles, vifiter la Chrétienté de Ponganour, profita des premiers momens de calme pour s'y rendre. I! ciioilit la maifon d'un Chrétien, la plus propre à fervir d'Eglife, ik il fit propoi er une entrevue au Brame Adminiflrateur. Celui-ci fit l'honneur au Millionnaire de venir le trouver avec une fuite de cinquante pcrfonnes. On parla d'abord de Scier^ces, & enfuite de Religion. A la fin de cet entre- tien, le l'ère demanda un ^terrain dans l'enceinte de la Ville, pour y bâtir une Maifon , & le Brame le lui accorda. Cette Maifon fut bien - tôt con- Itruite, & ne tarda pas à enfanter de nouveaux Chrétiens. La fin de cette Lettre contient un Supplément curieux, aux Relations du Père le Gac, dont elle fert à éclaircir pîufieurs circonflanccs. La nouvelle Chrétienté de Bouccapouram, s'étoit fort accrue depuis deux ans. On y comptoit entr'autres, la famille des Rcddis Tammavaron , principaux fonda- teurs de f Eglife de J\'ladiggouba. Cette famille , dont le Chef avoic été bfirifé par le Père le Gac, pîufieurs années aupara\'anc, s'étoit augmentée depuis ce tems là, jufc'u'à près de deux cens -perfonnes , & pofledoit de grandes richelles. Les Reddis Tammavarou denieuroicnt autrefois à /l- lamourou^ qui eit de la dépendance d'Anantapoiu'am. On les défera aux Marattes comme puiflamment riches. Madm Raioudoti , Brame Ma- ratte, qui étoit à la tête d'un Camp volant, alla aftîégtr la Ville. Les Reddis, qui en étoient les maîtres, comptant peu fur le fecours du Prin- ce, dont le Gouvernement étoit foible, prirent le parti de le défendre; & faifant des Habitans autant de Soldats, ils foutinrent le Siè^e pendant trois mois. Durant ce tems, il n'y eut pas un feul Chrétien de blelTé, tandis que les ennemis perdirent une grande partie de leur Armée. Cependant le Chef des Reddis Chrétiens fe rendit à la Cour, pour expofer au Prince les befoins de la Citadelle. L E Prince lui donna des armes , en récompenfe de fa bravoure, & le fit conduire en triomphe par la Ville'fur l'on éléphant ; mais au-lieu de lui four- nir le fecours qu'il deir.andoit, il abufa lâchement de fa confiance, Ô: le for^a de lui faire un billet de fix mille pilLoles. Aussi -TÔT que le Reddi fut de retour à Alamourcu, il alTembla fcs frères, & après leur avoir rapporté la criante & hontcufe vexation que Jeurs richeffes leur avoient attirée, de la part de leur propre Prince, ils pri- rent de concert la réfolution d'abandonner le Pays , & dj retourner à Bouc- capouram , d'où ils étoient fiortis autrefois. I^'exécution en étoit diflScilc. La multitude de leurs belliaux, leurs efllets, leur argent, & plus que tout cela, im grand nombre de petits enfans, rendoient la marche périlleufe & embarrafiTante. Ils prirent le tems de la nuit , pour fe dérober à la vigilan- ce de leur Ennemi , & leur marche fut des plus heureufes. Quel- 5» (Jant qncl- es jours de s murs rcn- : Lur Ef^li- cipautc liir )ur G encrai ircticnté de rendre. Il le , Ck il fie 'honneur au foniies. Ou : cet entre- )ur y bâtir ;n-tôt con- vc!arions du I.a nouvelle ans. On y laux fonda- •F avoic été aiignu ntée •)ofled(iit de ;refois à yJ- défera aux i3rame Ma- Ville. Les irs du Prin- lé fendre; & endant trois .'lie, tandis \pendant le u Prince les ire, & le fil' 1 de lui foui- ance, & le alTembla fcs exation que nce , ils pri- mer il Bouc- ;ûit difficile, us que tout péril leufe 6c ù la vigilan- QUEL- PRESQIJ'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. IIÏ. 483 Quelque tems après leur départ, le Prince d'Anantapouram en étant informé, Lur envoya des Députes pour les engager à relier dans fes E- tats," mais cette négociation ayant été inutile, il en envoya d'autres avec une Compagnie de Soldats pour appuyer la négociation. Cette féconde Députation arriva trop tard, 6c les Reddis n'étoient plus fur les Terres du Prince. Ils a\'oicnt fait vœu, en partant d'Alomourou , que s'ils obtenoient un établillémeiit, dans le lieu où ils le retiroient, ils y batiroicnt une Egli- fe à Lur» fraix. Ils continuèrent paifiblement leur route, qui étoit de qua- tre-vingt lieues, & cette nombreufe famille arriva à Bouccapouram fans la moindre incommodité. Le Prince leur donna d'abord une ferme du Do- maine , ^ &^ .V .V ^ ^\f^ 1.0 m §15 1^ l.l ■ 2.2 lU I Mil 1^ ilià Ëà 'm /a ^ ^^?-' Photographie Sciences Corporation A \ ^> \\ ». 23 WEST MAIN STMET WEBSTER, N.Y. MSSO (716) 873-4503 'v- Ret.atton ou Carnatb. SUPPI l^MENT. 1736. Citadelle de Carnate. Arear, gran- de Ville & réfldence du ViciToi du Mogol. Forterefle ie Velour. Eglife au Nord de cet- te Ville. Prince Tim- manaiken, tributaire du Nabab de Velour. 484 DESCRIPTIONDELA n de la montagne fur laquelle eft fituée la fameufe Citadelle nomme'e Carna-' ta, qui a donné fon nom à tout le Pays (v). Mon Eglife efl: bâtie au pied d'une grande chaîne de montagnes , d'où les tigres defcendoient autrefois en grand nombre & dévoroient quantité d'hommes & d'ani- maux. Mais depuis qu'on y a élevé une Eglife au vrai Dieu , on ne les y voit plus paroître, & c'efl: une remarque que les Infidèles mêmes ont faite (x). „ J'ai une féconde Eglife k Jrear (y), où l'on compte plus de quatre mille Chrétiens. C'ell une grande Ville Maure , à laquelle on donne neuf lieues de circuit; mais elle n'efl pas peuplée à proportion de fa grandeur. Le Nabab y fait fon féjour ordinaire. C'efl: le Viceroi de ce Pays pour l'Empereur Mogol. Ces fortes de Vicerois font plus puif- fans que le commun de nos Vicerois en Europe. „ J'ai foin d'une troifième Eglife à ^(?/o«r, autre Ville Maure également confidérable, & la demeure d'un Nabab différent de celui d'Arear. On y voit une forte Citadelle à double enceinte, avec de larges foffés tou- jours pleins d'eau, où l'on entredent des crocodiles pour enfermer le palfage aux ennemis. J'y en ai vu d'une groffeur énorme. Les Crimi- „ nels qu'on leur jette, font à l'infliant mis en pièces, & dévorés par ces cruels animaux. Ce font les anciens Rois Marattes , qui ont confl:ruit cet- te Citadelle. Elle eft encore recommandable par un fuperbe Pagode, qui fait maintenant partie du Palais du Nabab. „ A une journée de Velour , tirant vers le Nord, j'ai une autre Eglife, bâtie dans une forêt, toute compofée de ces arbres merveilleux, dont les Indiens retirent tant de ferviccs. C'efl: ce qui a beaucoup contribué à peu»- pler cette forêt , où l'on voit un grand nombre de petites Habitations. Dès que je fus arrivé à la mienne , j'eus peine à fuffire à toutes les vifires qu'on me rendit; & plufieurs de ces Indiens, que mes difcours avoient édifiés, me promirent de venir, dans la fuite, écouter mes inftruâions. Après deux jours de repos, je commençai mes courfes accoutumées dans les Villages. „ Le Prince, nommé Timmanaïhn^ dans les Etats duquel efl: mon E- glife (2) , efl tout-à-fait contraire à la Loi Chrétienne. Cependant j'ai jufques dans fa Cour , trois familles de Catéchumènes , qui ne crai- gnent point de s'attirer fa difgrace. Mais ce Prince , encore plus politique qu'ennemi de la Religion, étant tributaire du Nabab de Ve- „ lour, fans prêts d'expirer. Les autres Miflîonnai- res en avoient pareillement bâtifé un grand nombre chacun dans fon diftrift. Cette der- rière Lettre du P. Calmette ne contient pas d'autres éclairciflemens hiftoriques, Rec. xxir. pag. Us & 444. (v) Cette remarque intéreflante paroit être échappée à Mrs. d'Anville & Bellin, dont les Cartes n'ofFrenc point de Place par- ticulière appellée Carnate; à moins qu'on ne veuille chercher ce nom fur la Côte Oc- cidentale, dans le Royaume de Camra, oîi ils le donnent l'un & l'autre à un Bourg fl- »j »» 5) 5» )> }> J» >» î> 5> 9i J> î> JJ » » J» » i» »> J» J5 » tué au Nord de Mangalor, & qui doit être plutôt Camra , fuivant les Cartes Uollan- doifes. (x) Amefurequ'un Pays fe peuple d'hom- mes, il fe dépeuple d'animaux féroces. Les Infidèles font trop philofophes fur ce point, pour y fuppofer quoique caufe furnaturelle. (y) C'eft Arcate , lieu de la réfidencedu grand Nabab , ou Viceroi de tout le Carnate. (2) C'ell apparemment celled'Atipak 'm, d'où le P. Siignes date fa Lettre, & qui elT: fituée dans les Terres du Cbila-naikcn, au Sud-Oueft de Gingi. s mêmes 3> » 5> » >> ï> J> JJ îï ÎJ PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 485 lour, n'ignore pas que ce Nabab m'honore de fa proteftion. Un de mes Catéchiftes , ayant tté maltraité , fans raifon , par un iirame, Inten- dant du Prince, je crus devoir l'en informer & lui en demander juftice. Le Prince répondit, que le Brame, mécontent de fonfervice, s'étoit re- tiré hors de fes Etats ; Mais fur la menace que je lui fis de m'addrefler au Nabab de Velour, il m'envoya un Exprès pour me dire qu'il feroit revenir fon Intendant , &qucj'cufre à lui envoyer le Catéchille, avec promeffe qu'il examineroit cette affaire. Ils parurent l'un & l'autre en fa préfence. Le Prince , reconnoiflant le tort de l'Officier , lui ordonna de faire excufe au Catéchille. Le furlendemain j'envoyai remercier le Prince , & lui fis demander en même - tems la permiiTion de prêcher li- brement dans fes Etats. ' Elle me fut accordée , & durant les huit jours que cette affaire traîna à Toumande (a), où réfide le Prince, la Loi de Dieu fut plus annoncée aux Grands , qu'elle ne l'avoit été depuis trente ans dans cette Cour". Le Millionnaire, dont on abrège le récit, en confervant fes propres termes , s'étend î^eaucoup fur les effets de cette prote6lion du Nabab de Velour, dans la perfonne duquel, la Religion perfécutée trouvoit toujours un appui contre la fureur des Princes Gentils. Sa garde étoit compofée d'une Compagnie de vingt-cinq Chrétiens , & il y en avoit un grand nom- bre dans fon Armée. Ce Seigneur Mufulman avoit envoyé, depuis peu, au Père Saignes, deux Officiers Brames , pour le prier de venir adminiftrer les derniers Sa- cremens à un de fes Médecins. A fon arrivée à Velour, le Nabab lui fit Y>ré{'entQr le Battiam , ou la nourriture de chaque jour, qui conlifte en une mefure de riz , une demie mefure d'une forte de pois du Pays , du beurre , & quatre pièces de monnoye de cuivre , de la valeur d'un fol , pour ache- ter du poivre , du fel & du bois. C'eft la manière la plus honorable & la plus polie, dont les Grands reçoivent les Etrangers. Le MilTionnaire fut traité de même pendant les quinze jours que ce Viceroi le fit reflier à Velour, pour terminer, félon les règles de la Loi Chrétienne, quelques dif- férends furvenus entre les Chrétiens de fa Cour. Après quoi il lui fit dire qu'il vouloit le voir avant fon départ , & qu'il fenverroit chercher. Le lendemain matin, un Officier de la Chambre & un Ecuyer, lui ame- nèrent un cheval, magnifiquement caparaçonné , fur lequel le Miflionnai- re monta pour fe rendre à la Cour, fuivi de ces deux Officiers & de qua- tre de fes Difciplcs. Arrivé à la première porte , il y fut reçu par deux autres Officiers de la Garde, &fix Soldats, qui après lui avoir fait tra- verfer une grande cour, le remirent, à une féconde porte, entre les mains d'autres Olliciers. Ceux-ci le conduifirent , par une autre grande cour, dans une longue gallerie, où le Nabab étoit affis fur une eflrade couverte d'un riche tapis. Toute fa Cour étoit debout fur les deux aîlcs de l'eflra- de. Un Huiffier, tenant une baguette d'argent à la main , précedoit le Mifllionnaire, & le mena jufqu'au bas de refbrade. Le Nabab lui ayant fait figne de monter, fe leva, l'embralfa, & le prenant par la main , le fit afleoir (a) Ce lieu n'efl; pas marqué dans la Carte de M. d'Anville. l'PP 3 Relation du Carnate. Supplément. '7 3^- ntVcts de la protedion de ce Nabab. Audience qu'il donne au Pc-re Saignes. 4?^6 DESCRIPTION DE LA Sl'ii'I.J^mknt. 1 7 3 ^>- DefiT'ption (lu ccic'ire 'l'eiuplc de Tirouiiairia- Icy. Relation du afTcoir auprès de lui, & reçut, avec bonté , quelques bagatelles que le Père Cahn'ate. j^^-j pi-iifunca, pour fe conformera la coutume des Indes. Le Viceroi lui iic diverfes quedions fur le gouvernement, fur les mœurs & les ufages de riiurope. Il parut Uitisfait de ^,: réponfes; mais ce qui lui fit fur-tout plai- lîr, c'eft que le Miiiionnaire lui parloit en langue Maure. Cependant l'heure de laudience publique approchant, le Nabab le congédia, après lui avoir pniienté le bétel, que les Grands donnent à ceux qu'ils honorent de leur ellime. Dans un Voyage que le Père Saignes fit à Courtempetti , où il avoit uneEglife, il paMli par Juowiamaky, qui fignifie la Sahite Montagne, une des plus anciennes ëcdcs plus fameufes Villes de ctttJ Peninfule. L'idée générale qu'on a pris de la magnificence de fes édifices , dans la Rela- tion du Père Barbier (/;), doit en avoir fait fouhaiter une defcription plus particulière. Le Père Saignes, qui eut la curiofité de voir ce Temple, dont les Indiens racontent tant de merveilles , le compare à une Citadelle, de forme quarrée , qui f eroit environnée de fofles & d'une forte muraille de pierre de taille , dans un circuit d'environ un quart de lieue. Chacun de fes angles cil: flanqué d'une tour quarrée, d'une hauteur prodigieu- fe. ■ Les façades font ornées de repréiencaiions de toutes fortes d'animaux; elles font terniinées en tombeau, IbCitenu aux quatre coins par autant de taureaux, & furmouLé de quatre petites pyramides. Sous chaque tour cfl une vafte falle, où l'on conferve les chars des Dieux, & plufieurs au- tres meubles du 'l'emplc. Jl n'y a qu'une feule porte à rOrient, fur laquel- le efl une cinquième tour, plus belle que les autres, & chargée d'ouvrages de fculpture jufqu'au fommet. La perfpeélivey elt fi bien ménagée, qu'à proportion que la tour s'élève, les figures y font auffi plus grandes. Cet- te tour s'appelle la Tour de Fitchnou, parcequ'on y a repréfenté les neuf mé- tamorphofes de cette fauffe Divinité des Indiens (c). La falle, qui efl fous cette tour , fert de Corps de garde à des Soldats, prépofés pour empêcher le defordre. Quand il fe préfente des Etran- gers de confidération , on leur fait l'honneur de leur donner un Soldat & un Gardien du Temple, qui les conduit par -tout. En entrant dans cette vaflie enceinte , qui efh toute pavée de pierre de taille , on voit d'abord la façade du Temple , quia foixante pieds de hauteur, & qui efl ornée de quatre corniches d'un travail bizarre. Sur les corniches, on a placé, de diftance en diftance, des ftatues des Dieux. La longueur du Temple eil d'environ cent cinquante pieds fur foixante de largeur. La voûte ell foû- tenue de deux rangs de piliers , chargés des hiftoires de Bruma. Les mu- railles font couvertes de peintures à l'huile, qui repréfentent des facrifi- ces,tt des danfes fort obfcènes. Le fond du Temple efl: rempli par fix colomnes, fur chacune defquelles efl: placée une Décile, tenant des iîeurs en fes mains. On efl: frappé de voir , entre les colomnes , une flatue de Routren, d'une taille gigantefquc, qui efl debout, tenant de la main droite un (b) Voyez ci-deflus, pag. 452. en un Roi, nommé Ramen, qui eft né trois (c) Ces neuf métamorphofes font, i®, en fois fous la mê'ne ti{;arf; & 9". en un Hi- PoiflTon, 2°. en Tortue, 3°. en Cochon, 4". ros, nommé Cbrisnen. en Homme-Lion, 5<'. en Brame, ô'^. 7^. & 8, PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 4^7 un fi.brc nud, ayant des yeux étincellans, &. un air terrible; aufll l'appelle- Rei-ation na l'on le Dieudejhuâeitr. Un taureau furieux, qui ell la monture' ordinaire, c ^,[;,'^^*,rnt eft placé en dehors, à l'entrée du Temple, fur un picdelhil haut de qua- *■ i-n^j. trépieds, ayant la tète tournée vers la prétendue Divinité. Ce taureau, qui eft de grandeur naturelle, eft fait d'une feule pierre noire, auiVi polie que le marbre. C'étoit au goût du Millionnaire, qui en fut Airpris, la figure la plus régulière, & la plus hardie, qu'il eut vu dans ce Temple. Tout le relie lui parut peu naturel , gêné )i lims vie. En fortant du Temple, on trouve, du côté du Sud, une belle cfplana- de, au bout de laquelle fe voit un fort grand étang, plus long que large. On y defcend par de grandes rampes. C'ell-là que les Bram.cs , avant la prière & les autres fonèT;ions qu'ils ont à remplir dans le 'i'emple, vien- nent fe laver & fe purifier. A rOuefl: du Temple, on trouve une efpècc de petite Chapelle, où l'on a fix marches à monter: mais auparavant il faut fe laver les pieds, dans un baflîn toujours plein d'eau, qui ell au bas de cet efcalier. Le Brame, qui étoit à la porte de la Chapelle, voyant que le Miffionnaire fe difpenfoit de cette cérémonie , y rentra au plus vi- te, & en ferma la porte. Celui qui accompagnoit le Père Saignes, vou- lut lui faire quitter fa chauffure de bois, pour marcher nuds pieds comme les autres; & le Père Saignes, fans nous dire s'il eût cette complaifancc , le laiffe deviner , en ajoutant , que la coutume du Pays ne permet pas d'être chaulle dans la maifon même d'un Particulier un peu confidé- Table. On le fit tourner cnfuite fur la droite au Nord. Une place élevée, de la longueur de fcLang, qui eft au Midi, lait un point de vue admirable. C'cft une colonnade magnifique, ouverte de tous côtés, & plafonnée de belles pierres de taille. Il y a neuf cens colomnes ; chacune d'une feule pierre haute de vingt pieds. Elles font toutes ouvragées , <^ repréfentent des combats de Dieux avec des Géants, & divers jeux de Dieux & de DéelTes. Le travail en eft immenfe. C'cft-Ià que les Pèlerins, qui vien- nent de toute l'Inde vifitcr ce Temple célèbre, fe retirent en partie du- rant la nuit. Derrière cette colonnade, à cinquante pas plus loin, com- mence un Corps de Logis qui règne jufqu'à la muraille de l'Eft. C'eft-là que logent un grand nombre de Brames, d'Andis, de Saniaflis, de Sacri- ficateurs, de Gardiens du Temple, de Muficiens, de Chanteufes & de Danfeufes , filles fort au deflbus d'une vertu médiocre , qu'on appelle pour- tant, par honneur, Filles du Temple^ ou Biles des Dieux. Jl leur étoit arrivé, l'année deriiière , une allez plaifante hiftoire, que le Millionnaire raconte avec trop de naïveté pour rien changer à fes termes. Le Gouverneur Maure de cette Ville fit dire à ces filles, qu'il avoit riaifanre une fête à donner tel jour qu'il leur marqua; qu'il fouhaitoit qu'elles s'y avamure arri- trouvaffent , & qu'elles en feroient tout l' agrément, pourvu qu'elles y vinf- véc aux iilles fent avec tous leurs atours; & que s'il étoit content d'elles, il fyauroit pi'g/ ^^' bien leur en témoigner fa réconnoiflance. Elles s'y rendirent au nombre de vingt , avec leurs habits & leurs parures les plus fuperbes; chaînes d'or, . colliers , pendans-d'oreilles , bagues , braflelets de diamans & de perles , & tout ce qu'elles avoient d'ornemens les plus riches & les plus précieux, rien ne fut oublié. Quami 483 DESCRIPTION DE LA Relation du Cahnatr. Sui'PI.ÉM"-NT. Le Gouver- neur Maure Jes (JébarrafTc de leurs or- nemens. Courres & fouffrances du MiOion- mite. Dangers qu'il tvitc. j» Quand le feftin fut fini, & qu'elles eurent bien chante, danfë, épuî- fé tous leurs tours d'adrefle, & qu'elles s'attendoient à recevoir de magni- fiques préfcns , le Gouverneur les invita à entrer dans une autre falie, où il palla auiîi lui-même avec quatre de fes Officiers, & ferma la porte. 11 les fit enfulte ranger félon l'ordre de leur ancienneté. „ Vous avez bien dan- „ fé, Mesdames, leur dit-il; mais vous danferez encore mieux & plus lé- „ gèrement, lorfque vous ferez déchargées de tout ce poids d'ornemens 5, inutiles. JVlettez , chacune à vôtre rang-, tout ce vain attirail fur cette „ table". Et s'addreflant à la première; „ Vous, Madame, qui êtes la „ plus ancienne, commencez la première". Elle obéît, puis on lui ouvrit la porte, & on la fit fortir. On en fit autant à toutes les autres; après ■ quoi le Gouverneur les fit reconduire fort poliment au Temple. Il efl à re- marquer, que les Maures, qui regardent les Gentils comme leurs Efclaves, ne font nulle difficulté de s'approprier leurs biens, quand ils en trouvent l'oc- cafion. L'Alcoran leur donne ce pouvoir, dans les Pays qu'ils ont conquis fur les Idolâtres. Après avoir fatisfait fa curiofité à Tirounamaley , le Miffionnaire fe rendit à Courtempetti, où il s'arrêta quatre mois, pendant lefquels il fit encore une tournée à Velour, mais en fécret, „ parceque, dit-il, quoique le Nabab nous protège, nous n'entrons guères dans cette Ville que la nuit, & avec précaution (d)". Ces fréquentes courfes , fous un climat brûlant, jointes à de continuels travaux, incommodèrent fi fort le Père Saignes, que fes SLipcrieurs jugèrent à propos de le rappellera Pondichery pour quelque-tems. Il fait la peinture de fes fouffVances. „ Durant ces chaleurs extraordinaires, qui ont défolé le Pays , j'ai changé, dit-il, juf- qu'à trois fois de peau; elle tomboit par lambeaux, à -peu -près comme elle tombe aux vieux ferpens;&ce qui me faifoit le plus de peine, c'eft que la peau nouvelle qui revenoit, n'étoit pas plus noire que la première ; & la couleur blanche n'efl pas favorable en ce Pays , à caufe de l'idée de Prangui que ces Peuples y ont attachée. Quand , dans un jour de marche, nous trouvions un peu d'eau toute bourbeufe, nous nous croyions heu- reux, & elle nous paroiflbit excellente. Une fois la nuit nous furprit dans un bois, fans avoir pu rien prendre de tout le jour. Il nous fallut coucher fous un arbre, après avoir allumé du feu pour écarter les tigres, les ours & les autres bêtes féroces. Malheureufement le feu s'éteignic pendant nôtre fommeil , & nous fumes réveillés par les cris aftreux d'un tigre qui s'approchoit de nous. Le bruit que nous fîmes , & le grand feu que nous allumâmes promptement, l'éloignèrent; mais il ne nous fut pas poffible de fermer les yeux le refte de la nuit". Une autre incommodité vient de la part des ferpens , qu'on trouve en quantité dans ce Pays. Un jour que le Père Saignes s'étoit endormi fous un arbre, il fut réveillé par les cris extraordinaires d'un oifeau qui fe battoit avec (d) Dins un autre endroit, ce Miffion- naire , qui écrivoit à une Dame , la prie , „ de „ demander pour lui, au Seigneur, qu'on ne „ s'en tint point à de vaincs menaces, comme „ celles qu'on lui avoit fait quelquefois, de !u» n J5 5> ï» J> J) i> )5 J) 91 >» >J JJ „ arracher la langue , de lui couper les „ pieds & fendre la tête en deux ". Pour- quoi donc fe cacher, dans un lieu même où on les protège ? PRESQU'ISl-E EN DEÇA DU GANGE, Liv. III. 48P tvec un ferpent fur cet arbre. Le ferpent mis en fuite, defcend & s'élan- ce fur le Miffionnaire, qui ayant fait un mouvement, en fe levant, l'cmpé» cha de l'atteindre. Il étoit long de quatre pieds & parfaitement vcrd. Cette forte de ferpent fe tient ordinairement fur les arbres , & ne s'at- tache qu'aux yeux des Paflans , fur lefquels il fe jette (e). Le Père Sai- gnes avoit toujours douté qu'il y eut des ferpens à deux têtes j mais il eut roccafion de s'en convaincre par fes propres yeux, en examinant une couleu- vre qui avoit été tuée dans fa chambre, & qui fe défendoit des deux ex- trémités du corps. Ce ferpent avoit en effet deux têtes , dont les mor- fures font également morcelles. Delà première, qui efl: la mieux formée, il mord; & la féconde , qui n'a point de dents comme la première, efl ar- mée d'un aiguillon dont il pique. Le plus gros ferpent qu'il eût encore vu , c'étoit celui qu'on nourriffoit dans un Pagode de Gentils. Il étoit auflî gros que le corps d'un homme, & long à proportion. On lui offroit, fur un pe- tit tertre fait exprès , des agneaux , de la volaille , des œufs & autres chofes femblables qu'il dévoroit à l'inflant. Après s'être bien repu de ces offran- des , il fe retiroit dans le bois voifin qui lui étoit confacré. „ Aufli - tôt „ qu'il m'apperçut , dit le Millionnaire, il fe dreffa de la hauteur de deux „ coudées , & toujours les yeux attachés fur moi , il enfla fon col , & pouf- „ fa d'affreux fifflemens. Je fis lefignede la croix, Ê? me retirai bien vite {/)"» L'e X t r ê m e mifèrc , qui depuis deux ans étoit générale dans tout le Car- nate , avoit enlevé un grand nombre d'anciens Chrétiens. Pendant ces deux années, il n'étoit pas tombé une feule goutte de pUiye. Les Puits, Jes E- taîigs, plufieurs Rivières même, avoient été à fec; & tous les grains brû- lés dans les campagnes. Rien n'étoit plus commun parmi ce pauvre Peu- ple, que de paffer un & deux jours fans manger. Des familles entières, abandonnant leur demeure ordinaire , alloient dans les bois , pour fe nour- rir de fruits fauvages , de feuilles , d'herbes & de racines. Ceux qui avoient des enfans , les vendoient pour une mefure de riz ; d'autres qui ne trou- voient point à les vendre, les voyant mourir cruellement de faim , les em- poifonnoient pour abréger leurs fouffrances. Un père de famille vint trou- ver un jour le Miffionnaire, „ nous mourons de faim, lui dit -il; donnez- „ nous dequoi manger , ou je vais.enipoifonner ma femme, mes cinq en- „ fans, & enfui te je m'empoifonnerai moi-même". Dans des occafions femblables, les charitables Pères facrifioient jufqu'à leurs propres befoins. Le fruit qu'ils retiroient de leurs libéralités, étoit de donner le Batême à une infinité d'enfans de parens idolâtres. . Ar E AR efl une grande Ville , où la famine faifoit le plus de ravages, & c'étoit auffi le lieu où l'on prioit avec le plus de ferveur pour obtenir de la pluye. Le Nabab, en habit de Fakir, ou de Pénitent Mahométan , tête nue , les mains liées avec une chaîne de fleurs , & traînant une chaîne pa- reille qu'il avoit aux pieds, accompagné de plufieurs Seigneurs de fa Cour, tous dans le même équipage, fe rendit en grande pompe à la Mofquée, pour (e) Voyez ci- deflus, pa^. 411. jouter toujours un fécond moyen au pre» (/) Le Miffionnaire femble être intérîeu- mier, pour le rendre efficace, lement perruadé de la néceffité qu'il y a d'a- XUL Part, Qqq ' Rrt.atiow 00 Caunate. SurrtÉMENT. Serpent verd. Couleuvre à deux têtes. Gros fer- pent adoré dans un Pa- gode. Séchereff* & famine qut défoie le Pays. Pénitences extraordinai- res des Mau* res & des Gentils. iO^ D E S C II 1 P T I O N DE LA Relation nu Carnatu*. Supplément. Incurfion des Maiattes. Remarques géographi- ques touchant le Carnace. Gouverne- ment Je Tes divers Etats. pour obtenir de la pluye au nom de Mahomet. Ses vœux furent inutiles, ^ la fécherefle continua à l'ordinaire. Quelque-tems après, un fameux Pé- nitent Gentil, que les Infidèles regardoient comme un homme à miracles, fe déchiqueta tout le corps avec un couteau, en préfence du Peuple, en promettant une pluye abondante. Il ne fut pas plus exaucé que le Nabab. Quatre mois après, un Chef dus Fakirs fe fit enterrer jufqu'au col, bien ré- folu de ne pas fortir de fa folle que la pluye ne fut venue. Il pafla ainfi deux jours & deux nuits , ne ceiJant de crier de toutes fes forces au Pro- phète, qu'il y allait de fa gloire s'il n'accordoit pas de la pluye. Enfin, per- dant patience , il fe fit déterrer le troifième jour , fans qu'il fut tombé une feule goutte de pluye, bien qu'il l'eût promife avec tant d'aiïurance (^g). Ces calamités publiques furent fuivies, peu de tems après, d'une irrup- tion des Marattes, qui vinrent fondre à main armée fur toutes les terres de la Peninfule de l'Inde. Les circonflances de cette guerre famcufe font rap- portées dans une autre Lettre du même Millionnaire Ç)); mais comme el- les forment une partie eifentielle de l'Article de Pondichery , que nous a- vons détaché du Tome IX. de l'Edition de Paris , pour le faire reparoîcre , dans le Volume fuivant , augmenté de nouveaux détails intérefllms ; c'efl ici que nous bornerons les Relations du Carnate , dont l'Hidoire devient in- féparable de celle des Contrées Méridionales qui nous relient à décrire, ainfî que toute la Côte Orientale de la Prefqu'Ille , entre le Cap de Comorin & le Gange. QuiiLauES remarques géog.aphiqucs, qui n'étoient pas néccfTairemcnt liées avec les détails précedens, termineront cet Article. La Million du Carnate, dit le Père de la Lane, commence à la hauteur de Pondichery, & n'a point d'autres limites, du côté du Nord, que l'Empire du Mogol. Du côté de rOuefl , elle efl: bornée par une partie du Mailîbur. Ainli par la Million du Carnate , on ne doit pas entendre feulement le Royaume qui porte ce nom. Elle renferme encore beaucoup de Provinces & de difterens Royaumes, qui font contenus dans une étendue de Pays fort vafte ; de-forte qu'elle comprend , du Sud au Nord , plus de trois cens lieues dans fa lon- gueur, & environ quarante lieues, de l'Ell à l'Ouefl, dans fa moindre lar- geur, & dans les endroits où elle efl: bornée par le Maiflbur : Car par- tout ail- leurs elle n'a point d'autres bornes que la Mer, des deux côtés de la Prefqu'Ille. Les principaux Etats de cette grande MilTion, font les Royaumes de Carnate, deVifapour, de Bifnagar (i), de Canara (^) & de Golkonde. On ne parle point d'un grand nombre de plus petits Etats , dont quelques- uns ont déjà été nommés, &qui appartiennent à des Princes, ou Seigneurs particuliers, pour la plupart tributaires du Grand Mogol. A cette condi- tion, on leur a laifle la conduite de leurs Provinces; mais ils font dans une telle dépendance , que fur un fimple foupçon , on les dépouille fouvent de leur (g) Lettre du P. Saignes, 3 Juin 1736. Rec. XXIV. pag. 185- à 265. (b) Du 18 Janv. 1741. Rec. XXVI. pag. 257 ( i) Ou Bijanagaran,Mvinl le Miffionnaire. (*) C'en le nom fous lequel le Pays elt le plus connu ,• Le Père de la Lane lui donne celui d'Ikkeri, qui ell le nom de la Capitale des Etats d'un petit Prince, fituée à l'Orient duCanara propre & des montagnes de Gâte, par le quatorzième degré de latitude fepten- tiionale, fuivant la Caite de M. d'Anville. !: inutiles I ameux Pc- miracles , euple, en e Nabab. , bien rti- pafla ainfi is au Pro- !)nfin,per- ombé une ice (g). une irrup- 1 terres de e font rap- :onime el- e nous a- cparoître , ans ; c'efl: kvient in- crire, ainfi ^omorin & flairemcnt .a Million Dndichery, 'Jûgol. Du in(i par la yaume qui 2 difterens ; de-forte ns fa lon- aindre lar- ir-tout ail- refqu'Iik. yaumes de aolkonde. quelques- Seigneurs tte condi- c dans une Duvent de leur le lui donne 2 la Capitale e à rOriene es de Gâte , tude fepten- d'Anville. PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE, Liv. IIL 491 leur Souveraineté; de-forte qu'on peut dire qu'ils font moins les Maîtres de leurs Etats, que les Fermiers des Maures , Officiers du Mogol, qui gou- vernent le Pays, fous le titre de Nababs ouVicerois. Le Pays eft fort peuple', &on y voit un grand nombre de Villes & de Villages. Il feroit beaucoup plus fertile, fi les Mî^urçs ne fouloient pas les Peuples par leurs continuelles exaftions. Les Indie>is font fort mifé- rables, & ne retirent prefque aucun fruit de leurs travaux. Le Roi, ou le Prince de chaque Etat , a le domaine abfolu & la propriété des terres. Ses Officiers obligent les Habitans d'une Ville à cultiver une certaine éten- due de terrain qu'ils leur marquent. Au tems de la moiflbn, ces Officiers vont faire couper les grains, & les ayant fait mettre en un monceau, ils y appliquent le fceau du Prince & fe retirent. Quand ils le jugent à propos ils viennent enlever les grains, dont ils ne laiflTent que la quatrième partie, & quelquefois moins, au pauvre Laboureur. Ils les vendent enfuite au Peu- ple, au prix qu'il leur plaît , fans que perfonne ofe fe plaindre (/). C'eft, dit le Père leCaron , un crime aux Particuliers d'avoir de l'argent: Ceux qui en ont fenterrent avec foin ; autrement on trouve mille prétextes pour le leur enlever. Les Princes n'exercent ces vexations fur leurs Peuples , qiiî parceque les Maures lèvent, fur ces i'rinces, des impôts cxorbitans, qu'ils font obligés de fournir, fans quoi le Pays feroit mis au pillage (/n). Le grand cioigncment de la Cour Mogole, qui eft d'environ cinq cens lieues de Pondichery , contribue beaucoup à la manière dure dont les In- diens font traités. Le Mogol envoyé, dans ces terres, un O/ficier, qui a le titre de Gouverneur & de Général de l'Armée. Celui-ci nomme les Sous- Gouverneurs ou Lieutenans , pour tous les lieux conlidérables, afin de re- cueillir les deniers qui en proviennent. Comme leur gouvernement ne dure que peu de tems , ils fe preflent fort de s'enrichir. D'autres leur fuccèdent qui ne font pas moins avides. Audi ne peut-on guères être plus miférable que le font les Indiens de ces terres. Il n'y a de riches que les Officiers Maures , ou les Officiers Gentils qui fervent les Rois ou Princes particuliers; Hncore arri- ve-t'il fouvent qu'on les recherche, & qu'on les force, à grands coups de Ch:i- bouc (rî) , de rendre ce qu'ils ont amaiTé par leurs conculïions; de-forte qu'a- près leur Magiflrature ils fe trouvent d'ordinaire auiT: gueux q. ..uparavant. Ces Gouverneurs rendent la juflice fa.is beaucoup de fori* Js. Celui qui offre le plus d'argent, gagne prefque toujours fa caufe; & p^i ce moyen les Criminels échapent fouvent au châtiment que méritent les crimes les plus noirs. Ce qui arrive même aflez communément , c'ell que les deux parties offrant à l'envi de grandes fommes, les Maures prennent des deux côtés , fans donner fatisfattion ni à l'une ni à l'autre. Qu E L Q.U E grande que foit d'ailleurs la fervitude des Indiens , fous l'Em- pire du Mogol , ils ont la liberté de fe conduire félon la coutume de leurs Caftes, ils peuvent tenir leurs affcrablées , «Si fouvent elles ne fe tiennent • ^^^ ( i ) Lettre du P. de la Lane , Rec. X. pag. 3 que le même Miflîonnalre donne de ces Pria* & fuiv. ces. (to) Lettre du p. le Caron, Rec. XVI. pag. («) Gros fouet de courroyes, dont lea 134. On a vu ci-delTus , dans une Note , l'idée coups font cxtrcmemcnt fenflblcs. Qqqa RtI,\TtON DÔ C'ahnatr. SiiprLif.MrNT. Mifcrc lies Pcu^iIl's. Concudîons dc-s onicitrs Maures. Vcnn!it(f Je la jullicc. Etnt lies Gentils & leur haine contre les Chreûens. 492 DESCRIPTIONDE LA BTtf. Relatton do Caunatr. Supplément. Villes du Carnate. Cangiboii- rani , fa Capi- (aie. Loix gra- vées fur des latncs de cui- vre. Obferva- tion fur ces fitraits. que pour rechercher & pour chafler ceux qui fe font faits Chrétiens. Leur naine efl: favorifée par les Maures. Ils en font toujours écoutés quand ils parlent contre les Millionnaires. Ils leur perfuadent aifément qu'ils fons riches , & fur ces faux rapports les Gouverneurs les font arrêter , & les retiennent long-tems dans d étroites prifons. , On en a vu plufieurs exem- ples dans nos préccdens extraits. Les Villes, quoique grandes & fort peuplées, n'ont rien de la beauté ni de la magnificence de celles d'Europe ; les maifons n'étant pour la plûparc que de terre, peu élevées & couvertes de paille (o). CangivaroriyOu Cangi» bouram ( p) , car on lui donne indifféremment ces deux noms , efl la Capitale du Carnate (^). C'étoit autrefois , dit le Père Bouchet , une Ville célèbre, qui renfermoit dans fcs murs plus de trois cens mille Habitans, fi l'on en croit les Indiens. On y voit , comme ailleurs , de grandes Tours , des Pagodes , des Salles publiques & de fort beaux Etangs. Les Indiens afTurent qu'on gar- doit autrefois , dans une grande tour à Cangibouram , des lames de cuivre qui contenoient ce qui regardoit en particulier chacune des Caftes, & l'or- dre que les Caftes différentes dévoient obferver entr'elles. Les Maures ayant prefque entièrement ruiné cette grande & fameufe Ville, on n'a pu décou- vrir ce qu'étoient dévenues ces lames. Avant ce tems, s'il s'élevoit, parmi les Indiens, quelque difpute fur la Cafte, ils alloient à Cangibouram, pour plaider leur caufe devant les Brames dépofîtaires de ces loix ; & encore au- jourd'hui,que cette Ville commence à fe rétablir , il y a dix ou douzeBrames qu'on confultefouvcnt, &dont on fuit les décilîons. S'ils n'ont pas lu ces for- tes de loix, du moins ils font mieux inftruits que d'autres de la tradition (r). On n'emprunte, des Relations du Carnate, que ce qui peut fervir à jetter du jour fur la Géographie & l'IIiftoire de cette Contrée , indépendamment des obfervations qui lui font communes avec les autres Parties de la Prefqu'Ille de rinde; & nous ofons affurer, que par rapport à ces deux objets, nous n'en avons pas omis la moindre circonftance ; de-forte qu'on trouvera ici , de" fuite, le précis de quantité de détails qui font répandus de coté & d'autre dans une vingtaine de Volumes.^ ( 0 ) Lettre du P. de la Lane , Rcc. X. pag. 8 & fuiv. (p) Bouram, fignifie Ville. {q) On a remarqué ci-deflus, pojo-. 447, que le P. Bouchet fait Tarcolan., Capitale du Royaume de Carnate ; mais c'efl: peut-ôtre une faute d'lmpreinon,puif(q|ue lemêmeMif- fionnaire donne ici ce titre a Cangibouram , qui eft fituée au Nord de la Rivière de Sa- drafpatnam. Voyez la Cirte de M. Btliiri , qui s'accorde avec la première des Jéfuites. La féconde , drelTée par M. d'Anville , quoique plus détaillée, n'offre point ce nom-; Mais elle donne le titre de Capitale à C6e«flmpe«oK, qu'elle place au Nord-Ouefl de Gingi; ce 4ui fait une grande différence^ Tarcolan eft aulli une grande Ville, fitut'e au Nord de Cangibouram, à la hauteur de Madras & de Saint Tliomé, par le treizième degré de lati- tude feptentrionale. Quoique Its Lettres des Mifïïonnaires Jéfuites palFcnt avec jullice pour trèscorreflies, une vilaine faute d'im- prefDon y a mis cette Ville au troifième. Rt:. X. pag. 397. Au-relte, il eft néceflaire d'avertir, qi'e dans toutes ces remarques , nous n'avons point eu en vue les belles Cartes ultérieures de M. d'Anville, fur -tout la dernière en deux feuilles, parce qu'on y viendra dans la fuite. ( f ) Lettres du P. Bouchet , Rec, XV. pr.g. 75, & Rec. XIV. pag. 332. ' que. Il te que eus. < Monnayes, MONNOYES DE L' A S I E, Liv. III. 493 Moiinojes, ou diverfcs fortes de Tièccs métalliques -^ âe Coquilles ^ll^'^^^^'^^ y* d'Amandes 3 qui pajfent pour Monnayes dans toute rJlJle. QUOIQU'ON n'aît pas néglige cet important Article, dans toutes les Relations où les Voyageurs l'ont traité , il n'y a perfonnc qui n'en trouve ici volontiers toutes les parties raflemblécs fous un même ti- tre. Mais les variations, qui font arrivées par degrés dans nos propres Monnoyes, obligent nécellairement de faire obfervcr quel étoit en France le prix de l'or & de l'argent vers la fin du dernier fiècle ; c'efl-àdirc, dans le tems où les lumières qu'on emprunte , ont été publiées. C'cll un terme de comparaifon, d'après lequel il fera facile de réduire toutes les Monno- yes des Indes à la valeur que les nôtres ont aujourd'hui. Le Marc d'or, en 1679, & pendant quelques années fuivantcs , qui font celles des principales Relations de ce Volume, valoit en France quatre cens trente-fept livres neuf fous huit deniers; & celui d'argent , vingt-neuf livres fix fous onze deniers. Le Louis d'or valoit onze livres dix fous , ik l'Ecu d'or fix livres. Le Louïs d'argent , ou l'Ecu, étoit de foixante fous. La proportion de l'argent fin, à l'or fin , étoit de quinze & un quart à un; c'eft-à-dire, qu'il falloit quinze marcs & un quart d'argent fin , pour payer un marc d'or fin (a). L'ordre qui paroît le plus naturel, efl: de commencer par l'Arabie. C'efl; dans cette Région qu'on fabrique particulièrement l'efpèce de Mon- noye, qui fe nomme Larin, & qui efl une des plus anciennes de l'Aile. Quoique, depuis Bagdad jufqu'aux Ifles de Ceylan , de Cclebes & de Bor- néo, tout le Commerce fe falfe par larins, fur-tout le long du Golfe Pcrfi- que, les larins, fuivant Tavernier , ne font proprement Monnoye couran- te que dans les trois Arables , & à Balfora. Leur titre efl: celui de nos é- cus. Cinq larins, ou dix demis-larins, valent nôtre écu. Cependant il s'en faut environ huit fous qu'ils ne le pèfent. C'efl: ce que les Emirs ^ ou les Princes d'Arabie , prennent pour leur fabrique , ou leur profit , au paf- fage des Marchands qui fe rendent en Perfe ou aux Indes. Ils viennent at- tendre les Caravanes , pour prendre leurs droits , & faire changer, en la- rins, les écus, les piaftres, ou les ducats d'or; tyraniiie d'autant plus fâ- cheufe pour les Marchands , que l'adreiTe & la violence ne peuvent les fau- ver. Si les Emirs voyent qu'on ne leur propofe rien à changer, ils ne pren- nent point leurs autres droits; & feignant que le tems leur manque, pour faire les comptes, ils entreprennent des parties de chafle, qui durent quin- ze & vingt jours, pendant lefquelles de malheureux Etrangers languinent& mangent leurs provifions, fans aucune relfourcc pour en trouver d'autres: &li la Caravane vouloit pafler, fans payer les droits , elle feroit taillée en pièces, elle perdroit fes chameaux & toutes fes marchandifes ; ce qui n'eil pas fans exemple. Tavernier raconte que , dans un de fes Voyages , il fut (a) Lt Blanc, Traité bidorique des Monnoyes , pag, 392 & 417. Qqq 3 Rlonnoycî d'Ariibie. T.jriiis i^ D .'Hiis !aiip.5 De L'Aiiiii. Monnnyc» (le rindouf- t;in. Koijpics «l'or & d'ar- gent. Pièces de cuivre. Péchas. Coquilles. Mamoudis. Amandes. 491 MONNOYES DE L' A S I E, Liv. HT. fut arrc'tc par un de ces Princes, refpace de vingt & un jours; après Icf- quels II \c trouva fort heureux d'en être quitte, en lui donnant tout ce qu'il dcmnndoit. Si les larins avoicnt le poids des Monnoyes pour icrquelles un les prend, un Marchand n'auroit à le plaindre que d'une cérémonie fore in- commode; mais, cnluite, étant obligé, lorfiju'il arrive aux Indes , dcpor- .ter fcs larins à la Monnoye (A), il perd néceflairement huit Tous fur cha- que éeu; c'efl-à-dire, quatorze & demi pour cent. Tout l'or & l'argent, qui entre fur les Terres du .Grand Mogol, ci\ rafiné au dernier titre, avant que d'être battu en Monnoye de l'Empire, qui porte le nom de Ratifie. La roupie d'or pèle deux gros, un quart & onze grains , & vaut , dans le Pays , quatorze roupies d'argent. Aïni'i la roupie d'or revient à vingt-une livres de France, & l'once d'or à cinquan- te-huit livres quatre deniers. Cet or efl de la fineile de celui que nous eflimons cinciuante-quatre livres l'once. En apportant de cet or en lingots, ou en ducats d'or de l'Evropc, on a toujours fept & un quart pour cent de profit, fi l'on peut éviter de payer les droits aux Douanes. La demie-rou- pie d'or revient à dix livres dix fous, & le quart à cinq livres cinq fous. Anciennement la forme des roupies écoit quarrée. Elle ell ronde aujour- d'hui. Quoique la roupie d'argent fe compte à trente fous, elle ne pèfe que trois gros ; &. nos pièces de trente fous pèfent trois gros & demi , qua- tre grains; mais la roupie ell de meilleur argent. En un mot, ceux qui entendent le Commerce, & qui portent d'ici de l'or ou de l'argent, liir les Terres du Grand Mogo! , onc toujours fcpt ou huit pour cent de gain, s'ils peuvent éviter les Douanes ; car, en payant les droits, ce profit s'y trouve employé. Il y a des demies-roupies d'argent, qui reviennent à quin- ze fols ; des quarts , à fept fous & demi ; & des huitièmes , à trois fous neuf deniers. Les Monnoyes de cuivre de l'Indouftan, ont difFérens noms, ava- lent plus ou moins, fuivant la quantité de cuivre qu'on apporte à la Monnoye. Ordinairement, la plus grande vaut deux fous de nôtre Mon- noye; celle qui fuit, un fou; & celle d'après , qu'on nomme Pécha, fix deniers. Les Koris , ou les Coquilles , font en ufage aufll dans l'indouftan. Com- me elles viennent des Maldives , plus on efl; proche de la Mer , plus on en donne pour le pécha ; & le nombre ordinaire efl; de cinquante à foi- xante. Les Mamoudis & les demis-mamoudis , qui font des pièces d'argent , n'ont cours que dans la Province de Guzarate. Cinq mamoudis palTent pour un écu. Les koris ne font pas reçus dans cette Province: mais on y reçoit une forte de petites Amandes, qui viennent des environs d'Ormus & des Défères du Royaume de Lar. Quarante valent le pécha; & quelquefois quarante- quatre , fuivant la quantité de ces amandes qu'on apporte dans le Pays. Les arbres, dont elles font le fruit, n'en produilimt pas toujours la même quan- tité , cette Monnoye haufl'e ou baifle à proportion ; & les Changeurs y trouvent leur compte. Les amandes font dans leurs coquilles. Il n'efl: pas . à {i) C'ett ce qu'on a vu dans toutes les Relations. MONNOYES DE L' A S I E, Liv. III. 495 MoNNovri va i.'Aiiie. Divcrfo» Monnoye» i!i.8 Tii'iutnl- à cra'uKlrc que les enfans les caflcnt pour manger le noyau ; car il cfl: plus amer que la coloquinte (c). Entre les Princes tributaires du Grand Mogol, on en compte pluficurs qui ont le droit de faire battre Monnoyc. Le Pays, ou le Royaume deiV/a- tvu-cba, qui cH au Nord d'Agra, & renfermé dans de hautes montagnes , jouit de ce privilège. Son principal Commerce, avec les vuifins, confillc en cuivre, dont il a deux mines fort abondantes, qui fournillVnt la plus Mu^uclia. grande partie de l'Indouftan , d'où il tire du Tel en échange. Ce f'el , que la Nature a refufé aux Peuples de Matou-cha, leur coûte fort cher; parce- que du lieu dont il leur vient, qui cil fur la Côte des Indes, vers Duçaïm, il y a quatre mois de chemin. Il fe tranfportc fur des bœufs, qui rapportent auin le cuivre. Matou-cha produit d'excellent bled , de bon raidn, d'ad- nùrables fruits, toutes fortes de belliaux, du lapis & des grenats : mais les Mabitans , qui font tous idolâtres, regrettent amèrement d'être fans fel «ic fans riz; deux marchandifes précieufes à lein* Religion, l.a principale Monnoye de Matou-cha ell d'argent, au même titre que la roupie, & no pèfe qu un gros, & dix-neuf grains. La différence , dans le com-s , cft de lix & demi pour cent. Plus on avance vers le Nord , plus l'or & l'argent deviennent chers. Les pièces de cuivre du même Pays (d) n'ont que la valeur du pécha, quoiqu elles foyent delà moitié plus péfantcs; [mais le cuivre nVn efl: pas ii bon. ] L E Raja de l'arta Jajouviola efi. un des plus grands Princes qui foyent au- <» » # delà du Gange. Ses terres font droit au Nord de Pacna, 6c touchent à Pnitn Ja- joumula. celles du Roi de Bout an. Tous les ans, il efl obligé d'envoyer un Ambaf- iaJeur au Gouverneur de Patna, avec un préfent de vingt éléphans, que ce Gouverneur fait au Grand Mogol. Ses principales richelîes confident en éléphans , en mufc & en rhubarbe ; & manquant de fel, il lève un im- pôt conlidérable fur celui qui fc confume dans fon domaine , ou qui pafle plus loin. Tout ce fel vient des terres du Grand Mogol & Te tranfporte depuis la Côte maritime, jufqu'à cinquante, & même à cinquante-cinq de- grés du Nord. On en charge plus de quinze cens mille bœufs; & chaque charge, fortant des falines, paye une roupie, au Mogol, pour pafTer li- brement par toutes fes terres. Cette nécelîité feule a forcé \r. Raja de fe foftmettre au tribut. Sa Monnoye, qui efl une efpèce de roupie, pafle pour une des plus belles des Indes (c). Le Raja d'Ugen^ Pays entre Brampour, Scronge & Amadabath, fait battre une Monnoye d'argent , qui n a de cours que fur fes terres , & qu'on rejette même fur celles du Grand Mogol. Elle pafle pour un quart de roupie; mais l'argent en efl bas. On fabrique auiri, dans les terres de ce Prince, des.pechas de cuivre de fix deniers, qui ont cours dans les Monnoycs d'L'^en. (c) Voyez la Planche l'C, qui reprércnte la figure de routes ces Monnoyes, Dans l'Edition de Paris, le quart de roupie d'or étoit marqué pour ia dcuiie roupie d'argent. R. d. £. {d) Planche II. Js'". i. , efl ia Monnoye d'aigcnt," & N°. 2., la Monnoye de cuivre de Matou-cha. R. d. E. (O Môme Planche:, K«,3 & 4. R. d.E. MONN'OTHS D£ l'Asie. Monnoyes de Goikoncle, de Vifapour, de Carnate & de Velouche. DifFércnce fles vieilles pagodes & des nouvelles. Profit des Cherafs ou des Chan- geurs. 49(5 MONNOYES DE L'A S I E, Liv. III. les Etats du Mogol jufqu'aux Portes d'Agra. Les koris y font la plus pe- tite Monnoye (/). On peut s'en rapporter hardiment au témoignage de Tavernier, fur ces efpèces d'or qu'on nomme Pagodes , & qui n'ont proprement cours que dans les terres de Golkonde, de Vifapour, de Carnate & de relouche (ou plutôt Felour). Son principal Commerce l'ayant conduit plufîeurs fois aux Mines de Diamans , il s'étoit vu dans la nécéflité d'approfondir parfaite- ment la valeur d'une Monnoye , dont il faifoit un ufage continuel. Toutes les pagodes , dit-il , Quoique de figures différentes , ont la même valeur dans ces diiférens Pays , « doivent être du poids de nôtre demie piflole ; mais l'or elt à plus bas titre. Cependant , quoique l'once ne vaille pas plus de. quarante-deux à quarante-trois livres, elle ne laifle pas de pafler pour qua- tre roupies (g). Aufli lui parutiil que c'étoit la meilleure Monnoye qu'on pût porter aux Mines. Il diftrngue les vieilles pagodes, des nouvelles. Les premières font du tems que les Rajas étoient Maîtres de Golkonde , & n'ont qu'une petite marque d'un côté (h). Elles font de même poids que les nouvelles ; m.ais , quoiqu'elles ne foyent pas de meilleur or , elles font quelquefois plus eftimées de vingt à vingt-cinq pour cent. La raifon qu'il en apporte, c'eft que les Cherafs , c'ell-à-dire les Changeurs , qui font tous idolâtres , ont la fuperftition de croire que fi cette Monnoye étoit refondue , le Pays feroit menacé de quelque defaftre ; & dans cette crainte , ils don- nent au Roi de Golkonde, en cer'-aines années, jufqu'à vingt mille pago- des , pour obtenir qu'il ne la fafle pas refondre. Mais ces vieilles pagodes n'ont cours que dans le feul Royaume de Golkonde. Tavernier croit au fond que l'intérêt des Cherafs y a plus de part que leur fuperftition. Dans to'it ce Royaume , on ne parle, dit -il, que de vieilles pagodes pour le Commerce : non qu'il ne foit également permis de faire les payemens en pagodes neuves , ou en roupies ; mais ceux qui reçoivent des pagodes neuves, ou des roupies, trouvent toujours le moyen de gagner un quart, ou un demi , & quelquefois un pour cent, fous prétexte que ces nouvelles Monnoyes font de Vifapour , ou de Carnate , ou de Velouche , ou des Anglois & des îïollandois. D'un autre côté , fi le payement fe fait en vieil- les pagodes, le Cheraf eft encore plus fur de quelque profit, parcequ'en payant l'intérêt ordinaire, pour l'argent qui lui refte entre les mains (i), il a mille moyens de le faire valoir à fon avantage (ife). On (/) Même Planche, No». 5 & 6. R. d. E. {g) C'eft la pagode, qui paire pour quatre roupies, & non l'once, comme M. Prevoft fi-mble ici le comprendre. R. d. E. (*) Môme Planche II. N". i. Ce font, ces vieilles pagodes des Rajas; 2. , celles du Roi de Golkonde ; 3 & 4. , du Roi de Vifa- pour; 5 & 6. , du Raja de Carnate,' 7 & 8. , du Raja de Velouche. No». 9. 10. 11 & 12, ce font des demies -pagodes de ces Rois & de ces Rajas. R. d. Ë. (0 il ne fe fait point de payement conii* dérable , fans un Cheraf, qui le reçoit , & qui garde la fomme entre fes mains , û les Vendeurs n'en ont pas befoin fur le champ; en leur payant l'intérêt fur le pied de huit pour cent par an [& quelquefois jufqu'â dou- ze], ne gardât -il l'argent que deux jours. Il arrive de -là que les Cherafs ont toujours la plus grande partie de l'argent du Royau- me , & que malgré l'intérêt qu'ils en pa' yent, ils y font de très -grands profits. 2a- vernier , pag. 10. (fc) Le détail de ces moyens elt indruc- tif. i . r. ï plus pe- r, fur ces cours que 'ouche (ou s fois aux r parfaite- ;1. Toutes 'aleurdans oie; mais is plus de. pour qua- oye qu'on nouvelles, konde , & poids que elles font lifon qu'il . font tous refondue, , ils don- lille pago- is pagodes r croit au )n. Dans es pour le ^emens en s pagodes 'un quart, ; nouvelles : , ou des it en vieil- parcequ'en lains (i). On e reçoit, & lains, n les ir le champ; pied de huit sjufqu'àdou- deux jours, oiit toujours t du Royau- |u'i!s en pa' profits. Ta- 5 ell inftruc- cif. t.t: -W>-»W»4k« in': ;.; ■^Au'i*M 7'r^iHy'o^m mT/./j'K,Mx». iKr/_yHl%'i;"f?/ :î. ■? i '•:■•--! •^..' *\v. , / >f *C , > V-..,., i--'.- ^VS- ■;-. ..;. .4 K ./.-^-tt^'-: ■•.■'a ■i:'\ ' \ ■ \', ^. :,-•-:. •It! , i\> - 1' t . < ■, ■ »■ , â»'* ' ■ '-ic^'^Kr^éi^.^ 1 : 1 1 '■ .k':'u .'*--!'' % S Mojv'Vûi^js D'JjiABJE.W Arabische Munt. Za/'ùi, -v • I- • MoNNOims DES Eta ts jdzt T^Hnb Mogol. MUNTEN VAN UE StAATEN des GroOTEN MOGOLS. ^uptedOr. • J>fmieJtmwie dOr. à de Roupie d'Or. Coude Halve Ropv. ^GoudeBopj. CoOde Ro Rotmie d'^rçent, Zilvere Rrfpv. Hoitpie d'^4r(jcnt, y-ï*iijjrrir»ïr3 Zilvere Ropv. Jiemte Kotwie a^i/'Oi Zilvei'e Halve Roi Jiemie Rotipic dl4/'Qe/tt. ^^^f^i^ dl4iyeirt. ^ Zilvere édeHomiedl^r yZilveve Ro' Qiiolre J^e(has de ùuyr^. vierKoopere Peda^Stoik J>euK J^ecAas de ûity/'e, TweeKoopere PeduJi Stuk . tùi l'écho de Cuirre. Een KooperePecba. Coris ou ComdlUs, Cory» of Sclielpen : ^Hamoudi d'x'6'Qent. Zilvere Uamoedi . 2>e/nt V Martoitdt . Halve Vamoedi. .-ùfumde. Amandel , if.rs..fù. JV.^T. 1 «>n : V f. ■<'■ hèfi^'- 1 »v k- \K if y V( J »i * 1 ,>Jfy AV- ■■'.T' ■•'■ r. 1 "S'.,*i*^;^ aF T I .V. S . < . U.v.'m .ti;- 'ifl ; ':ii. ;! i I .v I 4 - lit t — ^ / ' — '. '. ~^ — '. ! < /^ofnioy<'s ti'un ' xÀoi tt o4ni.l[a^l cvu»baaa m m m. m €sehvs d'Or mt on nontmc J^aaodes. Goude Spccieii Pa^boden ^naatut. ; u jfZ ® Tfuwcs — Fantuiift. ^5 sr. f.-s". jow . i jv.^ir. MoNNorr.s DE l'Asie. MONNOYES DE L' A S I E, Liv. III. 497 On verra , dans la Figure, une autre Monnoye de Commerce, qui efl: en iifage dans les mêmes Pays , & qui fe nomme Fanos ( /). Elle elt d'or, & de difîerens titres. Il y en a de lix pour un écu , & d'autres de dix à quinze, entre Icfquelles il s'en trouve de fort bas aloi. C'ell la Monnoye qui règne fur la Côte de Coromandel , depuis le Cap de Comorin jufqu'au Bengale; avec les péchas de cuivre, & les koris , qui fervent de petite Monnoye. QU01Q.UE Tavernier ne doive être confulté qu'avec précaution , dans tout ce qu'il rapporte d'hiflorique , on ne peut rejett^ abfolument l'hif- toire des roupies qui repréfentent les douze Signes du Zodiaque , telle '^cs doûze'si- qu'on la trouve au Tome IL de fes Voyages, pag. 24. On ne changera gnes du Zo- rien à fes termes. diaque. „ SUL- Hifloirc des roupies qui portent tif. Premièrement, le Chcraf examine tou- tes les vieilles pagodes; & les ayant regar- dées l'une après l'autre, il en fait cinq ou fix parts. Il die des unes qu'elles font plus u- fées que d'autres, parcequ'elles ont pafle par plus de mains; Aux autres, c'efl: un déchet de demi pour cent, ou d'un quart, &c. , fiarcecju'eiles ont éié forées. C'efl une cho- e mervfilleurc que ce forage. Comme les pagodes font fort épailTes & qu'on ne peut les rogner, ceux qui cherchent un profit il- Jégitiine, fe fervent d'un foret, pour les per- cer par le bord , jufqu'à la moitié, ou plus, & tirent quelquefois de l'or d'une pièce juf- qu'à la valeur de deux ou trois fous. Avec beaucoup de précaution pour n'être pas pris fur le fait, ils préfèrent ce métier à tout au- tre, parcequ'il y a peu d'Artifans aux Indes qui gagnent plus de trois fous par jour. A- près avoir tiré le foret, ils frappent fur les trous avec un pecit marteau , & les favcnt fi bien fermer, qu'il f.iut avoir une l'xpérience extrême pour découvrir la fraude. C'efl par cette rail^on qu'on ne reçoit jamais de paye- ment, fans faire voir les efpùces au Cheraf ; & quand il ne regarderoit que deux ou trois pièces, le moindre falaire, pour fa peine, eft de deux liards ou d'un fou. 2°. Lorf. qu'il fe fait un payement confidérable , le Cheraf met les pagodes, par cinquante ou par cent, dans de petits facs auxquels il ap- plique Ton cachet, & fur le fac efl écrit le nombre des pagodes qu'il contient. Lafom- me efl livrée dans cet état à celui qui reçoit le payement. Quand celui-ci veut l'emplo- yer, il n'ouvre point les facs pour la donner à celui qu'il paye. On fait appeller le mê- me Changeur qui a cacheté les facs , & qui , reconnoiffant fon cachet entier, répond que les efpèces font bonnes. Elles palTcnt alnfi XIIL Part. des années entières, fans que les facs foycnt ouverts. Mais chaque fois qu'ils changent de mains, on envoyé chercher les mêmes Cherafs, qui tirent toujours quelque chofe pour cent de leur vifite. Cependant il efl plus ordinaire, dans les intervalles , de leur laifTer la fomme entre les mains pour en tirer d'eux l'intérêt. 3°. Voici comment ils la font valoir à leur profit: c'ell l'ufage du Pays que les gens de guerre y foyent payés tous les mois; mais la plupart n'attendent pas que le mois foit .*îni & viennentprendre leur argent chez les Cherafs , qui en font le dé- compte à dix -huit & vingt pour cent; joiiit qu'ils les payent en pagodes auxquelles il y a quelque chofe de manque. S'il y a quel- que gros diamant à vendre, ou quelque beau rubis, ils ne l'ignorent pas long-tems, & bientôt ils trouvent le moyen de l'avoir en gage. Les Marchands , qui arrivent du Pegii & des autres lieux, doivent ordinairement quelque chofe j & comme les Loix obligent de payer dans la quinzaine, du jour que le Marchand efl forti du VaifTeau , il met en gage ce qu'il a de plus précieux , pour fa- tisfaire ceux qui ont contribué aux fraix du Vaiffeau, ou qui lui ont prêté de l'argent pour fes empiètes. Enfuite il vend fes au- tres marchandifes, pour payer le Cheraf, au- quel il a fait des emprunts à fon arrivée. Ceux qui travaillent aux Mines de diamans, & les Marchands qui les afferment, ont peu de belles pierres qu'ils ne vendent à ces Chan- geurs , parcequ'ils font fùis d'y trouver de l'argent comptant. Souvent ils les leur don- nent en gage, jufqu'à -ce qu'ils ayent trou- vé des Marchands pour les acheter. Ibidem. (i) Même Planche II. Nos. 13. 14. 15. 1(5 & 17. R. d. E. Rrr 498 M O N N O Y E S DE L'A S I E, Liv. III. MoNNOYES PK l'Asie. „ Sultan &///«, dit-il , nommé Jehan-Guir^ neuvième (;«) Empereur des Mogols, avoit une vive tendrelîe pour une de fes femmes, qui en étoit digne aulfi par fon rare mérite (n). Elle avoit beaucoup d'efprit. El- le étoit belle, libérale, & ii adroite à ménager l'humeur du Souverain que non-feulement il ne pouvoit vivre fans elle, mais qu'elle étoit en pofleflîon de tout obtenir de lui. Elle avoit deux noms: celui de A'owr- Gehan-liegum, qui (igmûe PrinceJJe , lumière du Monde; ô: c'étoit le nom, qui étoit fur ion. cachet : l'autre étoit iVo«r-A/aè^/, qui fignifie, lumière du „ àerrail. Elle fut V>ûjours grande Ennemie des deux fils du Roi, particuliè- rement du fécond , appelle alors Sultan Kouiom^ ou Corone (o), & qui de- puis étant monté fur le Trône, fe fit nommer Cha- Jehan. Il s'oppofoit à tous les deflcins de cette Princefle , qui de fon côté gouvernoit fi bien l'efprit du Roi , 4u'elle le portoit à fe tenir la plus grande partie de l'année en „ campagne, foulevant, fous main, contre lui, quelques Rajas des frontiè- res , pour l'obliger d'aller à la guerre & l'éloigner de fcs fils. Dans les vues de fon ambition , elle crut ne pouvoir éternifer plus fûrement fa mémoire, qu'en faifant fabriquer, en fon nom, quantité de Monnoye, dont la marque fût différente de celle qui eft en ufage dans l'Indouftan. Elle n'auroit jamais réulfi dans fon deflein , fi le Prince Kourom eût été à la Cour ; mais elle prit le tems que le Roi avoit fait crever les yeux à Sultan Kofrou (/>) (5), fon fils aîné, après l'avoir pris les armes à la main dans l'intention d^; le chafler du Trône. Kourom ayant été envo- yé avec une puiflance Armée contre le Roi de Vilapour qui remuoit, Nour-Mahal, qui fe vit délivrée de ceux qui pouvoient la traverfer dans fes defleins , prit cette occafion pour redoubler fes flatteries auprès de Jehan-Guir. Un jour que le vin l'avoit rendu fort gai , & qu'il avoit pris beaucoup de plaifir à la voir danfer , il lui avoua qu'il l'aimoit plus que toutes fes autres femmes, «Se que fans elle il feroitmort de chagrin, après l'audace criminelle de fon fils , qui avoit voulu le détrôner. S'il efl vrai , lui »» j» » »> )) i> a a ï» j» j> )i a j> a j> a (m) C'étoit le dixième. R. d. E. (m) Les Auteurs rapportent fort diffé- remment l'origine & l'élévation de cette Princefle. L'opinion la plus reçue ell qu'el- le étoit fille d'un des principaux Seigneurs de la Cour , nommé Etbamandaulet , ou E- timen ■ Boulet , qui ayant fuivi le parti du mal- heureux Sultan Cofrou contre Selim, ou Gehan-Guir fon Père, ne racheta fa vie qu'en payant une fomme de deux mille leks de roupies. Sa fille, nommée Meer-Metfia^ veuve de Cbeeraf-Cban, alloit fouvent chez la Sultane Rockia^ Mère du Mogol , qui ne pouvoit fe pafler d'elle. Le Mogol la ren- contra un jour dans fon Serrail , où la Sultane l'avoit fait entrer avec fa fille, qui n'étoit âgée que de cinq ou fix ans. Ce Monarque lui leva fon voile, &lui dit qu'il vouloit être le Père de fa fille. Sa paffion devint fi forte pour Meer -MotfîaT que peu de tems après il la fit demander en maria- ge à Etbamandaulet fon Père , & la prit pour femme, avec les folemnités ordinai- res , changeant fon nom de Meer - Metfia , en celui de Nour-Mabal, dont la (îgnifî- cation e(l connue. Etbamandaulet , du pri- fonnier qu'il étoit, fut fait Premier Minif- tre, & les principales charges de la Cour tombèrent entre les mains A'Afayb' Cban fon fils , & de fes autres parens. K. d. E. (0) C'étoit le troifième. R. d. E. (p) D'autres le nomment CoronJ'roe. Iq) C'eftun fait dont Thomas Rhoe ne dit pas le mot, quoiqu'il eiJt même parlé à ce Prince. D autres prétendent que Gehan- Guir fon Père, pour l'aveugler, lui fit diftil- 1er, dans les yeux, du jus d'yitek, qui n'eût p3s l'eiFct de lui faire perdre entièrement la vue. R. d. E. MONNOYES DE L' A S I E, Liv. III. 400 ete envo- lai dit-elle, que je vous fois fi clière, vous m'accorderez ce que je défi- re depuis long-tems avec la plus vive palfion , qui cfl: de pouvoir régner fouverainement l'efpace de vingt-quatre heures. Cette demande lurprit fort le Roi , & le rendit triile pendant quelques jours. Cependant l'a- 91 droite Nour-Mahal s'efforçoit de le réjouir par de nouveaux plaifirs , & s, feignoit de ne pas s'apperçevoir de fon chagrin. Enfin , le cinquième „ jour de la demande, ne pouvant réfifter à fa paillon, il lui dit qu'il al- „ loit fe retirer pour vingt-quatre heures, & que dans cet intervalle elle „ pouvoit monter fur le Trône, pour commander foviverainement. En „ même-tems, il fit venir, en fa préfence, tous les Grands qui fe trou- „ voieii* à la Cour, auxquels il donna ordre d'obéir à Nour-Mahal comme „ à lui-même. Il y avoit long-tems qu'elle avoit fait fes préparatifs, en amalfant, en fécret, quantité d'or & d'argent dans toutes les Vilks oii l'on bat Monnoye, & faifant fabriquer tous les coins. C'ell afllirément une chofe furprenante , qu'une femme ait fçu conduire fi adroitement un fi grand deflein, qu'elle ait pu faire graver vingt-quatre coins, & tenir prêts, tant en or qu'en argent, plus de deux milUons dans toutes les Vil- les , fans que jamais , ni le Roi , ni les Grands en ayent rien découvert. Il n'y avoit que les feuls Maîtres des Monnoyes qui euffent part à fon fécret. Elle avoit fçu les gagner par des bienfaits & de grandes efpcran- ces, fe tenant comme aflurée d'obtenir un jour fa demande, & juj^cant que fi tout n'étoic prê^ , elle ne pourroit exécuter fon deflein dans vingt- quatre heures. Le jour étant donc venu qu'elle s'aflk fur le Trône , el- le envoya promptement des Couriers par toutes les Villes du Royaume, avec ordre de battre des roupies, tant d'or que d'argent, jufqu'à lafom- me qu'elle avoit amaflee. 11 faut remarquer que toutes les Monnoyes de rindouflan n'ont que des cara6lères du Fays , des ueux cocés de la pièce; mais cette Princefle fit mettre, de chaque côté des lîennes , un des douze Signes du Zodiaque ; ce qui efl: contre la loi de JMahomet , qui défend toutes fortes de repréfentations d'hommes & d'animaux. El- le eut ce refpeft pour le Roi, qu'au revers des pièces, elle fit mettre, en lettres Arabes, le nom de Jehan-Guir avec le fien, & cehii de la Vil- le où les roupies avoient été battues. Quand le Roi & les Grands fçu- rent la chofe, ils furent cxtrêmenienL étonnés, mais particulièrement Sultan Kourom, ennemi mortel de Nour-Mahal. Quelques gens du Pays m'ont alTuré qu'il en perdit d'abord l'efprit , & qu'il eut de la peine à revenir d'une fi grande furprife. Mais la chofe fut fi promptement exé- cutée, fur- tout dans le lieu où elle étoit alors, que deux heures après qu'elle fut fur le Trône , elle fit jetter au Peuple quantité de ces pièces d'or & d'argent, qui pendant le règne de Jehan-Guir ont toujours eu cours & pané pour des roupies. Lorfque Sultan Kourom , qui prit le nom de Cha- Jehan, eut fuccedé à fon Père, il fit défenfe , fous peine de la vie, d'employer de ces roupies. Il fut ordonné à tous ceux qui en avoient, tant d'or que d'argent, de les porter à la Monnoye, pour en recevoir la valeur &y être fondues. De -là vient qu'à préfent elles ,} font fort rares, particulièrement celles d'or, & entr'autrcs deux ou trois Rrr 2 „ que >» M » )> 91 ») » if fi »j jj )) )) )> »» » a 9) )) j» »» 9» 9* 9} 99 99 99 99 99 MONNOTBI DE l'Asie. 99 500 M O N N O Y E S D E L'A S I E, Liv. III. MONNOYBS DE l'Asie. Monnoyes des Portugais aux Indes Oricntaks. Monnoye Angloife aux Indes. „ que ron ne trouve que mal-aifément , ayant payé pour une jufqua cent „ écus (ry\ La Monnoye d'or, que les Portugais font battre à Goa, cfl: de meilleur titre que celui de nos Louïs, & pèle un grain de plus que nôtre dcmie- piftole. Ils afFedtcnt de la tenir fort haute (j), afin qu'elle ne forte point du Pays. On l'appelle Saint-Thomé (t). autrefois, lorfqu'ils avoicnt Je Commerce du Japon , deMacaflar, de Sumatra, de la Chine , avec ce- lai de Mofambique, q'u'ils ont encore, on admiroit la quantité de cette Monnoye d'or , qu'ils faifoient battre, & celle des ouvrages d'or qui fe fa- briquoicnt dans toutes leurs Villes; mais fur-tout de Ces ouvrages de fili- grane, qu'ils envoyoient aux Pays étrangers, &jufqu'aux Indes Occiden- tales, par la voyc des Piiilippines. Mais, depuis que Mofambique cfl: pref- quc le feul Pays qui fournifTe de l'or à Goa, ils craignent qu'il n'en forte en efpèccs mêmes. Outre lesMonnoyes étrangères, ils ont d'ailleurs des pièces d'argent, qu'ils nomment P^i/v/oj, & qui pallent pour la valeur de vingt- fept fous de France. Les petites Monnoyes de cuivre & d'étain font aulTi fort communes à Goa , & s'enfilent comme celles du Tonquin & du Japon. Les Anglois ont fait battre aflez long-teras , dans leur Fort de Madras , des pagodes d'or, comme celles des Rois & des Rajas du Pays. Elles é- toient de même poids, de môme titre, & de même valeur. Ils [ne fai- foient auparavant point battre de Monnoye d'argent ni de cuivre (t;),3 parcequ'ils trouvoient plus de profit à porter, dans leurs Comptoirs, de l'or d'Angleterre. Mais, après le mariage de Charles II, avec une Prin- ceiTe de Portugal, qui lui donna le Fort de Bombay pour une partie de fon Douaire, ils prirent le parti de faire battre, dans ce Fort, de la Monnoye d'argent , de cuivre & d'étain. A la vérité , cette Monnoye n'a jamais eu de cours à Surate , ni dans toute f étendue des terres du Grand Mogol & des autres Puiffances des Indes. Elle ne pafl^e qu'entre les Anglois du Fort même, &jufqu'à deux ou trois lieues dans les Terres, ou dans les Villa- ges de la Côte. Les Payfans, qui leur apportent leurs denrées, reçoivent vo- (r) Voyez la Planche III. Vnlmfyn avnft vu, avec étonnement, toutes ces roupies, en or & en argent, dans le magnifique Cabi- net de Médailles antiques , Grecques , Romai- nes & autres, de M. Jacob de IViide à Am- fterdam. II eft rare de trouver une feule de ces pièces d'or; combien plus difficile n'eft- il pas de les ralTembler toutes, avec celles d'argent, parfaitement bien confervées? M. Camper , de Leide, en avoit douze d'or&fix d'argent. M. Van den Burg, Avocat à la Haye , pofledoit auffi douze des premières, de mê- me que M. Dieriks , autrefois Direfteur à Surate, & M. Otto Lttcœ, fameux Négo- ciant à Hambourg. Ce font - là prefque les feules roupies d'or & d'argent de cette Prin- ceSk , qui fuQent connues alors en Europe > quoîqu'i! puiOe vraîfemhiablement s'y en trouver encore beaucoup d'autres. Les Cu- rieux qui en ont, & ceux qui auront occa- lîon de s'en procurer quelques -unes, liront cette Note avec plaiflr. R. d. E. {s) "ravernier dit que pendantqu'il étoit à Goa, le Saint-Thomé valoit quatre rou- pies d'argent, ou fix francs de nôtre Mon- noye. (0 Voyez la figure de cette Monnoye, au bas de la même Planche III. R. d, E. (v) Au -lieu des mots qu'on renferme ici entre deux crochets , l'Edition de Paris por- te, qu'ils avaient d'abord négligé cette rejD'our. ce; ce qui veut dire précifément le contrai- re. R. d. £. II. ifqu a cent Je meilleur )tre demie- Ic ne forte 'ils avoicnt ' , avecce- cé de cette T (jui fc fa- ^es de fili- s Occiden- [iie cfl: pref- en forte en des pièces de vingt- étain font quin & du e Madras , . Elles é- 5 [ne fai- i^re (v),] ptoirs , de une Prin- rtie de fon Monnoye jamais eu Mogol & is du Fort les Vilia- reçoivent vo- ient s'y en ;s. Les Cu- iiront occa- Lines, liront t qu'il étoit quatre rou- lôtre Mon- Monnoye, R. d. E. enferme ici ; Paris por- nte reJJmT' le contrai- ^— I ii^< m •«■•M«^'«M»fl •if"" ,i ■ ( iH * iSiy-fiiy | ■-'>%, ..>^ > -'• — V"- ' V... ^^;*-^^ ..-^ .■1 1>\ .•1 i ,.^'aa de Komu^in.eu xeM. de Stad daardie ^eflaaj^en ayn.' --,-^f...:.^:x\ ^^ ir} i ■ ttcn/tci^^ d'Or, d'^-^rae/tt et de ôtôw.aue lee ^Peritti^fint iaiùy aitx Mes One/ttales. Goude. Zilvei'e en ITopere Munten. die de Portu^eecen ia Oo6 -Indien doea Haan. .": yS.tdnx . 2^9 IJI. M* «•«' «••<-«<*, ê-ô »V <,\4», t.* »S- ' ..> M . I \ ': l ■il t • I .1 I m • t, t s . •>^^.-:^ -7- i.,» »;> / , '^ t f* I; '-^4 M-^K\ i"*^. ; :; «' ' ' if J •:-iil^.i -i : X-' l- ■i-.^-i- ■:» -.»jw»'' V'*-:-K ;.'M.i^:. ■ A' **i. K ' ÀU.^ ' ' "• • «■■*•.■*♦ 4 >««•• «>■>■* ; \ j H . ^cnncif,'» ijitf /et . /yU-s ./ /.^ . '(hlhiu/otA /eut haltty aux XtJes l?j Miiiiten Aie Ho Ba^oU\ heu eu do lIollAiiclf i» ja ladicn dot'ii H MHtl . . ^c.'inoiHs a"Or a JT/tj/u ,/u . '?.v' ./'. i^v5/'/Vj' ,-t cc//i\t y. //yr/// .y i/c ("u/r/r t/u .^01 t/c Cotn/hyt. . l'ouno 011 TintM' Mtuitrn v.111 don Eouiuv' vwi Aohem, jicvou» éf Oomio v.ui deit Koiiiii<;>' vhji MAkAiÏAr oî" Ooleboft.cn do ^ilvero cii Kopere Muiitcii vau deu Kouijiv' vau CaïubodUa. 1 3 fn* J jypir. M O N N O Y E s DE L' A S I E, Liv. III. 501 volontiers cette Monnoyc; parcequc, dans un Vuys miftrable »«*4S»*«*«r»«««Hkw».» J '. ^if. , t.« Monnoye ;rs tems, liflbit au- t dans les où toute s. Mais i de Que- itre quel- ra, elles voit que du poids is; quoi- fou trois : que du ir de cin- ripoura , lettant à eur. Cel- eux gros , Arnga- nani , Roi ropéc-ns , noyé du 'ays, l'or die point de deux , de pe- 2 pafli-nt lomment bas titre On de la mê- : 2 , repré- l.oi d'Afeni. & 6, celle du Roi de :i & 12, '%i-".¥' -i ■ ■;' 0* : J H - ■■■' !,;•■> '•il /■' . \ .il' ■'\ ■if i. . l\. 1 ■■■.. J ♦ «*M£^.**"fWf»M*- «-, r'-'^m¥t,"^^'%ri-~,'*^^ ' '' •#. 4^ r"'' 'il'»'.» ■' i ■* m. ■'''"' ''vt^ .'■'It-:^*^**^'"^?:"''^^'^'^'* ";';'■'•*$■?•**:- "^ .i ,*' k <■»«»*«.-. «.«al.»».,..,^ .«.r*»-.*,y. I I ■ ** ' •■* •NNtftf I 1 Mittiteil van Jeu KoaiiM/ vviii riicdA cjiPorA .- iïiHule eu Zilvcx'e Miuiteii van de Koiiin^ci) vaa Aiem.Tipoera, Arakaii en T*eoii . \ _-. .« '"• I iK^fa'iTiiiii.'wi "'■'*"' — "^'^ MON NOYES DE L'ASIE, Liv. III. 503 On bat à Siam une Monnoye d'or, qui pèfe dix grains plus que nôtre demie-piftole. L'or en cfl: au même titre. Si les Marchands , qui vont né- gocier dans cette '^"ntrée, en rapportent de l'or ou de l'argent, c'eft qu'ils n'y trouvent point de marchandii'cs qu'ils puilTent acheter; car ils n'ont pas deux pour cent de profit , fur ces deux métaux. Les Siamois ont une Mon- noye d'argent , qui îe nomme Tlnl , de la grofllair d'une bonne noifotte, ap- platie, en demi rond, des quatre côtés, donc trois font fendus, comme un fer à cheval, & deux portent quelques caractères du Pays, 'l'out l'Orient n'a point de Monnoye d'une fi étrange fabrique (c). Elle pèle trois gros &demi, & vingt-cinq grains. Le titre en elt le même, que celui de nô- tre argent à trois livres dix fous l'once. La Monnoye de cuivre de Siam doit avoir, avec celle d'argent , une proportion connue, puifqu'on en don- ne régulièrement deux cens pièces pour une d'argent (d). On s'y fert auf- fi , pour la plus bafle Monnoye , de ces coquilles de Mer qui viennent des Maldives. On a remarqué dans les Defcriptions de la Chine & du Tonquin , qu'il ne s'y bat aucune Monnoye d'or ni d'argent; que la petite Monnoye efl; de cuivre; & qu'on n'employé dans le Commerce, que des raafles ou des lin- gots d'or , dont chacun a fon poids. Ces morceaux d'or font nommés par les Hollandois, Goude-Schuylen, c'efl-à-dire Batt eaux d'or , parccqu'ils ont à-peu-près la forme d'un Batteau. Les autres Nations les appellent Pains d'or. On n'en voit que de deux difterentes groflcurs. L'or en efl à tel ti- tre, que l'once en France ne vaiidroit que quarance-deux livres. Le grand morceau revient à douze cens florins de Monnoye Hollandoife, & de la nôtre, à treize cens cinquante livres. L'autre morceau, qui pèfe la moi- tié moins , eft d'une valeur proportionnée. A l'égard des pains ou des morceaux d'argent , on en diflingue de plu- fieurs grofleurs & de divers poids, dont la valeur par conféquent varie, fuivant cette diflPérence. Dans les grands payemens, on employé des lin- gots qui valent jufqu'à cent francs ; mais on voit aulfi de petits morceaux d'argent qui ne font pas de la valeur d'un fol. Ceux qui achètent quelque chofe , ont toujours des inftruniens prêts , pour couper d'un gros morceau , ce qui manque à leur fomme. Au-refte , lorfque les Chinois tranfportent leurs pains ou leurs batteaux d'or dans les Pays étrangers , il n'y a point de Marchand qui les reçoive, fans les faire couper par le milieu. Tout le monde fe défie de cette Nation, fur-tout les Hollandois, qui ont fou vent trouvé, au milieu de ces pains d'or, un tiers de cuivre ou d'argent. Les Chi- DE 1,'ASIH. Monnoye il-' Siaiu. Monnoye de ia Chine & liu Ton- quin. ! I m N-fV. (c) Leur figure, dit plus nettement la Loubere, ell celle d'un petit cilindre , ou d'un rouleau fort court , tellement plié par le milieu, que fes deux bouts reviennent à côté l'un de l'autre. Leur coin, qui efl dou- ble fur chaque pièce , au milieu du rouleau , ne repréfente rien qui foit connu des Euro- péeijs, & que les Siamois mêmes puifTent expliquer. Voy^z ci-delTus la ûefcripcion de Siam, au Tome XIL ( i/ ) La Monnoye d'or de Siam eft un pe- tit quarré-Iong, avec quelques marques confufes fans aucune forme, des deux côtés. On n'en donne point ici la figure. Celle du tical fe trouve au Tom. XIL , & la Monnoye de cuivre eft peu différente de celles qu'on voit au bas des Planches IV & VL , fous les Ko». 9 & 10. R. d. E. I".: i'À:>ih, 501 M O N N O Y E S D E L'A S I K, Liv. HT. Chinois font fi rul'iis , qu'il y a peu d'Etrangers qu'ils ne trompent. Ils n'ont pas moins d'habileté à le défendre des rules d'autrui. On ne les voit jamais fans leur poids, qui e(l une efpèce de petite Romaine, d'environ huit pouces de long, avec laquelle ils pèlent tout l'or ôc l'argent qu'ils re- f; 01 vent. I.irgots Japon. Monnnyes du Jipoii. L X petite Monnoye de la Chine & du Tonquin eft de cuivre. Ce font de petites pièces rondes, qui s'enfilent par un trou qu'elles ont au milieu 6l dont on met enfemble douze, vin^çt-cinq, cinquante, ou cent, pour s'épargner la peine de les compter, lorfque le nombre eft au-deflus de dou- ze (e). C E qu'on nomme les Lingots ou les barres du Japon , efl une forte de Monnoye d'argent très-informe, & dont la variété n'efl pas moindre dans le poids que dans la figure & la marque. Les plus gros font de fept on- ces, qui reviennent à vingt-quatre livres dix fous de France; & les moin- dres , d'environ un gros & demi (/). ' Tout l'or que les Japonois convertiflent en Monnoye, eft au même titre, & fupérieur, de quelque chofe, à nos .Louis. Il eft au titre de l'or que nous payons cinquante francs l'once. Les plus grandes pièces pèfcnt une once îix gros, & reviennent à quatre-vingt-fept livres dix fous. Le poids des moindres eft le tiers des grandes ; c'elt-à-dire demie once quaran- te-huit grains , & revient à dix-neuf livres trois fous quatre deniers. Tou- tes ces pièces portent difiPérentes marques , dont on donne la figure. Les pièces d'argent font de même poids entr'elles, quoiqu'elles foyenc marquées aufilî différemment. Chacune pèfe quatre grains moins que nos pièces de trente fous; quoique dans le Commerce, elles ayent cours pour la même valeur (g). L'argent eft au même titre que celui de nos Monnoyes; ce qui n'empêche pas que fur les terres du Grand Mogol , oîi les Ilollandois apportent également les Monnoyes d'argent, & les barres ou les lingots du Japon, on ne leur donne toujours que deux & jufqu'à trois pour cent, plus qu'on ne leur donneroit des écus de France , des richedales , & des piaftres (/;). . _. g. U. ( ff ) Voyez , pour ces trois articles , la Planche VI. N°. i., eft le grand morceau d'or; 2, le petit; 3, un d'argent. Le N°. 4, repréfente la forme delà Monnoye de cuivre. R. d. E. (/) La partie infiirieuredela même Plan- che VL, offre depuis N". i. jufqu'à 8, dif- férentes fortes de ces lingots, dont il feroit alîez inutile de marquer la valeur, qui eft proportionnée au poids. Les Nos. 9 & 10, de cette Planche , re- préfentent les deux côtés de la Monnoye de cuivre du Japon. Elle s'en.lle, comme au Tonquin, en différent nombre, jufqu'à fix cens, qui font la valeur d'une Telle, ou d'un Tael d'argent. C'eft la manière de compter du Japon, Les Hollandois évaluent une telle à trois florins & demi de leur Mon* noyé; ce qui revient à quatre livres, cinq fous de celle de France. R, d. E. (g) Planche VJL N°. i.,e(1:la plus gran- de pièce d'orj 2 & 3, font les deux moin- dres pièces,- 4, riprtifente la marque du re- vers de ces trois pièces d'or; 5 & 6, deux pièces d'argent,* & 7, le revers de ces deux pièces. R. d. E. (b) Kxmpfer s'exprime autrement fur ces Monnoyes du Japon. Il n'y a , dit - il , dans tout l'Empire, qu'un poids & qu'une mefure. Autrefois la Cafie, petite Monnoye qui vaut communément un peu plus qu'un de nos de- niers, varioit beaucoup pour le poids; cha- que Province ayant le fien ; mais, peu de tems après la réunion de tout le Japon, fous les Cubojamas, l'Empereur fit refondre tou- tes les différentes Monnoyes & fabriquer une cafie II. npent. Ils ne les voit d'environ t qu'ils re- ^ Ce font au milieu , cent, pour lus de dou- ic forte de )indre dans le fept on- k les moin- t au même itrc de l'or •CCS pèient fous. Le ice quaran- ers. Tou- gure. Les ic marquées s pièces de ir la même inoyes; ce Ilollandois les lingots pour cent, es, & des §. IL ivres , cinq E. la plus gran- de iix inoin- narque du re- 5 & 6, deux de ces deux cmcnt fur ces dit- il , dans j'une niefure. loye qui vaut n de nos de- e poids; cha- nais, peu de e Japon , fous •efondre tou- fabriquer une cafie //c/moitcg (/e la (7it/ie ei lùt ^Act/aumc (/c J^i/iaiiin Munten van Chiiia en vhu t KoiiinpVyk Tonkiii. S ait7ot: s./„c^ . xlauanrche Zilvere Slaaven dievoor Miint dieneu lap ^^^ VI. .'/. . »*•- '^ I 1 ■ A y,s:,ûr,:v. '0t K. TapanlVhe Coude en'Zilvere Muntoii . jsrp vu. m ;ij /V -'■| ■■fil t !.^' h!v'^-:;):' ^ » » • i«— ^ j- > ' j i '-*' K\ »... t . ' -, , M ' H . ,'#;. *■' ;-.y'/ 'Tr.-i^?lJî|- ^ - -„ .H,^,-. i"*, ■-..fit*»;! * -. . 'J..'J- !.. M . '1**— ' "rfl 11 < ■ ».,^ - *f^u. ■(■■ ,■!■■■ '■ - ■ 1 j^',;-,; , 1 .. " •« »./-<.>> '^'ii^f' 1^ % i f *~-, ■ .' ^ -' ■ s»,. if'*i y /^ f !^ /];!^-.. MONNOYES DK L'ASIE, Liv. IIL 505" •»; .1 'S I cafle de cuivre qui court par-tout. II acheta môme une partie dei anciennes, plua qu'el- lei ne valoient , afin de les retirer toutes. II y a «luin trois Monnoyes d'or, dont la plus naute , nommée Cobang , vl\ du poids ds fix réaux, qui font quarante S/wwom«, ou tacls; & le tael ell de cinquante, fcpt fous de Fran- ce. Les deux autres font tort petites. Il en faut dix de l'une, pour faire le poids de (Ix réaux & demi, & autant de pièces de l'autre ne font que cinq huitièmes d'une réa- le, ou un tael, & la feizième partie d'un tael. L'alliage de l'argent e(l le même que celui de nos ecus : les pièces font en forme deb&ton, ou de lingots, qu'on pèfe, & dont on prend autant qu'il faut pour Cuire It valeur de trente taels. On les enveloppe en- femble dnns un fac, & l'on compte lesfacs, fans les dépaqueter. Il y a encore une pe- tite Monnoye d'arçent, nommée iW«a;, qui n'a pas de poids hxe , & qui pèfe depuis un Scbelling jufqu'à dix. Foyage de Kcempftr au Japon, 5. II. D'oii YAfie tire Vor 6f l'argent. IL n'efl; pas queUion des voyes du Commerce , qui font pafler aux Indes une grande partie des richefles de l'Europe. On cherche , dans les Re- lations des Voyageurs , ce que l'Afie tire de fon propre fein. L'opi- nion commune ell que , de toutes les parues de cette vall:e Région , le Ja- pon efl: celle qui fournit la plus grande quantité d'or. Quelques-uns croyent qu'on y en porte une partie confidérable , de l'IOe Formofa. Mais les HoUandois, qui ont eu, pendant quelque-teras , un Etabliflement dans cette Ifle, n'ont pu découvrir quel étoit le Commerce, du côté où l'on fuppofe qu'il y a de l'or. Il en vient auffi de la Chine,- que les Chinois changent contre l'argent qu'on leur porte. Comme ils n'ont point de Mines d'argent , prix pour prix, ils le préfèrent à l'or ; d'autant plus que l'or de la Chine ell prefqu'au plus bas titre de tout l'or de l'Afie. L'IsLE Celebes, ou de Macaflar , produit auflî de l'or, qui fe tire des Rivières , où il roule avec le fable; Dans l'iOe de Sumatra, l'on trouve , après la faifon despluyes, &lorf- que les torrens font écoulés , des veines d'or dans des cailloux de diverfes grofleurs, que les eaux ont entraînés des montagnes qui regardent leNord- Eft, A rOuefl de la même Ille, les Payfans apportent quantité d'or aux Européens qui vont y charger du poivre. Mais c'efl un or fort bas, au- deflbus même de l'or de la Chine (a). Vers les montagnes du Tibet, qui font l'ancien Caucafe, dans les Ter- res d'un Raja, au-delà du Royaume de Kachemire, on connoît trois mon- tagnes , proches l'une de l'autre , dont l'une produit d'excellent or , une au- tre des grenats , & la troifième du lapis. Il vient de l'or du Royaume de Tipra , mais prefqu'auffî bas de titre que celui de la Chine. Mendez Pinto raconte, qu'entre les Royaumes de Camboye & de Champa, une Rivière, qui fe décharge dans la Mer, à neuf degrés de la- titude (d) Voyez le Voyage de Beaulîeu, au Tome XII. R. d. E, XIÎL Part, Sss MoKNorKS Dl L'Asil. Ok et Ar- gent DE l'Asie. 4 ; Or et Au. KKNT DB i/Asifi. :d(5 m O N N O y E s de L' a s I E, Liv. III.' titude (lu Nord, vient d'un Lac nommé BinatOTf à deux cens cinquante lieues dans les terres; que ce Lac eft environne de hautes montagnes, au pied dcfquelles on trouve , fur le bord de l'eau , trente-huit Villages ; que près d'un des plus grands , qui fe nomme Chincalcu, la Naruro a placé une Mine d'or très-riclie , d'où l'on tiroit , chaque année , la valeur de vingt- deux millions de nôtre Monnoyc ; qu'elle faifoit le fujet d'une guerre con- tinuelle, entre quatre Seigneurs de la même famille, à qui la naillance y donnoit les mêmes droits; que l'un deux, nommé Raja-Hitau, avoit fous terre, dans la cour de fa maifon, fix cens bahars d'or en poiidie; enfin, que près d'un autre de ces Villages, nommé Buaquirim^ on tiroit, d'une carrière, quantité de diamans fins, plus précieux, dit-il, que ceux de Lave & de Tajampure (b). A l'égard de l'argent , on n'en connoît guères d'autres Mines , dans tou- te l'Afie, le celles du Japon, dont toutes les Relations vantent l'abondan- ce. Cependant le Voyageur , dont on vient d'employer le témoignage , parle de celles qui fe trouvent en abondance fur les bords du Lac de Chiam- nay, d'où l'on tranfporte, dit-il, l'argent, le cuivre, l'étain & le ploml», fur des éléphans , aux Royaumes de Sornau^ que les Européens nomment Siam^ de Paffilocaf Savadi^ Tangu^ Bim^ Cfl/<7w/«/ja/«, & dans d'autres P'-o- vinces , éloignées des Côtes maritimes de deux ou trois mois de cheniinr Il ajoute , que ces Pays montagneux font divifés en Royaumes , habités par des hommes plus ou moins blancs, 3: qu'en échange de leurs métaux, ils reçoivent volontiers dp l'or, des dlanians & des rubis (c). Mais, fi l'Afie n'eft pas plus féconde en or, elle en tire beaucoup en poudre & en lingots, pour l'échange des toiles qu'elle fait palLr en Afrique. Toute la Côte Orientale ne ceflx; pas de lui en fournir. Il re faut pas s'ima- giner que les Portugais foyent jamais parvenus à fake entrer exclufivcmenc les richefles de ce grand Pays dans leurs coflres. A la vérité, le Gouverneur de Mozambique a fous lui les Commandans de Sofala & de Chepon-Goiira, deux des plus abondantes fourccs de l'or. Le premier de ces deux petits Gouvernemens efl: fur la Rivière de Sena, à foixante lieuis de fou embouchure ; & fautre ell dix lieues plus haut. ]De- puis l'embçuchure de la Rivière jufqu'à ces deux Places, on rencontre quan- tité d'Habitations de Nègres , dont chacune efl: commandée par un Portu- gais. Ces Commandans , depuis long-tems Maîtres du Pays, y vivent en Seigneurs, & fe font quelquefois la guerre entr'eux. Quelques-uns ont jufqu'à cinq mille Caffres dans leur dépendance ; ce qui n'empêche pas qu'ils ne foyent fort fournis au Gouverneur de Mozambique, qui leur four- nit des toiles & d'autres marchandifes. Un Gouverneur de Mozambique, qui part de Goa pour aller prendre ponieflion de fon Gouvernement, em- porte quantité de marchandifes; fur-tout des toiles teintes en noir. Ses Correfpondans de Goa lui envoyent aufli, tous les ans, deux "Vaiffeuii:: bien chargés, dont il fait pafler les effets du côté de Sofala & dcChepon- Goura. ( b ) Voyages de Mendez Tinto , au Tome XII, île ce Recueil. ( f ) Ibidem. f)ar esFI tes s'éte j» MONNOYES DE L'A S I E, Liv. III. 507 :inquante gncs, au gcs; que place une Je vingt- errc con- liffancc y voit fous e; enfin, it, d'une X dcLavff dans tou* 'abondan- loignagc , de Chiam- le plom'j, nomment utres Tfo- e cheniinr labités par étaux, ils uicoup en n Afrique, pas s'ima- ulivcmenc iimandans c l'or. Le e Sena^ à auc. ]3e- ntre quan- un Portu- vivent en uns onc ;che pas leur fûur- anibique, lenc , em- loir. Ses VaiiTcuii:: cChepon- Goura. n Goura. C'eft par tputes ces voyes , que les Portugais font en pofleflîon de recueillir une partie des richefTes de l'Afrique. Mais quantité de Peuples , dont nous connoiflbns à peine les nom 3, an- ciennement prévenus contre la Nation Portugaife , aiment mieux tirer di- reftement leurs toiles des Indiens; fur-tout ceux qui font liés avec eux, {)ar la profeflion du Mahométifme. Les uns portent leur or jufqucs dans es Ports de l'Abiirmie , qui regardent la Mer rouge ; d'autres , fur les Cô- tes Orientales. L'Empereur même du Monomotapa ,. dont la Domination s'étend jufqu'aux Confins de l' Abifiinie , prend l'une ou l'autre de ces deux voyes, & fe difpenfc , autant qu'il peut, de contribuer à raggrandille- ment des Portugais. C'eft de fes Etats que vient l'or le plus pur & le plus fin de toute l'Atrique. On n'a befoin , pour le tirer de la terre , que d'y fouiller à la profondeur de deux ou trois pieds. On prétend même que dans plufieurs Cantons , que leur féchcrefle rend déferts , il le trouve, fur la furface delà terre, des morceaux d'or de toutes fortes de formes, juf- qu'au poids de deux onces. Tavernier raconte que, pendant fon fejour à Surate, il y vit arriver un AmbalTadeur du Monarque des Abiffins, avec lequel il eut quelque relation. Ce Miniftre , dont il avoit obtenu l'ami- tié, en lui donnant une paire de piftolets garnis d'argent , l'invita un jour à dîner, avec un autre François, nommé a/lrdiïkrey & leur fit voir les pré- fens dont il étoit chargé pour le Grand Mogol. C'étoit quatorze beaux chevaux, refte de trente qu'il avoit amenés, & dont il avoit perdu feize en pafiant la Mer; quantité déjeunes Efclaves de l'un Si de l'autre fexe; enfin, ce qui méritoit beaucoup plus d'admiration, un arbre d'or, haut de deux pieds quatre pouces , & gros de cinq ou fix pouces par la tige. Ce pté- cieux Ouvrage de la Nature avoit dix ou douze branches , dont quelques- unes étoient de prefqu'un demi pied de long , & de la grofleur du pouce. D'autres étoient plus petites. L'Auteur, qui donne fon témoignage pour oculaire, ajoute: „ qu'à divers endroits des groffes branches on voyoic „ quelque chofe de raboteux, qui reffembloit, en quelque Ibrte, à des 5, bourgeons. Les racines de l'arbre étoient petites & courtes. La plus „ longue n'avoit pas plus de quatre ou cinq pouces {dy\ Les Peuples de la Côte Orientale d'Afrique, fçachant dans quelle Saifon les Bâtimens des Indes arrivent dans cette Mer , s'approchent du rivage pour fe pourvoir de toiles & d'autres marchandifes. Us apportent l'or qu'ils ont recueilli; ou s'ils en manquent une année, ils s'obligent de payer l'année d'après , & les Marchands ne font pas difficulté de fe fier à cette promcfiTe. Sans cette confiance , le Commerce? iiniroit bien-tôt , avec les Portugais com- me avec les Indiens. C'eft aux mêmes conditions , que les Peuples d'Ethio- pie portent tous les ans de l'or au Grand-Caire. On apprend des Indiens, comme des Portugais, que les Nègres du Monomotapa vivent peu; ce qu'on attribue aux mauvaifes eaux de leur Pays. Dés l'âge de vingt-cinq ans, ils commencent à fe reffentir de l'hydropifie ; & la plupart fe croyent fort heu- reux, lorfqu'ils pafllent quarante ans. La Province, où la Rivière de Sena prend («I) Tavernier, Tom, II, pag. 355. ' ' Sss 2 Or et Ar« ORNT ne I,'ASIE. Commerce des IiulichS avec l'Afri- que. Arbre d'or, avec fes raci- nes & fes branches. S Ce que les Indiens ra- content du Monomo- tapa. Or et Ar* KNT DE 508 MON NOYES DE L' A S I E, Liv. Ht. prend fa fourcc , fe nomme Mankaran^ & commence environ cent licuérf au-deirus de Chepon-Goura. Ses Peuples trouvent quantité d'or en pou- dre, dans plufieurs Rivières qui viennent fe joindre à la Sena ; mais cet or efl: plus bas que l'autre. Le Pays efl: fort fain , & l'on y vit aufli long-tem$ qu'en Europe. Dans certaines années, on voit venir, fur la Cote, des Cuffres de beaucoup plus loin, & du voifinagc même du Cap de Ronnc- Efpérance. Ceux qui fe font informés de leur Pays , nous apprennent feu- lement qu'il fe nomme Sabia; qu'ils vivent fous la Domination d'un Roi, Ck (ja'ils employent ordinairement quatre ou cinq mois pour fe rendre à la Côte. L'or , qu'ils apportent , eft excellent , & par morceaux , comme ce- lui de Monomotapa. Ils le trouvent , difent-ils , fur de hautes montagnes , dont ils ouvrent feulement la terre à dix ou douze pieds (e). On ne les voit jamais arriver, fans une quantité confidérable de belles dents d'élé- phans. Ces animaux font en fi grand nombre dans leurs campagnes, que toutes les paliflades des Forterefles & des Parcs n'y font compofées que de leurs dents. Leur chair efl: la nourriture commune des Habitans. Mais les eaux du Pays font fi mauvaifes, que la plupart de ces Caffres ont les jambes enflées , & qu'ils admirent eux-mêmes ceux qui peuvent fe garantir de cette difgrace (/). (e) Voyez les Relations d'Afrique, aux Tomes 111. & IV. de ce Recueil. (/) Voyages deTavernlcr.Tom. II p-ie» 356 « pr«icé<.lfntcs. Fm de la Treizième Partie,. i •.. TABLE TABLE DES TITRES ET PARAGRAPHES Contenus dans ce Volume. ' A\£RTi!isT.MT.sT de Mr. VÂbbé Prevojl^ Pag. IM. Avertissement d« £<^i/fttrj de Hollande , VI. VOYAGES DANS LA PRESQU'ISLE EN DEÇA DU GANGE. LIVRE TROISIÈME. VOyace (le Dellon, aux Etablijfe- mens François de la Cote de Mala- bar ^ Pag. I Voyages aux Mines de Diamanst de Gol- konde , de Fifapour ^de Bengale , 19 Parag. I. Voyage de Guillaume de Me- tbold, aux Mines de Diamans y . 20 Parag. II. Voyages de Taverrnier y aux Mines de Diamans , . , . . 23 Voyage de Nicolas de Graaf^ j vr le Gan- ge, 45" Parnp. I. Etat des Portugais om Indes Orientales i ....'., 5-9 Parng. II. Hijloire de Dom Pedin de Caftro 61 Voyage de Luilliery au Golfe de Benga- le^ „ 77 Voyages dans l'Incîoiijlany Intrcdiiàion ^ 84. Parag. I. Voyages de Thomas Rboe dans Vlndoujlan . 85 Parag. II. Voyage de Rboe, à la fuite du GrandMogoly 122 Voyage de Jean Mberî de Ma-uklf.o ^ dans Vlndoujlan^ 143 Voyage de Bernier au Royaume de Kd- cbemire^ 179 Voyages de Tavcrnier dans l'IndoujUn , a'o Parag. I. Premitrs Voyages de Twttr- nier ^ , 513 Pavag. II. Voyages de Tavcrnier daus Vfndovjlan f \ 219 Parag. ill. Voyage de Tavernier à Bata- via^ 263 DeJ'cription de l'Indouftan , . . . 283 Paiag. 11. Fundation de l'Empire MogoL {jf Ra.e Impériale, .... 305 Parag. 111. Etat de la Cour du Mogol, depuis le départ de Nadir Cbab , 335 Lijle Généalogique des Grandi Mogds , 310 Parag. IV. Forces lîjf Richef}cs des Grands Mugols y 333 Parag. V. Gouverneme^it 6? Police' 'de l'Indouftan, 344 Iss 3 Parag. W':"^ I I r TABLE DES TITRES ET PARAGRAPHES. Parag. VI. Religion, Fieure, Habits, konde ,& fa dernière Révolution , ^2^1 Mœurs 6? U/ages des Peuples de Vin- Parag. II. Supplément à la dernière Ré- doujlan^ 3J3 solution de Golhndi , .... 432 Parag. VII, Seêies Idolâtres des Indes y Relations du Carnate ^ par quelques Imf- 367 fionnairùs Jéjuites, .... 439 De/cription de la Ç6te de Malabar y .387, Supplément aux Relations du CarnatCt Parag. L Maur s & Ûfaget du Malàbàr i ■ . . . . , .447 392 Monnayes j ou diverfes fortes de Pièces Parag. II. Hijîoire Naturelle du Mala- métalliques , de Coquilles (s^ d' Aman- bar , i . . . 405* des, oui pajjent pour Monnayes dans Defcription du Royaume de Golkoride, toute VAfie, ....... 493 414 Parag. II. D'où VAfte tire l'Or 6? VAr- Parag. I. Origine du Royaume de Col- gent, 505 Fin de la Table des Titres et Paragraphes. De rimprimerie de Jacq.ues van Karn£B££K à la Haye. AVIS ;"Ç,^- 1 -l^T ;;ï','- ■ ■ ' •,» ■ AVIS AU RELIEUR, POUR <<. • PLACER LES CARTES ET LES FIGURES DU TREIZIÈME VOLUME. V-^Ananor Pag. Fort Hollaudois de Palliacate , nommé Gueldre, * Nouvelle Carte du Royaume de Bengale, . Palais & Jardins de Cha-Soufa, Prince de Ragi-Mohol. Plan de la Ville de Mongher (a), Carte de l'Indouflan , Ire Feuille, Suite de la Carte de llndouftan , Il^f Feuille , comprenant la Pref- qu'Ifle de l'Inde, Cour du Grand Mogol , . * m Côte de Dabul , Dabul, . Rauchenara-Begum, Begum-Saheb , Cha- Jehan , Mir-Sumla, Nabab, ou Général d'Aureng-Zeb , fe divertiflant avec fes Femmes , . Sceau des Grands Mogols . ' . Coches Mogols tirés par des Bœufs, Biruma, ou Brama, . . Wifchtnu, Ifuren , Différentes fortes de Fakirs, Vue de Cananor ,..-.. Cananor, Plan de la ForterefTe de Cranganor, avec fes Ouvrages & le Projet d'un nouveau Fort j Fait en 1709, Ville de Cochin , . . . . Plan de la ForterefTe de Coylan , Monnoyes, Planches Nos I & II^ . . Nos III & IV, . Nô. V, . Nos VI & VII. dans fon Serrail extérieurs 48 1^ 50 v^ 85 «- 85-- 174 — 188-^ 188*- 310 311 w non OJJ — " 360 > 369 v^- 369 "-^ 369-» 371 389 - 389- 390 — 390-- 39IW 497-- 504 AVIS (a) Ce Plan a rapport à la pag. 55. nouvelles Cartes & Figures qui ne fc trou Nota, L'Aftérifque ell pour marquer les vent point dans i'iidition de Paris. Ce " . ■ . « f*" V '* i • .'-( - *' T r s, W ' •^ • - Ce Treizième Volume caitHent. Fior. Sols. 6s Feuilles y compris le Titre Rouge, à i fol, /«Jf 3 " 5 - o 31 Figures & Cartes Géographiques , à 3 fols,/oMf 4-13-0 I Vignette, . » ] ^J ^J .. ' . 8-0-0 Et pour le Gr^ni P^;'>. • •"• - ^^ ' "^ " ° Selon les Conditions de Soufcription , ceux qui ont fou- icrit ne payeront : Vom \q Petit Papier qvLQ 6-14-0 Pour le GrandPapîer que . - • • • 10 - "^ ' ^ * ■ , , , . Moyennant qu'ils retirent ce Volume avant le i de Juin i75«:î- • '^ ^ F AU T ES À CORRIGER. Pal: 161. Note CO, Ou, %, On. Pag. 167. Note (0^, 1727, Ijfez. 1^27- Pal. 20b. Note (t) Dentas, hkz, Deutas. Pag. 362. Après la Note ( O, ajoutez, R. d. E. . F 1 N D U T R E I Z I È M E V 0 L U M E. . Sols. - S ■ 0 - 13 - 0 - 2 - -> - 0 - 0 - 0 - 0 14 o o o 5^- omme^ &c.